Chère Louise,

C’est avec une grande tristesse que l’équipe d’InterCDI a accueilli, courant juillet, la nouvelle de la disparition brutale de Louise Merzeau, spécialiste des Sciences de l’information dont les recherches ont généreusement nourri la réflexion de notre profession ces dernières années. Une nouvelle qui a accompagné la préparation de ce numéro et fait résonner notre dossier spécial sur la pensée critique de manière bien singulière. En effet, par son engagement de professeur puis de militant en faveur des Communs – la pensée d’un système de libre partage et circulation des ressources, de l’information, de la connaissance –, Louise Merzeau interroge notre rapport au monde, et nous invite à l’exercice incessant de cet esprit critique, comme une injonction nécessaire. Il suffit de lire le très beau billet intitulé « Repenser nos Communs » qu’elle a posté sur son blog au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, en janvier 2015, et dont nous vous proposons un extrait ci-contre, à garder en mémoire.

Louise Merzeau, professeure à Nanterre, mais aussi photographe, a publié de nombreux articles, dont « Les paradoxes de la mémoire numérique », in InterCDI n°244, et « De la communication aux Communs », in InterCDI n°261. En 2015 , elle est membre du conseil scientifique de Wikimedia France, et co-dirige la publication de l’ouvrage collectif Wikipedia, objet scientifique non identifié (PU de Paris Ouest) consacré à l’encyclopédie participative.

« C’est à mes étudiants que je pense.
(…) Ai-je fait ce qu’il fallait pour les aider à penser, à questionner, à comprendre ? Ai-je œuvré à les rendre plus responsables, plus exigeants, plus honnêtes ? Ai-je réussi à leur passer un peu de ma passion pour l’intelligence, la culture et la rigueur intellectuelle ? Les ai-je convaincus qu’il vaut mieux douter que croire aveuglément, et qu’il y a de la joie à être insatisfait par les réponses toutes faites pour s’efforcer de critiquer, de discuter, de contester ? Les ai-je accompagnés sur la voie qui permet de se forger des convictions, mais aussi de les remettre en question ?
Pour quelques-uns au moins, sans doute.
Mais leur ai-je assez dit combien cette voie était fragile ? Combien elle s’était elle-même frayée non seulement dans le jeu aérien des idées, mais aussi dans les larmes et le sang de l’Histoire ? Leur ai-je transmis cette mémoire sans laquelle il n’y a pas de savoir ? Leur ai-je dit qu’ils ne pouvaient l’emprunter qu’à condition de combattre pour elle, chaque jour, toujours et partout, avec d’autres, en s’organisant collectivement, en se ralliant à d’autres ? […]

Obnubilée par sa sacro-sainte neutralité, l’École a fini par oublier de former les jeunes au politique. L’adhésion, la cohésion, l’organisation sont devenues des valeurs entrepreneuriales. […]

Pour tenter de corriger cette perversion, j’ai récemment créé avec quelques collègues un parcours consacré aux Communs. Réponse bien modeste et qui, comme on peut s’en douter, rencontre peu de succès – tant auprès des étudiants qui préfèrent travailler sur les séries TV (j’aime beaucoup les séries TV rassurez-vous, mais ça ne suffit peut-être pas à fabriquer du Nous) qu’auprès de l’institution qui préfère les formations « professionnalisantes »… Mais aujourd’hui plus que jamais, au lendemain des attentats qui ont frappé la France en ce mois de janvier 2015 et à la veille de ce qui s’annonce comme une des plus formidables manifestations d’unité nationale, je me dis que c’est le bon chemin. Repenser nos communs : les définir, les documenter, les défendre et en organiser la gouvernance. Sur la base de connaissances, d’initiatives collectives, de règles et de principes. En rappelant fortement qu’il n’y a pas de démocratie immédiate, et que seules les médiations – indissociablement organisationnelles et techniques – garantissent l’égalité, la vitalité et la cohésion du collectif. »

Source : http://merzeau.net/repenser-nos-communs/

Appel à contribution : la pensée critique

Depuis toujours, la question de l’accès à la « vérité » est au cœur des préoccupations de la philosophie. Bien avant Descartes, Leibniz et Kant, Francis Bacon souligne déjà les embûches de ce cheminement, nos sens et notre raisonnement égarés en permanence, trompés et poussés à commettre des erreurs par ce qu’il nomme les « Idoles », qu’il faut apprendre à exorciser.

La révolution des technologies de l’information et de la communication que nous connaissons a entraîné un bouleversement et des modifications profondes de notre société, dans nos modes de communication et de partage, mais aussi dans notre rapport à l’information, et donc à la connaissance. Face à la multiplication exponentielle des médias, nous devons rester d’autant plus vigilants à la mise en garde du philosophe de la fin du xvie siècle, et résister à la tentation de la paresse face à une masse d’informations non contrôlées, parfois même manipulées, dont nous sommes abreuvés en permanence ; l’exercice de la pensée critique apparaît peut-être plus que jamais comme un enjeu majeur de notre capacité à appréhender le monde qui nous entoure.

Il semble donc aussi impératif qu’urgent de placer cette notion au cœur des apprentissages : former les élèves à l’information, éduquer le sens critique, leur apprendre la mise à distance nécessaire à l’analyse… Il y a là un enjeu primordial de la formation des futurs citoyens de notre société, dans une éducation à l’autonomie critique qui tient de la rigueur scientifique. « Ayez le culte de l’esprit critique », nous enjoignait Louis Pasteur lors de son discours de réception à l’Académie française en 1882, dans un élan qu’Emile Roux, directeur de l’Institut Pasteur au début du xxe siècle, résume dans une très belle formule comme un esprit « qui donne l’ardeur au travail, l’imagination qui inspire les idées, la persévérance qui les poursuit, la critique qui les contrôle, la rigueur qui les prouve ».

Cette année, à l’occasion de son dossier spécial du numéro de rentrée, InterCDI a eu envie d’explorer cette notion si essentielle, que le monde qualifie volontiers de qualité typiquement française : la pensée critique, et plus particulièrement, bien sûr, le rôle des professeurs documentalistes dans la formation des élèves à cette discipline intellectuelle. Réflexions, place du prof doc, construction de partenariats, proposition de séquences pédagogiques… n’hésitez pas à nous faire parvenir toutes vos expériences autour de ce thème ! Toutes vos contributions sont les bienvenues :
InterCDI, c’est votre revue, faites nous part au plus tôt de vos envies d’écriture !

Le Roy des Ribauds

Agnès Deyzieux : Quel rapport entretenez-vous avec le dessin ? Depuis quand dessinez-vous ? Quelles ont été vos influences graphiques ?
Ronan Thouloat : Je dessine depuis toujours, dès l’âge de 4/5 ans ! Les enfants dessinent toujours, et il y a ceux qui continuent et ceux qui arrêtent ; je fais partie de ceux qui ont continué. Vers 10/11 ans, j’ai commencé à faire mes premières bandes dessinées. J’ai été encouragé, car c’était dans l’ADN familial. Il y avait aussi beaucoup d’albums chez nous. Principalement de la bande dessinée franco-belge, les grands classiques : Tintin, Boule & Bill, Lucky Luke, Buck Danny, Barbe-Rouge… J’ai commencé à recopier ces bandes dessinées, en particulier les Buck Danny car j’étais à cette époque-là très fan d’avions. Entre 11 et 17 ans, j’ai fait beaucoup de débuts de projets aéronautiques qui parlaient principalement d’avion et peu d’homme, et… que je ne finissais jamais car je ne savais pas raconter des histoires ! À 18 ans, je rencontre Vincent [Brugeas] qui était dans le même lycée que moi et qui, lui, écrivait des histoires. Quand j’ai lu ses récits, j’ai senti cette résonance que j’attendais : j’avais envie de dessiner ce qu’il racontait. Je l’ai convaincu en lui dessinant quelques scènes d’une ébauche de roman qu’il avait écrit, intitulé Le Sang des dieux, qui sera la base de ce qui deviendra ensuite Block 109. De là est née une amitié, et on s’est dit : « On va devenir les rois de la BD! » On a commencé à développer pleins de projets et on s’est pris des vestes extrêmement sévères en rencontrant les premiers éditeurs, mais au final, les critiques constructives ont servi à nous améliorer.

Vous n’avez jamais été démoralisés ?
La toute première fois, on a présenté un projet qui s’appelait Son of Street, une histoire de gangs dans les bas-fonds de Londres en 1889. D’ailleurs, de nombreux éléments qu’on y a développés ont été repris pour Le Roy des Ribauds. Donc, on arrive avec des planches faites en couleurs directes. Éric Adam, scénariste de bande dessinée et éditeur chez Vents d’Ouest, accueillait à cette époque de jeunes auteurs tous les mercredis matins. Il a regardé les pages et m’a dit ce qui n’allait pas. Il a aussi regardé mon crayonné et m’a dit que c’était prometteur, même si je ne faisais pas d’études d’art. On a retravaillé et puis on a reproposé projets sur projets ! Alors, c’est vrai que ni l’un ni l’autre n’avons fait d’études orientées bande dessinée ou art. J’ai fait un cursus scientifique, encouragé par mes parents aussi. J’avais ces deux facettes : la journée j’étais en cours, le soir je dessinais. J’ai poursuivi en école d’ingénieur et nous continuions à présenter des projets. En 2007, Vincent m’a à nouveau proposé de reprendre son idée de roman qui allait donner Block 109. On l’a soumis à Akiléos, tout simplement parce que c’était le premier éditeur de la liste alphabétique ! On n’a pas eu le temps de le proposer à d’autres éditeurs, car ils nous ont répondu tout de suite qu’ils étaient très intéressés ! À cette époque, j’étais en pleine remise en cause de mon dessin…
C’est l’aspect négatif de ne pas avoir fait d’études artistiques. Autodidacte, on évolue de manière aléatoire en regardant ce qu’on aime, en recopiant certains auteurs. En 2004, j’ai découvert le travail de Matthieu Lauffray, une vraie claque pour moi. Du coup, je tentais d’imiter son style voire de le dépasser, ce qui est très présomptueux. Mais j’avais toujours fonctionné comme ça ! À tenter d’atteindre ou de dépasser les grands artistes que j’admirais, comme Alex Alice. J’étais aussi fasciné par Mike Mignola. Mais là, on m’a dit : « non, ça ne te va pas du tout. Ton encrage n’est pas bon ; travaille plutôt sur tes crayonnés où tu as une vraie dynamique. » J’ai travaillé et ça a donné le style de Block 109 : un crayonné avec un côté très sépia qui collait bien à l’univers. En 2008, je sors diplômé de mon école d’ingénieur et Vincent aussi en Histoire moderne, et on signe le contrat pour Block 109. Et là, j’ai dû faire un choix. Soit je rentrais dans une boîte, n’aurais dessiné que cet album et dans 20 ans, je m’en serais voulu ! Soit je me mettais à mon compte tout de suite et je faisais ce dont je rêvais depuis longtemps, à savoir du dessin. Du coup, pendant un an, j’ai développé des petits projets de communication, j’ai fait du graphisme, du web design tout en faisant de la bande dessinée. En 2010, Block 109 sort et, par chance, le titre est repéré et marche bien. On en a vendu 15 000 ex. la première année, et à peu près autant les années suivantes. Ça nous a offert la possibilité de continuer à faire de la bande dessinée chez Akiléos qui nous avait ouvert ses portes. Moins chez les autres et à raison, car si notre style était prometteur, il était encore jeune. Ce qui n’est pas plus mal, car on a eu carte blanche chez cet éditeur et on a pu ainsi faire toutes les expérimentations qu’on voulait. On a beaucoup appris du métier, depuis la façon dont fonctionne un éditeur jusqu’au circuit du livre dans son ensemble, en passant par les réalités économiques de chacun, la part du diffuseur…

Du coup, vous vous sentez un peu redevable envers cet éditeur ?
Aujourd’hui, on a des opportunités chez de gros éditeurs. Akiléos nous a beaucoup donnés, mais nous aussi ! On a fait douze albums avec eux. C’est une petite maison qui a cette particularité de dire aux auteurs : « faites votre album ». C’est très précieux, car cela n’existe pas pour de jeunes auteurs dans une grande maison d’édition. La réalité, chez un gros éditeur, c’est qu’on met les jeunes auteurs sur un projet de série concept, de SF par exemple. Et ils vont être cantonnés à ça, à moins qu’ils ne soient repérés par un autre éditeur qui leur permettra de faire leur livre. Alors oui, on doit à Akiléos de nous avoir offert ce terrain de jeu et cette liberté d’expression qui nous a aussi donné une visibilité. Akiléos a toujours essayé de développer le lien avec le libraire, à défaut d’avoir des attachés de presse. Nos albums ont ainsi été repérés et défendus par les libraires, ce qui nous a permis d’être présents sur le terrain.
Après avoir fait quatre titres dans cet univers, j’en ai eu marre. J’ai proposé
à Vincent de faire une série de SF et d’anticipation : Chaos Team est né. On voulait vraiment faire du comics, dont on était très fan. Mais on était trop confiants ! On a cru qu’avec le succès de Block 109, on aurait le temps d’installer une intrigue, des personnages qu’on voulait au départ montrer caricaturaux pour, petit à petit, les retourner complètement. Mais on n’en a pas eu le temps. Aujourd’hui, dans la bande dessinée, il faut tout de suite poser les choses de manière claire et nette pour que le lecteur rentre dans l’histoire, et après, on peut se permettre de tirer les ficelles. Avec Chaos Team, on a payé chèrement le prix de cette erreur ! Nos lecteurs, les libraires et les critiques, se sont arrêtés au livre I et, du coup, la série n’a pas marché et s’est éteinte… On avait besoin de se redresser ; j’ai dit à Vincent : « mettons en place cette histoire du Roy des Ribauds » qui avait eu le temps de mûrir. Delcourt nous l’a refusée : trop violent et un personnage trop antipathique. Mais Akiléos nous a dit : on aime !
À cette époque, ayant toujours été chez Akiléos, on était un peu en marge du monde éditorial, à la fois présents dans la profession et en même temps assez ignorés par beaucoup d’auteurs. Moi, j’ai commencé à faire des couvertures chez d’autres éditeurs, et j’étais un peu demandé. Mais Vincent pas du tout. C’est un côté très cruel de la bande dessinée, c’est le travail du dessinateur qu’on voit avant tout. Et si on n’aime pas son travail, on ne va pas lire l’album. C’est une erreur ! Il peut y avoir de très bons scénarios mal dessinés, et c’est ceux-là qu’on retient le plus. Par contre, des albums très bien dessinés mais avec un mauvais scénario, on les oublie vite. Beaucoup, donc, ignoraient le travail de Vincent. Du coup, il a fait ce livre avec beaucoup de doute et de recul ; en essayant de se faire plaisir, mais restant dubitatif sur la sortie du livre, persuadé que cela n’allait pas marcher. Au final, lecteurs, éditeurs, plein de gens nous ont dit qu’on avait transformé l’essai !

On sent qu’il y a une certaine continuité dans vos travaux. Avec Block 109, vous étiez dans l’uchronie, le fantastique, l’épouvante ; avec Chaos team dans l’anticipation. Avec Le Roy des Ribauds, vous plongez dans une période précise, le XIIe siècle en France. Ce sont des genres qui ont un rapport au temps, à l’Histoire, et qui se concentrent sur la relation des hommes au pouvoir. Tout ceci montre votre intérêt pour l’organisation sociale et politique des États ou de groupes sociaux, et ici, on va le voir, le jeu des réseaux, des confréries, des alliances est omniprésent. D’où vous vient cet intérêt ?
C’est surtout Vincent qui est le maître d’architecture de ses scénarios, et cet intérêt lui vient probablement de sa formation d’historien et de son goût pour l’Histoire. À 10 ans, il lisait des biographies de Napoléon, ce qui avait tendance à le mettre un peu de côté au collège ! Mais il a toujours adoré l’Histoire politique et militaire. Et surtout, derrière, ce sont des histoires d’hommes, de conflits, de liens… La plupart des idées qu’il a en tête, ce sont des histoires et des personnages qu’il a découverts au fil de ses lectures. C’est aussi le genre de récits que j’affectionne beaucoup. S’intéresser à l’âme humaine dans ce qu’elle a de bon et de mauvais, c’est passionnant !

Qui a eu l’idée de ce personnage du Roy des Ribauds ?
C’est Vincent. En 2003 alors que je lisais Le Trône de Fer, lui lisait Les Rois Maudits de Druon. Dans le livre 7, il trouve une mention de ce personnage, un paragraphe. En se renseignant, il a la confirmation de cette charge créée par Philippe Auguste. Sa garde rapprochée, les ribauds du Roy, avait besoin d’un chef, que l’on appela par extension le Roy des Ribauds. C’est une charge qui a duré 400 ans, et a beaucoup évolué au fil du temps. Mais au début, ce personnage avait de nombreux droits : celui de prélever des impôts sur la « pègre » parisienne et de toutes les villes où le roi se rendait, pour maintenir le calme. Il exerçait sa poigne de fer pour qu’il n’y ait pas de débordements, de crimes. Et il avait le droit de récolter la fortune des nobles exécutés pour trahison. Un homme très puissant, très riche, mais un homme de l’ombre. On ne trouve quasiment rien sur lui, ce qui est bien intéressant pour nous car on peut imaginer ce que l’on veut ! Et pour rendre ce personnage si puissant intéressant pour le lecteur, il fallait lui donner aussi quelques faiblesses. C’est l’amour pour sa fille qui le pousse à commettre une erreur…

Cet ancrage dans l’Histoire crée-t-il des contraintes que vous n’aviez pas avec vos projets précédents, en matière de respect des lieux, des personnages historiques ? Le rôle de la documentation a-t-il été plus important ?
Oui, clairement. Mais c’est aussi l’aspect passionnant de ce genre de projet. Pour Block 109, on était dans une uchronie dans laquelle il fallait s’ancrer historiquement, j’avais donc déjà fait pas mal de recherches. Là, il fallait être plus introspectif et réaliste. Soigner autant la petite histoire que la trame de l’Histoire qui a véritablement existé. L’avantage est qu’on se situe dans une époque où il y a peu d’archives, quelques écrits de moines et des descriptifs de l’époque. Cela reste assez vague, avec beaucoup de zones d’ombres et de marges qu’on peut exploiter. Je me suis quand même beaucoup documenté. On a la chance d’avoir le château de Guédelon, en pleine construction selon des plans respectueux des canons architecturaux de Philippe Auguste, typique des bâtiments officiels de l’époque. J’ai aussi un atlas sur Paris au Moyen Âge avec un descriptif des ruelles, des architectures de maisons, des types de colombage. Mais comment Paris était-elle réellement ? On n’en sait rien ! J’adapte donc, et j’imagine, en respectant le tracé des murailles de Philippe Auguste et le Louvre. J’ai beaucoup lutté pour trouver de la documentation réaliste sur le Louvre de l’époque mais j’ai eu la chance de trouver une re-création en 3D de Paris au Moyen Âge réalisée par Dassault System qui a travaillé avec des historiens. Ils ont mis en ligne un module où on peut voyager dans Paris à différentes époques. Je me suis basé sur ce documentaire pour dessiner le Louvre, les murailles, et pour la cathédrale Notre-Dame alors en construction… on a triché ! En 1192, la façade n’est pas terminée. Or, la cathédrale de Paris a une silhouette très graphique dans le paysage urbain, on a donc décidé d’avancer de 30 ans la construction. On le signale dans la postface. Après, il y a tout l’aspect des costumes où la documentation est plus abondante. De nombreuses troupes de spectacle qui se costument de façon très précise ont travaillé sur ce sujet. On trouve des photos, des films et on voit une manière de porter les choses qui font du coup vivre les vêtements. Je m’en suis beaucoup inspiré. Le film Kingdom of Heaven est aussi une source documentaire très précise là-dessus, avec des personnages qui reviennent de croisades, il y a des ambiances un peu orientales qui se dégagent de leurs vêtements. C’est ce que je recherchais ! Là où je triche, c’est sur la couleur. J’ai fait des choix drastiques. Le Moyen Âge était une époque très colorée : les colombages étaient peints, les églises étaient des explosions de couleurs… Je ne retranscris pas cela, car le dessin aurait été noyé et c’est quasiment impossible à traiter…

Nous sommes plongés dans une période complexe, où Philippe Auguste doit protéger son trône et son territoire contre les ambitions de Richard Cœur de Lion, soutenu par sa mère Aliénor d’Aquitaine. Pour autant, il me semble que vous maintenez à distance les détails de l’Histoire de France pour vous concentrer sur votre histoire à vous. Vous mentionnez certains faits réels, comme la bataille de Fréteval qui est surtout connue parce que Philippe Auguste y perd les archives royales qui avaient coutume de l’accompagner dans ses déplacements, ce qui va avoir pour conséquence la création de la fonction de garde des Sceaux et des archives nationales à Paris. Mais vous restez très discrets sur cette affaire, là où d’autres auraient insisté lourdement sur le sujet. Cette position de citer l’Histoire sans la détailler est-elle facile à tenir ? N’êtes-vous pas tenté parfois de développer plus la trame historique ?
C’est un réglage très important. Il faut toujours se demander qui est notre personnage principal. Ce sont les bas-fonds de Paris et le Roy des Ribauds, et non Philippe Auguste, qui représentent la trame historique. Il faut qu’on reste cohérent avec cela. Mais on est obligé de temps en temps de faire entrer la grande Histoire dans notre petite histoire : la confrontation entre Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste par exemple, induit une bonne partie du récit. Au début du Livre 2, beaucoup de lecteurs attendaient une grande bataille entre ces deux personnages, mais ce n’est pas notre propos !

Comment avez-vous créé graphiquement ce personnage du Roy des Ribauds ? Y a-t-il eu des influences particulières ? Je pense à la balafre, l’aspect super-héros et en même temps christique du personnage…
J’ai beaucoup cherché, et dans mes premiers essais, il était beaucoup plus beau ! Vincent m’a proposé d’en faire quelqu’un de plus disgracieux, d’austère, avec un visage allongé. Il m’a dirigé vers un acteur qui joue dans la série anglaise Ripper Streets. Dans la saison 2, on voit cet acteur barbu, qui a un jeu très intense, Joseph Mawle. Il incarne aussi le frère d’Eddard Stark dans Game of Thrones. Je m’en suis inspiré et je l’ai réinterprété « à ma sauce ». Je lui ai ajouté une balafre, car je voulais marquer son passage dans les Croisades. L’apparence qu’on donne à Philippe Auguste est réaliste. Pendant les Croisades, il a perdu un œil et contracté une maladie qui lui a fait perdre une partie de ses cheveux, ce qui l’a vieilli prématurément. Ces personnages ont 28 et 29 ans alors qu’ils en font 15 de plus ! La guerre marque physiquement mais est aussi visible dans les regards.

Les personnages ont en effet tous des trognes incroyables, en particulier ceux évoluant dans les bas-fonds. Comment travaillez-vous ces personnages ? Comme Glaber ou le Rouennais qui ont un look de super-héros caricaturés…
C’est vrai que j’ai un côté comics qui resurgit toujours. J’aime beaucoup les personnages très caractéristiques, ce qu’on appelle le « character design » en dessin animé ou dans le jeu vidéo. J’aime travailler sur un personnage graphique. C’est comme ça que je voulais le Triste Sire, noir et rouge avec une silhouette très tranchée. Généralement, je m’inspire d’acteurs, cela m’aide pour le mouvement et pour trouver « une gueule ». Tous les dessinateurs ont des gimmick de traits, des formes et des visages qui reviennent souvent. Pour s’en éloigner, j’aime bien m’appuyer sur un acteur avec des particularités physiques que j’interprète, cela me permet d’inventer des personnages assez différents. Pour Glaber, chef de la Guilde des Bouchers, je voulais un personnage un peu ogre, un peu troll à la manière du Seigneur des Anneaux. Je suis allé vers ce côté monstrueux. Pour les autres personnages, j’ai travaillé en fonction de leurs psychologies. Pour le Hibou, le type avec le grand chapeau qui évolue sur les toits avec sa bande, il fallait un côté très aérien, très léger, volatil. Pour Acelin, chef de bande, très serpentin et manipulateur, je voulais un regard très froid. Je ne savais pas par quel bout le prendre. Dans le tome 2 de Je, François Villon (de Luigi Critone, chez Delcourt) arrive un personnage blond, avec un regard clair mais flippant. J’ai travaillé ces grandes caractéristiques en accentuant l’aspect perfide. Michel et Saïf, les cautions morales et positives du Roy des Ribauds ne sont pas pour autant des seconds rôles, et sont d’ailleurs représentés en couverture.

Dans le tome 1, c’est d’ailleurs la voix off de Saïf qui commente l’action. Je ne l’ai pas retrouvé dans le volume 2.
Non, effectivement, cette voix ne revient pas. On a pensé que ce n’était pas judicieux car il y a une autre voix off plus neutre qui intervient et cela avait tendance à noyer le discours ou à sortir le lecteur du fil du récit. Sur ce livre 2, on a décidé de se concentrer sur la narration propre au récit, de rentrer plus dans le vif du sujet. C’était probablement une erreur, on a voulu faire un effet de style de présentation des personnages. Pas mal de personnes nous ont dit confondre Saïf avec le Triste Sire. C’est sans doute dû au fait que le début de l’album se passe de nuit, que les personnages sont tous vêtus de capes et de capuches, tous plus ou moins barbus. Ça peut en effet troubler le lecteur !

Le format comics, plus réduit niveau taille mais avec une longue pagination, est-il un choix personnel ou une contrainte de l’éditeur ? Quelles incidences ce format a-t-il sur le découpage ?
C’est un choix conjoint. On revient à nos premiers amours, le format de Block 109, qu’on adore car, en effet, cela impose ce type de narration dit « à la comics », plus étirée, avec moins de cases par page. Cela nous permet de développer la narration sur plus de pages, de se donner le temps de mettre en place des choses, de faire des effets de scènes, on pense de façon très cinématographique. On peut se permettre des choix de cases, de prendre son temps pour faire monter lentement la tension. C’est assez jouissif de travailler sur ce type de format ! Par contre, ce n’est pas du comics. Dans le comics, tel qu’on peut en trouver chez Image [éditeur américain], les choix narratifs sont bien plus tranchés, parfois illisibles pour un lecteur non habitué. Il peut y avoir des splash pages, des cases très resserrées ou qui se superposent, beaucoup d’effets propres au comics. Là, on est plutôt sur une sorte d’hybride, entre le comics et le franco-belge. Sur le livre I, j’avais décidé de me faire plaisir. Il y avait beaucoup de jeux de cadrages, des contre-plongées avec des effets très dramatiques. Et des lecteurs m’ont dit se sentir très oppressés ou avoir du mal à suivre. Du coup, pour le livre 2, j’ai gardé cette façon de faire, mais moins systématiquement, et réservé aux scènes adéquates.

On sent une certaine influence des séries télévisées dans la gestion de la dramatique du récit. Vous aimez intercaler des scènes qui se passent dans des endroits différents et qui font monter les tensions. Dans le choix du découpage en chapitres, aussi, qui crée des mises en suspense en fin de chapitre. Est ce que cette influence de la série est bien réelle, et assumée ?
Oui, tous les deux, on a toujours adoré les récits avec une tension et une émotion qui nous prend du début et ne nous lâche qu’à la fin. Je trouve cette façon de faire dans la série télé, dans le comics, dans le manga également. Notre génération qui fait du franco-belge est influencée par cela, cela nous est devenu à la fois naturel et nécessaire !

Comment avez-vous travaillé les planches au niveau de l’encrage et de la mise en couleurs ? Vous accordez une importance aux contrastes ombre et lumière, aux tons rouges, oranges et aux violets sombres. La couleur a vraiment une importance narrative ?
La couleur est très importante, mais surtout la lumière ! Dans le cinéma, dans le dessin animé, dans la bande dessinée, on sculpte une scène, on dirige le regard du spectateur ou du lecteur en fonction de la lumière. On éclaire l’objet vers lequel on veut qu’il se focalise. J’ai toujours raisonné comme ça dans ma construction de plans. J’ai un avant-plan très sombre, un second plan éclairé, puis un arrière-plan noir. On construit ainsi une profondeur de champ, et la couleur vient se caler sur cette construction. Penser la lumière, c’est aussi penser en ambiance. Une lumière dominante jaune va imposer des ombres violettes.
Je voulais vraiment ici quelque chose qui soit très tranché, d’autant que c’est la première fois que je réalisais l’encrage, un travail que j’avais délaissé car on avait souvent qualifié mon encrage de moyen… Le numérique paradoxalement m’a beaucoup aidé à m’y remettre en me permettant de tester des tas de techniques. Peut-être le fait de pouvoir tout essayer sans avoir à gâcher du papier ? Avec le numérique, on est aussi plus dans la sculpture du trait que dans le dessin au trait pur. En tout cas, assez bizarrement, c’est venu facilement. C’est pourquoi j’ai décidé d’encrer toutes mes couvertures de chapitres sur Chaos Team avec des valeurs de gris, et c’est sorti tout seul ! J’aime beaucoup les contrastes, les réparties entre les masses de noir et le blanc. Je suis fan des travaux de grands dessinateurs américains des années 30 à 90. Plus récemment, des gens comme Frank Miller ou Edouardo Risso. Mais dans les années 60 aussi, des dessinateurs comme Alex Toth, tous des dieux dans la gestion du cadrage et d’un noir et blanc très narratif. Ce sont des auteurs qui m’ont beaucoup inspiré. Même si c’est du numérique, j’ai essayé de rester très simple dans le choix des outils pour que ça ait l’air naturel. Car c’est aussi le danger du numérique : Photoshop offre une palette d’effets énormes, mais l’effet noie le trait. Il faut donc rester très simple.

Vous utilisez de nombreux symboles graphiques auxquels j’ai été sensible : les plaques des tavernes très évocatrices comme la main de justice du roi que l’on retrouve sur la porte du bordel qui appartient à Tristan, sur laquelle le doigt coupé de Michel trouvera un écho dramatique. Comment cette imagerie graphique prend-elle forme ?

Le Moyen Âge, c’est le début du logo ! C’est quelque chose que j’aime beaucoup, cette idée de symboliser quelque chose par la couleur et la forme. Et sa lisibilité : il faut tout de suite comprendre ce que le logo évoque. Cette période du Moyen Âge, c’est une foison de symboles. Pour chacun des personnages, j’y ai pensé. Pour le Triste Sire, ce serait la main, la main du roi, la main de la justice, un clin d’œil à Game of Thrones. Michel, son symbole est sur son bouclier, c’est un graal dans la continuité d’une épée. Saïf est sur quelque chose de plus oriental. Mais il y a plein de choses à trouver dans les sculptures de poutres, dans les plaques des tavernes…

On va évoluer dans trois mondes distincts quoique reliés entre eux par des enjeux de pouvoir : le monde du dessus qui appartient au Hibou, celui du milieu, qui est celui du commun des mortels, et celui du dessous, la cour des miracles. Tristan est peut-être un des seuls personnages qui appartient à ces trois mondes. Comment avez-vous eu cette idée de jouer ainsi sur des mondes divisés qui donnent une couleur fantastique au récit ?
C’est une idée de Vincent, qui donne effectivement un côté un peu fantastique, mais peut-être plutôt fantasmé. On est encore dans le symbole, dans l’expression pure de notre Paris tel qu’on l’imagine. Tel que je l’ai dessiné, c’est un personnage. On est dans des ruelles sombres qui sont vertigineuses. Cela nous a semblé assez normal, de par les architectures, qu’il y ait des gens qui vivent au-dessus, sur les toits. C’est aussi une sorte de rappel inconscient de notre culture super-héroïque, Spiderman, Batman… Tout comme d’une certaine mythologie religieuse qui correspond à l’époque où tout est organisé autour du ciel, la terre et l’enfer. Ce symbolisme fonctionne avec l’esprit de l’époque. Cela nous semblait cohérent de construire ces espaces qui, de plus, créent des zones d’influences.

Il semble que vous ayez moins recours aux onomatopées qu’autrefois ; de nombreuses scènes de batailles sont même muettes. Pourquoi ce choix ?
Je me suis beaucoup calmé sur les onomatopées ! C’est aussi une influence du cinéma, j’ai tendance à entendre le son quand je dessine. Je reconnais en avoir un peu abusé dans Block 109. La bande dessinée doit rester un art où on suggère le son par la mise en scène. J’ai donc limité les onomatopées sur ce livre et cherché à créer des moments silencieux plus éloquents.

Quels ont été vos rapports avec votre éditeur sur cet album ?
On discute beaucoup avec l’éditeur. D’abord, on envoie un synopsis, on en parle, il est validé. Vincent fait un pré-découpage, il écrit une sorte de roman filé, chapitre par chapitre et m’indique quand finit une page. Moi, je fais un story-board, où je dessine très rapidement les pages. Je mets en place la narration autour de mes bonhommes bâtons, je réfléchis aux cadrages, aux plans. Là, on rediscute, et avec l’éditeur : comment rendre cette narration meilleure ? Une fois qu’on est tous d’accord, je passe au dessin. Mon story-board est un peu plus poussé, c’est une sorte de pré-crayonné que j’encre directement. Je l’envoie à l’éditeur. Il peut y avoir encore des corrections. Ensuite, je passe à la couleur, que je réalise sur un mois et demi environ. En tout, un album m’occupe entièrement 6 à 7 mois.

Un tome 3 est donc bien prévu ?
Oui, on a prévu ce cycle en trois livres. À l’origine, on voulait faire des histoires plutôt auto-conclusives avec un fil rouge qui menait vers le livre suivant. Mais on s’est rendu compte assez vite que le récit qu’on mettait en place dans le livre I appelait quelque chose de beaucoup plus dense. Donc, on est partis sur trois livres. Autant il y a un espace de temps entre le livre I et le livre 2, autant le livre 2 et le livre 3 s’inscrivent dans une vraie continuité. Peut-être dans le futur fera-t-on d’autres cycles, sans prévoir une tomaison particulière ? Mais on restera sur ce créneau 1189-1215. L’idée serait plutôt de faire évoluer nos personnages presque familialement, de montrer peut-être l’arrivée d’une nouvelle génération, d’un nouveau Roy des Ribauds ?

 

Fonctions et enjeux de la scène de repas

C’est au XIXe siècle, avec l’essor de la littérature réaliste, que la scène de repas devient un topos à part entière. Cette évolution est bien sûr liée à un discours (on veut rentrer dans l’intimité, dans le quotidien des personnages), à une dimension sociale du repas, mais également à une évolution des mœurs ! En effet, c’est à cette même époque que les arts de la table se voient transformés, par l’introduction du service à la russe, qui succède au service à la française, et de nouveaux matériaux et matières !

Des innovations à l’origine d’un nouveau topos littéraire

Le service à la française, en vigueur jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, constitue un véritable cérémonial. Tous les plats sont installés avant l’arrivée des convives, disposés selon un ordre précis, et recouverts d’une cloche afin de conserver la chaleur. À l’arrivée des convives, les serviteurs déclochent d’un même mouvement tous les plats.
L’apparition du service à la russe est liée à l’émergence de nouveaux habitats, avec des pièces plus exiguës, notamment la salle à manger. Par manque de place, les plats ne sont plus apportés en même temps, mais se succèdent. Conjointement, les nappes en lin laissent la place aux nappes en coton ; le cristal arrive en France à la fin du XVIIIe siècle et l’argenterie, procédé anglais, est introduite par la manufacture Christofle. De nouvelles pièces apparaissent (couverts à poisson, assiettes à asperges, fourchette à huître, porte-couteau). Le XIXe siècle marque ainsi un véritable essor des arts de la table, qui permet à la bourgeoisie émergente d’imiter l’aristocratie à moindre coût. La scène de repas, bourgeoise, devient donc un véritable enjeu social. Et les écrivains du XIXe siècle ne se privent pas d’exploiter ce thème !

Plaisir des yeux

Avant tout, et c’est indissociable de notre culture culinaire française, la scène de repas est prétexte à une véritable célébration, à un plaisir des yeux aussi bien que du palais.
Plaisir des yeux tout d’abord, puisque la scène de repas devient prétexte à une description, plus ou moins fastueuse, des arts de la table, offrant au lecteur un réel raffinement esthétique, et un plaisir du texte. Ainsi, Emile Zola, dans La Curée, évoque « des vases de cristal, des assiettes plates, des compotiers montés » mais aussi « l’armée des verres, les carafes d’eau et de vin, les petites salières » ; Théophile Gautier, dans Le Capitaine Fracasse, parle d’une « nappe damassée » sur laquelle étincelle « une riche argenterie » ; Balzac n’hésite pas à décrire, quant à lui, en parfait romancier réaliste, la vaisselle « en faïence blanche bordée de bleu », les carafes à l’« antique forme octogone que la province seule conserve de nos jours », et la soupière à la manière de « Bernard de Palissy ».
L’importance accordée aux arts de la table permet même à certains auteurs de faire l’impasse sur les mets servis ; partant du principe que si la table est somptueuse, les mets seront délicieux : « Dans l’une était le linge de table, aussi beau qu’il soit possible de le désirer, sur une infinité de rayons ; dans l’autre, la vaisselle, de cette magnifique porcelaine de vieux Saxe, fleuronnée, moulée et dorée : les piles d’assiettes en bas, les services de toute sorte, les soupières rebondies, les tasses, les sucriers au-dessus ; puis l’argenterie ordinaire dans une corbeille. »
L’aspect esthétique prime sur l’aspect culinaire, à l’image de la bourgeoisie naissante qui a besoin de se mettre en scène. Car s’il est difficile, mais pas impossible, d’identifier une « cuisine bourgeoise », les arts de la table sont le meilleur moyen d’indiquer son appartenance sociale !

Plaisir de bouche

En ce qui concerne la teneur du repas, ce dernier fait généralement consensus, et les auteurs n’hésitent pas à décrire le plaisir ressenti à la dégustation, comme c’est le cas dans L’Assommoir, lors du repas de noces de Gervaise, la blanchisseuse, et de Coupeau, le couvreur (« Les assiettes furent si proprement torchées qu’on n’en changea pas pour manger les pois au lard. Oh ! les légumes ne tiraient pas à conséquence. On gobait ça à pleine cuiller, en s’amusant, de la vraie gourmandise enfin, comme qui dirait le plaisir des dames. Le meilleur, dans les pois, c’était les lardons, grillés à point, puant le sabot de cheval. Deux litres suffirent. »)
Mais il arrive que certains auteurs se jouent de cette convention pour montrer que l’appréciation d’un repas, et la notion de goût, sont des concepts purement subjectifs et pourquoi pas propices à une scène comique ! Ainsi, dans Les Trois Mousquetaires, le plus grand gourmet de la littérature française, Porthos, que l’on doit, rappelons-le, à l’auteur du Grand dictionnaire de la cuisine, se retrouve invité à dîner chez un procureur dont il courtise la femme. Alors que les convives se réjouissent de « la poule bouillie, magnificence qui fit dilater les paupières des convives de telle façon qu’elles semblaient prêtes à se fendre », Porthos voit une poule « maigre et revêtue d’une de ces grosses peaux hérissées que les os ne percent jamais malgré leurs efforts ». À son grand désespoir, notre mousquetaire « regarda à la ronde pour voir si son opinion était partagée ; mais tout au contraire de lui, il ne vit que des yeux flamboyants, qui dévoraient d’avance cette sublime poule, objet de ses mépris ».

Dimension sociale du repas

Si le goût et l’appréciation d’un repas sont des notions subjectives, ce sont également des notions culturelles et sociales, puisque l’on ne cuisine pas, et ne mange pas, de la même façon selon le milieu auquel on appartient ! Le repas renseigne ainsi les lecteurs sur un élément indiscutable : le milieu social auquel appartiennent les personnages. La qualité et la quantité des mets servis, la mise en scène sommaire ou somptueuse du repas, les convives présents, le lieu et la façon dont se déroule le repas ; tous ces éléments dessinent une sociologie littéraire de la scène de repas.
Cette dimension sociale du repas peut devenir un aspect essentiel de l’œuvre lorsque ce repas se veut une dénonciation de la richesse des uns, au détriment de la pauvreté des autres. Ainsi, dans Germinal, Zola dépeint un repas de fiançailles entre les Hennebeau et les Négrel, les deux familles propriétaires de la mine. Alors qu’il fait extrêmement froid (« Dehors, la journée de décembre était glacée par une aigre bise du nord-est »), les convives dégustent des « œufs brouillés aux truffes », « des truites de rivière », dans une pièce richement décorée qui apparaît comme une bulle ouatée (« Des pièces d’argenterie luisaient derrière les vitraux des crédences ; et il y avait une grande suspension en cuivre rouge, dont les rondeurs polies reflétaient un palmier et un aspidistra, verdissant dans des pots de majolique »). Le raffinement et le plaisir du repas sont d’ailleurs rapidement minés par la peur sourde qui envahit les convives, partagés entre gêne, culpabilité et angoisse de la révolte (« Ce furent, dès lors, des plaisanteries interminables on ne posa plus un verre ni une fourchette, sans prendre des précautions ; on salua chaque plat, ainsi qu’une épave échappée à un pillage, dans une ville conquise ; et, derrière cette gaieté forcée, il y avait une sourde peur, qui se trahissait par des coups d’œil involontaires jetés vers la route, comme si une bande de meurt-de-faim eût guetté la table du dehors »). Ce qui n’aurait dû être qu’un repas festif devient un véritable enjeu au cœur de ce roman, séparant de façon irrémédiable les mineurs des riches propriétaires de la mine.

Fonction symbolique du repas et horizon d’attente

Que mange-t-on ?

La scène de repas peut également avoir une dimension symbolique, et c’est tout l’intérêt de sa représentation littéraire. L’écrivain se servira de la scène de repas pour montrer tout ce qui peut se jouer entre les personnages, que cela relève de la scène de séduction ou du conflit en passant par le malaise. Une scène de repas a priori banale, anodine, pourra contenir en germe toute l’intrigue du roman et constituer en elle-même une parfaite représentation schématique et symbolique de l’œuvre.
Plusieurs éléments permettront de représenter le rapport entre les personnages, à commencer par les éléments qui composent le repas. Par exemple, le repas de mariage entre Charles et Emma Bovary témoigne, au-delà du caractère champêtre de cette célébration, du malaise qui plane déjà autour de cette union. Ainsi, Gustave Flaubert évoque « de grands plats de crème jaune, qui flottaient d’eux-mêmes au moindre choc de la table » et l’alcool coule à la limite de l’écœurement (« Le cidre doux en bouteilles poussait sa mousse épaisse autour des bouchons, et tous les verres, d’avance, avaient été remplis de vin jusqu’au bord »). Ce qui aurait pu être l’occasion d’une véritable célébration donne quasiment lieu à une indigestion (« Jusqu’au soir, on mangea. Quand on était trop fatigué d’être assis, on allait se promener dans les cours ou jouer une partie de bouchon dans la grange ; puis on revenait à table. Quelques-uns, vers la fin, s’y endormirent et ronflèrent. ») à l’image du malaise ressenti par Emma à l’issue de son mariage avec un homme tout sauf raffiné (« Charles n’était point de complexion facétieuse, il n’avait pas brillé pendant la noce. Il répondit médiocrement aux pointes, calembours, mots à double entente, compliments et gaillardises que l’on se fit un devoir de lui décocher dès le potage »). Rien n’est dit ou presque de la relation entre Emma et Charles. Mais c’est la médiocrité et l’abondance des mets représentés lors de cette scène de repas qui ne laissent planer aucun doute sur le devenir de leur relation.

De quoi parle-t-on ?

Si la portée symbolique du repas peut s’exprimer à travers les mets servis, les conversations tenues lors du repas peuvent elles aussi constituer un élément déterminant.
Ainsi, dans Bel-Ami de Maupassant, la scène de repas est représentée dans sa dimension sociale et surtout érotique. Au début du roman, Georges Duroy, nouvellement introduit à La Vie Française grâce à son ami Georges Forestier, dîne au restaurant en compagnie de ce dernier, de son épouse et de Mme de Marelle. Les mets servis donnent un avant-goût de la tonalité érotique de ce dîner : les convives dégustent des huîtres d’Ostende « mignonnes et grasses, semblables à de petites oreilles enfermées en des coquilles ». L’attention accordée aux sensations, au plaisir de la dégustation (« fondant entre le palais et la langue ainsi que des bonbons salés »), les comparaisons faites par le narrateur (« on servit une truite rose comme de la chair de jeune fille ») font de ce repas un prélude à l’acte amoureux. Cette dimension érotique est renforcée et surtout pleinement confirmée par les conversations tenues pendant le repas qui portent sur l’adultère (« On parla d’abord d’un cancan qui courait les rues, l’histoire d’une femme du monde surprise, par un ami de son mari, soupant avec un prince étranger en cabinet particulier »). Alors que M. Forestier, le seul mari présent, trouve l’histoire drôle (« Forestier riait beaucoup de l’aventure »), les autres convives entament une discussion sur l’infidélité (« Combien y en a-t-il qui s’abandonneraient à un rapide plaisir, au caprice brusque et violent d’une heure, à une fantaisie d’amour si elles ne craignaient de payer par un scandale irrémédiable et par des larmes douloureuses un court et léger bonheur ! »). Mme de Marelle et Mme Forestier sont déjà sous le charme de notre héros (« Il parlait avec une conviction contagieuse, comme s’il avait plaidé une cause, sa cause »). La scène opère donc comme de véritables préliminaires et dessine un horizon d’attente, puisque nous devinons d’ores et déjà ce qui est en train de se passer. Georges Duroy passera à l’acte avec et Mme de Marelle et Mme Forestier et fera de son vieil ami Georges Forestier un cocu notoire.

Sur la table ou sous la table ?

Si la majorité des scènes de repas évoquent ce qui se passe en surface, certains auteurs n’hésitent pas à évoquer l’envers du décor, à savoir ce qui se trame sous la table, sous la nappe.

Dimension érotique de la scène de repas

Ainsi, dans la nouvelle « Le Rideau cramoisi » issue du recueil des Diaboliques, Barbey d’Aurevilly transforme une banale scène de dîner familial en véritable sommet d’érotisme. Le héros de la nouvelle, le vicomte de Brassard, raconte un événement survenu dans sa jeunesse et qu’il n’a jamais oublié. Alors qu’il avait été envoyé en garnison en Normandie, il avait eu une liaison passionnée avec la jeune Albertine, fille de ses logeurs, qui avait osé prendre la main du vicomte sous la table, en plein dîner familial :
« Cependant nous ne pouvions pas rester ainsi… Nous avions besoin de nos mains pour dîner… Celle de Mlle Alberte quitta donc la mienne ; mais au moment où elle la quitta, son pied, aussi expressif que sa main, s’appuya avec le même aplomb, la même passion, la même souveraineté, sur mon pied, et y resta tout le temps que dura ce dîner trop court, lequel me donna la sensation d’un de ces bains insupportablement brûlants d’abord, mais auxquels on s’accoutume, et dans lesquels on finit par se trouver si bien, qu’on croirait volontiers qu’un jour les damnés pourraient se trouver fraîchement et suavement dans les brasiers de leur enfer, comme les poissons dans leur eau !.. Je vous laisse à penser si je dînai ce jour-là, et si je me mêlai beaucoup aux menus propos de mes honnêtes hôtes, qui ne se doutaient pas, dans leur placidité, du drame mystérieux et terrible qui se jouait alors sous la table. »

Le vicomte de Brassard est alors au supplice et la scène de repas devient prétexte à un insoutenable suspense : les parents d’Albertine découvriront-ils ce qui se passe ?
« je mordis ma lèvre au sang dans un effort surhumain, pour arrêter le tremblement du désir, qui pouvait tout révéler à ces pauvres gens sans défiance, et c’est alors que mes yeux cherchèrent l’autre de ces deux mains que je n’avais jamais remarquées, et qui, dans ce périlleux moment, tournait froidement le bouton d’une lampe qu’on venait de mettre sur la table, car le jour commençait de tomber… Je la regardai… C’était donc là la sœur de cette main que je sentais pénétrant la mienne, comme un foyer d’où rayonnaient et s’étendaient le long de mes veines d’immenses lames de feu ! »

Cachez cette trahison que je ne saurais voir

Si, dans la nouvelle de Barbey d’Aurevilly, le héros apparaît comme finalement complice et acteur, à son corps défendant, du « drame mystérieux et terrible qui se jouait alors sous la table », certains héros apparaissent comme des témoins impuissants de ce qui se trame lors d’un repas !
Dans une très célèbre scène de La Confession d’un enfant du siècle, de Musset, le narrateur, Octave, raconte l’événement qui serait à l’origine, chez lui, de la maladie du siècle (« J’ai à raconter à quelle occasion je fus pris d’abord de la maladie du siècle »). En plein repas, le héros a surpris sa maîtresse dans une position a priori des plus inconfortables, mais qui ne semble pas le moins du monde l’incommoder :
« Comme je me retournais pour prendre une assiette, ma fourchette tomba. Je me baissai pour la ramasser, et, ne la trouvant pas d’abord, je soulevai la nappe pour voir où elle avait roulé. J’aperçus alors sous la table le pied de ma maîtresse qui était posé sur celui d’un jeune homme assis à côté d’elle ; leurs jambes étaient croisées et entrelacées, et ils les resserraient doucement de temps en temps. Je me relevai parfaitement calme, demandai une autre fourchette et continuai à souper. Ma maîtresse et son voisin étaient, de leur côté, très tranquilles aussi, se parlant à peine et ne se regardant pas. Le jeune homme avait les coudes sur la table et plaisantait avec une autre femme qui lui montrait son collier et ses bracelets. Ma maîtresse était immobile, les yeux fixes et noyés de langueur. Je les observai tous deux tant que dura le repas, et je ne vis ni dans leurs gestes, ni sur leurs visages rien qui pût les trahir. »
Ce souper, qui a lieu à l’issue d’une « mascarade » apparaît dès lors comme une mascarade lui-même et l’ironie cruelle qui s’empare d’Octave contraste violemment avec la magnificence des lieux, des mets servis, et l’élégance des convives :
« Autour de moi mes amis richement costumés, de tous côtés des jeunes gens et des femmes, tous étincelants de beauté et de joie ; à droite et à gauche des mets exquis, des flacons, des lustres, des fleurs ; au-dessus de ma tête un orchestre bruyant, et en face de moi ma maîtresse, créature superbe que j’idolâtrais ».
Alfred de Musset nous rappelle ainsi ce que peut être une scène de repas, qui plus est un repas de fête : un rituel social, une convention à laquelle les convives se plient et au cours de laquelle ils se « tiennent » d’une certaine façon, et tiennent un rôle.

Liée à des innovations techniques et de profonds bouleversements sociaux, la scène de repas devient au XIXe siècle un topos littéraire majeur. Si quelques personnages gourmets et gourmands font encore leur apparition, l’intérêt purement culinaire de la scène de repas semble être fondamentalement écarté, pour laisser place à une réflexion sur la société, et les dessous-de-table, au propre comme au figuré !

 

L’abolition de la peine de mort

Textes et conventions

Monde
● Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. Traité du 15 décembre 1989. Assemblée Générale de l’ONU. www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/2ndOPCCPR.aspx
● 6e résolution pour l’établissement d’un moratoire sur la peine de mort. 19 décembre 2016. Assemblée générale de l’ONU. www.un.org/press/fr/2016/ag11879.doc.htm

Europe

● Protocole n° 6 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales concernant l’abolition de la peine de mort. Traité du 28 avril 1983 – Conseil de l’Europe – Strasbourg. https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680079532
● Protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, ouvert à la signature. Traité du 3 mai 2002 – Conseil de l’Europe. www.echr.coe.int/Documents/Library_Collection_P13_STE187F_FRA.pdf

France
● La loi n° 81-908 du 9 octobre 1981 portant l’abolition de la peine de mort. www.2idhp.eu/images/loi-n81-908-du-9-octobre-1981_150617.pdf
● Loi Constitutionnelle n° 2007-239 du 23 février 2007 relative à l’interdiction de la peine de mort. www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000792320

Musées, Expos, Congrès

Criminocorpus
Musée d’Histoire de la justice, des crimes et des peines : contient une rubrique dédiée à la peine de mort avec, notamment, une exposition virtuelle consacrée à l’Histoire de la peine de mort en France jusqu’à son abolition. https://criminocorpus.org/fr/expositions/peine-de-mort/la-peine-de-mort-en-france-de-la-revolution-a-labolition/

Musée de la préfecture de police
Hôtel de police du Ve arrondissement de Paris. « Une galerie illustre les notions de crime et de châtiment depuis l’Ancien Régime jusqu’à l’abolition de la peine de mort en France en 1981, à travers les récits de quatre siècles de crimes sanglants, d’attentats et d’assassinats politiques. » www.prefecturedepolice.interieur.gouv.fr/Nous-connaitre/Services-et-missions/Service-de-la-memoire-et-des-affaires-culturelles/Le-musee-de-la-prefecture-de-police

Crime et châtiment au musée d’Orsay
Présentation de l’exposition qui a eu lieu du 16 mars au 27 juin 2010. www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/au-musee-dorsay/presentation-generale/article/crime-et-chatiment-23387.html?cHash=4be3ffdf22

Congrès mondial contre la peine de mort
Organisé depuis 2001 par l’ECPM en partenariat avec la Coalition mondiale contre la peine de mort. Le dernier congrès s’est déroulé à Oslo en Norvège du 21 au 23 juin 2016. http://congres.abolition.fr/

La Journée mondiale contre la peine de mort
La journée mondiale contre la peine de mort a lieu le 10 octobre, à l’initiative de la World coalition against the death penalty.

Dans les programmes

Cycle 4 (5e, 4e, 3e) : Éducation Morale et Civique
Le droit et la règle : des principes pour vivre avec les autres, notamment, 2/a – Définir les principaux éléments des grandes déclarations des Droits de l’homme.

Troisième : Histoire des arts
L’art engagé : l’œuvre d’art et le pouvoir.

Seconde : EMC
La personne et l’État de droit : L’État de droit et les libertés individuelles et collectives. Le fonctionnement de la justice : la justice pénale (instruction, procès, droits de la défense, exécution des décisions).

Première : EMC
Exercer sa citoyenneté dans la République française et l’Union européenne. S’engager : la notion de militantisme; les grandes formes d’engagement politique, syndical, associatif. Défendre : organisation et enjeux de la Défense nationale; l’engagement dans des conflits armés, la sécurité internationale.

Première : TPE
Thème commun : éthique et responsabilité, notamment les axes de recherche : culture et vie sociale, droit.

Première : Lettres
La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVIe s. à nos jours. L’objectif est de permettre aux élèves d’accéder à la réflexion anthropologique dont sont porteurs les genres de l’argumentation afin de les conduire à réfléchir sur leur propre condition. On contribue ainsi à donner sens et substance à une formation véritablement humaniste (Victor Hugo, Albert Camus, notamment).

Terminale L , Spécialité : Droit et grands enjeux du monde contemporain
Les questions mondiales et réponses internationales, la protection européenne des droits de l’homme.

Organismes

ONU
Une des missions de l’ONU est de protéger les droits de l’Homme en agissant pour l’abolition de la peine de mort, via le Haut-Commissariat des Nations Unies. www.ohchr.org/FR/Pages/Home.aspx

Coalition mondiale contre la peine de mort
Fondée à Rome le 13 mai 2002 à l’issue du premier Congrès mondial contre la peine de mort tenu à Strasbourg en 2001, à l’initiative de l’ECPM. www.worldcoalition.org/fr/

ECPM
Ensemble Contre la Peine de Mort est une association créée en 2000 dont l’objectif est l’abolition universelle de la peine capitale. Depuis 2010, elle propose des interventions de sensibilisation dans les établissements scolaires. www.abolition.fr

Ligue des droits de l’homme
Les archives de la ligue des droits de l’homme contiennent de nombreux documents sur la peine de mort. La ligue organise des manifestations sur ce sujet et milite pour son abolition universelle. www.ldh-france.org

DPIC (Death Penalty Information Center)
Organisation américaine à but non lucratif destinée à informer le public quant à la peine de mort aux États Unis. www.deathpenaltyinfo.org

Amnesty international
Organisation internationale qui lutte contre les atteintes aux droits humains commises dans le monde, dont la peine de mort. www.amnesty.org/fr/death-penalty

 

Pistes pédagogiques

● Rencontre avec des membres d’associations pour l’abolition de la peine de mort, des pénalistes, des politiciens, des journalistes en exercice pendant la peine de mort en France.
● Participer au congrès mondial contre la peine de mort organisé par l’ECPM et la Worldcoalition : débats, films, peintures, dessins, musiques autour de l’abolition de la peine de mort.
● Participer aux manifestations de la journée mondiale contre la peine de mort le 10 octobre.
● Projeter des films sur ce sujet, puis organiser un débat en EMC.
● Réaliser une exposition d’ouvrages sur la peine de mort au CDI.
● En exploitant les périodiques, présenter une revue de presse sur la situation actuelle de l’abolition de la peine de mort dans le monde ou rédiger un article en faveur de l’abolition universelle dans le journal scolaire de l’établissement.
● Participer à « Villes pour la vie – Villes contre la peine de mort » : tous les ans, les villes du monde entier s’illuminent et programment des manifestations afin d’exprimer leur refus de la peine de mort.
● L’ECPM intervient dans les classes, aide à monter un projet, fournit du matériel pédagogique, prête des expositions, organise des concours de dessins contre la peine de mort ou encore de vidéos engagées contre la peine de mort pour youtubeur/se/s en herbe.
 Il est aussi possible d’utiliser le kit de mobilisation disponible sur le site de la Worldcoalition pour organiser un évènement. www.worldcoalition.org/media/resourcecenter/FR-KitMobilisationJM2015.pdf

Représentations Artistiques

● Amnesty international. – « La peine de mort est condamnée à disparaître » [Affiche], 2011.
● Folon, Jean Michel. – « Contre la peine de mort » [Affiche], 1978. – 99 x 73 cm
● Fourau, Hugues. – « Tête décapitée de Fieschi » [huile sur toile], 1836. – 40 x 54,5 cm
● Goya, Francisco (de). – « El tres de mayo » [huile sur toile], 1814. – 2,68 m x 3,47 m
● Hugo, Victor. – « Justitia » [dessin], 1857.  53,4 x 35 cm
● Hugo, Victor. – « Ecce lex » [dessin], 1854. 50,8 x 34,9 cm
● Priseman, Robert. – « Lethal Injection Gurney » [huile sur toile], 2007, 2008. – 153 x 153 cm
● Toulouse-Lautrec, Henri (de). « Au pied de l’échafaud » [Lithographie], 1893.  82,5 x 58,1 cm
● Vallotton, Félix. – « L’Exécution » [estampe], 1894. – 149 x 250 mm
● Warhol, Andy. – « Electric Chairs » [10 estampes], 1971. – 10 x (90 x 122 cm)
● Woitena, Ben. – « Dead Man Walking » [assemblage], 2006. – 39-3/8“ x 27“ x 3-1/4“

 

Monstrueux monstres

Aux origines

Dans le grand catalogue des monstres en tous genres, on peut compter sur les auteurs antiques pour alimenter une grande partie de nos peurs. Cyclopes et autres créatures bizarrement formées peuplent l’imaginaire antique. Pour les découvrir, il faut plonger dans la collection Histoires noires de la mythologie, chez Nathan. On y découvre les monstres les plus terribles. Dernier né de la collection, Méduse, le mauvais œil1, d’Anne Vantal, nous fait découvrir l’histoire de l’un des monstres les plus mythiques : à l’origine, la plus belle des trois Gorgones est vite l’objet de l’attention de Poséidon, à qui elle succombera de force dans l’enceinte du temple d’Athéna. Furieuse, cette dernière transforme alors Méduse en monstre hérissé de serpents, et dont le regard pétrifie celui qui a le malheur de le croiser…

Pour découvrir un large choix de monstres antiques, une collection s’impose, Percy Jackson. À l’âge de 12 ans, un jeune collégien américain découvre qu’il est le fils de Poséidon. Il se rend alors à la colonie des Sang-Mêlé, camp d’entraînement des demi-dieux. Percy est alors prêt à affronter les pires épreuves et les monstres les plus redoutables de l’Antiquité… toutefois quelque peu revisités puisqu’ils y habitent désormais au sommet de l’Empire State Building ! Quand même plus tendance que l’Olympe… Dans le deuxième opus, La Mer des monstres2, Percy affronte le monde des monstres marins, lesquels n’ont rien à envier à leurs collègues terrestres ! Une série qui séduit les lecteurs par son rythme, son humour et ses péripéties tout droit venues de l’Antiquité. Car oui, les monstres antiques sont vraiment et définitivement indémodables.
Petit dictionnaire humoristique des dieux et héros de l’Antiquité, La Mythologie racontée par les petits mythos3 propose aux jeunes lecteurs une approche globale et rigolote des monstres antiques.

 Des vilains méchants pas beaux

Avant d’attaquer les choses sérieuses, faisons une incursion du côté des monstres gentiment effrayants. Dans Le Bus 6664, Colin Thibert nous fait voyager en compagnie d’un catalogue d’horreurs, vampires, fantômes et autres zombies. Mais que diable Chloé allait-elle faire dans ce bus ? Elle n’était pas censée aller au collège, au départ ? Allez, Chloé, tu verras, ce n’est pas si horrible que ça les monstres…
C’est aussi ce que pense chaque jour Wallis May, héros du roman Wallis M, 14 ans, sauveur du monde5, de Metantropo. Âgé d’à peine quinze ans et se déplaçant en fauteuil roulant, le jeune garçon a pour mission de détruire les kaméléons, d’abominables aliens venus d’on ne sait trop où… Un roman rythmé et plein d’humour, pour nos lecteurs de 6e et 5e.

Beaucoup de rebondissements également dans le roman Jack Perdu et le royaume des ombres6, de Katherine Marsh. Alors que Jack vient d’échapper à un accident, il consulte à New York (la ville où sa mère est morte quelques années auparavant) un étrange médecin. Peu après, il découvrira les portes du royaume des morts, où il partira pour retrouver sa mère. Bien entendu, il croisera sur son chemin quelques gentils et (moins gentils) petits (et moins petits) monstres…
Beaucoup moins gentils maintenant sont les monstres du cirque de l’étrange, cirque ambulant imaginé par Darren Shan dans la série L’Assistant du vampire7. Les pires horreurs semblent s’être données rendez-vous pour proposer un spectacle dérangeant et terrifiant. Le jeune Darren a assisté à l’une des séances et, fasciné par Madame Octa, l’énorme araignée vedette du spectacle, il la dérobe à la fin de la représentation. Mal lui en a pris, car l’araignée le pique, et la seule façon de garder « la vie sauve » est de devenir l’assistant du vampire du spectacle… et donc de devenir lui aussi un vampire ! Une série qui fera frémir les lecteurs à partir de la 5e.

 

Ne va pas dans ce couloir !

Bon, si on passait aux choses sérieuses ? On veut des monstres, des terribles, des qui font vraiment peur ? Et on a ce qu’il vous faut en stock ! Par quoi commencer ? Zombies décharnés ? Créatures maléfiques ? Très très grosse bébête ?

Allez, va pour la vilaine bestiole. Quelque part au milieu de nulle part, un jeune homme nourrit une inquiétante créature. On ne sait pas bien à quoi elle peut ressembler, mais une chose est certaine, ce n’est pas un caniche nain ! Enfermée dans un cube de béton, la bête grandit, et bientôt son espace risque d’être un peu étroit… Et justement, elle a très envie d’aller voir ailleurs si elle y est. Mais la demoiselle est incontrôlable et va vite semer le désordre derrière elle… Vous voulez en savoir plus ? Plongez-vous dans le roman d’Ally Kennen, La Bête8. Vous ferez la connaissance de la créature… et des cauchemars qui vont avec !
De bien vilains rêves vous attendent également à la lecture de La Forêt des damnés9, de Carrie Ryan. Isolée dans un village entouré de barbelés, au cœur d’une forêt, la jeune Mary rêve de sortir de cette prison. Mais la forêt est peuplée de zombies que personne n’aimerait croiser le soir, justement, au détour d’un bois. Un roman captivant et particulièrement stressant, que les élèves dévorent à partir de la 4e.
Une bestiole. Des zombies. Place à l’alien ! Et pas n’importe lequel. Son nom ? Celà. Tout droit venue de l’inconnu, cette créature immatérielle débarque sur Terre. Et elle a faim. Très faim. Elle prend alors possession des hommes qu’elle croise, s’empare de leur conscience et de leur cerveau, et agit à leur place. Et elle dévore ! Précision : sur sa planète, le mot « vegan » ne doit pas exister ; il lui faut des nourritures plus consistantes, plus rouges et plus vivantes… Avec Celà10, Moka ne ménage pas son lecteur, et il faut avoir le cœur bien accroché. Mais quel choc de lecture !
Lecture coup-de-poing également que le roman Passeuse de rêves11, de Loïs Lowry. On y suit l’histoire de Petite, être miniature qui collecte les souvenirs en touchant les objets, et qui les transfère ensuite dans le cerveau des humains pour y créer les plus beaux rêves. Ça a l’air tout mignon, vu comme ça, non ? Mais c’est sans compter ses ennemis, les Saboteurs, qui eux, créent les pires cauchemars et les colères les plus profondes… Un roman fascinant, au cœur des pensées et des rêves.
Quant au roman Dream Box12, de N. M. Zimmermann, il gravit encore un échelon dans l’horreur, au royaume des ombres et des entités terrifiantes qui hantent la vie de ceux auxquels elles s’attaquent, en créant chez eux violence et désespoir. Le pire de ce qu’ils ont en eux peut alors s’exprimer. Le jeune Jeffrey est la proie des ombres depuis l’âge de neuf ans. Il rencontre un jour un homme qui a vécu la même chose que lui, et qui lui apporte une boîte, la Dream Box, dans laquelle il pourra enfermer les ombres et enfin dormir tranquille… À condition de ne jamais ouvrir la boîte… Un roman terrifiant et glaçant.

Des monstres très… humains

Il n’est pas forcément nécessaire d’être moche, d’avoir quatre bras ou de venir d’une autre planète pour être un monstre. La monstruosité peut parfois prendre des allures très quotidiennes, et chacun peut croiser la route d’un monstre à tout moment.
Dans cette petite ville américaine, un groupe d’adolescents a toujours en mémoire l’assassinat, dix ans auparavant, de Clarence, jeune garçon de leur classe. Pour Dylan, le souvenir est encore plus vivace. En secret, elle a le don de voir les enfants assassinés et le lieu où ils se trouvent. Or le meurtrier de Clarence n’a jamais été arrêté. Serait-il toujours dans les parages ? La question est dans tous les esprits, jusqu’au jour où une petite fille disparaît… Le monstrueux Rôdeur, comme la ville l’a surnommé, a-t-il encore frappé ? La réponse dans C’est pour toi que le rôdeur vient13, d’Adrienne Maria Vrettos.

On frémira également devant le monstre de violence imaginé par Charlie Price dans son roman, Desert Angel14. Au fin fond d’une Amérique très profonde, Angel vit dans une caravane avec sa mère, loin des paillettes de New York et Hollywood. Un matin, Angel découvre sa mère morte dans la caravane. Scotty, son dernier amant, l’a assassinée. Et Angel sait qu’elle est la prochaine sur la liste. Une course-poursuite s’engage pour la jeune fille… Un thriller implacable, haletant et scotchant, qui ne peut que raviver ces cauchemars d’enfance dans lesquels un monstre nous poursuit inlassablement…
Mais il n’est pas besoin d’habiter un endroit glauque pour croiser la monstruosité. Dans Tous les héros s’appellent Phénix15, de Nastasia Rugani, Phénix et Sacha l’apprennent bien malgré elles. Ces deux jeunes filles voient leur vie basculer le jour où leur professeur d’anglais entame une relation avec leur mère et s’installe chez elles. Si tout semblait commencer pour le mieux, leur vie plonge peu à peu dans l’enfer de la violence… Le monstre peut bel et bien entrer dans votre maison sous des apparences trompeuses… Un roman dérangeant, à posséder absolument.

Diaboliquement monstrueux

Faut-il classer le diable dans la catégorie des monstres ? Sans nul doute. Dans L’Escalier du diable16 de E. E. Richardson, de mystérieuses disparitions secouent la petite ville de Redford et plusieurs enfants pensent en avoir percé le secret : un mystérieux escalier, au-dessus duquel apparaît l’Homme noir. Une seule solution : affronter le monstre en face, sur l’escalier… Terrifiant.
Est-ce également le diable qui apparaît dans le roman d’Anne Fine, Le Passage du diable17. Depuis sa naissance, Daniel vit enfermé dans sa chambre, sous l’emprise de sa mère. Sur un appel des services sociaux, Daniel est pris de force à celle-ci, et part vivre chez un médecin et sa famille. Il ne garde de son ancienne vie qu’une maison de poupée, réplique de la maison de sa mère. Mais de bien curieux événements se produisent dans cette petite maison, et le pire est à venir…

 

 Et enfin…

L’Étrange cas de Juliette M.18, de Megan Shepherd. En cette fin du xixe siècle, à Londres, Juliette a perdu la trace de son père. Ce dernier, l’un des plus grands chirurgiens de la ville, a été banni de la cité pour des pratiques médicales très controversées. Nul ne sait où il se trouve, ni même s’il est mort. Juliette décide d’en avoir le cœur net, et veut le retrouver coûte que coûte. Ah, on ne vous a pas dit ? Son père est en fait sur une île, et son nom est Moreau… Ça vous rappelle quelque chose ? L’histoire de ce médecin, revisitée par le regard de sa fille, pose la question de la monstruosité. Jusqu’où peut-on aller pour transformer l’être humain ? Jusqu’à quelles tortures ? Et moralement, qu’en penser ?

Voilà de quoi faire de beaux cauchemars pendant un bon moment… Allez, un peu de patience, le prochain Thèmalire portera sur les vacances ! Monstrueuses lectures à tous !

Quelle école pour les surdoués ?

Daniel Moatti : Quels sont les signes, les indices, voire les manifestations permettant de reconnaître un enfant surdoué ? Cette reconnaissance est-elle fondamentale pour la suite de la scolarité de ce dernier ?
Kathleen Tamisier : Déceler le « surdouement » intellectuel d’un enfant revient à repérer tout un ensemble de signes ou d’indices. Des auteurs proposent des grilles permettant de dégager de nombreuses similitudes entre les enfants surdoués. Il nous faut toutefois rester extrêmement prudents et ne jamais oublier que le seul caractère commun à tous les surdoués est leur quotient intellectuel (QI) élevé, égal ou supérieur à 125, la moyenne se situant aux alentours de 100.
Issu d’une enquête sociologique, mon ouvrage démontre que les spécificités de l’enfant surdoué s’affirment au quotidien, dans sa scolarité, ses loisirs et ses centres d’intérêt. Il apparaît nettement une curiosité sans limite, un humour cinglant parfois très jeune, un intérêt certain pour la difficulté, une remise en question permanente du monde qui l’entoure, une extrême sensibilité, une solitude liée à ses sources d’intérêt (énergie nucléaire, chimie, pour un enfant de 8 ans…). Le surdoué possède un langage élaboré, une habileté linguistique et un usage de la lecture précoce. Très curieux, l’enfant précoce veut connaître le pourquoi de tout. Il n’aime pas la routine. Son plaisir semble résider dans l’innovation et profile une préférence pour la nouveauté. Et lorsqu’un sujet l’intéresse réellement, il fait preuve d’une mémoire assez importante. Il cherchera alors des réponses dans les livres et les médias, sans méthode de travail, refusant toute démarche méthodologique que l’on peut lui imposer.
De même, l’enfant précoce éprouve de grandes difficultés à s’intégrer dans un groupe d’enfants de son âge. L’enfant surdoué va préférer la compagnie des adultes, des personnes plus âgées que lui ou des autres surdoués.

Comment les enfants surdoués réagissent-ils dans une classe « lambda » ?
Premier constat, et pas des moindres : le surdoué réagit de manière assez violente par ennui face à un programme scolaire destiné aux enfants « normaux ». C’est l’uniformité pédagogique qui génère cet ennui. Les résultats de mon enquête tendent à prouver que le surdoué qui suit un rythme scolaire trop lent va s’ennuyer, rêvasser et rater un certain nombre d’informations importantes qu’il devrait tout de même recevoir. C’est ainsi que par inattention, il pourra obtenir des notes médiocres ou insuffisantes, commencer à douter de ses capacités, se croire incapable de réussir.
Les enfants surdoués, en général, rechignent devant les tâches répétitives et ont besoin d’être stimulés intellectuellement. Dans le cas précis où le rythme et la richesse de l’enseignement ne répondent pas à ce besoin, leurs réactions sont très variées. Ils peuvent ainsi adopter des conduites qualifiées de déviantes. En effet, certains enfants prennent la voie de l’agitation, perturbent la classe et entrent dans l’escalade (punitions, remarques, indiscipline), ce qui leur renvoie une image très dévalorisée d’eux-mêmes.
On peut estimer qu’il existe une inadéquation entre l’enfant surdoué et le système éducatif traditionnel. On peut mettre en avant un certain nombre d’arguments : « les classes sont faites par âge », alors qu’un « enfant surdoué est multi-âge ». L’école juge selon un critère qui ne leur ressemble pas : un bon élève est un élève sage (discipliné), attentif, qui excelle à apprendre par cœur ses leçons, ce pour quoi le surdoué a peu d’envie et rencontre beaucoup de difficultés. De plus, le surdoué attend de l’école qu’elle lui enseigne un maximum d’informations et les moyens d’y accéder ; son attente est conséquente. S’il ne trouve pas en classe ce qu’il est en droit d’obtenir, il peut devenir agité, difficile à supporter, porté par un fort sentiment de frustration.
L’échec scolaire apparaît alors comme le stade ultime de la désadaptation de l’enfant surdoué. Dans la grande majorité des cas, l’ennui conduit en effet l’enfant à l’échec scolaire ; cela peut paraître paradoxal, mais être un enfant surdoué ne conduit pas forcément à la réussite scolaire.

Comment les enseignants perçoivent-ils ce phénomène récent ? En effet, ce sujet n’est évoqué en milieu scolaire que depuis deux décennies.
Tout au long de la rédaction de cet ouvrage, je me suis intéressée sans complaisance au rôle des professeurs face aux enfants surdoués, et plus précisément à la difficile reconnaissance du surdoué par un corps enseignant parfois sceptique. Les enseignants jouent pourtant un rôle majeur dans l’intégration et le bien-être du surdoué au sein de leurs écoles et leurs classes.
Il faut rappeler le niveau d’engagement très relatif de la France dans la prise en charge des enfants surdoués. Des expériences sont menées, mais il s’agit d’initiatives locales, sans aucune position officielle. Il apparaît que les préoccupations d’un État qui souhaite repérer, de manière précoce, les enfants dotés d’un fort potentiel pour préparer la relève de ses élites intellectuelles, n’induisent pas les mêmes dispositifs que la volonté de donner à chaque élève toutes les chances d’exploiter pleinement ses potentialités et de l’aider à surmonter ses difficultés.
Dans notre pays, le manque de structures et d’accompagnement scolaire des enfants surdoués laisse les enseignants en plein désarroi. Le système éducatif prévoit l’encadrement d’un certain nombre d’enfants en situation marginale, mais il méconnaît trop souvent le surdoué.

Faut-il nécessairement créer des structures scolaires spécifiques dédiées à ces enfants ?
Le système scolaire classique ne semble pas du tout adapté aux besoins de l’enfant surdoué. La grande majorité des parents enquêtés pensent que l’école est une « véritable galère pour les surdoués », et qu’il faudrait des écoles spécifiques avec des loisirs réguliers adaptés.
La quasi-majorité des parents déplore l’inaptitude de l’enseignement traditionnel à assurer le bon développement du potentiel des enfants surdoués, dans la mesure où il distribue un savoir standardisé, routinier et conventionnel, lequel ne semble pas aider les jeunes surdoués. Les parents dénoncent le système, comme le fit Albert Einstein des années auparavant. Le théoricien de la relativité avait lui aussi dénoncé avec une grande vigueur le rôle néfaste de l’enseignement traditionnel, qu’il accusait d’être un frein à la création spontanée et d’étouffer la curiosité pour la recherche.

Que deviennent-ils dix ans après la sortie du système scolaire ? Pouvez-vous nous décrire rapidement quelques parcours de vie ?
C’est un constat terrible, mais sortant du système scolaire, les surdoués s’évanouissent dans la nature. On perd leur trace, et leur échec d’insertion est souvent patent. Non reconnus, non insérés, non valorisés et surtout « sous-utilisés » par la société, ils rentrent dans le rang, sauf à développer un talent particulier (art, création…) qui sera reconnu… ou non. Cet échec n’est pas le leur ; il est institutionnel, social, et politique même.

En 2006, vous aviez déjà consacré un premier ouvrage à ces enfants (Les Enfants surdoués sont-ils condamnés à réussir ?) ; dix ans plus tard, vous revenez à ce sujet ; pourquoi ?
Mon premier ouvrage abordait les problématiques liées à l’enfant surdoué. Dix ans plus tard, ce second opus ouvre la réflexion sur les familles qui vivent au quotidien avec un enfant surdoué. Mon ambition a été de conduire une recherche spécifiquement sociologique du « surdouement » intellectuel, alors que ce domaine est plutôt le champ de prédilection de la psychologie. Ce travail, qui s’en démarque sans renier l’indéniable apport des approches psychologisantes, espère en ce sens être innovant. En tout cas, j’ai entrepris une démarche d’interprétation proprement sociologique dans la construction de l’objet, la problématisation et les méthodologies utilisées.
Ce travail s’est attaché à décrire précisément les processus sociaux par lesquels le « surdouement » intellectuel d’un individu est reconnu socialement, ainsi que les conséquences de cette reconnaissance sociale au sein de la sphère familiale. J’ai examiné les étapes et les tournants des parcours des parents dont l’enfant a été diagnostiqué comme surdoué, ainsi que leurs stratégies pour faire face à ce phénomène. Nous avons vu que les familles disposent de certaines compétences parentales dont ils vont se servir à bon escient pour permettre à l’enfant de s’épanouir et d’utiliser son potentiel intellectuel. L’étude a permis de montrer que la parentalité et la compétence parentale, loin d’être des données naturelles, résultent d’une construction, d’élaborations psychiques passant par des phases précises et repérables, qui requièrent un certain nombre de paramètres. Car devenir parents d’un enfant surdoué nécessite la mise en perspective d’un « travail » spécifique, qui peut, dans le meilleur des cas, aboutir à une expertise.
À partir des récits de vie des familles et de nombreux entretiens, j’ai analysé le processus que constitue l’activité de parents d’un enfant surdoué dans sa dimension temporelle. Ainsi, contrairement au cliché qui voudrait que tout lui réussisse, l’enfant surdoué se comporte souvent comme un cancre, une ancre tirant l’ensemble du navire familial vers le fond. Et c’est bien de naufrage, ou de galère, dont on peut parler pour certaines familles où l’enfant surdoué accapare à lui seul 80 % de l’attention et du temps de ses parents, au détriment de ses frères et sœurs.
Il ressort de ces parcours de vie l’évidente difficulté que représente la scolarité de l’enfant surdoué pour les parents. Notre société manque de structures scolaires, parascolaires et sociales adaptées à ces enfants « hors normes ». D’emblée, on peut noter un parallèle entre le « surdoué » et le « handicapé ». Que l’on soit doté d’un quotient intellectuel élevé ou, au contraire, que l’on soit relégué au bas de l’échelle, il en résulte, dans les deux cas, une difficulté à trouver sa place et à s’y sentir bien. Lorsque l’on n’entre pas dans un cadre préétabli et que les cursus, les besoins et les envies s’éloignent des données dites « traditionnelles », il devient difficile de trouver un équilibre. Les « scolaires politiquement corrects » semblent bénéficier de plus d’avantages. Certains surdoués semblent même résignés à ne pas faire de « vagues », à vouloir se « fondre dans le moule ». L’objectif étant de rester dans les élèves moyens pour ne pas être remarqué.
Percevant très rapidement les limites du pouvoir de l’Éducation nationale et du « savoir » de ceux qui rejettent l’idée même de don, les parents choisissent de collaborer avec ceux qui, tout en apportant leurs compétences, savent les comprendre. Il s’agit, par exemple, de certains psychologues, ou plus vraisemblablement d’autres parents d’enfants surdoués « passés par là ». Les parents apprennent leur nouveau rôle de parents d’enfants surdoués, qui se mobilisent, qui n’hésitent pas à déménager, à élaborer des stratégies.
Contre tout préjugé inclinant au fatalisme sociologique, les parents de milieux populaires s’intéressent autant que les autres à la scolarité de leurs enfants. Le simple fait d’avoir un enfant surdoué change la donne de départ. Certes, ils se distinguent par leurs manières spécifiques de pratiquer le suivi scolaire. Et le sentiment de rencontrer de réelles difficultés à faire face est très présent. Toutefois, les familles défavorisées comptant un surdoué jouent le jeu de l’alliance avec les enseignants et tentent de faire « bouger » les choses. Ces familles nous sont apparues pleines d’espoir, vigilantes, s’efforçant d’assurer à la maison une certaine continuité avec le travail de classe, allant souvent jusqu’à recourir à des stratégies « post-scolaires » permettant à l’enfant « d’obtenir sa nourriture intellectuelle ».

In fine, l’analyse a permis de montrer que les familles se battent pour trois enjeux.
Tout d’abord, elles désirent que soit donnée la priorité à la reconnaissance et au développement de l’enfant surdoué en tant que personne à part entière : privilégier la personne, cela veut dire la protéger de jugements hâtifs et biaisés, de préjugés qui contribuent à fabriquer le processus d’exclusion. Il s’agit alors pour les parents que soient contextualisées les évaluations dont l’enfant va être l’objet, que soient relativisées les exigences strictement scolaires de standardisation, de notation. Cette centration sur l’enfant surdoué suppose également que soient prises en compte les compétences et les possibilités réelles de celui-ci, et pas seulement ses déficiences. Cette attention privilégiée portée à l’enfant conduit même certains parents à se rendre plus attentifs au bien-être général de l’enfant, plutôt qu’à ses seules notes comme indicateurs de progrès.
Ensuite, ils veulent susciter l’implication des enseignants et, au-delà, de tous ceux qui peuvent contribuer à la réussite et au « mieux-être » de l’enfant : ils vont chercher par tous les moyens à obtenir l’attention et l’aide nécessaires à leur démarche.
Enfin, ils souhaitent obtenir la reconnaissance de leurs propres compétences, en tant que parents. En effet, ces parents doivent s’engager dans un processus complexe d’acquisition et de démonstration de leurs compétences, notamment auprès des enseignants. Les familles affirment ainsi la légitimité d’un droit de regard sur l’éducation d’un enfant qui n’est pas la propriété de l’institution. Les professionnels connaissent bien l’ambivalence de cette exigence : parfois, les parents attendent de l’institution et de ses professionnels une toute puissance réparatrice, et parfois, ils reprochent à ces mêmes professionnels leur omnipotence vécue comme intolérable.

J’espère que mon livre, qui fourmille de témoignages, d’anecdotes et d’analyses empiriques permettra aux parents, enseignants, éducateurs, de saisir cette question du « surdouement » dans sa fascinante complexité.

Enquête et requêtes

L’inspecteur ne risquait plus d’inspecter ; son cœur ne battait plus depuis de longues minutes. Nul n’aurait imaginé qu’un tel acte puisse se dérouler dans ce paisible collège rural comptant à peine quelques centaines d’élèves, et sur lequel la menace de fermeture planait sans cesse, comme une épée de Damoclès. Néanmoins, l’ambiance demeurait chaleureuse et l’équipe pédagogique prenait plaisir à enseigner au collège du Bois d’Ennuy. Rien ne laissait présager que le pire allait s’y produire ! Aucun indice n’avait mis en alerte cet inspecteur qui venait de perdre la vie. Il s’était vu confier depuis peu la charge d’inspecter les professeurs documentalistes après un pari perdu avec ses collègues… Ce matin-là, Michel Delaquiche avait quitté son domicile avec le sentiment que la routine allait encore dominer cette journée. Il espérait simplement que la professeure documentaliste, titulaire depuis peu, n’avait pas encore adhéré aux discours de l’Association professionnelle des professeurs documentalistes et qu’au contraire elle maîtrisait sur le bout des doigts les mots clés de la doctrine de l’Inspection générale. Il avait lui-même révisé la veille le mémento par acquit de conscience, même s’il devait bien avouer qu’il n’y comprenait pas grand-chose. Il s’en contrefichait pas mal d’ailleurs, d’autant qu’il était titulaire d’une agrégation qui faisait sa grande fierté et lui conférait le sentiment d’une certaine supériorité, renforcé par sa nomination en tant qu’inspecteur. Le guide-conseil des inspecteurs était accompagné d’une grille simplifiée qui permettait de juger rapidement de l’efficacité et surtout de la conformité de l’enseignant inspecté. La consigne était de mettre en avant toutes celles et ceux qui portent bien haut l’étendard de la doctrine de la politique documentaire, même si personne n’y a jamais vraiment rien compris, et encore moins les concepteurs vu leurs faibles savoirs bibliothéconomiques… Bref, cela devait être une inspection des plus classiques, suivie d’une visite de l’établissement, et d’un échange avec le directeur conclut par un repas dans une cantine scolaire. Il aurait d’ailleurs aimé inspecter les cantines, il s’y sentait plus compétent qu’en matière de documentation !
Mais voilà. Arrivé à 9 h 30, l’inspecteur Delaquiche avait été retrouvé mort quelques heures plus tard dans la petite annexe du CDI qui servait de réserve, mais aussi de lieu de rigolade entre professeurs et surveillants désœuvrés. Les circonstances du meurtre restaient obscures. Les spéculations allaient bon train. On évoquait un acte terroriste du Front de libération de la documentation qui faisait suite à une série d’actes marquant une montée en puissance de la violence revendicative : enfarinage, banderoles au rectorat, intervention nue durant une conférence à la Dgesco… Le FLD avait-il franchi un pas irrémédiable ? Les autorités de l’Éducation Nationale étaient bouleversées et les médias cernaient désormais le collège du Bois d’Ennuy. Les rumeurs d’un serial killer enflammaient les réseaux sociaux tandis que le policier municipal Mael Vildiwet paniquait.
Plusieurs suspects se dessinaient, et en premier lieu, la professeure documentaliste, Madame Candida Ktiq. Elle était celle qui avait passé le plus de temps avec l’inspecteur. Circonstance aggravante : la présence dans le cartable de la jeune titulaire d’un livre d’Anne Cordier, auteure souvent citée par la rébellion… Était-elle membre du FLD ?
Le principal Jean-Pierre Leglou était également entendu, la secrétaire ayant affirmé que les deux hommes s’étaient disputés à la suite de l’inspection. Le principal prétendait qu’il avait défendu le travail de la professeure documentaliste, alors que l’inspecteur n’avait pas trouvé de motif de cocher une seule de ces cases de sa grille des bons éléments.
Le cuisinier Pierrick Hollande fut à son tour soupçonné : susceptible, il n’avait pas du tout apprécié les critiques de l’inspecteur qui trouvait que le hachis parmentier était loin d’égaler celui de sa chère épouse.
Un élève de troisième, amoureux de la professeure documentaliste, n’avait pas apprécié une remarque de l’inspecteur… Il n’était pourtant pas jugé violent, mais on estimait qu’il avait pu être aidé dans son terrible dessein par Dylan Babluche, toujours dans les mauvais coups, surtout depuis la ténébreuse affaire des casiers transformés en urinoirs.
Le collègue de lettres modernes était interrogé car, en tant que responsable syndical, il avait un jour allumé un fumigène suite à une grève devant le rectorat.
Tout comme la collègue de sciences physiques, dont l’état mental constituait depuis longtemps une menace pour l’ensemble du collège, et qui finirait bien un jour par tuer quelqu’un, même si personne au rectorat n’avait jugé qu’elle présentait un risque majeur…
Au final, les suspects potentiels ne manquaient pas. Il restait à trouver l’arme du crime, car la police n’avait pour l’instant pas voulu en dire plus, ni sur cette arme, ni sur les deux surveillants venus dans l’annexe et qui avaient découvert le corps inanimé.

Un bien terrible scénario, qui permet d’imaginer le décorum et l’organisation d’une formidable murder party dans votre CDI, entre enquête et requêtes ! Quoi de mieux qu’un Cluedo géant pour valoriser le fonds de votre CDI en faisant participer vos élèves à une enquête dans laquelle l’inspecteur Delaquiche a pris la place du colonel Moutarde ?
À vous de transformer ou adapter l’histoire selon votre besoin. Je vous laisse quelques éléments complémentaires pour formaliser votre futur événement, mais ce sera à vous de jouer et de planifier en fonction de vos ressources, des lieux et de votre imagination.

Pourquoi organiser un tel événement ?

La mise en place d’une murder party fait partie des événements qui sont parfois organisés dans des lieux comme les bibliothèques pour présenter la structure sous un jour nouveau et faire venir d’éventuels nouveaux publics. Alors, pourquoi ne pas tenter d’en faire autant au CDI ?
Le but est d’en profiter pour exploiter les capacités de vos élèves en matière de raisonnement et d’analyse d’information. C’est également l’occasion d’écrire une belle histoire ! En effet, on oublie souvent que le mot histoire vient d’historiae qui, en grec, signifie enquêtes.
La piste proposée est celle d’un jeu dont la philosophie est proche du fameux Cluedo, mais qu’il est opportun d’adapter à un contexte particulier. Il convient d’imaginer les règles de résolution des enquêtes pour en inventer de nouvelles qui permettent de développer quelques compétences, notamment informationnelles.

Comment procéder ?

Un tel événement nécessite un chef d’orchestre, en l’occurrence vous. Mais pour assurer une réussite complète, un travail collaboratif sera le bienvenu.
Dans le principe de base, il vous faut créer les personnages. Il existe plusieurs outils qui peuvent vous permettre de générer ce qu’on appelle des personas dans les domaines de l’UX design par exemple. La plupart des applications sont en anglais, mais on peut s’amuser à puiser des photos de personnages1.

Pour le reste, tout va dépendre de l’ambition du projet. Soit vous restez dans une perspective de jeu de rôle simple et vous réalisez votre jeu à la manière du Cluedo, avec un plateau et des cartes. Il faut alors représenter les principales pièces du jeu sur le plateau, préparer les cartes des personnages

principaux, qui sont aussi les suspects, et établir des règles de déplacement. Dans le Cluedo, suspects et enquêteurs sont les mêmes personnes car il s’agit d’un huis clos. Rien ne vous empêche d’être plus original. Vous pouvez alors créer des groupes d’enquêteurs pour pouvoir faire jouer toute une classe ou même plusieurs classes en même temps.
Une autre possibilité est de faire jouer les rôles par de véritables personnes, élèves ou personnels. Il est aussi possible d’imaginer des solutions hybrides ou alternées. Le plus important réside dans la création des cartes indiciaires. Elles vont vous demander un peu de temps de travail, mais c’est la solution idéale pour faire de votre murder party une véritable enquête pleine de requêtes…

Que mettre en valeur ?

Ici, tout va dépendre du degré d’ambition choisi par rapport aux règles du jeu. Dans l’idéal, il faut envisager qu’en tant que maître du jeu, vous ayez laissé des indices. Indices qui doivent être retrouvés grâce aux capacités des élèves à analyser l’information. Le but est alors de placer ces indices de façon à obliger les élèves à rechercher l’information, et surtout à l’analyser. Dans l’idéal, il faut cacher des indices dans des documents du CDI que vous aurez choisis soigneusement pour l’occasion : par exemple, en citant une phrase d’un livre qui donne des éclaircissements sur le coupable. Cela implique évidemment que vous ayez une certaine connaissance de votre fonds. Le but des phrases est de donner des indices sur des éléments descriptifs de vos personnages, notamment en obligeant les élèves à distinguer leur genre, des éléments physiques, des indices professionnels, etc.
Si vous désirez prévoir plusieurs versions potentielles du jeu, et donc différents coupables ou victimes, il est préférable de procéder avec une carte mentale sur laquelle vous noterez tous vos personnages et les cartes qui peuvent s’y rapporter.

Voici quelques exemples d’indices pour votre jeu :

● Des cartes avec des éléments textuels ou photographiques à interpréter. Des couvertures d’ouvrage qui sont au CDI par exemple.
● Des cartes avec des cotes et un numéro de page et de ligne. Aux élèves d’interpréter ce que cela signifie et d’aller consulter et analyser la ressource. L’indice Dewey devient ici un indice pertinent en matière d’enquête.
● Des cartes avec des url. Vous pouvez créer un site simple type tumblr avec de courts textes ou des photos, voire des sons et des vidéos. Le but est de les obliger à interpréter.
● Des cartes qui renvoient à des ressources qui comportent des informations fausses… car le créateur n’est pas digne de confiance ! Là, il faut donner une courte information, mais une légende écrite en plus petit et qui comporte des informations absurdes. Vous pouvez aussi faire le choix d’inscrire l’information et la légende directement sur la carte.

Quelles compétences à développer pour les élèves ?

J’ai évoqué le fait de vous placer en tant que maître du jeu. Je n’ai pas évoqué l’hypothèse co-constructive qui consiste à créer le jeu avec les élèves, et donc de leur faire imaginer les cartes, et notamment les indices. L’avantage est de faire travailler les élèves avec les ressources, et qu’ils vont devoir réfléchir à la fabrication d’indices. Même chose en matière de recherche d’informations et d’images pouvant constituer des indices à interpréter.

Dans tous les cas de figure, il faut prendre le jeu comme un moyen de travailler les compétences informationnelles, notamment en matière d’analyse documentaire, car le but est bien d’élucider une affaire en s’appuyant sur des documents. C’est à ce niveau qu’il faudra travailler pour rendre le jeu intéressant.
C’est aussi un bon moyen de pouvoir exprimer des cheminements déductifs. Dans ce cadre, il peut être opportun d’envisager de faire créer par les élèves des cartes de scénario qui les obligent à noter les étapes successives menant au coupable. C’est un bon réflexe qu’ils pourront peut-être réinvestir en matière d’évaluation de l’information. Le Cluedo permet de travailler à partir d’un tableau où il est possible de cocher les éléments clés en fonction des réponses. Il semble opportun que ce soient les élèves qui fabriquent eux-mêmes leurs outils d’investigation.

Éléments de jeu

Les personnages

Michel Delaquiche. 52 ans, agrégé, inspecteur vie scolaire depuis 3 ans dans l’Académie. Petite moustache fine, légèrement dégarni. Il est la victime du jour.
Le principal, Jean-Pierre Leglou. Jeune principal dynamique qui veille au bon fonctionnement de son établissement et à l’équilibre de son équipe. Très tenté par les services innovants, il cherche à dynamiser les cours et la transmission des connaissances au prix d’une certaine naïveté parfois.
La professeure documentaliste, Candida Ktiq. Elle suit régulièrement les échanges sur les listes de diffusion, est également présente sur Twitter où elle suit les personnes importantes des domaines professionnels et des thématiques qui l’intéressent, mais elle n’y communique plus, préférant se montrer discrète suite aux conseils de ses collègues davantage avancées dans la profession. Elle connaît parfaitement son fonds, notamment la littérature jeunesse qu’elle lit pour son travail- du moins c’est ce qu’elle dit à ses collègues d’autres disciplines- et a relu plusieurs fois tous les Harry Potter, et d’autres séries pour adolescents. Elle aimerait bien écrire comme Marie-Aude Murail. Rien ne semble indiquer qu’elle soit membre du Front de Libération de la Documentation.
Le professeur de mathématiques, Nicolas Lagratte. 47 ans, divorcé. Aime les mathématiques, mais a depuis trop longtemps décroché pour espérer passer l’agrégation. Il se résout à faire des heures supplémentaires pour agrémenter son ordinaire, ce qui ne l’empêche pas de militer fortement pour une hausse des moyens.
Le professeur d’Histoire, Laurent Peiresc, est bien plus passionné d’Histoire que de pédagogie ; il adore étudier l’Histoire régionale et les grands explorateurs. Il collectionne des objets tel un érudit en quête de nouvelles pièces pour son cabinet de curiosités. Il a mal supporté sa dernière inspection qui avait recensé de nombreuses critiques sur sa manière de faire cours.
Le professeur de lettres modernes, François Villion, est responsable syndical et se montre toujours revendicatif pour défendre ses collègues et ses droits à la retraite. Tout projet de réforme est son type de lecture favorite. Il a même constitué une anthologie de la bêtise des réformes. Il est d’ailleurs toujours contre. Il utilise toujours les mêmes arguments qui sont consignés sur une seule page qu’il a affichée sur la porte intérieure de son casier.
Le professeur de technologie, Jean-Michel Gérard. Il déteste les autorités supérieures, surtout celles qui renouvellent sans cesse les programmes, l’obligeant à revoir ses cours alors qu’il préférerait bricoler chez lui.
La professeure de sciences-physiques, Gisèle Chotte, a des sautes d’humeur incontrôlables. On ne sait si ses médicaments ne font plus effet, ou si elle a arrêté de les prendre. Tout le monde la craint. Le principal ne sait comment procéder, et espère un congé maladie longue durée car l’expertise psychiatrique n’a révélé qu’un danger potentiel mineur. Pourtant ceux qui la côtoient au quotidien craignent l’accident irrémédiable.
La professeure de français, Amélie Pingeot. Certifiée depuis 5 ans, elle est très amie avec la professeur documentaliste. Dynamique, sympathique et plutôt jolie, elle est appréciée de tous et particulièrement des élèves. Elle a repoussé de façon subtile les tentatives de séduction de Lagratte.
Le jeune professeur d’EPS, Mathieu Bruel, attire tous les regards. Séduisant, il fait rêver les jeunes élèves, mais aussi les plus anciennes de ses collègues qui s’imaginent alors en héroïne improbable d’un ouvrage digne des Arlequins entreposés dans la réserve du CDI. La rumeur dit qu’il aurait séduit toutes les plus belles filles du bassin. Il ne dément pas les rumeurs, même si elles sont pour la plupart infondées.
L’agent de service, Stéphane Lamasse, est fort sympathique et secrètement amoureux de la professeure documentaliste. Régulièrement critiqué par la gestionnaire pour son manque de rigueur et d’application, il a également tendance à s’énerver… Il a toujours peur de ce qui relève de la hiérarchie.
La gestionnaire, Danielle Ceinture, veille au grain pour qu’aucune dépense superflue ne soit réalisée. Raffole des chocolats et autres gourmandise, s et se montre incapable de supprimer la crème fraîche de ses plats, ce qui lui vaut un surpoids qui n’est pas aussi léger que le prétendent les crèmes qu’elle utilise. Tente de faire des bonnes affaires pour améliorer l’ordinaire des repas à la cantine, mais sans grand succès parfois. Elle permet l’utilisation d’une partie des queues de budget à « Madame CDI » qui lui fournit toujours des listes de commande parfaitement remplies avec les bons ISBN.
Le cuisinier, Pierrick Hollande, n’a jamais voulu changer de nom malgré une homonymie handicapante. Il sait soigner ceux qui apprécient sa cuisine, notamment le professeur d’Histoire qui bénéficie d’une double ration que ses collègues nomment la plâtrée Peiresc. Il est fier de toutes ses préparations, même si certaines ne font pas l’unanimité, ce que peu osent lui dire de peur de le froisser. Dragueur maladroit, ses collègues lui ont décerné le « Jean-Claude Düss d’or » l’an passé.
L’élève Dylan Babluche, qui est depuis trop longtemps dans l’établissement, régulièrement pénible et insolent, mais qu’on finit parfois par trouver sympathique en se disant que sans lui, le collège ne serait pas tout à fait pareil. La moindre affaire lui est imputée, ce dont il tire une certaine fierté, incarnant le bouc émissaire idéal.

Les armes

Les établissements scolaires recèlent des éléments dont la dangerosité est parfois insoupçonnée.
L’étagère mal vissée au sol, dans la réserve. Elle est un peu bancale, surtout depuis qu’il devient difficile de procéder à des désherbages du fait de collègues bibliophiles et sentimentalistes. En métal peint, bien que cela commence à s’écailler, elle a vécu les années quatre-vingt du CDI, mais peut constituer une arme redoutable si elle tombe sur un protagoniste peu prudent.
La bande magnétique d’une vieille VHS. L’ancienne professeure documentaliste, partie à la retraite, était surnommée Mamie Magnéto car elle enregistrait toutes les émissions de télévision que lui demandaient ses collègues. Elle anticipait d’ailleurs parfois leurs demandes. Une bonne partie de la collection a été mise à la poubelle, mais il subsiste encore, à titre d’exemples, un vieux carton de VHS. Un vieux magnétoscope permettrait à un archéologue des médias de pouvoir faire une démonstration en espérant qu’il ne tombe pas sur l’enregistrement du film de Canal + planqué dans les collections par un ancien collègue. La bande magnétique vidéo reste suffisamment solide pour pratiquer une strangulation rapide.
Une vieille Dewey poussiéreuse. Elle pue, et le simple fait de la consulter fait risquer à celui qui la consulte une crise d’asthme. Son poids en fait une arme redoutable capable d’assommer le plus adipeux des principaux.
Le rapport d’un inspecteur général à la retraite, zébré de passages en fluo, soulignés par une professeure documentaliste stagiaire zélée. L’encre contient des toxines du fait d’un vieillissement prématuré qui a généré des champignons microscopiques. La gestionnaire avait utilisé des cartouches avec de nouvelles encres à des prix incroyables… seulement elle ignorait qu’elles présenteraient un danger potentiellement mortel une dizaine d’années plus tard, surtout pour le malheureux qui commettrait l’erreur de tourner les pages en mouillant son doigt.
Le vidéoprojecteur. Redoutable moyen de vous faire parler en mode torture, il se transforme en arme absolue d’un violent coup sur la tête. Et puis, lorsqu’on ne parvient pas à basculer sa présentation sur le grand écran au prix de moult tentatives de configuration, il reste le cordon qui peut aisément remplacer, niveau strangulation, la bande de la vieille VHS…
Le film adhésif ou filmolux. Outil précieux pour assurer une durée de vie plus longue des ouvrages du CDI, il peut se révéler un terrible moyen pour raccourcir des existences en l’utilisant comme bande asphyxiante.
À cet arsenal peuvent s’ajouter des armes plus classiques : les ciseaux, le cutter du cdi, le massicot… vous ne le saviez pas, mais vous vivez dangereusement !

Les lieux

Lieu du meurtre, lieux d’enquêtes et lieux qui révèlent des indices. C’est ici que se jouent les investigations. Quelques endroits qui paraissent incontournables.
Le CDI, bien sûr, et notamment sa réserve. Quand il en existe une… Mais il y a toujours un recoin qui pourrait correspondre à cet espace où nous avons situé le meurtre de notre histoire.
La salle des profs. Les plus sombres histoires y circulent comme les plus banales. Un lieu incontournable pour toutes les rumeurs.
La salle multimédia. Tout le monde se bat pour l’avoir ! Pourquoi ne pas y situer le fameux vidéoprojecteur ?
Le bureau du principal. On sait que, quand on y entre, on n’est pas certain d’en sortir dans le même état.
La cantine. On ne sait pas toujours ce qu’on fait entrer dans notre estomac, ni si on va s’en sortir mieux que dans le bureau du principal. À noter que c’est un espace nullement pacifique : couteaux, fourchettes, assiettes, il y a de quoi nourrir bien des chefs d’inculpation.
La cour. On y voit bien plus les élèves que les profs, mais l’improbable y est toujours possible. On y a même vu un iguane (anecdote authentique).

Maintenant, À VOUS DE JOUER ! et surtout… amusez-vous ! N’oubliez pas qu’il ne s’agit que d’une fiction.

Wilfrid Lupano

Nina Da Rocha-Huard : Quel élève étais-tu ?
Wilfrid Lupano : Jusqu’au collège, j’étais un élève agité et bagarreur. Puis j’ai fait les bonnes rencontres : une bande de copains plus calmes, avec qui j’ai découvert les jeux de rôle. C’est par les jeux de rôle que je suis devenu un gros lecteur, un type curieux, et que j’ai fait mes premiers pas de scénariste. Le goût de la narration m’est venu à ce moment-là. Au collège et au lycée, je travaillais peu, je surnageais sans bosser, car j’ai une mémoire d’éléphant. C’était pratique, mais il y a un revers à la médaille : je n’ai pas appris à travailler. C’est en fac que j’ai du apprendre, et ça n’a pas été facile !

Quel genre de BD aimais-tu lire collégien, puis lycéen ?
Je lisais beaucoup de BD. D’abord, chez moi, il y avait tous les classiques « gros nez », Asterix, Gaston, Achille Talon, etc, parce que mes parents les achetaient. Puis mon frère s’est passionné pour les super-héros, et j’ai beaucoup lu avec lui. Je lisais aussi beaucoup de BD à la bibliothèque. Notamment quand j’allais en week-end chez mon père. Il tenait un bar et, la journée, il n’avait pas beaucoup de temps à nous consacrer. Alors mon frère et moi allions à la bibliothèque, et on lisait des BD. Je me demande si on n’a pas lu toutes les BD de la bibliothèque de Tarbes, à l’époque ! Au début, on lit ce qu’on aime, et puis au bout d’un moment, on lit les trucs qui restent… Et parfois, là-dedans, il y a des merveilles qu’on ne soupçonnait pas.

Quels souvenirs artistiques et littéraires gardes-tu du collège et du lycée ?
Assez peu. À mon époque (les années 80, quoi…), on ne faisait pas tous ces trucs super chouettes que je vois aujourd’hui dans les collèges et les lycées : les projets culturels, les rencontres, les sorties… Je n’ai jamais fait de voyage scolaire. Paradoxalement, je garde le souvenir d’un prof d’arts appliqués qui tentait de nous faire faire de la BD au collège, à l’époque où ma seule vraie passion, c’était de rendre mes profs chèvres. Il a beaucoup souffert de m’avoir dans sa classe. Je m’en excuse rétrospectivement.

Sur quoi travailles-tu en ce moment ?
Je travaille sur un scénario qui va parler de livres et de mules… Désolé, je ne parle jamais de mes travaux en cours.

Quand tu crées une BD, penses-tu à son impact sur les lecteurs ? Cela influence t-il ta façon de créer ?
Disons que j’espère qu’elle aura un impact. Je fais chaque album pour ça. J’essaye de trouver le savant dosage entre le fond et la forme, le divertissement et la réflexion. Mais les lecteurs me surprennent toujours dans leur façon d’accueillir les livres auxquels je participe.

Qu’aimes-tu dans les échanges que tu as avec les élèves?
La plupart du temps, on se dit les choses très franchement avec les élèves. J’aime bien l’idée que, dans une classe, certains ont aimé mon travail, d’autres s’en fichent, et certains le trouvent naze, probablement. Ce n’est pas comme en festival ou en librairie, où on rencontre en général un public d’emblée plus convaincu. Durant les échanges avec les élèves, on se bouscule mutuellement. Moi, je suis parfois décontenancé par leur façon de comprendre mon travail, par leurs remarques, et eux, je sens qu’ils le sont aussi quand je leur explique quelle a été ma démarche. Je sens aussi qu’après la rencontre, certains relisent les livres différemment. Pas seulement mes livres, mais tous les livres. Et ce n’est pas spécialement moi qui produit cet effet : c’est la rencontre avec un auteur, quel qu’il soit.

Les rencontres que tu fais avec les élèves t’inspirent-elles?
Oui, d’une certaine façon, car en comprenant mieux comment mon travail est perçu par les autres, je pense que j’écris différemment.

Que pensent les élèves que tu rencontres de tes albums?
C’est très varié. Comme souvent, on entend plutôt ceux qui ont aimé, c’est normal. C’est difficile, lorsqu’on est jeune, de prendre la parole devant un auteur pour faire une critique négative de son travail. Mais ça arrive. En général, ils aiment bien mes bouquins, mais ont du mal à les décrypter totalement. Mes commentaires les interpellent, souvent. Ceci dit, ils n’ont pas l’habitude de l’analyse littéraire sur ce type de livre, c’est donc normal. En général, la BD, ils en lisent, mais ils ne réfléchissent pas dessus comme on leur demande de le faire avec du roman.

Quelles questions te posent-ils le plus souvent?
Les questions les plus récurrentes sont celles concernant mon métier : comment je me suis retrouvé à faire ça, est-ce que je gagne bien ma vie, le temps que me prend l’écriture d’un scénario, etc. Et aussi, pourquoi je ne dessine pas moi-même !

À ton avis, la BD souffre t-elle encore de stéréotypes négatifs ?
Oui, forcément, mais les choses bougent assez vite. On manque surtout d’information, de formation des enseignants. L’analyse de l’image reste marginale dans le système éducatif. Cinéma, BD… ce qu’on appelle la narration séquentielle, ou narration graphique. Un jour viendra, où un album de BD sera au programme. Certains le méritent !

Si tu étais enseignant, comment travaillerais-tu avec la BD à l’école? Quelle exploitation en ferais-tu?
La BD a beaucoup évolué ces dernières années. Aujourd’hui, elle a toutes les audaces, aborde tous les sujets. Elle nous explique même la science ! La BD est souvent une excellente entrée en matière, par son caractère bref, percutant, souvent drôle, souvent impertinent. On y pose souvent les bonnes questions. Si on prend Calvin et Hobbes, de Bill Watterson, je pense qu’on peut aborder absolument tous les thèmes de philosophie du programme du bac par le biais de cette BD, qui dit souvent de manière très simple et très drôle ce que certains philosophes disent de façon un peu nébuleuse.

Quelle serait selon toi la bibliothèque de BD idéale pour les élèves du secondaire ?
Trop vaste sujet ! Je n’aime pas trop donner des listes de lecture. Quelques classiques cependant, quand même, du genre Calvin et Hobbes, Maüs, et quelques titres plus récents, comme Les Rêveurs lunaires, de Villani et Baudouin, ou Là où vont nos pères, de Shaun Tan. Mais je fais confiance aux profs et aux documentalistes pour ça !

Les jeunes lecteurs apprécient particulièrement les mangas ; en lis-tu ?
Assez peu. Mais c’est surtout par manque de temps. Il y a des choses extraordinaires, dans le manga. Je suis surtout étonné quand je rencontre des jeunes lecteurs qui me disent d’abord qu’ils ne lisent pas de BD, puis qui s’avèrent être des gros lecteurs de manga. Et quand je leur rappelle qu’ils ont affirmé ne pas lire de BD, ils me répondent que le manga, c’est pas de la BD. Ah bon ? C’est quoi ? Ça m’arrive pratiquement à chaque rencontre.

Que lis-tu en ce moment ?
Je viens de terminer Darwin et les Grandes énigmes de la vie, de Stephen Jay Gould, et je commence Fragiles ou contagieuses, le pouvoir médical et le corps des femmes, de Barbara Ehrenreich et Deirdre English. Je ne lis pas de BD en ce moment, car je suis en voyage, et en voyage je prends des livres petits avec beaucoup de pages, pour des histoires de place et de temps de lecture. Mais quand je rentre, je vais me jeter sur Le Mystère du monde quantique, de Mathieu Burniat et Thibault Damour, aux éditions Dargaud ; une super BD qui va tout m’expliquer sur la physique quantique (mon rêve !).

Merci à Wilfrid Lupano pour ses réponses !

PMB à Istanbul

Des établissements bien particuliers : aperçu

Le logiciel PMB est installé dans cinq établissements francophones d’Istanbul. Attention, il ne s’agit pas de lycées français à l’étranger relevant de l’AEFE, comme le lycée Pierre Loti d’Istanbul resté fidèle à BCDI. Implantés depuis plus d’un siècle, ces établissements d’Istanbul ont des parcours atypiques et une identité bien particulière, pas si facile à cerner.
Leurs noms intriguent et nous transportent d’au moins un siècle en arrière : le Lycée Saint-Benoît fut implanté à Istanbul en 1783, le Lycée Sainte-Pulchérie en 1846, le Lycée Notre-Dame de Sion en 1856, le Lycée Saint-Joseph en 1857 puis en 1870 sur la rive asiatique, le Lycée Saint-Michel en 1886. De français, ils ont le titre, un passé, leur directeur, des cours et un peu plus de la moitié des ressources des médiathèques. Quelques professeurs (détachés ou en contrat local) viennent de France, et dans certains établissements il reste des religieux en retraite. Mais leurs élèves sont à 99 % de nationalité turque, les programmes sont validés par le ministère de l’Éducation turque et la langue d’Atatürk domine dans les couloirs. Les contraires semblent s’y rencontrer, comme c’est de règle à Istanbul. Dans une des médiathèques se font face une statue de Mustafa Kemal et une statue de Saint-Joseph.
Ces établissements privés ont connu bien des vicissitudes. Quand éclate la Première Guerre mondiale, ils appartiennent au camp des ennemis de la Turquie et ils ferment le temps du conflit. L’arrivée d’Atatürk au pouvoir, dans les années vingt, les force à des changements radicaux. La loi sur l’unification de l’enseignement, ratifiée en 1924, qui rattache toutes les écoles au ministère de l’Éducation nationale turc, va avoir des conséquences très concrètes sur ces établissements. Une loi de 1931, interdit aux étrangers de gérer des classes de primaire, les écoles étrangères pour enfants ferment donc leurs portes. En 1935 une nouvelle loi impose la laïcité. Crucifix, offices, enseignements et habits religieux disparaissent, non sans résistance. Pour garder leur soutane, des frères préfèrent quitter le pays. Sœur Emmanuelle qui exerça quelques années au lycée Notre-Dame de Sion, confia plus tard combien le passage chez le tailleur suscita à la fois larmes et rires. Les programmes sont aussi affectés : les cours d’Histoire, de géographie, de turc doivent être dispensés en langue turque et exclusivement par des enseignants turcs. Enfin le poste de directeur adjoint revient obligatoirement au titulaire d’un passeport turc… Autant de mesures toujours en vigueur. Depuis 1991, les cours de philosophie sont prodigués en turc mais les mathématiques, la biologie, la chimie ou la physique peuvent être enseignées en français.
Plus récemment, en 1998, une loi a rattaché le collège à l’enseignement primaire. Comme la loi sur l’éducation nationale de 1931 interdit aux étrangers de gérer des écoles primaires en Turquie, les classes de collège ont fermé. Devenus exclusivement des lycées, la première année est consacrée à l’apprentissage intensif du français puis suivent quatre années de scolarité bilingue français-turc où les élèves diplômés obtiennent l’équivalence du Baccalauréat français. Actuellement, ces lycées agissent sous le contrôle du Ministère de l’Éducation nationale turc, mais ils dépendent aussi de leur congrégation d’origine comme les frères Lazaristes pour Saint-Benoît ou les frères des écoles chrétiennes pour Saint-Joseph et Saint-Michel.
Ces établissements qui naviguent sur des eaux instables et complexes restent néanmoins des institutions bien solides d’Istanbul. Ils sont connus, reconnus et prestigieux. Les places dans ces classes sont rares, prisées et chères ; ils préparent les rangs d’une partie des élites économiques et culturelles du pays. Les bâtiments qui les abritent sont remarquables, bien entretenus et constamment rénovés.

Dans ce contexte, les médiathèques ont aussi bénéficié d’une attention particulière. Jusqu’à la fin des années 1990, ces lycées proposaient plus des bibliothèques que des CDI. Autour de l’an 2000, de spectaculaires rénovations, de nouveaux personnels avec des professeurs documentalistes venus ou formés en France, donnent aux médiathèques de nouvelles impulsions. L’informatisation des catalogues devient prioritaire. BCDI est largement adopté.
Parallèlement, des services informatiques voient le jour, sous le contrôle d’une organisation centrale appelée « la fédération informatique » dirigée par un informaticien attaché au Lycée Notre-Dame de Sion, Patrick Baudet. Tous les établissements relèvent de son autorité, mais au fil des ans certains renonceront à cette tutelle. Le Lycée Saint-Michel qui prendra assez vite son indépendance et le Lycée Saint-Joseph en 2014. La fédération informatique, dirige donc depuis le Lycée Notre-Dame de Sion, les informaticiens en fonction dans chaque établissement. Cette direction a deux credos : privilégier le libre accès et harmoniser les systèmes. Ainsi tous les réseaux sont sous Linux !
En 2006, lorsque le logiciel de Poitiers change de modèle commercial, toutes les médiathèques d’Istanbul n’ont pas encore adopté un catalogue en ligne. À partir du 1er janvier 2006, BCDI est donc proposé sous forme d’abonnement, les mises à jour deviennent payantes. Le débat qui agite la France sur cette nouvelle formule arrive aussi à Istanbul. Un autre logiciel documentaire, PMB, agite les esprits. Or, au cœur historique d’Istanbul, au pied de la tour de Galata, PMB est déjà là !

Le choix de PMB

Bien invisible aux yeux des touristes qui arpentent le quartier, dans la rue escarpée de la Tour de Galata, le couvent des Dominicains abrite une bibliothèque. Entre 2007 et 2010, une jeune documentaliste, Céline Roland informatise ce fonds. Elle a choisi PMB, installé ce logiciel et conçu un thésaurus spécialisé sur le dialogue inter-religieux. Céline travaille comme VSI, Volontaire de Solidarité Internationale. Elle partage son temps de travail entre ce couvent et le Lycée Notre-Dame de Sion.
Aussi, lorsque les informaticiens et les professeurs documentalistes s’interrogent sur le choix du catalogue pour leur médiathèque scolaire, elle évoque tout naturellement le logiciel PMB qu’elle pratique au quotidien.
À l’époque trois logiciels se distinguent : Koha, BCDI et PMB. Le premier est vite écarté, on estime son installation trop complexe. BCDI, en place presque partout, fait figure de favori, et en juin 2006 des professeurs documentalistes reçoivent même une formation de deux jours à BCDI3. PMB arrive en outsider…
Le leader de la fédération informatique impose d’emblée une condition : peu importe le logiciel, mais qu’il soit identique partout ! Il cherche avant tout une solution globale. Cependant son cœur penche pour PMB, d’abord parce qu’il croit en et promeut les logiciels libres, et ensuite parce qu’il sait qu’il pourra compter sur l’expertise de Céline Roland. L’argument financier compte sans être décisif, ces établissements ont en effet les moyens de souscrire aux abonnements de BCDI. Il décide de tester PMB à Notre-Dame de Sion avant d’imposer un logiciel. Les tests se déroulent en juin-juillet 2010. La base de PMB, dite PMB Bretagne déjà paramétrée par les professeurs documentalistes de l’enseignement privé breton, est installée pour le fonds de la médiathèque. L’équipe des professeurs documentalistes de Notre-Dame de Sion comprend aussi Ece Sutra, qui a un solide bagage scientifique ; elle participe aux tests et parle le même langage que les informaticiens. Les plus grosses difficultés concernent les champs personnalisés et l’encodage des caractères, PMB manquait de familiarité avec l’alphabet turc (UTF-8). Les informaticiens mettent au point les paramétrages pour leur serveur. Assez rapidement ces tests s’avèrent concluants et les informaticiens de Notre-Dame de Sion décident de franchir le pas. Ils présentent à chaque direction la solution PMB comme fiable et ce passage est validé par les directeurs. PMB sera donc le logiciel documentaire de tous les établissements qui relèvent de la fédération informatique (tous les lycées sont donc concernés, sauf Saint-Michel). Cette décision est communiquée aux professeurs documentalistes de chaque établissement en septembre 2010 et les laisse un peu interloquées… Certaines font part de leur étonnement. Elles ne remettent pas en cause le logiciel, mais la méthode agace… pas facile d’accepter des modes de gestion verticale. Et puis, elles posent une question clé : quel thésaurus sera intégré ? Motbis n’est pas installé dans PMB.
Pour atténuer la surprise, une réunion est organisée avec les parties prenantes. À cette occasion, il est décidé que rien ne se fera dans la précipitation et que chaque professeur documentaliste aura toute latitude pour adopter PMB à son rythme, selon le calendrier de son choix. Cet engagement sera respecté.

La mise en place

Tout commence par un bon nettoyage ! Les bases BCDI sont revues avec soin. Dans deux établissements le passage va se faire en douceur. Pour Notre-Dame de Sion, l’essentiel du travail est effectivement déjà fait ; Céline Roland joue un rôle primordial, tout comme Ece Sutra, qui comprend la logique et la technicité du logiciel. Depuis le départ d’Istanbul de Céline Roland en juin 2015, Ece Sutra est restée la professeure documentaliste ressource sur PMB.
Au Lycée Saint-Joseph, où BCDI est en service depuis 2002, le transfert vers PMB se déroule aussi en décembre 2010 sans heurts. Il bénéficie de la procédure testée et mise au point par Notre-Dame de Sion. Ensuite, il profite des compétences d’une autre VSI à la patience infinie : Émeline Gergaud, documentaliste de formation spécialisée en informatique documentaire. Durant son parcours professionnel, elle a mis en place un intranet, lancé des informatisations et elle connaît bien les bases de données relationnelles et internet (SQL et PHP). En 2009, elle prend trois années de disponibilité pour partir en coopération à Istanbul. Son contrat concerne le Lycée Saint-Joseph avec une journée et demie consacrée à la bibliothèque des Dominicains pour prendre la suite de Céline Roland qui travaille désormais à plein-temps à Notre-Dame de Sion. Aux Dominicains, elle prend en main PMB et va même plus loin, puisqu’elle installe aussi, sur son temps libre, ce logiciel dans une autre bibliothèque d’Istanbul, celle des Franciscains, et commence l’informatisation.
Au Lycée Saint-Joseph, elle va coordonner la mise en place de PMB Bretagne, le transfert de plus de 15 000 notices, et assurer la formation des deux professeurs documentalistes en poste. Le plus délicat concerne l’encodage des caractères… Pour chaque mise à jour du logiciel, les caractères turcs (UTF-8) posent problème. Dans ces cas-là, l’aide vient des ressources en ligne car aucune prestation n’a été achetée auprès de PMB Services.
Trois ressources en ligne sont ainsi systématiquement consultées :
● La liste de diffusion de PMB.
● Les remarquables fiches de CitéDoc source incontournable1.
● Le site d’Anne Marie Cubat2, dont la compétence et la gentillesse ne sont plus à souligner.
Émeline Gergaud met au point une procédure qu’elle partage largement avec tous les professeurs documentalistes :
● Nettoyer BCDI : pour récupérer le maximum de données. Tout en sachant qu’on ne peut tout récupérer.
● Faire un premier transfert test dans PMB, paramétrer et tester la base en continuant à utiliser BCDI normalement. Dans l’idéal, faire toutes les manips quotidiennes en double : la vraie dans BCDI, le test dans PMB.
● Procéder aux ajustements nécessaires :
– si cela vient des données de BCDI, modifier ces dernières ;
– si cela vient de l’import, voir avec les informaticiens ;
– si cela vient de PMB, voir avec le réseau PMB (internet, collègues…).
● Quand tout semble ok, faire un second transfert de BCDI vers PMB, et passer en base réelle pour PMB. Pour plus de sécurité, on peut aussi continuer quelque temps à utiliser BCDI en base réelle. Il vaut mieux perdre du temps sur ces vérifications et être certain de bien récupérer toutes les données de BCDI, plutôt que de devoir reprendre l’intégralité de la base, pour ajouter manuellement un champ qui aurait sauté pendant le transfert !
Le troisième atout du Lycée Saint-Joseph s’appelle Sinan Aydoğdu : l’informaticien y exerce depuis 2008. À cette date, il est l’unique informaticien (en juin 2016 lorsqu’il décide de quitter l’établissement, l’équipe des informaticiens de Saint-Joseph compte six membres) et fait le lien entre les décisions de la fédération informatique et les professeurs documentalistes. PMB est hébergé sur les serveurs du lycée et est installé sous Linux, et le restera même lorsque, durant l’été 2014, le Lycée Saint-Joseph prendra son indépendance et optera pour l’environnement Windows. Sinan Aydoğdu met à jour les listes des emprunteurs, une gestion un peu fastidieuse, car il doit créer chaque année toutes les requêtes sql destinées à la création des classes, des professeurs principaux et aux suppressions des élèves et professeurs partis. Enfin les sauvegardes sont automatisées par ses soins.
Pour les autres établissements, l’aventure PMB repose essentiellement sur les épaules des professeurs documentalistes en place. La plupart se forment en autonomie, Christelle Demange-Ducrot au Lycée Sainte-Pluchérie s’immerge dans les ressources en ligne et y consacre bien du temps libre… Peu à peu BCDI est abandonné. Au Lycée Saint-Benoît, le transfert de BCDI vers PMB se fait sans difficulté majeure courant 2010-2011. Enfin, après quelques années d’hésitation, le Lycée Saint-Michel décide de se rallier aussi à PMB. La professeure documentaliste, Serpil Turan, va même suivre une formation en France chez PMB à Tours ; elle se retrouve avec des documentalistes venues de différents horizons, trois professeurs documentalistes de CDI mais aussi des bibliothécaires d’université du Tchad ou de Mayotte. C’est une formation de découverte, de prise en main et de paramétrages. Elle se lance dans l’informatisation et comme ailleurs, l’installation technique revient à l’informaticien du lycée. Toutes les bases sont hébergées sur les serveurs des établissements.

Ces établissements d’Istanbul affrontent la seconde décennie du XXIe siècle avec une belle unité, tous équipés de PMB comme logiciel documentaire et comme catalogue en ligne. Ces diverses expériences mettent en exergue les facteurs clés pour réussir une installation de PMB. Il faut au moins conjuguer trois atouts :
● Des professeurs documentalistes engagés et avec des compétences avancées en informatique, atout majeur pour communiquer avec les informaticiens.
● Des informaticiens disponibles, proches et impliqués.
● Le partage d’expériences : chaque établissement a également profité des acquis des premiers à adopter PMB et des multiples ressources mises en ligne.
On pourrait aussi ajouter : l’hébergement local de la base et l’adoption d’une procédure méthodique.

Les points faibles

De manière générale le pari est gagné. En moyenne, ces bases ont plus de cinq ans d’existence et elles n’ont pas connu de grosses pertes ou de longue période d’indisponibilité. Certes il y a bien eu des soucis, comme en janvier 2011, lorsqu’un serveur tombe en panne à Notre-Dame de Sion, une semaine de données perdues. Les sauvegardes n’en seront que redoublées.
Pourtant, comme pour toute entreprise nouvelle, on peut déceler bien des talons d’Achille et s’inquiéter sur leur avenir. Les saisies, les mises à jour, l’assistance technique montrent des signes de faiblesse.

Les notices

Dans ce domaine la mutualisation ne fonctionne pas. Chaque établissement développe ses propres solutions. Comment par exemple régler le problème des noms d’auteurs alors que PMB ne permet pas de renvois de noms : Elif Şafak en turc ou Elif Shafak en français ? Doystoy en turc et Tolstoï en français ? Le plus souvent pour un même auteur, il existe deux entrées d’auteur.
Au départ certains ont rédigé des guides de saisies, peu à peu tombés aux oubliettes. Pour pallier l’absence de thésaurus, il fut suggéré de recourir à Motbis en ligne. C’est de loin le plus contraignant ; dans les faits, peu de professeurs documentalistes s’imposent ce détour et l’indexation manque alors de rigueur.
Il n’existe pas non plus de mutualisation des notices. Pour les documents en langue française, trois méthodes existent : Moccam, Electre ou le « fait maison ». Les professeurs documentalistes du Lycée Saint-Benoît utilisent largement Moccam, tandis que le Lycée Saint-Joseph est abonné à Mémoelectre Plus qui permet de récupérer toutes les notices et de les adapter ensuite à volonté. Serpil Turan et Christelle Demange-Ducrot, professeures documentalistes l’une au Lycée Saint-Michel, l’autre à Sainte Pulchérie, préfèrent quant à elles créer leurs propres notices : « Pour moi c’est le meilleur moyen de connaître les ressources de mon fonds et de les promouvoir », confie Serpil Turan.
Pour les documents turcs tout est réalisé ex nihilo. Certes, il existe beaucoup d’entraide entre les professeurs documentalistes mais les échanges de notices sont rares. Pour des raisons techniques, les serveurs Z39.50 ne fonctionnent pas. Les catalogues d’autres bibliothèques accessibles par Worldcat apportent une aide ponctuelle. La situation est semblable au rayon des périodiques : pour les titres français, la plupart des professeurs documentalistes sont abonnés aux mémofiches et pour les titres turcs, tout est « fait maison ». Pour toutes les revues, Serpil Turan réalise un dépouillement sélectif en fonction des thèmes traités dans son établissement.

L’assistance technique

Les mises à jour, assez délicates avec PMB sont loin d’être régulières. Si un problème survient et si aucun professeur documentaliste ne connaît la réponse, les informaticiens pris par d’autres urgences mettront du temps à répondre et sans garantie de solution. Les disparités existent d’un établissement à un autre. Si Sinan Aydoğdu au Lycée Saint-Joseph a mis à jour la dernière version actuelle de base v5.14, le Lycée Notre Dame de Sion est encore sous une version plus ancienne. Plus encore, la mise en place du portail de PMB n’est pas du tout à l’ordre du jour.

Des fonctionnalités sous-exploitées

Beaucoup de fonctionnalités de PMB sont en effet sous exploitées comme par exemple le bulletinage, ou les statistiques, sans compter la DSI. Pas de formation en vue, car les besoins sont disparates. La question se pose régulièrement dans les réunions de professeurs documentalistes, mais ce projet s’est incliné jusqu’ici devant d’autres priorités.

Défis actuels

Essentiellement utilisés pour les ressources papier, certains catalogues PMB proposent aussi par son biais des ressources numériques, tel des sites, mais aussi des livres numériques ! Le Lycée Saint-Joseph offre via PMB plus de 500 ebooks, uniquement composés de titres libres de droits ou de quelques textes réalisés avec les élèves au format E-pub. À ce jour, pour les livres non libres de droits ou sous DRM, aucun éditeur n’offre de solution vraiment adaptée à un CDI.
Dans ce lycée depuis 2015, tous les enseignants ont à leur disposition un i-Pad. Avec cet outil, ils créent différentes ressources numériques : livrets, vidéos, tutoriels, capsules, blogs… Leur production est variée, importante mais éparpillée. Un enseignant publie sur YouTube, un autre sur Dailymotion, un troisième sur Vimeo. En juin 2015, les équipes enseignantes s’interrogent sur le meilleur moyen de recenser ces ressources et de faciliter leur consultation ; plusieurs solutions sont alors envisagées : une liste sur un blog ? Un espace de partage sur le réseau interne ? Quel mode de classement adopter ? Étonnamment, la solution qui était sous nos yeux n’est apparue qu’au cours de l’été : PMB !
Il répond en effet parfaitement à cette demande, les productions des enseignants sont indexées comme document numérique et le catalogue signale les liens vers ces ressources. Professeurs et élèves peuvent retrouver facilement tous les tutoriels, à partir d’un mot-clé, d’un auteur, d’une date. Chaque enseignant est libre de communiquer ou non le lien vers son travail. Après une campagne d’information, quelques professeurs ont transmis les références de leur travail, d’autres restent encore réticents, mais la situation évolue vite. Plus d’une cinquantaine de vidéos ou capsules de professeurs ont ainsi été insérées dans le catalogue du Lycée Saint-Joseph durant l’année scolaire 2015-20163.
Faute d’espace, le catalogue renvoie vers le lien mais n’héberge pas la vidéo. Il serait pertinent de proposer cet hébergement et ainsi de ne pas dépendre de plateformes privées. De manière générale, nos établissements produisent beaucoup de documents, travaux des élèves, journaux, newsletters… qui devraient sans doute se retrouver systématiquement référencés dans le catalogue. Le pas suivant sera donc sans aucun doute de trouver des solutions pour un espace d’hébergement illimité et durable.

Les rives d’Istanbul n’échappent pas aux travers notés dans tous les CDI : la copie rendue est largement satisfaisante, mais on ne peut s’empêcher d’ajouter cette formule éculée : peut mieux faire ! Après une naissance commune, l’impulsion initiale générale et l’entraide systématique, il manque un projet global pour répondre à ces enjeux :
● Comment mutualiser des notices et harmoniser les saisies ?
● Comment assurer l’appui technique et les mises à jour ?
● Comment anticiper les évolutions du logiciel et des ressources ?

Ces réserves énoncées, PMB s’est avéré un bon choix ! Il a répondu aux besoins de ces médiathèques. Il s’affirme comme une solution documentaire fiable et pérenne. Il accumule au moins six atouts :
● Chaque professeur documentaliste a pris en main cet outil sans difficulté majeure.
● PMB est parfaitement adapté à l’enregistrement des ressources numériques.
● PMB permet de faire toute la gestion en ligne, pas besoin d’installation du logiciel sur chaque poste. Il est appréciable d’enregistrer les prêts à partir d’un iPad sans devoir revenir systématiquement vers un poste fixe. Les opérations de saisies ou de prêts par plusieurs professeurs documentalistes sur une même base fonctionnent parfaitement.
● PMB est utilisable en établissement sans recourir à des frais d’achat ou d’abonnement.
● Pour les utilisateurs, élèves ou professeurs, la recherche en mode simple s’avère satisfaisante, l’interface est assez intuitive.
● Un des meilleurs atouts consiste à pouvoir créer un compte de gestion pour les élèves. Une classe entière peut ainsi être initiée à PMB, non pas juste en mode consultation, mais aussi en mode gestion. L’exercice permet de revoir tout le vocabulaire du livre pour chaque champ de saisie et de découvrir les coulisses d’une base de données. Avec des livres en langue étrangère, la saisie revêt une dimension supplémentaire. Bien entendu le professeur documentaliste devra revoir ces saisies, mais PMB fait une nouvelle fois preuve de sa souplesse. Là réside sa force.

Dans le match PMB-BCDI (BCDI doublé du portail ESIDOC), le gagnant n’est pas évident. Suivant ses priorités, le cœur d’un professeur documentaliste penchera pour l’un ou pour l’autre. Mais pour qui cherche un logiciel documentaire apte à se plier à son imagination, PMB a une petite longueur d’avance.