TINTIN, naissance d’un journal

Résistants et collabos

Tout commence en décembre 1944, en Belgique. André Sinave et Albert Debaty s’associent à un jeune résistant Raymond Leblanc et fondent les éditions « Yes », situées au 55 rue des Lombards. Après avoir créé une collection de romans d’amour et une revue d’actualité cinématographique, les trois hommes décident de lancer un journal pour la jeunesse. Grâce à un réseau d’anciens résistants, ils peuvent se procurer du papier, rare à l’époque, et contacter Hergé, auteur confirmé. À la Libération, le dessinateur de Tintin traverse une période difficile ; il est arrêté à plusieurs reprises, a passé une nuit en prison, et son domicile a été perquisitionné. On lui reproche d’avoir, durant l’Occupation, participé au journal Le Soir, organe officiel de la collaboration belge et de la propagande nazie. On surnomme alors le quotidien Le Soir « volé », par opposition au Soir d’avant-guerre. C’est dans ce journal qu’il publie L’Étoile mystérieuse, album quelque peu teinté d’antisémitisme. Au moment de la Libération, tous ceux qui ont participé à la rédaction d’un journal pendant l’Occupation se voient interdire provisoirement toute publication. Au final, le dessinateur ne sera pas condamné et obtiendra, faute de charges précises, un certificat de civisme, indispensable pour obtenir son permis de conduire… et pour travailler. De cette association, tout le monde sort gagnant. Les résistants ont engagé un dessinateur de renom, au grand talent, et ce dernier, à leur contact, peut se refaire une « virginité ».

Au moment de financer cette aventure, Raymond Leblanc écarte ses anciens compagnons et s’associe avec un distributeur de films, Georges Lallemand, pour fonder les éditions du Lombard. Ce dernier possède 40 % des parts de la société ; Raymond Leblanc, en tant que Directeur Général Gérant, 50 % ; et Georges Rémi, alias Hergé, 10 %, en tant que directeur artistique. L’aventure peut commencer.
Hergé va s’entourer d’Edgar Pierre Jacobs, ancien chanteur d’opéra qui dessine les décors de certains de ses albums, et d’Alexandre Van Melkebeke, peintre et journaliste. Hergé a rencontré Jacobs en 1941 lors de la représentation d’une pièce de théâtre, Tintin aux Indes ou Les Mystères du diamant bleu, écrite par Van Melkebeke, un ami d’enfance de Jacobs (il l’aurait inspiré pour le personnage du professeur Mortimer). Van Melkebeke devient le premier rédacteur en chef du journal. Rattrapé par son passé de collaborateur, condamné à quatre ans de prison, il est renvoyé quelques mois après le lancement du journal. Il deviendra un homme de l’ombre de la bande dessinée franco-belge, participant incognito ou sous pseudo à de nombreux scenarios. Raymond Leblanc place alors à la tête du journal un de ses amis avocats : André-Désiré Fernez, qui restera une dizaine d’années à ce poste.

Jeudi 26 septembre 1946.
Tintin n° 1

Hergé s’est chargé de la mise en page et du dessin du logo. Le journal compte douze pages, dont quatre en couleurs. Le premier numéro de Tintin sort le jeudi 26 septembre 1946, tiré à 60 000 exemplaires dans sa version française et 40 000 dans sa version flamande (Kuifje). Au sommaire :

  • une splendide couverture annonce les nouvelles aventures de Tintin et Milou : Le Temple du Soleil (décor par Edgar- P. Jacobs) ;
  • L’Extraordinaire Odyssée de Corentin Feldoë par Paul Cuvelier, un jeune dessinateur prodige de 23 ans repéré par Hergé quelques mois auparavant. Premier épisode de la série Corentin qui connaît une grande longévité puisqu’un nouvel épisode, Les Trois Perles de Sa-Skya, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Christophe Simon, vient de sortir cette année ;
  • le début de La Guerre des Mondes de H.G. Wells, illustré par Edgar-P. Jacobs, grand amateur de science-fiction ;
  • les deux premières pages du Temple du Soleil, avec le résumé des 7 Boules de cristal publiées durant la guerre dans le Soir « volé » ;
  • un extrait de Zadig de Voltaire (!) dont on se demande un peu ce qu’il vient faire là ;
  • La Légende des Quatre Fils Aymon par Jacques Laudy, dessinateur très classique, collectionneur d’armures, facétieux joueur de cornemuse et modèle pour le capitaine Blake de son ami Jacobs ;
  • enfin, Le Secret de l’Espadon d’Edgar-P.
    Jacobs qui s’ouvre sur cette phrase qui prête au rêve : « Minuit… sur l’aéroport de Lhassa règne une intense activité. »

Grâce à une importante campagne de publicité, le journal est épuisé en trois jours. Rapidement Raymond Leblanc décide de tirer à 80 000 exemplaires, de passer à 16 pages et, bien entendu, en homme d’affaire avisé, d’augmenter son prix.
Le 28 octobre 1948 sort la version française du journal. Pour cela, Raymond Leblanc s’associe à Georges Dargaud, éditeur parisien de bandes dessinées depuis 1943. Les deux hommes s’entendent à merveille et leur collaboration durera jusque 1975.
En revanche, les relations entre Raymond Leblanc et Hergé sont beaucoup plus tendues. L’un est un capitaine d’industrie, fonceur, séducteur, adepte des nouvelles techniques de marketing ; l’autre est un artiste tourmenté, déprimé parfois, s’appuyant sur les valeurs du catholicisme rigide dans lequel il a été éduqué. Hergé ne veut pas que l’image de son héros soit dévoyée et entend garder la main sur le contenu éditorial. Ils s’opposent parfois sur le choix d’un collaborateur. Finalement les deux hommes trouveront un modus vivendi, contraints et forcés par la même volonté de réussir à faire un beau journal.

Le duel : Tintin vs Spirou

Ces deux hebdomadaires pour la jeunesse vont évoluer en parallèle, s’observant avec attention et marquant leur différence. Tout comme on est Mac ou PC, Beatles ou Rolling Stones, on est Tintin ou Spirou. Ce dernier, né en 1938, après dix ans d’existence possède une longueur d’avance. En outre, durant l’Occupation, il ne s’est pas compromis ; son rédacteur en chef, Jean Doisy étant sympathisant communiste. En 1943, il est censuré par les Allemands de la Propaganda-Abteilung ; à la Libération, en octobre 1945, on propose au journal de reprendre le personnage de Tintin. La famille Dupuis refuse en raison de la participation d’Hergé au Soir « volé ».

Ces deux journaux vont donner naissance à deux styles de bandes dessinées. L’École de Marcinelle (ville où l’imprimerie Dupuis est localisée) pour Spirou se caractérise par des personnages caricaturaux, avec de gros nez et des bulles arrondies. Ses représentants sont Jijé, Morris et Franquin. Les dessinateurs travaillent chez eux, d’une façon indépendante, ne se retrouvant que pour quelques agapes. On les considère, en simplifiant, plutôt de « gauche ». L’École de Bruxelles (siège du journal Tintin), plus académique et réaliste, se distingue par la Ligne claire d’Hergé ou d’Edgar-P. Jacobs. Leurs bulles sont rectangulaires. Les dessinateurs travaillent, en général, dans un studio avec des horaires de bureau et seraient, eux, plutôt de « droite ».

Charles Dupuis et Raymond Leblanc ont signé, semble-t-il, un implicite contrat de non-agression : ils ne débauchent pas les dessinateurs ou scénaristes de leur concurrent. Jusqu’au jour où, en 1955, André Franquin, auteur vedette du journal Spirou, suite à un différend sur des droits d’auteur diminués sur ses albums, frappe à la porte de Tintin. Il signe un contrat avec Raymond Leblanc, trop content d’engager celui qu’il considère comme un « génie », mais qu’il paie comme un débutant. « Quel con ! » s’écriera son épouse en apprenant le montant des droits d’auteur que son mari vient de ne pas négocier. Franquin est contraint de donner au journal, durant cinq ans, une page hebdomadaire de gags de la série Modeste et Pompon. Avec cette série, il écrit l’amusante chronique de la vie familiale dans les années 50-60 et met en scène les objets design qu’il affectionne particulièrement. L’année suivante, Charles Dupuis, la larme à l’œil, ouvre son portefeuille et fait revenir Franquin dans son giron. Lié par son contrat avec Raymond Leblanc, le père de Gaston Lagaffe devra durant des années poursuivre plusieurs séries de front. En 1959, il cédera les aventures de Modeste et Pompon à Dino Attanasio et sortira épuisé de ces années où il travailla comme un forçat.
De nos jours, la rivalité réelle ou supposée entre les éditions du Lombard et Dupuis n’a plus lieu d’être depuis qu’elles font partie du même groupe, Media-participations.

Raymond Leblanc

Raymond Leblanc, décédé en 2008 à l’âge de 92 ans, est resté toute sa vie un élégant et intrépide entrepreneur. Jusqu’à la fin, il occupera son bureau du building Tintin sous la mythique enseigne lumineuse du reporter et de son chien qui illumine les nuits bruxelloises. Outre les éditions du Lombard, il a créé, en 1954, Publiart, une agence de publicité qui utilise les personnages de bandes dessinées pour la promotion des marques. Il est également à l’origine, en 1959, de la création de Belvision, un des plus grands studios européens de dessin animé qui entend concurrencer Walt Disney et qui adaptera pour le grand écran les aventures de Tintin, d’Astérix, de Lucky Luke et des Schtroumpfs.
Depuis dix ans, la fondation Raymond Leblanc récompense chaque année un jeune dessinateur de bande dessinée. Ce prix de 20 000 € (une bourse de 10 000 € et une avance sur droits de 10 000 €) est l’un des mieux dotés. Alors à vos crayons !

TOPO

Vous lancez une nouvelle revue de bande dessinée, Topo. Pourquoi ce titre ?
Laurence Frédet : Il nous semblait que pour redonner du sens à l’information, il fallait la recontextualiser, l’éclairer sous plusieurs angles, bref, faire un bon topo sur des questions d’actualité… TOPO, c’est aussi un clin d’œil à Topolino qui est le nom de Mickey en italien. Et puis, il y a l’idée d’une topographie du monde.

Comment est né le désir de proposer une revue d’actu pour les moins de 20 ans ?
Dès le départ, le groupe des cofondateurs de La Revue Dessinée avait pensé à décliner sa revue pour les jeunes ; il fallait juste assurer la pérennité du premier projet en démontrant sa viabilité économique. Les événements du 7 janvier 2015 ont précipité les choses. À ce drame, de nombreux adolescents ont réagi par un sentiment d’incompréhension. Ils ne parvenaient pas à saisir le sens d’une caricature, la nécessité de dénoncer les injustices par l’excès du rire.

Cet événement et les débats qu’il déclencha nous firent comprendre qu’il y avait là matière à proposer aux moins de 20 ans une autre grille de lecture du monde. Au-delà de l’émotion et des divergences de points de vue, il fallait tenter de produire une information sérieuse et accessible aux jeunes. C’est tout le défi que Topo souhaite relever en articulant une démarche journalistique exigeante avec une approche artistique créative. Le tout au service d’une ambition collective : donner à nos tout jeunes citoyens des outils pertinents pour comprendre le monde dans lequel nous évoluons.

Leur faire quitter smartphone et console, n’est-ce pas une mission impossible ? Quelle tranche d’âge plus précisément visez-vous ?
Les adultes passent beaucoup de temps sur leur smartphone, cela ne les empêche pas pour autant de lire « des livres » ! Les jeunes sont avides de comprendre le monde qui les entoure, mais ils ne savent pas où chercher l’information, ils ont juste besoin qu’on leur donne les bonnes clés. Topo en est une. Quant au cœur de cible… Topo s’adresse vraiment aux 13-16 ans et s’appuie sur les connaissances qu’ont les élèves de 4e, 3e. Par ailleurs, les reportages font plus de 20 pages et traitent de politique, d’économie et d’environnement à travers des sujets qui sont susceptibles d’intéresser les lycéens… Nous avons beaucoup discuté à la Rédaction avant d’opter pour une ligne rédactionnelle qui précise que ce magazine est de « l’actu dessinée pour les moins de 20 ans ». Car réellement, tous les jeunes y trouveront leur compte.

La rédaction en chef de cette revue est bicéphale. Quel est le parcours professionnel de chacune d’entre vous ? Comment avez-vous été choisies ? De quelle manière vous répartissez-vous le travail ?
J’ai toujours travaillé dans la presse. J’ai fait mes armes à L’Événement du jeudi (devenu Marianne) comme secrétaire de rédaction avant d’intégrer l’équipe de Studio Magazine puis de Marie Claire. J’ai aussi été chef d’édition pour des hors-séries du Monde ou du Parisien Magazine. C’est en 2013 que j’ai rencontré l’équipe de La Revue Dessinée… et je ne l’ai plus jamais quittée ! Passionnée par les news, j’ai découvert l’univers de la bande dessinée et les possibilités de ce médium m’ont fascinée.

Charlotte Miquel vient de l’édition de bande dessinée. Elle a travaillé à L’Association et aux Requins Marteaux, deux maisons réputées pour la qualité de leurs publications. C’est pour sa connaissance du médium et des auteurs qu’elle a été choisie.
Les sujets sont décidés en réunion de rédaction. Je choisis les journalistes, Charlotte, les dessinateurs ; et je m’occupe plutôt des sujets d’actu et Charlotte des chroniques. Cela dit, si nous avons chacune nos prérogatives, nos regards « presse » et « bande dessinée » ne cessent de se croiser tout au long de la fabrication du magazine. Par ailleurs, la direction artistique de Topo a été confiée à Cizo (qui vient des éditions Les Requins Marteaux) et à Emma Huon-Rigaudeau (qui vient de la presse) : vous voyez, là aussi, la direction artistique est bicéphale : Topo est vraiment l’enfant de la rencontre de deux univers très différents.

Le lien avec La Revue Dessinée tant sur le plan éditorial que dans la mise en page saute aux yeux ; n’avez-vous pas peur d’un doublon ?
Le lien avec La Revue Dessinée est évident dans la mesure où Topo reprend le principe d’associer un journaliste à un dessinateur pour faire une enquête en bande dessinée. Mais à mon sens, le lien s’arrête là.

Topo a sa propre identité visuelle. Par ailleurs, les sujets ne sont pas du tout traités de la même façon : Topo a pour ambition d’attiser la curiosité politique du lecteur, de lui donner les outils nécessaires pour qu’il devienne un acteur du monde. Les reportages qui traitent de politique, d’économie ou d’environnement font une vingtaine de pages seulement et le vocabulaire est simple et efficace. Topo est le petit frère de La Revue Dessinée, en rien son doublon.

Les différentes rubriques (art, sciences, musique, jeux vidéo, cinéma, photo, sport) semblent balayer l’espace culturel d’une façon exhaustive, reste-t-il des espaces de liberté ?
Bien évidemment ! Et heureusement ! Il serait extrêmement prétentieux de notre part de vouloir apparenter Topo à une encyclopédie exhaustive de notre temps. Notre ambition est tout autre : qu’elles abordent les arts plastiques, les sciences ou la littérature, les chroniques de Topo – qui s’appuient sur la culture adolescente en y puisant ses références et ses codes – doivent permettre au lecteur de développer son esprit critique, de décrypter le monde dans lequel il grandit. Tous les sujets peuvent être abordés, le ton utilisé peut être drôle, absurde, voire subversif, mais il est toujours informatif.

Comment choisissez-vous les sujets de vos grands reportages ? Comment associez-vous le journaliste au dessinateur ?
Certains journalistes nous proposent des sujets, d’autres sujets sont des commandes… Au préalable, nous discutons toujours longuement avec eux afin de trouver les dessinateurs qui les accompagneront. Le choix du dessinateur dépend de son dessin, bien sûr, mais aussi de sa personnalité, il faut qu’il s’entende bien avec le journaliste car tous deux vont devoir confronter leurs points de vue et leurs pratiques. Le moteur essentiel de Topo c’est le décryptage de l’information, et sa grammaire, le dessin.

Entre une publication tous les deux mois et le temps d’enquête et de mise en images, peut-on encore parler d’actualité ?
Les chaînes d’info en continu et les réseaux sociaux ont tronqué l’actualité qui n’est plus pensée ni analysée. Or, sortie de son contexte, une information perd beaucoup, voire complètement de son sens. Nous, à la Rédaction, nous prenons le temps : la fabrication d’une bande dessinée est un temps long, imposé, qui produit une information réfléchie. Dans nos reportages, les informations sont systématiquement recontextualisées, inscrites dans une continuité historique pour redonner une profondeur aux événements

Quels seront les grands thèmes abordés dans les prochains numéros ?
Dans le no 2, on peut lire un reportage sur l’industrie textile du Bangladesh pour comprendre ce qui se cache derrière un T-shirt H&M. Il y aura aussi un sujet sur les Primaires qui préparent les élections présidentielles de 2017, et une chronique très drôle de Delphine Panique sur Emma Bovary.

Pouvez-vous présenter votre série à suivre, Le Meilleur des Mondes possibles ?
À travers le quotidien d’un groupe d’adolescents qui se sont rencontrés le soir des attentats du Bataclan, cette série – écrite par Stéphane Melchior et illustrée par Sacha Goerg – va aborder des problématiques sociétales ainsi que des thèmes en rapport avec l’adolescence… Cette série va nous permettre d’aborder certains sujets tels que les transgressions, les religions ou le sexe sans avoir un discours moralisateur ou surplombant. Comme nous sommes bimestriel, chaque semaine, sur le Web, on pourra lire un mini-épisode inédit de la série.

Ce premier numéro fait la part belle à des dessinateurs et des dessinatrices chevronnés et renommés : Marion Montaigne, Frederik Peeters, Lisa Mandel, Nine Antico, Marion Mousse, Hugues Micol… Allez-vous laisser leur chance à une nouvelle génération de dessinateurs ?
Bien sûr ! Nous avons la chance de pouvoir travailler avec de très bons auteurs reconnus, mais nous collaborons aussi avec des dessinateurs plus jeunes et qui n’ont pas encore eu le temps de faire leurs preuves. Vous savez, Topo est un bimestriel, il doit donc produire 144 pages de bande dessinée tous les deux mois ! Si nous ne devions collaborer qu’avec des auteurs chevronnés, nous publierions des pages blanches…

Un hommage à Hergé dans les pages de garde ?
Ces pages de garde sont effectivement un hommage à l’association de la bande dessinée du monde du journalisme. Tintin, c’est le premier reporter de la bande dessinée – même si, pour l’anecdote, Hergé ne l’a jamais dessiné en train d’écrire un article !

Topo, va-t-il se décliner sur Internet ?
Il n’existe pas de version numérique de Topo. En revanche, Topo est présent sur les réseaux sociaux : Snapchat, Instagram, Tumblr, Twitter, Facebook, et il a, bien sûr, son site Internet : Toporevue.fr. Du contenu inédit autour de notre série Le Meilleur des mondes possibles est publié chaque semaine sur le site et les réseaux sociaux. Ces mini-histoires enrichissent les épisodes publiés dans la revue et leurs formats courts accrocheront les jeunes lecteurs. On envisage de mettre en place un Snapchat exclusivement consacré aux héros.

Sur notre site internet, il y a un espace de curation qui nous permet de compléter et enrichir les informations contenues dans nos reportages. Il permet aux jeunes lecteurs d’aller plus loin si un sujet leur a plu, et c’est un gage de sérieux supplémentaire pour le corps enseignant et les parents.

 

Le sida dans les romans pour la jeunesse

L’enfant et l’adolescent malades du sida

La contamination avant l’âge adulte, parfois même dès la naissance, pose des problèmes spécifiques et nécessite une approche à part. Le développement social et psychologique n’est pas le même pour un enfant séropositif que pour un enfant sain dans la mesure où son rapport à soi et aux autres est forcément perturbé par son statut. C’est d’ailleurs à cet aspect que s’intéresse la littérature de jeunesse, puisqu’elle favorise clairement dans ses romans la question des rapports sociaux plutôt que celle de la médicalisation de la vie des malades.

Les personnages malades présentés dans ces romans sont en partie des enfants ou des adolescents entrés en contact avec le virus lors d’une transfusion sanguine, et c’est à la suite d’un accident que Miette, Jérémy et Thomas ont reçu le sang contaminé d’un autre. Dans Tellement tu es ma sœur ! de Clotilde Bernos, le narrateur, le petit frère de Miette, Tom, décrit avec son regard d’enfant la maladie d’une sœur condamnée parce que contaminée à une époque où les traitements permettant de garder les patients en vie n’existent pas encore. Ce texte aborde alors, comme de nombreux autres, la crainte de ces jeunes personnages de devoir faire face au décès plus ou moins rapide de l’un de leurs proches. C’est ainsi que Tom s’étonne, lorsque Miette lui apprend qu’elle ne guérira pas et alors qu’elle « rétréci[t] de jour en jour » (p. 8) ; il n’imagine pas que sa sœur puisse mourir.

Jérémy et Thomas sont, quant à eux, deux jeunes personnages également atteints du VIH/sida mais qui, grâce aux multithérapies, demeurent tout au long du récit des malades asymptomatiques, ce qui leur permet de vivre quasiment la même vie que les enfants de leur âge. Néanmoins leur situation engendre tout de même des questionnements et des problématiques que ne connaissent pas leurs pairs. Même en ayant accès aux traitements, les souffrances physiques et l’angoisse de la mort sont toujours présentes. Jérémy, le héros du roman d’Hervé Debry Lettres à qui vous savez, exprime sa détresse psychologique dans des lettres qu’il écrit au Père Noël. Il y décrit aussi sa peine d’être exclu par les autres, alors qu’il est contraint de révéler sa maladie après une bagarre. Ces lettres, qui sont le fondement-même du roman, permettent l’expression de la souffrance de Jérémy et l’aident à s’en soulager.

Thomas, le personnage de Gudule dans La Vie à reculons, est un adolescent et cet âge interroge évidemment les enjeux liés à la découverte de la sexualité. Ainsi, en plus d’être confronté aux différents aspects négatifs de sa maladie évoqués plus haut, Thomas vit sa première relation amoureuse. L’auteure s’attache alors à décrire le rejet qu’il subit de la part des parents d’Elsa, sa petite amie, et pour un temps d’Elsa elle-même, ceux-ci l’accusant de sous-estimer le danger qu’il représente pour elle. Malheureusement, les questions afférant à la sexualité ne sont ici que sous-entendues, alors qu’elles nécessiteraient un traitement plus approfondi.
L’ensemble de ces romans est enfin à mettre en parallèle dans la représentation faite de la stigmatisation de ces jeunes personnages malades. Même si les jeunes personnages dont il est question ici ont été infectés suite à des transfusions sanguines, la première réaction de certains de leurs camarades est de les rendre coupables de leur maladie ou d’associer leur maladie à des comportements connotés négativement, comme l’homosexualité ou la prise de drogue. Tous font alors l’objet d’un rejet quasi systématique, alimenté par une ignorance au sujet de la transmission du virus et une peur de la contamination, au centre des nouveaux rapports que vont entretenir les jeunes malades avec leurs camarades à partir du moment où leur état sérologique est révélé.

L’enfant et l’adolescent spectateurs du sida

Dans les romans qui traitent du sida et destinés à la jeunesse, les auteurs placent majoritairement leurs héros, enfants ou adolescents, parmi l’entourage d’un malade atteint du VIH/sida. Directement confrontés à la maladie, voire à la mort d’un proche, tout en étant eux aussi les cibles des préjugés touchant au virus du VIH/sida, les jeunes personnages de ces romans font face à de nombreuses difficultés.
Certains séropositifs font le choix de dissimuler leur maladie à leur entourage, principalement aux enfants, dans le but de les protéger. La situation que l’on retrouve dans la famille de Léo, dans le roman Tout contre Léo de Christophe Honoré, est éloquente. Lorsque celui-ci révèle sa séropositivité à ses parents et à deux de ses frères, la décision est prise que, en tant que benjamin de la fratrie, « P’tit Marcel ne doit rien savoir » (p. 23). Toute l’histoire est construite autour de ce secret qui, bien entendu, fausse totalement les relations entre les uns et les autres. P’tit Marcel ne peut alors que se sentir très isolé, ce qui lui rend la situation encore plus insupportable qu’elle ne l’est déjà. Ce choix, même s’il part de la volonté de protéger le plus jeune de la famille, oblige ce dernier, qui n’a que dix ans, à vivre cette tragédie tout seul, et ce jusqu’à l’enterrement de son frère, dont il sera également privé.

Mais garder le secret sur sa maladie peut avoir une autre intention que la protection de sa famille, dans la mesure où parler de sa séropositivité peut également concorder avec le fait de révéler son homosexualité, contribuant de ce fait aux difficultés d’acceptation de la part de la famille. C’est le cas de Philip, le père de Liam, dans Le Cerf-volant brisé de Paula Fox. Celui-ci est forcé de quitter le domicile familial, traduisant ainsi l’aversion que ressent sa femme quant à son aventure avec un homme et la honte qu’implique l’entrée du VIH/sida dans la maison. De même, Jonas, l’oncle de Maxime dans le roman de Brigitte Smadja Adieu Maxime, était déjà fortement désapprouvé du fait de son homosexualité et se retrouve contraint à vivre sa maladie seul. Son neveu est le seul à lui rendre visite à l’hôpital et à être présent à sa mort. Par ailleurs, le récit s’attache aussi à mettre en parallèle de manière pertinente les découvertes amoureuses et sexuelles de l’adolescent et la mort de son oncle des suites d’une maladie sexuellement transmissible.

La Nuit du concert, de M.E. Kerr, est un marqueur important dans l’appropriation du thème du VIH/sida par la littérature de jeunesse, puisqu’il est le premier roman à proposer un personnage sidéen et homosexuel, en 1989, soit près de dix ans après le début de l’épidémie qui commença par ravager la communauté homosexuelle. Pete apparaîtra cependant comme une exception à ce moment-là, puisqu’il faudra attendre la fin des années 1990 et le début des années 2000 pour pouvoir découvrir à nouveau d’autres romans. Celui-ci insiste d’une part sur l’exclusion que subit le malade mais également son entourage – la femme de ménage qui choisit de quitter la maison, Erick, le petit frère de Pete, qui est mis à la porte d’un bar – et d’autre part sur la solidarité familiale qui s’instaure face à tous ces obstacles.
Parfois cependant, certains jeunes personnages rencontrent l’adulte malade par hasard. C’est le cas notamment de la jeune Mirabelle, dans Comme la lune de Daniel Meynard, qui rencontre Ferdinand, écrivain, lorsqu’il se rend dans sa classe pour parler de son dernier roman et de son travail. Le récit relate l’amitié qui naît entre ces deux protagonistes et la découverte par Mirabelle de la maladie de Ferdinand. La jeune fille se contente d’agir de façon très naturelle et sans préjugés envers lui, et de l’apprécier et le soutenir sans jamais rien lui reprocher par rapport à sa maladie.

De même, dans le roman de Anne-Sophie Vermot Mais il part…, Saul ne rencontre Kyle que dans l’objectif de gagner un peu d’argent en promenant son chien. Dans un premier temps, dès lors qu’il apprend l’état de santé de Kyle, l’adolescent ne parvient pas, ou ne veut pas, lier de véritable relation avec lui. Ce rejet instinctif, déclenché par la séropositivité de l’autre, illustre bien la violence du regard et du jugement auxquels sont soumis les malades par ceux qui ne voient en eux qu’une possible mise en danger de la société, ou tout simplement le reflet de ce qu’ils ne veulent pas devenir. Mais Saul parvient à dépasser ses préjugés en côtoyant Kyle. Et si les liens qui se créent entre eux ne suffisent pas à faire vivre Kyle un peu plus longtemps – puisqu’il fait le choix d’arrêter de prendre ses médicaments, ce qui le conduira à l’hôpital puis à la mort –, le changement provoqué chez Saul par cette rencontre est traduit de manière très explicite. Le roman se termine par la séparation entre le personnage malade qui part pour l’hôpital où il finira sa vie et le jeune garçon qui, lui, s’apprête à démarrer une nouvelle vie.
Enfin, évoquons le premier roman à destination de la jeunesse s’intéressant au VIH/sida, tardivement paru en 1988 à l’École des Loisirs, Un goût d’amande amère de Manos Kondoleon. Ce texte propose un choix narratif différent, puisqu’il s’attache à évoquer l’appréhension de l’attente des résultats du test du VIH/sida et le fait d’apprendre, ou non, sa positivité. La découverte, par le malade, de sa séropositivité n’est presque jamais l’enjeu des romans pour la jeunesse, malgré le caractère crucial de cet épisode. Ici, Ulysse, jeune adulte de vingt ans, est contaminé lors de sa première expérience sexuelle, puis en vit une seconde avec une autre fille, toujours sans protection.

L’Afrique malade du sida

Peu de romans s’intéressent à la situation africaine face à l’épidémie du VIH/sida. La littérature pourrait pourtant avoir un rôle prépondérant dans la diffusion d’informations et dans la sensibilisation des jeunes, en racontant des histoires où chaque personnage est susceptible d’être en contact avec des malades, voire d’être atteint lui-même. Les romans de l’Afrique sidéenne font donc figures de cas particuliers dans le paysage éditorial des romans du sida pour la jeunesse tant le drame humain et économique provoqué par cette maladie est amplifié par rapport aux pays du Nord.

Le Secret de Chanda, d’Allan Stratton, est le dernier roman publié sur la thématique du VIH/sida en littérature pour adolescents, en 2006. L’auteur s’attache à présenter un large panorama de la situation africaine, en proposant notamment, dans l’entourage de l’héroïne, une typologie de personnages représentative d’une épidémie qui touche dans les pays d’Afrique subsaharienne toutes les générations. Les adultes présents dans cette histoire sont particulièrement touchés. Le beau-père et la mère de Chanda sont malades, comme de nombreux autres parents, oncles et tantes. Ces situations entraînent nécessairement, dans un contexte démédicalisé, la contamination de nombreux enfants, par le biais d’une transmission intra-utérine, comme dans le cas de la petite sœur, Sara, qui décède à l’âge d’un an et demi. De même, le taux de malades est aussi très fort chez les jeunes, représentés ici par Esther, l’amie de Chanda. Sa situation se veut le reflet de nombreux cas de contamination, puisque celle-ci a été infectée à la suite d’un viol et transmet désormais le virus en tant que prostituée. Enfin, l’auteur insiste sur le rejet subi par les malades. Considéré comme une maladie impure, il n’est pas rare que le VIH/sida soit associé à « la vengeance de Dieu » (p. 333) pour tous les péchés commis par la personne atteinte. Les attaques contre les malades et leur culpabilisation se font donc à l’abri de la raison divine.

La situation est presque identique pour Binti, la jeune protagoniste de Binti, une enfance dans la tourmente africaine, de Deborah Ellis, qui se déroule au Malawi. Le décès de ses parents pose ici la question de ceux que l’on appelle les orphelins du sida. Confiés aux oncles et tantes, ces fratries sont souvent éparpillées, pour ne pas fragiliser la situation économique du foyer qui les accueille. De plus, souvent considérés comme d’un statut inférieur du fait de leur lien avec le VIH/sida, ces enfants ne sont recueillis que parce qu’ils peuvent dès lors se transformer en main-d’œuvre, comme le frère de Binti qui part aider son oncle dans sa pêcherie, tandis que ses deux sœurs vont devoir en aider un autre dans son restaurant.
Pour finir, Je vous e-mail d’Afrique de Bénédicte Brocher prend le parti de présenter la situation en Côte-d’Ivoire à travers le regard d’un personnage occidental, une humanitaire française aidant au soutien psychologique des malades du VIH/sida. Ce roman est ainsi l’occasion de pointer du doigt la situation sanitaire de la région et de montrer aux jeunes lecteurs que l’accès aux médicaments, même les plus usuels tels que les antibiotiques qui permettent au moins de contrôler les maladies opportunistes liées au VIH/sida, est peu accessible pour les structures sanitaires et pour les personnes contaminées, du fait de leur coût trop élevé.

 

La nouvelle grille d’Henri Laborit

La Nouvelle Grille est un ouvrage de 342 pages, édité en 1974 par les éditions Robert Laffont et réédité par Gallimard dans la collection idées/Gallimard en 1982. Ce livre comprend une introduction, quatorze chapitres, un épilogue et un lexique. Le titre est trompeur : si quelques schémas, dix en tout, agrémentent essentiellement les deux premiers chapitres, nous sommes bien loin de certains ouvrages de management ou de sciences de l’éducation où schémas et algorithmes abondent.

Les grilles : déjà à la préhistoire !

L’introduction s’ouvre sur l’affirmation d’une humanité inventant et utilisant des grilles pour comprendre, interpréter et agir face au désordre apparent du monde. C’est une réalité peu connue, mais dès la préhistoire les hommes réalisaient, dans la vallée des Merveilles, dans les Alpes-maritimes, des calendriers solaires en forme de grille gravés sur les parois rocheuses ainsi que l’explique l’anthropologue Jérôme Magail1. Henri Laborit reconnaît l’intérêt des grilles de lecture plus récentes, en particulier celles du marxisme et de la psychanalyse. Cependant, il estime qu’elles mènent à une impasse, parce que leurs concepteurs ignorent les découvertes de la biologie relatives aux mécanismes de l’organisme humain et de son système nerveux. L’auteur a pour ambition une meilleure compréhension des réactions et comportements humains, individuels et sociaux, par l’élaboration conceptuelle d’une grille biologique croisant la connaissance des systèmes biologiques, de l’organisation sociale et de la cybernétique. Cette dernière ayant, depuis Norbert Wiener, pris une place éminente dans le décryptage des échanges d’informations à tous les niveaux. Ainsi les mécanismes de la dominance, des pouvoirs, des hiérarchies, des frustrations, de la dépendance, des revendications à l’égalité peuvent être analysés jusqu’à faire émerger le citoyen trop souvent caché par l’individu enserré dans un processus de production de marchandises et d’informations professionnelles. Et de rappeler que la conscience, la connaissance et l’imagination sont les seules caractéristiques de l’être humain.

Principes d’organisation de l’inanimé et du vivant

À la masse et à l’énergie, le vivant ajoute l’information, au sens donné par Norbert Wiener2. Pour comprendre que le vivant est plus que la somme de la masse et de l’énergie, Laborit fait appel à la théorie des ensembles et au diagramme de Venn. Le vivant est un système ouvert avec différents niveaux d’organisation, mais il ne peut s’inscrire dans des systèmes de régulation fermés, car cette inscription se réalise dans des systèmes thermodynamiques et informationnels ouverts. L’ensemble des formes vivantes au sein de la biosphère forme ce système ouvert qui utilise l’entropie solaire selon un des principes de la thermodynamique.
Une figure montre ce cheminement de l’énergie solaire passant du règne végétal aux animaux herbivores, les aliments devenant le support matériel de l’énergie ravitaillant un organisme, ses systèmes, ses organes, ses cellules, mettant en réserve de l’énergie et produisant des déchets. Henri Laborit précise ensuite les modes de régulation du vivant : régulation organique, fuite, lutte et perte de l’homéostasie (maintien par un organisme de ses constantes biologiques et physiologiques). Ici, Laborit pointe ce qu’il nomme « le malheur de l’homme » : « Ce dernier n’a pas trouvé le moyen de transformer la régulation individuelle en servo-mécanisme inclus dans l’espèce. »
Mais la finalité reste le maintien du bon fonctionnement des organes au sein d’un organisme, d’où la critique émise par Laborit, qui explique l’échec thérapeutique par le fait que le spécialiste-clinicien soigne le cœur, le foie ou l’estomac, mais sans prendre en compte l’ensemble des organes. Car le vivant est une structure complexe qui, contrairement aux expériences de laboratoire réduites à un seul facteur en inclut plusieurs. Dès lors, Laborit se déclare contre le réductionnisme ; c’est pourquoi, en ignorant les niveaux d’organisation complexe du vivant et des sociétés, l’économie, la politique ainsi que la sociologie s’enferment dans un langage qui porte un diagnostic incomplet, décrivant sans guérir.

Le système nerveux

Laborit assimile cette attitude à une défense primitive du territoire et à la réduction de la sociologie au sociologique et de la psychologie au langage. La pensée s’enferme dans une information-structure. La réponse appropriée consiste en une ouverture thermodynamique et informationnelle. L’auteur passe ensuite à l’étude rapide du système nerveux et de la biochimie du système nerveux central. L’inhibition et le déclenchement d’une action par l’influx nerveux sont soigneusement expliqués. Le médecin, spécialiste de biochimie, montre le rôle des cellules gliales qui entourent les neurones et les séparent des vaisseaux sanguins.
Pour Henri Laborit, le système nerveux possède quatre fonctions : la captation d’informations extérieures par les sens, la conduite de ces informations au niveau supérieur, le signalement de déséquilibres internes (faim, sommeil, impliquant la prédation ou l’action de dormir), et enfin la sensation de retour à l’équilibre (la satiété par exemple). C’est un ensemble d’actions et d’interactions de mécanismes nécessaires à la survie d’un individu ou de l’espèce dans le cas de la reproduction et de la protection des petits. Cependant, l’apport de connaissances de plus en plus importantes permet de dépasser ce stade au fur et à mesure que l’on s’élève dans l’échelle des espèces.
Une figure illustre ensuite comment le système nerveux et le cerveau arrivent à produire un imaginaire rétroagissant via les sens et les muscles sur l’environnement, d’où l’importance prise par l’affectivité et la mémoire. La conscience permet à l’individu de se situer dans le temps, la sensation et l’action. L’auteur décrit ensuite les mécanismes de l’agression psychosociale et les réactions qui en résultent comme l’anxiété, l’angoisse, le stress, l’agressivité qui impliquent aussi l’apprentissage de valeurs sociales et hiérarchiques où coexistent dominants et dominés.

La défense du territoire

Parmi les sources de stress, Laborit incrimine nos sociétés urbaines qui induisent un carcan lourd interdisant la fuite des dominés coincés dans des activités non gratifiantes. Il remarque que la référence à la nature n’existe que pour conforter la dominance. Laborit se penche sur la notion de territoire montrant que la défense du territoire est ponctuelle chez les animaux et que depuis le néolithique, elle serait communautaire chez l’homme (pour les loups, Konrad Lorenz3 avait prouvé que l’ensemble de la horde défendait son territoire et Jane Goodall a fait le même constat pour les chimpanzés4). Selon Laborit, la référence à la défense du territoire par les animaux serait un prétexte justifiant la propriété privée et la patrie. Henri Laborit souhaite l’établissement d’un humanisme dépassant les communautés familiales et patriotiques au profit d’une humanité s’occupant raisonnablement de sa niche planétaire.

Laborit cite plusieurs écueils interdisant la réalisation de cette « humanité planétaire » : le surpeuplement, l’envahissement de la bulle acoustique, des médias omniprésents (presse, radio, télévision – Internet n’existait pas encore) et imposant des stéréotypes. L’homme subit l’interdépendance et la soumission extrême à une machine économique qui broie les destins. « L’humain a gagné sans le vouloir une carte de sécurité sociale, un bulletin de paie, mais il a perdu le chant des oiseaux. »
Dès lors, l’homme ne peut plus fuir physiquement son enfermement, qui génère la dépression, la toxicomanie et les états névrotiques ou psychotiques.

Organisation des sociétés humaines et leurs valeurs

L’homme ne peut être un individu isolé. Il vit dans une communauté, dans un environnement social avec ses rapports hiérarchiques de dominance. Mais la concurrence des groupes sociaux, familles, ethnies, classes, nations, favorise des hiérarchies capitalistes, technocratiques, bureaucratiques qui empêchent l’épanouissement des individus. Laborit espère que les zones associatives du cortex orbito-frontal permettront à l’homme d’imaginer le grand rêve humain d’une humanité réunie en dehors des notions de dominance. Deux aspects transparaissent dans cette approche, l’une de sensibilité écologique, que l’auteur développera dans son livre Éloge de la fuite5, et l’autre qui renvoie à L’Homme imaginant6, livre précédent qui avait marqué les esprits par la volonté exprimée de décloisonner les diverses sciences pour mieux comprendre les sociétés humaines. Laborit se penche ensuite sur les notions « de rationnel » et « d’irrationnel » constatant que, suivant les périodes historiques et les diverses sociétés humaines, les frontières entre ces deux notions étaient fluctuantes. La dominance a débuté avec la séparation des tâches entre les hommes et les femmes, en particulier avec la chasse trop dangereuse pour les femmes, qui devaient garder et protéger les enfants et s’adonner aux activités de la cueillette. La force, l’adresse et la ruse devinrent des outils de dominance sociale. Le néolithique et l’agriculture induisirent la spécialisation du travail et l’interdépendance des individus dans une société hiérarchisée. En 1970, Laborit pense que la société de croissance n’est qu’une société de consommation, où la domination s’exerce par l’accumulation de biens, d’argent et de puissance au profit d’une minorité très restreinte. En ce sens la machine n’est qu’un instrument, c’est le comportement humain qui l’entraîne à produire plus. La compétition acharnée des sociétés humaines pour produire plus entraîne la destruction de la biosphère et l’épuisement des ressources terrestres. C’est bien la dominance qui impose de produire plus à moindre coût, exigeant l’établissement de mégapoles humaines, modernes, où l’air, l’eau, la flore et la faune se raréfient. Ce comportement menace l’ensemble de l’humanité. Laborit réfute la division de l’organisme humain en organes nobles (le cerveau) et d’autres qui le sont moins (les muscles). Un corps humain sans activité cérébrale peut survivre, pas un cerveau sans organes pour le nourrir, l’informer et agir. Cet exemple permet à Henri Laborit de montrer que le système nerveux est constitué d’une hiérarchie de complexité à l’image des sociétés humaines et qu’à la spécialisation des organes dans un corps répond la spécialisation des fonctions dans une société.

Thermodynamique, information en sociologie et classes sociales

C’est grâce à une information de plus en plus abstraite que l’homme a pu mener la révolution industrielle et devenir le maître de la matière et de l’énergie. Les machines sont les filles de l’invention et de l’abstraction. La production provient essentiellement des machines, la part humaine étant principalement informationnelle. Selon Laborit, la source de la plus-value n’est pas le travail en lui-même, mais l’utilisation d’une information de plus en plus abstraite. Dans nos sociétés complexes, la révolte des dominés bute sur le fait qu’en dehors des maîtres du capitalisme, tout dominé est aussi un dominant, à l’exemple du cadre ou de l’agent de maîtrise. Laborit estime qu’en l’état actuel des choses, l’épanouissement individuel n’est qu’un mythe électoral. Il faudra que l’homme cesse d’être paternaliste envers ses inférieurs et infantile7 envers ses supérieurs pour que l’ensemble de la société humaine change.

Connaissance, conscience, démocratie et pouvoir

La société libérale a réussi à convaincre que la liberté consiste à suivre des règles établies par les dominants. L’homme n’est pas libre ; sa seule liberté serait de comprendre les mécanismes du déterminisme universel pour agir au mieux. L’égalité n’existe pas, et Laborit se demande comment ce mot mobilise encore les masses pour aboutir à des révolutions créant d’autres hiérarchies et d’autres dominances. La fraternité n’appartient pas au réel mais à l’idéologie. La fraternité ne peut pas se réduire à de beaux sentiments ; pour être réelle, l’humanité doit connaître les mécanismes de ses structures pour éradiquer la domination des uns par les autres. La conscience et la connaissance nous rapprochent de cet idéal fraternel. Ceci implique la capacité de décider en ayant la connaissance et d’accepter d’agir avec responsabilité car la liberté de décision implique la responsabilité.
La démocratie, ou le gouvernement du peuple, n’est en fait que l’exploitation du peuple par ceux qui possèdent l’information, et le pouvoir est délégué à une hiérarchie. Cette hiérarchie est une technostructure qui se maintient grâce à ses moyens de sélection et de diffusion de l’information, qui permettent d’orienter l’information dans le sens attendu par le pouvoir.

Pouvoir et système ouvert ou fermé

Henri Laborit estime que l’humanité agit et vit dans une société planétaire qui propose à l’individu aliéné une promotion, s’il en accepte les règles. C’est ainsi que la techno-structure se maintient au pouvoir. De la sorte, ce système respecte l’organisation biologique de la dominance. Seule, l’imagination s’appuyant sur une connaissance fine des systèmes biologiques permettra à l’humanité de dépasser cet obstacle. Pour cela, il faudra que le temps libre ne soit pas consacré aux jeux du cirque mais à la connaissance, et que les systèmes hiérarchiques verticaux s’ouvrent à l’horizontalité, ainsi qu’aux niveaux supérieurs et inférieurs.

Information professionnelle vs information culturelle

D’après Laborit, l’enseignement diffuse une information professionnelle séparée du vivant. La méthode pour obtenir la diffusion d’une information généralisée fondée sur la connaissance des systèmes du vivant doit s’appuyer sur la compréhension plus que sur la mémoire. Une des difficultés qui interdit toute évolution, toute véritable réforme, tient dans la capacité des pouvoirs économiques et politiques intriqués à former l’opinion au lieu de l’informer, empêchant de la sorte une juste réflexion et des actions réfléchies.
Dans un autre chapitre, l’auteur cite les structures fermées menant à l’affrontement. Laborit estime que seules des structures ouvertes à l’échelle planétaire peuvent empêcher l’émergence de conflits.

Créativité et finalité

La créativité, celle de l’homme imaginant, devrait permettre à l’humanité de trouver les moyens de dépasser les structures informationnelles fermées qui l’enserrent et l’empêchent d’évoluer. Mais cela implique la prise de conscience d’un monde vivant complexe, que nous devons comprendre pour pouvoir conceptualiser un avenir planétaire et créatif avec l’aide d’équipes interdisciplinaires. La finalité de l’humanité reste sa préservation. Cependant, le surpeuplement, la croissance exponentielle et la recherche du bien-être matériel sont des obstacles à cette préservation, et une nouvelle grille fondée sur la connaissance du monde vivant permettrait à l’humanité unifiée de vivre une vie apaisée et créatrice jusqu’à l’épilogue de la mort annoncée de notre soleil et de la Terre.

Ce livre montre un auteur prolifique et protéiforme qui, à partir de ses connaissances en médecine et biochimie, lance des idées fécondes, comme la nécessaire approche écologique de l’évolution humaine et l’importance du respect de la nature par l’humanité, le rôle des sciences de la vie dans la compréhension de l’homme et de ses sociétés, la notion de complexité qui sera approfondie par Edgar Morin8et9, et des idées qui, en matière d’enseignement, nous concernent avec l’introduction de la motivation et l’exigence d’interdisciplinarité.
Toutefois, son grand thème correspond à une approche non darwinienne des sciences de la vie, à une vision d’une humanité qui tournerait le dos aux principes « de la lutte pour la vie » (struggle for life10) qui confortent les plus forts et les dominants en matière de pouvoir, de reproduction, d’accumulation des richesses pour que l’avenir soit, en fait, l’ultime utopie de l’homme dans l’univers. Par l’évocation de la mort de l’humanité, Laborit élève le débat, rejoignant d’autres scientifiques devenus philosophes tels Pascal11, qui affirme que seuls Dieu et l’espoir qu’il représente permettent à l’homme de vivre entre un infiniment grand et un infiniment petit incompréhensibles, et le biologiste Jean Rostand soutenant que cette solitude de l’homme offre un rôle primordial à l’humanité, celui d’être la conscience de l’univers12.

Henri Laborit

Henri Laborit a eu une vie bien remplie. Né à Hanoï, capitale du Tonkin alors protectorat français, d’un père médecin colonial, mort en Guyane, il devient à son tour médecin et intègre la marine nationale comme chirurgien à bord de l’Émile Bertin, croiseur léger qui participa au débarquement d’Anzio, puis à celui de Provence en 194413. Devenu chirurgien à l’hôpital militaire du Val de grâce après la Seconde Guerre mondiale, il s’intéresse à l’anesthésie ainsi qu’à l’hibernation. Il a mis au point le premier neuroleptique qui changea radicalement la prise en charge psychiatrique des patients et fut récompensé par le prix Albert Laskar. Henri Laborit écrit durant cette période plusieurs ouvrages de médecine dont le premier paraît en 195014 Réaction organique à l’agression et choc15, puis Pratique de l’hibernothérapie en chirurgie et en médecine16 ainsi que Neurophysiologie. Aspects métaboliques et pharmacologiques17.

Par la suite, il s’intéressa à la cybernétique et aux corrélations entre cette dernière et l’organisation du vivant, des êtres humains et des sociétés18. De la sorte, il étudia les phénomènes de l’agression, du stress, de l’organisation de la société, mais, selon Joël de Rosnay19, s’éloignant de son champ disciplinaire médical, il fut très critiqué et perdit toute chance d’accéder au prix Nobel. Son travail, ses lectures et ses réflexions alimentèrent une abondante publication d’œuvres majeures dont Biologie et structures20, L’Homme imaginant21, L’Homme et la ville22, La Nouvelle Grille, Éloge de la fuite23, jusqu’à son dernier ouvrage Une vie24, édité à titre posthume.
Médecin, chercheur reconnu, philosophe, essayiste, ses rapports étaient étroits avec le monde médiatique. Huit de ses entretiens peuvent encore être écoutés ou lus sur le site de Lionel Mesnard25 où l’on retrouve avec plaisir la transcription d’une interview de notre auteur à propos du film Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais auquel Laborit participa au grand dam de la communauté scientifique. Cette notoriété, qui lui a valu tant de déboires, l’a mené sur d’autres voies souvent méconnues, même par un public et des lecteurs avertis. Henri Laborit était membre du « groupe des dix » rassemblant, dès 1966, des chercheurs, des philosophes, des penseurs de la société comme Jacques Robin, Henri Atlan, Joël de Rosnay, André Leroi-Gourhan, Edgar Morin, René Passet, Michel Serres, Jacques Attali et des hommes politiques tels Robert Buron, Jacques Delors et Michel Rocard26. Visiblement, les prédispositions de ce groupe tendaient vers un socialisme modéré, novateur, qui donna naissance tant au syndicalisme autogestionnaire de la CFDT, qu’à la deuxième Gauche issue du christianisme social et ralliant, sous la forme d’un courant, le nouveau parti socialiste de François Mitterrand. D’ailleurs, Henri Laborit publia La Société informationnelle : idées pour l’autogestion27. Mais la grande œuvre de notre auteur est bien La Nouvelle Grille, cette percée conceptuelle qui lie les sciences de la vie, la médecine, la biologie et la cybernétique aux sciences humaines comme le reconnaissent Joël de Rosnay28 et Jean Zin29 alors que, tout particulièrement en France, la physique restait une référence essentielle pour les sciences humaines.

Le Désastre de l’école numérique

Tout d’abord, une précision, de taille. Dans ce livre, nulle mention des CDI. Pour les auteurs, l’école concerne l’enseignement primaire comme le secondaire. Mais pas de trace des CDI dans cet ouvrage. Échapperaient-ils au désastre numérique ? Les auteurs parlent bien des « bibliothèques » à deux reprises, exemples à développer si on récupérait les crédits attribués au numérique (p. 146), puis exemples de havre de paix : « la fréquentation de la bibliothèque de l’école, puis du collège, reste le meilleur moyen d’accéder à des ressources toujours plus riches. On ôtera bien sûr les écrans de ces espaces consacrés à l’attention
profonde » (p. 199). Oui, vous avez bien lu : « bibliothèque », non CDI. Et sans écrans.

Alors pourquoi parler de cet ouvrage dans InterCDI ? Parce que l’école, comme disent les auteurs, est un tout, et que les décisions prises en haut lieu la concernant, eh bien… nous concernent tous. Les choix stratégiques touchant à l’introduction du numérique à l’école sont traités dans les deux premiers chapitres, les conséquences écologiques, sanitaires, financières et aussi sur la société ont droit au gros de l’ouvrage (chapitres 3 à 6), et le dernier chapitre esquisse une alternative : « Pistes pour une école sans écrans ».

La lecture des deux premiers chapitres pourra être utile pour les étudiants et les collègues qui entrent dans le métier. Il y est question de l’irruption du numérique (enfin, de l’informatique) à l’école dans les années 1970 et surtout 1980, et du plan Informatique pour tous. Malgré un ton parfois inutilement polémique (est-il utile de parler, p. 37 et à d’autres reprises, de la « caste dirigeante actuelle » ?) et la plupart du temps ironique, des faits, et des faits « techniques », sont exposés qui sont à prendre en considération. La fascination de nos dirigeants pour l’équipement (opérations de type « un collégien, un portable » dans les Landes et ailleurs) au détriment d’une réflexion préalable, et de l’évaluation, ajouterions-nous. Des faits pédagogiques ensuite : là aussi les arguments présentés sont presque toujours à charge : le niveau scolaire, après introduction massive du numérique, ne monte pas, et même l’OCDE le reconnaît, les écoles Waldorf ou Steiner, caractérisées entre autres par une mise à distance du numérique (mais aussi par leur taux d’encadrement très important), ont la préférence des cadres de la Silicon Valley. L’accès à des ressources numériques toujours plus riches, enfin, est considéré comme inutile (là, ça nous concerne) : « il n’y a jamais eu de problème d’insuffisance des ressources documentaires à l’école ! Le numérique s’offre comme la réponse à un besoin inexistant. » Malgré tout, les auteurs reconnaissent l’utilité d’une éducation au numérique permettant de distinguer « les moments où l’usage du numérique est utile de ceux où l’on peut très bien s’en passer. »

Les chapitres 3 à 6 traitent de l’impact du numérique dans la société, et l’école en particulier. Impact écologique d’abord : l’informatique a eu peu de conséquences sur la consommation de papier, elle utilise des quantités très importantes de métaux rares (or, argent, platine…) qui seront ultérieurement très mal récupérés. L’utilisation de tous ces appareils monopolise 10 % de l’électricité mondiale… Conséquences sanitaires ensuite, sur le sommeil, de par la lumière bleutée des écrans, de par les radiofréquences, Wifi et autres, tous phénomènes qui devraient nous inciter à la prudence. Il serait donc préférable d’« opter pour des outils filaires peu nombreux, collectifs et utilisés épisodiquement » (p. 135).
Conséquences financières et sociétales enfin. Nos engins numériques sont produits en Asie, dans un environnement social digne d’un « Zola 2.0 » (p. 140) ; les équipements sont souvent apportés par les diverses collectivités sans réflexion apparente des décideurs, qui ont parfois trop d’accointances avec… Microsoft, par exemple (p. 147). Nos intellectuels universitaires enfin qui nous « trahissent » (p. 153), promoteurs qu’ils seraient du numérique à l’école sans en mesurer réellement les conséquences (p. 154).

Tout cela peut paraître bien peu engageant. Nos auteurs proposent pourtant non pas des « réponses toutes faites au problème », mais des pistes de réflexion. D’abord, se libérer du « carcan de l’innovation forcément digitalisée ». Ensuite, faire de l’école une zone refuge venant s’interposer entre l’enfant et la culture de l’immédiateté. Des exemples sont apportés de pratiques pédagogiques qui innovent, qui « marchent » et n’ont nul besoin du numérique. Enfin quelques principes généraux d’une école qui se voudrait sans écrans sont énoncés (p. 219) : s’ennuyer de temps en temps car de là « naît la liberté », retrouver le goût de l’effort, équilibrer matières académiques, techniques et artistiques, lire des livres en papier et enfin, apprendre à connaître son territoire avant de vouloir « habiter le monde ».

Engagé coté écologique, pas vraiment technophobe, cet ouvrage risque de souffrir de son style parfois ironique voire goguenard, et bien sûr souffrira de son parti pris. Il nous apporte pourtant des données pédagogiques et écologiques importantes, qu’il faut avoir à l’esprit lorsqu’on travaille avec le numérique. Autant dire qu’il s’adresse à beaucoup de monde, s’il ne s’adresse pas aux professeurs documentalistes
en particulier.

L’or et la boue

L’année précédente, dans le cadre du Prix des Incorruptibles, nous avions invité Christophe Lambert pour son roman Swing à Berlin. La rencontre s’était très bien passée et l’ambiance était chaleureuse entre l’auteur et les élèves. Durant la rencontre, leur professeure de français et leur professeure d’histoire lui ont demandé s’il était bien aussi l’auteur de L’Or et la boue (son best-seller, sélectionné par le MEN). Cette anecdote a germé et s’est transformée en projet – entre fiction et Histoire : réaliser la lecture d’un roman et l’interpréter selon les affinités des élèves…

Le butinage de ressources

La commémoration du Centenaire était dans l’air du temps et nous voulions en faire partie. Nous avons commencé par sonder la motivation des deux collègues avec lesquelles nous voulions travailler, et l’une a eu l’idée de faire travailler les élèves en ateliers à partir du texte. L’auteur a accueilli l’idée de venir lui-même encadrer les ateliers avec beaucoup de sympathie et d’enthousiasme.
Il ne restait alors plus qu’à financer tout ça ! Nous avons commencé par contacter la Maison des Écrivains qui nous a orientées vers l’académie de Créteil en nous donnant les bons contacts. Avec leur soutien et celui du directeur de la jeunesse de la Mairie de Saint-Denis, nous avons monté un dossier de classe à PAC. Nous avons aussi contacté l’APEL JBS. Nous avons ensuite laissé mijoter tout ça pendant l’été 2014.

Le déroulement du projet : les aléas du direct

Cadre pédagogique

Nous avons rédigé un projet final en retenant l’idée centrale du travail par ateliers et en laissant de côté l’idée de filmer des saynètes que les élèves auraient créées à partir du texte. Les élèves se sont basés sur le roman pour écrire des lettres, créer des planches de BD, des cartes postales, une affiche, une chanson, des animations vidéo, un roman-photos, une exposition sonore et un site internet pour mutualiser les travaux. Ils se sont aussi impliqués dans le montage d’une exposition sur les deux Guerres mondiales au CDI, à l’occasion des Journées Portes Ouvertes.
Notre projet visait à contribuer à la maîtrise du socle commun de connaissances et de compétences, en particulier de la langue française, de la culture humaniste et de la maîtrise des TICE (1, 2, 4, 5, 6 et 7) : les élèves devaient ainsi enrichir leur vocabulaire, améliorer leur expression écrite et orale. Il s’inscrit aussi dans le thème de l’Histoire des arts : « l’évocation de la guerre dans les arts au XXe siècle ». Notre objectif pédagogique était que les élèves développent différentes aptitudes, connaissances et compétences afin de préserver la mémoire des événements passés. Il visait aussi à sensibiliser les élèves aux droit d’auteur et droit de et à l’image, et de les former à la recherche documentaire.
Il y avait en tout sept professeurs impliqués dans le projet : français, Histoire, arts plastiques, musique, technologie et les deux professeures documentalistes. Initialement, nous devions travailler avec le professeur d’allemand, mais malheureusement nous n’avons pas eu la classe de germanistes comme prévu…

Financement

À la rentrée, nous avons déposé un dossier auprès de la Mission du Centenaire pour obtenir un financement complémentaire et, sur conseil de notre contact, nous avons également déposé un dossier auprès du ministère de la Défense. Dans le courant de l’année, nous avons obtenu le label de la Mission du Centenaire 14-18 qui permet de « distinguer les projets les plus innovants et les plus structurants pour les territoires ». Mais en attendant, le travail devait commencer…

Rencontres avec l’auteur

Christophe Lambert est venu quatre fois tout au long de l’année scolaire pour encadrer et suivre le travail des élèves en ateliers. Il s’est d’autant plus investi qu’il s’intéresse à la littérature, à la BD et au cinéma ; il enseigne d’ailleurs à l’école d’art MJM de Paris. Lors de ses visites, il a aidé les élèves qui tâtonnaient à se découvrir de nouvelles compétences en leur apportant un regard extérieur. Par exemple, il a aidé le groupe qui travaillait sur la BD à faire un découpage et à organiser une planche. Avec l’aide de la professeure d’arts plastiques, un autre groupe encore voulant dessiner sans en avoir vraiment le coup de crayon, a été orienté avec succès vers le roman-photos (sur Kizoa).
Un groupe qui voulait se lancer dans la correspondance de guerre a finalement opté pour une mise en œuvre anachronique sur Twitter – à la place des pigeons voyageurs, ce sont des tweets que les personnages du roman s’envoyaient. Deux jeunes filles de la classe ont réécrit les paroles d’une chanson de Vitaa et nous avons demandé les droits à la chanteuse par le biais de la SACEM. La chanson, sous la supervision de la professeure de musique, a été enregistrée au studio de la Maison de la Jeunesse (Mairie de Saint-Denis). Certains de ces travaux sont donnés à titre d’exemple en annexe, mais tous sont visibles sur le e-book créé pour ce projet à l’adresse suivante :
www.jeanbaptistedelasalle.com/wp-content/uploads/loretlaboue/index.html

Activités complémentaires

Nous avons organisé deux sorties pédagogiques : la première dans la Somme à Albert et le long du circuit du souvenir (le 16 octobre), et la seconde au Musée de la Grande Guerre à Meaux (le 4 mars) ; celle que nous avions prévue aux carrières de Wellington à Arras n’a finalement pas eu lieu, faute de temps.
Grâce aux contacts de la professeure de français, nous avons pu amener les élèves visiter l’exposition « La Guerre vue d’Aubervilliers » aux archives municipales de cette ville (le 25 novembre). Elle a aussi organisé une sortie cinéma le 17 décembre pour aller voir À l’ouest rien de nouveau, film suivi d’un débat.

Nous avions comme projet d’emmener la classe voir les pièces de théâtre Qui es-tu Fritz Haber ? et Les coquelicots des tranchées, mises en scène par Xavier Lemaire. Il y joue aussi, accompagné notamment de son épouse Isabelle Andréani. Malheureusement, ce projet n’a pas pu voir le jour pour cause d’incompatibilité de dates et de lieux. Par contre, une troupe de comédiennes amateurs, rencontrée par les professeures documentalistes lors des Journées du Patrimoine à Noisy-le-Grand, a accepté de venir jouer une première fois au CDI le spectacle Paroles de femmes 14-18. Ce même spectacle a aussi été joué par les professeures documentalistes, avec la participation d’un des élèves de la classe à PAC, aux Journées Portes Ouvertes, au milieu de l’exposition dont le commissaire était la professeure d’histoire de la classe.

À travers l’exposition au CDI, les spectacles et les liens avec les archives et les musées, ce projet aura permis de plonger les élèves dans l’ambiance d’antan et mettre en avant la mémoire locale pour agir sur leur imaginaire et renforcer leurs connaissances.

Réalisations du projet : les artistes en herbe

Nous avons enrichi le fonds au CDI avec des documentaires et des fictions sur la Première Guerre mondiale, visibles dans la sélection thématique sur e-sidoc1. Mais aussi, nous avons mis à disposition des liens vers des ressources internet2 et vers le petit bijou qu’est la correspondance inédite du grand-père d’une professeure d’histoire de l’établissement, Paul Pouillier3.
Vous pouvez suivre le projet sur e-sidoc, onglet « Projets CDI », menu « L’Or et la Boue »4 ; vous y découvrirez un blog sur son avancement5 tout comme les archives du projet6. La production finale, témoignant de la richesse du projet, consiste, comme nous l’avons mentionné plus haut, en un e-book sur Didapage retraçant les aventures de la classe7.

Durant les mises en commun, les élèves écoutaient, critiquaient leur production et celles des autres pour devenir créateurs à leur tour. Le projet a permis de développer un climat de confiance au sein de la classe et de renforcer la relation de travail entre les enseignants de disciplines et les professeures documentalistes dans un cadre transdisciplinaire. Les élèves se sont aussi découvert de nouvelles possibilités d’expression artistique personnelle au sein d’un projet collectif qui sollicite leurs capacités d’innovation et d’expérimentation.

Le projet a aussi apporté à l’établissement une ouverture vers l’extérieur, grâce à un professionnel de l’écriture, « parrain » de la classe. Des situations d’échanges et de débats sur des productions ou de grandes problématiques artistiques se sont développées, les élèves ont été sensibilisés aux métiers liés au monde de l’art et de la culture. Ainsi, notre projet, par le décloisonnement des disciplines, a offert un espace de travail différent aux élèves qui ont acquis de nouvelles compétences pour leurs activités futures.
D’autres travaux et liens existent dans ce livre électronique8. Le survol avec la souris sur les caractères en gras permet de découvrir d’autres informations « cachées ». Grâce au sommaire interactif, on peut feuilleter le livre, revenir en arrière ou aller en avant, et lire la page désirée. Une photo de classe fige le souvenir d’une expérience enrichissante. Le retour des élèves, de l’auteur et des professeurs encadrant le projet y est publié à la fin du livre.

Décrypter l’actualité en allemand avec Twitter

Suite aux attentats de janvier 2015, nous avons ressenti le besoin, en tant qu’enseignantes, de contribuer à la lutte contre l’intolérance et d’aider les élèves à s’orienter dans le monde qui nous entoure, à en trouver des clés de compréhension.
Par ailleurs, nous avons pu constater que nos élèves sont peu en prise avec l’actualité, qui plus est étrangère, ou le sont uniquement de manière factuelle et anecdotique, à travers des informations parcellaires ou des brèves d’actualité retransmises par les médias sociaux.
En collaboration avec la CPE, nous avons donc mis en place une première twittclasse allemand en février 2015 avec la 4e bilangue1. Notre souhait était de travailler autour de la liberté et du respect de la différence. Fortes de cette expérience, nous avons souhaité prolonger le projet avec les mêmes élèves cette année. Le compte Twitter était déjà créé
(@AustauschMatis2), ils avaient déjà une bonne expérience de l’utilisation de Twitter en classe. Nous souhaitions aussi avoir plus de temps et réaliser plusieurs séquences dans l’année.

Les objectifs

Notre objectif principal est donc de donner l’habitude aux élèves de s’intéresser à l’actualité tout en leur apprenant à ne pas consommer l’information, mais à l’analyser d’un point de vue critique, dans le cadre d’une Éducation aux Médias et à l’Information et à la citoyenneté.

Objectifs en allemand

Il s’agit de créer une ouverture sur le monde extérieur, et ce à deux niveaux : d’une part les élèves s’intéressent à l’actualité du monde qui les entoure, d’autre part ils publient des tweets qui sortent de la classe, sont lus en Allemagne et ailleurs en France.
L’intérêt de ce projet réside également dans l’authenticité de l’apprentissage : les supports sélectionnés sont issus de la presse ou de sites web et la communication est, elle aussi, authentique et ancrée dans le présent, permettant parfois même des échanges en temps réel. L’enthousiasme qui en découle facilite les activités de compréhension et d’expression écrites mises en œuvre lors de la twittclasse.
De plus, le détour par une actualité en langue étrangère, germanophone, et une vision extérieure sur notre propre pays (attentats, COP21) ou sur des événements similaires à ceux qui se produisent en France (accueil des réfugiés, élections autrichiennes), favorisent un certain recul vis-à-vis de l’information qui génère déjà un regard critique.

Objectifs documentaires

  • Utiliser des médias sociaux qu’ils ont l’habitude d’utiliser chez eux, mais cette fois à des fins pédagogiques (tablettes, Twitter), ce qui permet de faire un lien entre l’apprentissage scolaire et la vie de tous les jours, de mettre en évidence que ce que nous apprenons peut être utile en dehors de la classe.
  • Acquérir l’aptitude à évaluer de façon critique tant l’information que ses sources.

Objectifs en Éducation

  • Former des citoyens éclairés et responsables, capables de reconnaître le pluralisme des opinions, des convictions et des modes de vie, et de construire du lien social et politique (par exemple différence des conceptions de la laïcité en France et en Allemagne).
  • Participer à l’ouverture socio-culturelle des élèves.
  • Apprendre à gérer ses droits et devoirs.

Compétences visées

  • Compréhension de l’écrit : acquérir des outils méthodologiques permettant une entrée dans des documents plus ou moins complexes.
  • Expression écrite : déclencher l’écriture, la faciliter à l’aide de supports, utiliser des phrases complexes pour exprimer une pensée précise et synthétique, faire attention à la syntaxe.
  • Compétences lexicales : lexique spécifique des thèmes abordés et lexique récurrent (prise de position, description et analyse d’image, de graphiques, comparaison…).
  • Compétences culturelles : actualité, culture, histoire des pays germanophones et, par ricochet, de la France. La compétence culturelle est au cœur de la twittclasse, elle en est son objet et elle doit également être mise en œuvre en amont pour permettre de comprendre les faits abordés.
  • Compétences documentaires : s’engager dans un projet de création et sa publication, se questionner sur la validité de l’information, se familiariser avec les différents modes d’expression des médias, connaître les règles de base du droit d’expression et de publication, s’initier à la déontologie des journalistes, distinguer la subjectivité de l’objectivité, dans l’étude d’un objet médiatique, savoir décrypter le sens des images et connaître les intentions cachées de l’auteur des modifications.
  • Compétences sociales et civiques : favoriser le développement de l’esprit critique, former des citoyens éclairés et responsables.

Description du projet

Durant l’année scolaire, les élèves ont eu quatre séquences de twittclasse de 6/7 séances chacune portant sur des thèmes d’actualité : l’accueil des réfugiés en Allemagne, les attentats de Paris, le bilan de la COP21 et les élections présidentielles en Autriche.
Chacune des séquences s’intègre dans la progression d’allemand, correspondant par exemple aux entrées « exil, fuite, implication dans les actions humanitaires, exercice de la citoyenneté, protection de l’environnement, développement durable… » du palier 2. Y sont rattachés les outils linguistiques et méthodologiques que le professeur
d’allemand souhaite faire acquérir aux élèves et qui seront réinvestis d’une séquence sur l’autre.
Les séquences sont programmées en fonction de l’actualité, de manière à être en prise directe avec celle-ci et aider à sa compréhension. Deux d’entre elles n’étaient pas prévues initialement et se sont imposées à nous : les attentats de Paris et les élections autrichiennes.
Les élèves ne tweetent pas à chacune des séances, certaines d’entre elles servent à amener le sujet, le vocabulaire spécifique, à donner un arrière-plan culturel nécessaire, à développer une méthodologie, à rassembler des arguments en plenum…
Le nombre d’élèves (en l’occurrence 10) permet aux séances d’avoir lieu dans la salle de formation du CDI, autour de quelques tables disposées en U, face au tableau, ce qui facilite les différentes formes de travail : le plus souvent en binômes sur tablette ou entre deux en groupe-classe interagissant, se répartissant les différentes ressources à analyser, ou travaillant ensemble sur un même support projeté au tableau, dans le but d’acquérir des outils méthodologiques ou récapitulant en plenum différentes pistes pour faciliter le passage à l’expression écrite.

La twittclasse en action

En amont des séances, nous sélectionnons les différentes ressources à analyser sur un Scoop.It (Multikulti3), ce qui nous permet de choisir des ressources compréhensibles et de ne pas s’éparpiller.
Sur certains sujets, une ressource en français viendra éclairer une ressource en allemand. Les documents iconographiques (graphiques, infographies, photos, photomontages, dessins de presse) sont privilégiés, car d’un accès immédiat. Mais des articles informatifs sont également choisis. Les élèves travaillent en autonomie et collaborent entre eux, les enseignants ont une posture accompagnatrice. Mme Loret, CPE du collège mais également germaniste de formation, et Mme Nicolle épaulent les élèves dans la rédaction des tweets et vérifient leur correction avant qu’ils ne les publient. Le principe est de ne surtout pas traduire un tweet qui aurait été formulé au préalable en français, mais de le rédiger directement en allemand (pour éviter la traduction mentale). Dans ce but, le lexique spécifique est introduit en amont et l’expression est le plus souvent guidée (proposition de structures linguistiques à utiliser). Le travail en binôme permet la collaboration, l’échange mais aussi le débat. En allemand, parfois en français, nous avons laissé une grande place à la discussion lors de ces séances entre élèves, mais aussi entre enseignants et élèves. La collaboration de la CPE dans ces moments est précieuse.

Le réseau Twitter

Nous n’avons pas réussi à trouver des partenaires réguliers d’échange malgré deux essais, l’un avec l’établissement avec lequel nous organisons l’échange franco-allemand, l’autre avec la seconde européenne d’un lycée français, dans le cadre des cours d’histoire. Cependant, un nombre suffisant de personnes suit le compte ou a répondu ponctuellement aux tweets des élèves pour que ceux-ci soient conscients du fait qu’ils n’écrivent pas que pour eux et aient ainsi la volonté d’informer, de faire attention au contenu et à la correction linguistique de ce qu’ils écrivent. Par ailleurs, régulièrement, nous ménageons des temps où ils lisent les tweets des autres élèves de la classe (qui ont travaillé sur d’autres ressources) et y répondent.

Une expérience à reconduire

Les élèves ont adhéré au projet. Ils ont su réinvestir des compétences développées lors de la twittclasse, l’un d’entre eux nous faisant part d’un photomontage mensonger qu’il avait vu passer sur son fil Twitter et qu’il avait pu dénoncer auprès de ses abonnés. Un autre prenant spontanément la parole en cours d’allemand pour évoquer le journal télévisé de la veille au sujet des élections autrichiennes. Les élèves ont développé un intérêt pour l’actualité et appris à la considérer avec un regard plus critique.
Ils ont également fait des progrès en expression écrite et formulent des phrases complexes plus aisément, à l’écrit comme à l’oral. Ils entrent plus facilement dans un document écrit, ne paniquent pas à sa vue et savent aller détecter les informations pertinentes en répondant aux questions basiques (wer, wo, wann, was, warum / qui, où, quand, quoi, pourquoi). Nous restons conscientes de la nécessité de rester vigilantes par rapport à la place prise par le français, faisant en sorte par exemple que la majeure partie des ressources soit en allemand.
Plus largement, ce projet a été très positif pour les élèves que nous avons vu évoluer tout au long de l’année, gagnant en maturité et en autonomie. Les séances Twittclasse étaient attendues avec plaisir par les élèves, et par nous aussi d’ailleurs. Cela a créé une relation plus complice avec ces élèves. Nous avons aussi particulièrement apprécié de pouvoir travailler toutes les trois tout au long de l’année. Les séances étaient riches, dynamiques et pleines de humeur.
Nous pensons reconduire l’action l’an prochain, en l’aménageant afin d’expérimenter une autre forme : la twittclasse interviendra en fin de séquence, permettant sur une ou deux séances de réinvestir les acquis de la séquence.

Exemple de séquence : les attentats

Les événements dramatiques de novembre 2015 nous ont logiquement amenées à en parler dans le cadre de Twitter. Les élèves ont tout d’abord dû se positionner comme journalistes pour diffuser à leurs abonnés les informations : qui ? quand ? où ? … en s’appuyant sur des articles de presse. À chaque tweet, ils devaient citer leur(s) source(s). Ils ont réinvesti les acquis de la séquence précédente sur les réfugiés et nous avons discuté avec eux de l’afflux d’information suite aux attentats, de la désinformation, des manipulations d’images… En puisant dans le Scoop.It, ils ont tweeté des images manipulées ou des rumeurs en expliquant comment distinguer les vraies informations des fausses.

Ils se sont également intéressés au rôle des réseaux sociaux au moment des attentats : que ce soit le Safety Safe de Facebook, le #porteouverte ou #prayforparis de Twitter. Un groupe s’est occupé de l’étude comparative de unes françaises et allemandes, le but étant là aussi de voir comment un événement français était traité en Allemagne.

Traduction : « L’image montre une main qui est au-dessus de la Tour Eiffel, de Paris et des français. La main incarne les terroristes.»

Remarquée par le Clémi de l’académie de Rouen, la twittclasse a participé à la Journée du Direct. En utilisant le hashtag de l’événement #jdd2015clemi, les élèves ont tweeté durant deux heures sur les attentats. À cette occasion, un journaliste de France Bleu Normandie a réalisé un reportage sur le projet. Cette résonance à l’extérieur a été vécue par nos élèves comme une vraie reconnaissance de leur travail.

L’intégralité des tweets de la séquence sur les attentats du 13 novembre 2015 est disponible sur l’ENT du collège Matisse :

Exemple de séquence : les réfugiés

Couverture du numéro 19 du journal municipal de la ville de Béziers, daté du 15 septembre 2015.

Lors de cette séquence, nous avons beaucoup travaillé avec les élèves sur la sémiologie de l’image : Quel message véhicule une image ? Comment décrypter une image ? Comment savoir si cette image n’a pas été manipulée ? Quels impacts peuvent avoir ces images « modifiées » ?
Nous avions sélectionné des photos en amont des séances en choisissant par exemple en Allemagne une image d’Angela Merkel avec un tchador, sur fond de Reichstag agrémenté de minarets, ou bien en France le photomontage de la mairie de Béziers.

L’idée était de montrer, à l’aide du vidéoprojecteur, les photos au groupe classe pour qu’ils s’interrogent ensemble. À partir d’un brainstorming et d’un questionnement simple, ils analysent l’image. Si on prend l’exemple du photomontage de Béziers : Que voit-on sur l’image ? Qui sont les personnes au premier plan ? Quel message veut faire passer cette image ? Qu’est-ce qui est écrit sur le train ? Qu’est-ce que cela signifie ? Quelle est la source ? D’où provient l’information ?

En travaillant sur les différents éléments/plans, les couleurs, le texte, le rapport entre la légende et l’illustration, les élèves analysent finement l’image et en déduisent le message sous-jacent. Après avoir travaillé ensemble sur quelques exemples, nous les avons laissés ensuite analyser des images en binômes. Après réflexion et concertation, ils devaient tweeter la description de l’image et l’analyse qu’ils en faisaient.

L’intégralité des tweets de la séquence sur les réfugiés est disponible sur l’ENT du collège Matisse :

Des serious games au CDI

Selon Julien Alvares, pionnier d’une thèse sur le sujet, « Les serious games (ou jeux sérieux) sont des applications développées à partir des technologies avancées du jeu vidéo, faisant appel aux mêmes approches de design et savoir-faire que le jeu classique (3D, temps réel, simulation d’objets, d’individus, d’environnements…) mais qui dépassent la seule dimension du divertissement ».
Au même titre que tous les autres enseignants, le professeur documentaliste est attentif aux innovations pédagogiques. L’engouement pour les serious games des dernières années a entraîné une multiplication de ces derniers, et il existe aujourd’hui de nombreux jeux sérieux pour toutes les matières enseignées en collège et lycée. Dès lors, la question se pose de les inclure comme ressources numériques pour les élèves et les professeurs qui viennent au CDI, et qui pourraient également les exploiter en classe par la suite. Le jeu étant souvent associé à un divertissement, le professeur documentaliste est en droit de se demander en amont quels sont les avantages et inconvénients de ces serious games ? Comment les choisir, les exploiter, et dans quel cadre ? Quel accueil les élèves réserveront-ils à cette nouvelle forme d’apprentissage ?

L’origine des serious games

On a tendance à considérer que le premier serious game significatif est apparu en 2002 avec le développement du jeu America’s Army pour le compte de l’armée étatsunienne et distribué gratuitement sur Internet. Ce jeu de tir à la première personne simule des exercices d’entraînement militaire et des missions de combat tout en valorisant l’armée des États-Unis ; le jeu a d’ailleurs servi d’outil de recrutement. Cependant, si America’s Army est le premier serious game reconnu, de nombreux jeux répondant à cette définition existaient déjà auparavant.

Depuis, le développement de serious games connaît un bel essor dans lequel l’Éducation nationale s’investit. En effet, alors qu’on pointe de plus en plus l’écart entre les pratiques des jeunes, notamment en termes d’usage des technologies, et l’univers scolaire, les serious games sont un formidable moyen pour faire acquérir aux élèves des compétences ou des connaissances attendues dans le cadre des programmes scolaires ou du socle commun par le biais du jeu. Comment, dès lors, se priver d’eux alors que l’enseignant cherche sans cesse à réduire le fossé entre l’univers des adolescents et celui de l’école ?
De nombreux projets ont ainsi été financés par le ministère ces dernières années comme Stop la violence, Vis ma vue ou Mon Orientation augmentée, tandis que, dans le même temps, les enseignants étaient incités à utiliser les serious games au sein de leurs cours.

Pourquoi proposer des serious games au CDI ?

Introduire les serious games au CDI n’est pas un choix toujours évident, car il pose la question de la place du jeu dans le milieu scolaire. Jusqu’à l’émergence des jeux sérieux, les professeurs documentalistes avaient plutôt l’habitude de refuser la possibilité à leurs élèves de jouer sur ordinateur puisque leur utilisation devait le plus souvent se limiter au cadre de la recherche documentaire, alors que le jeu était jusque-là perçu comme uniquement récréatif. Cependant, à partir du moment où l’Éducation nationale elle-même encourage le développement et l’usage en classe des serious games, on peut être en mesure de se dire que la position du professeur documentaliste doit évoluer.

Le CDI est un espace de mise à disposition de ressources physiques et numériques en perpétuelle mutation pour être en adéquation avec les pratiques de ses usagers. Les serious games constituent aujourd’hui des outils d’information et de formation au même titre que des livres documentaires ou un site web. En effet, ils sont souvent pour l’élève tun moyen d’aller plus loin, de comprendre de manière différente une notion ou d’acquérir par lui-même une nouvelle compétence. On remarquera que le cadre et le contexte d’un serious game s’appuient très souvent sur une documentation aussi valide et fiable qu’un documentaire, tandis que les missions confiées placent le joueur dans une situation d’apprenant actif et non plus passif comme lorsque celui-ci lit un livre, consulte une vidéo ou écoute un cours. À ce titre, les serious games participent de façon active à l’auto-formation des élèves, et c’est bien l’une des missions du professeur documentaliste lorsqu’il constitue le fonds du CDI.

À titre d’exemple, les bibliothèques de Montréal ont développé un jeu sérieux à destination des 8-13 ans, dont l’objectif est de former à l’analyse de l’information sur le web : Escouade B. Les joueurs sont invités à visiter des pages web et à s’interroger sur la pertinence et la validité des informations qu’on y trouve. Ce jeu peut être proposé aux élèves dans le cadre d’une séance sur la fiabilité de l’information en ligne et servir d’activité pratique, mais aussi dans le cadre d’une utilisation libre afin de sensibiliser les élèves à cette question et leur faire acquérir une nouvelle compétence.
En constituant une sélection de serious games disponibles, par exemple sur le portail documentaire du CDI, le professeur documentaliste invite l’élève à découvrir par lui-même de nouvelles choses. On note très vite que les élèves se montrent curieux face à cette sélection et n’hésitent pas à cliquer pour aller voir ce que renferme un nom de jeu parfois peu explicite (tel qu’Escouade B). De façon insidieuse, l’élève se retrouve ainsi confronté à un jeu sérieux sur une thématique qu’il ne connaît pas forcément ou qu’il n’a pas encore étudié et sur laquelle il va se sensibiliser par lui-même. C’est particulièrement valable sur des sujets parfois un peu à la marge des programmes scolaires ou qui sont traités très rapidement en classe, faute de temps pour s’y consacrer plus longtemps.

Enfin, le serious game est un formidable moyen pour ramener les élèves vers l’école et le désir d’apprendre. Si les enseignants ont de plus en plus tendance à introduire les serious games dans leurs cours, c’est avant tout parce que les études ont prouvé que ces derniers étaient extrêmement motivants pour les élèves. Outre le fait qu’ils soient ravis de se rendre sur l’ordinateur pour « jouer », on s’aperçoit qu’ils se lancent avec beaucoup plus de facilité dans l’activité que sur tout autre support. S’il est difficile de motiver un élève à réviser ses tables de multiplication avec un simple exercice papier, proposer la même chose en recourant à un serious game (avec niveau et challenge à la clé) rencontrera bien plus d’enthousiasme.

L’accueil des serious games au CDI par les élèves

Les élèves perçoivent les serious games comme une porte ouverte vers le divertissement au sein du CDI. Leur première réaction est souvent de se dire que « jouer » est maintenant autorisé et ils sont donc souvent très volontaires pour les tester. C’est d’abord cela qui plaît aux élèves, même si ce n’est pas l’idée première du professeur documentaliste lorsqu’il propose des serious games.
Cependant, on constate rapidement aussi que les élèves prennent plaisir à jouer avec ces serious games et qu’ils se prennent rapidement au jeu du challenge. Certains s’aident mutuellement, commentent leurs décisions et s’interpellent sur les choix à faire. Souvent, rapidement les élèves ne se rendent plus vraiment compte qu’en même temps qu’ils jouent, ils apprennent, révisent et/ou mettent en pratique ce qu’ils ont vu de façon plus « traditionnelle » en classe.

Pour les élèves « en rupture », les serious games sont très prisés, car le jeu les ramène à un objet qu’ils apprécient. De la même façon, pour ceux qui viennent au CDI sans savoir exactement quoi y faire, la possibilité d’une activité comme le jeu rencontre leur adhésion. Il n’est pas rare de les voir revenir ensuite pour demander l’autorisation de faire des « jeux éducatifs ».

Les serious games dans le cadre de l’éducation aux médias et à l’information

Dans le cadre de l’Éducation aux médias et à l’information, le professeur documentaliste peut inclure dans ses séances l’utilisation des serious games, que ce soit pour aborder une notion, une compétence ou au contraire pour vérifier qu’une notion, une compétence a bien été acquise en fin de séance/séquence. Comme lorsqu’ils sont proposés en accès libre sur les ordinateurs du CDI, l’utilisation des serious games en classe est souvent très motivante pour les élèves et permet d’aborder de façon ludique des notions ou compétences qui ne sont pas toujours très attractives (comme le classement des livres) ou complexes (comme la question de l’identité numérique). Pour les élèves qui ont des difficultés à se concentrer ou qui sont en rupture, le passage par le jeu est aussi plus facile pour les lancer dans l’activité. D’autant plus que l’échec est ici perçu de manière moins négative, car l’élève a la possibilité de se corriger par lui-même et de trouver de l’aide au sein même du jeu.
Plusieurs jeux ont été créés ces dernières années et peuvent ainsi être proposés dans le cadre de l’éducation aux médias.

Initiation à la recherche documentaire

Il existe le travail de Claire Cassaigne, professeur documentaliste de l’académie de Paris, qui a développé trois « missions IRD » dans le cadre du projet « Ressources numériques et lutte contre la fracture numérique »1. Les missions permettent aux élèves de 6e de réinvestir des notions vues lors de l’initiation à la recherche documentaire et de se préparer à l’évaluation. De la même manière, le site Éducation aux médias et à l’information au CDI2 propose quatre missions pour travailler sur des notions info-documentaires (voir encadré).

Évaluer la fiabilité d’un site Internet

Déjà mentionné dans ce dossier, le site Escouade B réalisé par les bibliothèques de Montréal3, est un site de référence.

Identité numérique

Le serious game 2025 ex machina4 est très utilisé et aborde les questions de la responsabilité et de l’impact de l’action des adolescents sur le web, du rapport vie privée/vie publique, de la responsabilité collective face aux évolutions du web et sa temporalité.

Être responsable sur Internet

On conseillera Passe ton permis web5, réalisé par l’AFPI, qui teste les connaissances des élèves sur les dangers du web.

Droit et Internet

Legajeux6 est un jeu permettant de tester les connaissances relatives à la législation d’Internet. Il se présente sous la forme d’un jeu de l’oie.

Penser à encadrer l’utilisation

Le jeu est vu comme un divertissement pour l’élève, quand bien même il se chargerait d’une dimension « sérieuse ». Dès lors c’est au professeur documentaliste de sélectionner les jeux autorisés et d’encadrer leur utilisation afin d’éviter tout débordement. En amont il peut ainsi y réfléchir en se posant quelques questions : à quel moment les élèves peuvent-ils jouer aux serious games ? Un ou plusieurs ordinateurs sont-ils utilisés pour ce type d’activité ? Cette utilisation se fait-elle seule ou y a-t-il possibilité de deux élèves par poste ? Quelles règles pour limiter l’agitation ?…

La plupart des professeurs documentalistes qui se lancent dans l’aventure donnent la primauté aux recherches documentaires sur l’accès aux serious games afin de ne pas pénaliser des élèves qui auraient besoin d’une utilisation des ordinateurs pour un travail scolaire. Certains font aussi le choix de dédier un ou deux postes informatiques aux serious games, tandis que les autres sont réservés à d’autres travaux. C’est à chacun de voir ce qui lui convient.
De la même façon, il faudra veiller à ce que les élèves qui utilisent les serious games ne perçoivent pas le CDI comme une salle de gaming. La dérive de l’élève accro, qui ne viendrait que pour jouer, est parfois vite franchie pour certains. C’est alors au professeur documentaliste de modérer et d’expliquer que jouer aux serious games ne doit pas être leur unique activité dans le lieu. L’idée la plus simple serait alors de limiter l’usage à 30 minutes sur une séance d’une heure au CDI.

Enfin, une des craintes des professeurs documentalistes vis-à-vis des serious games se pose en termes de bruit que leur utilisation pourrait potentiellement générer. Il ne faudrait pas en effet que la quiétude du lieu soit perturbée par une trop grande agitation de la part de quelques élèves. Là encore, le professeur documentaliste peut décider de mettre fin à l’activité s’il trouve les élèves trop bruyants. Une règle avec laquelle les élèves devront, comme pour le reste, composer. Il arrive, en outre, que certains jeux proposent un fond sonore. L’achat de casques pourra alors se révéler pertinent pour ne pas gêner les voisins.

Sélectionner des serious games

L’engouement pour les serious games a entraîné leur multiplication. Pour le professeur documentaliste, les sélectionner peut vite devenir compliqué surtout s’il n’est pas expert dans le domaine abordé par le serious game. Il pourra donc dans un premier temps s’appuyer sur les autres membres de l’équipe pédagogique en demandant notamment aux professeurs disciplinaires s’ils connaissent quelques serious games, voire s’ils en proposent dans le cadre de leur cours.

Ensuite, le professeur documentaliste pourra s’appuyer sur les sélections réalisées par Eduscol, les sites académiques ou encore celles d’autres professeurs documentalistes. On citera à titre d’exemple le très complet Serious Game Classification7, réalisé à l’initiative de Ludoscience (un laboratoire de recherche et développement dédié à l’étude du jeu vidéo), qui recense de très nombreux sites web et les classe ensuite selon leur gameplay, leurs intentions, leurs domaines d’applications, leurs publics visés et par un système de mots-clés.

Le rôle de la veille est aussi très important dans ce cadre. Chaque semaine de nouveaux serious games apparaissent, et c’est par le biais de sa veille que le professeur documentaliste pourra être tenu informé des dernières nouveautés.
Proposer des serious games implique enfin de ne pas hésiter à les tester. Jouer soi-même permet de mesurer la qualité et le niveau de difficulté du jeu. La participation des élèves dans cette activité de sélection peut aussi être intéressante, car ce qui peut convenir au professeur documentaliste peut ne pas susciter le même engouement chez les élèves.

Faire connaître les serious games du CDI

Site : L’éducation aux médias au CDI. Mission 2, le catalogue du CDI avec Camille (cf. encadré ci-contre).

Une fois le pas franchit, une fois les jeux sélectionnés, il reste à les faire connaître aussi bien des élèves que des professeurs. Le choix de la plupart des professeurs documentalistes semble de proposer sur le portail documentaire une section « jeux éducatifs », où ces derniers sont listés par matière ou par leur thématique. Il est tout à fait possible d’envisager de présenter cette rubrique aux élèves lors d’une séance au CDI (on pensera particulièrement aux premières séances de 6e) ou lors d’un passage sur un temps de permanence. De la même façon, on pourra attirer l’attention des professeurs sur cette nouvelle rubrique en la leur présentant directement ou par le biais d’une lettre d’information.

Bonne ou mauvaise nouvelle…

Je ne sais pas quoi penser. À l’heure où je rédige cet édito, nous venons d’apprendre que le vaste, et a priori insurmontable, chantier de la circulaire de mission est de retour !

Qu’attendons-nous donc ? Toujours, encore, ou tout simplement enfin une reconnaissance institutionnelle de notre expertise dans le domaine de l’éducation aux médias et à l’information ; une actualisation de la mission pédagogique du professeur documentaliste ; une prise en compte de notre participation au travail des équipes pédagogiques ; la possibilité d’intervenir seul auprès des élèves dans les formations et les activités pédagogiques mais surtout dans le cadre de l’EMI ; la reconnaissance de notre expertise dans la mise en œuvre de la politique documentaire de l’établissement. Nous devons exiger d’être les piliers de la réflexion et de la formation des élèves à la culture informationnelle. En effet, la mise en œuvre d’une politique documentaire cohérente et conduite par un expert, ce que nous sommes, permettrait aux élèves de disposer des meilleures conditions de formation. N’oublions pas que mettre en place au sein des établissements une réelle politique d’accès de tous les élèves aux informations et aux ressources nécessaires à leur formation, participe à l’égalité des chances. Tout cela sans oublier la casquette de référent « culture », favorisant l’ouverture culturelle de l’établissement sur son environnement éducatif, culturel et professionnel…

De multiples facettes dont doit se faire l’écho cette nouvelle circulaire, tout en permettant à chaque professionnel d’adapter le meilleur profil en fonction des besoins de l’établissement dans lequel il exerce. Une circulaire qui encadre, reconnaît et légitime le quotidien de chacun de nous. Tous les espoirs sont permis ! Toujours est-il que nous devons nous serrer les coudes et réagir, agir collectivement. En route vers de nouveaux espoirs…

« Décrypter l’actualité en allemand avec Twitter » ; « Les serious games » ; « TOPO, l’actualité dessinée pour les moins de 20 ans » ; « L’or et la boue : un projet interdisciplinaire autour de la grande Guerre » ; à quelques mois des élections une Ouverture culturelle sur « Le Président et la Ve République » ; un Thèmalire sur « le SIDA dans la littérature de jeunesse » qui tombe à pic pour la journée mondiale de lutte du 1er décembre ; un clin d’œil à la grande exposition consacrée à Hergé au Grand Palais avec « Tintin, naissance d’un journal »… un sommaire particulièrement riche en sollicitations culturelles variées.
Ouvrez-vite ce numéro !

Les changements climatiques

Institutions/Organismes

Le Ministère de l’environnement

Au premier rang des sources institutionnelles, on peut citer bien sûr le site du Ministère de l’environnement qui, dans l’onglet « Énergie, air et climat », propose une rubrique de ressources et de données sur l’effet de serre et le changement climatique, avec également des fiches détaillées qui donnent les chiffres et les statistiques pour chaque indicateur de réchauffement. www.developpementdurable.gouv.fr/-Effet-de-serre-et-changement-.html et par exemple http://www.developpement-durable.gouv.fr/Nombrede-journees-estivales.html

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)

Créé en 1988 pour effectuer régulièrement un état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques liées aux changements climatiques, le GIEC met en ligne les rapports qui détaillent et évaluent les causes, les répercussions et les stratégies possibles pour prévenir ou réduire les effets du réchauffement climatique. Nous rappelons que le GIEC et l’ex-Vice-Président des États-Unis, Al Gore, ont reçu le Prix Nobel de la paix en 2007 pour leur contribution dans le domaine des changements climatiques.
www.ipcc.ch

L’ONERC

(Observatoire national sur les Effets du Réchauffement climatique) met en ligne ses rapports d’activité, les données chiffrées des différents indicateurs de réchauffement ainsi qu’une base de données qui recense tous les travaux de recherche sur le sujet.
www.developpement-durable.gouv.fr/-Bases-de-donnees, 478-.html
On peut également utiliser la synthèse des chiffres clés du climat produit par l’ONERC chaque année et accessible en PDF.
www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Rep_-_Chiffres_cles_du_climat_2016.pdf

Météo France

Un grand nombre de statistiques sur le climat en France est accessible sur leur site, une mine d’or pour travailler avec des lycéens sur les changements climatiques à partir des données brutes (en mathématiques ou en géographie par exemple).
https://donneespubliques.meteofrance.fr/
On peut aussi exploiter Climat HD, un ensemble d’animations et d’infographies sur l’évolution du climat qui permet de comparer en un seul coup d’oeil les données météo actuelles avec les tendances des prévisions climatiques au cours du XXIe siècle.
www.meteofrance.fr/climat-passe-et-futur/climathd

L’Institut Pierre Simon Laplace

Cet institut de recherches en sciences de l’environnement regroupe plusieurs laboratoires scientifiques d’études et de modélisation du climat. Dans sa rubrique « Pour tous », on trouve des dossiers thématiques sur le climat, des références bibliographiques et des vidéos et animations documentaires sur les changements climatiques ainsi que des exemples d’expériences pour étudier le cycle du carbone au collège et au lycée.
www.ipsl.fr/ fr/Pour-tous/Espace-pedagogique

L’OMM

(organisation météorologique mondiale) Le site de cette organisation dispose d’un espace jeunes, bien conçu et très attractif, qui explique à travers des grandes thématiques (climat, pluie et eau douce, problèmes environnementaux, prévisions météorologiques, désertification…) les grands enjeux des changements liés au climat. À noter que la partie consacrée aux jeux sérieux sur le sujet est essentiellement en anglais et peut donc être exploitée par les collègues de Langues.
www.wmo.int/youth/fr/weather-climate-water

Temps forts

La COP21

climat 01La très médiatisée COP21 (Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques), qui s’est tenue à Paris du 30 nov. au 12 déc. 2015, a donné lieu à un accord jugé historique par toutes les parties prenantes. Pour comprendre les enjeux et décrypter les termes des négociations internationales sur le climat, consultez le site de la COP21, rubrique « Comprendre » qui regroupe des vidéos et animations interactives sur le climat, les dates clés des conférences climat, les contributions des différents pays, et un lexique des termes de l’accord. www.cop21.gouv.fr/comprendre Le texte final de l’accord de Paris est également accessible en ligne. http://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/fre/l09f.pdf

La Semaine du climat

La 1re édition de la Semaine du climat a eu lieu du 5 au 10 octobre 2015 dans un contexte de préparation de la COP21. Les établissements scolaires étaient invités à organiser des débats sur les causes et enjeux du changement climatique. Plus d’infos sur : www.education.gouv.fr/cid93588/la-semaine-du-climat.html#Une_semaine_de_debats_et_d_animation_autour_des_enjeux_du_changement_climatique

Expositions

Climat, l’expo à 360°

climat02

À la Cité des Sciences et de l’Industrie, cette exposition s’est déroulée jusqu’au 20 mars 2016 et a mis en parallèle deux aspects : un parcours documentaire qui, à la manière d’une enquête journalistique, décryptait les différentes données scientifiques sur le réchauffement climatique ainsi qu’un parcours artistique qui exposait les photographies de Kadir Van Lohuizen montrant des populations confrontées à la montée des eaux. Des ressources documentaires numériques complètent la visite sur le site de la Cité des Sciences et les contenus de l’exposition sont disponibles au format PDF. www.cite-sciences.fr/fr/vousetes/enseignants/votre-visite/expositions/climat-lexpo-a-360/

Expositions virtuelles

Plusieurs expositions sont disponibles en PDF ou JPG sur le site du Ministère de l’environnement et empruntable en expositions itinérantes.
www.developpement-durable.gouv.fr/Les-expositions-sur-le-climat.html

Le climat change : 8 panneaux pour comprendre les dernières avancées scientifiques

www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/15134_panneaux_climatchange_841x1189mm_DEF_light-2-1.pdf

La France grandeur nature

www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/15224_expophotos- paysages_bandeau-medde.pdf

Comprendre la COP 21

www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/15090-1_journal-expo-climat_cop21_version_MEDDE_light.pdf

COP 21 : Le climat change, et vous ?

(exposition Canopé Poitiers)
www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/expo_Mendes_France.pdf

Le Train du Climat

climat03L’opération Le train du climat a sillonné la France à la rencontre des scolaires avant la COP21 au mois d’octobre 2015. Cette action a donné lieu à une exposition virtuelle entièrement accessible et adaptée au jeune public (mesures des changements climatiques ; effets sur la planète ; solutions possibles). http://messagersduclimat.com/le-climat-pour-tous/

Plusieurs expositions téléchargeables en PDF sont proposées par l’Institut Pierre-Simon Laplace.
Pour le collège : Quel climat pour demain ? et Les glaces du Groënland : témoins et acteurs du changement climatique. Pour le lycée : Climat, eau, vie : la Terre, une exception dans l’Univers ? www.ipsl.fr/fr/Pour-tous/Les-expositions-telechargeables

Associations et projets

De très nombreuses associations oeuvrent pour proposer des projets et initiatives qui sont autant de solutions concrètes contre le réchauffement climatique. Il est impossible de tous les énumérer ici, mais on peut consulter une liste de quelques 500 projets sur le site de la COP21, qui a créé son propre label.
www.cop21.gouv.fr/projets-labellises

En voici par ailleurs quelques-uns :

La Fondation Nicolas Hulot

a organisé un vote autour d’initiatives écologiques pour réduire les effets du réchauffement climatique. Ce vote a permis de mettre en lumière un certain nombre d’actions durables, allant de la promotion du végétarisme à de nouvelles architectures bioclimatiques, en passant par la réduction du méthane dans l’élevage.
www.mypositiveimpact.org
www.fondation-nicolas-hulot.org

L’opération Vigie Nature

est un programme de sciences participatives qui consiste à suivre les espèces communes (faune et flore) en France, grâce à des réseaux d’observateurs volontaires pour voir l’évolution des espèces et mieux cerner les impacts des changements climatiques et de la pression humaine sur la faune et la flore de nos régions.
www.fondation-nicolashulot.org
http://vigienature.mnhn.fr/page/le-programme-vigie-nature

L’association Les Atomes crochus

propose des ateliers de vulgarisation scientifique mais aussi des conférences débats, des contes scientifiques, des spectacles de clowns des sciences, etc. Un de ces ateliers ou Science Show porte sur les changements climatiques (Climat-eau-logie).
www.fondation-nicolas-hulot.org
www.atomes-crochus.org/spip/article281.html

Le moteur de recherche Ecosia

utilise les revenus de ses annonces publicitaires pour financer des plantations d’arbres. Créé en 2009, ce moteur de recherche engagé dans des actions en faveur du développement durable a permis de planter plus de 3 millions d’arbres, notamment au Burkina Faso, dans le projet international de « Grande muraille verte » africaine. Pour participer, il suffit d’installer l’extension Ecosia à son navigateur internet.
www.fondation-nicolas-hulot.org
www.ecosia.org

 

climat04

Pistes pédagogiques

Dans le cadre de l’éducation aux médias et à l’information, une séquence pédagogique au CDI qui décrypte les différents discours sur le climat, notamment en comparant l’utilisation et le détournement des données statistiques dans les thèses climato-sceptiques peut être envisagée. L’analyse de sites internet et de discours de personnalités réfutant le réchauffement climatique peut donner lieu à une meilleure compréhension des notions de désinformation, de propagande et de manipulation médiatique. Un travail très intéressant à faire en collaboration avec les enseignants de mathématiques, de SVT et d’histoire-géographie par exemple.

L’édition 2016 de la Semaine européenne du Développement Durable se déroulera du 30 mai au 5 juin. C’est l’occasion idéale de créer un temps fort autour de l’après COP21 en organisant des débats, en faisant venir des expositions et des intervenants sur le thème des changements climatiques. On peut aussi penser à un forum associatif qui regrouperait des stands d’associations locales promouvant des initiatives d’engagement citoyen pour lutter contre le réchauffement climatique. www.fondation-nicolas-hulot.orgwww.developpement-durable.gouv.fr/-La-semaine-europeenne-du-.html

Dans les programmes

Collège

Dans les thèmes de convergence des matières scientifiques, on trouve le développement durable (thème 2) et Météorologie et climatologie (thème 4).
Classe de 6e, SVT : « L’évolution du vivant » ; Géographie : « Habiter des espaces à fortes contraintes : localiser et situer les principales zones climatiques». 5e, Géographie : « La question du développement durable » ; « Des inégalités devant les risques, thème 3 : la sécheresse ». 4e, SVT : Le rôle des volcans dans l’influence du climat sur le milieu ; Physique-Chimie : les effets de la météo avec les pluies acides, la qualité de l’air et sa composition. 3e, SVT : « Responsabilité humaine en matière de santé et d’environnement ».

Lycée général

2de, SVT : « La planète Terre et son environnement » ; Géographie : « L’humanité en quête de développement durable : gérer les ressources terrestres ». 1re L et ES, SVT : « Le défi énergétique » ; « Nourrir l’humanité : vers une agriculture durable au niveau de la planète ». Terminale S, SVT (spécialité) : « Atmosphère, hydrosphère, climats : du passé à l’avenir ».

Lycée professionnel

Classe de 2de Pro, Géographie : « Sociétés et développement durable », décliné en quatre sujets d’études : « Nourrir les hommes » ; « L’enjeu énergétique » ; « Le développement inégal » ; « Les sociétés face aux risques ». Classe de Terminale Pro, éducation civique : « Citoyenneté et environnement ».

Ressources numériques

En temps réel.

Climat05Retrouvez les chiffres et compteurs liés aux dérèglements climatiques (voir l’exposition Climat, l’expo à 360° de la Cité des Sciences) en temps réel : les tonnes de CO2 rejeté dans l’atmosphère depuis ce matin, le nombre de piscines olympiques remplies par la fonte des glaciers, le nombre de terrains de football de forêts déboisées, l’augmentation de la population mondiale, les émissions de méthane etc.
www.fondation-nicolas-hulot.org
www.cite-sciences.fr/climat/applicompteurs

Quiz et serious game

Toujours sur le site de la Cité des Sciences, un quiz pour les enfants et collégiens : « Faisons vite, ça chauffe sur la Terre ».
www.cite-sciences.fr/ressources-en-ligne/juniors/quiz-climat/
et un autre jeu sérieux
www.cite-sciences.fr/ressources-en-ligne/juniors/rechauffement-climatique/Fr/

Le site M’ Ta Terre

Ce site, réalisé par l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME), propose une web télé, une web radio et des ressources interactives pour le jeune public autour des thématiques de défense de l’environnement et de compréhension des phénomènes liés au réchauffement climatique. Un site très complet qui regroupe aussi des dossiers sur l’actualité (décryptage de la COP21, par exemple) et des listes de bons réflexes à adopter au quotidien pour les Jeunes.
www.mtaterre.fr/lechangement-climatique.html

Le site de la revue Terra Eco

La rubrique « Data » regroupe, en lien avec les événements liés au climat entre autres, des infographies qui renvoient sur un même thème à d’autres articles de presse, à des articles de Terra Eco ou à des graphiques explicatifs. Éclairants et utiles pour multiplier les sources et les exemples sur le changement climatique.
Malheureusement, la revue Terra Eco voit sa publication arrêtée.
www.terraeco.net/Lesglaciers-s-enfuient-encore-et, 62314.html

Le climat en questions

Ce site, très intéressant à consulter, propose des réponses de scientifiques et de chercheurs aux questions que l’on peut se poser sur les changements climatiques, l’évolution actuelle et future du climat, les prévisions, le fonctionnement du système climatique, l’observation des phénomènes climatiques, les mécanismes d’évolution du climat. Chaque réponse renvoie à d’autres questions sur le même thème ou sur des thèmes connexes.
www.climat-en-questions.fr

Universciences.tv

Sur la webTV scientifique hebdomadaire de la Cité des sciences et du Palais de la découverte, on retrouve un grand nombre de vidéos de scientifiques consacrées à la thématique du changement climatique avec les mots clés « dérèglement climatique ».
www.universcience.tv/recherche.html?hasKeyword=d%C3%A9r%C3%A8glement+climatique&_ga=1.77171036.8500574.1457776030

Le projet ACCES (Appréhender les Changements climatiques environnementaux et sociétaux)

Climat08Ce projet a pour but de mettre en ligne des vidéos de scientifiques, chercheurs et spécialistes des changements climatiques pour mieux informer le public, mais aussi le milieu journalistique sur les enjeux actuels du réchauffement. Plusieurs vidéos sont consacrées au GIEC et à son traitement médiatique, l’ensemble des vidéos donne un aperçu très complet de la thématique.
http://accesterra.org/

Carbonrisk

Cet outil numérique permet d’observer les données climatiques (émissions de carbone et leurs origines, hausse des températures…) sur une carte du monde interactive. Il reprend les objectifs nationaux pour rester sous les 2 degrés ainsi que l’indice de contribution à l’effort climatique de plusieurs États.
www.carbon-risk.fr

L’Unesco

Sur le site de l’Unesco, une base de données avec un module de recherche spécifique permet de trouver des ressources pédagogiques sur l’éducation au changement climatique (la plupart en anglais).
www.unesco.org/new/fr/education/themes/leading-the-international-agenda/education-for-sustainable-development/climate-change-education/cce-clearinghouse/

Le Museum d’Histoire Naturelle de Paris

On pourra trouver sur ce site un dossier spécial COP21 qui présente les différents aspects des changements climatiques et fait un point sur l’état de la recherche dans ce domaine.
www.mnhn.fr/fr/cop21

Colloque

Le Forum du CNRS 2015 : « Que reste-t-il à découvrir ? » consacré au changement climatique, s’est déroulé le 13 novembre 2015. Les débats et les différentes interventions des chercheurs sont visionnables en postcasts.
http://leforum.cnrs.fr/programme/debat

Climat07