« Small is beautiful »

Ce livre paraît au moment où une fantastique poussée écologique touche le monde anglo-saxon avec la naissance en 1961 du World Wildlife Fund, ou Fonds Mondial pour la Nature2, et de Greenpeace en 19703 qui deviennent rapidement de très puissantes organisations mondiales s’opposant aux essais nucléaires et défendant la diversité des espèces. Déjà, un Français, René Dubos, grand scientifique peu connu dans notre pays mais considéré par les penseurs américains comme l’un des pères de l’écologie, doutait publiquement d’une société humaine en constante expansion avec le développement exponentiel de villes de plus en plus gigantesques4 et 5. Il obtint le prix Pulitzer en 1969 et participa à la rédaction du rapport qui permit la création de la Première Conférence Internationale sur l’Environnement humain de Stockholm intitulée « Nous n’avons qu’une terre » (1972)6.

Parcours

L’originalité de la pensée d’Ernst Friedrich Schumacher transparaît dans son parcours exceptionnel. Il naît à Bonn dans une famille aisée allemande, son père est Professeur d’université. Jeune homme, il rejoint la London School of Economics and Political Science, puis devient banquier. Il est interné en Angleterre lors de la déclaration de guerre entre les alliés français et anglais et l’Allemagne nazie. En 1943, il se rallie aux idées de John Maynard Keynes, le père du New Deal. En 1945, il participe à la Commission de contrôle alliée chargée de remettre en marche l’économie allemande. Puis il rejoint le National Coal Board (autorité britannique du charbon), dont il est l’un des dirigeants de 1950 à 1970. C’est donc en tant qu’économiste qu’il propose un autre modèle de développement pour l’humanité, d’où le succès immédiat de son livre et la reprise de son titre comme un slogan défiant l’orthodoxie économique productiviste tant libérale que marxiste. N’oublions pas qu’en 1970/1980, l’URSS se réclamant du marxisme scientifique était très puissante, entraînant dans son sillage de nombreux pays de l’Europe de l’Est, de l’Asie et de l’Afrique, sans compter Cuba en Amérique.

Une introduction, des citations

Le livre de E. F. Schumacher est divisé en quatre parties, un épilogue et un recueil de notes et de références.

Le livre ne comporte pas de véritable introduction, hormis trois citations dont la première est extraite du Petit Prince de Saint-Exupéry : « Il y avait des graines terribles sur la planète du petit prince… les graines de baobabs. Le sol de la planète en était infesté. Or un baobab, si l’on s’y prend trop tard, on ne peut s’en débarrasser. Il encombre toute la planète. Il la perfore de ses racines. Et si la planète est trop petite, et si les baobabs sont trop nombreux, ils la font éclater. » L’allusion à l’Homme est évidente.La deuxième citation est tirée du livre de l’historien anglais Richard Henry Tawney Religion and the Rise of Capitalism (Religion et développement du capitalisme) : « Cependant pour être de bons domestiques, les ambitions économiques n’en sont pas moins de mauvais maîtres. » Le troisième extrait, « nous renoncerons difficilement à la pelle [mécanique] qui présente, après tout, de nombreux avantages. Mais nous avons besoin de critères plus nobles et plus objectifs pour en faire un bon usage », provient du livre d’Aldo Leopold, philosophe américain, A Sand Country Almanac (Almanach d’un comté des sables).

Le fait que E.F. Schumacher reprenne Le Petit Prince souligne la dimension philosophique de l’ouvrage de Saint-Exupéry, trop souvent présenté comme un conte pour enfant. Les trois citations s’interpénètrent, la première faisant allusion à la surpopulation et à ses dangers, la deuxième et la troisième dénonçant tant le pouvoir excessif de l’économie sur l’homme que celui des outils mécanisés. Nous avons à faire à une véritable introduction originale et singulière.

Le monde moderne

La production

Dans la première partie, l’auteur pose le problème de la production. Cette dernière est au cœur de la pensée et des actes de la civilisation « occidentale » devenue mondiale. L’homme moderne occidental ne se conçoit plus comme partie intégrante de la nature, pensant la dominer et l’exploiter grâce à ses technologies et à la puissance de ses outils. Toutefois, Ernst Friedrich Schumacher note que ce pouvoir en apparence illimité repose sur l’illusion d’avoir résolu le problème de la production. Or les économistes font une erreur fondamentale en confondant le revenu et le capital. Car le capital est irremplaçable : l’homme ne l’a pas fabriqué, il l’a trouvé et ne peut rien faire sans. Nous faisons un usage alarmant des grandes richesses de ce capital qu’est la nature, et nous l’avons entamé bien plus que de raison. Selon notre auteur, l’humanité court au suicide.

Le capital naturel, en particulier les ressources en combustibles fossiles, ne se renouvelle pas et, pourtant, nous l’exploitons comme un revenu. Pour éviter cette perte, il faudrait créer un fonds de financement des modes de production aidant à la production sans énergie fossile.

Nos rythmes de vie et de consommation soutenus s’accélèrent. Nous pensons toujours en termes de croissance et de puissance technologique. Pouvons-nous croire en une croissance démultipliée dans le temps ? Une fois les énergies fossiles disparues, ce sera pour toujours. L’énergie des chutes d’eau et du vent peut se substituer à petite échelle mais, au niveau mondial, la question est autrement complexe.

De plus, l’exploitation de cette énergie fossile engendre une pollution qui détruit la vie. La production permettait d’accepter de sacrifier une petite partie du capital naturel avant le second conflit mondial, mais depuis, avec l’accélération d’une industrialisation de plus en plus prégnante, la pollution devient d’autant plus visible et angoissante. En 1974, en dépit du peu d’importance du parc des centrales nucléaires, Schumacher s’inquiétait déjà de la durée de vie des déchets de cette industrie – 25 000 ans.

Schumacher propose que nous parlions du futur, pour agir concrètement dans notre présent. Car si nous entrons dans « la société du savoir », il nous faut apprendre à vivre en paix, non seulement avec les autres hommes, mais aussi avec la nature.

Paix et pérennité

Comment obtenir la paix ? D’après l’orthodoxie économique la plus répandue, la paix a pour fondement la prospérité universelle. Évoquant ce dogme, Schumacher dénonce une croyance erronée selon laquelle l’opulence n’implique nul effort ; au contraire, elle attire la prospérité. Aux pauvres de se conduire de façon rationnelle et aux riches d’aider les pauvres, et le problème de la paix sera résolu.

Citant Gandhi, l’auteur constate que dans ce rêve d’un système parfait, il n’est nul besoin d’être bon. Cette critique via la philosophie orientale introduit l’éthique dans le débat économique. Déjà, en 1962, Albert Schweitzer, connu comme le pasteur, l’organiste, l’écrivain, le médecin et le fondateur de l’hôpital africain de Lambaréné, s’était éloigné de la pensée occidentale, acceptant la venue des familles, voire des animaux dans son hôpital, en faisant référence dans ses écrits à la pensée indienne7.

Schumacher reformule la pensée économique qui sous-tend notre société occidentale :

– la prospérité universelle est possible ;

– elle est possible si l’on opte pour la pensée matérialiste ayant pour maxime « enrichissez-vous » ;

– elle conduit à la paix.

Les économistes courant après la croissance, qui pourrait dire ouvertement « halte ! nous en avons assez » ? D’après les prévisions de l’époque (1973), la consommation d’énergie devait passer de 7,9 milliards de tonnes d’équivalent charbon à 21,7 milliards en 2000. La disparité entre les pays pauvres et les pays riches, les seconds dépouillant les premiers de leurs richesses, est soulignée par Schumacher ; il analyse également que, la consommation d’énergie s’accroissant de façon exponentielle, les pollutions thermiques et nucléaires deviendront rapidement insupportables à notre environnement. Pourtant, la théorie de Keynes relative à la croissance et à la consommation pousse à l’égoïsme qui a toujours été combattu par les religions et la sagesse. Selon Schumacher, l’accession à la prospérité universelle par la poursuite des richesses sans référence aux questions spirituelles est une erreur. Il faut créer une économie « durable » (remarquons la modernité du mot), l’humanité devant réduire ses besoins pour diminuer les tensions et les risques de guerre.

Pour répondre à ses besoins réels, l’homme doit réfléchir à plusieurs paramètres :

  • les équipements doivent être bon marché pour être accessibles à tous ;
  • les équipements doivent être utilisables sur une échelle réduite ;
  • les équipements doivent être compatibles avec la créativité humaine.

Comme Aldous Huxley8, Schumacher dénonce les messages publicitaires qui poussent à la consommation effrénée. Il met aussi en cause le chômage structurel toujours plus important, générant des situations de crise. Pour éviter la guerre, l’homme doit s’élever au-dessus de l’accumulation de biens, car l’être humain a des besoins infinis que seule la sagesse peut combler pour bannir l’envie et la cupidité.

Le rôle de l’économie

Les économistes devraient dire et expliquer comment surmonter les dangers évoqués précédemment. La question de la pertinence des réponses des économistes à la crise de nos sociétés se pose alors. L’auteur relate les réticences des grands universitaires anglais du xixe siècle à admettre l’introduction d’une science (l’économie) qui aurait dû rester à sa place. Aujourd’hui, lorsqu’un économiste dit d’un acte qu’il est « non-économique », il désigne cette action comme malsaine. Or selon les économistes, « n’est pas économique ce qui ne rapporte pas un profit suffisant en termes d’argent ». Mais, en voulant camoufler la dureté et la violence de ce concept, les économistes et les médias créent la confusion. Vingt ans plus tard, deux auteurs français reprendront cette pensée et en feront le titre d’un bel ouvrage : La société de confusion9. Or la confusion ne peut être de mise. L’action ne peut se cantonner à l’économie ; l’éthique, l’esthétique, l’affectif sont aussi des critères de choix pertinents. De fait, l’économiste ne peut juger qu’à partir d’une vision fragmentaire et étroite liée à la rentabilité financière, et ne peut ainsi comprendre l’intérêt général. Le poids accordé au court terme implique l’oubli du long terme. Le marché devient le vecteur de la non-responsabilité des acteurs économiques, car dire que tout a un prix, c’est admettre que l’argent est la valeur suprême en enfermant l’humanité dans une vision trop restreinte des réalités. La science économique est tentée d’usurper les autres, nous dit Schumacher.

Pour dépasser l’économique qui étudie les actes des hommes, E. F. Schumacher propose le concept de méta-économie, qui analyse les interactions entre les hommes et leur environnement. Le marché ne peut continuer à ignorer que l’homme dépend de son environnement naturel. Dès lors, il faut cesser de comptabiliser pour juger, c’est-à-dire qu’il faut introduire dans l’économie la dimension éthique. Quelle pensée moderne et remarquable ! 40 ans plus tard, il est courant de citer « la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise10 ».

Schumacher nie à l’économie toute scientificité car elle ne fait pas la différence entre ce que l’homme produit et les « cadeaux de Dieu » (la nature.) Nous retrouvons ici ce qui différencie les auteurs français et anglo-saxons. Les premiers se réfèrent à la raison et les seconds, bien souvent, à la religion ; il suffit pour le comprendre de se souvenir que le grand Norbert Wiener, le père des Sciences de l’Information et de la Communication, brillant mathématicien, faisait souvent référence à la Bible dans son ouvrage Cybernétique et société11.

E.F. Schumacher introduit une première distinction entre les biens : les matières premières et les produits dérivés. Au sein des matières premières, il propose une seconde distinction qu’il estime essentielle : la différence entre les matières premières non renouvelables et celles qui le sont. Quant aux produits dérivés ils se découplent classiquement entre produits manufacturés et services.

Pour Schumacher, la faille profonde de l’économie tient à tout évaluer à l’aune des produits manufacturés, alors que la méta-économie prend en compte les dons de la nature et leur non-renouvellement. Aujourd’hui, si le concept de développement durable rallie plus ou moins la sphère éducative, l’économie a toujours autant de mal à l’intégrer pleinement.

Le système d’économie bouddhiste

L’auteur admire les sociétés bouddhistes où la santé spirituelle et le bien-être matériel sont harmonieusement conjugués. Ainsi dans l’économie bouddhiste, le travail permet de développer ses facultés,  de dominer son égocentrisme en participant à une tâche commune, et de produire des biens et des services permettant une existence décente. Mais l’auteur déplore que les pays en voie de développement oublient leurs vertus spirituelles au profit d’une vision économique occidentale. La preuve, aujourd’hui, si tous les humains vivaient comme les Américains, dix Terres devraient être consommées, quand vivre comme les Indiens, permettrait à l’humanité de consommer 0,4 Terre. Mais combien de temps l’Inde pourra-t-elle préserver « cette vertu » ?

Schumacher reprend les idées de Gandhi sur la différence capitale qui existe entre l’industriel et l’artisan : seul ce dernier porte en lui la connaissance intime du savoir corporel, lié à la transformation de la matière en biens matériels. Citant les principes bouddhistes, l’auteur précise que le bouddhisme n’est pas opposé au bien-être matériel, mais il l’est à l’attachement à la richesse matérielle. E. F. Schumacher atteint ici le cœur de son raisonnement, l’économiste occidental ou occidentalisé estime que « plus l’homme consomme, mieux il vit », là où l’économiste bouddhiste pense que l’objectif est d’obtenir le maximum de satisfaction matérielle en consommant le moins possible. Sur le long terme, il est évident que l’économie bouddhiste serait meilleure gestionnaire de notre monde que l’économie occidentale.

Le fractionnement des États

Schumacher donne l’exemple de la Suisse et de l’Autriche, petites entités riches, productives, où il fait bon de vivre. L’auteur remarque que les deux besoins de l’homme, la liberté et l’ordre, sont compatibles si cette liberté s’exerce dans de petites unités et que l’ordre sévit dans des unités plus grandes, plus globales. Cette dualité permet à l’auteur de faire preuve de flexibilité dans son approche. Il montre concrètement comment l’homme peut, tout à la fois, se montrer fraternel dans une petite unité et raciste ou nationaliste à une échelle plus grande.

Schumacher s’interroge ainsi sur la taille idéale de la ville, et pense à un maximum de 500 000 habitants. Il met en cause les gigantesques moyens de transport et de communication qui coupent l’homme de ses attaches et le transforment en « errant », dénonçant « l’idolâtrie du gigantisme ». En effet, l’auteur constate que les projets les mieux acceptés par les décideurs sont les projets qui génèrent le plus de financements, bouleversant et détruisant le plus sûrement possible les petites structures humaines jusqu’ici solidement établies et créatrices de liens sociaux harmonieux.

L’éducation en Occident

Cette première partie, essentielle, a porté le livre et lui a offert sa notoriété. La suite est intéressante, mais à mon sens moins fondamentale. Toutefois, la partie consacrée à la remise en cause de l’éducation dans les sociétés occidentales mérite qu’on s’y attarde. La crise permanente de nos sociétés serait due, selon Schumacher, au système éducatif, les Occidentaux croyant que « l’éducation est la clef de tout ». Pourquoi les scientifiques affirment-ils que la « science est neutre » ? Comment peuvent-ils dire que l’usage bon ou mauvais de leurs découvertes ne dépend pas d’eux ? De ces interrogations, Schumacher déduit que l’éducation ne devrait pas être limitée à la transmission d’un savoir-faire, mais à celle des valeurs. Loin d’être des affirmations dogmatiques, elles permettent de penser et de comprendre le monde.

La jeunesse correspond à l’âge des héritages éducatifs et culturels. Ensuite, c’est à nous de faire le tri. Le reproche, que Schumacher adresse à l’éducation occidentale, n’est pas celui de la spécialisation, ni celui de la dichotomie entre « sciences » et « humanité », mais le fait que l’éducation n’apporte pas d’horizons métaphysiques permettant de mettre en perspective les savoirs acquis et d’ordonnancer un monde fluide et complexe. L’homme complet ne doit pas tout connaître, ni tout savoir, mais il doit pouvoir se comporter avec discernement grâce à l’éducation reçue. L’auteur conseille de revenir à des notions éducatives fondamentales comme la vertu, l’amour et la tempérance. Est-ce que l’éducation apprend toujours à connaître les sept péchés capitaux et les quatre vertus cardinales ? L’éducation ne dépend pas de l’organisation, de l’administration ou de l’investissement financier. Elle souffre d’un manque tragique de métaphysique, car nos convictions sont les victimes d’un désordre général devenu cet immense désordre éducatif qui détruit nos sociétés ! Après plus de quarante années d’enseignement, puis-je dire le contraire ? Non ! Le phénomène « djihadiste » de jeunes hommes et jeunes femmes passés par le filtre de l’école républicaine française ou d’autres écoles occidentales, belges, allemandes, espagnoles, anglaises, américaines, n’apporte-t-il pas la confirmation tragique de cette vision négative de l’éducation telle que l’a conçue l’Occident ?

Le chapitre VII revient sur la notion de Terre, et cette séparation voulue entre l’homme et la nature. Schumacher condamne la vision intellectuelle d’une humanité et des humains séparés de la nature. Il dénonce la cruauté des hommes envers les animaux. Vision prémonitoire que les courageux militants de l’association L. 214 divulguent à travers les images prises clandestinement dans nos abattoirs industriels12. De même l’application des principes industriels à la culture détruit la terre au lieu de la féconder. La disparition de nos batraciens et de nos abeilles confirme, encore une fois, l’intérêt de la relecture du livre de Schumacher.

Ensuite, Schumacher mène une réflexion sur le sens du travail et de la technologie, comparant le stress permanent de nos sociétés hautement techniques où les loisirs séparés du travail n’apportent pas la sérénité, contrairement à ce qui se passe dans les civilisations moins techniques où les gens ont le temps d’échanger, comme en Birmanie (actuel Myanmar).

L’emploi d’une technique de plus en plus prégnante au service d’une société sans autre but que la production et la consommation nous mène à notre perte. Schumacher lance un cri d’alarme et demande une réorientation sociétale, car l’homme moderne a construit une société qui viole la nature et mutile l’homme. La science et la technique ne peuvent répondre à la soif de l’humanité qui doit chercher la réponse ultime dans la sagesse, la tempérance et la sobriété.

Comme l’ouvrage de Norbert Wiener, l’ingénieur mathématicien, celui d’Ernst Friedrich Schumacher, l’économiste, relève d’une haute spiritualité. Small is beautiful a marqué un virage, une époque, celle des années 1970, où les intellectuels prennent enfin conscience des limites de la science et des techniques ainsi que de la vulnérabilité d’une humanité détruisant sa propre planète13.

 

Édito n°265

Bonne année, bonne santé, et des projets plein la tête ! Je profite de ce numéro de janvier-février pour vous souhaiter à tous une excellente nouvelle année. Petits et grands bonheurs, rires, sourires, fous rires, découvertes, étonnements : que cette  année 2017 soit celle de professeurs documentalistes heureux, joyeux et confiants ! Ce numéro débute avec un article d’Emmanuelle Mucignat, synthèse des 11e rencontres professionelles de l’ANDEP qui se sont tenues en novembre dernier à Angers autour d’une problématique, « À la convergence des cultures informationnelles, médiatiques et numérique : vers la translittérâtes », qui nous plonge au cœur de notre mission pédagogique : la formation à l’information. Une formation que nous pensons être indispensable, incontournable, essentielle à la culture de tout citoyen. Aujourd’hui, il n’est plus question de ne pas prendre en considération l’analyse de l’évolution des pratiques culturelles, technologiques et sociétales nouvelles. C’est la convergence de ces trois pratiques, qui articulent les apprentissages, qui est au coeur même de cette formation à la culture informationnelle. Nouveaux outils, nouveaux usages : toujours prêts à susciter la créativité. « Numook : la création d’un livre numérique par des adolescents » ou comment « lifter » ce bon vieux projet qui marche toujours : écrire un livre en classe ! Merci à Sonia de Leusse-Le Guillou pour ce compte rendu d’expérience ; les pratiques évoluent et l’enthousiasme est toujours là. N’est-ce pas le plus important ? N’oublions pas les outils pratiques de la revue qu’il est fortement conseillé de diffuser sans modération ! Toujours très claires et complètes, les fiches InterCDI de Sandrine Leturcq sont devenues un élément indissociable de chaque numéro ; tout comme le Thèmalire autour du thème de l’immigration cette fois, rédigé par le réseau des enseignants documentalistes de Haute-Saône, et l’Ouverture culturelle sur la mer Méditerranée, par Florie Delacroix. De quoi susciter des idées de projets. Comme ce bel article sur « La figure de l’adolescente dans la bande dessinée contemporaine », de Claire Richet, qui ne manquera pas d’alimenter notre curiosité littéraire. Enfin, la rubrique Gros plan propose une présentation de la revue trimestrielle L’éléphant, revue de culture générale à mettre entre toutes les mains ! À travers ses articles, InterCDI veillera à vous accompagner tout au long de cette année 2017 dans vos projets que nous espérons nombreux… Sachez que nous accueillerons avec intérêt toutes vos propositions d’articles, qu’ils portent sur le métier ou sur vos actions pédagogiques. InterCDI est votre revue!

La figure de l’adolescente dans la bande dessinée contemporaine

L’adolescence

Une arrivée tardive dans la Bande Dessinée

La figure de l’adolescent est quasiment inexistante dans la bande dessinée francophone jusqu’à l’aube des années 1990. Les jeunes héros de papier illustré sont des enfants, dont les péripéties doivent être conformes à la loi très morale du 2 juillet 1949 relative aux publications destinées à la jeunesse2 qui stipule que :

« Les publications ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse, à inspirer ou à entretenir des préjugés ethniques ou sexistes ».

Les héros sont donc de jeunes personnes aux comportements adultes qui auraient ainsi évité l’âge problématique, contestataire et subversif propre à l’adolescence. À propos du personnage de Tintin, Benoît Peeters, théoricien de la bande dessinée et spécialiste de l’univers d’Hergé, considère que « Tintin n’a pas d’âge véritable : tantôt il semble appartenir à l’enfance, parfois on croit voir en lui un adolescent, la plupart du temps ses comportements évoquent ceux d’un adulte. »3

La thématique de l’adolescence a par conséquent longtemps été inexistante dans la bande dessinée contemporaine, sans doute parce que les adolescents n’ont été que récemment le cœur de cible de ce médium. Au début du XXe siècle, la bande dessinée était essentiellement destinée à un public d’enfants. Par la suite dans les années 1960, la revue Pilote puis les journaux Hara-Kiri et Charlie mensuel, de même que l’ensemble de la production de bandes dessinées francophones dans les années 1980 à 1990, visent un public adulte. Que ce soit dans la littérature de jeunesse ou dans la bande dessinée, la figure de l’adolescent est absente dans les publications qui leur sont destinées et la problématique de l’adolescence est volontairement ignorée dans la société des années d’après-guerre.

L’âge de tous les possibles…

Jusqu’à la fin des années 1950, on ne reconnaît guère de spécificité à cet âge charnière entre l’enfance et l’âge adulte. Cette période de construction de soi, considérée comme un risque de délinquance potentielle, est repoussée comme sujet indésirable. La culture adolescente est niée par la bourgeoisie dont les valeurs conservatrices seraient menacées. La lecture pour les jeunes est sous surveillance en France, avec la loi de 1949 ou avec le « Comics code », code de bonne conduite américain qui sévit aux États-Unis dès 1954.

Mais un vent de révolte souffle sur ce carcan conservateur et le mouvement Underground émerge sur la côte ouest des États-Unis dès le milieu des années 1960. Le sexe, la drogue et la musique sont au cœur des préoccupations des jeunes adultes contestant l’engagement américain au Viêt-nam. C’est dans ce contexte de refus des valeurs traditionnelles que l’œuvre de l’auteur de bande dessinée Robert Crumb voit le jour. Il décrit la société marginale et contestataire des années 1960-1970 en bousculant les codes de la moralité, et exerce une véritable fascination sur une génération en quête de liberté qui désire transgresser les tabous petits-bourgeois. Julie Maroh et Ulli Lust, auteures de Le Bleu est une couleur chaude (2010) et Trop n’est pas assez (2010) reconnaissent toutes les deux des influences héritées de la bande dessinée underground.

 

Un sujet à la mode

Le début des années 1980 est marqué par une modification de point de vue de la société sur les adolescents. Ces derniers, refusent d’être assimilés aux enfants, se démarquent de la culture adulte et des répertoires classiques de leurs aînés.
À la fin du XXe siècle, les éditeurs prennent conscience que cette tranche d’âge a besoin de récits qui lui ressemblent dans des collections qui leur sont propres. L’adolescence devient donc un sujet à la mode, et les collections apparaissent en librairie.

Dans l’univers de la bande dessinée, cet engouement pour tout ce qui touche à l’adolescence est désormais très prégnant. Il suffit de regarder les quelques séries à succès qui utilisent largement des leviers de séduction auprès des jeunes. Ce sont des bandes dessinées à leur image, dont les héros ont une proximité historique et culturelle avec eux et dans lesquelles les ingrédients sont réunis pour forcer le ressort d’identification. Dans ce créneau, et sous l’impulsion des éditeurs, s’est créé depuis les dix dernières années un clivage des séries du point de vue du sexe des lecteurs. Les récits d’aventure à destination des garçons sont revenus en force, tandis que des récits plus intimistes, ancrés dans la vie quotidienne, ciblent plutôt les filles. C’est de ce côté que les éditeurs ont ouvert cette brèche des séries très « genrées ».

Ainsi en 2006 parait le premier tome des Nombrils4, des Québécois Delaf et Dubuc chez Dupuis. Des lycéennes égocentriques, surnommées les « poupounes », très préoccupées par leur apparence et l’attraction qu’elles peuvent exercer sur les garçons, s’en prennent à Karine, une fille naïve et sans goût vestimentaire qui leur sert de souffre-douleur. Les tomes III et IV ont largement dépassé les 100 000 exemplaires, témoignage d’un véritable succès éditorial. Dans la même veine, Julien Neel crée le personnage de Lou en 2004 chez Glénat dans la collection Tcho!5. Au début de la série, dans Journal Infime, Lou est une jeune collégienne indépendante et créative vivant seule avec une mère au comportement adolescent et avec laquelle elle entretient des relations très complices. Elle est amoureuse de son voisin auquel elle n’arrive pas à adresser la parole et évolue au milieu de ses copains et copines. Elle grandit au fur est à mesure de la parution des albums pour revêtir toutes les caractéristiques de l’adolescente. Le succès de la série Les Sisters6 créée par William et Christophe Cazenove aux éditions Bamboo participe à cette tendance. Le récit est basé sur les relations houleuses entre deux sœurs, Wendy l’aînée et Marine, la cadette.

Les personnages sont érigés en véritables stars avec leurs produits dérivés, un profil sur les réseaux sociaux sous forme de site ou de blog, des jeux et des albums adaptés en films. Ces séries très « girly », dont les premières de couverture sont
à dominante rose, traitent avec humour et de manière légère le quotidien des jeunes adolescentes obnubilées par leur apparence, leur « look », et en proie au désir amoureux. Si ces séries ne sont pas dénuées d’un certain intérêt, en particulier parce qu’elles brossent un quotidien assez en phase avec la réalité, elles sont à l’opposé d’autres récits à caractère initiatique mettant en scène des héroïnes grandes adolescentes ou jeunes adultes.

Une nouvelle approche plus authentique de la féminité

Le type de bandes dessinées citées précédemment dédramatise avec un humour certain la période de l’adolescence en rassurant des parents qui se reconnaissent aussi dans un tableau assez conforme à une certaine idée de l’adolescence. Cependant, ces séries qui mettent en scène des héroïnes pré-adolescentes (10-12 ans) espiègles et étourdies, mais finalement assez convenues, sont relativement éloignées des préoccupations intimes de jeunes femmes en devenir.

Les auteurs de bandes dessinées voient pointer dans leurs rangs au cours des années 1960 quelques femmes pionnières issues de la mouvance féministe et héritières du courant Underground. La figure de la femme dans les récits sera progressivement plus féministe, et des héroïnes émancipées succéderont à celles des romances et autres publications destinées exclusivement aux jeunes filles. Enfin, l’émergence de petits éditeurs indépendants dans la mouvance alternative soutiendra les créatrices de récits intimes et sensibles dont le graphisme et les thématiques n’ont rien à envier à ceux de leurs confrères masculins.

 

Les années 70, une révolution culturelle

L’influence des comics underground et de la presse féministe sera importante dans l’évolution de la place et de la figure de la femme dans la bande dessinée. Si cette dernière était auparavant cantonnée à celle de jeune fille bien élevée et d’épouse modèle, des auteures vont initier la représentation de femmes émancipées. Benoît Peeters considère ainsi que « les seules figures féminines que l’on rencontre dans la bande dessinée franco-belge de cette époque sont des viragos, telles “la Castafiore” et l’épouse du chef du village gaulois d’Astérix, ou des mères de famille insipides comme dans Jo et Zette, Boule et Bill ou Michel Vaillant. »7

Alors que les récits romantiques destinés aux jeunes filles fleurissaient en France et aux États-Unis et que des revues proposaient des histoires en images à leurs sages lectrices au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le début des années 1970 est marqué par un changement radical de cap : la presse illustrée pour jeunes filles tend à disparaître pour devenir mixte, tandis que la montée en puissance du féminisme dénonce les stéréotypes sexistes.

L’influence du manga à la fin des années 80

Dans une approche diamétralement opposée à celle de la bande dessinée occidentale, les éditeurs de manga se sont éloignés des considérations morales et ont compris avant leurs homologues occidentaux que le public adolescent était un cœur de cible propice à développer l’industrie de la bande dessinée japonaise. Cette catégorisation éditoriale mêle genre et âge, et distingue, pour le lecteur adolescent, les mangas « pour filles » (les shôjos) et les mangas « pour garçons » (les shonens), puis les mangas pour jeunes hommes (les seinens) et pour jeunes femmes (les joseis). Les lectures de mangas des filles et des garçons semblent donc parfaitement guidées et encadrées.

Le shôjo manga et le personnage de Prince Saphir

En 1953 apparaît Prince Saphir, une princesse travestie au comportement de garçon manqué. Ce personnage va s’imposer comme une référence majeure dans l’histoire de la bande dessinée pour filles et constituera le fondement du genre shôjo manga. Osamu Tezuka aborde ainsi l’émancipation des femmes, rompt avec l’image de la princesse passive et propose un nouveau modèle aux fillettes japonaises.

Jean-Marie Bouissou remarque que « en se passionnant pour la petite escrimeuse, une partie des écolières japonaises des années 1950 rêvait sans doute de faire jeu égal avec les garçons, ce à quoi les séries qui leurs étaient traditionnellement destinées ne les invitaient pas8 ». Au début des années 1970, un groupe de jeunes femmes nommé les Fleurs de l’an 24 – parce que nées aux alentours de 1949, ce qui correspond à la 24e année du règne de l’empereur de l’ère Shôwa – révolutionne l’univers du shôjo manga. Rioko Ikeda, nourrie à la lecture de Prince Saphir, est une des figures de proue du genre, alors majoritairement dominé par les hommes. Elle contribue à redéfinir le genre du shôjo manga pour adolescente et devient célèbre avec La Rose de Versailles, dont le héros Oscar, capitaine de garde de Marie-Antoinette, est une femme travestie en homme à l’identique de Prince Saphir. Le personnage sera repris en France dans le dessin animé Lady Oscar en 1986, et la bande dessinée paraîtra en 2002.

Le shôjo manga en phase avec les thématiques adolescentes

L’industrie japonaise du manga cible les jeunes filles en leur proposant une éducation sentimentale et sexuelle en accord avec leur sensibilité en faisant fi de tout tabou. Ces récits traitent principalement des relations et des sentiments entre les personnages, de leur confrontation aux réalités de la vie quotidienne ou encore de leur comportement. Elles vivent parfois seules, deviennent mannequins, vedettes de show-biz ou bien font les quatre cents coups et tiennent têtes aux caïds, vivent le passage de l’enfance à l’adolescence, décrivent leur descente aux enfers, rencontrent des difficultés dans leur travail ou sont incapables de savoir ce qu’elles désirent réellement. Jean-Marie Bouissou estime que « cette émancipation de la bande dessinée pour filles a été essentielle à l’expansion de l’industrie du manga, en lui permettant, à la différence de la BD et des comics, de ne pas négliger la moitié de sa clientèle potentielle9 ».

Les années 90, renouveau de la BD et reconnaissance des femmes

Dans un contexte de bande dessinée alternative, de diffusion du manga shôjo et grâce à l’engagement de nouvelles maisons d’édition (dont Futuropolis puis l’Association sont les plus audacieuses), la possibilité s’offre aux auteures femmes de créer des albums qui leur ressemblent, et d’accéder ainsi à une certaine reconnaissance.

En matière d’avant-garde et d’émancipation des femmes, le monde de la bande dessinée est en retard par rapport à celui du roman et de la littérature de jeunesse, et la parité homme-femme est encore bien loin d’être atteinte. Alors que les femmes représentent près de 66 % dans la littérature jeunesse, elles n’atteignent que 12 % de la profession dans la bande dessinée en 2014, bien que leur nombre ait triplé en trente ans !

Les années 2000 et le prix Artémisia

La reconnaissance de la création féminine tarde aussi à venir. En effet, ce n’est qu’après quarante éditions du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême que Florence Cestac est récompensée en 2000 par le Grand Prix de la ville d’Angoulême, pour l’ensemble de son œuvre. Claire Bretécher avait pour sa part reçu un prix « spécial » du 10e anniversaire, en 1983.

Le prix Artémisia créé en 2007 récompense enfin la meilleure bande écrite et dessinée par une femme. Par comparaison, en littérature, le prix Fémina avait vu le jour en 1904 pour réagir contre le Goncourt qui ne couronnait que des hommes.

L’autobiographie, écriture de soi et récits intimes

L’écriture de l’intime et les albums avec une mise en scène de soi se sont multipliés dans les deux dernières décennies. Dans les années 1990, l’autobiographie a été la voie par excellence choisie par nombre d’auteurs qui s’avérèrent être parmi les plus influents de leur génération. Les récits autobiographiques au féminin placent le rapport au corps des femmes et à la sexualité au cœur du genre. Dans la lignée des ouvrages de littérature militante des années 1970, il existe une volonté d’affirmer une écriture féminine et de défendre ainsi une littérature de spécificité. Si certaines auteures choisissent de se raconter en privilégiant des perspectives politiques, historiques ou sociologiques (Florence Cestac, Chantal Montellier), d’autres préfèrent des thématiques plus légères et relatent avec humour le quotidien assez futile de jeunes femmes célibataires ou jeunes mères de famille (Pénélope Bagieu et Margaux Motin).

Le succès du récit autobiographique Persépolis de Marjane Satrapi aux éditions l’Association au début des années 2000 a incontestablement élargi la voie à l’expression féminine dans la bande dessinée.

La figure de l’adolescente chez Julie Maroh, Vanyda et Ulli Lust

Trois romans graphiques ont marqué cette veine autobiographique. Celle que…, de Vanyda, et Le Bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh, sont le fruit d’auteures françaises et sont respectivement édités chez Dargaud et Glénat, deux maisons d’édition installées depuis longtemps dans le paysage éditorial ; le troisième – Trop n’est pas assez – est l’œuvre d’une Autrichienne, Ulli Lust, éditée chez Ça et là, un petit éditeur indépendant qui publie depuis 2006 des adaptations de bandes dessinées étrangères. Deux d’entre eux ont été récompensés au Festival International de la bande dessinée d’Angoulême : en 2011, Trop n’est pas assez a obtenu le Prix « Artémisia » et le prix « Révélation », qui récompense les jeunes auteurs ou les premiers albums, tandis que la même année Le Bleu est une couleur chaude obtenait le « Prix du Public ».

Ces trois chroniques mettent en scène des adolescentes entre 14 et 17 ans au début des récits. Valentine, personnage principal de la trilogie Celle que…, a 14 ans lorsqu’elle entre en classe de troisième dans le premier tome, Celle que je ne suis pas. Dans le second tome, Celle que je voudrais être, elle entre en classe de seconde générale ; elle est ensuite âgée de 17 ans lorsqu’elle entre en classe de première scientifique dans le troisième volet, Celle que je suis. Pour sa part, Clémentine, personnage principal de Le Bleu est une couleur chaude a 15 ans au début du récit et est âgée de 30 ans à la fin de l’album. Ulli est âgée de 17 ans dans Trop n’est pas assez, et le récit s’étale sur quelques mois d’un été.

Entre auto-fiction et autobiographie

L’adolescence, période d’expériences intenses, mélange de sentiments romantiques et passionnels et de moments noirs de détestation de soi et de désespoir, est au cœur des trois récits. Si les ouvrages du corpus choisi touchent le lecteur, c’est parce que les auteures brossent un tableau juste et sensible de l’univers adolescent au travers de personnages d’une grande vraisemblance. Dans le cas de la trilogie Celle que…, Vanyda approche au plus près la transformation, voire la mue, de Valentine dans son quotidien de collégienne puis de lycéenne. Cette thématique des chroniques scolaires n’est pas sans rappeler certains mangas pour adolescents, de même que l’utilisation de quelques procédés graphiques dont l’auteure s’inspire, comme le recours au noir et blanc, une liberté dans l’agencement asymétrique des cases et l’importance accordée aux pensées des personnages. De nombreux plans fixes sans dialogues donnent cette sensation de temporalité en particulier dans les nombreuses planches illustrant la chambre de Valentine. Les adolescents vivent intensément et pleinement le moment présent, comme si leur vie en dépendait. Ainsi le titre original allemand de Trop n’est pas assez est  Heute ist der letzte Tag vom Rest deines Lebens, ce qui signifie en fait littéralement « Aujourd’hui est le dernier jour du reste de ta vie » ; Trop n’est pas assez est une œuvre autobiographique. Ulli Lust part, l’été de ses 17 ans, en auto-stop avec une amie dans un périple qui les mènera de l’Autriche jusqu’en Sicile au travers d’une aventure « punk ». Le Bleu est une couleur chaude et la trilogie Celle que… sont des auto-fictions. Valentine, personnage de Celle que…, partage quelques ressemblances physiques avec Vanyda et des centres d’intérêt comme la passion des mangas. Julie Maroh, auteure de Le Bleu est une couleur chaude, ne cache pas son homosexualité, qu’elle partage avec les deux héroïnes de son album. Elle est proche des personnages qu’elle met en scène, puisqu’elle crée Le Bleu est une couleur chaude en 2010, l’été de ses 19 ans.

L’intimité de l’adolescence dans la littérature de jeunesse

Dans la veine des romans graphiques autobiographiques au féminin, l’intimité des personnages, le corps et la sexualité des jeunes filles sont au cœur des récits. M-H. Routisseau souligne que l’écriture intimiste est désormais l’apanage des romans destinés aux adolescents : « L’écriture du Je s’est considérablement répandue dans la Littérature de jeunesse au cours des années 1970-1980. Elle atteint son apogée en ce début de siècle et l’on peut affirmer que l’écriture intimiste est aujourd’hui devenue l’un des traits constitutifs du roman destiné aux adolescents. Le genre romanesque offre ainsi une forme idéale à l’analyse d’une crise psychologique ou morale. »10

Les personnages de littérature pour adolescents sont des êtres problématiques avec une épaisseur psychologique. Les trois héroïnes de notre corpus n’échappent pas à cette approche. Ainsi, Valentine dans Celle que…, Ulli dans Trop n’est pas assez, et Clémentine dans Le Bleu est une couleur chaude, sont des personnages problématiques dont nous suivons les doutes et les questionnements. Les trois récits sont écrits à la première personne.

La sexualité des adolescentes et la censure

L’adolescence, période de passage de l’enfance à l’âge adulte, est un moment difficile de la vie que l’on a tendance à oublier, une fois parvenu à l’âge adulte. Époque de transgression des valeurs parentales et sociétales, elle est dérangeante à plus d’un titre. La littérature pour adolescents s’est ainsi longtemps réfugiée derrière la protection de la jeunesse pour censurer toute allusion à la sexualité. La révolution sexuelle est donc arrivée tardivement dans la littérature jeunesse et dans les romans graphiques destinés à un lectorat adolescent.

La sexualité adolescente reste taboue et la littérature pour adolescents a longtemps voulu occulter son existence. Annie Rolland considère que « la censure est fondée sur la négation de l’adolescent comme sujet pensant et désirant et la tyrannie d’une morale axée sur le postulat d’une littérature exclusivement éducative et/ou distrayante. Il s’agit là d’une censure à caractère despotique qui ne vise pas tant la protection de jeunes lecteurs que la protection des fondements moraux et religieux d’une société11 ». Parler d’amour des adolescents avec le médium de la bande dessinée serait-il plus suggestif et plus choquant que le texte le plus descriptif ?

Sexualité et amour, réalités intrinsèques de l’adolescence

Proposer aux adolescents des ouvrages qui rencontrent leurs centres d’intérêts implique d’aborder franchement et simplement les questions qui les préoccupent vraiment, à savoir l’amour et la sexualité. Pour Daniel Delbrassine, ces thèmes sont au cœur des romans adressés aux adolescents. Il remarque ainsi que « le thème de l’amour et de la sexualité apparaît comme un des aspects essentiels du roman adressé aux adolescents. L’amour y est systématiquement présenté selon une norme sociale, sexe et sentiments étant toujours étroitement liés ; la découverte de l’âme sœur semble indispensable à l’épanouissement et au bonheur du héros engagé dans un parcours qui doit le conduire vers une vie adulte et harmonieuse »12. L’amour et la sexualité sont des thèmes qui traversent les trois œuvres de notre corpus de manière différente. Le sentiment amoureux et les premières expériences sexuelles sont les ressorts narratifs de Celle que… et de Le Bleu est une couleur chaude, tandis que Ulli Lust aborde la sexualité avec un réalisme exacerbé, jusqu’à une scène de viol.

Les premières fois: un rite de passage

Les scènes de « premières fois » sont importantes dans la littérature pour adolescents. Annie Rolland reprend la thèse de Françoise Dolto selon laquelle la première expérience sexuelle constitue un rite de passage de l’enfance à l’adolescence : « Aucun adolescent ne passe le cap de l’adolescence sans avoir des idées de mort puisque, selon Françoise Dolto, il faut qu’il meure à l’enfance, “à un mode de relation d’enfance”. L’acte sexuel est lui-même la mort, car c’est mourir à sa propre enfance que faire l’amour la première fois »13. Ainsi, ces scènes sont présentes dans Celle que je suis et dans Le Bleu est une couleur chaude. Julie Maroh illustre la première scène d’amour avec un réalisme très sensuel, tandis que Vanyda préfère la technique de l’ellipse pour ne pas donner à voir des scènes intimes qui pourraient heurter la sensibilité de lecteurs plus jeunes.

L’homosexualité

L’homosexualité, qui fut longtemps un sujet tabou, s’est progressivement invitée en littérature jeunesse dès la fin des années 1980. Le Bleu est une couleur chaude fut l’un des premiers romans graphiques à mettre en scène l’homosexualité féminine, même si Lisa Mandel l’a devancée avec Princesse aime Princesse (Gallimard, Bayou, 2008) ou Esthétique & filatures (Casterman, 2008).

La démarche créatrice de Julie Maroh dans Le Bleu est une couleur chaude est clairement militante en faveur de l’homosexualité. L’auteure y dénonce les comportements intolérants, homophobes des parents et des camarades de classe de Clémentine. Son adaptation cinématographique par Abdellatif Kechiche,
La Vie d’Adèle, et la palme d’or du festival de Cannes accordée au film font écho au vote de la loi de mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

Adolescence et quête de soi

La portée initiatique d’une sexualité naissante chez les adolescents et en particulier chez les personnages d’adolescentes de ces trois romans graphiques les amène à être considérés comme des récits initiatiques ou de formation à l’amour et à la sexualité. Marie-Hélène Routisseau considère que le roman de formation entre en résonance avec l’expérience adolescente : « Roman de progression, roman familial, roman des origines, le roman initiatique semble tout particulièrement convenir à l’adolescence, car il fait écho à son développement, au moment transitoire où l’enfant se détache de l’enfance pour entrer dans l’âge adulte. »14

S’éloigner des parents

Pour l’adolescent, la quête de soi, l’accomplissement de sa propre personnalité, passe par la transgression des règles parentales et sociétales et exige un éloignement physique ou géographique des parents pour vivre ses propres aventures. Valentine, Clémentine et Ulli vivent des expériences intenses permettant leur passage de l’enfance à l’âge adulte : Ulli réalise un véritable road movie et quitte l’Autriche sans l’aval de ses parents ; Clémentine est mise à la porte du logis familial lorsque ses parents découvrent son homosexualité ; la mue de Valentine est plus lente et cette dernière se détache plus difficilement du giron maternel.

Quête initiatrice et comportements à risque

L’éloignement des parents et du giron familial suppose des prises de risques. Si les premières expériences amoureuses et sexuelles sont constitutives de l’aventure adolescente, les expériences telles que la prise d’alcool ou de drogue demeurent également incontournables. Valentine, Clémentine et Ulli se comporteront en « vraies » adolescentes et ne seront pas épargnées par ces détours illicites.

Roman de formation et transmission de valeurs

L’évocation des sujets tabous tels que la mort et le sexe dans ces trois œuvres sont susceptibles d’accrocher le lectorat adolescent. L’accès à une maturité psychologique et morale dans Celle que…, un épanouissement affectif homosexuel se terminant en tragédie dans Le Bleu est une couleur chaude, ou l’aveu désenchanté face à l’échec d’un road movie dans Trop n’est pas assez sont autant d’expériences réalistes, dignes d’intéresser tout adolescent en devenir. Destin heureux ou tragique, le lecteur apprend de l’expérience des protagonistes. Pour sa part, Daniel Delbrassine note que « si le protagoniste évolue vers une position euphorique, le lecteur est incité à le suivre dans la bonne voie. Si le protagoniste finit mal, son échec sert également de leçon ou de preuve mais cette fois a contrario : son destin permet au lecteur de voir “la mauvaise voie” sans la suivre. »15

Vincent Jouve considère que ce type de personnage peu convenu est pourtant plus intéressant du point de vue de l’enrichissement affectif que ceux dans lesquels nous nous reconnaissons : « L’intérêt que nous éprouvons pour les personnages ne vient donc pas de ce que nous y reconnaissons de nous-mêmes (seuls les romans les plus frustes jouent de ce procédé), mais de ce que nous y apprenons de nous-mêmes. La vérité qui se dégage de notre interaction avec les figures fictives est le plus souvent une vérité ignorée. C’est la différence et non la ressemblance qui permet de se découvrir. Les personnages les plus intéressants sont ceux qui vont à l’encontre de nos dispositions. »16

Trop n’est pas assez serait ainsi le roman graphique dans lequel les problématiques adolescentes sont les plus prégnantes. L’euphorie, mais aussi la peur et l’angoisse éprouvées par Ulli, sont sans doute les manifestations les plus authentiques du vécu adolescent. Sa quête « jusqu’au boutiste » et les prises de risques répétées sont de cette intensité propre à l’adolescence. L’état de crise dans lequel se trouve Ulli est symptomatique de la crise existentielle que traversent bon nombre d’adolescents. Par ailleurs, ce roman graphique dans la veine underground bouleverse les codes de la moralité. Ulli est décidément une jeune punk en quête de liberté et de transgression des codes petits-bourgeois.

Émancipation

L’image de la femme a largement évolué dans la bande dessinée contemporaine, des années d’après-guerre au début du xxie siècle. Par ailleurs, la littérature de jeunesse s’émancipe progressivement de la loi de 1949, et aborde dorénavant des problématiques en phase avec le lectorat adolescent. La bande dessinée franco-belge, un rien en retard sur son temps, est doublée par le manga japonais et la bande dessinée underground qui proposent sans tabou une éducation sentimentale et sexuelle au lectorat féminin et adolescent jusqu’alors négligé.

Le 9e art, longtemps considéré comme un art mineur, conquiert ses lettres de noblesse en empruntant les thématiques et les schémas narratifs du genre romanesque. Le roman graphique, ou bande dessinée dite d’auteur, est enfin reconnu comme un médium dans lequel s’exprime la sensibilité de dessinateurs et scénaristes livrant leur regard sur le monde. C’est dans ce contexte que des auteures de bande dessinée, influencées par leurs propres lectures et leurs propres histoires adolescentes, proposent un regard authentique et réconcilié sur cette période de transformation et de doute au travers de récits initiatiques. Ces aventures en phase avec leurs centres d’intérêt, permettent aux jeunes lecteurs de s’identifier à des personnages problématiques eux-mêmes en construction. Isabelle Nièvre-Chevrel considère que « les frontières de la littérature de jeunesse sont mouvantes et poreuses. Elles délimitent un territoire qui se déplace au gré des représentations que les adultes se font, non pas simplement des jeunes lecteurs, mais également des ouvrages qui doivent leur être proposés »17. La série des Celle que… cible sans aucun doute un lectorat adolescent voire pré-adolescent. Le Bleu est une couleur chaude et Trop n’est pas assez sont sur cette frontière incertaine entre la littérature générale et la littérature pour la jeunesse, de par les thématiques abordées et la mise en scène d’une sexualité crue. Ces deux ouvrages ne correspondent peut-être pas aux représentations des adultes quant à ce qui doit être proposé aux jeunes lecteurs, mais les personnages d’adolescentes font figure d’exemples participant à l’apprentissage de la vie. En ce sens, ces romans graphiques sont instructifs et leurs auteures sont des passeuses d’expérience humaine.

 

Émigration Immigration

Les enfants

La littérature jeunesse aborde largement le thème des enfants arrachés à leur famille, leurs amis, et qui doivent tant bien que mal s’adapter à un autre pays, une autre culture. Le choc est souvent rude. Dans le beau roman Un cargo pour Berlin1, de Fred Paronuzzi, deux enfants qui partent en exil se retrouvent dans un cargo. Facilement accessible, ce roman lève le voile sur les conditions insoutenables de l’exil pour les enfants, et permet d’aborder le sujet de façon simple et claire, tout en évoquant de nombreux thèmes.

On peut travailler la thématique avec les plus jeunes grâce au roman Rom, Roman, Romane2, d’Hélène Montardre, belle histoire d’amour et d’amitié entre des migrants de Roumanie. Leur arrivée dans un paisible village ne passe pas inaperçue…

On aime tout autant le roman Tao et Léo3, d’Ingrid Thobois. Tao, petit garçon d’origine chinoise, s’est lié d’amitié avec Léo, un petit garçon français. Lors du Nouvel an chinois, les parents de Tao se font arrêter… Une nouvelle qui attriste tout le monde, et qui va faire réagir.

C’est également une petite fille née en Chine, prénommée Mei, que l’on découvre dans le roman Tu peux pas rester là4, de Jean-Paul Nozière. Installée avec sa maman dans un petit village quelque part au fond de la campagne, elles se retrouvent toutes les deux sous la menace directe d’une expulsion, sur ordre des autorités. Mais le village n’en a pas décidé ainsi et se mobilise pour les garder.

À ne pas manquer, le roman Le Temps des miracles5, d’Anne-Laure Bondoux. Le jeune Blaise Fortune est retrouvé au fond d’un camion, à la frontière. Il ne connaît que quelques mots en français et a perdu en cours de route la femme qui l’accompagnait. Un roman très fort, rempli d’émotion.

Entre illusions et espérances

Les migrants arrivent dans l’angoisse et la peur, mais avec espoir et souvent beaucoup d’illusions. Dans le roman Le Ventre de l’Atlantique6, de Fatou Diome, Salie est partie d’Afrique pour vivre en France. Son petit frère rêve de la rejoindre afin de devenir footballeur professionnel. Mais sa grande sœur essaye de lui faire comprendre la réalité… Un roman à lire à partir de la 1re. Une thématique que l’on retrouve dans le roman Chair à ballons7, d’Alain Devalpo. Plein d’illusions, un jeune garçon africain se laisse séduire par les propositions alléchantes d’un homme qui lui fait miroiter un avenir de brillant footballeur professionnel en France. Mais à son arrivée, il  déchante vite, et s’aperçoit qu’il s’est fait piéger…

Espoirs et illusions ne se quittent guère. Dans le roman Refuges8, d’Anne-Lise Heurtier, une jeune femme italienne revient à Lampedusa, son île d’origine. Elle y croise le destin de plusieurs migrants qui arrivent sur l’île. Ils sont remplis d’espérance, mais aussi d’espoirs déçus et de révolte. Un roman fort, pour les lecteurs lycéens.

La vie dans le pays d’arrivée se révèle souvent bien peu rose. Nous sommes tous tellement désolés9, de Jean-Paul Nozière, brosse le portrait sans concession d’une jeune femme arrivée de Moldavie, et installée dans un tout petit village pour y vivre de la prostitution. Quelques années après son départ, cette femme revient dans son village. Les rancœurs et les haines y sont toujours aussi présentes… Un roman à l’ambiance lourde et pesante, à proposer aux lecteurs à partir de la classe de 3e.

La vie au quotidien

Dans le roman Les Enfants de Babel10 d’Eliacer Cansino, le lecteur est plongé dans la vie d’une grande tour d’habitation, à Séville, dans laquelle les habitants proviennent de tous horizons. Chacun a son histoire, chacun a son avenir. Une sorte de microcosme, de condensé d’émigration.

Dans La Petite Fille de M. Lin11, de Philippe Claudel, un homme âgé retrace son histoire dans le pays qui l’a accueilli. Comment faire pour se faire comprendre dans une langue que l’on ne connaît pas ? Quelles sont les structures d’accueil ? Un roman qui évoque l’aspect sociologique de l’émigration, mais aussi le versant humain, psychologique.

Quant à Gadji12, de Lucie Land, il évoque le quotidien de Katarina, jeune fille rom partie à Paris après un drame survenu dans sa famille. Pour elle, vivre entre quatre murs, dans une grande ville, s’avère très difficile. Katarina souhaite garder sa grande liberté. Pourra-t-elle réussir à l’école ?

Pour les plus âgés

Pour nos lecteurs lycéens, aguerris à la lecture, deux romans sont à conseiller. Tout d’abord, Eldorado13, de Laurent Gaudé. Un voyage initiatique, l’histoire de boat-people. Un roman à mettre en lien avec le programme d’Histoire et de géographie. On conseillera également Un clandestin au paradis14, de Vincent Karle : Matteo et Zaher sont dans le même lycée. Zaher est un réfugié afghan et son arrivée au lycée est quelque peu mouvementée. Il n’est pas accepté par tous, et Matteo devra apprendre à le connaître…

Du côté des documentaires

Chez Gallimard, le documentaire Enfants d’ici, parents d’ailleurs15 retrace les périodes d’immigration par pays et par période, de 1850 jusqu’au début du XXIe siècle. À chaque fois, un enfant incarne le type de l’immigration. Très illustré, cet ouvrage se révèle une bonne accroche pour un travail sur le thème. On notera également la collection Enfants d’ailleurs, chez Autrement. Pour nos élèves de 6e et 5e, cette collection raconte l’histoire des migrants des premières générations, les titres se présentent sous forme de journaux, de cahiers rédigés. Une forme calligraphiée attrayante, qui se lit facilement.

Chez Syros, le titre Dernière solution, fuir ! 16, de Marilu Zamora, dans la collection J’accuse, propose le témoignage de trois enfants, une Péruvienne et deux Congolais, pour aborder la question. Un témoignage datant de 2006, mais dont les thèmes sont toujours d’actualité.

 

Veille numérique 2017 – N°1

Lecture numérique

 

Prêt numérique en bibliothèque 

L’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 10 novembre 2016 estime que l’on peut assimiler le prêt du livre numérique à celui du livre imprimé, selon le modèle « one copy, one user ». Cela suppose un téléchargement unique dans un temps limité et un fichier lisible dans un délai précis. Les juges veulent garantir une rémunération juste et équitable des auteurs.

 

EPUB Summit 

Après Bordeaux en avril 2016, la rencontre internationale des professionnels de la lecture numérique et du format Epub se tiendra en mars 2017 à Bruxelles. L’IDPF, le consortium international en charge de la gestion et du développement du format Epub, a rejoint le W3C (organisme qui gère les compatibilités et le développement du web). Ces assises visent à promouvoir le standard Epub, destiné au secteur du livre, de la presse et des documents numériques dans leur ensemble.

 

Lisa : lecteur universel d’ebooks 

Avec cette application unique, les lecteurs peuvent lire les ouvrages numériques interactifs (audio et vidéo), enrichis en images, et les multiples formats existants (Epub2, Epub3, PDF…). Accessible gratuitement depuis novembre 2017 sur les IOS, Lisa devrait être disponible courant 2017 pour Android. Une version professionnelle, Salomé, est destinée aux associations culturelles afin qu’elles puissent, entre autres, diffuser des publications à leurs membres.

 

Éducation

 

Certification Pix 

Le B2i et le C2i vont être remplacés à terme par la certification officielle Pix. Tous les citoyens francophones pourront passer cet examen dès la rentrée 2017 dans des centres agréés par l’Éducation nationale (collège, lycée…). Les compétences comprendront 8 niveaux et 5 domaines : information et données, communication et collaboration, création de contenu, protection et sécurité, environnement numérique. Une version bêta est disponible sur pix.beta.gouv.fr.

 

Diplômes sur le Web 

À partir du 1er janvier 2017, pour les diplômes obtenus en 2016, il sera possible de se procurer une attestation sur internet en se rendant sur le site du ministère de l’Éducation nationale : diplome.gouv.fr. Progressivement, tous les diplômes acquis depuis l’an 2000 seront accessibles sur le net.

 

Les réseaux sociaux

 

Workplace : Facebook pro 

Facebook vient de lancer sa version professionnelle : Workplace. En bref, la même chose que Facebook mais payant, sans publicité et avec une offre de services tiers beaucoup plus réduite que chez son concurrent direct Slack.

 

De quoi « on cause » en France sur les réseaux sociaux ?

En 2016, selon Facebook les cinq sujets les plus discutés sont par ordre : élection présidentielle française 2017, euro 2016, attaque terroriste de Nice, Pokemon Go, élection présidentielle américaine. Selon Twitter, les cinq mots clés les plus fréquents : #Euro2016, #TPMP, #PokemonGo, #Nice, #Rio2016. Réflexion et 140 caractères maximum ne font pas bon ménage… Panem et circenses et les internautes
seront contents !

 

Droit et données personnelles

 

Descente de police sur le darknet 

Le réseau internet parallèle et obscur qui garantirait l’anonymat des utilisateurs a vu une coordination internationale de la police identifier plus de 3 000 internautes ayant effectué, via le darknet, des transactions de produits illégaux dans les pays occidentaux.

 

Gossip mis en demeure par la CNIL

Diffuser des rumeurs via un numéro de mobile ciblé et les répandre à tous les contacts de la victime, telle est la raison d’être de l’application Gossip… Après analyse du phénomène et en application de l’article 1 de la loi informatique et liberté, la Cnil a estimé que Gossip était responsable « d’atteintes graves à la vie privée ». D’autres éléments ont conforté la Cnil dans sa décision : l’implication de mineurs et la collecte illégale de données personnelles sans l’accord des personnes visées. La société WMG, créatrice de cette application, dispose d’un mois, à compter du 14 octobre 2016, pour respecter la loi… Dans le cas contraire, le tribunal s’en chargera, montant de l’amende : 3 millions d’euros.

 

Lien hypertexte et droit d’auteur 

La Cour de Justice de l’Union Européenne vient de rendre un arrêt ambigu concernant le placement de liens hypertextes vers un site tiers. Elle a en effet jugé que, placer un lien vers un site qui publie illicitement des œuvres protégées par le droit d’auteur, pouvait être considéré comme une contrefaçon, si la personne qui établit le lien le fait dans un but lucratif et sait que le site pointé est illégal. Jusqu’à présent, la CJUE avait toujours exclu le lien hypertexte du champ des droits d’auteur au motif qu’il est l’essence même d’Internet. Cet arrêt a fait couler beaucoup d’encre car perçu comme une atteinte à la liberté du Net. Plus pragmatiquement, il semblerait qu’il s’agisse de concilier les intérêts des auteurs et la liberté des internautes.

 

ReLire (Registre des livres indisponibles en réédition électronique)

Sans surprise, l’arrêt du 16 novembre 2016 de la CJUE condamne ReLire (BNF et Sofia) pour la reproduction numérique de livres indisponibles dans le commerce sans l’accord explicite de l’auteur. Un comble pour la France qui ne cesse de clamer que l’Europe veut tuer le droit d’auteur.

 

Accès à Internet et aux bases de données

 

Du wifi volant 

Suite à une très forte demande des voyageurs réguliers, Air France ainsi que d’autres compagnies aériennes ont annoncé l’installation de bornes wifi dans les avions des grandes lignes d’ici la fin de l’année 2017. Néanmoins, la puissance du wifi et son coût restent incertains ; chez Air France, il devrait avoisiner 20 € la connexion par passager.

 

Pas de coupure internet dans le 93

La loi numérique du 7 novembre 2016 prévoit un maintien de l’accès à internet pour les foyers en difficulté financière. Cette mesure est tout d’abord testée pendant un an dans le département de Seine-Saint-Denis avant d’être généralisée à toute la France.

 

SNE REF LEX : Guide de citation des références juridiques

Cette base de données des règles de rédaction et de citation des références juridiques a été mise en ligne par les éditeurs juridiques du Syndicat national de l’édition. Il s’agit d’offrir un meilleur accès aux sources et informations juridiques aux étudiants, professeurs, auteurs et documentalistes.

 

Sécurité informatique

 

Regroupement des antivirus

Le marché de la sécurité informatique tend actuellement à se resserrer. Avast Software vient de racheter AVG Technologie pour 1,3 milliard de dollars. Symantec a acquis Blue Coat pour 4,65 milliards de dollars. Enfin, Trend Micro s’est offert TippingPoint et Intel devrait se séparer prochainement de McAfee. La sécurité numérique est un marché qui ne connaît pas la crise.

 

Clé USB pour hacker un PC

L’ingénieur en sécurité Rob Fuller, de la société R5 industries, a mis au point une clé usb qui vole les identifiants et les mots de passe d’un ordinateur. La clé se fait passer pour un adaptateur ethernet. L’ordinateur, sans se méfier, lui transmet alors tous les codes de connexion d’un compte.

 

Drone sous surveillance

L’Assemblée Nationale a adopté le 27 septembre 2016 la proposition de loi qui encadre davantage les drones civils afin de renforcer la sécurité et la sûreté du territoire. La loi vise les propriétaires des drones de plus de 800 grammes, lesquels doivent dorénavant s’enregistrer en ligne, suivre une formation et installer des signaux sonores (en cas de chute), numériques (pour la géolocalisation) et lumineux. Pour les drones de plus de 25 kg, l’immatriculation est en plus obligatoire.

 

Coque antisurveillance

pour Iphone Le lanceur d’alerte Edward Snowden et le hacker Andrew Huang ont présenté à la conférence Forbidden Research du MIT Média lab, une coque autonome qui prévient l’utilisateur de toutes activités suspectes. Un oscilloscope détecte lorsque le modem transmet des informations alors qu’il n’est pas supposé le faire, puis l’affiche sur la coque en temps réel avec alerte sonore et désactivation de la batterie. Fort utile pour les activistes et les journalistes. Un prototype pour Iphone 6 sera réalisé en 2017, puis, si un financement suffisant est obtenu, commercialisé.

 

L’IA à la douane 

La société Evolv Technology a inventé un portique qui scanne à travers les vêtements. Les images sont analysées non pas par des êtres humains mais par une intelligence artificielle afin de ne pas susciter de vocation chez les voyeurs et de ne pas heurter la pudeur des voyageurs. Ce système, qui a aussi l’avantage de prendre peu de place, sera testé prochainement dans les gares et aéroports américains. Terminés les strip-teases dans les aéroports !

 

Applications et logiciels

 

Android sur PC 

L’éditeur Jide a dévoilé l’application Remix OS player fin septembre 2016, une version du système d’exploitation Android 6.0 qui s’installe sur les ordinateurs de bureau. Celle-ci s’affiche dans une fenêtre de Windows à partir de laquelle on peut lancer toutes les applications d’Android. Les amateurs de jeux
dans les transports en commun pourront continuer à la maison !

 

Paint en 3D 

Après 30 ans de quasi-stagnation, le logiciel Paint de Windows fait un bond en avant avec une interface entièrement remaniée et l’introduction de la 3D. De plus, il a été conçu pour que les réalisations (2D ou 3D) soient intégrables et manipulables dans les autres logiciels de la Suite Office (Powerpoint, par exemple). Paint 3 est disponible depuis le 26 octobre 2016 pour tous les membres du programme Insider (testeurs des versions béta : https ://insider.windows.com/). Le logiciel sera présent dans la grande mise à jour de printemps de Windows 10.

 

Chirurgie et réalité virtuelle

La start-up MdlnReal a élaboré deux prototypes à destination des futurs chirurgiens afin qu’ils apprennent à effectuer des opérations dans des conditions optimales, à savoir les plus proches possibles de la réalité. La première plateforme permet aux chirurgiens de filmer leurs opérations en réalité virtuelle puis de les envoyer à la société MdnlReal qui les partage alors avec la communauté internationale des médecins et étudiants, ceci afin de repérer les pratiques les plus efficaces. Le second prototype place les chirurgiens dans les conditions du réel au moyen d’un casque de réalité virtuelle qui simule une vraie salle d’opération avec un patient virtuel… À quand les dissections de grenouilles ou de souris virtuelles dans les cours de SVT ?

 

No future…

 

Cours du soir pour YouTubers

L’école Mediatyc enseigne les techniques pour percer sur la Toile, devenir « Youtuber », à l’instar de Norman et Cyprien. Les élèves apprennent à référencer leur site, monétiser leurs vidéos, gérer leur réputation en ligne, respecter les cadres juridiques et rédiger leur show. Cette école, ouverte même pendant les vacances scolaires, est implantée, pour le moment, à Paris, Nîmes et Montpellier.

 

Le septième art à la merci des GAFA 

Les géants du web s’intéressent de plus en plus au cinéma. Ainsi, Amazon a récemment acheté les droits de Café society, du cinéaste Woody Allen. Les autres maîtres de l’économie numérique, tels Google avec youtube et la firme à la pomme avec Apple TV, investissent aussi dans le domaine cinématographique.

 

Amazon artisan 

Après les librairies et la grande distribution, Amazon s’attaque à l’artisanat en ouvrant une boutique en ligne pour l’Europe, Amazon Handmade. À l’ouverture de la boutique, fin septembre 2016, plus de 1 000 artisans, principalement français, proposaient des produits fait main. Nos artisans de quartier, non férus de technologie, ont du souci à se faire…

 

Des fanfictions adaptées à la TV

Wattpad, le célèbre outil de publication et de lecture d’ouvrages sur mobile a signé un partenariat avec Universal Cable Productions. Les publications de cette application très populaire chez les jeunes adultes et les adolescents sont principalement des fanfictions et de la bit-lit. L’objectif d’UCP : adapter les histoires mises en ligne gratuitement par les membres de la plateforme pour en faire des séries télévisées.

La création d’un livre numérique par des adolescents

Numook, vous avez dit Numook ?

Membre du comité consultatif de l’ANLCI1, Lecture Jeunesse contribue, par ses actions ou par ses recherches, à la prévention de l’illettrisme auprès des jeunes. La capacité à utiliser une diversité d’écrits (fictions, documentaires, ouvrages techniques…), de médias et de supports, imprimés et numériques – la « littératie » – constitue un facteur de réussite ou d’exclusion… On le sait, de nouveaux « savoir lire » ont émergé avec le développement des outils numériques, or c’est bien la maîtrise de leurs usages qui est source d’inégalité.

À travers cette expérimentation, l’association affiche l’ambition de faciliter l’accès des jeunes à la lecture de textes variés, et de leur faire découvrir, par des voies détournées et inventives, l’écriture collective. Elle espère également les aider à renforcer leur confiance en eux en favorisant l’expression de leur créativité et de leur potentiel. De plus, l’utilisation de supports numériques, la découverte d’un logiciel et d’une offre éditoriale numérique, permet non seulement de renforcer les compétences du B2i, mais aussi de contribuer à l’égalité des chances. Enfin, volet essentiel du projet – le plus difficile pour certains enseignants –, la venue et la collaboration d’intervenants divers ouvrent les portes de la classe et les jeunes vers le monde extérieur, comme les sorties culturelles qui peuvent compléter le dispositif.

La genèse de Numook

Après plusieurs années à animer des comités de lecture avec des adolescents, dans les Hauts-de-France et en Ile-de-France, Lecture Jeunesse souhaitait s’impliquer dans un projet de proximité auprès de jeunes. Or le 10e arrondissement est un quartier dans lequel l’association pouvait apporter de façon pertinente son expertise sur la littérature ado et les pratiques culturelles et de lecture des jeunes. Après avoir mené des comités de lecture avec les collèges Valmy et Grange aux Belles pendant un an, elle a monté un projet plus audacieux en collaboration avec le professeur documentaliste, Christiane Guégan, à la rentrée 2013.

Novateur et transdisciplinaire, le projet visait à mêler le numérique à la lecture papier et à l’écriture. Convaincues par son intérêt pédagogique et y voyant une forte concordance avec le projet d’établissement, la principale du collège et l’équipe enseignante ont été partie prenante. Pilote et coordinatrice, Lecture Jeunesse a réuni différents partenaires, dont l’éditeur pure player La Souris qui raconte, un des pionniers de l’édition numérique jeunesse, pour faire évoluer avec eux le projet initial. La difficulté était de laisser carte blanche aux jeunes tout en les cadrant à l’aide d’un thème, le récit de voyage. Le volume horaire estimé pour réaliser l’ebook imposait de travailler sur un sujet au programme. Par ailleurs, il ne s’agissait pas de proposer un projet en plus, mais au contraire de permettre à l’enseignant de mener à bien une partie de son programme à travers cette action déployée tout au long de l’année scolaire. Le projet devait également faire découvrir aux jeunes des métiers de la chaîne du livre. Outre la présentation des coulisses et de la fabrication de la revue Lecture Jeune, du métier d’éditeur pure player par La Souris qui raconte, la rencontre d’un auteur-illustrateur est intégrée au dispositif.

Une île juste parfaite, en 2013-2014

Pour échapper à la configuration frontale de la classe et pour que les élèves puissent travailler en groupes, il avait été convenu que toutes les séances en présence de l’association ou d’un des partenaires auraient lieu au CDI. C’est là qu’ont notamment pris place les deux ateliers d’écrit
ure proposés par Lecture Jeunesse, et que les adolescents ont conçu leur trame, inspirée par celle des récits de voyage de certains extraits de textes classiques qu’ils avaient lus (Jean de Lery, Marco Polo…). La structure non linéaire de leur ebook – un roi envoie ses émissaires dans cinq îles du globe dont on lui a parlé pour trouver l’endroit idéal où enterrer sa défunte épouse – a conduit les jeunes à rédiger de courts textes, avec des narrateurs variés, qui forment les chapitres de l’histoire. Cet éclatement du récit a été bénéfique pour penser une représentation spatiale et illustrée du sommaire, à travers une carte cliquable, qui mène le lecteur dans chaque lieu (la fin n’étant lisible que s’il est auparavant passé dans toutes les îles). La construction n’est donc pas linéaire: la trame exploite les potentialités du numérique.

Si les élèves ont douté au début ou avaient du mal à avancer, ils se sont rendu compte qu’ils «étaient capables», selon l’enseignante de français. Le projet a «soudé» les jeunes, qui «se sont rapprochés, aidés, soutenus et félicités mutuellement». L’intérêt de ce projet se situait dans l’accompagnement étroit des jeunes et dans le travail soutenu de rédaction qu’il exigeait. Les élèves ont été «fiers de ce qu’ils ont donné, échangé», selon le professeur documentaliste, qui relève la confiance que l’expérience leur a apportée, tandis que les élèves se déclarent fiers de leur réalisation. «Donner confiance en soi» était un des objectifs du projet: «oui à tout le monde, je dirais. Ils [les élèves] ont occupé des multiples positions: à lire, à écrire, à représenter, à échanger entre eux, à lire à voix haute et c’était spectaculaire pour certains, même».

 

Renforcement du projet en 2015 et 2016

La deuxième année s’est poursuivie au collège Valmy, avec Troubles, un ebook fantastique agrémenté de photographies. Comme l’année précédente, trois temps forts ont marqué la création de ce livre numérique : l’automne était consacré à la découverte d’une sélection éditoriale (papier et numérique, patrimoniale et contemporaine, tous genres confondus) par les jeunes, qui ont lu et se sont immergés dans le genre littéraire qui allait les occuper par la suite. Un dispositif spécifique a été prévu lors de la troisième année pour leur présenter les livres, leur donner envie de les lire puis d’en parler. Après avoir élaboré la trame narrative de leur ebook, les jeunes ont participé, entre janvier et mars, à quatre ateliers d’écriture grâce auxquels ils ont pu, en petits groupes et collectivement, imaginer leur histoire. Les séances d’arts plastiques s’articulaient autour de la trame pour illustrer les étapes de la narration, tandis que l’enseignante de musique a fait travailler les élèves sur des fonds sonores. Les livres devaient être terminés en mai pour pouvoir être ensuite présentés début juin aux autres élèves et aux parents lors de la journée portes ouvertes de l’établissement. La dernière année de cette phase d’expérimentation de 3 ans a connu un développement du nombre de partenaires pour accompagner les jeunes : sept enseignants volontaires se sont, à des niveaux divers, impliqués dans le projet et l’ont, pour partie d’entre eux, intégré à leur discipline. À leurs côtés, Lecture Jeunesse coordonnait la bibliothèque municipale de quartier (François Villon), La Souris qui raconte, Le labo des histoires (une association qui propose des ateliers d’écriture aux jeunes de 9 à 25 ans), et un médiateur numérique qui a animé des ateliers de création de petites vidéos de stopmotion pour illustrer Terre inconnue, le livre réalisé en 2016 au collège Valmy.

Après une première année de bilan méthodologique, une deuxième qui a permis un bilan qualitatif, Lecture Jeunesse souhaitait faire évaluer cette expérimentation par un chercheur en didactique de la littérature ; c’est effectivement la spécificité de l’association d’allier l’action de terrain à la théorie. Sollicité par Lecture Jeunesse, Pierre Moinard a ainsi suivi le projet tout au long de l’année, à travers des séances d’observation, des questionnaires et des entretiens avec les partenaires et les élèves, pour analyser les déplacements qu’il pourrait induire sur les représentations de la lecture et de l’écriture que peuvent avoir les jeunes, et mesurer les conditions de transférabilité de ce projet3.

Et aujourd’hui ?

Proposer à des jeunes aux profils variés une autre approche des livres et de la lecture en leur donnant l’occasion de créer leur propre livre numérique, telle était l’ambition de ce projet ebook lors de sa création, sans imaginer que le dispositif mis en place par Lecture Jeunesse rencontrerait l’adhésion d’autant d’enseignants collaborant sur un même objet, ni qu’il s’inscrirait pleinement dans la réforme du collège de la rentrée 2016.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Grâce à ses partenaires, Numook est actuellement dans sa phase d’essaimage. 150 collégiens et apprentis du bâtiment sont mobilisés dans ce projet dans 8 établissements différents, en Ile-de-France et en Corrèze, en zone urbaine et en milieu rural. Un établissement qui choisit de s’investir dans le projet Numook bénéficie gratuitement du soutien de Lecture Jeunesse, qui l’accompagne, labellise et publie l’ebook dans la collection Numook sur le site internet de l’association. Lecture Jeunesse coordonne le déroulement du projet en mettant en lien l’établissement avec ses partenaires et la bibliothèque de proximité, et en donnant des ressources (calendrier, méthodologie, questions de fond, modèles de chartes pour des partenariats autour de Numook avec des structures locales, bilans…) qui visent à aider les enseignants et les formateurs à s’approprier le projet et à en faire bénéficier au mieux les adolescents. Par ailleurs, toute structure qui s’engage dans Numook bénéficie, en plus du soutien de Lecture Jeunesse, de celui de ses partenaires : la Bibliothèque nationale de France, Le Labo des histoires, pour mettre en place des ateliers avec les jeunes, et le réseau Canopé, avec qui elle coélabore des modules – numériques notamment –, pour former les enseignants. Dès à présent, l’association prépare l’essaimage de la rentrée 2017 dans de nouveaux établissements, dans différentes régions de France. De Corto Maltese au Vendée Globe, de la Première Guerre mondiale aux monstres en passant par les bâtiments historiques, le récit initiatique, les mille et une nuits, la peinture et la poésie – thèmes prévus cette année par les différents établissements – la collection devrait être très variée. Toutes les structures adhérant à la démarche de Numook peuvent prendre contact avec l’association pour mettre en place le projet. Le premier critère de sélection de Lecture Jeunesse repose sur la motivation des enseignants (3 minimum), pour imaginer leur programme et leurs cours à travers les possibilités de ce dispositif, qui promet autant de thèmes différents que de livres inattendus.