Littératures de l’imaginaire en jeunesse, un genre loin d’être mineur !

Il faut rappeler que les littératures de l’imaginaire éditées « en littérature adulte » peinent toujours à être reconnues par les médias classiques qui ne leur accordent que peu de place. La France est très attachée à sa littérature classique, dite « blanche », favorisée par l’école et le monde universitaire : les littératures de l’imaginaire ont été longtemps définies d’ailleurs comme une paralittérature. Aussi, en mars 2017, une pétition voit le jour à l’initiative d’éditeurs, auteurs, traducteurs et libraires, lançant un « Appel à la mobilisation des acteurs de l’imaginaire ». Ce manifeste de défense de ces littératures s’est prolongé par la création du « Mois de l’imaginaire » en octobre. Ces actions, inédites pour ce genre littéraire, ont été suivies par un état des lieux et une réflexion lors d’États Généraux de l’Imaginaire tenus lors du festival des Utopiales début novembre 2017 à Nantes. Un an plus tard est né l’Observatoire de l’Imaginaire1 qui va continuer à dresser un état de l’imaginaire en France et encourager les initiatives pour le soutenir dans la presse ou en librairie.
Ce manque de reconnaissance est toutefois à nuancer en ce qui concerne la littérature de jeunesse. Il semblerait que la situation soit un peu différente. En effet, la parution du cycle Harry Potter à l’aube des années 2000 est maintenant reconnue comme un tournant dans l’histoire éditoriale des littératures de l’imaginaire : un véritable phénomène sociologique et économique qui a ébranlé le monde de l’édition jeunesse, notamment en lui donnant de la visibilité, et qui a permis d’atténuer les frontières avec la littérature adulte. On mesure aujourd’hui, vingt ans après la parution du premier tome, son impact dans le milieu éditorial et sur le lectorat. Il est encore aujourd’hui le titre le plus vendu en France. Depuis, les littératures de l’imaginaire sont devenues le genre le plus plébiscité par les jeunes et le plus édité en littérature de jeunesse. Elles ont acquis une certaine légitimité, sont reconnues comme genre à part entière et tiennent une place de choix auprès des lecteurs et dans la culture médiatique. On peut citer désormais des œuvres repères, identifier des auteurs, établir des filiations, tracer une histoire. Depuis une quinzaine d’années, le milieu universitaire s’y intéresse, notamment Anne Besson qui en a fait sa spécificité après avoir soutenu sa thèse en 2001, mais aussi Laurent Bazin, Matthieu Letourneux, Christiane Connan-Pintado, Gilles Béhotéguy entre autres.

Harry Potter et l’Ordre du phénix – Illustration de Jean-Claude Götting © Gallimard DR.

Caractéristiques de l’évolution des genres de l’imaginaire en littérature de jeunesse depuis 20 ans

L’influence anglo-saxonne

Plus décomplexées car non considérées comme mauvais genres, les littératures de l’imaginaire anglo-saxonnes ont toujours offert une production foisonnante et innovante. Certaines parutions ont été déterminantes et leur succès auprès des lecteurs a bousculé le monde de l’édition.
On peut noter un premier bouleversement dans les années 1990 avec le succès de la collection Chair de poule (traduction de Goosebumps). Dès 1992, les jeunes américains découvrent avec plaisir ces textes fantastiques de R. L. Stine, où la peur est associée au jeu. Publiée en France chez Bayard Poche en 1995, cette série d’ouvrages met en scène des enfants ou adolescents qui doivent faire face à des phénomènes étranges. Le plébiscite des jeunes pour ce genre est un premier coup de semonce envers les médiateurs et les éditeurs français. Le goût pour cette littérature populaire qui privilégie la distraction et qui s’éloigne des prescriptions de l’institution scolaire va modifier petit à petit le regard des adultes. À l’époque, les romans miroirs priment ; la plupart des collections pour adolescents proposent des fictions privilégiant une approche réaliste de la vie quotidienne et une qualité littéraire. La collection Chair de poule au format stéréotypé confirme le retour des séries, en retrait à l’époque. On assiste alors à une production de masse où le marketing prend une place prépondérante.

Un deuxième événement éditorial va avoir des répercussions encore plus importantes et provoquer un tournant décisif. C’est bien sûr le succès, en 1998, du premier tome d’Harry Potter, « cette lame de fond », comme le décrit Anne Besson, qui a bousculé un certain nombre de principes :
– un livre issu de la paralittérature est numéro un des ventes ;
– une longueur inhabituelle du roman, qui pourtant n’effraie pas les jeunes lecteurs ;
– un livre qui plaît aux jeunes ET aux adultes ;
– un grand format (16 x 24 cm) peu fréquent à l’époque dans l’édition pour la jeunesse qui privilégie plutôt le format poche ;
– la promotion de chaque tome, véritables événements internationaux et commerciaux ;
– le vedettariat de son auteur JK Rowling ;
– la mise en avant de la notion de cycle ;
– le lien avec les adaptations cinématographiques.
La trilogie À la croisée des mondes de Philippe Pullman confirmera l’émergence de ces ensembles romanesques, véritables locomotives pour tous les genres de l’imaginaire. Ils vont ouvrir la voie à une production importante, en plaçant les adolescents au centre des intrigues, dans des parcours initiatiques jonchés d’épreuves qui les mèneront à l’âge adulte.

Puis, deux œuvres connaissent un succès remarqué à la fin du XXe siècle : Twilight de Stephenie Meyer, tétralogie parue entre 2005 et 2008, fusion entre le roman fantastique et le roman sentimental qui renouvelle le mythe du vampire ; et Hunger Games de Suzanne Collins en 2008 qui développe une branche de la science-fiction : la dystopie. Ces deux cycles marquent également l’émergence d’une nouvelle catégorie de lecteurs : les jeunes adultes.

Notion de cycle

Aujourd’hui, on assiste à une systématisation de la littérature d’évasion en littérature de jeunesse sous forme d’ensembles romanesques appelés cycles. Selon Anne Besson, un cycle est constitué de plusieurs tomes conçus comme un tout, avec un personnage récurrent qui évolue. Il existe donc une évolution chronologique, un fil de l’histoire qui fait le lien entre les tomes, contrairement à la série où l’intrigue est différente à chaque volume. Dans Le Club des Cinq ou Le Clan des Sept, on retrouve les mêmes personnages – ils ont le même âge, leur situation a peu évolué – seule l’histoire à laquelle ils sont confrontés change. Ce format à épisodes plaît aux plus jeunes car la redondance est un socle nécessaire dans la construction de leur personnalité. La série allie donc le besoin de répétition des jeunes lecteurs au plaisir de la variation. Avec la parution d’Harry Potter, ces deux notions vont se mêler : chaque tome représente une année à Poudlard, on retrouve les mêmes personnages et rituels, formant un tout autonome. Mais les héros grandissent à chaque tome et doivent faire face à des épreuves de plus en plus difficiles. L’innovation la plus importante est sans doute d’avoir accordé le rythme de parution des livres à l’évolution physique des personnages (et des lecteurs ?).
Aujourd’hui, le cycle est la forme la plus répandue dans les romans de l’imaginaire pour adolescents car il paraît en adéquation avec ce passage de l’enfance à l’âge adulte, et accompagne le processus de maturation des adolescents et leur recherche d’identité.

Harry Potter et les reliques de la mort – Illustration de Jean-Claude Götting © Gallimard DR.

Renouvellement des codes / Transgénéricité / Hybridation

Le roman de l’imaginaire en littérature de jeunesse se caractérise par un art du brassage et un mélange des genres. Cet affranchissement des frontières génériques permet alors à de nombreux éléments, communs à d’autres genres et traditions littéraires, de se croiser : le conte, la nouvelle, le roman historique, d’aventures, le genre fantastique, la fantasy, la science-fiction. Ces combinaisons donnent alors naissance à de nouveaux sous-genres (bit-lit, urban fantasy, steampunk). Ce métissage est sans doute la plus grande particularité du roman de l’imaginaire pour la jeunesse aujourd’hui. Les frontières sont de plus en plus fluctuantes et poreuses, et le roman de l’imaginaire pour la jeunesse devient un genre protéiforme. Les motifs, les personnages traditionnels des contes ou de la mythologie ont été modifiés, retravaillés et adaptés au monde moderne. Il est parfois difficile de classer ces romans dans tel ou tel genre. D’ailleurs, les collections autrefois étiquetées « SF » ou « fantastique » ont disparu pour se fondre dans une catégorie plus large : « les mondes imaginaires ».

Culture médiatique

Le livre est aujourd’hui un produit intégré dans un espace culturel globalisé. Il existe un va-et-vient systématique entre les différents objets culturels : le succès d’un livre incite à la réalisation d’un film ou vice-versa, la sortie d’un film redynamise les ventes des ouvrages. Il existerait donc une porosité entre les langages des différents médias, chacun apportant une spécificité aux autres. On peut définir ce passage d’une forme à une autre par le terme de crossmedia : une même fiction est déclinée simultanément sur plusieurs supports. Ce lien culturel ou système croisé entre audiovisuel et livre se révèle indispensable pour les adolescents. Ils naviguent entre tous ces médias, des livres aux films, aux séries télévisées, en passant par les jeux vidéo et internet. Pour eux, le livre est un objet culturel intégré dans d’autres usages.

Un nouveau public : les jeunes adultes (ou Young Adults)

Cette évolution est aussi due à un renouvellement du public ou à une colonisation d’un nouveau public : celui des grands adolescents ou jeunes adultes. Aujourd’hui, le temps de l’adolescence s’est étendu et est devenu un état qui se prolongerait jusqu’à 25-30 ans, et ce sont les genres de l’imaginaire qui ont permis l’émergence de ce nouveau segment éditorial. On peut alors parler de « littérature passerelle » entre les adolescents et les adultes. Nous assistons depuis quelques années au phénomène de la double exploitation d’un texte en rayon adulte et jeunesse. Un titre publié d’abord dans des maisons d’édition pour la jeunesse va l’être par la suite dans une édition pour adultes (et vice-versa d’ailleurs).
Les opportunités commerciales offertes par l’apparition de ce public ont modifié les stratégies éditoriales. Aujourd’hui, ce segment a remplacé la collection. Les éditeurs font le choix aujourd’hui, non plus de classer les romans par genre, mais par catégorie d’âge ou par format.

Changement des pratiques et des préférences de lecture des jeunes

Depuis le succès des romans de l’imaginaire dans les années 2000, les préférences de lecture des jeunes ont évolué. Pour Laurent Bazin2, avec le plébiscite de ces romans par les jeunes s’est opéré un basculement d’une prescription verticale (l’adulte propose) à une prescription horizontale (la communauté de pairs s’impose). En effet, il a mis en évidence l’émancipation des adolescents vis-à-vis d’une littérature patrimoniale, jusque-là légitime. La transmission culturelle ne se fait plus par les médiateurs culturels mais par le biais des réseaux sociaux, des groupes d’amis ou des communautés de lecture. Il parle alors de passage d’une culture de « pères » à une culture de « pairs ». Les adolescents se construisent une culture parallèle, en rupture avec celle connue jusqu’ici.

Une représentation de l’imaginaire d’aujourd’hui

L’explosion des romans de l’imaginaire au XXIe siècle correspond à une évolution des représentations de l’imaginaire. On peut considérer ces œuvres plutôt comme des produits commerciaux, mais il est indéniable d’y voir un reflet de la pensée d’aujourd’hui. Le point commun entre tous les romans de l’imaginaire, c’est le thème de la pluralité des mondes : univers virtuels, voyages entre les mondes, mondes idéaux (utopies), mondes apocalyptiques (dystopies), passé revisité (uchronies). Ce regain de popularité peut s’expliquer entre autres raisons par l’éclatement des certitudes au XXe siècle qui a provoqué chez les jeunes générations un engouement pour le virtuel, refuge contre l’opacité du réel et l’angoisse d’une société en perte de repères. La construction même de ces récits (enchâssés, polyphoniques), la fusion des temps qu’ils proposent accentuent la perte des repères et permettent de lutter contre l’immédiateté du présent.
Aussi, ces romans représentent-ils moins des phénomènes de mode que des réponses littéraires à un contexte politique troublé.

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Le fonds BB ou une histoire de la littérature de jeunesse

Profitant d’un congé de formation après vingt ans d’exercice en tant que professeur documentaliste, je me suis inscrite au Master 2 professionnel Parcours Littérature pour la Jeunesse (dispensé à distance par l’Université du Mans). Dans ce cadre, j’ai eu l’opportunité d’effectuer un stage au secteur Patrimoine de la Bibliothèque municipale de Nantes et de découvrir le fonds Bermond Boquié. Véritable caverne d’Ali Baba pour une passionnée de littérature de jeunesse, ce fonds conserve de vrais trésors et témoigne de l’Histoire de la littérature pour enfants et adolescents.

Historique du fonds BB

Ce fonds spécialisé porte le nom de ses deux donateurs, Monique Bermond et Roger Boquié qui ont œuvré à la promotion de la littérature de jeunesse francophone comme critiques littéraires et producteurs d’émissions radio sur France Culture (Allô, allô, ici jeunesse en 1962 et Le livre : ouverture sur la vie en 1970). En 1999, ils font don à la ville de Nantes de 24 000 livres, enregistrements sonores et montages audiovisuels représentatifs de l’édition jeunesse depuis 1960.
Le Centre d’Information sur la Littérature Enfantine qui existait au sein de la bibliothèque municipale de Nantes depuis 1977 est alors rebaptisé Centre Bermond-Boquié, puis devient le Fonds Bermond-Boquié en 2014, et intègre le service Patrimoine à la médiathèque Jacques Demy. Aujourd’hui, Françoise Chaigneau et Claire Fruchard ont en charge ce fonds patrimonial et ont pour mission de le conserver, de l’enrichir et de le valoriser. Regroupant plus de 57 000 ouvrages, il est divisé en deux parties, l’une concerne la donation, l’autre est consacrée aux documents acquis grâce aux dons reçus notamment par des écoles en début des années 2000, aux services de presse des éditeurs et à des acquisitions.

La politique de conservation

Les ouvrages sont classés par ordre d’arrivée et par format couvrant plus de 700 mètres linéaires. Ils sont répartis selon 7 formats différents : les livres grand format de + de 35 cm ; de 25 à 35 cm (albums et documentaires) ; de 19 à 25 cm ; moins de 19 cm ; les formats « bâtards » ; les formats audio ; grand format à l’italienne.
Ce classement permet notamment de voir l’évolution des formats et des collections au cours des dernières décennies et de dresser des panoramas à partir des ouvrages du fonds.

Au niveau des formats, on peut faire plusieurs constats : « Dans la donation Bermond-Boquié (1960 à 1998), les livres grand format de plus de 35 cm étaient très peu nombreux (environ une cinquantaine), aujourd’hui nous en avons environ 400 », précise Françoise Chaigneau. Les albums grand format reviennent sur le devant de la scène ces dernières années avec de nombreuses publications pour les petits et les plus grands.
« À partir de 1998, le rayonnage des livres au format de 19 à 25 cm s’est considérablement développé, alors qu’auparavant celui des livres au format poche augmentait le plus rapidement ». En effet, moins onéreux, ce format couvrait l’ensemble des parutions pour les adolescents. Il a été détrôné par la sortie chez Gallimard Jeunesse d’Harry Potter en 1998. Le succès de cette saga auprès des jeunes a obligé les éditeurs à modifier leurs stratégies éditoriales. Progressivement, depuis les années 2000, les éditeurs lancent leur propre collection grand format dans un marché très porteur. Françoise Chaigneau ajoute : « les séries se sont alors multipliées, notamment dans les romans pour ado alors que nous avons moins de romans pour les plus jeunes. Nous nous limitons dans les séries aux trois premiers tomes. Nous sommes obligés, les magasins ne sont pas extensibles, il faut penser à la place… ».

La politique d’acquisition

L’enrichissement du fonds s’effectue donc d’une part par les livres envoyés par les services de presse des éditeurs et par des acquisitions.  Douze revues professionnelles spécialisées en littérature de jeunesse sont dépouillées systématiquement. « Nous achetons en priorité les livres « coups de cœur » qui ne sont pas envoyés par le service de presse. Puis une partie de notre budget est dédiée aux livres anciens. Nous enrichissons le fonds en acquérant notamment des livres antérieurs à la donation, avant 1960 (134 par exemple sont antérieurs à 1900). Nous orientons nos achats notamment sur des albums illustrés et également en fonction de nos projets d’animations. Ces dernières années nous nous sommes procuré des abécédaires et nous les présentons aux scolaires lors de nos ateliers patrimoniaux ».

Mise en valeur du fonds

Ce fonds accessible à tout public est consultable à l’espace Patrimoine à la médiathèque Jacques Demy et s’adresse à tous ceux qui s’intéressent à la littérature de jeunesse : professionnels du livre et autres passionnés ou nostalgiques des lectures de leur enfance.
Cet espace de consultation permet d’avoir accès à des ouvrages de référence sur la littérature de jeunesse (l’Histoire, les contes, l’illustration, etc.), et aux revues professionnelles.

Les actions culturelles

Afin de valoriser ce fonds, des animations sont organisées en direction de différents publics. « Auprès du public adulte, une fois par an nous présentons les nouveaux titres les plus « remarquables » que la bibliothèque a acquis, patrimoines adulte et jeunesse confondus. Auprès des plus jeunes, nous proposons l’animation « Lecture d’hier et d’aujourd’hui » : trois à quatre fois par an, une comédienne vient lire des extraits de romans ou d’albums devenus des classiques. Le Petit Nicolas a eu beaucoup de succès ainsi que les romans de Roald Dahl et prochainement nous présenterons des albums de Sendak. Nous animons également des formations autour de l’Histoire du livre pour la jeunesse, destinés à des enseignants ou des professionnels du livre, par exemple sur les albums petite enfance (0-3 ans), ou en proposant des outils pour accompagner des élèves en difficulté de lecture.
Pour les jeunes des établissements scolaires de l’académie de Nantes, nous animons des ateliers patrimoniaux. L’atelier « À la découverte des abécédaires », nous donne l’occasion de mettre en valeur un florilège de livres de différentes époques. Les livres les plus anciens sont numérisés, nous les présentons sur tablette et nous montrons également des livres d’artistes plus récents. Sur le site de bibliothèque, à la rubrique Patrimoine, les lecteurs peuvent découvrir quelques titres qui sont numérisés au fil des présentations que nous faisons. Et enfin, nous exposons au sein de la médiathèque des livres issus des collections du fonds BB en lien avec des thèmes d’actualité (Printemps des poètes, Noël.) ».

La base de données LIVRJEUN

La bibliothèque municipale administre une base de données liée au fonds Bermond-Boquié. Elle travaille en partenariat avec l’association Nantes Livres Jeunes (association née à la suite de la donation qui a pour ambition de promouvoir la production éditoriale pour la jeunesse, dans la continuité du travail des deux critiques). Celle-ci anime des comités de lecture constitués de professionnels de la lecture qui chroniquent les livres reçus et enrichissent ainsi le site  LIVRJEUN. Aujourd’hui, elle recense plus de 30 000 fiches critiques d’ouvrages pour la jeunesse.

Les projets

Une exposition sur les albums du Père Castor de 1931 à 1967 aura lieu à la médiathèque de décembre 2019 à fin février 2020 à partir des collections du fonds Bermond-Boquié. Entrés au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2018, ces ouvrages ont joué un grand rôle dans la démocratisation de la lecture en France. Paul Faucher, fondateur de cette collection enfantine en collaboration avec sa femme, l’écrivain tchèque Lida Durdikova, a fait appel à plusieurs illustrateurs venant des pays de l’Est influencés par différents mouvements artistiques dont le constructivisme russe.

INFOS PRATIQUES

Fonds Bermond-Boquié

Bibliothèque municipale de Nantes, Médiathèque Jacques Demy, Espace Patrimoine 24 quai de la Fosse
www.bm.nantes.fr

Base de données :
https://livrjeun.bibli.fr

 

Documentalistes du bout du monde

InterCDI a interrogé sur leurs parcours des collègues professeurs documentalistes du bout du monde : Hélène Charlet en poste au lycée Louis Massignon d’Abu Dhabi ; Nina Da Rocha-Huard en poste au lycée Blaise Pascal d’Abidjan ; Paule Maillet en poste au lycée François Mitterrand de Brasilia ; Mathilde Vendé, en poste à La Paz puis au lycée Eugène Delacroix d’Athènes ; et Aline Royer, en poste au lycée Français de Lomé.

Depuis combien de temps occupez-vous ce poste ?

Hélène Charlet : septembre 2014.
Nina Da Rocha-Huard : 1 an.
Paule Maillet : 1 an
Mathilde Vendé : 1 an à La Paz et depuis 2 ans à Athènes.
Aline Royer : septembre 2017.

Pourquoi avoir choisi un poste à l’étranger ?
Comment avez-vous choisi le pays ?

H.C. : J’avais envie de partir à l’étranger depuis quelque temps, dans le cadre d’un projet de couple et de famille. Des vacances aux Émirats en 2013 nous ont fait aimer le pays, et regarder s’il y avait des postes en documentation ; par chance un poste a été créé à Abu Dhabi en janvier 2014 et je l’ai eu ! Toute la famille a suivi (3 enfants). C’est un pays surprenant, loin des clichés qu’on en a depuis la France, et qu’on a choisi pour la sécurité qu’il apporte aux enfants, le multiculturalisme, la tolérance de tous les modes de vie.
N.D.R-H. : Parce que j’aime rompre la monotonie, changer de vie, recommencer. C’est une chance que de pouvoir vivre ailleurs et découvrir des choses qu’on ignore. J’évolue au fil de ces changements, je me sens enrichie chaque fois davantage. Je n’ai pas particulièrement choisi ce pays, mon objectif était de ne pas être en France. J’ai postulé à différents endroits et je suis allée là où j’ai été prise.
P.M. : J’habitais déjà à Brasilia.
M.V. : C’est un projet que j’ai toujours eu. J’avais envie d’expérimenter d’autres contextes et habitudes de travail. J’ai ciblé les pays qui m’attiraient.
A.R. : J’ai toujours eu envie de travailler à l’étranger, et c’est en partie parce que cette possibilité existait dans l’Éducation Nationale que j’ai passé le Capes. Le Togo n’était pas mon premier choix. J’avais postulé sans succès pour le Chili, la Grèce, le Portugal et d’autres pays mais c’est l’envie de partir qui l’a emporté sur le choix de la destination.
Comment avez-vous obtenu ce poste,
sur quels critères de recrutement, avec quel statut ?
H.C. : Procédure classique de recrutement sur le site de l’AEFE pour un poste de professeur résident. J’ai déposé un dossier et j’ai été appelée en mars pour dire que j’étais classée première sur la liste ; 15 jours plus tard on me confirmait que si mon détachement était accepté, le poste était pour moi. J’ai, par la suite, su que mon dossier avait retenu l’attention car en France je travaillais avec un partenariat avec le Louvre Lens ; et comme un Louvre s’apprêtait à ouvrir à Abu Dhabi, cet aspect de mon CV a paru correspondre aux attentes du proviseur.
N.D.R-H. : Il fallait être titulaire du MEN. J’ai un statut de détachée directe ce qui signifie que je suis employée par une entreprise privée avec un contrat de résidente. Je ne bénéficie plus de la sécurité sociale et je ne suis pas obligée de cotiser pour la retraite. Cependant, je cotise auprès de la CFE (Caisse des Français à l’Étranger), la MGEN est toujours ma mutuelle et je verse une cotisation pour mes droits à la retraite. Je garde aussi le bénéfice de l’évolution de carrière.
P.M. : J’étais responsable de communication à mi-temps ; une documentaliste à mi-temps est partie en retraite, j’ai postulé en interne. Je venais du monde de la culture. Je suis en contrat local.
M.V. : J’ai candidaté lors de la campagne de recrutement pour les postes de résidents dans le réseau AEFE. Elle a lieu chaque année en janvier. Concernant les critères, chaque établissement a sa propre grille mais les personnes qui ont des liens avec le pays d’accueil sont prioritaires. Il est recommandé d’avoir des certifications complémentaires. Pour ma part, j’ai un diplôme de FLE. La connaissance de la langue du pays d’accueil est un plus.
A.R. : J’ai postulé 3 années de suite, sur une dizaine de postes à chaque fois, avant d’obtenir celui-ci avec le statut de résident. Il y a peu de postes de résidents vacants en documentation. Il n’y en a aucun avec le statut d’expatrié. J’ai axé ma lettre de motivation sur mes capacités d’adaptation (j’ai travaillé dans 6 établissements différents, du petit collège rural au lycée de plus de 2000 élèves) et sur mon double profil FLE-documentation (je suis titulaire de la certification FLE-FLS et j’ai exercé deux années en tant que professeur de FLE dans une UPE2A avant de partir). Le Lycée Français de Lomé a accepté ma candidature en mai 2017 mais le Rectorat de Montpellier a fait des difficultés pour accepter mon détachement. J’ai attendu mi-juillet pour avoir la certitude que je pouvais partir.

Hélène Charlet

Le fait d’être expatriée a-t-il eu des répercussions sur votre salaire ?

H.C. : Oui, mais pas celles attendues ! Le salaire paraît énorme sur le bulletin mais les loyers sont très très chers à Abu Dhabi (plus de 2 500 € par mois pour un appartement avec 1 chambre) et les frais de scolarité également (lycée payant même pour les enfants de profs, à près de 10 000 € par an). Je ne gagne pas d’argent en vivant ici, mais plutôt une expérience de vie, une richesse culturelle, une ouverture qui sont précieuses.
N.D.R-H. : Oui, le salaire est plus élevé parce que l’on touche une indemnité de vie locale. Cependant, les loyers du pays dans lequel je vis ainsi que les produits de la vie quotidienne sont plus chers qu’en France si on fait le choix de conserver un certain confort.
P.M. : Non, je suis en contrat local.
M.V. : Je touche l’ISVL (Indemnité spécifique de vie locale, propre au statut de résident dans le réseau AEFE) en plus de mon salaire France. Lorsque j’étais en contrat local en Amérique latine, je touchais 1 100 dollars par mois (un peu plus de 900 €).
A.R. : Pour les résidents, le salaire est majoré en fonction d’une indemnité de coût de la vie locale qui varie selon le pays. Le coût de la vie est bien moins élevé au Togo qu’en France mais actuellement, je gagne environ 500 € de plus que si j’étais documentaliste en France. Mon salaire est versé en euros sur mon compte français, ce qui pose un certain nombre de difficultés pour avoir des liquidités sur place. On touche également une prime d’installation qui compense le premier billet d’avion et les frais d’installation. Mon salaire mensuel est 45 fois supérieur au SMIG togolais, ça frôle l’indécence. Dans mon établissement, il y a des expatriés qui touchent jusqu’à trois fois leur salaire français, les résidents qui comme moi touchent un salaire français majoré, les enseignants français ou togolais qui sont recrutés en contrat local qui touchent environ la moitié, et enfin les agents de maîtrise et les agents d’exécution dont le salaire peut descendre très bas (pas plus de 100 € par mois). De telles disparités ne peuvent pas être sans conséquence sur l’atmosphère de travail et les relations entre collègues.

Comment s’est passée votre installation dans le pays ? Vous a-t-on aidé ?

H.C. : Difficile, car les lourdeurs administratives sont nombreuses aux Émirats et surtout, le CAPES n’est pas reconnu comme diplôme. Donc pour un poste de documentaliste il a été très long et compliqué de faire comprendre aux autorités que c’est un statut de professeur. J’ai commencé ma carrière à Abu Dhabi en étant enregistrée à un statut de femme de ménage… Le lycée a toutefois des personnels dédiés à ces démarches et à l’installation dans le pays, qui aident et conseillent.
N.D.R-H. : Cela n’a pas été simple surtout pour trouver un logement qui soit à la fois abordable et qui nous convienne. Trouver une voiture a aussi été difficile… ici, il y a pas mal d’arnaques (faux agents immobiliers, prix très élevés selon l’image que l’on se fait de vous…). Obtenir une carte de résident a été ma plus mauvaise expérience comme tout ce qui relève de l’administration d’ailleurs (attentes interminables, paiement de bakchich, personnes de mauvaise foi…).
L’établissement m’a versé une prime pour m’aider à m’installer et nous aide en nous offrant quelques nuits d’hôtel lorsqu’on arrive. Un chauffeur est aussi venu nous chercher à l’aéroport très tard dans la nuit, c’est très appréciable. Généralement, si l’on fait face à un problème, la hiérarchie est à l’écoute et essaie de nous aider, mais ce sont surtout les collègues déjà intégrés qui m’ont accompagnée et conseillée.
P.M. : J’étais déjà installée.
M.V. : En Bolivie : beaucoup d’aide de la part des collègues. Un juriste, payé par l’établissement, nous a accompagnés dans les procédures pour obtenir le visa de travail. En Grèce : pas besoin de visa de travail en tant que résident. Les collègues et l’administration du lycée nous ont aidés dans les démarches administratives auprès de l’administration grecque.
A.R. : Quand on connaît rapidement son affectation, on peut facilement entrer en contact avec des collègues sur place, avoir des tuyaux pour s’installer, voire récupérer la maison de quelqu’un qui s’en va. Dans mon cas, mon détachement n’a été validé par le Rectorat que le 11 juillet. Tout le monde était déjà parti en vacances. Je suis donc arrivée fin août avec mes deux valises et aucun contact. J’ai passé un mois et demi dans une location saisonnière avant de trouver une maison à louer. J’ai découvert un marché de l’immobilier très différent de ce que je connaissais. Il n’y a pas d’agences immobilières à proprement parler, mais des démarcheurs qui font visiter les maisons moyennant une commission. On ne rencontre le propriétaire qu’au moment de la signature du contrat. Il faut souvent verser trois mois de caution et six mois de loyer dès la remise des clés, autant dire une valise de FCFA.
Par contre, le lycée nous accompagne dans nos démarches pour l’obtention d’une carte de séjour et heureusement, car c’est un parcours du combattant !

Quel est le public de votre établissement ?

H.C. : Public très varié en termes de nationalités (moins de 50% de Français, beaucoup de Libanais, Marocains, Algériens…) mais aussi de mixité sociale : enfants des soldats de la base militaire d’Abu Dhabi aussi bien que de diplomates. Mais globalement un point commun : beaucoup d’enfants qui ont vécu toute leur vie ou presque à l’étranger, donc habitués au multiculturalisme, à la tolérance des religions et des cultures. 98% de réussite au bac, pas de gros problèmes de discipline.
N.D.R-H. : Des enfants socialement privilégiés, issus de familles illustres dans le pays ; des enfants d’expatriés français mais aussi d’autres pays
P.M. : Enfants de diplomate ou de fonctionnaires internationaux expatriés ou enfants de brésiliens de classe sociale haute.
M.V. : 1 700 élèves de la petite section à la Terminale. Il y a deux sections : section française (maternelle, élémentaire et secondaire. 1 300 élèves) et section hellénique (système grec avec un apprentissage approfondi du français. Secondaire, 400 élèves). La plupart des élèves sont grecs (engouement traditionnel pour la culture française) mais il y a aussi des enfants d’expatriés français et étrangers (enfants de diplomates notamment).
A.R. : C’est un public d’enfants en grande majorité togolais, issus des classes aisées. Il y a aussi beaucoup d’enfants des pays africains limitrophes, d’autres issus des communautés fortement implantées au Togo : les Libanais et les Chinois. Il y a un à deux enfants d’expatriés français par classe.

Êtes-vous plusieurs professeurs documentalistes ?

H.C. : Non, j’ai une assistante documentaliste à temps plein.
N.D.R-H. : Nous sommes trois mais je suis la seule détachée. Mes deux collègues sont natifs du pays et employés sous contrat local. Ils font plus d’heures et sont bien moins payés.
P.M. : Nous sommes 3 mi-temps et nous nous partageons la BCD (400 élèves) et le CDI (300 élèves).
M.V. : Oui, une prof doc pour la section française, un doc pour la section hellénique.
A.R. : Le Lycée français de Lomé accueille les élèves de la très petite section à la Terminale, soit environ 1 000 élèves. Une bibliothécaire s’occupe de la BCD. Je m’occupe du CDI du collège et du lycée, où je suis secondée par un attaché documentaliste à mi-temps.

Comment travaillez-vous avec les autres professeurs ?

H.C. : Il a fallu une année, voire deux, pour mettre en place des choses car le poste n’avait jamais été occupé par un « vrai » documentaliste et mes propositions venaient déstabiliser certaines habitudes. Désormais c’est un vrai partenariat complet et riche, énormément de projets culturels dans lequel le CDI est toujours impliqué, comme lieu de ressources, lieu d’enseignement, et on fait appel à mes compétences pour encadrer les élèves, proposer des activités, donner des cours…
N.D.R-H. : Cela se passe comme en France.
P.M. : Plusieurs activités en partenariat : incitation à la lecture, éducation aux médias, philosophie…
M.V. : Collaboration similaire à celle pratiquée en France. En Bolivie, les modalités de travail étaient complètement différentes car je m’occupais de la BCD en primaire. Les professeurs des écoles avaient des attentes très précises (passages hebdomadaires des classes pour emprunter des livres). Je proposais de petites animations et j’ai pu impulser un peu de recherche documentaire en CM1-CM2.
A.R. : Pas de différence sur ce point avec les établissements en France. Il y a des collègues demandeurs ou réceptifs aux propositions pédagogiques, d’autres pas du tout.

Quelle est la singularité de votre CDI ?
En quoi est-il adapté au pays ?

H.C. : Il est très grand, très bien doté en matériel et en moyens… je n’ai jamais connu ça en France ! Commun au collège et au lycée, ce qui est parfois difficile à gérer notamment au niveau des règles de fréquentation qui sont plus adaptées aux collégiens qu’aux lycéens. Le fonds est adapté au fait que ce soit un pays musulman et que le ministère local de l’Éducation contrôle ce qui est proposé à la lecture. Beaucoup d’ouvrages en anglais et en arabe, langues dominantes du pays (et même dans la cour de récréation).
P.M. : C’est le lieu central de l’école, l’espace accueille tous les élèves de deux ans et demi à 18 ans. C’est un grand espace, clair et agréable. Les adultes (parents, responsables, professeurs…) viennent aussi emprunter des livres pour leur usage personnel, le CDI fait aussi office de bibliothèque grand public pour les emprunts.
M.V. : Le CDI est commun aux deux sections. Nous abritons donc un fonds francophone et un fonds hellénophone, ainsi qu’un important fonds anglophone, le lycée proposant l’option internationale britannique (OIB). Beaucoup de nos élèves maîtrisent couramment l’anglais. Pour le fonds hellénophone, nous utilisons un logiciel de catalogage grec (lien sur e-sidoc). La signalétique est bilingue français-grec.
A.R. : Il y a beaucoup de singularités ! La plus importante pour moi est l’accueil simultané de collégiens et de lycéens. Il faut aménager un espace et proposer des règles adaptées à des élèves de 11 à 19 ans, acceptées par tous.
Ensuite, bien qu’issus de familles très à l’aise financièrement, nos élèves ont accès à peu de ressources en dehors du lycée. L’Internet mobile est bien développé mais rares sont ceux qui ont un accès à Internet avec un débit correct sur un ordinateur. Les rares librairies sont très mal achalandées et les livres y sont chers. Le CDI est donc indispensable pour le travail scolaire, mais c’est aussi une bouffée d’air pour les élèves, qui dévorent tous les livres mis à leur disposition. Nous battons tous les records de prêts ! Ces conditions particulières orientent la politique d’acquisition. Je n’hésite pas à acheter beaucoup de mangas et de romans jeunesse, car je sais que les élèves ne les trouveront pas ailleurs.
Autre contrainte, l’humidité pendant la saison des pluies ou la poussière en période d’harmattan font que les livres s’abîment très vite et qu’il faut renouveler souvent le fonds.
Faute d’approvisionnement local, les commandes se font une fois par an, en mars, et arrivent par bateau en container pendant l’été. C’est une forte contrainte, à laquelle j’ai eu du mal à m’adapter. J’ai ainsi passé un an en poste avant de recevoir mes premières commandes. C’est difficile d’être réactif en fonction des projets et des envies des élèves. Quand un élève me demande la suite de son manga préféré, je dois toujours lui répondre qu’il devra attendre jusqu’à la rentrée prochaine. Par contre, l’achat du mobilier se fait sur place : tous les meubles du CDI sont en teck. Dessinés par la précédente documentaliste, ils ont été fabriqués par un menuisier du quartier.

Mathilde Vendé

Avez-vous des projets spécifiques ?

H.C. : Oui beaucoup ! un peu long de tout lister… Localement c’est avec le Louvre Abu Dhabi que j’essaie de développer le plus gros partenariat. Le fait d’être un lycée de l’étranger permet aussi d’attirer des « têtes d’affiche » comme Florence Aubenas qui vient en avril 2019. Je coordonne sa venue et son séjour aux Émirats.
N.D.R-H. : Le niveau des élèves étant élevé, on peut voir les choses en grand.
P.M. : Un club média.
M.V. : Chaque année, un important projet vidéo autour du Festival du Film Francophone d’Athènes, en partenariat avec l’Institut Français. Depuis l’année dernière, projet littéraire avec les premières L.
A.R. : Je participe cette année à une APP, action pédagogique pilote, qui vise à transformer le journal lycéen qui existe depuis quelques années en webradio (LA VOIX DU LYCÉEN). C’est un beau projet, emmené par une équipe d’élèves très motivés.
Ce projet permet de donner de la visibilité à d’autres plus modestes. Les échanges du club manga sont désormais enregistrés sous la forme d’une émission, Instant Manga, qui est diffusée sur la webradio.

Comment avez-vous « acclimaté » votre pédagogie ?

H.C. : Je fais de l’Éducation aux médias comme j’en faisais déjà en France. Pas de différence notable de pédagogie avec la France je pense.
N.D.R-H. : Lorsque le niveau des élèves est élevé, c’est plus simple.
P.M. : Nous nous adaptons au travail des professeurs, la pédagogie est très française. Nous avons cependant un fonds important en langue du pays (portugais).
M.V. : En Bolivie, j’ai beaucoup observé les collègues dans leurs classes pour voir quoi proposer aux petits. En Grèce, plus simple car c’est le même cadre qu’en France. Avec les 6e, lors des séances de présentation du CDI, je suis amenée à jongler entre les deux langues pour expliquer les classements des deux fonds.
A.R. : Comme je l’ai dit précédemment, c’est plus au niveau des acquisitions et des règles de fonctionnement que je me suis adaptée. Ce qui est sûr, c’est que le climat scolaire est ici très apaisé. Les élèves sont calmes, très respectueux. Il est très rare que nous ayons à lever la voix et encore plus à prononcer une sanction. C’est plutôt au retour que je devrais « réacclimater » ma pédagogie !

La politique locale a-t-elle des incidences sur le lycée ou le CDI ?

H.C. : Oui il y a des cours d’arabe et d’éducation islamique pour les musulmans, pendant le Ramadan on change les horaires de cours, les élèves peuvent venir voilées… tout cela se passe dans un climat très serein et de tolérance, d’acceptation des façons de vivre de chacun.
A.R. : Quand je suis arrivée en septembre 2017, la situation au Togo était très tendue. Il y avait des manifestations réclamant le départ du président plusieurs fois par semaine. Ces jours-là, l’ambassade envoyait aux ressortissants français des consignes de sécurité du type « évitez les déplacements et les rassemblements ». Pourtant, même au plus fort des troubles le lycée n’a jamais été fermé. Nous venions travailler, mais n’avions que très peu d’élèves.
De manière générale, la politique locale est taboue au lycée. Nous avons pour consigne de ne pas l’aborder dans le journal scolaire. Quand nous avons voulu signer un partenariat avec une radio locale, le proviseur s’est inquiété du positionnement de cette antenne. Travailler avec une radio connue pour son opposition au régime en place aurait été impossible.

Quelles sont les difficultés matérielles que vous rencontrez (commande de livres, abonnements, mobilier…) ?

H.C. : Une seule librairie francophone pour tous les Émirats, donc frustration de ne pouvoir feuilleter et avoir des partenariats avec des libraires. Les délais de livraison font qu’il est parfois difficile d’être réactif quand on a besoin d’un livre en urgence. Des colis qui peuvent rester bloqués en douane… le système postal ici n’est pas très au point.
N.D.R-H. : Les commandes, ça reste un point noir. Les délais de livraison sont longs, les marchandises peuvent rester bloquées au port, on ne reçoit pas tout, pas en même temps. Sur place, on ne trouve pas tout ce dont on aurait besoin, on est contraint de commander en France et de prendre notre mal en patience quand ça n’est pas refusé car au final trop onéreux…
Nous n’avons pas beaucoup de librairies, peu de choix dans les BD et même, en général. Il est impossible de satisfaire un besoin ou une demande dans des délais raisonnables. Pour pallier cela, nous avons acquis des liseuses et une tablette (pour lire les BD).
P.M. : Les livres qui viennent de France sont très chers (frais de port et de douane), nous ne faisons qu’une seule acquisition par an. Les magazines arrivent toujours avec un délai notoire.
M.V. : En Bolivie, tout était commandé en France. Il fallait donc anticiper plusieurs mois à l’avance (rétroplanning calculé en fonction des arrivées des bateaux au Chili !). En Grèce, c’est beaucoup plus simple, il y a plusieurs librairies francophones avec lesquelles nous travaillons. Pour les abonnements, nous passons par Unipresse. Pour les fournitures et le mobilier, nous commandons au maximum en Grèce (il nous arrive de faire fabriquer) mais nous nous approvisionnons également en France.

Quelles sont les obligations que vous n’auriez pas en France ?

H.C. : Les hymnes chaque matin, l’engagement de promouvoir une bonne image de la France, le respect des règles locales.
P.M. : Le prêt des manuels scolaire pour tout le secondaire et le prêt de série de livres étudiés en classe pour le primaire et le secondaire. Cela prend beaucoup de temps et de place.
M.V. : Il ne s’agit pas d’obligations à proprement parler mais nous sommes parfois amenés à venir au lycée le week-end pour des projets spécifiques ou des événements.
A.R. : Lors de notre recrutement en tant que résident, nous recevons une lettre de mission dans laquelle l’AEFE insiste fortement sur notre devoir de réserve. Nous ne devons pas afficher publiquement notre avis sur la politique locale. Nous devons prendre garde à ne pas diffuser une image négative de la France par nos propos, par notre tenue ou nos activités.

Êtes-vous obligée de revenir travailler en France, au bout d’un certain nombre d’années ?

H.C. : Contrat de 3 ans renouvelables sur demande et avec accord de la direction, de l’AEFE et de l’académie d’origine. Une nouvelle circulaire a laissé entendre récemment que les affectations à l’étranger seraient désormais limitées dans le temps. À suivre…
N.D.R-H. : Tant que je reste dans ce pays, non ; à moins que le renouvellement de mon détachement me soit refusé. Par contre, cette année, de nouvelles dispositions ont été prises pour les nouveaux contrats. Celles-ci limitent le nombre d’années passées à l’étranger.
P.M. : Non car je suis en contrat local.
M.V. : Difficile à dire actuellement mais c’est probable. L’AEFE fait l’objet d’un projet de réforme qui sera présenté d’ici peu au gouvernement. Une circulaire est déjà parue. Elle fait état d’un changement du statut de résident : le droit au détachement sera désormais limité à 6 ans (2 x 3 ans).
A.R. : J’ai signé pour trois ans, avec la possibilité de renouveler mon détachement autant de fois que souhaité. Nous avons ici des collègues résidents qui sont installés depuis une quinzaine d’années. Cependant les règles sont en train de changer et il semblerait que l’on soit désormais obligé de rentrer au bout de 6 ans.

Nina Da Rocha-Huard

Quels liens avez-vous avec les autres documentalistes du pays ou de la région ?

H.C. : Essentiellement par mail. Beaucoup de turn-over, de personnes affectées là pour un an, sans qualification, sans formation. Peu de projets communs ou de moyens de se voir
P.M. : Grâce aux formations nous nous connaissons et sommes en contact par divers moyens, en l’occurrence mail et WhatsApp. Nous nous rendons beaucoup service, cela est très précieux.
M.V. : Au sein de l’établissement, nous travaillons étroitement avec la collègue qui s’occupe de la BCD. Nous sommes en lien avec l’équipe de la médiathèque de l’Institut Français et l’équipe de la Bibliothèque Nationale.
A.R. : Le Lycée Français de Lomé est le seul établissement conventionné AEFE au Togo. Il y a des établissements privés qui suivent le programme français qui se mettent à ouvrir des bibliothèques avec un personnel dédié, en s’inspirant du fonctionnement des CDI et des missions des professeurs documentalistes. Il n’y a pas à ma connaissance d’autre professeur documentaliste titulaire du CAPES dans la sous-région. Je crois que la plus proche se trouve au Gabon. Autant dire que les réunions de bassin où nous pouvions échanger sur des problématiques communes me manquent et que les échanges par mail ou whatsapp avec les anciennes collègues en poste en France sont bienvenus !

Avez-vous accès à des formations ?

H.C. : Oui, formations organisées par l’AEFE dans la zone. Mais peu de choses en documentation, parfois peu adaptées à la réalité du terrain, et pas beaucoup de places donc pas sûre de les obtenir. Quelques formations organisées par l’Institut français ou l’Alliance française.
N.D.R-H. : Oui, elles peuvent être internes à l’établissement ou être organisées dans la zone géographique et nous permettre ainsi de découvrir d’autres pays et établissements.
P.M. : Oui de la DGESCO et de l’AEFE. Nous sommes gâtés.
M.V. : Oui, stages de formation continue organisés par l’AEFE dans chaque zone et formations internes au sein des établissements.
A.R. : L’AEFE propose un plan de formation mais ces deux dernières années, il n’y avait rien de spécifiquement dédié aux professeurs documentalistes dans la sous-région. J’ai cependant été retenue pour un stage en FLE qui aura lieu à Lomé, car je suis en charge des élèves allophones du lycée. Ceci est différent pour les professeurs des autres disciplines qui partent régulièrement dans les pays voisins pour des regroupements et qui à leur retour proposent des restitutions de stage.

Si c’était à refaire ?

H.C. : Sans hésiter !
N.D.R-H. : Je le referai
P.M. : Oui, toujours !
M.V. : Mille fois oui !!!
A.R. : C’est une expérience très riche professionnellement. Je ne pense pas retrouver en France un tel enthousiasme de la part des élèves, qui se pressent pour participer à toutes les activités proposées. Le CDI ne désemplit pas et pourtant il y règne toujours une ambiance sereine. Il y a aussi une forte émulation entre collègues enseignants, tous sont motivés et dynamiques. En contrepartie, le travail prend beaucoup de place et on vit dans un milieu très fermé, un peu étouffant. Si je demande ma réintégration, ce ne sera pas pour les conditions de travail – même si les disparités de statuts et de salaires sont pour moi le gros point noir du lycée français – mais parce que le contexte local, entre tensions politiques, pollution, circulation chaotique et climat caniculaire, est éprouvant, et parce que l’automne et le printemps me manquent !

 

Rendez-vous avec la lune

Alors que l’on s’apprête à célébrer les 50 ans des premiers pas de l’Homme sur la lune (le 21 juillet 1969 par Neil Amstrong), c’est l’occasion de s’intéresser à cet astre, un sujet très riche qui offre des pistes de travail aussi bien en sciences qu’en arts, en Histoire ou en littérature. Objet d’attirance et de fascination depuis l’aube de l’humanité, voici une tentative de cartographier sous ses multiples facettes ce territoire fertile en ressources, où l’information documentation mais aussi l’Éducation aux Médias et à l’Information ont une place majeure à tenir.
Dans toutes les cultures, à toutes les époques de l’humanité, nous observons avec crainte ou curiosité cet objet céleste, à la fois si proche de nous et pourtant inabordable, qui rythme nos nuits comme le soleil rythme nos jours. De nombreuses histoires mythologiques ont pour sujet la reine de la nuit. On lui associe un dieu ou une déesse, on lui rend un culte. Ainsi, chez les Grecs, la lune était représentée par trois déesses selon ses phases : Artémis pour la lune croissante, Séléné pour la pleine lune et Hécate pour la lune noire, incarnant respectivement la naissance, la maturité et la mort. On retrouve le culte de la lune chez les Phéniciens (Astarté), les Sumériens (Sin) ou encore chez les Inuits (Igaluk), ou les Japonais, les Égyptiens…
D’élément naturel déifié, la lune est devenue progressivement objet littéraire, et les récits de voyages imaginaires vers ce corps céleste, mais aussi les contes philosophiques, les poèmes, les romans fantastiques, etc., se sont multipliés : Cyrano de Bergerac, Camille Flammarion, Edgar Allan Poe, Verlaine, Alexandre Dumas, H.G Wells, Baudelaire, Jules Verne, Hergé… pour ne citer que les plus célèbres.
Ce rêve a été, siècle après siècle, alimenté par les découvertes scientifiques successives : Thalès, 600 ans avant J.-C. s’interrogeait déjà sur sa luminosité. Ptolémée publia un catalogue d’étoiles au IIe siècle, un inventaire poursuivi encore aujourd’hui. Puis Copernic bouleversa la science en mettant le soleil au centre de notre système. Autre astronome de génie, Galilée perfectionna la longue-vue pour étudier la lune, et démontra – au péril de sa vie – que celle-ci était un satellite de la Terre, et que cette dernière tournait autour du soleil immobile. La liste est trop longue pour que l’on puisse citer tous les hommes et femmes ayant observé la lune, travaillé sur ce sujet et participé à cette aventure extraordinaire qui a mené les hommes jusqu’à ce fameux 21 juillet 1969 et ce « bond de géant pour l‘humanité ».
Mais peut-être est-ce l’inverse, la littérature et la poésie qui sont au fondement de la curiosité scientifique. Ainsi, on raconte que la lecture du roman De la Terre à la Lune de Jules Verne par un jeune savant russe du nom de Constantin Tsiolkovski (1857-1935) le marqua si fort qu’il se passionna pour l’astronautique : ses travaux furent à l’origine de la première fusée lancée en 1926 ! Et combien de vocations ont-elles été déclenchées par la lecture des célèbres aventures de Tintin : Objectif Lune et On a marché sur la Lune de Hergé ?
Objet de fascination universelle, la lune multiplie à l’envi les possibles imaginaires, artistiques, scientifiques et techniques, mais pas seulement : la philosophie (les limites de l’Homme, la satire de la société à travers les contes et les utopies) ou la politique et l’Histoire (de la Guerre froide à la « Guerre des Étoiles » de Reagan) peuvent s’inviter elles aussi à ce banquet sous le signe de Séléné.

De la Terre à la Lune, Jules Verne

Pistes pédagogiques

La thématique de la lune est idéale pour la construction d’un projet en interdisciplinarité tant elle est riche.

• Avec les professeurs de Français, d’arts plastiques ou de sciences, on pourra envisager un travail sur les caractéristiques de la lune : distance, aspect, rythme calendaire, influence sur la nature.
En information documentation, on proposera la recherche de textes et la réalisation d’une anthologie littéraire ou poétique (sur support numérique, par exemple) qui pourra s’accompagner de réalisations plastiques, de cartographies imaginaires ou de portraits d’habitants de la lune…

• On pourra aussi construire un projet autour de l’œuvre de Jules Verne, en y associant les Lettres, les sciences et les arts plastiques : on proposera un travail sur les illustrations de l’œuvre de J. Verne et une comparaison avec des images de la réalité (notamment des illustrations des fusées mais aussi des caractéristiques de la lune). Une activité qui pourra se réaliser à partir d’autres récits de voyages vers la Lune en littérature ou au cinéma (voir encadré Ressources).

• D’autres pistes sont possibles autour des mythologies avec un travail de recherche documentaire.

• En 3e et au lycée, l’aspect politique de la conquête spatiale (Guerre froide, propagande) donne une ouverture intéressante sur l’EMI avec les controverses liées à la conquête spatiale (de la théorie selon laquelle l’homme n’a jamais marché sur la lune au faux selfie de Thomas Pesquet dans l‘espace).

Repères pédagogiques

Collège

6e – EIST : le système solaire.
6e – Français : les mythologies.
5e – Physique-Chimie : la lumière (optique) ; les phases de la Lune
Cycle 4 – Français : se chercher, se construire ; Le voyage et l’aventure : pourquoi aller vers l’inconnu (utopies, romans d’anticipation des xviie et xixe s., bandes dessinées, films, etc.).
4e – Français : regarder le monde, inventer des mondes (récits fantastiques) / Agir sur le monde (Informer, s’informer, déformer ?)
3e – Français : Progrès et rêves scientifiques – explorer l’inconnu
3e – Histoire : thème 2, le monde depuis 1945. Un monde bipolaire au temps de la Guerre
3e – Mathématique : trigonométrie.
Enseignement transversal de l’EMI au collège comme au lycée : construction de l’information (recherches documentaires, étude des controverses, fiabilité des sources, etc.).

Lycée général et technique

Histoire : la guerre au xxe siècle (Guerre froide, relations internationales).
2de – Physique-chimie / SVT : l’univers, le système solaire / la terre dans l’univers (mesures et représentation, géométrie dans l’espace…).
1re techno – Français : éducation aux médias
1re, Tle S – Mathématique : trigonométrie, géométrie dans l’espace, angles.

Lycée professionnel

2de – Français : les médias disent-ils la vérité ?
1re – Français : du côté de l’imaginaire (registre fantastique) / l’Homme face aux avancées scientifiques et techniques : enthousiasmes et interrogations.
Tle – Histoire : les États-Unis et le monde.

Private moon, Leonid Tishkov 2003 – 2017 © Leonid Tishkov

Musées – Expositions

Au Grand Palais, à Paris, La Lune, du voyage réel aux voyages imaginaires, du 3 avril 2019 au 22 juillet 2019  https://www.grandpalais.fr/fr/evenement/la-lune [consulté le 30/03/19]

« LUNE : ÉPISODE II » : nouvelle exposition dès le 20 avril 2019 à la cité de l’espace, Toulouse.  https://www.cite-espace.com/communiques-presse/2019-annee-lune/ [consulté le 30/03/19]

Au Palais de la découverte à Paris, visiter les salles permanentes d’astronomie et d’astrophysique  http://www.palais-decouverte.fr/fr/au-programme/expositions-permanentes/toutes-les-salles/salles-dastronomie-et-dastrophysique/visite-libre/ [consulté le 30/03/19]

Au musée des Confluences, à Lyon, l’exposition permanente : Origine, les récits du monde avec une présentation des outils d’observation des astres, une maquette du Spoutnik 2, etc.  www.museedesconfluences.fr/fr/node/351 [consulté le 03/04/19]

Expositions virtuelles

Ciel et terre – BNF – 1999
http://expositions.bnf.fr/ciel/index2.htm [consulté le 30/03/2019]

Astronomie : Ces instruments qui ont permis de comprendre l’univers – le CNAM
https://artsandculture.google.com/exhibit/6gJCYv6jIzbsIA [consulté le 30/03/2019]

Figura pro nomenclatura et libratione lunari, Giovanni Battista Riccioli, 1651 © BnF

Dossiers

Le Voyage dans la lune, Georges Mélies, 1902 : fiche pédagogique sur France TV.fr (2018)
 https://education.francetv.fr/matiere/arts-visuels/quatrieme/article/le-voyage-dans-la-lune-de-melies-film-cle-d-une-oeuvre-prolifique [consulté le 30/03/19]

Dossier d’accompagnement pédagogique autour du documentaire de William Karel Opération Lune.
 www.ac-strasbourg.fr/fileadmin/pedagogie
/clemi/semaine_de_la_presse/DAP_Ope__ration_Lune_Clemi_Strasbourg.2018__1_.pdf [consulté le 30/03/19]

Critique et analyse du documentaire de Théo Kamecke Moonwalk One, par Benjamin Genissel, photographe et réalisateur, auteur de « le blog documentaire »
 http://leblogdocumentaire.fr/2014/12/10/moonwalk-one-le-documentaire-de-theo-kamecke-en-dvd [consulté le 30/03/19]

Analyse du film : « Moonwalk One, 1972 : la propagande mise à nu » par Jean-Jacques Delfour, professeur agrégé de philosophie  https://blog.culture31.com/2014/09/10/moonwalk-one-1972-la-propagande-mise-a-nu/ [consulté le 30/03/19]

Faux selfie de Thomas Pesquet
 www.clemi.fr/fr/ressources/nos-ressources-pedagogiques/ressources-pedagogiques/laffaire-du-faux-selfie-de-thomas-pesquet.html [consulté le 30/03/19]

Outils

Animation : les phases de la Lune
 www.pccl.fr/physique_chimie_college_lycee/cinquieme/optique/phases_lune.htm [consulté le 30/03/19]

Affiches

Expositions de l’Association Française d’Astronomie (AFA) : Ciel, miroir des cultures ; Reflets du ciel ; Mémoires d’autres mondes
 www.afastronomie.fr/expositions [consultéle 30/03/19]

 

Le Paysage bleu, Marc Chagall, 1949 © VG Bild-Kunst / Artothek / Adagp

 

 

Nouveaux programmes du lycée : où sont les profs docs ?

Des programmes au goût doux amer

La fabrique des programmes scolaires est une affaire de va-et-vient entre deux entités du Ministère de l’Éducation nationale : le Conseil Supérieur des programmes (CSP), chargé de constituer des groupes d’expert.e.s qui rédigent des projets de programmes, et la DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire), signataire finale des textes avant parution au Journal Officiel. Le calendrier extrêmement dense imposé par le Ministère de l’Éducation nationale n’a pas été sans conséquence sur la consultation et l’analyse proposée par l’A.P.D.E.N. Retour sur dix-huit mois de marathon.
Le 14 février 2018, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, annonce une réforme du baccalauréat et du lycée général et technologique et saisit le CSP le 28 février pour l’élaboration des nouveaux programmes et des nouvelles modalités d’évaluation des élèves. En amont, dès le printemps 2018, les syndicats et organisations professionnelles, dont l’A.P.D.E.N., sont auditionnés afin de faire un point sur les programmes existants et les perspectives que pourraient ouvrir les programmes à venir. En juin 2018, une délégation composée de membres du Bureau national et de représentants du GRCDI est reçue par Mme Ayada, présidente du CSP1. Par la suite, les groupes d’expert.e.s (GEPP) remettent leurs travaux au CSP entre septembre et octobre 2018. Les projets de programmes pour les niveaux seconde et première sont examinés par le CSP, puis soumis par la DGESCO à une consultation nationale. L’A.P.D.E.N. est alors sollicitée : selon un calendrier très contraint, le Bureau national y répond sous la forme d’une contribution écrite2. L’association y estime que les projets présentés organisent un transfert inadmissible et incompréhensible des contenus spécifiques de l’information-documentation vers les disciplines instituées, et n’admettent parallèlement qu’un rôle facultatif et auxiliaire des professeur.e.s documentalistes dans les champs couverts par l’EMI, sans jamais asseoir pleinement leur mission d’enseignement. D’autre part, ils sont également loin de donner aux professeur.e.s documentalistes toute leur place dans le champ du développement de la culture et de l’éducation artistique et culturelle, et omettent bien trop souvent de positionner le CDI comme « lieu de formation, de lecture, de culture et d’accès à l’information », principal espace de ressources dont disposent les élèves pour les situations et apprentissages envisagés.
Force est de constater que ces objections n’ont pas été entendues. Le constat est amer à la lecture des programmes définitifs, qui ont bien peu évolué par rapport à la version précédente. Les modalités d’élaboration institutionnelles n’ont pas permis de penser sereinement les contenus, dans un contexte où le Bureau national déplore toujours le refus de l’IGEN de mettre en place un groupe de travail sur les contenus d’un enseignement en information-documentation3, pourtant institué par la circulaire de missions.

Quid du lieu CDI ?

De manière générale, le rôle du CDI est à peine évoqué dans les programmes, alors même qu’il constitue le premier, voire le seul centre de ressources accessible pour les lycéens, et que les situations pédagogiques dans lesquelles il devrait être mobilisé sont par ailleurs nombreuses. Au-delà de ces « oublis » incompréhensibles, lorsque ce « lieu de formation, de lecture, de culture et d’accès à l’information » essentiel est effectivement inscrit, c’est souvent d’une façon qui évacue totalement le rôle et la responsabilité du.de la professeur.e documentaliste. Le programme de l’enseignement de spécialité d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques prévoit que les élèves aient « l’opportunité de réaliser des fiches de lecture sur des ouvrages relatifs aux thèmes étudiés et d’élaborer des projets qui les invitent à se documenter (…) ». L’évocation des ressources du CDI aurait ici été pertinente. Il en va d’ailleurs de même pour la spécialité humanités, littérature et philosophie. Quant au programme de mathématiques, il désigne le CDI comme un lieu où les élèves peuvent avoir un accès aux logiciels spécifiques dans l’établissement, à l’équivalence d’une simple salle informatique.
Enfin, le programme de langues vivantes cite le CDI en lui substituant une terminologie impropre ne relevant d’aucune disposition réglementaire : « certains scénarios peuvent faire l’objet d’une diffusion dans le cadre du lycée par l’intermédiaire du journal et/ou de la radio, du Centre de connaissances et de culture (3C, anciennement CDI), de l’Environnement numérique de travail (ENT), du site internet de l’établissement ». La circulaire de missions des professeur.e.s documentalistes4 entérinant pourtant sans ambiguïté le terme CDI, cette mention ne peut que laisser perplexe…

Quelle place pour l’ouverture culturelle ?

La mission du.de la professeur.e documentaliste en matière d’éducation culturelle et de développement de la lecture est souvent éludée, alors que notre circulaire de missions nous enjoint à contribuer à « l’éducation culturelle, sociale et citoyenne de l’élève » et à développer « l’intérêt pour la lecture ». Or la place du.de la professeur.e documentaliste dans les programmes littéraires et artistiques est très marginale. Dans la mesure où une majorité des programmes relevant du PEAC présente de surcroît des propositions intégrant tout à la fois les approches culturelle et documentaire, avec la mise en œuvre de supports de collecte, de production et d’organisation d’une documentation personnelle par les élèves, de type portfolio ou carnet de bord, cette lacune est doublement incompréhensible.

Dans le domaine de la littérature et du développement de la lecture

Le programme de français de seconde incite à développer le « plaisir de la littérature », et à favoriser « une pratique intensive de toutes les formes, scolaires et personnelles, de la lecture littéraire ». Absente du projet de programmes, la mention explicite de la collaboration avec le.la professeur.e documentaliste sur cette question a été ajoutée dans la version définitive : « La participation à des actions autour de la lecture, en lien avec les professeurs documentalistes, est favorisée ». La mise en valeur et l’exploitation du fonds du centre de ressources ne sont, en revanche, pas évoquées.
Le programme de langues vivantes encourage dès la classe de seconde « la lecture suivie en dehors de la classe », l’élève devant « lire pour son plaisir de façon très autonome ». Le programme de la spécialité littérature, langue et culture étrangère insiste également sur le goût de la lecture en langue vivante. Mais il n’est, là non plus, pas question de travail en lien avec le.la professeur.e documentaliste, qui peut pourtant mettre en place une valorisation du fonds linguistique, et notamment des périodiques en langues étrangères.

Dans le domaine de l’éducation culturelle et artistique

L’absence du.de la professeur.e documentaliste est encore plus criante dans le domaine de l’éducation culturelle et artistique. Seuls les programmes des enseignements optionnels d’histoire des arts de seconde et première évoquent son rôle dans le chapitre « Situations et repères pour l’enseignement » : « Avec l’aide des professeurs documentalistes, les élèves sont invités à exploiter les ressources documentaires disponibles, en particulier celles offertes par les technologies de l’information et de la communication. Ils sont initiés à l’identification, à la critique et à la hiérarchisation des sources documentaires. » Le CDI est, quant à lui, cité dans les programmes de théâtre en seconde et première, au chapitre sur les « Compétences méthodologiques » : « L’élève est capable : de mener une recherche documentaire au CDI ou sur Internet » pour la seconde, et « L’élève est capable de mener une recherche documentaire au CDI ou sur internet, et de la présenter de manière organisée, sous la forme de son choix, à la classe » en première.

Quelle place pour les savoirs info-documentaires ?

L’injonction à « form[er] tous les élèves à l’information documentation et contribu[er] à leur formation en matière d’éducation aux médias et à l’information » est donnée aux professeur.e.s documentalistes à travers deux textes de cadrage : le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation et la circulaire de missions. L’action pédagogique des professeur.e.s documentalistes y trouve un appui et une justification institutionnels. L’A.P.D.E.N., lors de la consultation du CSP en octobre 2018, avait mis en avant cette mission pédagogique à laquelle le ministère fixe pour objectifs de « conforter l’acquisition par chaque élève de la culture de l’information nécessaire à la vie en société et à la compréhension du monde, de développer l’autonomie et l’esprit critique de l’élève dans sa recherche et sa production documentaires et informationnelles et de développer des notions complexes au sein de parcours de formation spécifiques ».5
Les programmes du nouveau lycée général et technologique apportent-ils les éléments épistémologiques et les leviers pédagogiques et institutionnels nécessaires à la mise en œuvre effective de la formation de tous les élèves ?

L’esprit critique : esprit, es-tu là ?
De l’incantation magique à la formation effective des élèves

Tous les programmes de seconde insistent, en préambule, sur la nécessité de développer l’esprit critique de nos élèves. Ainsi, par exemple, l’enseignement du français vise à « approfondir et exercer le jugement et l’esprit critique des élèves (…) » ; l’EMC « contribue à forger leur sens critique et à adopter un comportement éthique » ; en EPS, l’élève « accroît ses capacités de raisonnement et son esprit critique ». Cette question sociale et civique intéresse, parmi tou.te.s ses collègues, le.la professeur.e documentaliste, qui problématise ce sujet sous l’angle de l’accès à l’information et de la confrontation de la source.
Dans un effet de balancier inverse, le questionnement de la source a été abandonné dans la version finale du programme d’histoire en seconde ; il est toutefois maintenu dans le programme d’EMC, qui y accorde une réelle importance. Les compétences en jeu, du point de vue de la culture de l’information et des médias, ne sont pas explicitées dans les attendus disciplinaires. Il est donc permis de voir dans cette formule totémique une nouvelle occasion manquée d’asseoir l’apport pédagogique des professeur.e.s documentalistes, dans leur champ spécifique de l’information-documentation comme dans la dimension transversale de formation à la citoyenneté. Quand la société appelle de plus en plus fortement à faire le tri dans l’information accessible en questionnant les infox, ce constat se révèle tristement ironique. La crainte est forte de rester sur une conception procédurale, modélisante (mettre au point la « recette » pour déjouer le complotisme et la désinformation), sans faire le pont avec ce qui doit, selon nous, impérativement précéder et chapeauter la formation de l’élève : travailler sur la source, la production et la diffusion de l’information, sous les aspects technique, juridique, social, économique, le tout dans une logique de progression impliquant un contact régulier, tout au long du parcours de l’élève, avec des productions informationnelles et médiatiques variées. Il s’agit bien là du cœur de notre mission pédagogique : la culture de l’information et des médias.
Dans la continuité de cette réflexion, nous pouvons nous interroger sur le devenir effectif, au lycée, de l’EMI qui, jusqu’alors présente uniquement dans les programmes d’EMC datant de 2015, fait son entrée officielle dans les programmes. Les concepteurs de ces derniers entérinent l’intégration de l’EMI dans la sphère de l’EMC : « L’éducation aux médias et à l’information, la formation du jugement ainsi que l’enseignement laïque des faits religieux entrent également dans son périmètre ». Si nombre de compétences relevant de l’EMI sont disséminées dans les programmes, cette « éducation à » est au final peu citée en tant que telle. On la retrouve dans les programmes de seconde de français, langues vivantes, SVT et management et gestion (enseignement optionnel) ; en première, elle n’est citée qu’en langues vivantes et SVT. La place de l’EMI n’est donc pas prépondérante dans les programmes du nouveau lycée. Si la contextualisation institutionnelle et les contenus afférents sont lisibles et compréhensibles pour les professeur.e.s documentalistes, qu’en sera-t-il des collègues des autres disciplines, mais également des chef.fe.s d’établissement ? Quelle place occupera l’EMI dans les formations que les académies mettront en place pour accompagner la réforme du lycée ? L’expérience du collège permet de poser le constat du peu d’engagement des collègues des autres disciplines dans cet enseignement transversal, ou a minima, de leur engagement à géométrie très variable en fonction des établissements, qui ne présage pas d’un meilleur avenir au lycée.

Des savoirs présents en creux : vers un transfert de nos compétences pédagogiques ?

Les savoirs adossés aux sciences de l’information et de la communication, champ scientifique de référence des professeur.e.s documentalistes, présentent de nombreuses occurrences, sans jamais être associés à la préconisation d’un co-enseignement articulant l’épistémologie de la discipline-support, et celle, spécifique, de l’information-documentation, cette dernière faisant de plus l’objet de nombreuses confusions avec l’EMI. De même, de nombreuses compétences et situations pédagogiques relevant de la recherche, de l’exploitation (sélection et évaluation), de la production et de la communication d’informations sont disséminées dans les programmes de disciplines aux épistémologies diverses, sans que soit mentionné le rattachement au champ d’expertise des professeur.e.s documentalistes, sans que soit même mentionnée la nécessaire collaboration avec ces dernier.e.s. Et, lorsque c’est le cas, la terminologie pour la définir cantonne in fine le.la professeur.e documentaliste à une posture d’accompagnement ou d’aide, par nature facultative. Ces constats s’appliquent également aux occurrences de l’EMI présentes dans les programmes, qui ne font apparaître la responsabilité et le rôle du.de la professeur.e documentaliste qu’en termes d’éventualité ou de possibilité, voire même l’omettent purement et simplement.

Des programmes qui intègrent l’enseignement de contenus de l’information-documentation… sans le.la professeur.e documentaliste

La lecture du préambule du programme d’EMC de seconde et première ne peut que nous interroger sur la prise en compte de notre rôle auprès des élèves : « Dans sa contribution à la construction du jugement, l’enseignement moral et civique permet la réflexion sur les sources utilisées (textes écrits, cartes, images, œuvres picturales, mises en scène théâtrales et chorégraphiques, productions cinématographiques, musiques et chansons, etc.), sur leur constitution comme document, sur leurs usages culturels, médiatiques et sociaux. L’enseignement moral et civique initie les élèves à la recherche documentaire et à ses méthodes (…) ». Qui donc permet « la réflexion sur les sources », qui « initie les élèves à la recherche documentaire… » ? La formulation est pour le moins équivoque. Nous identifions là des objectifs qui entrent dans le champ d’expertise des professeur.e.s documentalistes sans que nous y soyons explicitement nommé.e.s, et le texte porte immanquablement à interprétation : doit-on comprendre qu’étant dans son champ d’expertise, le.la professeur.e documentaliste est désigné.e pour cette « initiation » ou estime-t-on que tout.e professeur.e du secondaire prenant en charge l’EMC est en capacité de former les élèves dans ces domaines ?
Dans le programme de seconde en SVT, la réponse est claire : « les professeurs de SVT contribuent à l’éducation des élèves aux médias et à l’information par un travail régulier d’approche critique des informations » ; « une formation scientifique développe les compétences d’analyse critique pour permettre aux élèves de vérifier les sources d’information et leur légitimité, puis de distinguer les informations fiables. Ces démarches sont particulièrement importantes en SVT, qui font souvent l’objet de publications « pseudo-scientifiques », voire idéologiques ». Notons que ni le.la professeur.e documentaliste ni le CDI ne sont cités dans ce texte. De nombreuses compétences info-documentaires y sont pourtant attendues : « recenser, extraire, organiser et exploiter des informations à partir de documents en citant ses sources, à des fins de connaissance et pas seulement d’information », « conduire une recherche d’informations sur internet en lien avec une question ou un problème scientifique, en choisissant des mots-clés pertinents, et en évaluant la fiabilité des sources et la validité des résultats », etc.
Le programme de physique-chimie est plus économe en notions info-documentaires, mais précise tout de même en préambule qu’une des compétences développées dans le cadre de la démarche scientifique est de « rechercher et organiser l’information en lien avec la problématique étudiée ».
Le cas le plus emblématique de cet axe est en effet celui de l’enseignement obligatoire nouvellement créé en seconde, sciences numériques et technologie (SNT). Il s’agit là d’un enseignement ayant vocation à être pris en charge par tout.e enseignant.e, et non pas d’une nouvelle discipline. Difficile néanmoins de ne pas relever, dans le contexte de l’annonce toute récente de la création d’un CAPES, puis d’une agrégation d’informatique, une orientation éminemment axée sur l’aspect informatique du numérique, prémisse de l’enseignement de spécialité numérique et sciences informatiques (NSI). Cependant, une grande part du contenu de cet enseignement fait appel à une contextualisation de l’usage du numérique dans la société, de son impact sur les humains, en mobilisant des compétences ou des notions en information-documentation, déjà travaillées par les professeur.e.s documentalistes dans d’autres contextes pédagogiques. Ainsi le chapitre consacré aux réseaux sociaux recouvre-t-il en partie le champ du chapitre « Enjeux moraux et civiques de la société de l’information » abordé en EMC en classe de première, qui était l’occasion de nombreuses situations d’apprentissage investies par les professeur.e.s documentalistes. Le deuxième chapitre annuel porte quant à lui sur la question du web, du moteur de recherche et de son incidence sur l’accès à l’information. Le lien est ici parfaitement clair avec le cœur épistémologique de l’information-documentation, à tel point que des notions professionnelles telles que l’indexation et le SIGB en tant que base de données sont convoquées dans le programme. Tous les autres chapitres, en ce qu’ils appellent à placer l’élève dans une posture de recul critique vis-à-vis du numérique et de son impact sur la société, peuvent être une porte d’entrée pour que le.la professeur.e documentaliste construise des situations d’apprentissage propices au développement d’une culture de l’information et des médias par les élèves.
En première, le thème 4 la spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques, « S’informer : un regard critique sur les sources et modes de communication », représente une autre occasion importante, pour le.la professeur.e documentaliste, de développer des apprentissages info-documentaires avec les élèves. Il n’est hélas fait aucune mention d’une possible collaboration, alors même que le double objectif de ce thème est de permettre aux élèves de « saisir les enjeux de l’information » et de les amener à « réfléchir sur leur propre manière de s’informer, dans la continuité de l’éducation aux médias et à l’information », en s’appuyant sur « une culture relative aux médias ».

Des programmes qui intègrent l’EMI en omettant le rôle du.de la professeur.e documentaliste dans son enseignement, ou en le limitant à une aide méthodologique facultative.

C’est le cas notamment du programme de Langues vivantes, qui fait mention d’une « éventuelle aide des professeurs documentalistes » concernant l’usage du numérique et une « éducation appropriée aux médias ».

Des savoirs explicités, des collaborations encouragées : pain maigre de ces nouveaux programmes

Les rares mentions de collaborations possibles entre les enseignant.e.s de discipline et les professeur.e.s documentalistes se basent sur des situations pédagogiques de recherche d’information. Il y est à chaque fois question de collaboration, et non de co-enseignement. Il semble que les notions et compétences ressortant de la culture de l’information et des médias, acception plus large que la simple démarche de recherche, ne sont pas liées, dans l’esprit des concepteurs de programmes et de l’institution, au plein exercice de notre mission pédagogique. Ce diagnostic illustre pour l’association un chantier revendicatif essentiel qui n’a rien de nouveau, cheval de bataille pour dépasser cette représentation de notre métier restrictive basée essentiellement sur du procédural.
La spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques vise la compétence « Se documenter : l’écoute active en cours doit être complétée par l’acquisition de cette compétence fondamentale pour la réussite dans le supérieur. En classe de première, le travail de documentation est guidé par le(s) professeur(s) de la spécialité et le professeur documentaliste, qui accompagne méthodiquement l’élève dans sa recherche de sources ou d’information, y compris sur internet ».
Le texte du programme de français propose quelques formulations enjoignant à la collaboration avec le.la professeur.e documentaliste qui dépassent le lexique de la possibilité et de l’auxiliaire. Ainsi, parmi les finalités visées, notons « amener [les élèves] à adopter une attitude autonome et responsable, notamment en matière de recherche d’information et de documentation, en coopération avec le professeur documentaliste » ; dans l’objet d’étude « Le roman et le récit du xviiie siècle au xxie siècle » : « [l’enseignant de français] favorise le travail interdisciplinaire, par exemple avec les professeurs documentalistes ». Enfin, l’objet d’étude en classe de seconde « La littérature d’idées et la presse du xixe siècle au xxie siècle » fait le lien avec l’EMI, cette thématique étant déjà abordée en classe de quatrième. Regrettons cependant que la collaboration avec le.la professeur.e documentaliste ne soit pas ici mentionnée.
Dans l’attente des programmes de la classe de terminale, notamment au sujet du grand oral, il apparaît que de nombreuses pistes pédagogiques peuvent s’ouvrir devant nous, à défaut de références explicites aux contenus de l’information-documentation ou aux possibilités de collaboration avec nos collègues enseignant.e.s d’autres disciplines. Se pose toujours, à l’orée de ce nouveau temps institutionnel, la question matérielle : comment concilier engagement pédagogique, gestion du lieu, gestion du fonds documentaire, ouverture culturelle, en l’absence de moyens humains ? Pourrons-nous réellement enseigner à tou.te.s les élèves alors que, déjà en nombre insuffisant, le nombre de postes au CAPES est en forte diminution ? Aucune volonté politique ne semble, une fois de plus, prendre en considération le rôle de notre profession. Alors que la création du CAPES de documentation célèbre ses trente ans, l’A.P.D.E.N. n’est, malheureusement, pas au bout de ses efforts pour faire valoir les revendications de ses membres.

 

 

Veille numérique 2019 spéciale

Education : Santé et handicap

Dyspraxie à l’école

Le site Dyspraxitheca a pour but d’aider les élèves dyspraxiques (6 à 16 ans) en mettant en ligne de nombreuses ressources à destination des élèves et des professeurs. Leçons, exercices, fiches pratiques et ebooks sont accessibles gratuitement sur la plateforme après inscription. Soutenu par le programme erasmus+, Dyspraxitheca est multilingue (anglais, français, grec, portugais, italien).
https://www.dyspraxiatheca.eu/fr/

Education à la santé

La Ligue nationale contre le cancer a conçu le site Lig’Up pour la prévention et l’éducation à la santé des jeunes. Deux interfaces disponibles :
“Junior” qui propose une recherche par thème (Activité physique, Addiction, Alimentation, Bien-être, Environnement, Soleil) et support (Article, BD, Infographie, Jeu, Livret, Clap Santé, Vidéo).
“Communauté éducative” qui donne accès à des dossiers pédagogiques thématiques, des outils pour préparer des séquences, des exemples d’actions auxquelles il est possible de participer, des comités départementaux pour aider à l’animation des activités. L’inscription des enseignants est nécessaire au préalable.
https://lig-up.net/

Edition numérique

Un livre dans le tiroir par Kobo

Après le lancement du livre audio au printemps 2018, Rakuten Kobo diffuse depuis le 12 mars 2019 des émissions en podcast sur l’actualité littéraire et sur les auteurs autoédités sur sa plateforme Writing Life. Ces émissions intitulées Un livre dans le tiroir, disponibles sur Soundcloud, peuvent se dérouler lors d’événements auxquels la société Rakuten participe tel que le Salon du livre de Paris.

Wattpad se lance dans l’édition

L’application mobile collaborative de publication de récits mis en ligne sous forme de feuilleton vient de franchir le pas en annonçant la publication d’ouvrages entiers dès l’automne 2019. Principalement constitués de fanfictions, de romances et d’ouvrages fantastiques, les romans publiés seront, dans un premier temps, uniquement en anglais. Enfin, un logiciel basé sur le Deeplearning repèrera les histoires les plus prometteuses.

Piratage sur le web

Piratage de livres numériques

Selon l’Office de la propriété intellectuelle de Grande Bretagne, 17% des ebooks détenus par les consommateurs sont piratés, soit environ 4 millions d’ouvrages. Les raisons avancées par les lecteurs pour justifier ce choix sont très diverses : le coût, le fait que l’on ne possède rien de concret et que les auteurs ne perçoivent pas de droits sur les livres d’occasion, le désir de partage avec d’autres lecteurs, la prélecture sélective. Pour la Society of Authors « L’éducation, c’est la réglementation, c’est la clé ».

Etude Hadopi sur les sites pirates

Les plateformes illégales de biens culturels numériques n’ont cessé d’augmenter depuis l’étude de 2012. Une nouvelle étude “L’écosystème illicite de biens culturels dématérialisés. Les modèles techniques et économiques des sites ou service illégaux de streaming et de téléchargement de biens culturels” a été commandée à la société de conseil EY (Ernst & Young Advisory) et rendue publique en janvier 2019. Il en ressort que, dans le secteur du livre, les sites pirates proposent essentiellement des mangas et les consommateurs ont une préférence pour le téléchargement direct. Lien sur l’étude :

Objets connectés

Libre circulation des Drones aux USA

Actuellement, en France et aux Etats-Unis, une autorisation préalable pour chaque vol de drone est obligatoire. Le gouvernement fédéral américain vient de rendre public un dossier sur les vols de routine à très basse altitude de drones commerciaux au dessus des zones urbaines. Selon Elaine Chao, secrétaire d’Etat aux transports, le ciel américain sera ouvert avec une autorisation unique pour les vols réguliers de drones, à partir de 2020. Amazon, Google, Fedex, Uber et CNN, déjà présents dans l’espace aérien, attendaient avec impatience cette décision.

Les innovations techniques de l’année 2018 :

Tout d’abord l’arrivée du smartphone pliable qui se faisait attendre depuis plusieurs années et dont le prix est assez élevé et la robustesse peu convaincante. Les vidéoprojecteurs 4K, lesquels deviennent abordables pour le grand public grâce à la technologie de vibration de miroir. Les écrans des smartphones sans bord dont l’intérêt est très discutable. Les enceintes connectées dont l’efficacité n’est pas avérée en langue française.

 

Robots…

Demain, les robots auteurs

Les chercheurs de l’association OpenAI sont spécialisés dans le développement des intelligences artificielles pour la rédaction de textes littéraires ou journalistiques. La machine GPT-2, alimentée avec suffisamment de données, est capable de rédiger un article sur un sujet ou d’écrire la suite d’un roman. Afin que les résultats ne soient pas utilisés pour diffuser de fausses informations, seule une version restreinte de GPT-2 a été communiquée au public.

Les robots journalistes

Il existe dans la presse américaine des quake-bot qui rédigent des articles sur les résultats sportifs, le bulletin météo et même sur les tremblements de terre (Los Angeles Times). En France, Le Monde a utilisé un programme similaire afin de publier une page sur le résultat des élections pour chaque municipalité en 2015.

 

 

Des livres et vous

Il suffit de relire sa collection d’Intercdi pour mesurer combien la richesse du métier de professeur documentaliste réside dans sa diversité, sa pratique protéiforme, en perpétuelle adaptation. C’est, pour chaque lieu, une terre à modeler de son empreinte et l’on observe, selon chacun, la pousse de fleurs extrêmement variées ! Si l’on devait pourtant relever un point commun qui nous relie, tous, sans exception, rien ne serait plus aisé : l’amour du livre et l’envie, impérieuse, de sa transmission. Il suffit pour s’en rendre compte de suivre vos publications, que ce soit dans nos articles, sur vos blogs, les listes de modération, les réseaux sociaux… Votre créativité au service de l’accès à la lecture, aux documents, au fonds, est inépuisable ! Cet accès passe bien entendu avant tout, d’un point de vue pratique et tangible, par la gestion du lieu CDI.
C’est pourquoi, dans ce numéro, Intercdi a souhaité (ré)interroger ce qui pourrait apparaître comme la base immuable de notre pratique du métier : les notions de classement et de classification. Parce que si des règles largement admises existent pour structurer cette partie « gestionnaire », il semble toujours intéressant de se repencher sur leur motivation, voire de questionner leur pertinence à l’égard de l’évolution du métier, de la société. Dans son article « La retraite de Melvil », Nora Nagi-Amelin se fait ainsi la porte-parole de celles et ceux d’entre vous qui ont fait le choix de s’affranchir de la classique alternative « CDU ou Dewey », en expliquant sa décision d’opter pour un « classement par centre d’intérêt », plus communément connu sous l’expression anglaise Bookstore model puisqu’il s’inspire des techniques plus intuitives des libraires. Une prise de position forte, issue d’une réflexion aboutie qui permet à chacun, en accord ou en désaccord, peu importe, de se ressaisir de ses propres choix en pleine conscience !
Les diverses contributions de ce numéro vous permettront d’alimenter cette réflexion. Florie Delacroix nous propose à la fois sa note de lecture sur le livre d’Alberto Manguel, La Bibliothèque, la nuit, une Fiche Intercdi comparant les différents modes de classements et de classifications, et enfin une Ouverture culturelle sur les bibliothèques, réelles ou imaginaires. De quoi vous donner des clés pour affiner, en toute conscience, votre pratique professionnelle !
Les autres articles se chargeront de lui ouvrir des perspectives : le Thèmalire d’Hélène Zaremba invite ainsi à repenser la place des documentaires à l’ère d’Internet, le « Voyage en allophonie » de Corinne Paris nous montre comment la lecture se fait naturellement levier d’intégration, et « le cas Sikoryak » exploré par Agnès Deyzieux révèle comment le procédé littéraire, ici en bande dessinée, permet une plus grande compréhension du monde.

En un mot comme en mille :
lisez et faites lire ! Lire c’est vivre !

L’évolution de la recherche d’informations, de la « retrouvabilité » à la prédictibilité

Le type d’informations requises évolue. Ainsi, pendant des siècles, c’est le besoin d’accumuler qui prédomine avec la nécessité de ne plus perdre des savoirs anciens que les aléas de l’Histoire ont pu faire disparaître. Une logique qui bien sûr se retrouve souvent en porte-à-faux avec le dogme privilégiant la sélection des textes officiels. La « retrouvabilité » de l’information repose ainsi sur la nécessité d’une conservation des savoirs. Les compilateurs craignent des âges obscurs qui verraient la disparition des savoirs anciens et le temps passé à les redécouvrir. Cette logique est aussi celle de la célébration d’une Antiquité jugée supérieure, dont on déplore les textes perdus. Cependant, le passé est souvent chargé d’erreurs, notamment avec ces idola ou fausses connaissances anciennes dont il convient de se départir. C’est la prise de conscience progressive qu’il reste encore des savoirs à acquérir, et que, par conséquent, des domaines d’étude sont en construction et donc incomplets. Ces positions nouvelles émergent peu à peu, et notamment à partir de la Renaissance où les tabulae (tables des matières) s’accompagnent d’une volonté d’organiser les connaissances qui vont aboutir au projet encyclopédique de Diderot et d’Alembert et aux logiques classificatoires qui visent à ordonner les savoirs ainsi que les documents.

Invenire : du besoin de rechercher ce que l’on connaît déjà au besoin de trouver du nouveau

« On a vu que la notion d’inventio change avec Bacon : de recherche de ce que l’on savait déjà, elle se transforme en découverte de ce qu’on ne savait pas encore. Mais à ce compte, fouiller dans le répertoire du savoir revient à mettre sens dessus dessous un immense magasin dont on ne connaît pas encore l’extension, et à y chercher quelque chose non seulement pour l’utiliser pour ce qu’il est, mais aussi pour se livrer, d’une certaine manière, à une opération de bricolage et trouver de nouvelles possibilités de fusion, de rapport, d’emboîtement entre des choses qui, initialement ne présentaient aucun rapport de réciprocité. » (Eco, 2010, p. 65)
Dès lors, invenire désigne de plus en plus le fait de trouver quelque chose de nouveau, notamment une nouvelle relation, plutôt que de simplement retrouver l’information. En effet, jusque-là, c’était le besoin de la retrouver le plus rapidement possible qui dominait avec le statim invenire de la période médiévale, qui va notamment s’appuyer sur les tabulae et sur les index. L’importance de pouvoir retrouver l’information implique des dispositifs spécifiques. Il est possible de citer ici les travaux qui permettent notamment l’amélioration de la structure de la page du manuscrit, avec Hugues de Saint-Victor : ce dernier amorce un travail qui consiste à produire des manuscrits en tant qu’outils qui permettent une lecture studieuse. Son ouvrage, le Didalisco de studium legendi, a été notamment bien analysé par Ivan Illich.
Cette volonté de retrouvabilité de l’information va se manifester dans le besoin de disposer d’outils de recherche rapide, notamment au sein d’ouvrages régulièrement consultés et qui font figure de miroir de connaissances de l’époque. C’est le cas de la constitution d’index comme celui réalisé par l’équipe de moines de Jean Hautfuney sur le Speculum historiale de Vincent de Beauvais. Peu à peu l’essor de nouvelles logiques d’étude vont de pair avec la nécessité de mieux organiser les savoirs et les lieux de savoir.

De l’invenire à l’a-venir

L’évolution de la recherche d’information s’est faite petit à petit vers une anticipation du besoin d’information via des démarches de veille qui permettent de récupérer de l’information et de la catégoriser selon des caractéristiques précises au désir d’anticiper à l’avance quel sera le besoin d’information lui-même… parfois avant même qu’il ne soit exprimé !
Le processus d’automatisation couplé à des logiques prédictives permet d’envisager de nouvelles potentialités. On peut désormais imaginer des systèmes d’information qui vous donneraient des éléments du type « vous pourriez avoir besoin de ce document » ou « vous pourriez avoir besoin d’analyser cette thématique pour laquelle le système a déjà repéré plusieurs informations ». Pour que cela fonctionne, il faut confier au système un maximum de données. C’est en partie de cette manière que fonctionnent les moteurs de recherche qui, en tentant d’ajouter des critères, proposent une personnalisation des résultats en fonction de notre localisation, des requêtes précédentes et parfois en fonction des relations sociales déclarées. Si un de vos amis a consulté tel site ou s’il est le créateur de la ressource ou d’un signalement, cela peut s’avérer un signe positif à prendre en compte. Sur Google Scholar par exemple, un chercheur se voit mentionner les articles que le chercheur a lui-même cités.
Le réseau affinitaire s’étend le plus souvent par des systèmes de similarité ou simplement de co-occurrences. Si vous avez acheté tel produit, le système vous propose des produits qui sont le plus souvent achetés en même temps par d’autres clients, même chose pour les emprunts à la bibliothèque. Cette logique est associée aux produits consultés, mis de côté, sur des listes d’achats futurs, potentiels ou désirés. C’est justement la tension entre le like et le want, entre le fait d’aimer quelque chose et le désir d’achat. Amazon a développé toute une logistique sophistiquée qui permet d’anticiper les achats futurs de ses clients réguliers. Si parfois l’exagération consiste à faire croire que le panier d’achats existe déjà, il s’agit surtout d’un système de gestion de stocks afin que le produit soit prêt à être expédié en cas d’achat.
Au niveau informationnel, il s’agit de vous envoyer des informations ou des documents sans que vous n’ayez fait de suggestions particulières. Au début, on constate surtout des envois informationnels de type météo ou informations généralistes, mais l’objectif à terme est d’affiner cette perspective avec des propositions de plus en plus personnalisées grâce à des outils comme des agents intelligents évolués. Ce n’est donc plus de la sérendipité mais une anticipation informationnelle qui réside sur des systèmes automatisés et qui minimise les interventions humaines pour tenter de se rapprocher des habitudes de requêtes et de consultations.

Des systèmes qui supposent une maîtrise

Ces systèmes souvent exagérément qualifiés d’intelligence artificielle ou de système de deep learning fonctionnent sur l’agrégation de données avec des traitements statistiques et des méthodes de classification qui mêlent traitement automatique du langage et microtâches humaines pour tenter de fournir une information sélectionnée et personnalisée.
Cependant, au lieu d’assurer une information de qualité, ces systèmes peuvent également renforcer les effets de bulles de filtre et on finit par obtenir assurément l’information que l’on désire… à savoir celle qui conforte notre opinion, ce qui aboutit à un résultat inverse de celui désiré ! Au lieu de produire une augmentation par l’apport d’informations nouvelles qui pourraient se transformer en un savoir renouvelé, il s’agit surtout d’une réduction des capacités de réflexion. Les systèmes dits d’intelligence artificielle ont dès lors plus de chance de se nourrir de bêtise collective que d’intelligence collective s’il n’est pas possible pour l’individu de comprendre a minima comment fonctionne le dispositif afin de pouvoir le « hacker », c’est-à-dire d’en tirer véritablement la quintessence.
C’est la logique première des théories de l’augmentation qui recherchent des moyens pour aider l’homme à être plus performant dans son travail intellectuel. La mise à disposition de tels outils à des non-professionnels de l’information non formés aboutit non pas à une démocratisation, mais à une nouvelle forme de manipulation de l’esprit.
Une nouvelle fois, l’accès aux Lumières des lettrés du digital suppose un effort, une sortie hors de l’état de minorité à la fois technique et intellectuelle dans laquelle peuvent nous mener de tels systèmes, car l’individu se montre capable de les utiliser de manière intuitive via des interfaces aisées ou quasiment invisibles, mais incapables de pleinement les comprendre. Or, l’effort suppose une capacité à paramétrer le dispositif et à en comprendre les présupposés et les limites. Kant dirait que nos directeurs de conscience sont aussi humains que techniques désormais.
Si on comprend l’intérêt pour un chercheur ou un spécialiste d’un domaine, voire pour une organisation, de pouvoir anticiper des besoins informationnels précis et stratégiques, l’individu risque de produire un enfermement informationnel du même niveau que le spectateur de TF1 qui ne regarde plus que Jean-Pierre Pernaut.
Plusieurs pistes techniques peuvent être évoquées : celle du hasard (random), c’est-à-dire le signalement de ressources en dehors des sphères informationnelles traditionnellement consultées. Mais cela ne garantit en aucun cas son intelligibilité et sa lisibilité pour un individu qui peut en trouver le contenu trop difficile, ou trop en désaccord avec ses propres opinions.
Il est aussi possible d’envisager la piste de l’index ou de l’annuaire humain qui consisterait à valoriser les ressources dites fiables et à pénaliser les plus hasardeuses. Si ces systèmes sont en déclin depuis la disparition successive des annuaires de Yahoo et de Dmoz, un retour à la médiation humaine pose évidemment la question de la légitimité des référenceurs. Les pistes Decodex impulsées par Le Monde restent opportunes, mais nécessitent des logiques qui mêlent expertises et contre-pouvoirs sous peine de censure. C’est aussi le rappel que les signets sociaux furent un temps une piste opportune que les moteurs de recherche ont négligée ou ont tenté de réduire à un traitement statistique des likes et des plus.
Si ces systèmes de médiation humaine peuvent être critiqués, ils semblent plus souhaitables que ceux qui consistent à valoriser les contenus dits populaires qui émanent sur les réseaux sociaux, fonctionnant bien souvent sur le registre de l’émotion plutôt que sur celui de la raison.
Il reste bien évidemment l’enjeu essentiel de la formation à ces systèmes informationnels, ce qui signifie que l’éducation aux médias et à l’information est clairement une éducation aux dispositifs et à la question du medium.
Finalement, la question de la prédictibilité repose en grande partie sur l’étude de ce que l’on sait déjà, de la constitution de modèles ou patterns qu’on applique à une situation donnée, si bien que paradoxalement on finit toujours par rechercher ce que l’on savait déjà… alors qu’on espère toujours obtenir du nouveau. Or, le nouveau réside souvent dans ce qui est justement difficile à identifier. Le système idéal est alors celui qui détecte la petite fenêtre vers d’autres possibles, un monde de Was ist das ?

Un art du filtrage

Pour cela, il faut développer un art du filtrage comme le recommandait Umberto Eco*, qui consiste à opérer des sélections et donc à créer de l’oubli dans les dispositifs sous peine de ne plus pouvoir avoir l’esprit clair, car il y a trop d’éléments à mobiliser, un peu comme ces personnes qui possèdent une mémoire tellement importante qu’ils finissent par oublier, car ils ne parviennent plus à distinguer l’important dans la masse d’informations.
Alors que les outils mobilisés paraissent des instruments de mémoire puisqu’ils font le choix de tout collecter pour y greffer des patterns, il faut au contraire retrouver le moyen de produire de l’oubli de façon consciente plutôt que de déléguer cette opération. Paradoxalement, les outils finissent par faire oublier le coupable de l’histoire, l’auteur lui-même des sélections et des choix, lequel finit par oublier qu’il tourne en rond dans le même univers informationnel par sa propre incapacité à en sortir alors qu’il finira par accuser le système lui-même. Le système produit des narrateurs qui en oublient leur propre histoire. Or, il s’agit de devenir des Don Isidro Parodi, du nom du héros des nouvelles de Borges et de Casarès (publié sous le pseudonyme de H. Bustos Domecq) qui parvient à démêler le vrai du faux et à trouver les éléments essentiels dans des histoires pleines de détails dont il est impossible de percevoir quels sont ceux qui font sens à la fin :
« Don Isidro Parodi, de l’intérieur d’une prison, sans cesse à l’écoute des récits et des rapports de personnages extravagants et fort peu dignes de foi, finit toujours par venir à bout de l’énigme et s’il y parvient, c’est parce qu’il a considéré comme pertinente une certaine donnée dont parlait le récit. Si bien qu’à la fin, le lecteur est tenté de se demander pourquoi il n’a pas aussi gagné la partie, étant donné qu’il avait en main les mêmes cartes qu’Isidro Parodi. La malice de Borges tient au fait que les détails qui s’accumulent dans le récit sont très nombreux, et tous également emphatisés (où tous racontés à un degré zéro de l’emphase) ; il n’y avait donc aucune raison pour que le lecteur dût mémoriser le détail A plutôt que le détail B. De fait, il n’y a aucune raison non plus pour que le détail A dût être relevé comme pertinent par Don Isidro. Don Isidro est un monstre, et plus encore que Funes, car non seulement il n’oublie rien, mais à l’intérieur du flux mémoriel qui l’obsède, il parvient à faire ressortir l’unique chose qui compte en vue de la solution. Le texte borgésien, en faisant le récit d’un personnage qui se rappelle tout, nous parle en effet méta-narrativement d’un lecteur qui ne se rappelle rien, et d’un texte qui fait tout pour le pousser à oublier. » (Eco ; idem, p. 137)
Alors qu’il est tentant de penser que nous sommes entrés dans des périodes dystopiques qui puisent dans les nouvelles et séries de science-fiction avec des entités artificielles qui pourraient nous dominer, il est plus raisonnable de penser que nous ne sommes pas vraiment sortis des univers à la Borges, ce qui oblige à plus de modestie et à la nécessité de trouver un équilibre dans des labyrinthes informationnels et documentaires dont nous ne parvenons jamais à pleinement saisir la signification.

 

Voyage en « allophonie »

Eva, Analyn, Chang, Jasmine, Youssef, entrent en coup de vent dans le cdi, me disent les uns après les autres – souvent de manière tonitruante ! – « Bonjour Madame ! » et s’affalent sur les sièges, après avoir déposé leurs cartables à l’entrée. Certains vont chercher des poufs, d’autres s’éloignent vers les rayonnages pour jeter un coup d’œil, d’autres encore feuillettent les magazines. Les élèves d’UPE2A2 prennent chaque semaine possession du lieu. Ils s’y sentent à l’aise, grâce à la mise en place d’un rendez-vous hebdomadaire, intitulé « Club de Lecture ». Tous les jeudis, à la même heure, le CDI leur est réservé, quoiqu’il arrive. Cela leur permet dès les premières semaines de l’année d’avoir des repères, et nous savons combien ces enfants venus du monde entier, dans des conditions parfois difficiles, et ne maîtrisant pas ou peu la langue et la culture françaises, ainsi que les codes de l’école, en ont besoin. Ce rendez-vous est aussi pour eux une pause dans leur emploi du temps de collégiens, coincés derrière une table, faisant pendant de longues heures des efforts de concentration pour apprendre le français.
Dans ce lieu qui ne ressemble pas à une salle de classe, malgré la présence de quelques tables et de chaises, les élèves se sentent bien. En attendant que l’activité du jour se mette en place, ils bavardent gaiement. Des mots dans toutes les langues fusent, les échanges vont bon train. Cette année, nous avons des enfants de 18 nationalités (un record !) : chinoise, philippine, malienne, ghanéenne, algérienne, colombienne, russe, australienne, serbe, roumaine… Des petits groupes se forment, il y a des éclats de rire et il faut ramener le calme pour enfin démarrer le club lecture. On se met en cercle, on fait quelques rappels au règlement (enlever son bonnet, jeter son chewing-gum) et la séance peut commencer.

Dans le bain linguistique

Chaque semaine, je lis à voix haute une fiction choisie dans le fonds. Ce sont généralement des albums3, avec de belles illustrations, des albums pop-up qui soulèvent toujours l’admiration, des contes traditionnels ou encore des mythes. Par le biais de ces lectures, l’objectif est bien sûr de les plonger dans un bain linguistique, de leur donner des références culturelles et de leur faire fréquenter le plus possible les livres et le CDI.
Parfois, je lis d’une traite l’histoire, mais le plus souvent, je lis page à page, et même phrase à phrase, selon la difficulté du vocabulaire, ou en tenant compte du degré d’attention de mes auditeurs. Quand les chuchotements se multiplient, quand les yeux papillonnent dans l’espace, il est temps de faire une pause et de les faire participer : généralement, je leur demande ce qu’ils ont compris du passage que je viens de lire, ou encore je leur explique un mot ou une expression ; on s’attarde à chaque page sur l’illustration pour la décrire. Parfois, cela peut donner lieu à des comparaisons avec des artistes, et je vais chercher sur les étagères des monographies de peintres dont les illustrateurs se sont inspirés. Ma collègue de Français Langue étrangère (FLE) prend souvent la relève, mime une expression, explique, écrit le mot au tableau.
Quand l’agitation est trop grande, nous faisons jouer la scène par quelques élèves, ce qui provoque souvent de grands éclats de rire. Dans tous les cas, ce rendez-vous lecture doit rester un plaisir, nous ne leur demandons pas de noter le vocabulaire, nous ne faisons pas d’exercices sur l’album, nous ne les forçons pas à participer, et si certains en profitent pour faire la sieste (ce qui arrive presque à chaque fois !), nous ne les réveillons pas ! Bien sûr, l’attention demandée est parfois trop grande et la séance lecture est écourtée. Le temps restant sert aux élèves à déambuler (ou pas) dans le CDI pour emprunter des livres ou des revues.
Cette année, pour la première fois, j’ai tenté la lecture de Kamishibaï4 (« théâtre de papier » en japonais), via un petit théâtre en bois mobile appelé butaï. Le butaï comme le kamishibaï sont une tradition japonaise : des conteurs se rendent de marché en marché, de places publiques en fêtes pour narrer leurs histoires. Le kamishibaï est une histoire présentée sous forme de panneaux illustrés que l’on fait glisser les uns après les autres devant les spectateurs, tout en lisant le texte écrit au dos des panneaux. Le butaï s’apparente beaucoup dans sa forme au théâtre de marionnettes.
Cette lecture théâtralisée a eu beaucoup de succès auprès des élèves allophones, malgré les difficultés de compréhension. Leur attention est restée soutenue tout le temps de l’histoire contée (« Le Petit poisson d’or », conte traditionnel russe de Pouchkine).
Cette expérimentation avait un double objectif : d’une part, rendre la séance de fin d’année, avant les vacances de noël, un peu plus festive. D’autre part, leur présenter cette tradition car nous allons les faire participer à un concours de Kamishibaï5 plurilingue en 2019 : lors de séances supplémentaires au CDI, ils auront à construire une histoire en faisant appel à plusieurs langues (au minimum quatre en plus du Français) et à l’illustrer sous forme de panneaux de kamishibaï. Un projet qui va nous prendre plusieurs heures et qui va permettre le travail de multiples compétences fondamentales : comprendre, s’exprimer, argumenter à l’oral, écrire et lire, percevoir la logique interne de la langue française et des autres langues, s’exprimer à travers des activités artistiques, rechercher et traiter les informations. Mais aussi des compétences sociales et citoyennes : développer l’attention, l’écoute ; développer la confiance en soi ; coopérer avec ses pairs et mutualiser ses connaissances ; cultiver la prise de recul et le vivre-ensemble ; percevoir les différences et ressemblances culturelles et linguistiques ; appréhender la diversité avec curiosité et respect, etc.
Avec les UPE2A (excusez l’acronyme !), j’utilise aussi les albums sans texte. C’est l’occasion pour les élèves de construire à plusieurs une histoire à partir des seules images. Cela fait deux années de suite que je travaille avec eux sur l’album Loup noir d’Antoine Guilloppé, un ouvrage sans texte – mais pas sans histoire – en deux couleurs (le noir et le blanc). Aux élèves de se mettre d’accord sur le récit plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord, de donner un prénom au héros (ici un jeune garçon). Pendant qu’ils bâtissent le récit, je prends des notes. Une fois l’histoire achevée collectivement, je la lis en tournant les pages de l’album. D’autres activités peuvent être mises en place dans le prolongement : remettre les images de l’histoire dans l’ordre, coller les phrases de l’histoire sous ces images, traduire dans leur langue maternelle le récit construit, dessiner son propre « loup noir » à l’encre de Chine ou au crayon noir. Ces deux dernières activités ont donné lieu l’année dernière à une très belle exposition au CDI des différentes versions de Loup Noir en cyrillique, portugais, tagalog6, etc.

Pour une meilleure inclusion

Car présenter les réalisations des élèves allophones au CDI est aussi un vecteur important d’intégration dans l’établissement scolaire et une grande source de motivation et de fierté pour eux. Dès que l’occasion se présente, je déploie mes grilles pour accrocher dessins, textes et piquer la curiosité des autres élèves qui découvrent des langues inconnues, des mots inconnus, des écritures différentes… La semaine citoyenne de notre établissement nous donne aussi la possibilité de favoriser leur inclusion. L’année dernière, nous avons travaillé avec eux à la création d’un kit de découverte de leur pays d’origine : nous avons construit un certain nombre de jeux autour de la géographie de leur pays, de leur langue maternelle, de l’écriture que nous avons ensuite proposés aux autres collégiens pendant une journée. Voulez-vous apprendre à dire bonjour en Coréen ? À votre avis, quelle est la capitale des Philippines ? Et si vous écriviez en Ourdou7 ? Une initiation qui a provoqué de nombreux échanges entre les élèves, des éclats de rire (essayez un peu de parler en Chinois !) et un grand sentiment de fierté de la part de ces jeunes qui se sentent souvent invisibles – ou invisibilisés – dans une communauté de plus de 600 personnes francophones.
Toutes les activités permettant de valoriser la culture, la langue et le pays de ces élèves, sont bienvenues. À titre d’exemple, et dans le cadre de l’Éducation aux Médias et à l’Information, nous avons créé il y a deux ans un « jeu des 11 familles ». Nous avons déterminé en commun sept items pouvant décrire leur pays (drapeau, monnaie, monument emblématique, capitale, animal, etc.) et ils ont fait une recherche d’images libres de droit sur Internet puis ont construit leurs cartes de jeu (nom du pays, illustration, nom de l’illustration) avec
OpenOffice. Ces séances ont permis de travailler un certain nombre de compétences EMI, autour de la recherche documentaire (notions d’internet, de navigateur, de moteur de recherche, d’images libres de droits, etc.) Ils ont ensuite rédigé des affiches présentant leur jeu des 11 familles et invitant la communauté à venir y jouer au CDI. Pendant plusieurs semaines, le jeu de cartes, plastifié, a été mis à libre disposition au CDI et a rencontré beaucoup de succès auprès des collégiens. Cette année, ce sont les autoportraits des élèves et leurs portraits chinois qui ont décoré le CDI pendant trois semaines et suscité la curiosité et l’intérêt des personnes passant dans le lieu. Il est à noter qu’il est aisé de travailler avec les élèves allophones car le fait qu’ils n’aient qu’un professeur permet de planifier des séances très facilement. De plus, ce sont, pour la plupart, des élèves très motivés, avides d’apprendre et d’avancer. Des élèves curieux et qui ont envie de partager et d’échanger.
Quant à nos missions, elles nous accordent une grande liberté d’action : nous pouvons ainsi aussi bien intervenir en lecture, en EMI ou encore en EMC (Enseignement moral et civique) ou sur l’orientation professionnelle, et ce, de manière très interactive. Et notre espace de travail, convivial et chaleureux, facilite leur bien-être et nous donne la possibilité de mettre en avant leurs travaux pour une meilleure intégration au sein de l’établissement. Et c’est avec bonheur que je vois ces élèves, sortis du dispositif UPE2A (qui dure un an), revenir avec plaisir au CDI, en autonomie, certains devenant même des piliers du lieu.

 

 

 

La retraite de Melvil

Fin 1851, la modeste et pieuse famille Dewey voit naître Melville Louis Kossuth. C’est vers l’âge de 23 ans, alors qu’il est assistant bibliothécaire, que ce dernier a l’idée de créer une classification. Mais cette idée ne prend forme qu’après une enquête minutieuse. En effet, pour faire aboutir son projet, Melvil visite plusieurs bibliothèques américaines et examine minutieusement les systèmes de classement existants. Alors seulement, il crée sa propre classification non sans l’avoir teintée d’idéologie et l’avoir agrémentée d’un vocabulaire spécifique, celui avec lequel nous sommes désormais familiers : classes, divisions, sections…
Depuis lors, tout bibliothécaire ou professeur documentaliste digne de ce nom connaît la classification décimale de Dewey, et nombreux sont ceux qui l’utilisent quotidiennement. Ainsi, lorsque nous indexons, rangeons ou cherchons un livre en rayon, nous faisons appel à ce système de classement.
Cette classification, miracle de logique et d’organisation de la pensée et des savoirs, a très peu évolué. Certes, nous avons vu disparaître les indications de taille et le book numberi, mais plus nous avançons dans le temps, plus nous ressentons un décalage entre le monde de Melvil Dewey et le nôtre.
Comme le souligne Anne Lehmans en prenant l’exemple de l’environnement et du développement durable, nous observons une « inadaptation de la logique classificatoire si elle est coupée de l’interaction sociale ». De son côté, la médiathèque départementale du Rhône propose l’ajout de nouveaux indices tenant compte de « l’évolution de la société, de l’émergence de nouveaux concepts, de l’apparition de nouveaux termes, [mais surtout] des usages observés en bibliothèques ».
Bien sûr, nul ne nie la nécessité d’adapter la CDD, comme nous la nommons entre pairs ; ainsi cette année célèbre-t-elle la 23e édition de notre Bible professionnelle. 23 éditions en 150 ans. À 23 reprises, des experts se sont donc penchés sur le cas Dewey, l’ont ausculté et ont posé leur diagnostic : il y a des lacunes. Notre société évolue et il faut impérativement que notre système de classement favori suive cette évolution. Certes, c’est indéniable, mais cette succession de mises à jour est-elle réellement une solution à l’obsolescence non-programmée de notre outil ?
Imaginons… lorsqu’un enfant grandit, il change de garde-robe. En effet, les vêtements devenant trop petits, il lui en faut de nouveaux, dans la taille supérieure. Mais nous ne nous contentons pas de ce seul changement de gabarit, nous adaptons également les tenues à l’âge de l’enfant et ce tout au long de la vie. Le bébé devenant enfant, nous ne lui imposons plus de bavoirs, grenouillères et autres barboteuses car ils ne sont plus intrinsèquement adaptés. Concernant la Dewey, pour le moment, nous nous contentons de prendre des tailles supérieures, mais le temps n’est-il pas venu de songer à une tout autre garde-robe ? En effet, nous sommes peut-être à la veille d’un changement complet du contenu de notre dressing et il faut peut-être enfin admettre que nous sommes devenus trop grands pour poursuivre avec ce costume que nous endossons depuis tant d’années.
Cette petite métaphore humoristique a le mérite de pointer du doigt ce qui ne va pas, ce qui pose problème, parfois inconsciemment, à tant de professeurs documentalistes, qui le démontrent en s’interpellant sur les réseaux sociaux :
« - Quelqu’un peut-il me dire si tel indice est cohérent avec tel ouvrage ?
– 7 chiffres pour un indice, ça vous paraît correct ?
– Je ne sais pas où classer ce livre… quel indice Dewey me conseillez-vous ?… »
Quel professionnel de la documentation ou de la bibliothéconomie ne s’est pas trituré les méninges pour attribuer la bonne cote à un livre ? Et son choix fait, lequel n’a pas été envahi par le doute, hésitant encore entre plusieurs indices ?
Quant aux élèves, le fossé est plus grand encore, et s’ils ne sont guère assaillis par le doute, ils le sont souvent par la perplexité : où se trouvent les livres sur la mythologie ? Quid des ouvrages sur les énergies nouvelles ? Mais pourquoi les réseaux sociaux sont-ils en 000 ?
Autant de questions qui font émerger l’idéologie d’une classification intellectuellement galvanisante mais désormais en décalage avec notre temps et notre public.

Dans le CDI où j’exerce, le verdict est tombé tel un couperet : il faut passer à autre chose, et abandonner Monsieur Dewey. Lorsque je les ai interrogés, équipe éducative, élèves et Direction n’ont pas hésité une seconde à l’idée d’innover et d’opter pour un nouveau plan de classement. À cette occasion, j’ai compris que tous désapprouvaient silencieusement le système de classement du CDI. L’une des raisons de ce constat est que le système de classification de Dewey, en plus de s’éloigner des savoirs de notre monde, n’est pas instantanément lisible et ce quelle que soit la signalisation adoptée. Nous, professionnels, sommes indispensables à l’explicitation de ce système. Demandez à un non initié ce que 944.5 signifie lorsqu’il est apposé au dos d’un livre et vous verrez la plus parfaite illustration de l’incompréhension dans ses yeux. En septembre, demandez à un élève de 6e de vous trouver un ouvrage sur Zeus en moins de 20 secondes dans votre petit CDI et vous modifierez très vite votre unité de temps. C’est un fait, l’issue du combat Google vs Dewey est inéluctable.
Armée de ces constats, je me suis donc prêtée au jeu de l’observation des clients de mes librairies préférées, grandes et petites, indépendantes ou pas. Pourquoi cette observation ? Parce que, en ces lieux, la plupart du temps, notre cœur de cible alias les ados, trouvent souvent d’eux-mêmes les livres qui les intéressent, qu’il s’agisse de documentaires ou de fiction. Je me suis également aperçue que lorsqu’ils demandent l’aide du libraire, c’est fréquemment parce qu’ils ne dénichent pas la collection réclamée par un enseignant (généralement absente des rayons). Mon questionnement a alors été le suivant ; pourquoi un jeune est-il moins perdu dans une librairie que dans un CDI ? Pourquoi est-il plus autonome dans le premier lieu ? La réponse est en fait sous nos yeux, ou du moins dans son invisibilité car il n’y a pas de cote sur les livres du commerce, ni d’ailleurs sur les sites de vente en ligne. D’une part, le facing, les affiches et autres têtes de gondoles aident à se repérer, et rien ne nous empêche d’adopter ces techniques. D’autre part, poursuivant mon analyse, j’ai observé de plus près le système de classement de mes fournisseurs, ce qui m’a poussée à effectuer quelques recherches, et c’est de cette façon que j’ai découvert le Bookstore Model ou modèle des libraires que j’ai aussitôt proposé aux usagers. Cette proposition d’expérimentation a rencontré un vif succès puisque les élèves ont arboré la mine réjouie des soirs de Noël, les enseignants ont tous laissé échapper un soupir de soulagement et la Direction s’est empressée de m’octroyer son aval. Quant à mes pairs, ils ont manifesté un réel intérêt pour ce nouveau système de classement. Néanmoins, parmi ces derniers, certains ont paru désarçonnés, et d’autres intéressés mais quelque peu effrayés. Abandonner la Dewey peut sembler inconcevable car elle occupe une grande part de notre exercice mais aussi de notre formation. Elle est intégrée dans les logiciels documentaires, elle fait l’objet d’affiches commercialisées, bref elle est notre spécificité. Pourtant, je me souviens d’un formateur qui affirmait, lors de la préparation au CAPES, que la cote, donc l’indice Dewey, n’était que l’adresse du document. En ce cas, si l’on pousse son raisonnement jusqu’à l’extrême, un document sur la médecine qui serait coté en 940, serait aisément retrouvé par quiconque effectuerait une recherche sur le portail documentaire. Par contre, ce même document serait perdu pour celui qui se rendrait directement dans les rayons pour en extraire l’objet de sa convoitise. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agit de favoriser l’accès au document à la fois via la recherche informatisée mais aussi via la sérendipité. Or c’est exactement ce que permet le Bookstore Model.
Je me suis donc lancée dans la modification de mon plan de classement : réindexer les documents, changer les cotes et modifier les notices dans BCDI, SIGB que j’utilise pour gérer mon fonds. Là, j’ai rencontré quelques résistances… En effet, il m’a fallu adapter le champ « cote » pour pouvoir saisir mes nouveaux indices car il ne permettait pas un contenu suffisamment long pour que je parvienne à mes fins. Après quelques tâtonnements, j’y suis arrivée. La marguerite, quant à elle, ne peut être modifiée. De même, sur E-Sidoc, le butinage dans les rayons documentaires se fait impérativement selon les indices de la Dewey sans aucune possibilité de personnalisation…
Il y a donc une « dictature » de la Dewey sur nos outils de travail, car c’est ainsi que, depuis la naissance de notre profession, nous abordons l’indexation : Dewey ou (éventuellement) CDU, point d’autre choix. Qu’à cela ne tienne, à nous de faire bouger les choses pour le bien-être et l’autonomie de nos usagers.
Un autre sujet de frilosité quant à l’adoption du Bookstore Model a été le passage au lycée où, inéluctablement les élèves seront confrontés à la CDD. Il est légitime de s’interroger sur l’adaptation des usagers qui n’auront jamais croisé Melvil Dewey avant leur passage en seconde, mais est-ce un vrai problème ? Tout d’abord, chacun de nous sait pertinemment que lorsqu’ils entrent au lycée, nos collégiens semblent avoir subi un lavage de cerveau puisqu’à les écouter aucun d’entre eux n’a jamais appris à retrouver un document dans un CDI. Les professeurs documentalistes de lycées se voient alors contraints de réactiver, voire réinitialiser, leurs connaissances en matière de Dewey. Pour les élèves qui auraient définitivement intégré le fonctionnement d’un lieu de ressources documentaires et qui seraient donc en terrain connu dès lors qu’ils croisent une cote, ce ne me semble pas être un frein que d’avoir jusque-là été confronté à une autre classification que la Dewey. L’essentiel réside dans le fait d’avoir assimilé le fonctionnement d’un système de classement, quel qu’il soit. Certaines bibliothèques spécialisées ont ainsi adopté leur propre système de classement, et parfois même leur propre thésaurus sans que cela soit rédhibitoire pour les nouveaux usagers. Comme pour le Bookstore Model, il suffit alors de s’adapter. D’ailleurs, les clients des librairies ne semblent pas totalement désorientés dans les médiathèques. Comme à la Fnac ou chez leur petit libraire, nous les voyons rechercher la signalisation et très vite s’orienter vers le bon rayon. En ce qui concerne mes élèves, le Bookstore Model va être l’occasion d’approfondir la liaison collège-lycée mais aussi le partenariat avec notre médiathèque de quartier. Comme pour toute expérimentation, ce sera l’occasion de démontrer les points communs et les différences entre diverses classifications. Enfin, gageons que la découverte de la Dewey à l’entrée en seconde, alors que l’usager est plus mature et plus à même d’aborder un système complexe d’organisation du savoir, permettra d’aborder ce nouvel apprentissage de façon plus sereine qu’à 10 ans.
Une autre spécificité du Bookstore Model est qu’il ne nécessite pas de médiateur, il est d’emblée lisible et c’est là une caractéristique digne d’intérêt. Le système que nous avons choisi d’adopter dans mon établissement se veut en effet le plus accessible possible. Il se constitue de 9 Domaines associés à des sous-domaines, chaque domaine s’est vu attribuer un pictogramme et chaque pictogramme a sa propre couleur. De plus les pictogrammes et les couleurs sont en lien direct avec ceux qui ont été choisis pour la fiction. Un documentaire historique et un roman historique se verront ainsi attribuer le même pictogramme, à cette différence près que le documentaire sera noir sur fond marron et que la fiction sera en marron sur fond blanc.
S’il est perfectible, ce nouveau système de classement entraîne d’ores et déjà une autonomie accrue des emprunteurs. Je suis beaucoup moins interpellée pour trouver les ouvrages en rayons et je trouve moins de livres mal rangés. De plus les pictogrammes permettent de repérer très vite les documents « égarés ». Evidemment ce nouveau système est amené à évoluer encore, il n’est pas figé, mais les premières conclusions de cette expérimentation sont exclusivement positives : autonomie, facilitation du butinage, lisibilité, facilité d’appréhension… et satisfaction affichée des usagers, jeunes et adultes.

Alors oui, tout réindexer et tout re-coter est un travail de longue haleine, mais c’est aussi intellectuellement très exaltant. Il n’est pas simple de se dire que, après tant d’années, il faut se défaire d’un outil qui a pourtant fait ses preuves pour lui en préférer un autre qui se veut plus adapté, plus ergonomique et c’est pourtant ce qui arrive dans bon nombre de professions : le/la secrétaire a mis sa machine à écrire au placard pour lui préférer l’ordinateur, le/la caisssier(e) a délaissé ses petites étiquettes de prix orange pour les remplacer par les codes-barres ; alors nous, professeurs documentalistes qui avons adopté à la fois l’ordinateur et les codes-barres, ayons le courage et l’enthousiasme d’aborder un nouveau virage dans notre profession : rangeons notre précieux petit livre rouge et commençons un nouveau chapitre.

 

Le Bookstore Model, modèle des libraires ou classement par centre d’intérêt : philosophie et mode d’emploi

Le Bookstore Model est un plan de classement utilisé par les libraires. Très intuitif, il ne nécessite aucune cotation. De simples panonceaux indiquent les grandes thématiques tandis que des chevalets, sur les tablettes des rayonnages, les subdivisent :
Exemple : Loisirs ▶ Cuisine ▶ Chocolat.
C’est donc un système de classement en langage naturel ne nécessitant ni formation ni document médiateur conséquent tel que la Classification Décimale de Dewey ou la Classification Décimale Universelle. En outre, ce système offre une adaptabilité selon la spécialisation des lieux de vente. Le classement sera différent dans un lieu généraliste et dans un lieu spécialisé, où l’on choisira de développer telle ou telle thématique selon le fonds proposé par la librairie. Selon que l’on entre dans une librairie plus ou moins spécialisée trouverons-nous pour la seule thématique de la cuisine un développement totalement différent :
Loisirs ▶ Cuisine
ou Loisirs ▶ Cuisine ▶ Dessert
ou Loisirs ▶ Cuisine ▶ Dessert ▶ Chocolat
ou Loisirs ▶ Cuisine ▶ Dessert ▶ Chocolat ▶ Chocolat blanc

La raison d’être du Bookstore Model est que l’objectif principal des libraires est de vendre leurs ouvrages sans avoir à effectuer de traitement du document. Ils ont le besoin impérieux de faire en sorte que les clients puissent retrouver aisément le titre qu’ils recherchent, avec ou sans l’aide d’un vendeur, ou qu’ils soient attirés par un ouvrage qu’ils ne recherchaient pas. Ceci est rendu possible car le Bookstore Model et le « Facing » (présentation de face pour que le client voie la première de couverture et non pas le dos du livre) facilitent l’autonomie mais aussi la sérendipité, deux comportements très appréciés des professeurs documentalistes.

Adapté aux bibliothèques ou aux CDI, le modèle des libraires s’est affiné par l’ajout de cotes et par l’utilisation d’un document médiateur : un simple plan de classement de moins de 10 pages. Dans le cas qui nous intéresse, nous avons en outre fait le choix d’apposer une étiquette avec un pictogramme représentant la thématique générale de l’ouvrage, ce qui offre plusieurs avantages :
1. il permet un repérage visuel rapide du rayon,
2. il évite les cotes trop longues,
3. il facilite le rangement,
4. il permet, dans certains cas, une association avec le rayon Fiction.
Le plan de classement* quant à lui est inspiré de celui de la bibliothèque intercommunale de Pau, dont nous n’avons retenu que l’onglet « Benjamin », comprenant 8 sous domaines, lesquels ont eux aussi été partiellement reformulés pour le fonds d’un CDI de collège (pour l’exemple qui nous intéresse). Comme pour la création d’un thésaurus, la consigne est de limiter l’ajout de nouveaux items mais, selon les lieux, tels ou tels domaines seront plus développés. Ainsi, le collège où j’exerce dispose d’un fonds important en Arts, il a donc été décidé d’ajouter le nom de l’artiste à la cote pour les ouvrages consacrés à la peinture :
Art ▶ Peinture ▶ A. Warhol

Le principe du Bookstore Model est également d’évoluer avec son temps. C’est pourquoi la thématique « Nature ▶ Protection de l’environnement » a suscité l’ajout de nouvelles subdivisions telle que « Écologie » ou « Pollution ».
À chacun(e) de rédiger son propre plan de classement selon son fonds, son public ou encore les projets de l’établissement.
Enfin, d’un point de vue matériel, chaque centre d’intérêt occupe une seule travée et, de même, chaque sous-thème, dans la mesure du possible, commence et finit sur une seule étagère.

Passer de la CDU ou de la Dewey au Bookstore Model est une entreprise certes très chronophage mais aussi très galvanisante. En effet, il ne faut pas seulement refaire les cotes, il faut aussi revoir sa façon d’appréhender les documents, rectifier la mise en place dans les rayons, modifier les notices de la base documentaire et refaire la signalétique. Ce sont là autant de tâches qui sont l’occasion de procéder à un désherbage, tout en appréhendant l’indexation avec un œil neuf, bien plus proche des usagers.
Le Bookstore Model est réellement adapté au public scolaire car il adopte une philosophie visant à considérer le fonds documentaire non pas avec un regard de professionnel du livre mais avec celui d’un usager. Le regard professionnel reste essentiel, il vise à adapter son plan de classement au raisonnement des usagers : où l’élève cherchera-t-il ce livre ? Dans quel objectif ouvrira-t-il ce document ? Pourquoi ce documentaire peut-il susciter l’intérêt ? Autant de questions dont les réponses définiront l’emplacement de l’ouvrage.

Les documentaires jeunesse à l’ère d’Internet

La production éditoriale reste pléthorique, et dans tous les domaines de la non-fiction : animaux, sport, cuisine, société, etc. Je ne vous ferai pas l’affront de vous présenter des documentaires autour des thématiques au programme, notamment en classe de 6e ou 5e (oui les ouvrages sur l’Égypte ancienne ou la mythologie, c’est vous que je regarde), qui sont de toute façon largement achetés, rachetés, réédités et empruntés.
Toutefois, les usages et les centres d’intérêt des élèves évoluent, et c’est pourquoi je vous propose quelques pistes pour adapter votre politique documentaire. Loin d’être exhaustive, cette sélection de titres et/ou collections susceptibles de faire renouer les élèves avec les documentaires, est fondée sur la problématique suivante : si tout est disponible sur le web, les livres mis à disposition doivent impérativement offrir une « plus-value » par rapport à l’informatique.

Loisirs, recherches personnelles

Certains types de documentaires sont empruntés et consultés par les élèves avec toujours le même succès, notamment parce qu’il est difficile de trouver facilement l’équivalent sur le web.

Les Guiness books et apparentés

On peut bien entendu trouver des sites internet avec des records, des photos extraordinaires, mais il faudra fouiller un peu, et les ordinateurs du CDI sont rarement dédiés à cet usage. Les Guiness Book et autres remplissent très bien cette fonction de traînailler en cherchant quand même à s’amuser. Ce genre d’ouvrages, un peu fourre-tout, joue sur l’effet waouh1 : on les regarde pour être émerveillés ou horrifiés par des records improbables. Outre le Guiness des Records mis à jour chaque année, vous avez la série Terramania, Recordmania, Anatomia, etc. Ces ouvrages présentent sous la forme moderne d’infographie différents records : on retrouve la multitude d’infos rapides à picorer, le grand format. Parus depuis 2012 chez Gallimard, la série des Oh ! Le corps humain, L’espace, les dinosaures, rencontre également un franc succès.

Les livres à réalité augmentée

Depuis quelques années, les maisons d’édition se lancent dans un autre type d’ouvrages waouh : les livres à réalité augmentée, qui proposent, après installation de l’application sur tablette ou smartphone, de flasher des QRcodes ou des logos et ainsi lancer une vidéo ou faire appaître l’animal en 3D sur la page. Ce type d’ouvrages, essentiellement gadget, permet toutefois de dépoussiérer un peu le documentaire, et montrer que papier et numérique ne sont pas nécessairement opposés. À voir ensuite avec vos moyens techniques et la politique de votre établissement concernant le téléphone portable2. Glénat a ainsi lancé Les Prédateurs en réalité augmentée, L’Univers en réalité augmentée, Fleurus a lancé la collection Voir avec un drone, qui amusera plutôt les plus jeunes.

Adolescence, puberté, sexualité

Aucun. e prof doc de collège ne me contredira : le rayon adolescence (souvent en 305.23 et suivants) est régulièrement retrouvé sens dessus dessous, et c’est de là que résonnent souvent les gloussements à la récréation. Dans un collège, où la moitié de la population est en train de subir des transformations physiques, psychologiques et hormonales comme jamais elle n’en aura plus en un temps aussi court, quoi de plus normal ? D’autant plus que ces sujets ne peuvent pas faire l’objet d’une recherche sur Internet : d’une part il est hors de question que qui que ce soit voit qu’ils ou elles ont tapé « taille sexe normal » ou « règles enceinte » dans un moteur de recherche, d’autre part car il est fort probable d’un filtre bloque les recherches contenant des mots-clés liés à la sexualité, afin d’éviter les mauvaises surprises. C’est là que le travail des profs-docs est important : adieu donc ces horribles Dico des filles3 ou autres et place aux nouvelles collections. On peut ainsi citer la collection qui remplace les anciens Oxygène et Hydrogène chez La Martinière Jeunesse, intitulée Plus d’oxygène : on y trouve des titres tels que Tout sur le zizi, Planète filles (écrit par Moka), Love mode d’emploi, Questions intimes rien que pour les filles, etc. Les autrices venues du monde du blog arrivent également dans les CDI grâce à des ouvrages francs et drôles tels que Les Règles, quelle aventure, d’Elise Thiébaut et Mirion Malle. Paru en 2014, l’excellent Est-ce que ça arrive à tout le monde ? avait réussi le pari de montrer des vrais corps d’ados en photos sans susciter la gêne grâce à des trouvailles photographiques. Citons enfin la collection Adulte, mais pas trop, de la maison d’édition suisse Limonade, écrite par Stéphane Clerget et illustrée par Soledad Bravi, qui propose des titres assez réussis comme Bien vivre ta première relation sexuelle… si tu es une fille, ou Comment être gay et heureux, lesbienne et sereine.

Les émotions

Accueillir ses émotions, les exprimer qu’on soit une fille ou un garçon est une thématique qui est de plus en plus souvent traitée : elle est désormais au programme de la maternelle, et fait l’objet de séquences pédagogiques. Pour les ados, vous avez des ouvrages tels que Comment faire de ton hypersensibilité une force, chez Limonade, Deviens ton ami(e), la confiance en soi, mode d’emploi, chez Amaterra, Le Superguide pour enfin oser être soi, chez La Martinière Jeunesse, ou sur un mode plus humoristique, Transforme-toi, de Claudine Desmarteau, chez Flammarion Jeunesse.

Visées pédagogiques

Les ouvrages que nous allons voir maintenant sont des ouvrages qui seront sans doute consultés moins spontanément : ils auront donc besoin de votre aide ! Je vous propose quelques pistes, mais ensuite libre à vous d’adapter ces propositions, suivant votre sensibilité et votre public. L’idée est de présenter aux élèves des livres avec une vraie valeur ajoutée.

Les livres engagés

Au collège, les élèves commencent à découvrir la notion d’engagement : prendre parti pour une idée, la défendre, la confronter à d’autres. Internet est une vaste agora, mais il est plus facile d’y trouver du pugilat qu’une réflexion nuancée. Certains éditeurs ont une ligne éditoriale forte, à laquelle on n’est pas obligé d’adhérer, mais qui permet de montrer aux élèves comment on défend une idée. Les éditions La ville brûle, au discours ancré très à gauche, ont sorti des albums tels que On n’est pas des moutons, On n’est pas des poupées, et pour les plus grands Pourquoi les pauvres sont-ils de plus en plus pauvres et les riches de plus en riches, des sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, ou Liberté d’expression, a-t-on le droit de tout dire ? de Daniel Schneidermann. La maison d’édition Talents Hauts a à son catalogue des ouvrages (certes de fiction) qui traitent des discriminations et du sexisme en particulier.

Éducation aux médias et à l’information

L’EMI faisant partie des missions des profs-docs, il semble évident qu’une partie du fonds soit consacrée à cette thématique. Il sera ici question des ouvrages pour les élèves, pas du fonds professionnel. Les maisons d’édition suivent l’air du temps, et la plupart proposent des ouvrages consacrés à l’information, les infox, les théories du complot. On notera que certains titres recoupent la notion d’information et la notion d’engagement, comme pour l’ouvrage cité plus haut A-t-on le droit de tout dire ? où la question de l’accès et l’information, sa diffusion et surtout son interprétation prennent un tour politique. Aux éditions Le Calicot, on trouve Croire ou pas aux complots, de Philippe Godard, un petit opus qui adopte une position d’écoute face aux complotistes, afin d’essayer de réactiver leur sens critique. Du même auteur, illustré par Marion Montaigne, on a La Toile et toi, chez Gulf Stream Éditeur.
On trouvera aussi pléthore de titres autour des l’usage des écrans : Touche pas à ma vie privée !,
Découvre qui te surveille et comment t’en protéger chez Albin Michel Jeunesse, Guide de survie pour accros aux écrans, de Serge Tisseron chez Nathan, ou Tous connectés de Mathilde Giad chez La Martinière Jeunesse.

Beaux-arts

On mettra dans cette catégorie les ouvrages sur l’art, l’Histoire des arts, mais également tous les livres à système (pop-up, filtres, etc.) qui font basculer le livre quasiment dans la catégorie du bel objet. Les éditions Palette… ont un catalogue remarquable, avec des reproductions de grande qualité et des explications claires et complètes. Pour le collège, voire le lycée, la série Art et… est très réussie, notamment Art et la politique, Art et jeux vidéo, Art et musique ; mais également la collection Création contemporaine. Actes Sud Junior développe également son catalogue de livres d’arts pour les ados, avec des ouvrages au format allongé, écrit par Céline Delavaux : La Vie en Typo et La Vie en couleurs. Livres d’art pour la forme mais presque aussi pour le fonds, les magnifiques ouvrages Humanissime et Illuminature du collectif Carnovsky émerveilleront les élèves.

Le sujet est inépuisable, et cette sélection, loin de toute tentative d’exhaustivité, n’a pour objectif que de vous proposer des pistes pour une politique documentaire qui puisse venir concurrencer le réflexe numérique.