
La maison de Victor Hugo : une maison ou un musée ?
La Maison de Victor Hugo, c’est-à-dire aujourd’hui le musée que l’on désigne sous le nom de « Maisons de Victor Hugo, Paris / Guernesey » est par nature hybride. Elle est composée de deux lieux distants de plus de quatre cents kilomètres et de nature très différente.
À Paris, malgré le nom de « Maison de Victor Hugo » porté depuis l’origine, le fonctionnement est plutôt celui d’un musée. Il y a eu une interruption entre l’occupation par Victor Hugo et la création du musée, les lieux-mêmes avaient été amplement modifiés, les collections y ont été réintroduites. Le bâtiment occupé par le musée ne se limite pas à l’appartement, mais occupe presque tout l’immeuble : un étage est ainsi dédié aux collections permanentes (celui de l’appartement de Victor Hugo), un autre aux expositions temporaires.
À Guernesey, au contraire, il s’agit d’une maison d’écrivain, à l’état pur, avec cette spécificité d’avoir été entièrement aménagée et décorée par Victor Hugo lui-même. C’est à la fois un sanctuaire et une œuvre d’art.
Dans quelles circonstances la Maison a-t-elle été ouverte ?
Le musée a été créé pour le centenaire de la naissance de Victor Hugo, en 1902, même s’il n’a ouvert qu’en 1903. Paul Meurice, ami très proche de Victor Hugo et exécuteur testamentaire, avait depuis longtemps le projet d’un lieu consacré au poète, à l’instar des maisons de Shakespeare, de Goethe ou encore de Dante. Il en a fait la proposition au Conseil de Paris, avec l’accord de la famille, c’est-à-dire de Georges et Jeanne, les petits-enfants, et de leur mère Alice Lockroy. Il était attaché au lieu car c’est place des Vosges, alors place Royale, qu’il avait connu Hugo. L’immeuble appartenant à la Ville, cela évitait un achat et facilitait le projet.
Comment a été constitué son fonds ?
C’est Paul Meurice qui a constitué le fonds primitif du musée à partir de sa collection personnelle, de dons importants de la famille et d’acquisitions auxquelles il a consacré les revenus qui lui provenaient de l’édition des œuvres de Victor Hugo, et dont la principale a été celle de la collection de Juliette Drouet. C’est Paul Meurice qui, également, a donné sa physionomie à la collection, la voulant « totale », capable de témoigner, de la manière la plus exhaustive, à la fois de l’homme, de l’écrivain et de l’artiste. Ainsi la collection est depuis l’origine incroyablement polymorphe : dessins, peintures, sculptures, photographies, objets de mémoire, effigies, mobilier, décors, livres, imprimés, etc. Depuis la collection a été continuellement enrichie notamment avec des dons importants des filles de Paul Meurice et de Jean Hugo. Paul Meurice a tenu à l’écart les manuscrits que Victor Hugo, dans son testament, destinait à la Bibliothèque nationale. Si le musée ne conserve donc pas les manuscrits de Victor Hugo, hormis quelques brouillons ou « copeaux », il est en revanche riche d’écrits familiaux et de correspondances. L’ensemble de dessins de Victor Hugo, véritable cœur de la collection, a été l’objet d’une attention continue, que l’envolée de sa « cote » a seule atténuée. Aujourd’hui, si elles tentent de maintenir la diversité, les acquisitions mettent surtout l’accent sur les œuvres originales illustrant les écrits de Victor Hugo.

Qui a été son premier conservateur ?
Le premier conservateur a été Louis Koch, le neveu de Juliette Drouet. C’est le fruit d’un curieux arrangement pour l’acquisition de la collection de Juliette Drouet que Paul Meurice a pu obtenir contre une somme d’argent et… le poste de conservateur. Louis Koch, il faut bien le reconnaître, n’a guère marqué l’histoire du musée qu’il a dirigé jusqu’à sa mort en 1913, le laissant tel que Meurice l’avait organisé. C’est Raymond Escholier qui l’a transformé après la guerre de 1914-1918, en en faisant un musée plus littéraire, thématiquement organisé. L’autre étape importante fut celle du réaménagement du second étage « sous forme d’appartement », non pas comme une reconstitution de l’appartement de Victor Hugo, mais comme une mise en perspective des collections, dont le parcours chronologique évoque la vie de Hugo à travers des ambiances décoratives donnant au visiteur l’impression d’être dans un appartement et de partager l’intimité du grand homme.
Quelle est la place de cette maison dans la vie et dans l’œuvre de Victor Hugo ?
Victor Hugo arrive place Royale – aujourd’hui place des Vosges – auréolé d’une triple gloire : celle du jeune poète des Orientales, celle du chef de file du drame romantique avec Hernani, celle du grand romancier qu’il est devenu avec Notre-Dame de Paris. Les années qu’il va passer là, de 1832 à 1848, sont celles de sa pleine gloire en même temps que de sa pleine maturité. Sa réputation de poète et d’homme de théâtre surtout, malgré l’alternance de succès et d’échecs (souvent dus à la censure), se confirme, jusqu’en 1843. Mais cette année-là va être celle du basculement. Située entre son élection à l’Académie française en 1841 et sa nomination comme pair de France en 1845, 1843 est l’année du drame, celui de la mort tragique de Léopoldine. Victor Hugo ne va pratiquement plus publier et s’orienter résolument vers la politique. De pair de France, il deviendra en 1848 élu de la République à laquelle il se rallie alors. Les seize années passées place Royale sont à la fois des années de gloire et de transition, des années décisives, en tout cas.
Quelle est la spécificité de Hauteville House à Guernesey ?
Au sein du musée, Hauteville House est la vraie maison d’écrivain ! C’est le sanctuaire absolu ! Cette maison n’est pas seulement le lieu d’exil et d’écriture de Victor Hugo, c’est aussi son œuvre, une œuvre d’art totale, qu’il a aménagée et dont il a créé les décors, ne laissant aucun vide, projetant, sa pensée, son imagination, son esprit sur toutes les parois. Hugo y a complètement façonné l’espace par une véritable méthode de collage qui est comme une grammaire, dont il fait varier le vocabulaire dans chaque pièce, mêlant boiseries sculptées, tapisseries, carreaux de faïence, soieries, meubles de laque, sculptures, meubles qu’il a lui-même dessinés, panneaux qu’il a également lui-même dessinés et peints.
Mais avec le temps, ces décors ont souffert et une grande campagne de restauration va ainsi avoir lieu en 2018 et 2019. Destinés à résoudre des problèmes d’infiltration, récurrents depuis l’époque de Victor Hugo, les travaux vont permettre des interventions significatives sur les décors : restauration et restitutions, afin de retrouver l’aspect visuel originel, voulu par Victor Hugo. Cette campagne a été précédée d’une étude historique et esthétique afin de bien comprendre le processus de mise en œuvre et l’esprit avec lequel Victor Hugo réalisait cette décoration.
Retrouver cet aspect visuel, c’est – nous l’espérons – retrouver l’esprit de Victor Hugo, sa puissance, sa démesure, sa poésie autant que sa fantaisie ou son sens du sacré. C’est offrir une expérience visuelle et émotive singulière et forte. Beaucoup de visiteurs disent n’avoir vraiment compris Victor Hugo qu’après avoir visité Hauteville House.

Quelles sont les offres éducatives à Paris ?
À Paris, la Maison de Victor Hugo a préparé pour tous les niveaux d’enseignement plusieurs types d’activités : visites contées, animations, conférences, lectures, parcours urbains ou encore ateliers. Leurs contenus ont été pensés soit comme un accompagnement des programmes scolaires – comme « Victor Hugo : citoyen et homme engagé », visite consacrée aux combats de Victor Hugo, ou « Cosette et Gavroche », visite contée à partir des Misérables –, soit comme une invitation à la découverte – ce qui est le cas notamment des séances permettant d’appréhender Victor Hugo comme dessinateur et concepteur de décors.
Le musée s’engage aussi avec l’Éducation nationale dans des partenariats pluriannuels – offrant ainsi des projets artistiques et culturels pour plusieurs classes d’un même établissement, avec le soin d’en renouveler les contenus et les approches chaque année et d’y intégrer des séances de création plastique. Par ailleurs, des ateliers photo ou vidéo, réalisés en petits groupes, permettent aux élèves en apprentissage du français langue étrangère de s’approprier le personnage de Victor Hugo à travers des créations personnelles ou collectives.
Désirant donner une place au regard et à la créativité des jeunes, la Maison de Victor Hugo a choisi en 2015 d’associer une dizaine de lycées professionnels de l’académie de Créteil à l’élaboration d’une exposition – « La pente de la rêverie. Un poème, une exposition ». Ayant ainsi reçu « carte blanche », les classes ont été invitées à partager leur lecture et leur vision du poème à travers des créations les plus diverses. Selon leur spécialité, les propositions ont pris forme d’installations, de dessins, de photographies, de vêtements, de mobiliers, de rap, de vidéo ou encore de textes et ont constitué le cœur de l’exposition en occupant la plus grande salle.
Le musée participe aussi à des dispositifs comme « Enfants conférenciers », favorisant l’autonomie des jeunes visiteurs et leur permettant après une première visite et un travail en classe, de proposer à leur tour une médiation à d’autres élèves-visiteurs.
La Maison de Victor Hugo souhaite développer une offre éducative variée, favorisant la médiation, l’échange, la participation active des élèves, mais aussi leur autonomie et collaboration. Ainsi, l’application de visite autonome « Connaître Victor Hugo », téléchargeable et en prêt gratuit sur tablettes au musée, est pensée comme une des formes numériques d’introduction ou de synthèse d’un travail mené par un enseignant. Notre désir durant la période de fermeture pour travaux (mai 2018-mai 2019) est de constituer un ensemble d’outils et de dossiers numériques à la disposition des enseignants et des élèves favorisant leur connaissance de nos collections et des problématiques qu’elles permettent d’étudier.
Que proposez-vous à Guernesey ?
Hauteville House, la maison d’exil de Victor Hugo à Guernesey, est ouverte chaque année pendant 6 mois entre avril et septembre. La découverte de la maison se fait toujours à travers une visite guidée d’une heure, menée par un conférencier.
L’accueil des groupes scolaires à Hauteville House constitue une mission importante pour le musée. En 2017, 1 721 élèves ont visité Hauteville House, ce qui représente environ 10 % du nombre total de visiteurs.
L’accès et les modalités de visites sont néanmoins soumis à plusieurs conditions. Située dans l’archipel des îles anglo-normandes, Guernesey est accessible par bateau depuis le port de Diélette en Normandie et St-Malo en Bretagne. La visite représente donc un coût important pour les établissements scolaires. La visite est aussi soumise aux horaires des compagnies maritimes et aux conditions météorologiques. De plus, la configuration de l’espace de Hauteville House, ainsi que les impératifs de sécurité, permettent la circulation d’un maximum de 30 personnes en même temps. Enfin, le décor conçu par Victor Hugo à Hauteville House occupe tout l’espace de la maison, ce qui ne permet pas d’avoir par exemple une salle réservée à un atelier pédagogique.
Plusieurs mesures sont donc mises en place pour tenir compte de ces contraintes et recevoir les écoles dans les meilleures conditions. Un tarif spécifique de £1,50 par personne est réservé aux groupes scolaires. En comparaison, le tarif plein s’élève à £8 et le tarif réduit à £6.
La capacité d’accueil journalière des groupes scolaires a été augmentée en 2016. Des créneaux de visites sont ainsi réservés aux écoles, ce qui permet de recevoir jusqu’à 60 personnes par jour et par établissement, sur une capacité journalière totale de 220 visiteurs. Depuis 2016, les horaires d’ouverture ont également été repensés et des visites supplémentaires sont disponibles en début de matinée, ce qui permet de s’adapter aux horaires d’arrivée des bateaux.
Enfin, les groupes scolaires doivent effectuer une réservation par e-mail ou par téléphone, au cours de laquelle il leur est demandé de fournir le projet pédagogique dans lequel s’inscrit leur visite à Hauteville House, afin que les conférenciers puissent en tenir compte dans l’élaboration de leur visite. La visite se fait donc sous la conduite d’un guide conférencier, par groupes de 10 personnes maximum. Ce petit nombre permet d’offrir un confort de visite et de faciliter les échanges entre le guide et les élèves.
Depuis 2014, une conférence dans le jardin de Hauteville House est également proposée aux visiteurs. Elle est particulièrement adaptée à la demande des écoles qui se rendent souvent à Guernesey à la journée et n’ont pas toujours le temps de suivre la visite guidée de la maison. La conférence dans le jardin permet aussi de proposer des créneaux de visite supplémentaires aux groupes scolaires de plus de 60 personnes.
Un dossier pédagogique a été conçu pour être mis à la disposition des enseignants en 2019, au moment de la réouverture de la maison au public suite aux travaux de restauration en cours.
Pourquoi faut-il lire et faire lire Victor Hugo ?
Rien n’y oblige : il faudrait précisément en finir avec cette pratique ou ces souvenirs du Victor Hugo des manuels scolaires, auteur soi-disant « incontournable ». Il faudrait donc simplement, comme pour tous les autres, avoir envie de le lire, de le découvrir ou de le relire comme s’il était l’un de nos contemporains, comme s’il s’adressait à nous, à l’aube du xxie siècle, comme s’il ne restait pas, en dépit du temps, d’une formidable et d’une étonnante actualité. Qu’il s’agisse d’amour, de compassion, d’idéal, de liberté, de solidarité, de tristesse ou de deuil, d’enfance ou de nature, qu’il s’agisse de poésie, de romans, de théâtre ou de discours politique, Hugo nous parle, d’où que nous soyons, de notre vie, de nos désespoirs, de nos souffrances, de nos espérances. Rares sont les auteurs que l’on dit « universels ». Victor Hugo est l’un d’eux, et cela vaut dans l’espace comme dans le temps.
S’il fallait enfin une autre raison pour le lire ou le relire, c’est que cet écrivain est l’un des plus formidables manieurs de mots de toute la littérature française, un fabricant d’images comme on en voit peu, une sorte de magicien démesuré et cosmique. Son lyrisme, sa générosité, sa puissance fascinent. Laissons-nous emporter.
Quels ouvrages sur Victor Hugo récemment parus pourriez-vous conseiller les CDI d’acheter ?
Il existe une courte biographie de l’écrivain dans la collection Découverte Gallimard, mais elle est malheureusement épuisée (Sophie Grossiord, Victor Hugo. « Et s’il n’en reste qu’un », 1998) – pour les CDI qui pourraient se la procurer, je la conseille vivement, car elle est vivante et très illustrée. Un autre genre de récit biographique est la bande dessinée de Bernard Swysen, Victor Hugo, Joker P Et T Production, 2014) à la fois accessible et documentée. Pour des jeunes lecteurs, un choix de poèmes illustrés par les dessinateurs de bande dessinée et accompagnés de dossiers documentaires peut être une bonne entrée en matière (Poèmes de Victor Hugo en BD éd. Petit à petit, 2002). Les œuvres de Victor Hugo sont souvent éditées dans les collections abrégées (Hatier, Bordas) accompagnés des dossiers et notes destinés aux élèves. Nicole Savy (Le Paris de Victor Hugo, éd. Alexadrines 2016) présente à la fois le rapport de l’écrivain à la ville et un choix de courts extraits qu’elle contextualise ; Marie-Noëlle Rio préface le célèbre discours de Victor Hugo (Du péril de l’ignorance, éd. du Sonneur, 2011). Les engagements politiques de l’écrivain ont aussi été un thème d’une exposition très pédagogique, accompagnée d’une publication intitulée Victor Hugo politique (MVH, 2013). Enfin, l’exposition La pente de la rêverie. Un poème, une exposition (MVH, 2016) a donné lieu à une édition numérique comprenant des contributions des élèves et professeurs participant à l’élaboration de l’exposition (Pente de la rêverie, application, Paris Musées, 2016) Dans un autre genre, Judith Perrignon a écrit un roman documenté par les archives de la préfecture de la police et ceux de la MVH. Elle y relate de façon très imagée les funérailles de l’écrivain (Judith Perrignon, Victor Hugo vient de mourir, éd. Iconoclaste, 2017) réussissant à rendre palpables les tensions liées aux combats et à la célébrité de l’écrivain, mais aussi le défi que pose son souhait de funérailles laïques.
Quel avenir pour ces deux maisons ?
L’avenir immédiat des deux maisons est dans les deux campagnes de travaux qui auront lieu en 2018. Une intervention majeure sur le clos et le couvert à Guernesey, accompagnée par d’importantes restaurations et restitutions de décors, afin de rendre aux espaces leur aspect visuel d’origine, tel qu’il avait été conçu par Victor Hugo. À Paris, il s’agira d’une redistribution de certains espaces et d’une extension dotant le musée d’un jardin, d’un salon de thé et d’un espace pédagogique, tout en améliorant la circulation des visiteurs.
Au-delà de ces travaux, le musée reste très attentif à ses missions de base, et en particulier concernant ses collections, leurs études, leur valorisation et leur mise à disposition du public. Deux axes sont privilégiés, avec d’abord la poursuite de la mise en ligne des collections, accompagnée de notices d’œuvres plus documentées, voire d’un accompagnement documentaire pour la mise en ligne des œuvres et des décors de Hauteville House. Par ailleurs, le musée projette également une nouvelle manière de montrer les collections, place des Vosges, plus souple, plus mobile, qu’une exposition au sens strict du terme et en prenant en compte la nature du public qui est constitué à 70 % d’étrangers, non-francophones, mais en intégrant aussi un mode participatif. Le musée est d’ailleurs très actif en direction du champ social et entend poursuivre son action en ce domaine.
L’avenir de la Maison de Victor Hugo, comme celui de tout musée, doit être de rester en prise avec l’évolution des pratiques réelles et virtuelles.
