Donner sa voie à l’information

Alors que l’épreuve du Grand Oral voit sa forme remaniée pour les épreuves de juin 2024 (la partie de l’entretien sur l’orientation est supprimée), nous vous donnons à entendre dans ce numéro les pratiques informationnelles des élèves écoutés lors de nos expériences en tant que jury de cette épreuve. Indéniablement, celles-ci existent mais force est de constater que les élèves peinent à les formuler de manière organisée et méthodique. Par ailleurs, l’idée même de source semble se diluer de plus en plus lors du recueil d’informations sur le Web et le recours aux sources papier devient parfois le gadget qui «fait bien» devant les examinateurs. En parallèle, dans nos CDI de lycée, on voit surtout des doigts qui swipent et qui scrollent, plutôt que des mains qui feuillettent. Une page est peut-être en train de se tourner, qui verra au CDI l’usage du livre surtout dédié à la lecture plaisir et moins à la recherche d’informations. Loin des discours déclinistes ou alarmistes, il faut toutefois garder en tête que la recherche d’informations et la lecture sur smartphone sont toujours des pratiques de recherche et de lecture, quel que soit le support utilisé, papier ou numérique.

Notre rôle est justement d’accompagner cette transformation des pratiques informationnelles et de faire prendre conscience aux élèves que le Dieu Google et la Déesse IA – qu’évoque Philippe Chavernac, dans sa note de lecture sur l’essai d’Axel Cypel, Au cœur de l’intelligence artificielle – ne sont que des outils parmi d’autres, à considérer comme tels. Apprendre à dompter la folie des notifications et des stimuli dopants, savoir évaluer la fiabilité des sources consultées, recréer une hiérarchie dans les contenus, être capable de citer ses sources à l’écrit et à l’oral : notre rôle pédagogique est plus que jamais nécessaire et engagé dans ces nouvelles pratiques informationnelles.

Cet accompagnement s’incarne également dans la mise en œuvre d’un espace documentaire dans lequel il est facile pour les élèves de se repérer, comme le souligne Corinne Paris dans son article sur l’élaboration d’une signalétique signifiante et claire, pouvant utiliser les méthodes du design thinking. Il en est de même dans la fiche pratique rédigée par Lucile Sire, puisque la rédaction du bilan d’activités du CDI permet chaque année de dégager des axes de travail pour l’année suivante et de réfléchir sur nos pratiques professionnelles afin de les orienter au plus près des besoins informationnels des élèves.

Aux nouvelles pratiques informationnelles font également écho les nouvelles pratiques de lecture plaisir, mises à l’honneur sur des réseaux sociaux numériques comme TikTok, que Perrine Chambaud détaille à travers un genre éditorial en plein essor chez les adolescents : la new romance.

Enfin, le zoom sur la maison de Jean-Jacques Rousseau rédigé par Jean-Marc David rappelle à bon escient que « Rousseau est un des premiers penseurs qui remet en cause l’idée que l’être humain, dès sa naissance, peut être mauvais : pour lui, l’enfant naît naturellement bon ». Gardons cela en tête pour guider au mieux les adolescents de nos établissements dans leurs pratiques informationnelles quelles qu’elles soient.

Démarche créative et expérience(s) du monde

Démarche créative, expérience(s) du monde, ouverture à la diversité sont au cœur de ce nouveau numéro d’InterCDI.

Interroger les normes, les hiérarchies et à la suite le difficile à classer, c’est ce à quoi s’attache Olivier Le Deuff dans Monstres et documents. Il invite le lecteur à dépasser tout point de vue définitif, et à s’ouvrir à la diversité, choisissant pour sa part, sur le mode de la bifurcation, de centrer son propos sur les monstres. Ce qui engage sur des voies nouvelles, intéressantes à considérer quand il s’agit de classifications, ici documentaires. Le bien commun se fonde sur des principes de partage, non sur des similarités, insiste-t-il, élargissant la réflexion.

Construire sa pensée, bâtir et organiser des idées, en s’inspirant de démarches créatives, c’est ce que proposent Isabelle Hincapié-Jault et Véronique Gardair, toutes deux soucieuses d’impulser un apprentissage par le faire, au plus près des acteurs/usagers : déroulant, pour la première, une séquence de préparation à l’oral en classe de sciences de première, en appui sur le potentiel des cartes heuristiques ; suggérant, pour la seconde, la méthode design thinking, pour mûrir des projets de (ré)aménagement des espaces, selon une approche usagers.

S’ouvrir au monde, dans sa diversité, rester attentif aux mouvements des idées, oriente vers une pluralité d’initiatives et d’expériences, étendant l’horizon des possibles, en jouant de différents registres. Avec le dispositif « La classe dehors » au centre des Rencontres Internationales de Poitiers (en mai-juin 2023), il s’agit de faire une place au sensible, ce dont rendent compte Antoine Henry et Kaltoum Mahmoudi, qui esquissent quelques propositions pour « un CDI dehors », faisant le lien entre nature et culture. Avec les projets inter-lycées d’envergure européenne dont Sophie Dremeau et Pietro De Cesare retracent les grandes lignes, c’est la dimension interculturelle qui est mise en avant, tout comme dans l’ouverture culturelle que Corinne Paris consacre au thème d’actualité « Sport et Jeux olympiques ». Avec la veille numérique enfin, signée Gabriel Giacomotto, ce sont les évolutions en cours dans le domaine de l’IA, notamment Chat GPT, qui sont interrogées et des ressources innovantes présentées, sources potentielles d’activités créatives.

Bonne lecture à toutes et tous

Demain les IA génératives

Novembre 2022, ChatGPT, l’intelligence artificielle conversationnelle de l’entreprise américaine OpenAI conquiert la planète web en répondant instantanément à toute question des internautes de façon directe, synthétique et ordonnée. Cette IA s‘appuie sur un corpus textuel déterminé entièrement constitué de données issues du web mais non connecté à celui-ci en temps réel. Néanmoins, depuis 2019, la plateforme payante Playground d’OpenAI permettait déjà aux développeurs et à tout internaute féru d’algorithmes de tester les différentes versions de Cha­tGPT, grâce à de multiples réglages, et de générer du texte ou du code afin de les intégrer dans des applications. En 2023, tout s’accélère, avec le développement de versions toujours plus performantes, dont ­ChatGPT 4 (version payante), qui, grâce à l’un de ses plugins, peut désormais chercher des informations sur le web (actualité, sources, etc.). En mars 2023, OpenAI s’associe avec Microsoft qui intègre ChatGPT 4 au moteur de recherche Bing (application Copilot), rendant cette version accessible gratuitement au grand public. Enfin, en décembre 2023, OpenAI signe le premier accord de partenariat avec un important groupe de presse européen, Axel Springer, offrant ainsi l’accès à une base de données d’articles aux utilisateurs de ChatGPT 4.
La concurrence n’est pas en reste. Une course mondiale est engagée, de nombreuses autres IA conversationnelles performantes sont développées, parmi lesquelles on peut citer : Mistral AI (France), Perplexity AI (USA), Meta AI de Facebook (USA), Ernie Bot de Baidu (Chine) et, particulièrement, Bard de Google, sortie en 2023, dont la version multimodale1, Gemini, prétend rivaliser avec ChatGPT 4.
Les IA génératives2, dont font partie les IA conversationnelles, évoluent donc constamment et proposent également la création d’image à partir d’un texte (DALL.E d’OpenAI, Bing créateur d’image de Microsoft, Text to image de Canva, Midjourney avec Discord) ou la transcription vocale (Speech-to-Text de Google, Whisper d’OpenAI…). Elles se diversifient avec l’émergence d’autres options telles que la génération de vidéo, de musique, de traduction vocale, de diaporama à partir d’un prompt3. Il est également possible de faire une traduction vocale en langue étrangère d’un audio ou d’une vidéo (HeyGen). Une tendance vers les intelligences artificielles génératives multimodales semble donc se dessiner. Dans un avenir très proche, les IA génératives feront probablement partie de notre quotidien, exécutant de nombreuses tâches basiques ou complexes.

Face aux enjeux sociétaux liés au déploiement et à l’utilisation de ces nouvelles technologies, notamment les multiples plaintes en violation des droits d’auteur, les atteintes à la protection des données personnelles (RGPD), la CNIL a publié le 16 mai 2023 « un plan d’action pour un déploiement de systèmes d’IA respectueux de la vie privée des individus ». En outre, le 9 décembre 2023, l’Union européenne est parvenue à un accord entre les différents États membres sur un texte qui encadre les intelligences artificielles, l’AI Act : « Ce règlement vise à garantir que les droits fondamentaux, la démocratie, l’État de droit et la durabilité environnementale sont protégés contre les risques liés à l’IA, tout en encourageant l’innovation […]. Les règles établissent des obligations relatives au niveau de risque et d’impact que l’IA peut générer. »

À la suite de l’annonce, par le ministre de l’Éducation nationale, de l’introduction de l’IA dans l’apprentissage du français et des mathématiques en seconde (application MIA), dès la rentrée 2024, il est urgent de réfléchir à l’usage de ces outils, comme le signale Manon Lefebvre, dans son article sur ChatGPT, en nous présentant son fonctionnement, ses limites, et en suggérant des pistes de réflexion, d’apprentissage et de production de contenus pédagogiques.

 

 

Image(s) de soi

Au moment où nous imprimons cette revue, nous apprenons avec effroi l’assassinat de notre collègue professeur de lettres, Monsieur Dominique Bernard. Toute la rédaction exprime sa peine et son soutien à sa famille dans ce moment particulièrement douloureux.

Dans un thèmalire particulièrement fouillé et documenté, Fanette Bianchi retrace l’évolution éditoriale des romans jeunesses centrés autour de la première relation sexuelle : depuis les débuts du genre dans lesquels la sexualité n’est mentionnée que de façon elliptique ou sous un angle préventif via ses conséquences, la plupart du temps dramatiques, jusqu’à nos jours où la première relation sexuelle et l’érotisme deviennent le thème central du roman avec un réel questionnement autour des sexualités, sans sombrer dans l’apologie des pratiques extrêmes. Une bonne introduction à l’éducation à la sexualité. À ce sujet, on lira avec attention l’ouverture culturelle de Yannick Denoix dans laquelle il ne manque pas de rappeler la grande liberté amoureuse et sexuelle de Colette, sans oublier ses multiples facettes artistiques et intellectuelles qu’il nous fait redécouvrir, à l’occasion des 150 ans de sa naissance.

Adeline Segui-Entraygues et Sybil Nile, dans un article consacré au selfie, reviennent sur son origine et sa proximité apparente avec l’autoportrait pour immédiatement élargir le champ en rappelant que le selfie constitue une forme de communication active à trois : émetteur, récepteur, contexte, qu’il est genré et qu’on ne peut limiter son interprétation au narcissisme de la génération des millenials. Elles plaident, exemples de séances à l’appui, pour une éducation aux usages numériques dispensée par les professeurs documentalistes qui permettrait aux élèves « de passer d’un statut d’objet ou de sujet de leur selfie à celui d’acteur ». Ceci afin de développer des pratiques d’information raisonnées : maîtriser son identité numérique, comprendre les multiples enjeux des réseaux sociaux, réfléchir à l’exposition et à la publication de soi. Agnès Deyzieux s’intéresse également à la question de la mise en image(s) de soi, de ses émotions en choisissant de rédiger un gros plan autour de Benoît Vidal, auteur de la BD Gaston en Normandie, lequel, pour raconter le débarquement en Normandie à travers les yeux de sa grand-mère, opte pour une forme tombée en désuétude mais réinventée par les éditions FLBLB : le roman photo.

Brigitte Réa analyse les évolutions catalographiques liées au développement d’internet, notamment la création de formats universels d’échange de données (UNIMARC), l’accès des usagers à la recherche sur des catalogues en ligne sans que pour autant les notices desdits catalogues soient accessibles via les moteurs de recherche type google et enfin, ultime étape, la transition bibliographique qui vise à adapter le catalogage à l’environnement Web afin de faciliter les recherches. Elle nous rappelle que ces évolutions sont déjà présentes sur nos portails avec, notamment, l’intégration de métadonnées issues de ressources numériques externes, celles de l’encyclopédie Wikipédia, par exemple, qui font d’ailleurs l’objet d’un focus dans la veille numérique de Gabriel Giacomotto. Enfin, Lucie Sire détaille dans une fiche pratique les étapes de la création d’un podcast, en passant par les partenaires et outils disponibles, les concours, les compétences travaillées, la réalisation et les droits. Elle conclut avec quelques exemples de podcasts bien choisis, notamment une série sur notre métier réalisée par deux professeures documentalistes : 621.3 Prof Doc sur Spotify, bonne écoute.

Le cerveau en question(s)

Nous avons choisi dans ce dossier d’InterCDI d’interroger la place des neurosciences au CDI ainsi que le rôle du professeur documentaliste dans les projets qui y font référence, projets portés par des équipes de collègues motivés. Que nous apprennent les résultats des recherches récentes dans ce domaine ? Quels sont les apports potentiels des neurosciences aux pratiques de classe ? Autant de questions auxquelles il n’est pas envisageable d’apporter de réponses définitives car, comme le souligne Edouard Gentaz, professeur de psychologie du développement à l’université de Genève et directeur de recherche à l’institut des sciences biologiques du CNRS dans l’ouvrage Les neurosciences à l’école : leur véritable apport1, les études sur les neurosciences sont relativement récentes et encore très discutées, notamment en raison d’un manque d’études significatives. Il rappelle également que les neurosciences ne sauraient expliquer à elles seules des phénomènes aussi complexes que l’apprentissage et l’enseignement. Il importe d’observer l’environnement de l’individu et de s’appuyer sur différentes disciplines : « Pour un enseignant, il est important de prendre conscience que lorsque l’élève apprend quelque chose, il “sculpte” son cerveau et, dans certains cas, peut “recycler” de nouvelles zones cérébrales. Les compétences sont beaucoup plus modulables que ce que l’on pensait. […] Mais les recherches en neurosciences à elles seules ne peuvent guider les pratiques pédagogiques. Elles doivent être associées aux autres disciplines, comme celles issues de la psychologie scientifique » (Gentaz, 2022, p. 27).

Dans un premier temps, nous essaierons de comprendre les mécanismes de la pensée en jeu dans l’évaluation de l’information. L’adhésion à certaines infox ou théories du complot est-elle principalement une affaire de cerveau ? Quelle est la part du contexte socio-culturel et de l’environnement informationnel ? Pour éviter de tomber dans les « mythes cognitifs », Raphaël Heredia propose, avec Désinformation une histoire de cerveau vraiment ? de faire la part des apports respectifs de différents champs, dont certains sont délaissés (sociologie du numérique, sciences de l’information, sciences de l’éducation) quand d’autres sont largement invoqués (neurosciences, psychologie cognitive ou sociale). L’approche est compréhensive, il s’agit dans tous les cas de mettre à distance une vision de l’ÉMI comme « une histoire de gens qui pensent mal, à remettre sur le droit chemin cérébral ».
C’est dans le cadre d’une réflexion générale sur les pratiques pédagogiques que Manon Lefebvre convoque les neurosciences : non comme un outil proposant des méthodes universelles à appliquer pour améliorer les apprentissages, mais dans une logique d’expérimentation et d’adaptation des pratiques, rapportée ici plus particulièrement à l’ÉMI et centrée sur le processus de mémorisation. Certains « allants de soi » sont questionnés, et des pistes suggérées, en appui sur les résultats de recherches récentes ; la nécessaire prise en compte du contexte, et le rôle primordial de l’enseignant à ce niveau sont rappelés avec insistance. Dans la continuité de sa réflexion, Marine Brochard-Castex propose un exemple concret, dans un contexte de cours bimensuel, mettant à l’épreuve du terrain certaines des pistes préconisées.

Dans un second temps, nous nous pencherons sur des expérimentations pédagogiques lancées dans plusieurs académies, qui ont pour objectif la création d’un contexte éducatif favorable aux apprentissages et à la gestion des émotions. Virginie Breyton relate ainsi le déploiement dans l’académie de Versailles d’un dispositif soutenu par la CARDIE2, visant à développer les compétences psychosociales des élèves, et plus précisément, leur bien-être. Elle donne à voir comment les professeurs documentalistes peuvent s’impliquer et contribuer à l’acquisition par les élèves d’une meilleure connaissance des « mécanismes » du cerveau et de leurs capacités cognitives, émotionnelles et sociales. Les pratiques ludiques et créatives occupent une place de choix dans ce processus, ce que met également en avant Anne-Valérie Mille-Franc dans l’académie de Montpellier, laquelle propose dans un article des pistes et des outils pour travailler différemment avec les élèves. Toutes les deux soulignent l’importance d’une formation solide et s’interrogent sur la manière dont le professeur documentaliste peut contribuer à l’instauration d’un climat serein, propice à l’épanouissement des élèves.
Avec la création d’un groupe « zèbres » (terme inventé par Jeanne Siaud-Facchin, psychologue clinicienne et psychothérapeute), Louise Daubigny propose une expérience singulière d’accueil en CDI d’élèves à Haut Potentiel (des élèves « à besoins éducatifs particuliers »). Ici aussi, l’auteure invite à dépasser certaines idées reçues, et interroge le rôle du professeur documentaliste. La démarche de projet et les activités sollicitant imagination et créativité sont mises en avant. Le CDI peut être « une bulle d’air » pour ces élèves, selon ses mots. Enfin, Stéphanie Druesne, professeure d’EPS et formatrice académique en yoga, invite à faire un pas de côté avec la pratique du yoga : au-delà du projet présenté, appuyé par l’académie d’Orléans3, et à destination d’élèves mineurs isolés allophones, c’est de la relation corps/esprit que traite l’article, et des effets bénéfiques que peut avoir le yoga sur le cerveau ; apprendre à accueillir et à maîtriser ses émotions permet d’apaiser les tensions physiques et mentales et favorise la concentration ; vivre les mots – et les savoirs – via des mouvements et des postures participe au processus de mémorisation, l’élève se préparant ainsi pour de nouveaux apprentissages.

Prendre son regard en main

« [Le photographe] doit avoir et garder en lui quelque chose de la réceptivité de l’enfant qui regarde le monde pour la première fois ou du voyageur qui pénètre dans un pays étrange. » (Bill Brandt)

Alors que l’année scolaire se termine, une année qui, pour la première fois depuis trois ans, s’est déroulée selon un fonctionnement sanitaire normal, une année à nouveau jalonnée de projets et de sorties, nous souhaitons placer ce numéro sous l’égide de l’ouverture au monde et du changement de regard qu’elle implique.
Ainsi, cette envie de s’échapper, de prendre l’air, peut se traduire par de nouvelles pratiques pédagogiques tournées vers l’extérieur, comme le démontre avec érudition Laure Pillot dans un article sur le CDI hors les murs. Favorisant l’autonomie, la démarche de projet et la mise en mouvement des élèves qui augmentent ainsi leur pouvoir d’agir, ses propositions sont autant stimulantes pour l’esprit que concrètes dans leur mise en œuvre.
Prendre l’air mais aussi la plume pour reprendre en main ses projets : c’est le cas dans l’exemple proposé par Christine Thiollet qui présente une pratique participative avec la création des éditions Je Vous aime. Quelle belle initiative de la part de lycéens que de fonder leur propre maison d’édition, d’en définir l’identité, d’organiser les moyens matériels pour la concrétiser, puis d’y diffuser leurs écrits littéraires !
Prendre la plume également dans l’interview qui vous est proposée en Gros Plan. L’évasion dans l’écriture, à la conquête d’une identité qui questionne et bouleverse, s’incarne ainsi dans Le royaume lointain d’Amina Richard. Notre collègue professeure documentaliste vient de publier son premier roman aux éditions Stock et partage avec nous les étapes de la création littéraire et de l’écriture de soi, qui l’amèneront sur les traces de son père au Sénégal.
Gros plan qui nous amène enfin à faire un double focus sur la photographie. Quoi de mieux pour l’ouverture au monde que d’analyser une photographie de presse pour ne jamais détourner les yeux ? Ainsi, la fiche pratique que nous vous soumettons, adressée aux élèves, permet de lister les différents critères de la lecture réflexive d’une photo. Quant au thèmalire signé Bénédicte Langlois, il assure une intéressante porte d’entrée par la fiction dans le monde des images. Prendre son regard en main, ne serait-ce pas là une possible définition de la photographie ?
Ouvrons les yeux au monde en prenant la tangente, tout en affûtant notre capacité à nous mettre en action, que ce soit par le biais de la photographie, de la littérature ou d’un CDI qui prend l’air. L’air de rien, cela change tout.

Merci Annette

Nous dédions ce numéro d’InterCDI à Annette Béguin-Verbrugge, compagne de route fidèle de la revue, décédée le 13 décembre dernier.

Professeure en SIC à l’Université Lille 3, chercheure au sein du Laboratoire GERiiCO, Annette s’est beaucoup investie dans la vie de la revue : membre assidue du comité de rédaction, force de proposition attentive à préserver les liens terrain-recherche, élément moteur de l’aventure éphémère InterBCD et auteure régulière, partageant volontiers les résultats de ses recherches, en dialogue avec d’autres chercheurs pionniers de l’information-documentation, ce dont témoigne notamment le numéro anniversaire des 50 ans de la revue paru en décembre dernier.

Parions qu’Annette apprécierait ce nouveau numéro dans lequel plusieurs articles entrent en résonance avec ses centres d’intérêt, présentant des expériences originales, donnant à voir le dynamisme des réflexions en cours, autour de problématiques qui agitent tant la profession que le monde de la recherche aujourd’hui.

Ainsi en est-il de l’article sur l’arpentage littéraire, signé Jérôme Grondin et Béatrice Robert. La pratique de l’arpentage, issue de la culture ouvrière de la fin du XIXe siècle, diffusée ensuite par les associations d’éducation populaire, a pour but de s’approprier une œuvre « pour se construire une culture commune ». La méthode de lecture est dynamique et « augmentée » : le livre est découpé/déchiré en autant de parties que de lecteurs et lu collectivement. La lisibilité des documents s’y trouve interrogée, dans la ligne des nombreux écrits d’Annette sur la lecture, en lien avec les régimes de matérialité (documentaire, graphique, textuelle…) et la manière dont ces matérialités sont prises en compte dans les apprentissages à l’école (Béguin, 2006, 2010).

Autre article stimulant, celui de Jessica Tillard qui fait écho à des publications d’Annette sur l’espace bibliothèque et ses reconfigurations, interrogeant le rapport au savoir et son devenir dans un monde en mutation. L’article reprend les résultats d’une recherche initiée par l’auteure dans le cadre de son mémoire de Master MEEF. Il croise étude de dessins représentant le CDI et le professeur documentaliste, vus par des élèves de 6e nouvellement arrivés dans l’établissement, et réflexion plus générale sur la notion d’espace, notamment l’espace-bibliothèque en tant qu’espace de savoir avec ses objets, ses pratiques, ses acteurs. L’auteure esquisse quelques pistes pour des investigations futures, invitant à poursuivre le questionnement sur le devenir de la bibliothèque/CDI, et l’évolution de la médiation pédagogique en période d’incertitude institutionnelle. « La bibliothèque est le reflet de la manière dont le savoir est ré-envisagé dans nos sociétés ; comment à travers les institutions que sont les bibliothèques, il s’imprime et s’exprime.» (Béguin, 2018).

Autre article, à l’initiative de Kaltoum Mahmoudi, dont les travaux s’inscrivent dans la mouvance de l’École de Lille (Annette a dirigé son mémoire de master), un article sur la plateforme Adage, en dialogue avec Silvana Bonura, référente culture du bassin de Lille centre. La présentation de la plateforme, de sa logique, des valeurs qu’elle promeut (visibilité, partage, mutualisation, équité) et des compétences nécessaires à sa maîtrise est l’occasion pour les auteures d’interroger le processus même de plateformisation : un processus qui n’est pas neutre, mais porteur des idéaux ancrés dans l’imaginaire de l’institution, transmetteur de messages idéologiques via le design des dispositifs, valorisant l’instrumentation technique au détriment des médiations, humaine et pédagogique.

Ces constats soulèvent, de manière toujours plus accrue, la problématique d’un continuum de savoirs, d’un « curriculum info-documentaire », gage de la construction, pour chaque élève, d’une culture informationnelle (Béguin & Kovacs, 2011). Un sujet cher à Annette, notre collègue et amie.

Merci Annette de nous avoir fait le cadeau d’une pensée féconde, stimulante, toujours en mouvement. Sincèrement.

Travailler en commun

Les communs « sont des activités organisées collectivement par une communauté selon un mode de gestion qu’elle définit elle-même, afin de gérer, valoriser et protéger des ressources. Les biens communs peuvent être matériels […] ou immatériels […] Dans l’enseignement, nous parlons des communs de la connaissance, en particulier numériques ». Voici la définition qu’en donne Hélène Mulot, en 2016, dans le dossier spécial du numéro 261 d’InterCDI. Avec quelques années de recul, Antoine Henry revient sur la notion et analyse les communs en profondeur, en insistant sur les multiples initiatives réussies et pertinentes dans ce domaine, les apports de ce type de pratiques en matière de résilience, notamment en période de crise avec, en conséquence, la nécessité de mettre en place un réel outil de gouvernance partagée permettant de favoriser leur développement. Dans le même esprit, Appoline Haquet et Alice Brière-Haquet évoquent la genèse de leur ouvrage sur les femmes artistes, leur volonté de participer au rééquilibrage concernant la place des femmes dans le domaine artistique et lèvent le voile sur l’écriture à deux mains. Travailler en commun, c’est également ce que nous propose Louise Daubigny avec une séance sur les fake news, réalisée en collaboration avec les professeurs de français, dans laquelle elle reprend les principaux écueils à éviter pour déjouer les fausses informations. Corinne Paris nous entraîne à la découverte de la gastronomie française sous toutes ses coutures : aspects du vivre ensemble, de la convivialité, questions d’hygiène alimentaire, inégalités de genre en cuisine, influence sur les arts culinaires à travers le monde, entre autres. Quant à Timothée Mucchiutti et Yannick Denoix, ils partagent leur(s) lecture(s) : le premier sous la forme d’une critique argumentée d’un ouvrage sur le merchandising en bibliothèque, le second dans un thèmalire recensant des romans évoquant le vécu des enfants durant la Seconde Guerre mondiale. Enfin, Lucile Sire, utilisatrice avertie du portail e-sidoc, mutualise ses pratiques en détaillant dans sa fiche les différentes options disponibles en matière de création, publication et communication de contenus sur le portail du CDI.

InterCDI, 50 ans avec les professeurs documentalistes

En 1972, Roger Cuchin conçoit et réalise une revue pour la profession : il envoie 1000 numéros pilotes dans les SDI, lesquels suscitent un tel engouement chez les documentalistes en poste que cela se concrétise par la parution en 1973 du numéro 1 d’INTER SDI. Il ne pouvait s’imaginer que la revue serait encore présente et active 50 ans plus tard. Lui rendre hommage, dans ce double numéro anniversaire d’InterCDI (N° 300), relève de l’évidence.

Depuis la création de la revue, de nombreux collègues et collaborateurs ont participé à sa réalisation et plus largement au développement de l’association CEDIS (Centre d’étude de la documentation et de l’information scolaires), rendant ainsi possible par leur implication pérenne et fructueuse une telle longévité. Cette permanence est assez remarquable pour être soulignée ; elle est bien évidemment liée au parti pris affiché par la revue depuis ses débuts, à savoir promouvoir et défendre une profession méconnue, en dépit de sa richesse et de ses multiples facettes.

Un bond dans le passé vous entraînera à la découverte de la genèse de la revue et de son évolution ; vous appréhenderez la construction progressive de la profession ainsi que le positionnement de la revue comme acteur principal aux côtés des collègues et des autres organisations de notre métier, à travers une sélection d’extraits. Au gré de la lecture, vous suivrez les étapes essentielles de l’évolution de la profession : installation des CDI, circulaire de missions de 1986, reconnaissance d’un rôle pédagogique institutionnalisé par le CAPES de documentation en 1989, dispositifs pédagogiques interdisciplinaires, circulaire de mission de 2017 avec, entre autres, la prise en compte des heures d’enseignement.

De retour au temps présent, vous lirez les témoignages de professeurs documentalistes débutants ou plus expérimentés qui ont accepté de nous livrer leur ressenti, leurs doutes, leurs désillusions, leurs envies et leurs espoirs concernant leur métier. Certains ont choisi d’évoquer principalement leurs débuts, avec parfois beaucoup d’humour et de recul, d’autres ont voulu porter un regard critique sur l’ensemble du métier. Ces témoignages donnent un aperçu de la grande résilience de la profession et de la capacité d’adaptation du professeur documentaliste.

Enfin, vous serez invités à explorer un futur où nous avons choisi de questionner des stagiaires sur leurs prises de fonction, les évolutions du métier, leur regard sur la profession et leurs attentes par rapport à la revue. Par ailleurs, une architecte s’est penchée sur l’évolution architecturale des CDI, à laquelle font écho les interrogations d’une professeure documentaliste sur les reconfigurations en cours et leur adéquation avec les pratiques pédagogiques, notamment au regard des attentes et besoins du terrain. Et puis, pourquoi ne pas rêver notre métier avec Mathilde, professeure documentaliste en 2032, afin de le construire ensemble pour toute la communauté éducative.

Soyez assurés qu’InterCDI continuera à donner la parole à l’ensemble des collègues qui souhaitent apporter leur contribution à nos travaux et réflexions.

Nous dédions ce numéro anniversaire à la famille Cuchin et à tous ceux qui ont collaboré à la naissance de la revue InterCDI.

 

Lecture, écriture : une correspondance créative

Lecture et écriture se complètent et se nourrissent l’une de l’autre : on écrit, on lit pour soi, pour donner à écrire ou à lire ou encore pour donner à voir. À ces mouvements se rattachent les idées d’appropriation, de transmission et de création artistique qui sont au cœur de ce numéro, envisagées tant du point de vue du professeur documentaliste que de celui de l’élève.
Pascale Gossin nous emmène tout d’abord à la découverte du carnet de lectures : « geste intellectuel à la portée de tous », à la fonction mémorielle, cet écrit intime facilite la rencontre avec les œuvres tant fictionnelles que documentaires, que ce soit dans le cadre d’une lecture personnelle ou collective. Il suit l’élève de la maternelle à la terminale et occupe le devant de la scène dans la seconde partie des épreuves anticipées de français : cette question de la restitution orale est approfondie avec la fiche élève de Sophie Dreneau Se préparer au Grand oral.
Fruit d’une réflexion sur la lecture des œuvres patrimoniales, l’ouvrage Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ? de Sarah Alami, paru aux éditions Tsarines, témoigne plus loin d’une volonté de partage d’expérience avec ses pairs. Notre note de lecture est centrée sur les collaborations possibles entre professeurs de lettres et professeurs documentalistes. Elle s’accompagne de la présentation de l’auteure et de l’éditrice, Nina Blanchot, également professeure de lettres. Professeure, auteure, éditrice : trois fonctions qui jalonnent le parcours de Sandrine Leturcq, professeure documentaliste, et sur lesquelles elle revient dans un entretien avec Jean-Marc David : gros plan sur la maison d’édition associative Carnets de Sel, créée en 2018.
L’ouverture culturelle est consacrée au comédien et au dramaturge Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1622-1673) dont nous célébrons le double anniversaire en 2022-2023 : une occasion de (re)découvrir la vie et les œuvres de ce talentueux peintre de la nature humaine, s’il en est. Nous terminons par la rencontre, dans le cadre d’un projet sur la bande dessinée, Une Case en Plus, entre trois classes professionnelles du Lycée Touchard-Washington, au Mans, et Nadia Nakhlé, auteure de Les oiseaux ne se retournent pas. Un récit original, puisqu’il a été envisagé sous une forme triple : une bande dessinée, un spectacle et un film d’animation.

Au nom de toute l’équipe d’Intercdi, je vous souhaite une très bonne rentrée.