Médias, rumeurs, théories du complot

Il était une fois la rumeur

Pourtant le phénomène n’a rien de nouveau. Sans refaire toute l’histoire de la rumeur qui occupe les sociologues depuis le début du xxe siècle, citons tout de même le travail d’Edgar Morin qui, en 1969, enquêta sur « la rumeur d’Orléans » évoquant de possibles enlèvements de jeunes filles blanches lors d’essayages dans les cabines de magasins juifs. Il démontra que cette rumeur de traite des blanches avait pour origine un certain désarroi de la population devant la libération des mœurs, sur fond d’antisémitisme. Concernant Internet, rappelons également que l’un des premiers sites de vérification de rumeurs sur la Toile, hoaxbusters.com, est apparu en France dès 1999 à une époque où prospéraient surtout des légendes urbaines et des chaînes d’entraide obsolètes (appel aux dons d’organes, alertes enfants disparus). Les théories du complot s’y faisaient plus discrètes qu’aujourd’hui ; notons ainsi que le très controversé Thierry Meyssan, à l’origine de la théorie selon laquelle aucun avion ne s’est crashé sur le pentagone le 11 septembre 2001, avait plutôt choisi en 2002 la voie éditoriale et télévisuelle pour diffuser ses idées1. Quinze ans plus tard les sites complotistes foisonnent (à commencer par Le réseau Voltaire de Thierry Meyssan, devenu un proche du régime de Bachar-El-Assad), et Facebook et Twitter leur offrent un véritable boulevard pour toucher un large public.
La nouveauté est peut-être là : l’arrivée des réseaux sociaux et la possibilité pour chacun de publier, qui démultiplient l’impact des rumeurs. Leur pouvoir de nuisance s’inscrivant désormais dans les stratégies politiques, économiques voire criminelles développées par des complotistes et groupes dissidents en tous genres !
Mais si l’on veut pouvoir lutter efficacement contre ces rumeurs et complots, il convient d’avoir une approche plus globale que celle consistant à vouloir « rétablir » une vérité ou donner la liste des « bonnes sources d’information ». Autrement dit, il importe d’adopter une approche sociétale de l’accès à l’information. Plusieurs constats s’imposent.

La perte de confiance dans les médias dits classiques et les instances institutionnelles

Contrairement à une idée largement répandue, la croyance dans ces rumeurs n’est pas l’apanage des plus naïfs, car la société même dans laquelle nous vivons favorise la méfiance envers certaines instances (les journalistes, les institutions politiques, les laboratoires pharmaceutiques…) et par là même une propension à croire toute information qui viendrait s’appuyer sur cette méfiance.
En ces temps troubles où les lanceurs d’alerte sont brandis en héros mais dorment en prison, les scandales en tous genres (Mediator, Clearstream, Luxleaks, Panama Papers, les écoutes de la NSA) viennent sans cesse nous rappeler que les vrais complots existent. Et l’on en oublierait presque que ces secrets ne sont pas si bien gardés puisqu’on finit par en être informé par des lanceurs d’alerte, mais aussi grâce aux médias, lesquels pourtant, à force de dérapages ou tout simplement parce qu’ils appartiennent à des groupes tels Dassault, Bouygues, Bolloré, Niel, ne bénéficient pas davantage de notre confiance2. Bref, on ne sait plus à quel saint se vouer. Qui parmi nous n’a jamais douté d’une information relayée par la presse « officielle » ou ne s’est pas interrogé sur une campagne de vaccination ? Si l’on doit former les élèves à s’informer tout en exerçant leur esprit critique, on ne peut se contenter de proposer une formation reposant sur la dichotomie simpliste opposant le média comme seule source fiable et les réseaux sociaux propagateurs de mensonges. La réalité est bien plus complexe et il ne serait pas judicieux de faire l’impasse sur les enjeux économiques et politiques qui font que, de temps en temps, on peut aussi être amené à se méfier du discours des médias. Mais dans le même temps, on peut aussi donner aux élèves les outils permettant d’évaluer et choisir un média : à qui appartient-il ? Y a-t-il de la publicité ou non ? Quels sont les délais d’investigation ? Par là même, on leur montre la grande diversité des titres et on leur explique l’importance de la pluralité. Non, il n’y a pas que BFM, RMC, Le Parisien, Le Figaro ou Libé. Il y a aussi Mediapart, La Revue Dessinée, Cash investigation… De son côté, la journaliste Pascal Clark quitte France Inter et tente de créer un pure Player, un nouveau média indépendant. C’est cela aussi les médias en France aujourd’hui. Il est capital d’attirer l’attention de nos jeunes sur ces phénomènes.

Rien ne va plus, tout se vaut !

Selon Ph. Aldrin, dans son article « lutter contre les rumeurs : mission impossible ? », « l’un des principaux indicateurs de la crise du système informationnel actuel réside justement dans la prolifération ad nauseum des sources concurrentes d’information, des analyses d’information-déformation, des stratégies antagoniques d’influence ».
Confrontés à cette complexité croissante, les élèves croient exercer leur esprit critique en se réfugiant derrière le constat « qu’on nous ment » mais sont prêts, dans le même temps, à croire quiconque commencerait une information par « on nous ment ». On peut à ce sujet citer Gilles Alfonsi : « Il ne faut pas confondre l’interrogation légitime de tous les faits sociaux ou politiques, y compris la contestation d’affirmations officielles présentées comme des vérités absolues, et l’abandon de tout esprit critique au profit de n’importe quelles hypothèses manipulatoires. Il faut toujours se demander qui parle et pour quelles causes3 ».

Ces questions que nos élèves ne savent pas poser

On en revient donc toujours à ce qui fait le cœur de notre métier : l’évaluation de l’information à l’aide du fameux QQQOCP. Une pratique qui est loin d’aller de soi pour nos élèves. Une étude américaine de l’Université de Stanford publiée en novembre 20164 a montré, en effet, combien ils sont faciles à duper. Ainsi, des lycéens à qui l’on demande d’évaluer si la photo de pâquerettes déformées, publiée sur un réseau social, constitue bien une preuve solide de l’état de la zone entourant la centrale de Fukushima, répondent « oui » à 40 %. Moins de 20 % questionnent les sources, et 25 % estiment que la photo n’apporte pas de preuve solide, car elle ne montre que des fleurs. Autre exemple, plus de la moitié des collégiens à qui l’on demande de comparer plusieurs tweets relatant la démission d’un policier ont trouvé plus crédible celui contenant le plus de détails plutôt que celui publié par une grande radio nationale.

Ces images qui mentent

Rumeurs et mensonges sont aujourd’hui souvent accompagnés de photographies ou de vidéos. Des images qui sont censées apporter une preuve de ce qui est avancé. L’image photographiée ou filmée jouit en effet de manière générale d’une bonne crédibilité, puisqu’elle montre ce qui est. Si je peux le voir, c’est que cela existe. Nos élèves sont les premiers à se laisser manipuler, oubliant à quel point on peut faire mentir une image et ce, de multiples façons. Si le réalisateur Georges Méliès, célèbre inventeur de trucages cinématographiques, en avait fait son fonds de commerce, d’autres, comme Staline, s’en sont servis pour réécrire l’Histoire. La plupart des dictateurs du xxe siècle avaient, comme on sait, pour habitude de faire retoucher les photographies pour remodeler la réalité à leur guise5.

Quatre façons de faire mentir une photographie

La retouche
Sur les panneaux publicitaires ou dans la presse féminine, la retouche rend les femmes plus minces, plus grandes, plus jeunes ! En Une du Figaro Magazine, elle permet d’effacer une bague hors de prix au doigt d’une ministre, de gommer les bourrelets d’un président. Sur Facebook, elle permet de nous faire croire que des femmes voilées font la queue dans Paris pour percevoir des allocations alors qu’elles sont en fait à Londres devant un commissariat de police. Et si l’on peut aisément repérer certaines retouches, d’autres plus subtiles, requièrent un œil expert.

 

Cadrage et recadrage
Une photo n’est qu’une vision de la réalité, un morceau de vérité enfermé dans un cadre. Mais que se passe-t-il à gauche, à droite, derrière ? Le recadrage peut réduire le cadrage initialement choisi par le photographe, et changer ainsi le sens de l’image en ôtant par exemple un détail significatif. En classe, on peut faire travailler les élèves sur le recadrage en leur demandant de légender successivement deux images cadrées différemment. Ils peuvent également recadrer eux-mêmes une photographie et écrire ensuite une rumeur ou un article à partir de cette image modifiée.
Plusieurs sites d’intox ont exploité ce caractère parcellaire de l’image pour crier au complot. Ainsi trois photos d’une même petite syrienne sauvée trois fois par trois hommes différents… Selon les complotistes, une manipulation pour glorifier les casques blancs, mais le journal Libération6 a enquêté et interrogé le photographe, Ameer Alhalbi qui a fourni d’autres images plus explicites. En réalité, cette petite fille, sauvée le 27 août 2016 à Alep, est tout simplement passée de bras en bras.

 

Le détournement d’images
Bien souvent, seule une légende permet de situer une image dans un lieu, une date, et de la relier à un événement. Mais que se passe-t-il si le rapport texte/image est falsifié ? Ainsi, durant la nuit du 31 décembre 2015 au 1er janvier 2016, un grand nombre de femmes ont été agressées sexuellement en Allemagne, la plupart des agresseurs étant d’origine étrangère. Il n’existe pas d’image de ces agressions, mais pour jeter de l’huile sur le feu et attiser la haine raciale, certains n’ont pas hésité à utiliser des clichés qui n’avaient aucun lien avec les faits. Ainsi, la photo d’une femme assise sur un trottoir a beaucoup circulé, or il s’agit en fait d’une mannequin britannique, Danielle Llyod, agressée en 2009 dans une boîte de nuit à Londres7. Il existe une technique simple pour vérifier l’origine d’une photo : la recherche inversée. Il suffit de copier l’URL de l’image sur la recherche par image dans google image (cliquer sur l’appareil photo) ou dans
TinEye8. A minima, on trouvera la date et le contexte de première mise en circulation de la photo sur le Net. Si cette date ne coïncide pas avec les faits, on pourra alors tenter de retrouver dans quel contexte l’image a réellement été prise.

Une mauvaise interprétation
Contrairement aux idées reçues, la lecture d’images requiert souvent un minimum de culture générale. Si vous associez le manque d’information à une défiance envers les instances, il devient facile de voir des complots partout. Ainsi, l’affaire des rétroviseurs sur la voiture des terroristes, lors de l’attaque de Charlie Hebdo. Blancs sur certaines photos, noirs sur d’autres… L’explication est simple9 : les rétros sont chromés et changent de couleur en fonction de la lumière.
Ainsi, l’image mérite particulièrement qu’on lui consacre un temps relativement long en classe. On pourra également étudier avec les élèves les vidéos Youtube dont ils sont friands et qui peuvent, à peu de chose près, être falsifiées de la même façon.

Quels types d’activité en classe

Comprendre les mécanismes de la rumeur

On fait sortir de la classe 3 à 5 élèves volontaires. Dans un premier temps, on fait entrer un seul élève et on lui montre une photographie ou un dessin vu également par l’ensemble de la classe. Cette image doit être suffisamment riche en détails ou bien légèrement ambiguë pour que l’expérience fonctionne. On cache l’image, puis on fait entrer le deuxième élève à qui le premier devra raconter ce qu’il a vu. Le deuxième devra raconter ce qu’on lui a dit au troisième et ainsi de suite. On pourra ensuite faire le point avec l’ensemble de la classe sur ce qui a été omis, rajouté, transformé.

L’élève enquêteur

Et si l’on mettait nos élèves dans la peau d’un journaliste en train de pratiquer le Fact Checking ? On compile un certain nombre d’informations douteuses (rumeurs, théories du complot, canulars, erreurs journalistiques, photos truquées). Afin de rendre le tout plus ludique, on peut fabriquer un grand jeu de cartes avec toutes ces informations10. Les élèves constituent ensuite des groupes de 2 ou 3 ; chaque groupe tire une carte et doit enquêter sur l’information qu’il a choisie et pourra pour cela s’appuyer sur la fiche InterCDI en p.41 de ce numéro. Ensuite, selon le niveau des élèves et le temps dont on dispose, chaque groupe peut exposer le résultat de ses recherches devant le reste de la classe ou rédiger un article sur le modèle du site des décodeurs du journal Le Monde.

L’élève producteur d’information

C’est tellement facile de crier au complot ! Pour étudier les mécanismes de la théorie du complot11, on peut :
● Mener une recherche documentaire pour essayer de dresser en classe la liste des ingrédients d’une bonne théorie du complot.
● Analyser les petites vidéos parodiques « Complot » du Before de Canal+12.
● Essayer de fabriquer soi-même une théorie du complot parodique, soit en écrivant un article sur le modèle des articles du Gorafi13 (un site d’information parodique), soit en réalisant une vidéo sur le modèle du Before de Canal+.

Il faut réapprendre aux élèves à hiérarchiser et questionner l’information. Peut-être faut-il commencer par rappeler le fait qu’un professionnel, ayant été formé au métier de journaliste, ayant appris à vérifier l’information, à citer ses sources, ayant un code de déontologie, est, la plupart du temps, plus crédible qu’un anonyme se réfugiant derrière un pseudo.

 

La rumeur

Deux types de rumeurs circulent le plus souvent auprès des adolescents. D’une part, toutes les rumeurs à caractère sexuel : principalement le mythe de la « fille facile » avec son lot de chuchotements et de souffrances ; cette forme ancienne de rumeur trouve aujourd’hui une caisse de résonance sur internet, notamment sur les réseaux sociaux. D’autre part, les théories du complot, entre Illuminati et défiances diverses envers le monde des adultes. Toutefois, la littérature ado se penche davantage sur le premier aspect, et c’est lui que nous allons explorer.
Davantage que le résumé des romans présentés, nous allons essayer de dégager les problématiques communes à ces ouvrages afin d’aider les professeurs documentalistes, que ce soit pour préparer une séance sur le harcèlement scolaire par exemple, ou pour répondre à la question individuelle d’un élève.

Rumeur, cancans, ragots, on-dit…

Une telle profusion de vocabulaire illustre bien l’importance de ce phénomène social. Dans tout groupe humain arrive forcément le moment où celui ou celle qui se comporte différemment sera jugé et victime de la sentence arbitraire des autres. La littérature jeunesse, et particulièrement le roman ado, se fait l’écho d’un phénomène qui, s’il a toujours existé, prend une nouvelle ampleur avec Internet et les réseaux sociaux. L’adolescence est le moment propice à ce genre de comportement : à ce moment de la construction de la personnalité, on cherche à la fois à se différencier de ses parents et de l’enfant qu’on n’est plus, et à se fondre dans un nouveau groupe d’amis. Désigner une victime de ragots remplit la fonction antique du bouc émissaire : une personne est chargée des fautes supposées de la communauté, laquelle en ressort lavée et soudée. Car il s’agit bien de faute ; à l’origine de la rumeur, il y a toujours un acte jugé moralement répréhensible.

« De quoi elle cause cette pute ? 3 »

Souvent, la rumeur tourne autour de la sexualité, surtout féminine. L’adolescence est la période où le corps devient réellement sexué et sexuel : une grande pudeur, voire une gêne s’empare des jeunes et tout ce qui a trait à la sexualité devient à la fois tabou et fascinant.
La violence du vocabulaire traduit la violence de l’opprobre jeté sur la malheureuse victime, comme si seuls des mots extrêmement crus pouvait décrire l’ampleur du péché commis. « Pute », « salope » et autres qualificatifs gracieux désignent celles qui ont osé braver l’interdit. Ce sont rarement les garçons qui sont les victimes de ce genre de rumeurs : « S’il s’était passé quelque chose, il serait un héros. Pas une pute.4 »
Le schéma narratif est souvent le même : à partir, le plus souvent, d’un acte réel, l’héroïne est livrée aux moqueries des autres. C’est le cas de Marion qui se fait piéger par le caïd du collège (La Fille seule dans le vestiaire des garçons), de Deanna qui se fait surprendre par son père à l’arrière de la voiture d’un garçon (Une fille comme ça), d’Aïcha qui a embrassé le frère voyou de sa meilleure amie (On s’était juste embrassés) ou de Léa qui a joué à faire un strip-tease devant des copines jalouses (Mots rumeurs, mots cutters). Parce qu’elles ont joué différemment au jeu de la séduction, parce qu’elles ont exploré un peu plus loin le terrain inconnu de la sexualité, elles sont punies de leur audace par leurs congénères.
Toutefois, les hommes sont également victimes de rumeurs, toujours dans le domaine sexuel, mais il s’agit plutôt de prétendre qu’un homme est gay. Ou parfois pédophile… Dans le très troublant Sexy, de Joyce Carol Oates, Darren, un ado en plein questionnement sur sa propre sexualité laisse se répandre des rumeurs de pédophilie à l’encontre de son professeur d’anglais. Ce professeur l’a ramené un soir de son entraînement de natation. A-t-il été trop prévenant ? Darren est bien incapable de le dire, mais face au groupe qui veut la peau de l’enseignant, il se tait. La carrière du prof est brisée, et Darren ne sort pas grandi de cette épreuve. On retrouve également cette thématique du professeur qui aurait eu un comportement déplacé envers un élève dans Rumeur… de Roger Judenne. Christophe Léon s’empare également de cette thématique dans Hoax : on retrouve la rumeur d’une « relation » entre un enseignant et son élève, sauf qu’ici il s’agit de femmes. Ascendant prof-élève, allusions sexuelles et homosexualité, tous les ingrédients pour une rumeur explosive et destructrice se mettent en place.
L’Homme qui court de Michael Gerard Bauer décrit la relation qui s’installe lentement entre un jeune garçon timide et un vieil homme solitaire, sur lequel courent des rumeurs dont le lecteur met longtemps à découvrir la teneur et surtout la fausseté. La commère du coin tente de dissuader la mère du jeune garçon de le laisser aller seul chez le vieux Tom. La rumeur s’avère être une rumeur d’agression sexuelle envers un garçon.

De la rumeur au harcèlement : le poids de la différence

À cette période où chacun essaye de se fondre dans sa bande/tribu/crew, être différent expose au jugement des autres. On passe alors de la rumeur au harcèlement, cette violence du groupe face à un individu, qui se traduit par un dénigrement permanent, un isolement, de la violence physique, et qui peut parfois conduire à la mort. S’il est souvent lié comme vu précédemment au fait sexuel, d’autres facteurs peuvent déclencher ce phénomène.
Dans La Fille seule dans le vestiaire des garçons, Marion est vue comme « intello » parce qu’elle préfère la lecture et surtout la musique aux jeux de séduction et qu’elle ne s’intéresse pas au populaire (mais teigneux) Enzo, lequel l’ajouterait bien à son tableau de chasse… C’est cette différence qui éveillera la convoitise d’Enzo et qui entraînera son malheur.
Dans Ma réputation, Laura est décrite comme un garçon manqué qui aime passer du temps avec ses copains. Mais l’amitié entre garçons et filles peut s’avérer difficile pour les adolescents, et quand Laura repousse les avances de son copain Sofiane, tout se brise. Le jeune homme se venge en publiant des photos de Laura sur Facebook, la livrant alors à l’opprobre lycéen. On retrouve aussi ce schéma de la jeune fille « pas assez féminine » et qui doit subir le harcèlement de l’amoureux éconduit à travers le personnage d’Ella, une des patientes du psychologue Sauveur Saint-Yves, héros de la trilogie de Marie-Aude Murail, Sauveur et fils.
À l’inverse, c’est sa beauté qui attire sur Alice la rancœur et la jalousie. Dans La Vérité sur Alice, elle est accusée d’avoir couché avec deux garçons lors de la même soirée, et on raconte que c’est en répondant à ses sextos qu’un des deux s’est tué sur la route… La sentence est prononcée au marqueur noir dans les toilettes : « Salope ». Heureusement, Alice va trouver le courage de demander de l’aide afin de sortir de cette spirale de violence psychologique.
En contrepoint de ces situations, nous retrouvons Joyce Carol Oates, avec Nulle et Grande Gueule. Ici, pas de considérations sexuelles ou physiques, même si Ursula, l’héroïne, se trouve trop grande et trop mal fagotée. La rumeur se répand sur le terreau de la psychose autour du terrorisme : Matt, un de ses camarades, lance une mauvaise blague à propos d’une bombe au lycée et se retrouve accusé de vouloir commettre un attentat. Ce n’est pas la sexualité qui fait peur dans ce roman, mais l’atmosphère pesante post 11-septembre.

L’amplification de la rumeur par les réseaux sociaux

Dans la plupart des romans cités, la rumeur est relayée par le bouche-à-oreille mais aussi par Internet et surtout sur les réseaux sociaux, nouveaux forums d’expressions pour une grande partie des adolescents. Les évolutions majeures de ce nouveau type de transmission sont : potentiel considérable de diffusion, rapidité de transmission et surtout conservation de l’information5. En effet, même plusieurs années après, l’information est telle quelle, prête à être rediffusée en l’état, le droit à l’oubli s’éloigne.
Les réseaux sociaux et leurs pièges sont au cœur de bien des romans : dans Fake Fake Fake, un jeune homme timide se fait passer pour ce qu’il n’est pas, pensant ainsi séduire la belle Constance. Il se retrouve alors entraîné dans une spirale de mensonges dont il aura bien du mal à sortir.
L’humiliation dans le but d’engranger de la popularité (et ainsi masquer sa propre détresse) est au cœur du roman de Thomas Freibel, Like Me : pour pouvoir participer à une émission de télé, il faut engranger le plus grand nombre de « like ». Quoi de mieux qu’une vidéo bien humiliante pour créer du buzz ?

Ce bref tour d’horizon permet de rendre compte du traitement par la fiction d’une réalité qui peut provoquer bien des dégâts chez les adolescents. La sélection pouvait être élargie aux romans qui parlent de harcèlement à proprement parler, mais nous avons choisi de resserrer autour de la rumeur comme élément déclencheur du mécanisme de harcèlement.
Le 31 mars 2017 est sortie sur la plateforme Netflix la série 13 Reasons Why, adaptée de Treize raisons, un roman de Jay Asher publié en 2009. Le point de départ est le suicide de Hannah, 17 ans, et des cassettes qu’elle a laissé derrière elle où elle explique son geste. La jeune fille était victime d’un harcèlement de plus en plus brutal de la part de ses camarades, notamment suite à la rumeur qu’elle serait une « fille facile ». Outre le mal-être adolescent et les failles du système éducatif aux États-Unis, c’est bien de la rumeur et de ses ravages dont il est question.
Cette série a rencontré tout de suite un très grand succès au moment de sa sortie6. Elle a également généré de nombreuses polémiques7, preuve que ces problématiques graves de la rumeur, du harcèlement et d’une de ses issues dramatiques, le suicide, continuent d’agiter profondément la société.

 

Veille numérique 2017 N°3

Fiabilité de l’information

Mozilla et les fake news

Le phénomène prenant de plus en plus d’ampleur et influençant massivement les internautes, Mozilla a annoncé en août 2017 s’attaquer à ces informations mensongères. La Mozilla Information Trust Initiative (MITI) a été chargée de nettoyer le Net, car selon la responsable innovation, Katharina Borchert, « la désinformation viole presque tous les principes du Manifeste de Mozilla ».

L’UE s’attaque aux fake news

Suite à la multiplication de fausses infos sur Internet, la Commission européenne va s’atteler à son tour
au problème. La commissaire au numérique, Mariya Gabriel, a précisé que, dans un premier temps, une collaboration avec les géants du Net sera probablement privilégiée. Pas de légifération pour le moment, contrairement à certains pays comme l’Allemagne.

Éducation

Éduthèque

Le service Éduthèque propose de regrouper sur un même portail des ressources numériques culturelles et scientifiques pour les enseignants, telles : Arte, le siteTV, BNF, RTVE, AFP, etc. L’intérêt de ce projet réside dans la possibilité pour les professeurs (après inscription au moyen de leur mail académique) de : consulter en ligne les documents, les utiliser dans un cadre pédagogique (ex : vidéos en streaming en classe), en télécharger certains. Les élèves peuvent aussi accéder à une partie des sites en ligne à condition que leur professeur ait créé un compte classe au préalable. Les documents sont classés par site ou par thématique. Ce service n’est pas encore complet, ni parfaitement opérationnel, mais il semble sur la bonne voie et constituera un outil efficace si le ministère continue de l’alimenter.

Banques de Ressources Numériques pour l’École

Afin d’accéder plus facilement aux ressources multimédias selon les cycles (3 et 4) et les matières,
un kit de communication sur la BRNE est disponible à l’adresse mentionnée ci-après. Il est indispensable de se loguer via l’ENT ou son mail académique. ● ecolenumerique.education.gouv.fr/brne/

Infodoclog version 1

Publiée fin juin 2017, la version stabilisée de ce logiciel destiné aux professeurs documentalistes, promet de coller à leur fonction : évaluation en information-documentation, réalisation de séquences, gestion d’emplois du temps, inscription et fréquentation, réalisation de statistiques, gestion des retards, entre autres. Il ne reste plus qu’à l’installer pour l’année scolaire 2017-2018.

Lecture numérique

Emma détecte les plagiats

Dévoilé en juin 2017, le programme d’intelligence artificielle Emma Identity détecte l’auteur d’un texte. Actuellement en version bêta, Emma ne fonctionne véritablement qu’en langue anglaise originale. Cet algorithme servira pour repérer les plagiats littéraires, les copier-coller, les auteurs utilisant un pseudo ou tout simplement l’auteur d’un texte. À terme, ce programme de Machine learning devrait être utile pour les écrivains, la justice, les journalistes et les professeurs.

Application Gallica pour enfant

La BNF propose l’application gratuite Gallicadabra, sur Android et Apple, pour les collections jeunesse appartenant au patrimoine littéraire. Les enfants découvriront les contes des Milles et une nuit, les fables de La Fontaine, Le Chat botté de Charles Perrault, des albums de Benjamin Rabier, des images d’animaux… L’interface, adaptée aux enfants, inclut aussi une fonction de lecture audio de certains contes par des comédiens.

EPUB 4

L’EDRLab (organe européen) du groupe de travail du W3C (organisme de standardisation du Web) a annoncé en juillet 2017 travailler sur le prochain format de l’ePub. Il s’agit d’élargir les possibilités de conversion du contenu web en ePub et de développer des fonctionnalités pour les webcomics, les webmangas et les livres audios. L’application Open source Readium vise à promouvoir le format ePub.

Readers Analytics

Jellybooks a décidé de recentrer son activité autour de son service d’analyse des habitudes de lecture numérique très demandée par les éditeurs anglophones. Readers Analytics passe au crible la façon dont nous lisons grâce à un petit logiciel installé sur l’ouvrage. Pour le moment, les éditeurs français n’ont pas encore franchi le pas. Mais pour combien de temps ?

Neareo

Les chasseurs de livres (papier) se sont emparés de cette application collaborative de partage et de géolocalisation. À l’origine créée pour indiquer et trouver des événements en rapport avec ses passions, cette appli, modelée par ses utilisateurs, s’oriente de plus en plus vers la lecture. Ce système permet de déposer un livre ou d’en rechercher un près de vous en temps réel grâce à la géolocalisation.

Navigateur et moteur de recherche

Chrome filtre les pubs

Google a annoncé que son navigateur Chrome filtrera par défaut toutes les publicités intrusives dès le début de l’année 2018. En attendant, le système Ad Experience Report va informer les sites internet diffusant des publicités invasives par des visuels et des informations sur les effets négatifs pour leurs sites. Ces recommandations n’auront aucun caractère obligatoire, mais il est fort probable qu’ultérieurement Chrome bloque automatiquement les publicités incriminées.

Xaphir

Ce nouveau moteur de recherche français tente de s’attaquer aux faiblesses du géant Google. La priorité du PDG de Xaphir est d’offrir de la diversité, de l’impartialité et de l’universalité dans ses résultats et non pas de faire remonter les pages selon leur popularité.

Les réseaux sociaux

Harcèlement sur Twitter

 Le PDG de Twitter, Jack Dorsey, a annoncé un changement de politique concernant le problème de harcèlement qui touche spécifiquement le réseau social. Pour repérer les harceleurs, un algorithme d’intelligence artificielle, Machine learning, a été intégré à la plateforme afin de les bloquer automatiquement. En dépit d’effets indésirables et imprévus en début d’année, le système a été régulièrement amélioré et fonctionne de mieux en mieux.

Les ados quittent Facebook

Une désaffection massive des adolescents et des jeunes adultes du réseau social est en cours. Ces internautes aux pratiques très volatiles se tournent principalement vers Instagram et Snapchat dont les contenus essentiellement visuels sont plus en adéquation avec leurs modes de communication. Avisé, Mark Zuckerberg avait anticipé cette fuite et racheté Instagram…

Droit et données personnelles

Web parallèle

Suite au constat selon lequel nos données personnelles sur Internet ne sont plus protégées, deux développeurs américains ont créé Blockstack, un Internet alternatif. Le principe : décentraliser les liaisons entre l’internaute et les ressources, ne pas passer par le DNS (système de noms de domaine) mais par un blockchain (transaction sécurisée). Chacun peut créer son propre nom de domaine librement et les fichiers déposés sur le cloud sont automatiquement chiffrés. Ce système, actuellement utilisé par les développeurs d’extensions aux navigateurs, sera à disposition de tous les internautes d’ici la fin de l’année 2017.

E-sport au JO

Considéré comme un jeu d’argent, il était nécessaire de doter le sport électronique d’un encadrement juridique afin que les compétitions (DreamHack, Paris Games Week) de plus en plus nombreuses en France s’organisent dans des conditions sereines. Déclaration au service du Ministère de l’intérieur, autorisation parentale obligatoire pour les mineurs, précisions sur l’agrément pour embaucher des joueurs professionnels de E-sport et dérogations sur les contrats CDD sont les principales mesures parues au Journal Officiel du 10 mai 2017.

Camp d’entraînement pour cyberactivistes

Le codeur libertaire, Amir Taaki, qui a conçu avec une équipe de bénévole le Dark Wallet (porte-monnaie sécurisé et anonyme pour bitcoin), veut réunir et former une équipe de hackers motivés et militants pour une société plus égalitaire. Il recherche une ville qui l’accueillera ainsi que des financements auprès de professionnels des monnaies virtuelles.

Bitcoin et la NSA

Le mystérieux inventeur de la monnaie virtuelle créée en 2009 aurait été identifié par la NSA, selon des sources non autorisées. Non confirmé par l’agence américaine, connu sous le pseudo de Satoshi Nakamoto, l’heureux créateur détiendrait 4 milliards d’euros en Bitcoin… On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. La NSA aurait utilisé la stylométrie, un système basé sur le style d’écriture, pour démasquer l’identité de ce milliardaire « autocréé » et autosuffisant.

Technologie et objets connectés

Azerty versus Bépo !

Le ministère de la culture a chargé l’AFNOR de réfléchir à une disposition du clavier bureautique français mieux adaptée à notre langue. Deux normes de claviers coexisteront : le clavier classique Azerty avec des caractères supplémentaires (majuscule avec accent) et un accès facilité à certains signes de ponctuation (le point) et symboles (l’arobase). Le clavier Bépo, moins connu mais plus ergonomique, amélioré au moyen d’une frappe plus harmonieuse. La version finale des deux claviers a été publiée en septembre 2017.

Smartphones nocifs

Depuis juin 2017, l’Agence nationale des fréquences publie les résultats des mesures d’exposition aux ondes radioélectriques des téléphones mobiles sur le corps. La réglementation sur la mesure des radiations étant passée d’une distance de 25 mm à 5 mm en avril 2016 pour le DAS (indice de débit d’absorption spécifique), lequel doit être inférieur à 2 W/kg, de nombreux appareils encore en circulation ne seraient plus conformes si la loi était rétroactive. L’ANFR ayant aussi réalisé les tests à même le corps, les résultats donnent des sueurs froides et incitent à garder son mobile à distance.

Bitcoin cash

Suite à une scission dans la communauté des utilisateurs de Bitcoin à propos de la vitesse de transaction, une deuxième version de la monnaie cryptographique a été inventée le 1er août 2017. Ce nouveau « bitcoin cash » doit faciliter les transactions car les coûts de la première version deviendraient trop importants et nuiraient à la monnaie, selon certains utilisateurs.

Fin du roaming dans l’UE

Depuis le 15 juin 2017, les frais supplémentaires liés à l’utilisation de votre smartphone en Europe ont disparu. Il est désormais possible de téléphoner, envoyer des sms et surfer sur le Web « gratuitement » dans les 27 pays membres de l’Union Européenne. Néanmoins, certaines conditions subsistent : posséder un forfait illimité et rester au maximum 4 mois de suite dans un autre pays. Il existe aussi des restrictions sur la consommation du nombre de Gigaoctets sur Internet, selon les forfaits. Il faut donc bien se renseigner avant de partir.

No future…

Les robots et nos métiers

Basé sur les données du rapport de deux chercheurs de l’université d’Oxford aux USA, le site « Will robots take my job » estime la probabilité d’être remplacé par un robot parmi 702 métiers répertoriés. 47 % des emplois américains seraient menacés selon cette étude. Le site renseigne aussi sur le salaire moyen, les perspectives de croissance et le nombre de personnes exerçant le métier. Profs docs, songez à votre reconversion en robot…

Disney Research

Le centre de recherche des Studios Disney a élaboré un système basé sur l’intelligence artificielle pour évaluer la popularité d’une histoire courte adaptée en film. Selon les chercheurs, la prochaine étape est la création d’une histoire originale par une IA. À quand les histoires artificielles pour les petits robots ?

Replika

Cette application façonne votre double numérique en lui fournissant un maximum de données personnelles. Ainsi, cet être virtuel peut converser en toute autonomie avec votre entourage après votre décès… L’application est disponible gratuitement sur Ios et Android.

Info ou Intox ?

« Le professeur documentaliste, enseignant et maître d’œuvre de l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias, (…) contribue au développement de l’esprit critique face aux sources de connaissance et d’information. » Le premier axe de la nouvelle circulaire de mars pose d’emblée la pensée critique au cœur de nos missions, et dans le contexte actuel, on saisit l’enjeu, primordial, de cette éducation des citoyens de demain.
Le bouleversement profond de nos modes de communication et de partage, et par-delà de notre rapport à l’information, apporté par la révolution numérique nous oblige à domestiquer une société de mass media. Si les désormais célèbres Fake news ont toujours existé, force est de constater qu’elles connaissent un souffle sans précédent et agitent sans cesse le monde de l’information. Elles viennent questionner de plein fouet notre capacité individuelle et collective de discernement, d’exercice de notre esprit critique.
La super-vilaine Fake news a ainsi naturellement donné naissance à sa figure inversée : le fact-checking qui, contrairement au super-héros tout puissant qui viendrait seul nous livrer la Vérité, impose à chacun d’entre nous de devenir actif face à la réception de données. Trier, vérifier et sélectionner ses sources, croiser les informations, repérer et comprendre les intérêts… Comme nous le montre Natacha Mouillé dans son article « Médias, rumeurs, théories du complot : former les élèves à exercer leur esprit critique », l’esprit critique de chacun doit se construire solidement et s’appliquer rigoureusement. Quant aux médias traditionnels, ils traversent une crise de confiance d’une ampleur inédite comme l’expliquent très bien Daniel Schneidermann, Pierre Haski et Antoine Genton à l’occasion d’une rencontre, retranscrite par Sandrine Leturcq, lors du festival les Médiatiques. Cette crise, profonde, pousse aujourd’hui les médias à se réinventer, à créer des outils et de nouveaux canaux qui renouvellent notre rapport à l’information en nous invitant essentiellement à ne plus demeurer dans une posture passive de réception de l’information, mais bien à adopter une attitude active en allant chercher la « bonne » information.
À ce sujet Florie Delacroix propose dans son Ouverture culturelle, un solide tour d’horizon des « outils et ressources pour déconstruire l’info falsifiée ou erronée » qui vous sera, nous l’espérons, d’une aide précieuse dans cette démarche, à titre personnel, mais aussi bien sûr professionnel.
À propos de la rumeur dans la littérature jeunesse, le Thèmalire d’Hélène Zaremba, atteste que cette question de société infiltre l’univers même des élèves, et résonne dans l’Institution qui se trouve en charge de les former. L’analyse de Kaltoum Mahmoudi, « Former l’esprit critique des élèves, quels enjeux pour l’institution scolaire », est à ce titre très pertinente. Et le professeur documentaliste, par son « expertise », constitue bien le pivot central de cette formation à l’autonomie critique de l’élève, qui doit véritablement tenir de la rigueur scientifique tant le sujet peut être parfois sensible.
Alors comment délivrer cet apprentissage, essentiel s’il en est, et contribuer à la construction d’un esprit critique libre, indépendant et solide ? Les articles de Philippe Chavernac et Guillemette Reviron nous proposeront des clés, de même que la Fiche InterCDI, « Stop aux fake news », constituera un modus operandi clair et concis pour les élèves.
Pour protéger vos élèves de toute intox, ce numéro spécial d’InterCDI vous offre une cure de détox !

Chère Louise,

C’est avec une grande tristesse que l’équipe d’InterCDI a accueilli, courant juillet, la nouvelle de la disparition brutale de Louise Merzeau, spécialiste des Sciences de l’information dont les recherches ont généreusement nourri la réflexion de notre profession ces dernières années. Une nouvelle qui a accompagné la préparation de ce numéro et fait résonner notre dossier spécial sur la pensée critique de manière bien singulière. En effet, par son engagement de professeur puis de militant en faveur des Communs – la pensée d’un système de libre partage et circulation des ressources, de l’information, de la connaissance –, Louise Merzeau interroge notre rapport au monde, et nous invite à l’exercice incessant de cet esprit critique, comme une injonction nécessaire. Il suffit de lire le très beau billet intitulé « Repenser nos Communs » qu’elle a posté sur son blog au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, en janvier 2015, et dont nous vous proposons un extrait ci-contre, à garder en mémoire.

Louise Merzeau, professeure à Nanterre, mais aussi photographe, a publié de nombreux articles, dont « Les paradoxes de la mémoire numérique », in InterCDI n°244, et « De la communication aux Communs », in InterCDI n°261. En 2015 , elle est membre du conseil scientifique de Wikimedia France, et co-dirige la publication de l’ouvrage collectif Wikipedia, objet scientifique non identifié (PU de Paris Ouest) consacré à l’encyclopédie participative.

« C’est à mes étudiants que je pense.
(…) Ai-je fait ce qu’il fallait pour les aider à penser, à questionner, à comprendre ? Ai-je œuvré à les rendre plus responsables, plus exigeants, plus honnêtes ? Ai-je réussi à leur passer un peu de ma passion pour l’intelligence, la culture et la rigueur intellectuelle ? Les ai-je convaincus qu’il vaut mieux douter que croire aveuglément, et qu’il y a de la joie à être insatisfait par les réponses toutes faites pour s’efforcer de critiquer, de discuter, de contester ? Les ai-je accompagnés sur la voie qui permet de se forger des convictions, mais aussi de les remettre en question ?
Pour quelques-uns au moins, sans doute.
Mais leur ai-je assez dit combien cette voie était fragile ? Combien elle s’était elle-même frayée non seulement dans le jeu aérien des idées, mais aussi dans les larmes et le sang de l’Histoire ? Leur ai-je transmis cette mémoire sans laquelle il n’y a pas de savoir ? Leur ai-je dit qu’ils ne pouvaient l’emprunter qu’à condition de combattre pour elle, chaque jour, toujours et partout, avec d’autres, en s’organisant collectivement, en se ralliant à d’autres ? […]

Obnubilée par sa sacro-sainte neutralité, l’École a fini par oublier de former les jeunes au politique. L’adhésion, la cohésion, l’organisation sont devenues des valeurs entrepreneuriales. […]

Pour tenter de corriger cette perversion, j’ai récemment créé avec quelques collègues un parcours consacré aux Communs. Réponse bien modeste et qui, comme on peut s’en douter, rencontre peu de succès – tant auprès des étudiants qui préfèrent travailler sur les séries TV (j’aime beaucoup les séries TV rassurez-vous, mais ça ne suffit peut-être pas à fabriquer du Nous) qu’auprès de l’institution qui préfère les formations « professionnalisantes »… Mais aujourd’hui plus que jamais, au lendemain des attentats qui ont frappé la France en ce mois de janvier 2015 et à la veille de ce qui s’annonce comme une des plus formidables manifestations d’unité nationale, je me dis que c’est le bon chemin. Repenser nos communs : les définir, les documenter, les défendre et en organiser la gouvernance. Sur la base de connaissances, d’initiatives collectives, de règles et de principes. En rappelant fortement qu’il n’y a pas de démocratie immédiate, et que seules les médiations – indissociablement organisationnelles et techniques – garantissent l’égalité, la vitalité et la cohésion du collectif. »

Source : http://merzeau.net/repenser-nos-communs/

Appel à contribution : la pensée critique

Depuis toujours, la question de l’accès à la « vérité » est au cœur des préoccupations de la philosophie. Bien avant Descartes, Leibniz et Kant, Francis Bacon souligne déjà les embûches de ce cheminement, nos sens et notre raisonnement égarés en permanence, trompés et poussés à commettre des erreurs par ce qu’il nomme les « Idoles », qu’il faut apprendre à exorciser.

La révolution des technologies de l’information et de la communication que nous connaissons a entraîné un bouleversement et des modifications profondes de notre société, dans nos modes de communication et de partage, mais aussi dans notre rapport à l’information, et donc à la connaissance. Face à la multiplication exponentielle des médias, nous devons rester d’autant plus vigilants à la mise en garde du philosophe de la fin du xvie siècle, et résister à la tentation de la paresse face à une masse d’informations non contrôlées, parfois même manipulées, dont nous sommes abreuvés en permanence ; l’exercice de la pensée critique apparaît peut-être plus que jamais comme un enjeu majeur de notre capacité à appréhender le monde qui nous entoure.

Il semble donc aussi impératif qu’urgent de placer cette notion au cœur des apprentissages : former les élèves à l’information, éduquer le sens critique, leur apprendre la mise à distance nécessaire à l’analyse… Il y a là un enjeu primordial de la formation des futurs citoyens de notre société, dans une éducation à l’autonomie critique qui tient de la rigueur scientifique. « Ayez le culte de l’esprit critique », nous enjoignait Louis Pasteur lors de son discours de réception à l’Académie française en 1882, dans un élan qu’Emile Roux, directeur de l’Institut Pasteur au début du xxe siècle, résume dans une très belle formule comme un esprit « qui donne l’ardeur au travail, l’imagination qui inspire les idées, la persévérance qui les poursuit, la critique qui les contrôle, la rigueur qui les prouve ».

Cette année, à l’occasion de son dossier spécial du numéro de rentrée, InterCDI a eu envie d’explorer cette notion si essentielle, que le monde qualifie volontiers de qualité typiquement française : la pensée critique, et plus particulièrement, bien sûr, le rôle des professeurs documentalistes dans la formation des élèves à cette discipline intellectuelle. Réflexions, place du prof doc, construction de partenariats, proposition de séquences pédagogiques… n’hésitez pas à nous faire parvenir toutes vos expériences autour de ce thème ! Toutes vos contributions sont les bienvenues :
InterCDI, c’est votre revue, faites nous part au plus tôt de vos envies d’écriture !

Le Roy des Ribauds

Agnès Deyzieux : Quel rapport entretenez-vous avec le dessin ? Depuis quand dessinez-vous ? Quelles ont été vos influences graphiques ?
Ronan Thouloat : Je dessine depuis toujours, dès l’âge de 4/5 ans ! Les enfants dessinent toujours, et il y a ceux qui continuent et ceux qui arrêtent ; je fais partie de ceux qui ont continué. Vers 10/11 ans, j’ai commencé à faire mes premières bandes dessinées. J’ai été encouragé, car c’était dans l’ADN familial. Il y avait aussi beaucoup d’albums chez nous. Principalement de la bande dessinée franco-belge, les grands classiques : Tintin, Boule & Bill, Lucky Luke, Buck Danny, Barbe-Rouge… J’ai commencé à recopier ces bandes dessinées, en particulier les Buck Danny car j’étais à cette époque-là très fan d’avions. Entre 11 et 17 ans, j’ai fait beaucoup de débuts de projets aéronautiques qui parlaient principalement d’avion et peu d’homme, et… que je ne finissais jamais car je ne savais pas raconter des histoires ! À 18 ans, je rencontre Vincent [Brugeas] qui était dans le même lycée que moi et qui, lui, écrivait des histoires. Quand j’ai lu ses récits, j’ai senti cette résonance que j’attendais : j’avais envie de dessiner ce qu’il racontait. Je l’ai convaincu en lui dessinant quelques scènes d’une ébauche de roman qu’il avait écrit, intitulé Le Sang des dieux, qui sera la base de ce qui deviendra ensuite Block 109. De là est née une amitié, et on s’est dit : « On va devenir les rois de la BD! » On a commencé à développer pleins de projets et on s’est pris des vestes extrêmement sévères en rencontrant les premiers éditeurs, mais au final, les critiques constructives ont servi à nous améliorer.

Vous n’avez jamais été démoralisés ?
La toute première fois, on a présenté un projet qui s’appelait Son of Street, une histoire de gangs dans les bas-fonds de Londres en 1889. D’ailleurs, de nombreux éléments qu’on y a développés ont été repris pour Le Roy des Ribauds. Donc, on arrive avec des planches faites en couleurs directes. Éric Adam, scénariste de bande dessinée et éditeur chez Vents d’Ouest, accueillait à cette époque de jeunes auteurs tous les mercredis matins. Il a regardé les pages et m’a dit ce qui n’allait pas. Il a aussi regardé mon crayonné et m’a dit que c’était prometteur, même si je ne faisais pas d’études d’art. On a retravaillé et puis on a reproposé projets sur projets ! Alors, c’est vrai que ni l’un ni l’autre n’avons fait d’études orientées bande dessinée ou art. J’ai fait un cursus scientifique, encouragé par mes parents aussi. J’avais ces deux facettes : la journée j’étais en cours, le soir je dessinais. J’ai poursuivi en école d’ingénieur et nous continuions à présenter des projets. En 2007, Vincent m’a à nouveau proposé de reprendre son idée de roman qui allait donner Block 109. On l’a soumis à Akiléos, tout simplement parce que c’était le premier éditeur de la liste alphabétique ! On n’a pas eu le temps de le proposer à d’autres éditeurs, car ils nous ont répondu tout de suite qu’ils étaient très intéressés ! À cette époque, j’étais en pleine remise en cause de mon dessin…
C’est l’aspect négatif de ne pas avoir fait d’études artistiques. Autodidacte, on évolue de manière aléatoire en regardant ce qu’on aime, en recopiant certains auteurs. En 2004, j’ai découvert le travail de Matthieu Lauffray, une vraie claque pour moi. Du coup, je tentais d’imiter son style voire de le dépasser, ce qui est très présomptueux. Mais j’avais toujours fonctionné comme ça ! À tenter d’atteindre ou de dépasser les grands artistes que j’admirais, comme Alex Alice. J’étais aussi fasciné par Mike Mignola. Mais là, on m’a dit : « non, ça ne te va pas du tout. Ton encrage n’est pas bon ; travaille plutôt sur tes crayonnés où tu as une vraie dynamique. » J’ai travaillé et ça a donné le style de Block 109 : un crayonné avec un côté très sépia qui collait bien à l’univers. En 2008, je sors diplômé de mon école d’ingénieur et Vincent aussi en Histoire moderne, et on signe le contrat pour Block 109. Et là, j’ai dû faire un choix. Soit je rentrais dans une boîte, n’aurais dessiné que cet album et dans 20 ans, je m’en serais voulu ! Soit je me mettais à mon compte tout de suite et je faisais ce dont je rêvais depuis longtemps, à savoir du dessin. Du coup, pendant un an, j’ai développé des petits projets de communication, j’ai fait du graphisme, du web design tout en faisant de la bande dessinée. En 2010, Block 109 sort et, par chance, le titre est repéré et marche bien. On en a vendu 15 000 ex. la première année, et à peu près autant les années suivantes. Ça nous a offert la possibilité de continuer à faire de la bande dessinée chez Akiléos qui nous avait ouvert ses portes. Moins chez les autres et à raison, car si notre style était prometteur, il était encore jeune. Ce qui n’est pas plus mal, car on a eu carte blanche chez cet éditeur et on a pu ainsi faire toutes les expérimentations qu’on voulait. On a beaucoup appris du métier, depuis la façon dont fonctionne un éditeur jusqu’au circuit du livre dans son ensemble, en passant par les réalités économiques de chacun, la part du diffuseur…

Du coup, vous vous sentez un peu redevable envers cet éditeur ?
Aujourd’hui, on a des opportunités chez de gros éditeurs. Akiléos nous a beaucoup donnés, mais nous aussi ! On a fait douze albums avec eux. C’est une petite maison qui a cette particularité de dire aux auteurs : « faites votre album ». C’est très précieux, car cela n’existe pas pour de jeunes auteurs dans une grande maison d’édition. La réalité, chez un gros éditeur, c’est qu’on met les jeunes auteurs sur un projet de série concept, de SF par exemple. Et ils vont être cantonnés à ça, à moins qu’ils ne soient repérés par un autre éditeur qui leur permettra de faire leur livre. Alors oui, on doit à Akiléos de nous avoir offert ce terrain de jeu et cette liberté d’expression qui nous a aussi donné une visibilité. Akiléos a toujours essayé de développer le lien avec le libraire, à défaut d’avoir des attachés de presse. Nos albums ont ainsi été repérés et défendus par les libraires, ce qui nous a permis d’être présents sur le terrain.
Après avoir fait quatre titres dans cet univers, j’en ai eu marre. J’ai proposé
à Vincent de faire une série de SF et d’anticipation : Chaos Team est né. On voulait vraiment faire du comics, dont on était très fan. Mais on était trop confiants ! On a cru qu’avec le succès de Block 109, on aurait le temps d’installer une intrigue, des personnages qu’on voulait au départ montrer caricaturaux pour, petit à petit, les retourner complètement. Mais on n’en a pas eu le temps. Aujourd’hui, dans la bande dessinée, il faut tout de suite poser les choses de manière claire et nette pour que le lecteur rentre dans l’histoire, et après, on peut se permettre de tirer les ficelles. Avec Chaos Team, on a payé chèrement le prix de cette erreur ! Nos lecteurs, les libraires et les critiques, se sont arrêtés au livre I et, du coup, la série n’a pas marché et s’est éteinte… On avait besoin de se redresser ; j’ai dit à Vincent : « mettons en place cette histoire du Roy des Ribauds » qui avait eu le temps de mûrir. Delcourt nous l’a refusée : trop violent et un personnage trop antipathique. Mais Akiléos nous a dit : on aime !
À cette époque, ayant toujours été chez Akiléos, on était un peu en marge du monde éditorial, à la fois présents dans la profession et en même temps assez ignorés par beaucoup d’auteurs. Moi, j’ai commencé à faire des couvertures chez d’autres éditeurs, et j’étais un peu demandé. Mais Vincent pas du tout. C’est un côté très cruel de la bande dessinée, c’est le travail du dessinateur qu’on voit avant tout. Et si on n’aime pas son travail, on ne va pas lire l’album. C’est une erreur ! Il peut y avoir de très bons scénarios mal dessinés, et c’est ceux-là qu’on retient le plus. Par contre, des albums très bien dessinés mais avec un mauvais scénario, on les oublie vite. Beaucoup, donc, ignoraient le travail de Vincent. Du coup, il a fait ce livre avec beaucoup de doute et de recul ; en essayant de se faire plaisir, mais restant dubitatif sur la sortie du livre, persuadé que cela n’allait pas marcher. Au final, lecteurs, éditeurs, plein de gens nous ont dit qu’on avait transformé l’essai !

On sent qu’il y a une certaine continuité dans vos travaux. Avec Block 109, vous étiez dans l’uchronie, le fantastique, l’épouvante ; avec Chaos team dans l’anticipation. Avec Le Roy des Ribauds, vous plongez dans une période précise, le XIIe siècle en France. Ce sont des genres qui ont un rapport au temps, à l’Histoire, et qui se concentrent sur la relation des hommes au pouvoir. Tout ceci montre votre intérêt pour l’organisation sociale et politique des États ou de groupes sociaux, et ici, on va le voir, le jeu des réseaux, des confréries, des alliances est omniprésent. D’où vous vient cet intérêt ?
C’est surtout Vincent qui est le maître d’architecture de ses scénarios, et cet intérêt lui vient probablement de sa formation d’historien et de son goût pour l’Histoire. À 10 ans, il lisait des biographies de Napoléon, ce qui avait tendance à le mettre un peu de côté au collège ! Mais il a toujours adoré l’Histoire politique et militaire. Et surtout, derrière, ce sont des histoires d’hommes, de conflits, de liens… La plupart des idées qu’il a en tête, ce sont des histoires et des personnages qu’il a découverts au fil de ses lectures. C’est aussi le genre de récits que j’affectionne beaucoup. S’intéresser à l’âme humaine dans ce qu’elle a de bon et de mauvais, c’est passionnant !

Qui a eu l’idée de ce personnage du Roy des Ribauds ?
C’est Vincent. En 2003 alors que je lisais Le Trône de Fer, lui lisait Les Rois Maudits de Druon. Dans le livre 7, il trouve une mention de ce personnage, un paragraphe. En se renseignant, il a la confirmation de cette charge créée par Philippe Auguste. Sa garde rapprochée, les ribauds du Roy, avait besoin d’un chef, que l’on appela par extension le Roy des Ribauds. C’est une charge qui a duré 400 ans, et a beaucoup évolué au fil du temps. Mais au début, ce personnage avait de nombreux droits : celui de prélever des impôts sur la « pègre » parisienne et de toutes les villes où le roi se rendait, pour maintenir le calme. Il exerçait sa poigne de fer pour qu’il n’y ait pas de débordements, de crimes. Et il avait le droit de récolter la fortune des nobles exécutés pour trahison. Un homme très puissant, très riche, mais un homme de l’ombre. On ne trouve quasiment rien sur lui, ce qui est bien intéressant pour nous car on peut imaginer ce que l’on veut ! Et pour rendre ce personnage si puissant intéressant pour le lecteur, il fallait lui donner aussi quelques faiblesses. C’est l’amour pour sa fille qui le pousse à commettre une erreur…

Cet ancrage dans l’Histoire crée-t-il des contraintes que vous n’aviez pas avec vos projets précédents, en matière de respect des lieux, des personnages historiques ? Le rôle de la documentation a-t-il été plus important ?
Oui, clairement. Mais c’est aussi l’aspect passionnant de ce genre de projet. Pour Block 109, on était dans une uchronie dans laquelle il fallait s’ancrer historiquement, j’avais donc déjà fait pas mal de recherches. Là, il fallait être plus introspectif et réaliste. Soigner autant la petite histoire que la trame de l’Histoire qui a véritablement existé. L’avantage est qu’on se situe dans une époque où il y a peu d’archives, quelques écrits de moines et des descriptifs de l’époque. Cela reste assez vague, avec beaucoup de zones d’ombres et de marges qu’on peut exploiter. Je me suis quand même beaucoup documenté. On a la chance d’avoir le château de Guédelon, en pleine construction selon des plans respectueux des canons architecturaux de Philippe Auguste, typique des bâtiments officiels de l’époque. J’ai aussi un atlas sur Paris au Moyen Âge avec un descriptif des ruelles, des architectures de maisons, des types de colombage. Mais comment Paris était-elle réellement ? On n’en sait rien ! J’adapte donc, et j’imagine, en respectant le tracé des murailles de Philippe Auguste et le Louvre. J’ai beaucoup lutté pour trouver de la documentation réaliste sur le Louvre de l’époque mais j’ai eu la chance de trouver une re-création en 3D de Paris au Moyen Âge réalisée par Dassault System qui a travaillé avec des historiens. Ils ont mis en ligne un module où on peut voyager dans Paris à différentes époques. Je me suis basé sur ce documentaire pour dessiner le Louvre, les murailles, et pour la cathédrale Notre-Dame alors en construction… on a triché ! En 1192, la façade n’est pas terminée. Or, la cathédrale de Paris a une silhouette très graphique dans le paysage urbain, on a donc décidé d’avancer de 30 ans la construction. On le signale dans la postface. Après, il y a tout l’aspect des costumes où la documentation est plus abondante. De nombreuses troupes de spectacle qui se costument de façon très précise ont travaillé sur ce sujet. On trouve des photos, des films et on voit une manière de porter les choses qui font du coup vivre les vêtements. Je m’en suis beaucoup inspiré. Le film Kingdom of Heaven est aussi une source documentaire très précise là-dessus, avec des personnages qui reviennent de croisades, il y a des ambiances un peu orientales qui se dégagent de leurs vêtements. C’est ce que je recherchais ! Là où je triche, c’est sur la couleur. J’ai fait des choix drastiques. Le Moyen Âge était une époque très colorée : les colombages étaient peints, les églises étaient des explosions de couleurs… Je ne retranscris pas cela, car le dessin aurait été noyé et c’est quasiment impossible à traiter…

Nous sommes plongés dans une période complexe, où Philippe Auguste doit protéger son trône et son territoire contre les ambitions de Richard Cœur de Lion, soutenu par sa mère Aliénor d’Aquitaine. Pour autant, il me semble que vous maintenez à distance les détails de l’Histoire de France pour vous concentrer sur votre histoire à vous. Vous mentionnez certains faits réels, comme la bataille de Fréteval qui est surtout connue parce que Philippe Auguste y perd les archives royales qui avaient coutume de l’accompagner dans ses déplacements, ce qui va avoir pour conséquence la création de la fonction de garde des Sceaux et des archives nationales à Paris. Mais vous restez très discrets sur cette affaire, là où d’autres auraient insisté lourdement sur le sujet. Cette position de citer l’Histoire sans la détailler est-elle facile à tenir ? N’êtes-vous pas tenté parfois de développer plus la trame historique ?
C’est un réglage très important. Il faut toujours se demander qui est notre personnage principal. Ce sont les bas-fonds de Paris et le Roy des Ribauds, et non Philippe Auguste, qui représentent la trame historique. Il faut qu’on reste cohérent avec cela. Mais on est obligé de temps en temps de faire entrer la grande Histoire dans notre petite histoire : la confrontation entre Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste par exemple, induit une bonne partie du récit. Au début du Livre 2, beaucoup de lecteurs attendaient une grande bataille entre ces deux personnages, mais ce n’est pas notre propos !

Comment avez-vous créé graphiquement ce personnage du Roy des Ribauds ? Y a-t-il eu des influences particulières ? Je pense à la balafre, l’aspect super-héros et en même temps christique du personnage…
J’ai beaucoup cherché, et dans mes premiers essais, il était beaucoup plus beau ! Vincent m’a proposé d’en faire quelqu’un de plus disgracieux, d’austère, avec un visage allongé. Il m’a dirigé vers un acteur qui joue dans la série anglaise Ripper Streets. Dans la saison 2, on voit cet acteur barbu, qui a un jeu très intense, Joseph Mawle. Il incarne aussi le frère d’Eddard Stark dans Game of Thrones. Je m’en suis inspiré et je l’ai réinterprété « à ma sauce ». Je lui ai ajouté une balafre, car je voulais marquer son passage dans les Croisades. L’apparence qu’on donne à Philippe Auguste est réaliste. Pendant les Croisades, il a perdu un œil et contracté une maladie qui lui a fait perdre une partie de ses cheveux, ce qui l’a vieilli prématurément. Ces personnages ont 28 et 29 ans alors qu’ils en font 15 de plus ! La guerre marque physiquement mais est aussi visible dans les regards.

Les personnages ont en effet tous des trognes incroyables, en particulier ceux évoluant dans les bas-fonds. Comment travaillez-vous ces personnages ? Comme Glaber ou le Rouennais qui ont un look de super-héros caricaturés…
C’est vrai que j’ai un côté comics qui resurgit toujours. J’aime beaucoup les personnages très caractéristiques, ce qu’on appelle le « character design » en dessin animé ou dans le jeu vidéo. J’aime travailler sur un personnage graphique. C’est comme ça que je voulais le Triste Sire, noir et rouge avec une silhouette très tranchée. Généralement, je m’inspire d’acteurs, cela m’aide pour le mouvement et pour trouver « une gueule ». Tous les dessinateurs ont des gimmick de traits, des formes et des visages qui reviennent souvent. Pour s’en éloigner, j’aime bien m’appuyer sur un acteur avec des particularités physiques que j’interprète, cela me permet d’inventer des personnages assez différents. Pour Glaber, chef de la Guilde des Bouchers, je voulais un personnage un peu ogre, un peu troll à la manière du Seigneur des Anneaux. Je suis allé vers ce côté monstrueux. Pour les autres personnages, j’ai travaillé en fonction de leurs psychologies. Pour le Hibou, le type avec le grand chapeau qui évolue sur les toits avec sa bande, il fallait un côté très aérien, très léger, volatil. Pour Acelin, chef de bande, très serpentin et manipulateur, je voulais un regard très froid. Je ne savais pas par quel bout le prendre. Dans le tome 2 de Je, François Villon (de Luigi Critone, chez Delcourt) arrive un personnage blond, avec un regard clair mais flippant. J’ai travaillé ces grandes caractéristiques en accentuant l’aspect perfide. Michel et Saïf, les cautions morales et positives du Roy des Ribauds ne sont pas pour autant des seconds rôles, et sont d’ailleurs représentés en couverture.

Dans le tome 1, c’est d’ailleurs la voix off de Saïf qui commente l’action. Je ne l’ai pas retrouvé dans le volume 2.
Non, effectivement, cette voix ne revient pas. On a pensé que ce n’était pas judicieux car il y a une autre voix off plus neutre qui intervient et cela avait tendance à noyer le discours ou à sortir le lecteur du fil du récit. Sur ce livre 2, on a décidé de se concentrer sur la narration propre au récit, de rentrer plus dans le vif du sujet. C’était probablement une erreur, on a voulu faire un effet de style de présentation des personnages. Pas mal de personnes nous ont dit confondre Saïf avec le Triste Sire. C’est sans doute dû au fait que le début de l’album se passe de nuit, que les personnages sont tous vêtus de capes et de capuches, tous plus ou moins barbus. Ça peut en effet troubler le lecteur !

Le format comics, plus réduit niveau taille mais avec une longue pagination, est-il un choix personnel ou une contrainte de l’éditeur ? Quelles incidences ce format a-t-il sur le découpage ?
C’est un choix conjoint. On revient à nos premiers amours, le format de Block 109, qu’on adore car, en effet, cela impose ce type de narration dit « à la comics », plus étirée, avec moins de cases par page. Cela nous permet de développer la narration sur plus de pages, de se donner le temps de mettre en place des choses, de faire des effets de scènes, on pense de façon très cinématographique. On peut se permettre des choix de cases, de prendre son temps pour faire monter lentement la tension. C’est assez jouissif de travailler sur ce type de format ! Par contre, ce n’est pas du comics. Dans le comics, tel qu’on peut en trouver chez Image [éditeur américain], les choix narratifs sont bien plus tranchés, parfois illisibles pour un lecteur non habitué. Il peut y avoir des splash pages, des cases très resserrées ou qui se superposent, beaucoup d’effets propres au comics. Là, on est plutôt sur une sorte d’hybride, entre le comics et le franco-belge. Sur le livre I, j’avais décidé de me faire plaisir. Il y avait beaucoup de jeux de cadrages, des contre-plongées avec des effets très dramatiques. Et des lecteurs m’ont dit se sentir très oppressés ou avoir du mal à suivre. Du coup, pour le livre 2, j’ai gardé cette façon de faire, mais moins systématiquement, et réservé aux scènes adéquates.

On sent une certaine influence des séries télévisées dans la gestion de la dramatique du récit. Vous aimez intercaler des scènes qui se passent dans des endroits différents et qui font monter les tensions. Dans le choix du découpage en chapitres, aussi, qui crée des mises en suspense en fin de chapitre. Est ce que cette influence de la série est bien réelle, et assumée ?
Oui, tous les deux, on a toujours adoré les récits avec une tension et une émotion qui nous prend du début et ne nous lâche qu’à la fin. Je trouve cette façon de faire dans la série télé, dans le comics, dans le manga également. Notre génération qui fait du franco-belge est influencée par cela, cela nous est devenu à la fois naturel et nécessaire !

Comment avez-vous travaillé les planches au niveau de l’encrage et de la mise en couleurs ? Vous accordez une importance aux contrastes ombre et lumière, aux tons rouges, oranges et aux violets sombres. La couleur a vraiment une importance narrative ?
La couleur est très importante, mais surtout la lumière ! Dans le cinéma, dans le dessin animé, dans la bande dessinée, on sculpte une scène, on dirige le regard du spectateur ou du lecteur en fonction de la lumière. On éclaire l’objet vers lequel on veut qu’il se focalise. J’ai toujours raisonné comme ça dans ma construction de plans. J’ai un avant-plan très sombre, un second plan éclairé, puis un arrière-plan noir. On construit ainsi une profondeur de champ, et la couleur vient se caler sur cette construction. Penser la lumière, c’est aussi penser en ambiance. Une lumière dominante jaune va imposer des ombres violettes.
Je voulais vraiment ici quelque chose qui soit très tranché, d’autant que c’est la première fois que je réalisais l’encrage, un travail que j’avais délaissé car on avait souvent qualifié mon encrage de moyen… Le numérique paradoxalement m’a beaucoup aidé à m’y remettre en me permettant de tester des tas de techniques. Peut-être le fait de pouvoir tout essayer sans avoir à gâcher du papier ? Avec le numérique, on est aussi plus dans la sculpture du trait que dans le dessin au trait pur. En tout cas, assez bizarrement, c’est venu facilement. C’est pourquoi j’ai décidé d’encrer toutes mes couvertures de chapitres sur Chaos Team avec des valeurs de gris, et c’est sorti tout seul ! J’aime beaucoup les contrastes, les réparties entre les masses de noir et le blanc. Je suis fan des travaux de grands dessinateurs américains des années 30 à 90. Plus récemment, des gens comme Frank Miller ou Edouardo Risso. Mais dans les années 60 aussi, des dessinateurs comme Alex Toth, tous des dieux dans la gestion du cadrage et d’un noir et blanc très narratif. Ce sont des auteurs qui m’ont beaucoup inspiré. Même si c’est du numérique, j’ai essayé de rester très simple dans le choix des outils pour que ça ait l’air naturel. Car c’est aussi le danger du numérique : Photoshop offre une palette d’effets énormes, mais l’effet noie le trait. Il faut donc rester très simple.

Vous utilisez de nombreux symboles graphiques auxquels j’ai été sensible : les plaques des tavernes très évocatrices comme la main de justice du roi que l’on retrouve sur la porte du bordel qui appartient à Tristan, sur laquelle le doigt coupé de Michel trouvera un écho dramatique. Comment cette imagerie graphique prend-elle forme ?

Le Moyen Âge, c’est le début du logo ! C’est quelque chose que j’aime beaucoup, cette idée de symboliser quelque chose par la couleur et la forme. Et sa lisibilité : il faut tout de suite comprendre ce que le logo évoque. Cette période du Moyen Âge, c’est une foison de symboles. Pour chacun des personnages, j’y ai pensé. Pour le Triste Sire, ce serait la main, la main du roi, la main de la justice, un clin d’œil à Game of Thrones. Michel, son symbole est sur son bouclier, c’est un graal dans la continuité d’une épée. Saïf est sur quelque chose de plus oriental. Mais il y a plein de choses à trouver dans les sculptures de poutres, dans les plaques des tavernes…

On va évoluer dans trois mondes distincts quoique reliés entre eux par des enjeux de pouvoir : le monde du dessus qui appartient au Hibou, celui du milieu, qui est celui du commun des mortels, et celui du dessous, la cour des miracles. Tristan est peut-être un des seuls personnages qui appartient à ces trois mondes. Comment avez-vous eu cette idée de jouer ainsi sur des mondes divisés qui donnent une couleur fantastique au récit ?
C’est une idée de Vincent, qui donne effectivement un côté un peu fantastique, mais peut-être plutôt fantasmé. On est encore dans le symbole, dans l’expression pure de notre Paris tel qu’on l’imagine. Tel que je l’ai dessiné, c’est un personnage. On est dans des ruelles sombres qui sont vertigineuses. Cela nous a semblé assez normal, de par les architectures, qu’il y ait des gens qui vivent au-dessus, sur les toits. C’est aussi une sorte de rappel inconscient de notre culture super-héroïque, Spiderman, Batman… Tout comme d’une certaine mythologie religieuse qui correspond à l’époque où tout est organisé autour du ciel, la terre et l’enfer. Ce symbolisme fonctionne avec l’esprit de l’époque. Cela nous semblait cohérent de construire ces espaces qui, de plus, créent des zones d’influences.

Il semble que vous ayez moins recours aux onomatopées qu’autrefois ; de nombreuses scènes de batailles sont même muettes. Pourquoi ce choix ?
Je me suis beaucoup calmé sur les onomatopées ! C’est aussi une influence du cinéma, j’ai tendance à entendre le son quand je dessine. Je reconnais en avoir un peu abusé dans Block 109. La bande dessinée doit rester un art où on suggère le son par la mise en scène. J’ai donc limité les onomatopées sur ce livre et cherché à créer des moments silencieux plus éloquents.

Quels ont été vos rapports avec votre éditeur sur cet album ?
On discute beaucoup avec l’éditeur. D’abord, on envoie un synopsis, on en parle, il est validé. Vincent fait un pré-découpage, il écrit une sorte de roman filé, chapitre par chapitre et m’indique quand finit une page. Moi, je fais un story-board, où je dessine très rapidement les pages. Je mets en place la narration autour de mes bonhommes bâtons, je réfléchis aux cadrages, aux plans. Là, on rediscute, et avec l’éditeur : comment rendre cette narration meilleure ? Une fois qu’on est tous d’accord, je passe au dessin. Mon story-board est un peu plus poussé, c’est une sorte de pré-crayonné que j’encre directement. Je l’envoie à l’éditeur. Il peut y avoir encore des corrections. Ensuite, je passe à la couleur, que je réalise sur un mois et demi environ. En tout, un album m’occupe entièrement 6 à 7 mois.

Un tome 3 est donc bien prévu ?
Oui, on a prévu ce cycle en trois livres. À l’origine, on voulait faire des histoires plutôt auto-conclusives avec un fil rouge qui menait vers le livre suivant. Mais on s’est rendu compte assez vite que le récit qu’on mettait en place dans le livre I appelait quelque chose de beaucoup plus dense. Donc, on est partis sur trois livres. Autant il y a un espace de temps entre le livre I et le livre 2, autant le livre 2 et le livre 3 s’inscrivent dans une vraie continuité. Peut-être dans le futur fera-t-on d’autres cycles, sans prévoir une tomaison particulière ? Mais on restera sur ce créneau 1189-1215. L’idée serait plutôt de faire évoluer nos personnages presque familialement, de montrer peut-être l’arrivée d’une nouvelle génération, d’un nouveau Roy des Ribauds ?

 

Fonctions et enjeux de la scène de repas

C’est au XIXe siècle, avec l’essor de la littérature réaliste, que la scène de repas devient un topos à part entière. Cette évolution est bien sûr liée à un discours (on veut rentrer dans l’intimité, dans le quotidien des personnages), à une dimension sociale du repas, mais également à une évolution des mœurs ! En effet, c’est à cette même époque que les arts de la table se voient transformés, par l’introduction du service à la russe, qui succède au service à la française, et de nouveaux matériaux et matières !

Des innovations à l’origine d’un nouveau topos littéraire

Le service à la française, en vigueur jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, constitue un véritable cérémonial. Tous les plats sont installés avant l’arrivée des convives, disposés selon un ordre précis, et recouverts d’une cloche afin de conserver la chaleur. À l’arrivée des convives, les serviteurs déclochent d’un même mouvement tous les plats.
L’apparition du service à la russe est liée à l’émergence de nouveaux habitats, avec des pièces plus exiguës, notamment la salle à manger. Par manque de place, les plats ne sont plus apportés en même temps, mais se succèdent. Conjointement, les nappes en lin laissent la place aux nappes en coton ; le cristal arrive en France à la fin du XVIIIe siècle et l’argenterie, procédé anglais, est introduite par la manufacture Christofle. De nouvelles pièces apparaissent (couverts à poisson, assiettes à asperges, fourchette à huître, porte-couteau). Le XIXe siècle marque ainsi un véritable essor des arts de la table, qui permet à la bourgeoisie émergente d’imiter l’aristocratie à moindre coût. La scène de repas, bourgeoise, devient donc un véritable enjeu social. Et les écrivains du XIXe siècle ne se privent pas d’exploiter ce thème !

Plaisir des yeux

Avant tout, et c’est indissociable de notre culture culinaire française, la scène de repas est prétexte à une véritable célébration, à un plaisir des yeux aussi bien que du palais.
Plaisir des yeux tout d’abord, puisque la scène de repas devient prétexte à une description, plus ou moins fastueuse, des arts de la table, offrant au lecteur un réel raffinement esthétique, et un plaisir du texte. Ainsi, Emile Zola, dans La Curée, évoque « des vases de cristal, des assiettes plates, des compotiers montés » mais aussi « l’armée des verres, les carafes d’eau et de vin, les petites salières » ; Théophile Gautier, dans Le Capitaine Fracasse, parle d’une « nappe damassée » sur laquelle étincelle « une riche argenterie » ; Balzac n’hésite pas à décrire, quant à lui, en parfait romancier réaliste, la vaisselle « en faïence blanche bordée de bleu », les carafes à l’« antique forme octogone que la province seule conserve de nos jours », et la soupière à la manière de « Bernard de Palissy ».
L’importance accordée aux arts de la table permet même à certains auteurs de faire l’impasse sur les mets servis ; partant du principe que si la table est somptueuse, les mets seront délicieux : « Dans l’une était le linge de table, aussi beau qu’il soit possible de le désirer, sur une infinité de rayons ; dans l’autre, la vaisselle, de cette magnifique porcelaine de vieux Saxe, fleuronnée, moulée et dorée : les piles d’assiettes en bas, les services de toute sorte, les soupières rebondies, les tasses, les sucriers au-dessus ; puis l’argenterie ordinaire dans une corbeille. »
L’aspect esthétique prime sur l’aspect culinaire, à l’image de la bourgeoisie naissante qui a besoin de se mettre en scène. Car s’il est difficile, mais pas impossible, d’identifier une « cuisine bourgeoise », les arts de la table sont le meilleur moyen d’indiquer son appartenance sociale !

Plaisir de bouche

En ce qui concerne la teneur du repas, ce dernier fait généralement consensus, et les auteurs n’hésitent pas à décrire le plaisir ressenti à la dégustation, comme c’est le cas dans L’Assommoir, lors du repas de noces de Gervaise, la blanchisseuse, et de Coupeau, le couvreur (« Les assiettes furent si proprement torchées qu’on n’en changea pas pour manger les pois au lard. Oh ! les légumes ne tiraient pas à conséquence. On gobait ça à pleine cuiller, en s’amusant, de la vraie gourmandise enfin, comme qui dirait le plaisir des dames. Le meilleur, dans les pois, c’était les lardons, grillés à point, puant le sabot de cheval. Deux litres suffirent. »)
Mais il arrive que certains auteurs se jouent de cette convention pour montrer que l’appréciation d’un repas, et la notion de goût, sont des concepts purement subjectifs et pourquoi pas propices à une scène comique ! Ainsi, dans Les Trois Mousquetaires, le plus grand gourmet de la littérature française, Porthos, que l’on doit, rappelons-le, à l’auteur du Grand dictionnaire de la cuisine, se retrouve invité à dîner chez un procureur dont il courtise la femme. Alors que les convives se réjouissent de « la poule bouillie, magnificence qui fit dilater les paupières des convives de telle façon qu’elles semblaient prêtes à se fendre », Porthos voit une poule « maigre et revêtue d’une de ces grosses peaux hérissées que les os ne percent jamais malgré leurs efforts ». À son grand désespoir, notre mousquetaire « regarda à la ronde pour voir si son opinion était partagée ; mais tout au contraire de lui, il ne vit que des yeux flamboyants, qui dévoraient d’avance cette sublime poule, objet de ses mépris ».

Dimension sociale du repas

Si le goût et l’appréciation d’un repas sont des notions subjectives, ce sont également des notions culturelles et sociales, puisque l’on ne cuisine pas, et ne mange pas, de la même façon selon le milieu auquel on appartient ! Le repas renseigne ainsi les lecteurs sur un élément indiscutable : le milieu social auquel appartiennent les personnages. La qualité et la quantité des mets servis, la mise en scène sommaire ou somptueuse du repas, les convives présents, le lieu et la façon dont se déroule le repas ; tous ces éléments dessinent une sociologie littéraire de la scène de repas.
Cette dimension sociale du repas peut devenir un aspect essentiel de l’œuvre lorsque ce repas se veut une dénonciation de la richesse des uns, au détriment de la pauvreté des autres. Ainsi, dans Germinal, Zola dépeint un repas de fiançailles entre les Hennebeau et les Négrel, les deux familles propriétaires de la mine. Alors qu’il fait extrêmement froid (« Dehors, la journée de décembre était glacée par une aigre bise du nord-est »), les convives dégustent des « œufs brouillés aux truffes », « des truites de rivière », dans une pièce richement décorée qui apparaît comme une bulle ouatée (« Des pièces d’argenterie luisaient derrière les vitraux des crédences ; et il y avait une grande suspension en cuivre rouge, dont les rondeurs polies reflétaient un palmier et un aspidistra, verdissant dans des pots de majolique »). Le raffinement et le plaisir du repas sont d’ailleurs rapidement minés par la peur sourde qui envahit les convives, partagés entre gêne, culpabilité et angoisse de la révolte (« Ce furent, dès lors, des plaisanteries interminables on ne posa plus un verre ni une fourchette, sans prendre des précautions ; on salua chaque plat, ainsi qu’une épave échappée à un pillage, dans une ville conquise ; et, derrière cette gaieté forcée, il y avait une sourde peur, qui se trahissait par des coups d’œil involontaires jetés vers la route, comme si une bande de meurt-de-faim eût guetté la table du dehors »). Ce qui n’aurait dû être qu’un repas festif devient un véritable enjeu au cœur de ce roman, séparant de façon irrémédiable les mineurs des riches propriétaires de la mine.

Fonction symbolique du repas et horizon d’attente

Que mange-t-on ?

La scène de repas peut également avoir une dimension symbolique, et c’est tout l’intérêt de sa représentation littéraire. L’écrivain se servira de la scène de repas pour montrer tout ce qui peut se jouer entre les personnages, que cela relève de la scène de séduction ou du conflit en passant par le malaise. Une scène de repas a priori banale, anodine, pourra contenir en germe toute l’intrigue du roman et constituer en elle-même une parfaite représentation schématique et symbolique de l’œuvre.
Plusieurs éléments permettront de représenter le rapport entre les personnages, à commencer par les éléments qui composent le repas. Par exemple, le repas de mariage entre Charles et Emma Bovary témoigne, au-delà du caractère champêtre de cette célébration, du malaise qui plane déjà autour de cette union. Ainsi, Gustave Flaubert évoque « de grands plats de crème jaune, qui flottaient d’eux-mêmes au moindre choc de la table » et l’alcool coule à la limite de l’écœurement (« Le cidre doux en bouteilles poussait sa mousse épaisse autour des bouchons, et tous les verres, d’avance, avaient été remplis de vin jusqu’au bord »). Ce qui aurait pu être l’occasion d’une véritable célébration donne quasiment lieu à une indigestion (« Jusqu’au soir, on mangea. Quand on était trop fatigué d’être assis, on allait se promener dans les cours ou jouer une partie de bouchon dans la grange ; puis on revenait à table. Quelques-uns, vers la fin, s’y endormirent et ronflèrent. ») à l’image du malaise ressenti par Emma à l’issue de son mariage avec un homme tout sauf raffiné (« Charles n’était point de complexion facétieuse, il n’avait pas brillé pendant la noce. Il répondit médiocrement aux pointes, calembours, mots à double entente, compliments et gaillardises que l’on se fit un devoir de lui décocher dès le potage »). Rien n’est dit ou presque de la relation entre Emma et Charles. Mais c’est la médiocrité et l’abondance des mets représentés lors de cette scène de repas qui ne laissent planer aucun doute sur le devenir de leur relation.

De quoi parle-t-on ?

Si la portée symbolique du repas peut s’exprimer à travers les mets servis, les conversations tenues lors du repas peuvent elles aussi constituer un élément déterminant.
Ainsi, dans Bel-Ami de Maupassant, la scène de repas est représentée dans sa dimension sociale et surtout érotique. Au début du roman, Georges Duroy, nouvellement introduit à La Vie Française grâce à son ami Georges Forestier, dîne au restaurant en compagnie de ce dernier, de son épouse et de Mme de Marelle. Les mets servis donnent un avant-goût de la tonalité érotique de ce dîner : les convives dégustent des huîtres d’Ostende « mignonnes et grasses, semblables à de petites oreilles enfermées en des coquilles ». L’attention accordée aux sensations, au plaisir de la dégustation (« fondant entre le palais et la langue ainsi que des bonbons salés »), les comparaisons faites par le narrateur (« on servit une truite rose comme de la chair de jeune fille ») font de ce repas un prélude à l’acte amoureux. Cette dimension érotique est renforcée et surtout pleinement confirmée par les conversations tenues pendant le repas qui portent sur l’adultère (« On parla d’abord d’un cancan qui courait les rues, l’histoire d’une femme du monde surprise, par un ami de son mari, soupant avec un prince étranger en cabinet particulier »). Alors que M. Forestier, le seul mari présent, trouve l’histoire drôle (« Forestier riait beaucoup de l’aventure »), les autres convives entament une discussion sur l’infidélité (« Combien y en a-t-il qui s’abandonneraient à un rapide plaisir, au caprice brusque et violent d’une heure, à une fantaisie d’amour si elles ne craignaient de payer par un scandale irrémédiable et par des larmes douloureuses un court et léger bonheur ! »). Mme de Marelle et Mme Forestier sont déjà sous le charme de notre héros (« Il parlait avec une conviction contagieuse, comme s’il avait plaidé une cause, sa cause »). La scène opère donc comme de véritables préliminaires et dessine un horizon d’attente, puisque nous devinons d’ores et déjà ce qui est en train de se passer. Georges Duroy passera à l’acte avec et Mme de Marelle et Mme Forestier et fera de son vieil ami Georges Forestier un cocu notoire.

Sur la table ou sous la table ?

Si la majorité des scènes de repas évoquent ce qui se passe en surface, certains auteurs n’hésitent pas à évoquer l’envers du décor, à savoir ce qui se trame sous la table, sous la nappe.

Dimension érotique de la scène de repas

Ainsi, dans la nouvelle « Le Rideau cramoisi » issue du recueil des Diaboliques, Barbey d’Aurevilly transforme une banale scène de dîner familial en véritable sommet d’érotisme. Le héros de la nouvelle, le vicomte de Brassard, raconte un événement survenu dans sa jeunesse et qu’il n’a jamais oublié. Alors qu’il avait été envoyé en garnison en Normandie, il avait eu une liaison passionnée avec la jeune Albertine, fille de ses logeurs, qui avait osé prendre la main du vicomte sous la table, en plein dîner familial :
« Cependant nous ne pouvions pas rester ainsi… Nous avions besoin de nos mains pour dîner… Celle de Mlle Alberte quitta donc la mienne ; mais au moment où elle la quitta, son pied, aussi expressif que sa main, s’appuya avec le même aplomb, la même passion, la même souveraineté, sur mon pied, et y resta tout le temps que dura ce dîner trop court, lequel me donna la sensation d’un de ces bains insupportablement brûlants d’abord, mais auxquels on s’accoutume, et dans lesquels on finit par se trouver si bien, qu’on croirait volontiers qu’un jour les damnés pourraient se trouver fraîchement et suavement dans les brasiers de leur enfer, comme les poissons dans leur eau !.. Je vous laisse à penser si je dînai ce jour-là, et si je me mêlai beaucoup aux menus propos de mes honnêtes hôtes, qui ne se doutaient pas, dans leur placidité, du drame mystérieux et terrible qui se jouait alors sous la table. »

Le vicomte de Brassard est alors au supplice et la scène de repas devient prétexte à un insoutenable suspense : les parents d’Albertine découvriront-ils ce qui se passe ?
« je mordis ma lèvre au sang dans un effort surhumain, pour arrêter le tremblement du désir, qui pouvait tout révéler à ces pauvres gens sans défiance, et c’est alors que mes yeux cherchèrent l’autre de ces deux mains que je n’avais jamais remarquées, et qui, dans ce périlleux moment, tournait froidement le bouton d’une lampe qu’on venait de mettre sur la table, car le jour commençait de tomber… Je la regardai… C’était donc là la sœur de cette main que je sentais pénétrant la mienne, comme un foyer d’où rayonnaient et s’étendaient le long de mes veines d’immenses lames de feu ! »

Cachez cette trahison que je ne saurais voir

Si, dans la nouvelle de Barbey d’Aurevilly, le héros apparaît comme finalement complice et acteur, à son corps défendant, du « drame mystérieux et terrible qui se jouait alors sous la table », certains héros apparaissent comme des témoins impuissants de ce qui se trame lors d’un repas !
Dans une très célèbre scène de La Confession d’un enfant du siècle, de Musset, le narrateur, Octave, raconte l’événement qui serait à l’origine, chez lui, de la maladie du siècle (« J’ai à raconter à quelle occasion je fus pris d’abord de la maladie du siècle »). En plein repas, le héros a surpris sa maîtresse dans une position a priori des plus inconfortables, mais qui ne semble pas le moins du monde l’incommoder :
« Comme je me retournais pour prendre une assiette, ma fourchette tomba. Je me baissai pour la ramasser, et, ne la trouvant pas d’abord, je soulevai la nappe pour voir où elle avait roulé. J’aperçus alors sous la table le pied de ma maîtresse qui était posé sur celui d’un jeune homme assis à côté d’elle ; leurs jambes étaient croisées et entrelacées, et ils les resserraient doucement de temps en temps. Je me relevai parfaitement calme, demandai une autre fourchette et continuai à souper. Ma maîtresse et son voisin étaient, de leur côté, très tranquilles aussi, se parlant à peine et ne se regardant pas. Le jeune homme avait les coudes sur la table et plaisantait avec une autre femme qui lui montrait son collier et ses bracelets. Ma maîtresse était immobile, les yeux fixes et noyés de langueur. Je les observai tous deux tant que dura le repas, et je ne vis ni dans leurs gestes, ni sur leurs visages rien qui pût les trahir. »
Ce souper, qui a lieu à l’issue d’une « mascarade » apparaît dès lors comme une mascarade lui-même et l’ironie cruelle qui s’empare d’Octave contraste violemment avec la magnificence des lieux, des mets servis, et l’élégance des convives :
« Autour de moi mes amis richement costumés, de tous côtés des jeunes gens et des femmes, tous étincelants de beauté et de joie ; à droite et à gauche des mets exquis, des flacons, des lustres, des fleurs ; au-dessus de ma tête un orchestre bruyant, et en face de moi ma maîtresse, créature superbe que j’idolâtrais ».
Alfred de Musset nous rappelle ainsi ce que peut être une scène de repas, qui plus est un repas de fête : un rituel social, une convention à laquelle les convives se plient et au cours de laquelle ils se « tiennent » d’une certaine façon, et tiennent un rôle.

Liée à des innovations techniques et de profonds bouleversements sociaux, la scène de repas devient au XIXe siècle un topos littéraire majeur. Si quelques personnages gourmets et gourmands font encore leur apparition, l’intérêt purement culinaire de la scène de repas semble être fondamentalement écarté, pour laisser place à une réflexion sur la société, et les dessous-de-table, au propre comme au figuré !

 

L’abolition de la peine de mort

Textes et conventions

Monde
● Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. Traité du 15 décembre 1989. Assemblée Générale de l’ONU. www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/2ndOPCCPR.aspx
● 6e résolution pour l’établissement d’un moratoire sur la peine de mort. 19 décembre 2016. Assemblée générale de l’ONU. www.un.org/press/fr/2016/ag11879.doc.htm

Europe

● Protocole n° 6 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales concernant l’abolition de la peine de mort. Traité du 28 avril 1983 – Conseil de l’Europe – Strasbourg. https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680079532
● Protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, ouvert à la signature. Traité du 3 mai 2002 – Conseil de l’Europe. www.echr.coe.int/Documents/Library_Collection_P13_STE187F_FRA.pdf

France
● La loi n° 81-908 du 9 octobre 1981 portant l’abolition de la peine de mort. www.2idhp.eu/images/loi-n81-908-du-9-octobre-1981_150617.pdf
● Loi Constitutionnelle n° 2007-239 du 23 février 2007 relative à l’interdiction de la peine de mort. www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000792320

Musées, Expos, Congrès

Criminocorpus
Musée d’Histoire de la justice, des crimes et des peines : contient une rubrique dédiée à la peine de mort avec, notamment, une exposition virtuelle consacrée à l’Histoire de la peine de mort en France jusqu’à son abolition. https://criminocorpus.org/fr/expositions/peine-de-mort/la-peine-de-mort-en-france-de-la-revolution-a-labolition/

Musée de la préfecture de police
Hôtel de police du Ve arrondissement de Paris. « Une galerie illustre les notions de crime et de châtiment depuis l’Ancien Régime jusqu’à l’abolition de la peine de mort en France en 1981, à travers les récits de quatre siècles de crimes sanglants, d’attentats et d’assassinats politiques. » www.prefecturedepolice.interieur.gouv.fr/Nous-connaitre/Services-et-missions/Service-de-la-memoire-et-des-affaires-culturelles/Le-musee-de-la-prefecture-de-police

Crime et châtiment au musée d’Orsay
Présentation de l’exposition qui a eu lieu du 16 mars au 27 juin 2010. www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/au-musee-dorsay/presentation-generale/article/crime-et-chatiment-23387.html?cHash=4be3ffdf22

Congrès mondial contre la peine de mort
Organisé depuis 2001 par l’ECPM en partenariat avec la Coalition mondiale contre la peine de mort. Le dernier congrès s’est déroulé à Oslo en Norvège du 21 au 23 juin 2016. http://congres.abolition.fr/

La Journée mondiale contre la peine de mort
La journée mondiale contre la peine de mort a lieu le 10 octobre, à l’initiative de la World coalition against the death penalty.

Dans les programmes

Cycle 4 (5e, 4e, 3e) : Éducation Morale et Civique
Le droit et la règle : des principes pour vivre avec les autres, notamment, 2/a – Définir les principaux éléments des grandes déclarations des Droits de l’homme.

Troisième : Histoire des arts
L’art engagé : l’œuvre d’art et le pouvoir.

Seconde : EMC
La personne et l’État de droit : L’État de droit et les libertés individuelles et collectives. Le fonctionnement de la justice : la justice pénale (instruction, procès, droits de la défense, exécution des décisions).

Première : EMC
Exercer sa citoyenneté dans la République française et l’Union européenne. S’engager : la notion de militantisme; les grandes formes d’engagement politique, syndical, associatif. Défendre : organisation et enjeux de la Défense nationale; l’engagement dans des conflits armés, la sécurité internationale.

Première : TPE
Thème commun : éthique et responsabilité, notamment les axes de recherche : culture et vie sociale, droit.

Première : Lettres
La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVIe s. à nos jours. L’objectif est de permettre aux élèves d’accéder à la réflexion anthropologique dont sont porteurs les genres de l’argumentation afin de les conduire à réfléchir sur leur propre condition. On contribue ainsi à donner sens et substance à une formation véritablement humaniste (Victor Hugo, Albert Camus, notamment).

Terminale L , Spécialité : Droit et grands enjeux du monde contemporain
Les questions mondiales et réponses internationales, la protection européenne des droits de l’homme.

Organismes

ONU
Une des missions de l’ONU est de protéger les droits de l’Homme en agissant pour l’abolition de la peine de mort, via le Haut-Commissariat des Nations Unies. www.ohchr.org/FR/Pages/Home.aspx

Coalition mondiale contre la peine de mort
Fondée à Rome le 13 mai 2002 à l’issue du premier Congrès mondial contre la peine de mort tenu à Strasbourg en 2001, à l’initiative de l’ECPM. www.worldcoalition.org/fr/

ECPM
Ensemble Contre la Peine de Mort est une association créée en 2000 dont l’objectif est l’abolition universelle de la peine capitale. Depuis 2010, elle propose des interventions de sensibilisation dans les établissements scolaires. www.abolition.fr

Ligue des droits de l’homme
Les archives de la ligue des droits de l’homme contiennent de nombreux documents sur la peine de mort. La ligue organise des manifestations sur ce sujet et milite pour son abolition universelle. www.ldh-france.org

DPIC (Death Penalty Information Center)
Organisation américaine à but non lucratif destinée à informer le public quant à la peine de mort aux États Unis. www.deathpenaltyinfo.org

Amnesty international
Organisation internationale qui lutte contre les atteintes aux droits humains commises dans le monde, dont la peine de mort. www.amnesty.org/fr/death-penalty

 

Pistes pédagogiques

● Rencontre avec des membres d’associations pour l’abolition de la peine de mort, des pénalistes, des politiciens, des journalistes en exercice pendant la peine de mort en France.
● Participer au congrès mondial contre la peine de mort organisé par l’ECPM et la Worldcoalition : débats, films, peintures, dessins, musiques autour de l’abolition de la peine de mort.
● Participer aux manifestations de la journée mondiale contre la peine de mort le 10 octobre.
● Projeter des films sur ce sujet, puis organiser un débat en EMC.
● Réaliser une exposition d’ouvrages sur la peine de mort au CDI.
● En exploitant les périodiques, présenter une revue de presse sur la situation actuelle de l’abolition de la peine de mort dans le monde ou rédiger un article en faveur de l’abolition universelle dans le journal scolaire de l’établissement.
● Participer à « Villes pour la vie – Villes contre la peine de mort » : tous les ans, les villes du monde entier s’illuminent et programment des manifestations afin d’exprimer leur refus de la peine de mort.
● L’ECPM intervient dans les classes, aide à monter un projet, fournit du matériel pédagogique, prête des expositions, organise des concours de dessins contre la peine de mort ou encore de vidéos engagées contre la peine de mort pour youtubeur/se/s en herbe.
 Il est aussi possible d’utiliser le kit de mobilisation disponible sur le site de la Worldcoalition pour organiser un évènement. www.worldcoalition.org/media/resourcecenter/FR-KitMobilisationJM2015.pdf

Représentations Artistiques

● Amnesty international. – « La peine de mort est condamnée à disparaître » [Affiche], 2011.
● Folon, Jean Michel. – « Contre la peine de mort » [Affiche], 1978. – 99 x 73 cm
● Fourau, Hugues. – « Tête décapitée de Fieschi » [huile sur toile], 1836. – 40 x 54,5 cm
● Goya, Francisco (de). – « El tres de mayo » [huile sur toile], 1814. – 2,68 m x 3,47 m
● Hugo, Victor. – « Justitia » [dessin], 1857.  53,4 x 35 cm
● Hugo, Victor. – « Ecce lex » [dessin], 1854. 50,8 x 34,9 cm
● Priseman, Robert. – « Lethal Injection Gurney » [huile sur toile], 2007, 2008. – 153 x 153 cm
● Toulouse-Lautrec, Henri (de). « Au pied de l’échafaud » [Lithographie], 1893.  82,5 x 58,1 cm
● Vallotton, Félix. – « L’Exécution » [estampe], 1894. – 149 x 250 mm
● Warhol, Andy. – « Electric Chairs » [10 estampes], 1971. – 10 x (90 x 122 cm)
● Woitena, Ben. – « Dead Man Walking » [assemblage], 2006. – 39-3/8“ x 27“ x 3-1/4“

 

Monstrueux monstres

Aux origines

Dans le grand catalogue des monstres en tous genres, on peut compter sur les auteurs antiques pour alimenter une grande partie de nos peurs. Cyclopes et autres créatures bizarrement formées peuplent l’imaginaire antique. Pour les découvrir, il faut plonger dans la collection Histoires noires de la mythologie, chez Nathan. On y découvre les monstres les plus terribles. Dernier né de la collection, Méduse, le mauvais œil1, d’Anne Vantal, nous fait découvrir l’histoire de l’un des monstres les plus mythiques : à l’origine, la plus belle des trois Gorgones est vite l’objet de l’attention de Poséidon, à qui elle succombera de force dans l’enceinte du temple d’Athéna. Furieuse, cette dernière transforme alors Méduse en monstre hérissé de serpents, et dont le regard pétrifie celui qui a le malheur de le croiser…

Pour découvrir un large choix de monstres antiques, une collection s’impose, Percy Jackson. À l’âge de 12 ans, un jeune collégien américain découvre qu’il est le fils de Poséidon. Il se rend alors à la colonie des Sang-Mêlé, camp d’entraînement des demi-dieux. Percy est alors prêt à affronter les pires épreuves et les monstres les plus redoutables de l’Antiquité… toutefois quelque peu revisités puisqu’ils y habitent désormais au sommet de l’Empire State Building ! Quand même plus tendance que l’Olympe… Dans le deuxième opus, La Mer des monstres2, Percy affronte le monde des monstres marins, lesquels n’ont rien à envier à leurs collègues terrestres ! Une série qui séduit les lecteurs par son rythme, son humour et ses péripéties tout droit venues de l’Antiquité. Car oui, les monstres antiques sont vraiment et définitivement indémodables.
Petit dictionnaire humoristique des dieux et héros de l’Antiquité, La Mythologie racontée par les petits mythos3 propose aux jeunes lecteurs une approche globale et rigolote des monstres antiques.

 Des vilains méchants pas beaux

Avant d’attaquer les choses sérieuses, faisons une incursion du côté des monstres gentiment effrayants. Dans Le Bus 6664, Colin Thibert nous fait voyager en compagnie d’un catalogue d’horreurs, vampires, fantômes et autres zombies. Mais que diable Chloé allait-elle faire dans ce bus ? Elle n’était pas censée aller au collège, au départ ? Allez, Chloé, tu verras, ce n’est pas si horrible que ça les monstres…
C’est aussi ce que pense chaque jour Wallis May, héros du roman Wallis M, 14 ans, sauveur du monde5, de Metantropo. Âgé d’à peine quinze ans et se déplaçant en fauteuil roulant, le jeune garçon a pour mission de détruire les kaméléons, d’abominables aliens venus d’on ne sait trop où… Un roman rythmé et plein d’humour, pour nos lecteurs de 6e et 5e.

Beaucoup de rebondissements également dans le roman Jack Perdu et le royaume des ombres6, de Katherine Marsh. Alors que Jack vient d’échapper à un accident, il consulte à New York (la ville où sa mère est morte quelques années auparavant) un étrange médecin. Peu après, il découvrira les portes du royaume des morts, où il partira pour retrouver sa mère. Bien entendu, il croisera sur son chemin quelques gentils et (moins gentils) petits (et moins petits) monstres…
Beaucoup moins gentils maintenant sont les monstres du cirque de l’étrange, cirque ambulant imaginé par Darren Shan dans la série L’Assistant du vampire7. Les pires horreurs semblent s’être données rendez-vous pour proposer un spectacle dérangeant et terrifiant. Le jeune Darren a assisté à l’une des séances et, fasciné par Madame Octa, l’énorme araignée vedette du spectacle, il la dérobe à la fin de la représentation. Mal lui en a pris, car l’araignée le pique, et la seule façon de garder « la vie sauve » est de devenir l’assistant du vampire du spectacle… et donc de devenir lui aussi un vampire ! Une série qui fera frémir les lecteurs à partir de la 5e.

 

Ne va pas dans ce couloir !

Bon, si on passait aux choses sérieuses ? On veut des monstres, des terribles, des qui font vraiment peur ? Et on a ce qu’il vous faut en stock ! Par quoi commencer ? Zombies décharnés ? Créatures maléfiques ? Très très grosse bébête ?

Allez, va pour la vilaine bestiole. Quelque part au milieu de nulle part, un jeune homme nourrit une inquiétante créature. On ne sait pas bien à quoi elle peut ressembler, mais une chose est certaine, ce n’est pas un caniche nain ! Enfermée dans un cube de béton, la bête grandit, et bientôt son espace risque d’être un peu étroit… Et justement, elle a très envie d’aller voir ailleurs si elle y est. Mais la demoiselle est incontrôlable et va vite semer le désordre derrière elle… Vous voulez en savoir plus ? Plongez-vous dans le roman d’Ally Kennen, La Bête8. Vous ferez la connaissance de la créature… et des cauchemars qui vont avec !
De bien vilains rêves vous attendent également à la lecture de La Forêt des damnés9, de Carrie Ryan. Isolée dans un village entouré de barbelés, au cœur d’une forêt, la jeune Mary rêve de sortir de cette prison. Mais la forêt est peuplée de zombies que personne n’aimerait croiser le soir, justement, au détour d’un bois. Un roman captivant et particulièrement stressant, que les élèves dévorent à partir de la 4e.
Une bestiole. Des zombies. Place à l’alien ! Et pas n’importe lequel. Son nom ? Celà. Tout droit venue de l’inconnu, cette créature immatérielle débarque sur Terre. Et elle a faim. Très faim. Elle prend alors possession des hommes qu’elle croise, s’empare de leur conscience et de leur cerveau, et agit à leur place. Et elle dévore ! Précision : sur sa planète, le mot « vegan » ne doit pas exister ; il lui faut des nourritures plus consistantes, plus rouges et plus vivantes… Avec Celà10, Moka ne ménage pas son lecteur, et il faut avoir le cœur bien accroché. Mais quel choc de lecture !
Lecture coup-de-poing également que le roman Passeuse de rêves11, de Loïs Lowry. On y suit l’histoire de Petite, être miniature qui collecte les souvenirs en touchant les objets, et qui les transfère ensuite dans le cerveau des humains pour y créer les plus beaux rêves. Ça a l’air tout mignon, vu comme ça, non ? Mais c’est sans compter ses ennemis, les Saboteurs, qui eux, créent les pires cauchemars et les colères les plus profondes… Un roman fascinant, au cœur des pensées et des rêves.
Quant au roman Dream Box12, de N. M. Zimmermann, il gravit encore un échelon dans l’horreur, au royaume des ombres et des entités terrifiantes qui hantent la vie de ceux auxquels elles s’attaquent, en créant chez eux violence et désespoir. Le pire de ce qu’ils ont en eux peut alors s’exprimer. Le jeune Jeffrey est la proie des ombres depuis l’âge de neuf ans. Il rencontre un jour un homme qui a vécu la même chose que lui, et qui lui apporte une boîte, la Dream Box, dans laquelle il pourra enfermer les ombres et enfin dormir tranquille… À condition de ne jamais ouvrir la boîte… Un roman terrifiant et glaçant.

Des monstres très… humains

Il n’est pas forcément nécessaire d’être moche, d’avoir quatre bras ou de venir d’une autre planète pour être un monstre. La monstruosité peut parfois prendre des allures très quotidiennes, et chacun peut croiser la route d’un monstre à tout moment.
Dans cette petite ville américaine, un groupe d’adolescents a toujours en mémoire l’assassinat, dix ans auparavant, de Clarence, jeune garçon de leur classe. Pour Dylan, le souvenir est encore plus vivace. En secret, elle a le don de voir les enfants assassinés et le lieu où ils se trouvent. Or le meurtrier de Clarence n’a jamais été arrêté. Serait-il toujours dans les parages ? La question est dans tous les esprits, jusqu’au jour où une petite fille disparaît… Le monstrueux Rôdeur, comme la ville l’a surnommé, a-t-il encore frappé ? La réponse dans C’est pour toi que le rôdeur vient13, d’Adrienne Maria Vrettos.

On frémira également devant le monstre de violence imaginé par Charlie Price dans son roman, Desert Angel14. Au fin fond d’une Amérique très profonde, Angel vit dans une caravane avec sa mère, loin des paillettes de New York et Hollywood. Un matin, Angel découvre sa mère morte dans la caravane. Scotty, son dernier amant, l’a assassinée. Et Angel sait qu’elle est la prochaine sur la liste. Une course-poursuite s’engage pour la jeune fille… Un thriller implacable, haletant et scotchant, qui ne peut que raviver ces cauchemars d’enfance dans lesquels un monstre nous poursuit inlassablement…
Mais il n’est pas besoin d’habiter un endroit glauque pour croiser la monstruosité. Dans Tous les héros s’appellent Phénix15, de Nastasia Rugani, Phénix et Sacha l’apprennent bien malgré elles. Ces deux jeunes filles voient leur vie basculer le jour où leur professeur d’anglais entame une relation avec leur mère et s’installe chez elles. Si tout semblait commencer pour le mieux, leur vie plonge peu à peu dans l’enfer de la violence… Le monstre peut bel et bien entrer dans votre maison sous des apparences trompeuses… Un roman dérangeant, à posséder absolument.

Diaboliquement monstrueux

Faut-il classer le diable dans la catégorie des monstres ? Sans nul doute. Dans L’Escalier du diable16 de E. E. Richardson, de mystérieuses disparitions secouent la petite ville de Redford et plusieurs enfants pensent en avoir percé le secret : un mystérieux escalier, au-dessus duquel apparaît l’Homme noir. Une seule solution : affronter le monstre en face, sur l’escalier… Terrifiant.
Est-ce également le diable qui apparaît dans le roman d’Anne Fine, Le Passage du diable17. Depuis sa naissance, Daniel vit enfermé dans sa chambre, sous l’emprise de sa mère. Sur un appel des services sociaux, Daniel est pris de force à celle-ci, et part vivre chez un médecin et sa famille. Il ne garde de son ancienne vie qu’une maison de poupée, réplique de la maison de sa mère. Mais de bien curieux événements se produisent dans cette petite maison, et le pire est à venir…

 

 Et enfin…

L’Étrange cas de Juliette M.18, de Megan Shepherd. En cette fin du xixe siècle, à Londres, Juliette a perdu la trace de son père. Ce dernier, l’un des plus grands chirurgiens de la ville, a été banni de la cité pour des pratiques médicales très controversées. Nul ne sait où il se trouve, ni même s’il est mort. Juliette décide d’en avoir le cœur net, et veut le retrouver coûte que coûte. Ah, on ne vous a pas dit ? Son père est en fait sur une île, et son nom est Moreau… Ça vous rappelle quelque chose ? L’histoire de ce médecin, revisitée par le regard de sa fille, pose la question de la monstruosité. Jusqu’où peut-on aller pour transformer l’être humain ? Jusqu’à quelles tortures ? Et moralement, qu’en penser ?

Voilà de quoi faire de beaux cauchemars pendant un bon moment… Allez, un peu de patience, le prochain Thèmalire portera sur les vacances ! Monstrueuses lectures à tous !