Cet ouvrage collectif rassemble des contributions sur des projets participatifs menés dans différentes bibliothèques (médiathèque municipale, bibliothèque de quartier, bibliothèque universitaire, BNF…) mais aussi dans des centres culturels ou sociaux et dans un musée. Cette mosaïque d’actions est relatée et analysée par les acteurs de terrain qui les ont menées, qu’ils soient bibliothécaires, conservateurs, chargés de projet ou encore animateur socio-culturel. Raphaëlle Bats, doctorante à l’université Paris VII et chargée des relations internationales à l’Enssib, apporte, en guise d’introduction, une mise en perspective plus théorique sur la participation en bibliothèque, et conclut en donnant conseils et méthodes pour élaborer les grandes lignes d’un projet participatif. La finalité du livre est de montrer ce que recouvre cette démarche participative, quels types d’actions peuvent être mis en place, et enfin quelles sont les principales différences entre partenariat, collaboration et participation.
Si tous les éléments qui composent les projets décrits ici ne sont pas directement transposables dans les CDI des établissements scolaires car les publics, les enjeux et les conditions matérielles y sont bien entendu différents, les expériences menées peuvent néanmoins être sources d’idées et ouvrir des possibilités à mettre en œuvre à notre échelle. Elles permettent également de soulever de nombreuses interrogations quant à la vision des collections, la manière dont on peut constituer un fonds documentaire ou encore la place à accorder à la décision et à l’autonomie des élèves. On pense bien sûr aussi aux fameux repoussoirs des « 3C » ou « Learning Center », qui ne sont souvent pas bien loin de cette représentation de la bibliothèque comme « troisième lieu », lieu de vie et de sociabilité, davantage que lieu de savoir uniquement… Regardons donc ce qui se fait dans toutes ces structures culturelles et associatives pour ouvrir la réflexion…
Enjeux et limites des pratiques participatives
Dans un premier temps, Raphaëlle Bats rappelle le contexte politique dans lequel s’inscrit cette volonté de faire participer les publics des bibliothèques : il s’agit bien entendu du mouvement de la démocratie participative qui met en avant l’implication des citoyens dans la vie politique et sociale de leur territoire. En se voulant « de proximité », ce mouvement démocratique renoue avec l’idéal d’égalité entre tous les citoyens, où il n’y a pas de personnes plus légitimes ou compétentes que d’autres. L’idée est que, de la participation de tous, émergeront des savoirs partagés, mobilisés, même s’ils viennent d’un public « profane ». On rencontre là une première difficulté liée à la réticence légitime des professionnels des bibliothèques qui voient dans le partage des compétences une possible dilution de leur expertise, voire même l’angoisse que leur métier disparaisse. Inversement, côté public, l’appréhension des non-spécialistes face au domaine de l’écrit et de la lecture peut être un frein à la participation.
Faire participer les usagers de la bibliothèque est par ailleurs un moyen de leur donner du pouvoir et du poids, à condition que les projets réalisés aboutissent à des réalisations concrètes et ne restent pas à l’état de consultation ou de réflexion. L’implication des publics ne doit pas se transformer en une recherche de légitimation des décisions politiques prises par les municipalités par exemple, ce qui en serait un dévoiement. Si l’État doit mettre en œuvre les conditions de l’exercice démocratique dans les territoires, il ne doit pas trop institutionnaliser les dispositifs pour permettre aux citoyens de librement expérimenter diverses initiatives1. On rejoint là l’empowerment, en français l’autonomisation, c’est-à-dire l’acquisition parallèle par les citoyens à la fois de plus de pouvoir grâce à leur engagement dans la vie locale, mais aussi de nouvelles compétences et savoirs.
Dans ce cadre, la bibliothèque n’est plus seulement un service public, mais au-delà une manière de « donner les moyens au public de construire les services ». Repenser les concepts info-documentaires de façon critique peut aboutir à réinventer la bibliothèque en tant que lieu de vie où « s’inventent des choses ».
Pour conclure cette partie introductive, R. Bats dresse une typologie des pratiques participatives, qui permet de lister les éléments à prendre en compte avant de se lancer dans ce type de projet. Tout d’abord, il faut définir le degré de participation du public : simple information (on communique les informations en amont du projet) ; délibération (consultation des publics) ; décision (délégation de pouvoir, co-construction du projet). D’autre part, il faut réfléchir à la temporalité : quelle sera la fréquence des réunions ? Puis, le choix des acteurs est très important : qui implique-t-on dans le projet ? Met-on en place un système de représentants choisis, ou de groupes de travail, ou encore des personnes individuelles volontaires, cooptées, élues ? Enfin, quel type de dispositif adopte-t-on (assemblées, référendum, réunions publiques, enquêtes, sondages, ateliers, etc.) ? On verra dans les comptes rendus d’expériences ci-après que la réflexion rigoureuse sur tous ces éléments en amont est une des conditions de la réussite du projet.
Des exemples de projets collectifs qui repensent la bibliothèque
La première initiative analysée est celle de BiblioRemix, expérimentée à Rennes depuis 2013. Il s’agit de réunir des usagers d’univers très différents pour réfléchir et concevoir ensemble de nouveaux services qui seront proposés dans la bibliothèque. L’idée est à la fois de « faire venir » (mobilisation), et de « faire ensemble » (engagement), dans la lignée du « Do It With Others ». Pour mettre en place le projet, il faut au préalable réussir à trouver des participants. Dans l’idéal, la répartition optimale du groupe serait d’un tiers de bibliothécaires, d’un tiers de grand public, et d’un tiers de personnes « créatives » (dans le sens de détenteurs de compétences professionnelles particulières : graphistes, architectes, informaticiens, artisans…). Ce dosage des participants peut être intéressant à transposer au CDI avec parents / élèves / enseignants par exemple. Pour faire venir le public, le choix des jours et des horaires de réunion est important : en semaine ou le week-end, en journée ou le soir (ce qui implique des personnes disponibles différentes) ? Effectuer une communication attractive et s’inscrire dans un événement plus large permettent de gagner en visibilité (à l’instar des actions culturelles dans les CDI correspondant au Printemps des Poètes ou à la Nuit de la Lecture par exemple).
Une idée toute simple a ici retenu notre attention : la « piscine à idées » (appelée aussi « mur des post-it » dans un des projets relatés plus loin) permet de recueillir les suggestions et envies des usagers de la bibliothèque (qu’aimeraient-ils voir se passer à la bibliothèque ?). On demande au public d’écrire leurs idées sur des post-it et de les coller sur un tableau bien signalisé. Une façon pratique de visualiser en un seul coup d’œil et par tout le monde les idées de chacun, ce qui semble assez facilement transposable dans un CDI.
Pour que la participation lors des réunions soit active et que les membres aient envie de revenir, le maître mot est la convivialité : boissons, gâteaux, cafés sont au rendez-vous, mais aussi pourquoi pas des petits jeux coopératifs pour souder le groupe, voire, s’il y a du budget, une distribution de goodies (stylos, bloc-notes…). Chaque moment du projet doit être valorisé grâce à une communication régulière des avancées et des productions sur le site web de la bibliothèque, sur les réseaux sociaux ou par affichage dans le lieu lui-même. Pour diversifier les profils des participants, on peut également essayer de recruter les curieux et les passants lors des réunions elles-mêmes en profitant de l’effet de surprise.
Toutes les sessions se déroulent selon le même plan : étape de brainstorming et vote autour de trois idées à développer ; travail en 3 petits groupes ; production d’un prototype, d’une maquette en lego ou d’un visuel en lien avec le projet. Chaque étape du projet est racontée par écrit par les participants puis mise en ligne sur le site Biblioremix2, ce dernier regroupant tous les outils et tous les projets qui ont émergé des groupes de travail. Une mine de bonnes idées aux noms évocateurs et sympathiques comme : le Club des non-lecteurs ; l’arbre des connaissances ; la Truquothèque ; la Fabrique à idées ; le projet Snowden ; ou encore Redesigner le bibliothécaire… tout un programme ! Le déroulé type peut être adapté pour un public d’enfants ou d’adolescents, certaines des expériences racontées sur ce site s’étant d’ailleurs déroulées dans des CDI.
Les plus-values apportées par ce type de dispositif se retrouvent dans l’enthousiasme suscité chez les participants, la re-motivation rencontrée chez les bibliothécaires, la nouvelle perception que les publics ont du lieu et la création d’un projet innovant.
Une autre batterie d’exemples vient des universités américaines qui développent de vastes consultations estudiantines sur l’aménagement de l’espace, qu’il soit physique ou virtuel. Ainsi, pour concevoir l’organisation d’une nouvelle bibliothèque, les étudiants sont consultés par le biais de sondages ou de votes en ligne. Différents plans élaborés par des étudiants eux-mêmes sont proposés aux bibliothécaires. Pour ce qui est de la conception de la nouvelle interface de la bibliothèque, la refonte de celle-ci a été confiée au Lab informatique du campus, spécialisé dans l’ergonomie des sites web. Un groupe d’étudiants testeurs a essayé à chaque étape les différents prototypes d’interface et leur mode de hiérarchisation des données avant de donner leurs recommandations. On est ici dans un type de participation à la fois consultative et collaborative. De même, les universités américaines mettent en place dans de nombreux campus des conseils consultatifs estudiantins qui se réunissent avec divers représentants enseignants et bibliothécaires, et donnent leur avis sur les acquisitions, les services proposés par la bibliothèque, l’aménagement, les projets à mener…
Toujours dans les universités américaines, la manière de constituer les collections de la bibliothèque en matière d’e-books tranche fondamentalement avec notre représentation du fonds documentaire en France. En effet, les acquisitions ne sont plus « just in case » c’est-à-dire « au cas où », déterminées uniquement par les bibliothécaires qui analysent les besoins en amont, mais « just in time », « au bon moment » : on parle alors de « Patron Driven acquisitions » ou de « Demand Driven acquisitions », des acquisitions déterminées par l’usager ou bien « à la demande ». Pour les livres électroniques, une liste est proposée sur le catalogue de la bibliothèque, mais c’est seulement lorsque l’étudiant clique sur sa notice pour en consulter le contenu, que l’e-book est facturé à la bibliothèque. C’est le seul besoin effectif qui en détermine l’achat. Il en va de même pour certains livres imprimés, dont les notices figurent dans la base documentaire : l’usager peut cliquer sur « commander ce livre » et c’est là encore seulement la demande expresse de l’étudiant qui génère la commande. Ce mode de constitution des collections me semble remettre en cause de manière assez fondamentale la façon dont on élabore une politique d’achats dans un CDI : si elle peut susciter des réticences bien justifiées, j’imagine toutefois que l’expertise des bibliothécaires et la cohérence nécessaire à donner au fonds documentaire se retrouvent au final dans le choix des ressources qui sont proposées dans ces listes à la demande.
Le partage des savoirs au centre des projets
Dans les différentes initiatives évoquées dans cette partie, c’est davantage la notion de « savoir partagé » qui est mise en avant, et qui se place au cœur de la participation des publics. Ainsi, au musée Dauphinois de Grenoble, l’écomusée place le public comme co-auteur des expositions. Un comité de pilotage est organisé, donnant son avis sur les thèmes de la programmation culturelle proposée par les professionnels du musée. Les membres de ce comité se chargent également de récolter des objets et des témoignages en tant qu’experts de la mémoire du patrimoine local. Des workshops (ateliers participatifs) sont mis en place pendant la création de l’exposition pour affiner le choix des technologies et scénographies à mettre en œuvre. Enfin, la médiation pendant les visites de l’exposition est assurée par des habitants du territoire, issus du milieu associatif ou amateurs éclairés.
Un deuxième exemple de partage des savoirs passe par la constitution d’une nouvelle collection musicale à la Bibliothèque de la Croix Rousse à Lyon. Après une enquête préalable faisant émerger les envies des usagers en matière de CD proposés par la Médiathèque (autour du genre pop-rock), et dans le cadre d’un projet global des médiathèques de Lyon « orienté public », les bibliothécaires ont organisé autour d’un groupe d’usagers volontaires des réunions tous les deux mois pour élaborer ensemble ce fonds musical. Côté bibliothécaire, il a fallu accepter de ne pas avoir l’entier pouvoir de décision sur les choix d’acquisitions et de partager les compétences avec des amateurs passionnés de musique, souvent très pointus dans leur domaine de prédilection. Là encore, à l’instar des BU américaines, ce n’est pas le professionnel qui plaque de l’extérieur un besoin supposé de l’usager, mais bien le groupe de participants qui prend des décisions collectives.
Lors de ces ateliers de travail, le bibliothécaire met tout en œuvre pour proposer un temps convivial (boissons, gâteaux), il anime la réunion, répartit la parole, veille au respect et à l’écoute, et remet toujours les choses en perspective en donnant une vision globale de la collection et en expliquant les contraintes budgétaires, mais aussi juridiques et techniques auxquelles est soumise la médiathèque. Côté participant, chacun apporte lors de la réunion 5 CD dont une sélection de titres est proposée à l’écoute, en présentant les artistes et le courant musical. Cette découverte des goûts de chacun est très enrichissante pour tous et débouche sur des acquisitions décidées collégialement. Ensuite, le groupe a dessiné un logo coup de cœur à placer sur les CD, puis le jour du lancement de la nouvelle collection, les participants sont venus assurer la médiation auprès du public. En prolongement, un groupe élargi de participants réfléchira à la programmation des concerts et événements culturels de la médiathèque.
Ce dispositif peut se transposer par exemple à la constitution d’une collection de BD ou de Mangas dans un CDI avec un groupe d’élèves. L’ensemble de cette expérience montre qu’en devenant acteurs, les usagers sont beaucoup moins consommateurs, et que le partage de savoirs dans un domaine de prédilection particulier des publics est un moyen d’enrichir l’ensemble de la communauté.
Passons maintenant à l’analyse du projet participatif de la BNF autour de la création de la plate-forme de correction collaborative CORRECT. Il s’agit d’une plate-forme de crowdsourcing, c’est-à-dire de travail collaboratif de masse. L’idée est de créer un réseau d’usagers correcteurs, volontaires, qui repèrent et corrigent les erreurs qui se glissent dans la base Gallica en mode plein texte, lors du passage du document numérisé au document texte. La quantité de documents à traiter est telle que seul un nombre important de contributeurs semble pouvoir venir à bout de la tâche. Cependant, les représentations que les usagers avaient de Gallica jusqu’à présent les faisaient se sentir illégitimes pour corriger. Une communication particulière sur les réseaux sociaux a donc été nécessaire, ainsi que le ciblage de collections possédant déjà une communauté active d’internautes (documents sur la Grande Guerre, SF, recettes de cuisine…). Pour fidéliser ensuite le groupe de correcteurs, un travail sur l’ergonomie de la plate-forme a été effectué ainsi que l’introduction d’une forme de réseau social dans Correct, de manière à favoriser la création d’un sentiment de communauté et de collectif soudé chez les contributeurs (avis, échanges, discussions…) avec un mot d’ordre de collaboration et non de compétition.
Le bilan de la plate-forme semble très positif, puisqu’elle dispose désormais de correcteurs investis et actifs. Ce projet mélange collaboration et participation, et laisse les contributeurs corriger en totale autonomie les documents. Plus globalement, on peut dire que chez les bibliothécaires, la représentation de la participation des usagers évolue. Ils « sont désormais plus enclins à voir la complémentarité entre les données structurées et normalisées produites par les bibliothécaires et les données sociales moins cadrées mais répondant à des besoins nouveaux des usagers » (p. 68, I. Josse / P. Moirez).
L’expérimentation suivante est celle de la Piratebox : un dispositif de partage et d’échange de contenus numériques, libres de droit (domaine public ou Creative Commons). Il est possible grâce à cette installation, de télécharger des e-books, de la musique, des vidéos, des photos, sans connexion web, dans l’anonymat le plus total, sans traçage des données. La piratebox fonctionne comme un réseau wifi à part, indépendant et autonome, en circuit fermé, gratuit, mais qui ne permet pas de rechercher d’autres informations. Également appelée Bibliobox ou LibraryBox (noms qui évoquent moins l’univers du hacking et semblent donc préférables), cette « boîte de téléchargements » de contenus gratuits et légaux permet aux bibliothèques de donner une « porte d’entrée » aux usagers vers des ressources triées et validées en assurant un service d’anonymat et de préservation de la vie privée. On est ici au cœur de la diffusion des communs de la connaissance. Le public peut également déposer des contenus et enrichir ainsi les collections de cette bibliothèque virtuelle. Là encore, ce sont les besoins et les usages réels des lecteurs qui sont représentés par ces dépôts participatifs dans la Bibliobox. Un système de recommandation de pair à pair est même mis en place et permet une plus grande appropriation des contenus.
L’une des limites du dispositif est le manque d’usagers qui déposent des documents : comment rendre visible, donner une matérialité au virtuel de la Bibliobox ? La médiation et les compétences des bibliothécaires restent des éléments fondamentaux : ils expliquent le dispositif, vérifient les contenus déposés par les usagers (respect des droits d’auteur, contenus légaux et adaptés) et les classent par thème, en les fédérant parfois autour des événements culturels forts qui émaillent l’année (Printemps des Poètes par exemple). L’utilisation de la Bibliobox peut également être intégrée à des clubs Lecture : les participants repartent à la fin du club avec les e-books issus de la Bibliobox, qui ont été évoqués lors du club. L’exemple de la Bibliobox permet de repenser les relations entre bibliothécaires et usagers et la manière dont ces derniers peuvent devenir co-constructeurs des collections documentaires dans un contexte d’horizontalité et de partage des savoirs.
Comité d’usagers, participation démocratique : comment décider ensemble dans une bibliothèque ?
L’exemple de la Médiathèque de Lezoux (près de Clermont-Ferrand) est particulièrement intéressant. La participation a ici été intégrée à la conception d’une nouvelle médiathèque. En partenariat avec l’association « La 27e Région », les citoyens ont été impliqués dès l’ouverture du marché public pour réfléchir à ce nouveau lieu à créer. Les participants (élus politiques, bibliothécaires et grand public) ont été réunis pendant trois semaines sous la forme d’une « résidence » : l’équipe pluridisciplinaire ainsi constituée s’est interrogée sur les besoins des usagers (pourquoi certaines personnes vont tous les jours à la médiathèque et d’autres jamais ?) puis a rédigé un Plan des usages qui recueille les pratiques des habitants avec une méthode quasi ethnographique. À noter : une quinzaine de collégiens accompagnés par leur professeur documentaliste ont participé au projet en rencontrant les différents acteurs du lieu puis en imaginant les espaces de la future médiathèque qui répondraient le mieux à leurs besoins.
La construction participative de la Médiathèque génère en elle-même des projets eux aussi participatifs correspondant au mouvement global du « faire avec » à la place du « faire pour » : Bibliobox, club Lecture, ateliers… D’un modèle très centralisateur et vertical, on passe à un modèle latéral, où la bibliothèque devient un lieu de vie collectif, où le bibliothécaire se fait « récolteur » des savoirs de chacun, réceptacle du savoir oral des habitants et transmetteur de pair à pair.
Autre initiative de participation directe des publics : la création d’un comité d’usagers à la médiathèque de Bruz (près de Rennes). Dans le cadre d’une nouvelle municipalité qui a pris pour axe de programme la démocratie locale, le comité d’usagers fait partie des outils possibles de mise en œuvre de la démocratie participative. Les élus et les bibliothécaires ont suivi une formation commune sur ces pratiques de manière à donner de la cohérence au projet en amont. Des actions participatives antérieures existaient à la médiathèque : par exemple, le comité de lecture réunissant bibliothécaires et usagers décidait de l’acquisition des ouvrages qui leur étaient présentés et prêtés par la librairie.
Pour clarifier les modalités de la participation dans le comité d’usagers, une fiche de cadrage a été rédigée par bibliothécaires et élus en amont. L’objectif du comité est d’offrir un espace aux usagers pour qu’ils puissent donner leur avis et faire des propositions sur des questions de fonctionnement : avis sur le fonctionnement actuel de la médiathèque (attentes, besoins, information…) ; amélioration de l’existant ; implication dans l’action culturelle et sa programmation annuelle. L’intervention des usagers est complémentaire à celle des agents, mais les personnes impliquées doivent faire attention à prendre en compte l’intérêt général et non leur seul intérêt individuel.
À titre d’exemple, pour l’année 2013-2014, le comité d’usagers a travaillé sur deux axes très précis : le mode de classement des livres dans la médiathèque et le choix des thèmes des conférences proposées dans le cadre des « lundis de la Découverte ». Animé par la directrice de la médiathèque et par l’élu municipal chargé des affaires culturelles, le comité devait se réunir 3 ou 4 fois par an et il s’est tenu en réalité plus de 12 fois en deux ans. Il était composé de 12 membres, qui se sont engagés pour deux ans. Les décisions et projets impulsés par le comité ont permis de redéfinir le mode de classement des fictions adultes (romans policiers et littératures de l’imaginaire classés à part, avec une signalétique claire), de proposer des « ApéroBD » (présentation régulière et conviviale des nouveautés BD) et de faire des visites nocturnes de la Médiathèque pour les nouveaux habitants.
Outil de lien et de meilleure compréhension mutuelle, le comité a permis tant aux usagers de mieux appréhender les réalités et les contraintes liées au fonctionnement de la médiathèque, qu’aux professionnels d’entendre les besoins et pratiques réelles des habitants. La fiche de cadrage, en différenciant dès le début les éléments négociables de ceux qui ne le sont pas, a permis d’éviter tout malentendu dans le processus de participation et de décision des usagers.
Autre lieu, autre expérience : la Bibliothèque Louise Michel à Paris développe totalement l’idée de la bibliothèque comme tiers-lieu. Partant du principe que la bibliothèque est celle avant tout des habitants du quartier, elle est considérée comme un lieu de vie à part entière, où le simple fait de venir est déjà un acte en soi d’appropriation. On peut donc s’y poser pour boire un café et papoter, jouer une partie d’échecs, jardiner dans le potager partagé, jouer aux jeux vidéo, participer à l’un des ateliers créatifs un peu impromptus qui se déroulent de temps à autre au centre de la salle de travail, ou encore éventuellement emprunter un livre. On voit que ces différents usages sont considérés comme légitimes, sans aucune hiérarchie entre un « bon » ou un « mauvais » usage du lieu. La participation se retrouve également dans les ateliers qui sont la plupart du temps animés par des usagers, enfants ou adultes, en exploitant ainsi les savoir-faire et habiletés de chacun. De même, les bibliothécaires considèrent qu’il n’y a pas de hiérarchie de légitimité entre les ressources documentaires apportées par les habitants et celles choisies par les professionnels. S’il ne paraît pas possible de transposer en totalité ce genre d’expérience à un CDI, elle fait néanmoins réfléchir à l’utilisation du lieu : l’idée d’ateliers animés par des élèves et permettant de les valoriser peut être un bon moyen de les impliquer dans la vie de l’établissement et de leur donner confiance en eux. On peut aussi facilement imaginer des plages horaires (pause méridienne ou fin de journée par exemple) où les règles habituelles de fonctionnement du CDI sont un peu différentes pour introduire d’autres pratiques (jeux de société, musique, moments conviviaux…)
Étapes et conseils pour la mise en place d’un projet participatif
Raphaëlle Bats conclut cet ouvrage en proposant un mémento qui reprend les grandes étapes d’un projet participatif en bibliothèque. Avant de se lancer, elle rappelle qu’il est important de se documenter sur la notion même de participation : lire des publications telles que les travaux du Groupe d’intérêt scientifique Démocratie et Participation du CNRS3, ou encore les collections de l’Enssib ou de l’IFLA ; interroger des structures ayant déjà mené ce type de projet ou partir de ce qui a été fait par la municipalité ou l’université voisine ; se former grâce à une association spécialisée ou le CNFPT4, l’Enssib et le CRFCB5.
La deuxième étape est de définir le périmètre du projet, le plus souvent sans le soumettre à la participation, puisque décidé en amont. Quels sont les objectifs en termes de valeurs socio-politiques ? Pourquoi choisir de faire un projet participatif plutôt qu’un projet classique ? Qui sont les commanditaires du projet et en ce sens quels en sont les enjeux ? Quelle sera la nature de la participation (consultation, vote, réunion…) et son pouvoir de décision (information, délibération, décision) ? Ce cadre doit être très clair dès le début pour éviter les déceptions de la part des usagers qui pourraient sinon avoir l’impression de n’être pas écoutés ou pris en compte. Quelle sera la fréquence des réunions et se dérouleront-elles en semaine ou le week-end ? Enfin, il faut convaincre ses collègues : les réticences sont nombreuses car le partage de connaissances et de compétences suscite souvent de l’inquiétude avec une impression de remise en cause de la valeur professionnelle des agents. Il paraît indispensable de bien communiquer autour du projet et d’expliquer son aspect militant en amont. Le partage des savoirs ne revient pas à nier l’expertise ni le métier même des bibliothécaires.
La mise en œuvre du projet doit ensuite être cadrée : quels sont les rôles de chaque participant ? L’élaboration d’une charte ou d’une fiche de cadrage peut être une bonne solution pour savoir qui fait quoi. La manière de recruter les participants a également toute son importance : selon la zone ciblée, les moyens de communication seront différents (affiches et site web pour les usagers de la bibliothèque ; réseaux sociaux et presse pour un recrutement élargi aux non-usagers). La représentation traditionnelle d’une bibliothèque n’est pas celle d’un lieu participatif, il faut donc réussir à motiver les habitants et à les faire venir grâce à une communication attractive.
Pendant le projet, l’animation des réunions nécessite la prise en compte de plusieurs aspects : ne pas sous-estimer l’importance de la convivialité (boissons et nourriture sont de rigueur !) ; réussir à distribuer les tâches en sachant déléguer ; faciliter la prise de parole de chacun en mettant en avant les idées davantage que les compétences ; avoir des documents formalisés sous la main qui cadrent le projet dans chacune de ses étapes (budget, matériel, planning…).
Enfin, pour pérenniser le processus de participation, il faut que l’ensemble des équipes de la bibliothèque soit impliqué, qu’un sentiment d’appartenance au groupe de participants se soit créé et qu’une forte reconnaissance et une valorisation aient été apportées aux travaux du groupe (communication sur le web, publications, photos, etc.).
Lorsqu’un projet participatif est mené à son terme, les bénéfices sont nombreux, d’une part pour les bibliothécaires : ils gagnent en reconnaissance professionnelle ; ils acquièrent de nouvelles compétences en matière de conduite de projet participatif ; ils nouent de meilleures relations avec le public ; ils s’enrichissent au contact des savoirs et des compétences des usagers. Côté participants, le sentiment d’utilité et l’engagement citoyen ainsi que la reconnaissance de leurs compétences propres, leur apportent un accroissement de pouvoir (empowerment) et renforcent les liens de sociabilité qui se créent dans ce lieu de partage culturel que représente la bibliothèque.
À l’échelle d’un CDI, il semble possible et intéressant de piocher certaines idées de projets mis en œuvre en bibliothèque, telles la réflexion avec les élèves sur le réaménagement d’un espace particulier dans le CDI (design thinking, élaboration d’une signalétique nouvelle, mise en valeur d’une nouvelle collection…), ou la création de délégués CDI ou d’élèves ressources qui se feraient les relais des attentes et des besoins de leurs classes en matière de lecture et de programme culturel par exemple. La participation des élèves peut prendre bien des aspects, si l’on prend soin d’y réfléchir en concertation avec tous les autres acteurs de l’établissement, sans bien entendu tomber dans des caricatures de lieu CDI devenant cafétéria ou foyer, ce dont personne n’a envie… L’injonction à la mise en commun « Partageons tous pour que chacun vive bien ! » invite à réinventer le vivre ensemble et les pratiques culturelles, et en ce sens les Centres de Documentation et les bibliothèques peuvent incarner des espaces où se construisent et se diffusent des usages nouveaux, étonnants, autour du savoir partagé.




Le sort des garçons n’est pas meilleur : Broken Glass, c’est le verre cassé que doivent ramasser Sandeep et Suresh pour survivre dans la grande ville, dans une atmosphère à la fois misérable et pleine de vie, façon Slumdog Millionnaire. À ces garçons des villes jetés là par la misère, Kashmira Sheth ne donne même pas de noms. Courbés toute la journée dans un atelier de tissage de perles, les enfants ne parlent plus, deviennent des Garçons sans noms, jusqu’à ce que Gopal se rebiffe. Dans Les Cerfs-volants, Agnès de Lestrade nous parle des gamins fouilleurs de décharges dont l’un d’eux a l’idée de fabriquer des cerfs-volants à partir de sacs plastiques pour financer l’opération qui pourrait empêcher sa sœur de devenir aveugle.






