Figures d’adolescents transgenres

La métamorphose de genre

Les différences et les caractéristiques liées au genre sont de plus en plus exploitées en littérature de jeunesse, en particulier dans les romans. Pour aborder cette question, les auteurs usent bien souvent de subterfuges tels que le travestissement de leurs personnages ou encore leur métamorphose du masculin au féminin, et inversement.
Figure récurrente en littérature de jeunesse, le personnage du travesti revêt des formes et des fonctions multiples. Garçon ou fille de l’auteur britannique Terence Blacker, dans lequel le jeune Sam devient Samantha le temps d’une semaine suite à un défi lancé par son cousin, est sans doute le roman le plus souvent cité sur cette thématique. D’autres romans remettent en cause la binarité de genre des adolescents, notamment en ne révélant pas, ou tardivement, le genre de leur personnage principal, comme Raph dans Je suis qui je suis de Catherine Grive ou Camille dans Troubles de Claudine Desmarteau, ou en leur donnant une apparence physique prêtant à confusion, à l’image d’Alex dans A kiss in the dark de Cat Clarke qui laisse Kate tomber amoureuse d’elle sans lui révéler qu’elle s’est trompée sur son identité, ou de Charly dans le roman éponyme de Sarah Turoche-Dromery.
Ces œuvres situent leur action dans un cadre réaliste et contemporain, mais d’autres revêtent un caractère fantastique lorsque cette inversion des rôles va jusqu’à la métamorphose. Ainsi, des récits comme Dans la peau d’une fille d’Aline Méchan ou Cinq jours par mois dans la peau d’un garçon de Lauren McLaughlin, exprimeront, grâce à un système narratif différent, des enjeux similaires.
S’il s’agit avant tout ici de révéler, par un échange de rôles, les attributs sociaux masculins et féminins, d’autres genres de récits s’intéressent plus particulièrement à la condition féminine et au rapport de pouvoir existant entre les divers genres, à une autre époque ou dans un autre lieu. Bacha Posh, de Charlotte Erlih, expose la situation de ces filles afghanes élevées en garçons, tandis que parmi les romans d’aventures ou historiques, les auteurs montrent des personnages féminins dont le travestissement est nécessaire à l’accomplissement d’une mission ou simplement à leur survie, comme cela peut être le cas dans Eon et le douzième dragon d’Alison Goodman.
Cependant, ces exemples n’induisent qu’un questionnement des rapports de genre ancré dans une perspective exclusivement binaire, entre le féminin et le masculin. Cela revient ainsi, malgré tout, à perpétuer en partie les stéréotypes qui peuvent y être liés. Pourtant cette confusion des genres peut aller au-delà du simple déguisement, comme l’illustrent les romans proposant des personnages transgenres. Ces œuvres, peu nombreuses, revêtent toutefois un caractère indispensable dans le paysage éditorial pour adolescents, dans la mesure où les enjeux de la littérature de jeunesse sont fortement liés à la construction identitaire de ses lecteurs.

Symptôme de l’invisibilité transgenre

Le roman-miroir s’attache à interroger de nombreuses problématiques sociales. La définition du roman réaliste comme un « extraordinaire instrument d’exploration du réel, de figuration de l’Histoire, d’analyse de la société1 » semble pouvoir s’appliquer aux éditions pour la jeunesse, de même que l’idée de Milan Kundera que « le roman n’examine pas la réalité mais l’existence », considérant alors que « l’existence est le champ des possibilités humaines2 ». La littérature destinée aux adolescents reste donc fortement associée au traitement de questions personnelles fondamentales et de sujets de société sensibles.
Néanmoins, déjà mis à l’écart au sein même de la collectivité, certains types de personnages sont également mis à la marge de la littérature de jeunesse. Parmi eux, les personnages transgenres sont très peu présents dans les romans pour adolescents. Souvent associée aux combats et aux revendications des gays et des lesbiennes, ainsi qu’à toute personne ne respectant pas un certain conformisme sexuel et de genre, la transidentité demeure nettement moins visible, dans la réalité comme en littérature. Dans son étude3, Renaud Lagabrielle comptait en 2007 trente romans dans lesquels il est question d’homosexualité, tandis qu’à l’heure actuelle, les ouvrages pour adolescents s’intéressant à la transidentité se font très discrets. La Face cachée de Luna, de Julie Anne Peters, est le premier d’entre eux, paru en 2005, puis réédité en 2016 sous le titre (inadapté à mon sens) Cette fille c’était mon frère. Puis, après quelques années, sans que le sujet ne soit abordé, paraît en 2010 Le Garçon bientôt oublié de Jean-Noël Sciarini. Enfin, suite à une nouvelle période de disette, les années 2016 et 2017 voient sortir quatre romans proposant un ou plusieurs jeunes personnages transgenres. Le « caractère mineur et non représentatif » d’un tel corpus ne permet pas réellement la « constitution d’[un] canon à une époque et dans un contexte donnés4 », mais suggère au contraire la visibilité restreinte à laquelle sont confrontées les personnes transgenres au sein du paysage médiatique. Dans l’édition pour la jeunesse, le traitement de cette thématique apparaît comme négligeable, ni réellement acceptée ni banalisée.
Malgré la recrudescence observée ces dernières années, il semble ainsi prématuré d’évoquer la naissance d’une voix transgenre dans les romans destinés aux adolescents. Néanmoins, l’existence de ces personnages transgenres, soit comme sujet textuel, soit comme sujet d’énonciation, permet une certaine reconnaissance de son autorité discursive, d’autant que plusieurs auteurs et autrices tels Alex Gino et Meredith Russo sont eux-mêmes transgenres.
L’émergence de ces protagonistes souligne, à travers leurs parcours respectifs, le caractère minoritaire et excluant d’une telle identité de genre. Ces romans insistent sur l’isolement dans lequel vivent ces jeunes, même lorsque ceux-ci, à l’instar de Luna, George ou Amanda, reçoivent le soutien d’un proche. La première scène du roman de Julie Anne Peters se veut l’illustration de l’injonction au secret qui oppresse en permanence les personnes transgenres. C’est uniquement dans l’intimité de la chambre de sa sœur, la nuit, que Liam peut sereinement devenir Luna, en empruntant les vêtements et le maquillage de celle-ci. Hors de cet espace protégé, cette liberté lui est retirée et son quotidien est marqué par son adhésion forcée aux divers codes masculins en vigueur dans nos sociétés. Toni aussi, dans Le Garçon bientôt oublié, tente de camoufler son mal-être par un comportement de « petit gars exemplaire », tandis que Grayson, dans le roman d’Ami Polonsky, s’isole de ses pairs pour ne pas risquer la découverte de son secret. Les adolescents transgenres font face à cette obligation de dissimulation, au risque de subir un important rejet. La crainte d’être découvert contraint nos personnages à adopter un comportement excessivement prudent. Liam a ainsi installé une alarme silencieuse à l’entrée du sous-sol de la maison où elle a l’habitude de s’habiller en Luna. Amanda, dans Celle dont j’ai toujours rêvé, malgré la confiance qu’elle accorde à son petit ami, garde le silence sur son passé aussi longtemps que possible par peur de se voir rejeter. Par ailleurs, les contraintes discursives font elles aussi partie du secret. Toni, après s’être divulgué-e par erreur décide de « gommer de [s]on langage tous les mots féminins identifiables à l’oreille. »
Pourtant, il arrive que le rejet précède le dévoilement de l’identité de genre réelle. Luna est régulièrement l’objet d’une suspicion d’homosexualité. Elle subit plusieurs agressions verbales violentes et des insultes homophobes sont lancées à son encontre à cause de son comportement décalé et de ses goûts jugés trop féminins, tout comme David, le personnage de Normal(e) de Lisa Williamson, harcelé au collège.
Pourtant, la crise que traversent ces personnages dans certains de ces romans atteint son paroxysme lors de l’étape de la révélation. La transgression des normes en vigueur, faisant alors d’eux de véritables marginaux, éclate dès lors qu’ils et elles décident de se dévoiler. En apparaissant dans un lieu social sous leur figure réelle, nombreux sont immédiatement repoussé(e)s par ces autres qui jettent dans un premier temps un regard obtus, plein de haine et de dégoût, à leur égard. C’est notamment le cas de Grayson dans Le Secret de Grayson, et de Liv dans Opération pantalon, que leurs meilleures amies vont trahir après avoir découvert leurs véritables identités pour rejoindre le camp des harceleurs. Amanda, de son côté, est partie vivre chez son père, dans une autre ville, afin de fuir les agressions violentes dont elle fût victime dans son précédent lycée alors qu’elle réalisait sa transition.
Ces références de la littérature de jeunesse permettent de traduire le dilemme des adolescents transgenres, les forçant à choisir entre dissimulation et rejet, tout en étant confrontés à l’absence de références concernant leur situation.

De la déconstruction des normes socio-culturelles

Par ailleurs, le rôle des personnages opposants de ces romans est bien de refléter l’incapacité de nos sociétés à envisager une remise en question des genres et à penser le concept de différenciation sexuelle au-delà d’une vision binaire. Dans cette perspective, nos protagonistes transgenres constituent des modèles mettant à mal ce système de division sociale, et l’observation de leurs cheminements particuliers peut conduire le lecteur à revoir sa perception des habitus sexués et de leur différenciation.
La prise de conscience de la transidentité, depuis le plus jeune âge, ou plus tardivement, amène nécessairement les personnes à envisager leur apparence d’une autre manière, à construire leur corps en confrontation aux normes de genre. Certaines et certains expriment leur appartenance à leur genre en adhérent aux codes, vestimentaires et sociaux, qui leur sont généralement associés. Certains personnages féminins, par exemple, sont attirés enfants par les jeux domestiques et les poupées, tandis qu’à l’adolescence, elles rêvent du bal de fin d’année, de tenues et de maquillage. De son côté, Liv, dans Opération pantalon de Cat Clarke, mène dans son école un combat pour porter l’uniforme scolaire dédié aux filles, alors que, à l’inverse, un personnage comme Toni se situe hors de toute catégorisation et met du temps avant de ne plus employer de pronoms masculins à son égard et considérer son corps comme étranger.
Le rapport au genre de tous ces personnages ne semble ainsi pas cristalliser autour des mêmes représentations. Néanmoins, dans plusieurs cas, le rejet de l’identité visible passe nécessairement par celui du corps et des attributs sexuels. La sœur de Luna évoque notamment l’épisode symbolique au cours duquel son petit frère tente de sectionner son pénis avec un couteau, tandis que Toni a « commencé à perdre pied » au moment de l’apparition de ses poils. L’auteur du Garçon bientôt oublié présente ici l’adolescence comme une réelle étape de transition, succédant à une enfance neutre et asexuée, et aboutissant à la détermination de l’identité. Ce rejet du corps interroge les rapports sociaux, déterminés par ces « visions essentialistes de la différence des sexes5 ». La hiérarchisation des caractéristiques biologiques fait alors peser sur les jeunes personnages assignés à un genre qui ne leur correspond pas une forte injonction à la virilité ou à la féminité. Ces contraintes normatives, apparaissant dans les œuvres sous la forme d’un encouragement permanent à la pratique sportive ou l’obligation de porter une jupe, mettent en évidence les principes d’organisation de la vie sociale et de négation des altérités.
La revendication du corps et le désir de reconnaissance qui en découle ne peuvent alors s’établir sans un sentiment de transgression à l’encontre des attentes directives de la société. La construction de ces romans accompagne les protagonistes transgenres vers l’élaboration de leur image, conforme à leur identité de genre, et révèle en outre la nécessité d’une « déconstruction de normes culturelles6 ». L’un des enjeux majeurs de tels récits serait alors lié à la remise en question de la simple répartition féminin-masculin et de la relation, prétendue naturelle, entre sexe et genre.
Il ne s’agit donc pas seulement de fournir des modèles et de jouer un rôle de soutien auprès de jeunes confrontés aux mêmes problématiques et en quête de réponses sur le déroulement de leur vie future. Luna et Toni, en d’autres termes, ne font pas seulement fonction de figures identificatoires, dans la mesure où le lecteur, ici, est également encouragé à considérer la déconstruction des catégories dont il a l’expérience et à élaborer son propre système de valeurs.

Morts ou vifs : quel avenir pour les adolescents transgenres ?

Quels que soient le mode de récit et le ton choisis, l’ensemble de ces romans s’attarde, plus ou moins longuement, sur le mal-être et la souffrance des personnages transgenres, inhérents à la crise identitaire qu’ils traversent ainsi qu’à leur isolement et à leur stigmatisation. Leur mise à la marge par l’ordre social dominant et les discours normatifs dont ils sont la cible s’ajoutent en effet à l’inconfort extrême de posséder un corps dans lequel ils ne se reconnaissent pas. Ainsi, Luna, Toni, George, Grayson, Kate, Léo et Liv se veulent l’expression des limites d’une telle situation, traduisant la vulnérabilité supérieure à laquelle sont soumis tous les adolescents transgenres.
Un roman comme Le Garçon bientôt oublié est entièrement construit autour de l’évocation de la douleur du personnage. La compréhension puis l’acceptation de sa situation ne permettent pas à Toni d’accéder à la résolution du conflit d’identité dont il est l’objet. D’une manière plus naïve et enfantine, George quant à elle, ne comprend pas pourquoi tout un chacun la perçoit comme un garçon, et passera ainsi l’ensemble de l’histoire à tâcher de montrer sa véritable identité à son entourage. Et tandis que Luna se voit comme une « erreur totale » et Leo comme un « monstre », nombre d’auteurs et autrices insistent sur les comportements à risques dont sont sujets les jeunes transgenres. Certains personnages semblent particulièrement ressentir le besoin de se blesser physiquement, soi-même ou en se battant avec d’autres, comme moyen d’éprouver ce corps détesté. Par ailleurs, la question de la prévalence des tentatives de suicide, bien plus élevée parmi les minorités sexuelles et de genre, occupe une part importante de ces romans.
La description de ces épisodes illustre les conséquences douloureusement néfastes que peuvent susciter l’assignation de genre imposée aux enfants et les contraintes normatives qui en découlent. Et pour ces personnages, il ne peut majoritairement y avoir de libération sans passage vers un réel statut social correspondant à leur identité réelle, afin de parvenir à la réappropriation de son corps et sortir de cette obligation de dissimulation.
L’idée d’une transition s’impose alors comme un besoin impérieux, un incontournable moyen de survie. Deux caractéristiques importantes liées au cheminement personnel des jeunes transgenres se détachent. D’une part, la nécessité de cette prise de décision semble dépasser les retentissements négatifs qui pourraient en découler tant la souffrance et les humiliations ressenties dans leur état actuel sont devenues lourdes à porter. D’autre part, cette transition doit passer par l’affirmation publique. Luna et Toni choisissent de commencer à porter des atours féminins dans leur vie quotidienne. De son côté, les revendications de Liv concernant son refus de porter des jupes sonnent comme la première étape de son parcours. Par ailleurs, deux personnages passent par le biais de la représentation théâtrale pour exprimer leur genre. George souhaite interpréter le personnage de Charlotte l’araignée dans la pièce de son école et y parvient grâce à sa meilleure amie avec qui elle va échanger son rôle au dernier moment. Grayson, quant à elle, obtient le rôle de Perséphone après avoir convaincu son professeur. Même Amanda, qui pouvait faire figure d’exception dans la mesure où elle arrive dans un nouvel environnement sous son identité définitive, parvient tout de même à affirmer son statut transgenre, bien que cela passe malheureusement par une révélation forcée.
Si souvent la divulgation auprès de leurs camarades est soldée par un rejet, nos personnages bénéficient tout de même de soutiens importants. La figure du ou de la meilleur.e ami.e notamment, qui fait dans un premier temps preuve de déni voire de violence, pour parvenir finalement à l’acceptation de leur situation, est importante. Ces alliés inattendus sont le symbole de l’exemple à suivre pour le jeune lecteur, qui est ainsi invité à accéder à un certain degré de compréhension. De même, le rôle des alliés transgenres est primordial dans le processus d’acceptation de soi et de survie de ces jeunes. Dans Celle dont j’ai toujours rêvé, Amanda reçoit l’appui et l’amitié de son groupe de soutien pour personnes transgenres, tandis que dans Normal(e), l’arrivée de Léo dans la classe de Kate va lui permettre de se sentir accompagnée et soutenue dans son parcours.
La révélation à la famille reste toutefois le palier le plus fondamental. « Malade » selon le père de Luna, et accusé de « tuer […] Dieu » par celui de Toni, ces enfants risquent constamment d’être exclus de l’environnement familial. Dans ces deux cas, la violence conduit les jeunes personnages transgenres au départ. Il est manifeste dans ces romans que les deux protagonistes n’envisagent pas leur avenir sans une transition totale, et donc une réassignation chirurgicale. Luna part ainsi à Seattle pour suivre le processus nécessaire, tandis que Toni quitte le domicile de ses parents en souhaitant pouvoir faire de même. Les étapes suivantes – la psychiatrisation, la médicalisation puis les transformations physiques et les méandres administratifs – ne sont que brièvement évoquées, malgré le soin pris par chaque auteur pour ne pas évacuer totalement cette problématique. Les autres romans, plus récents, se tournent moins vers ces deux thématiques, le rejet familial et la médicalisation, même si Celle dont j’ai toujours rêvé est le seul à proposer un personnage après une transition complète, tout en évacuant également les problématiques que cela implique (mais l’auteur s’en explique à la fin de l’ouvrage).
Nous distinguons ainsi deux courants quant aux propos tenus. Le premier concerne les deux romans parus jusqu’en 2010 qui, si leurs récits s’achèvent ainsi qu’il se doit en littérature pour la jeunesse sur une note d’espoir, en mettant leurs jeunes personnages sur le chemin de la réalisation de leur rêve, se caractérisent toutefois par la persévérance d’un discours craintif. Le deuxième courant englobe les romans parus ces trois dernières années, véhiculant un discours plus positif et des perspectives moins sombres.
Ces romans pour la jeunesse abordant la thématique de la transidentité sont insuffisants pour élaborer un véritable discours prescripteur, mais occasionnent néanmoins la définition de quelques caractéristiques liées au traitement du sujet. Néanmoins, il faut souligner que ces romans ne contestent pas les assignations identitaires normalisantes et binaires. La transidentité est ici conçue comme le passage d’un genre à un autre, sans laisser l’opportunité à une neutralité ou à une pluralité de subsister. Même Toni, qui commence par se considérer hors de toute catégorisation et emploie tant le masculin que le féminin pour se déterminer, opte finalement entièrement pour une identité féminine à la fin du roman. De même, la question de la sexualité n’est pensée que dans une optique hétérosexuelle.
En définitive, il faut constater que malgré une volonté indispensable de permettre enfin une visibilité, même mineure, de la question transgenre en littérature de jeunesse et malgré une apparence subversive, ces récits ne parviennent pas à remettre totalement en question la norme et la permanence des clichés. Cette limite se caractérise par l’association permanente des personnages à un genre fixe, ne permettant pas alors de réel dépassement de la binarité des genres. Ainsi, la littérature pour adolescent apparaît encore une fois comme le moyen de mettre en scène l’altérité sans outrepasser les frontières d’une certaine normalité.

La facilitation graphique

Ces dernières années, dans le contexte d’une société de plus en plus visuelle (images, schémas, pictogrammes, photos sont omniprésents dans nos vies : internet, journaux sms, appels vidéo, etc.), la pensée visuelle voit le nombre de ses adeptes comme de ses praticiens en constante augmentation.

La facilitation graphique est une discipline née dans les années 70 sur la côte ouest des États Unis, dans le chaudron de l’intelligence collective. Michael Doyle est l’un des premiers à avoir travaillé sur l’intelligence du groupe en se demandant en quoi un groupe d’individus est-il plus intelligent que la somme des personnes qui le composent. Dans la poursuite de cette démarche, David Sibbet est l’un des premiers à avoir fixé un panneau au mur durant un temps collectif et à y inscrire le contenu des propos échangés : c’est la naissance de la mémoire visuelle du groupe. David Sibbet fondera ensuite « The Grove », une entreprise de consultants spécialisée dans la pensée visuelle. Parallèlement à l’émergence de ce mouvement aux États Unis, les choses ont aussi évolué en Europe. En effet, c’est durant cette même période que Tony Buzan a mis à jour les principes du mind-mapping – ou carte mentale/heuristique – en calquant la structuration de la prise de notes au fonctionnement neuronal du cerveau dans le but de favoriser une meilleure mémorisation et appropriation des informations.
Bien que différentes, les deux disciplines ont des fondements très proches dans le fait de spatialiser la pensée, y ajouter des couleurs et des formes, apprendre à s’approprier la structuration de sa prise de notes, etc. La facilitation graphique s’appuie sur ces mêmes bases, mais s’affranchit de la structure caractéristique du mind-map qui pose le sujet au centre et différentes branches qui viennent le compléter, l’auréoler.
En France, la discipline est arrivée il y a un peu plus d’une quinzaine d’années maintenant. La liste n’est pas exhaustive, mais on peut citer Nicolas Gros (Wild is the Game) comme l’un des pionniers sur le territoire, mais aussi Roberta Faulhaber, Guillaume Lagane ou encore Vanina Gallo.

La pensée visuelle

La facilitation graphique est un outil qui permet de traduire visuellement les idées et les messages. C’est la modélisation graphique d’une intervention orale de manière à « cartographier » les idées qui s’expriment au sein d’un groupe. L’utilisation de la pensée visuelle, que ce soit dans un cadre personnel ou professionnel, permet de s’approprier les données et d’y voir plus clair, ce qui n’est pas toujours simple dans notre monde où les informations surgissent aujourd’hui de toutes parts et à tout moment. Le rôle du facilitateur graphique est de capter les paroles exprimées par une personne ou par le groupe ; en extraire les idées clés ; puis les donner à voir en direct sur un support visuel. Son rôle est ainsi d’accompagner la réflexion collective en proposant une visualisation adaptée au contexte, à l’objectif et à la dynamique. La facilitation graphique est ainsi un outil pédagogique très puissant. Si l’on s’appuie sur la théorie des intelligences multiples d’Howard Gardner, la pensée visuelle permet d’activer plusieurs leviers : l’intelligence visuelle spatiale bien sûre, mais aussi l’intelligence verbale-linguistique. Dans le cas où l’on réalise sa propre prise de note, cela peut faire appel à l’intelligence kinesthésique : on se met en mouvement durant le temps d’écoute, on pratique une écoute active qui met le corps en marche, une des clés de la mémorisation des contenus. Voir l’intelligence interpersonnelle si l’on construit le visuel en groupe. Le fait d’activer simultanément plusieurs de ces leviers permet de créer un ancrage fort pour les personnes et donc de comprendre et de retenir fortement les informations essentielles. Le rôle de la facilitation graphique ou la pensée visuelle est ainsi d’accompagner un processus de communication, la transmission d’un message.
Le visuel permet aussi de favoriser une meilleure compréhension entre les individus : le fait d’utiliser un support visuel pour expliquer sa pensée permet généralement de cibler très rapidement les points d’accords et de désaccords des différentes parties.
De plus, cet outil permet de produire un compte-rendu à la fois synthétique et immédiatement disponible. Il est vrai que bien souvent, on entre dans une salle de réunion, on travaille beaucoup, et lorsque l’on ressort, la salle est identique… Il n’y a quasiment aucune trace de ce que le groupe a fourni comme travail, mis à part le compte rendu texte de 5 pages linéaires qui sera envoyé ultérieurement aux participants et que peu d’entre eux liront réellement. Le fait de montrer (sur un paper-board, un tableau, une fresque, ou autre) ce que le groupe a produit, ou tout au moins le cheminement, l’élaboration de sa réflexion collective, a un impact énorme sur le développement de ces travaux. Élaborer un tel compte rendu oblige à sortir de la prise de notes linéaire, où l’on écrit, de manière passive, au kilomètre, ce que l’on entend sans même parfois comprendre ce que l’on note. La facilitation graphique permet de réfléchir au sens : quelles idées sont essentielles ? Quels sont les liens entre ces idées importantes ? Où se placent-elles dans l’architecture du discours/de la pensée ?

Détail © Julie Boiveau

Contextes d’application

Particulièrement efficace, cet outil peut être utilisé dans n’importe quel domaine, du moment où l’on cherche à transmettre un message : une conférence, un cours de quelque discipline que ce soit, une réunion de travail, une discussion entre collègues, etc. Plusieurs contextes dont les objectifs sont propres à chaque application :

• Au cours de réunions pour accompagner le travail d’un groupe et les faire avancer sur leurs réflexions. Objectifs : la pensée visuelle permet de concentrer le groupe sur le sujet, répartir la parole, faire avancer les idées émises : les faire évoluer, les amender ou les modifier. Cela permet aussi d’avoir un compte rendu de la session. Ce compte-rendu peut-être ensuite repris par le groupe pour la base de la prochaine session de travail. #scribing

• Lors de conférences afin de traduire en direct les propos des intervenants et les montrer à l’assemblée. Objectifs : la pensée visuelle permet de garder plus longtemps l’attention des participants concentrée sur le sujet. Cela permet aussi de favoriser la mémorisation post-événement grâce au compte-rendu visuel réalisé en direct. #scribing
• Dans un groupe pour co-construire un projet. Objectifs : la facilitation graphique permet une implication forte des participants dans la définition et/ou la construction du projet. Cela favorise la compréhension entre les individus et permet souvent une meilleure communication. #intelligence collective #pensée visuelle #co-construction

• Pour soi-même (noter ses pensées/projets, faire le compte-rendu d’un livre ou d’un cours, etc.). Objectifs : la facilitation graphique permet à la personne d’être actrice de sa prise de notes et cela favorise le processus de mémorisation. #sketchnoting

Par ailleurs, on peut tout à fait imaginer faire entrer la facilitation graphique à l’école ! Elle pourrait être utilisée par les enseignants pour expliquer et faire comprendre leurs cours, mais également par les élèves pour prendre des notes. Il semblerait que de plus en plus d’écoles se mettent au mind-mapping, ce qui est déjà un grand pas en avant ! Le mind-mapping est un premier pas vers la pensée visuelle. Il offre un cadre rassurant avec une structure fixe, qui une fois assimilée permet de prendre des notes facilement. En facilitation graphique, on garde ce principe de spatialiser l’information pour la comprendre, mais on va s’affranchir de la structure du mind-map. On cherchera à trouver une structure directement dépendante, propre aux idées que l’on va présenter.
Il existe des organisations qui forment les enseignants à la pensée visuelle (je pense notamment à l’ISFEC de Rennes). Certains enseignants l’utilisent, de manière plus ou moins confidentielle, intuitive, parfois sans même mettre le terme de facilitation graphique dessus. Ce sont des personnes très visuelles par nature, qui vont d’instinct présenter leurs cours de cette façon. Le réseau des documentalistes est lui aussi de plus en plus présent dans la discipline, notamment grâce à Magali Le Gall
(@magalilegall sur Twitter), professeur documentaliste à l’université Parie Sorbonne, facilitatrice graphique de talent qui contribue à partager ces outils dans l’univers de l’enseignement.

Restitution visuelle des 11e rencontres professionnelles de l’Andep © Julie Boiveau / blog julie boiveau.wordpress.com

Se former

Il existe plusieurs formations sur le sujet en France. Il me semble pertinent au début de suivre une formation afin de lever les premières barrières comme « ah non ce n’est pas pour moi, je ne sais pas dessiner ». Une fois que ces freins sont levés, il est clair qu’un peu de pratique est nécessaire avant d’oser se lancer à capter en direct devant un grand groupe. Il est bon de profiter de chaque opportunité pour pratiquer, que ce soit dans le cadre du travail (construction de projets avec les collègues, réunions, prise de note, présentation de cours, etc.) ou bien à la maison (liste des courses, préparation des vacances, etc.). La confiance vient avec au fur et à mesure de la pratique. Une fois que l’on a pris confiance sur des petits formats, on pourra oser se lancer à prendre le marqueur en réunion !

Le français vu du ciel

Entretien avec Marion Charreau par Sarah Sauquet

« Les espaces se sont multipliés, morcelés et diversifiés. Il y en a aujourd’hui de toutes tailles et de toutes sortes, pour tous les usages et pour toutes les fonctions. Vivre, c’est passer d’un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner. » C’est dans son livre Espèces d’espaces que Georges Pérec, dont on connaît le goût pour la nomenclature et la classification, racontait comment l’histoire des sociétés était avant tout l’inscription dans un espace, à partir duquel et sur lequel on écrivait.
Marion Charreau, elle s’intéresse à l’histoire des langues, à leur transmission et à leur évolution, et a le talent de les mettre en images. Son ouvrage Le Français vu du ciel, paru en 2019 aux éditions Le Robert, est un incroyable voyage illustré au sein d’une contrée, la langue française, qu’elle nous présente comme des territoires à explorer. Riche et coloré, son livre permet une toute nouvelle approche du français, et séduira aussi bien spécialistes que néophytes. Nous avons souhaité en savoir plus sur la démarche de Marion, et l’intérêt pédagogique des « cartes mentales », ces cartes qui permettent de passer d’une notion linguistique à une autre sans jamais se cogner.

Sarah Sauquet : Pourrais-tu rapidement nous présenter Le Français vu du ciel, et nous raconter la genèse de ce projet ?
Marion Charreau : Le Français vu du ciel propose un voyage inédit dans la langue française. Il s’agit d’un beau livre au format BD qui présente la grammaire, la conjugaison et le lexique sous forme de cartes mentales illustrées, et reliées entre elles par les aventures d’un personnage. L’univers du livre est poétique, visuel et ludique.
Au début, un personnage observe un brouillard de mots (pronom, mode, complément, transitif, adjectif, etc.). Des mots que l’on utilise pour décrire la langue mais qui ne sont pas forcément clairs pour lui (ni pour nous). Curieux, il décide donc de partir en direction du brouillard et arrive dans les territoires des mots. Là, il va rencontrer les différents types de mots, comprendre leurs natures, leurs fonctions, et découvrir comment les utiliser pour exprimer sa pensée.
Avec Le Français vu du ciel, c’est un peu comme si on pouvait se déplacer dans les neurones d’une personne qui se pose des questions, comprend et apprend. En suivant le parcours et la progression du personnage, le lecteur décortique les mécanismes de la langue française, il clarifie et relie ses connaissances.
Ce livre est l’aboutissement de sept années d’enseignement du français à l’étranger à l’aide (notamment) des cartes mentales et d’une pratique de classe originale. À la demande d’enseignants souhaitant utiliser mes supports, l’idée de publier un livre a germé petit à petit. Rencontrer un éditeur qui ose parier sur ce projet a pris du temps. Mais voilà, c’est fait, Le Français vu du ciel est maintenant largement distribué.

Sarah Sauquet : Selon toi, à qui le livre s’adresse-t-il et quels usages peut-on faire des cartes mentales ?
Marion Charreau : Quand j’ai construit ce livre, j’ai toujours eu en tête une famille confortablement installée dans un canapé, discutant du français tout en naviguant dans les cartes. Le français vu du ciel est intergénérationnel, il s’adresse aux adolescents et aux adultes souhaitant rafraîchir leurs connaissances et se sentir à l’aise avec la langue. Mais il trouve d’autres publics : les enseignants qui s’en inspirent ou l’utilisent pour aborder certains points de grammaire en classe, les personnes qui apprennent le français langue étrangère, les personnes familiarisées avec les cartes mentales et la pensée visuelle, les professionnels de la pédagogie, les amateurs de beaux livres.
On peut utiliser les cartes mentales illustrées du livre pour avoir une vision d’ensemble des mécanismes de la langue française et se faire plaisir en apprenant. On peut consulter une carte en particulier pour revoir ou mémoriser un point de grammaire. On peut présenter un aspect de la langue sous un nouveau jour, s’inspirer des cartes pour parler de la langue autrement et associer des notions complexes à l’imaginaire des personnes qui nous écoutent. Ces cartes sont à la fois une proposition de voyage dans ses propres connaissances et un outil de discussion et de partage autour de la langue française.

Sarah Sauquet : L’ensemble, et c’est un tour de force, est à la fois extrêmement ordonné et construit tout en donnant une impression de profusion. Peux-tu nous en dire plus sur ton processus créatif, la façon dont tu as structuré et pensé l’ensemble ?
Marion Charreau : Pour créer, on part toujours de quelque chose d’existant. Dans le cas du livre, j’avais en stock et en mémoire des dizaines de cartes mentales sur la langue française réalisées pendant des années dans le cadre de cours de français.
J’ai tout de suite pensé le livre comme devant être un bel objet qui donne envie de se plonger dans les cartes. Puis j’ai dû trouver un fil conducteur (narratif et visuel) pour guider le lecteur et rendre le tout parfaitement cohérent.
Une fois les grandes lignes du livre définies, j’ai mis toutes ces informations dans une gigantesque carte mentale faite à l’aide d’un logiciel. Puis j’ai dessiné des cartes sur papier pour valider un prototype du livre auprès de l’éditeur et de l’équipe linguistique d’Orthodidacte.com qui a veillé sur ce projet. J’ai affiné le scénario, les cartes et l’univers visuel petit à petit, jusqu’à la réalisation des cartes originales. Pendant des mois, mon appartement a été envahi de cartes accrochées aux murs. J’ai littéralement vécu dans Le Français vu du ciel !

Sarah Sauquet : Dans ton livre, les notions grammaticales ou lexicales sont associées à des images (le tube des pronoms, les totems des modes, etc.). Comment ces choix se sont-ils faits ? Comment associes-tu une notion à une image ?
Marion Charreau : Certaines images viennent d’explications spontanées pendant les cours. J’aime beaucoup procéder par analogie pour aider quelqu’un à comprendre. J’ai aussi posé des questions du type « qu’est-ce qu’un verbe ? » à d’anciens élèves, des enseignants, des amis, des personnes d’âges et de nationalités différentes pour nourrir mon imaginaire et écouter ce qu’avait à dire mon futur public.
Au départ j’avais des images pour quelques notions seulement et puis petit à petit, l’univers des territoires des mots s’est construit et etoffé, imposant sa propre logique. C’était une sensation assez étrange, comme si ces lieux imaginaires devenaient autonomes.
Par exemple, si les noms sont des êtres sur une île et que les verbes se construisent dans la montagne, les pronoms sont logiquement reliés aux deux espaces en question car ils remplacent le nom mais sont aussi liés au verbe… C’est donc le tube des pronoms qui fait le lien entre l’île des noms et la montagne des verbes (par analogie avec le métro – tube en anglais qui est un moyen de déplacement relativement rapide comme chacun le sait). Dans une phrase, le pronom permet lui aussi d’aller plus vite, c’est une sorte de raccourci.

Sarah Sauquet : Le style graphique du livre est-il à l’image de ton style artistique habituel ? As-tu insisté sur certains aspects, travaillé certaines couleurs, ou souhaité avoir un rendu particulier ?
Marion Charreau : Comme je savais qu’il y aurait profusion d’informations, j’ai souhaité avoir un style graphique léger et organique pour mettre en avant les liens et donner une sensation de fluidité. Ce sont des éléments que l’on retrouve dans mon travail artistique mais il n’est pas visible sur Internet donc vous n’aurez pas d’élément de comparaison…
Je voulais aussi donner aux informations une texture, du relief. J’ai d’ailleurs observé beaucoup de lecteurs se déplacer dans le livre en caressant les pages.

Sarah Sauquet : Le livre est relativement exhaustif et aborde de nombreuses notions. Y a-t-il des notions ou thématiques que tu n’as pas voulu aborder, ou réussi à mettre en images ?
Marion Charreau : C’est vrai que ce livre donne une sensation réelle d’exhaustivité. Évidemment, il ne contient pas tous les aspects de la langue française, ce ne serait ni lisible ni utile, et aucun éditeur ne se risquerait à publier un livre aussi épais !
Le Français vu du ciel fait la synthèse de ce qui est vraiment nécessaire pour comprendre les mécanismes du français. Il contient les bases qui permettent de relier les notions essentielles aux plus complexes. Mon idée est que le lecteur puisse ensuite aller au-delà du livre avec l’assurance de l’expert et l’enthousiasme de l’explorateur. En naviguant dans les cartes et en suivant les aventures du personnage, on a l’agréable sensation que tout s’imbrique et se clarifie. On est donc prêt à poursuivre l’aventure.
Voici d’ailleurs un message pour les lecteurs : n’hésitez pas à prolonger les branches du Français vu du ciel par vous-même (dans votre tête ou avec un crayon) !

Sarah Sauquet : Pourrais-tu un jour concevoir un livre fondé sur le même principe et consacré au vocabulaire ? Peux-tu nous parler d’éventuels projets à venir ?
Marion Charreau : J’ai toute une carte mentale remplie de projets à venir ! Certains concernent la langue française ou d’autres langues, d’autres sont des variantes ou des compléments du livre existant. Il y a aussi des projets d’expositions, de parcours pédagogiques, des posters, des jeux éducatifs. Il y a aussi un projet très singulier concernant le vocabulaire, j’espère qu’il trouvera preneur…
Je ne sais pas si tout cela aboutira, mais je souhaite vivement que Le Français vu du ciel ouvre la voie à une nouvelle manière d’aborder l’enseignement et l’apprentissage du français (et des langues en général).

Sarah Sauquet : Pour finir, que dirais-tu à quelqu’un qui voudrait découvrir la langue française à travers ton livre ?
Marion Charreau : Je lui dirais avant tout qu’il s’agit d’un livre pour se faire plaisir, un compagnon de voyage. Je lui poserais ensuite des questions pour comprendre d’où il/elle part : cerner ses besoins, ses connaissances préalables, ses résistances, ses objectifs et ses motivations. Avec ses réponses, je pourrais lui indiquer comment utiliser mon livre et d’autres ressources adaptées.
Je lui dirais aussi qu’il y a plusieurs façons de lire et d’apprendre avec Le Français vu du ciel. On peut parcourir la langue en feuilletant l’ensemble, on peut se focaliser sur l’histoire et la progression du personnage sans entrer dans le détail, on peut consulter une carte en particulier pour un besoin précis (ex : comment poser des questions ?).
Je l’encouragerais vivement à réaliser « son » français vu du ciel en construisant ses propres cartes dans un grand cahier blanc, sur des thèmes qui l’intéressent, qu’il doit communiquer clairement ou mémoriser pour longtemps. Et je lui confierais ceci : le livre qu’il tient entre ses mains est né parce qu’un jour, me trouvant devant des personnes voulant apprendre le français, j’ai dû faire mes propres cartes pour apprendre à l’enseigner.

Condition animale

Textes et conventions internationales

Monde

Proclamation de la Déclaration universelle des droits de l’animal le 17 octobre 1978 à la Maison de l’Unesco à Paris (texte révisé par la Ligue internationale des droits de l’animal en 1989 et publié en 1990). Une nouvelle révision a été rédigée par la LFDA en 2018.

Europe

Traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007, entré en vigueur le 1er décembre 2009.
Article 13 : « Désireuses d’assurer une plus grande protection et un meilleur respect du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles, sont convenues […]».

Depuis les années 70, l’Union Européenne s’applique à protéger les animaux par la publication de nombreux textes (conventions, règlements, directives) dans lesquels distinction est faite entre : les animaux domestiques, ceux faisant l’objet d’échanges, et les animaux sauvages.

France

Code pénal 1963. Chapitre unique : Des sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux. Article 521-1 (version du 6 octobre 2006) : « Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. »

Code rural 1976, chapitre 4 : La protection des animaux. Article L214-1 (version du 21 septembre 2000) : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. »

Code civil : Article 515-14 (créé par la loi du 16 février 2015 art 2) : « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens. »

Les animaux sauvages vivant en liberté ne sont toujours pas considérés comme des êtres sensibles.

 

Penseurs

Pythagore (580 av. J.-C.-495 av. J.-C.) : philosophe présocratique. Considéré comme le père du végétarisme. Voir Les Métamorphoses d’Ovide.

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) : philosophe genevois. Discours sur l’origine de l’inégalité (1754) : la différence entre l’homme et l’animal.

Jeremy Bentham (1748-1832) : philosophe britannique, jurisconsulte. Fondateur de l’utilitarisme. Introduction aux principes de morale et de législation (1789).

Arthur Schopenhauer (1788-1860) : philosophe allemand. Sur le besoin métaphysique de l’humanité (1818) : « L’homme est un animal métaphysique ».

Tom Regan (1938-2017) : professeur de philosophie morale. Théoricien américain du droit des animaux. Les Droits des animaux (2013).

Elisabeth de Fontenay (1934-) : philosophe française. Ouvrage de référence : Le Silence des bêtes : la philosophie à l’épreuve de l’animalité (1998).

Peter Singer (1946-) : philosophe australien et professeur de bioéthique. Fondateur du mouvement contemporain des droits des animaux. La Libération animale (1975), Questions d’éthique pratique (1997).

Vinciane Despret (1959-) : philosophe des sciences belge, et spécialiste d’éthologie, Le Chez-soi des animaux (2017), Bêtes et Hommes (2007), Que diraient les animaux si on leur posait les bonnes questions (2014), Penser comme un rat (2009).

Florence Burgat (1962-) : philosophe française, directrice de recherche à l’INRA. Spécialiste de la condition animale. Animal, mon prochain (1997), Le Droit animalier (2016), L’Humanité carnivore (2017), Être le bien d’un autre (2018).

 

 

Associations et manifestations

Quelques-unes des nombreuses associations de défense des animaux :

Société Protectrice des Animaux (SPA). L’association lutte au quotidien pour la protection animale avec pour mission principale de mettre un terme à la maltraitance et aux abandons.

Fondation 30 millions d’amis : association pour la défense et la protection des animaux.

La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA) a pour but l’évolution des textes en faveur des animaux à l’aide d’arguments scientifiques et éthiques.

L214 éthique et animaux : association de protection animale œuvrant pour une pleine reconnaissance de la sensibilité des animaux et l’abolition de certaines pratiques (élevages, abattoirs).

Parti animaliste : créé en 2016, il promeut une évolution de la société qui prenne en compte les intérêts des animaux et qui repense la relation entre les animaux et les humains.

Fond Mondial pour la Nature (WWF) : organisation mondiale de protection de l’environnement, œuvre pour la préservation des espaces et espèces sauvages les plus menacées.

Pour une éthique dans le traitement des animaux (PETA) : lutte pour les droits des animaux, notamment par l’abolition de l’exploitation de leur fourrure, cuir ou laine.

International Fund for Animal Welfare (IFAW) : ONG spécialisée dans la protection des animaux en danger.

Sea Shepherd Conservation Society : ONG engagée dans la protection des écosystèmes marins et de la biodiversité.

Front de libération des animaux (ALF) : mouvement d’activistes des droits des animaux très présent dans les pays anglophones.

Journée internationale sans viande (Meat Out Day), le 20 mars, chaque année.

Journée Internationale pour les Droits des Animaux (JIDA), le 10 décembre, chaque année.

 

© L214

 

Expositions

Grand Palais, Galeries nationales : « Beauté animale », 21 mars 2012-16 juillet 2012. Dossier pédagogique disponible  https://www.grandpalais.fr/sites/default/files/user_images/30/dossier_pedagogique_beaute_animale.pdf

La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences : « L’animal aujourd’hui », créée à l’occasion des 40 années d’existence de la LFDA, Mairie de Paris 5e, 28 août au 2 septembre 2017. Exposition disponible au format PDF  http://www.fondation-droit-animal.org/exposition-lanimal-aujourdhui/

L’association L214 propose deux expositions :
« La viande, les animaux et l’environnement ». Disponible à l’adresse  https://www.l214.com/exposition
« Nourrir l’humanité : Enjeux et alternatives pour l’agriculture ». Disponible à l’adresse  https://education.l214.com/expositions

 

 

Dans les programmes

La sensibilité animale et le droit des animaux n’apparaissent pas en tant que tels dans les programmes scolaires, il faudra donc aborder ces thèmes via des aspects proches du programme.

Collège

5e – Français
Questionnement complémentaire. L’être humain est-il maître de la nature ?
Bulletin officiel n° 30 du 26-7-2018

5e – Géographie
Thème 2 : Des ressources limitées, à gérer et à renouveler
L’alimentation : comment nourrir une humanité en croissance démographique et aux besoins alimentaires accrus ?
Bulletin officiel spécial n°11 du 26-11-2015

3e – Sciences de la vie et de la terre
Le vivant et son évolution. Attendus de fin de cycle :
Expliquer l’organisation du monde vivant, sa structure et son dynamisme à différentes échelles d’espace et de temps.
Mettre en relation différents faits et établir des relations de causalité pour expliquer :
– la nutrition des organismes ;
– la dynamique des populations ;
– la classification du vivant ;
– la biodiversité (diversité des espèces) ;
– la diversité génétique des individus ;
– l’évolution des êtres vivants.
Bulletin officiel spécial n°11 du 26-11-2015

Lycée

2de – SVT
La biodiversité, résultat et étape de l’évolution :
Capacités et attitudes développées tout au long du programme :
Être conscient de sa responsabilité face à l’environnement, la santé, le monde vivant.
Être conscient de l’existence d’implications éthiques de la science.
Bulletin officiel spécial n°4 du 29-4-2010

2de – Histoire géographie
Thème 2 – Gérer les ressources terrestres
Nourrir les hommes :
– Croissance des populations, croissance des productions.
– Assurer la sécurité alimentaire.
Bulletin officiel n° 4 du 29-4-2010

1re – Français
Objet d’étude commun à toutes les séries générales :
La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVIe s. à nos jours :
L’objectif est de permettre aux élèves d’accéder à la réflexion anthropologique dont sont porteurs les genres de l’argumentation afin de les conduire à réfléchir sur leur propre condition. On contribue ainsi à donner sens et substance à une formation véritablement humaniste.
Bulletin officiel spécial n°9 du 30 septembre 2010

Terminale S : SVT
– Être conscient de sa responsabilité face à l’environnement, la santé, le monde vivant.
– Être conscient de l’existence d’implications éthiques de la science
Bulletin officiel spécial n°8 du 13-10-2011

Terminale séries générales : Philosophie
Thèmes de philosophie : autrui (L, ES), perception (L), conscience (L, ES, S), vivant (L, S)
Bulletin officiel n°25 du 19-6-2003

Terminale : EMC
Biologie, éthique, société et environnement :
La responsabilité environnementale. L’interdépendance humanité-nature. Le principe de précaution : sa réalité juridique, ses applications et ses limites.
Bulletin officiel spécial n°6 du 25-6-2015

 

Pistes pédagogiques

• Avec tout professeur (SVT, EMC, philosophie mais pas seulement) intéressé par le sujet, emprunter une exposition pour sensibiliser les élèves au sujet, réaliser un questionnaire et faire venir les classes au CDI.

• Inviter un membre d’une association, un auteur, un philosophe. En amont, réaliser des recherches documentaires sur le sujet au CDI avec les élèves afin de préparer les questions à poser aux intervenants. En aval, s’il existe un journal dans l’établissement, rédiger un compte rendu des interventions et/ou des interviews réalisées par les élèves.

• Entraînement à l’expression orale et écrite :
– Organiser un débat sur les droits des animaux dans le cadre de l’EMC, des cours de lettres avec, au préalable, recherches documentaires au CDI et rédaction d’un texte argumentatif.
– Visionner un reportage, un film puis l’analyser et/ou débattre.

• Sorties : rencontrer une association, se rendre à un festival, se rendre à une conférence sur la cause animale.

• Avec les personnels de la cantine, l’infirmière, les professeurs de SVT, un nutritionniste : concevoir un repas végétarien, en faire la promotion sur le portail du CDI et le site de l’établissement.

• Avec les professeurs de SES ou des séries technologiques, réaliser une enquête sur les pratiques alimentaires des élèves et des personnels.

• Participer à la Journée internationale sans viande le 20 mars et la Journée Internationale pour les Droits des Animaux (JIDA) le 10 décembre chaque année.

 

 

« Le jour viendra peut-être où le reste de la création animale acquerra ces droits qui n’auraient jamais pu être refusés à ses membres autrement que par la main de la tyrannie. »

Jeremy Bentham, Introduction aux principes de la morale et de la législation, 1789.

 

 

Bansky : Dismaland, Bemusement Park 2015 (parc d’attraction) D. R.

 

Image mise en avant : Bansky : Sirens of the Lambs 2013 (spectacle) D. R.

Les bibliothèques, lieux ressources pour les publics LGBT+

Dans son ouvrage sur les Représentations des homosexualités dans le roman français pour la jeunesse, Renaud Lagabrielle1 souligne l’importance des oeuvres proposant un ou des personnages homosexuels dans le panorama éditorial pour la jeunesse, et donc au sein de toutes les bibliothèques (scolaires, municipales et universitaires) à l’heure où celles-ci réfléchissent à la question de l’inclusion sociale. L’une des missions des bibliothèques est en effet de permettre l’accès à tous au savoir et à l’information, et celles-ci semblent ainsi particulièrement indiquées pour amener les adolescents LGBT+ à venir chercher des informations (même si Internet leur offre un accès plus direct et plus discret), et des personnages fictionnels auxquels s’identifier. Par ailleurs, il semble que le concept d’inclusion ne peut se penser sans celui de visibilité, et là encore, les bibliothèques ont un rôle à jouer.

Visibilité des thématiques LGBT+ en bibliothèque

Évolution historique en classification et indexation

Penser l’accès de la documentation liée aux thématiques LGBT+ est une étape fondamentale dans l’accueil des jeunes homosexuel.les et transgenres dans les bibliothèques et CDI. La visibilité de ces sujets, à travers le catalogue, par l’indexation et la cotation – loin de toute stigmatisation, qui en réalité arrive surtout quand on décide d’ignorer et d’exclure –, s’avère nécessaire pour lutter contre le rejet.

La Classification Décimale Dewey
L’étude des évolutions proposées à travers le temps de la Classification Décimale Dewey quant aux thématiques liées à l’homosexualité et à la transidentité ne peut se faire sans une observation du contexte américain à une époque donnée, dans la mesure où cet outil de hiérarchisation des savoirs demeure notamment dépendant du degré de reconnaissance sociale accordée à chaque item et à l’interprétation qui en découle. Par ce biais, nous assistons donc, d’une certaine manière, à l’histoire abrégée des personnes LBGT+ américaines, à l’étendue des préjugés existants et aux avancées visibles et légales de leur mouvement.
Pour un aperçu historique, il faut lire l’article « A brief history of homophobia in Dewey decimal classification2 » de la bibliothécaire australienne Doreen Sullivan. Elle explique comment la notion d’homosexualité dans la Classification Dewey fait dans un premier temps les frais de l’invisibilisation des homosexuel.le.s dans la société, puisque celle-ci n’apparaît pas avant la 13e édition en 1932 et y est dès lors associée d’une part à la cote 132 qui désigne les « mental derangements », et d’autre part à la cote 159.97 ou « abnormal psychology ». Jusqu’à la 14e édition en 1942, l’homosexualité demeure classée en 301.4157, soit comme « relations sexuelles anormales ». Par la suite, dans la 15e édition imprimée en 1952, l’homosexualité intègre la classe des sciences sociales, à travers la cote 301.424 désignant « the study of sexes in society » marquant une nouvelle étape dans la visibilité – bien que toujours réprimée – des personnes homosexuelles. Néanmoins, et malgré les émeutes de Stonewall en 1969 puis la dépsychiatrisation de l’homosexualité et sa suppression de la liste des maladies mentales en 1973 aux États-Unis, les éditions suivantes de la CDD persistent à la reléguer dans la classe de la psychologie comme un trouble du caractère et de la personnalité, dans celle de la santé en tant que trouble neurologique et enfin dans celle des sciences sociales comme perversion, au même titre que la prostitution, l’inceste et les relations extraconjugales. En 1989, dans la 20e édition, on parle toujours de « controversies related to public morals and customs » en 363.4 et de « homosexuality as a crime » en 364.1536. La notion de « mariage homosexuel » est introduite comme subdivision des « institutions relatives aux relations des sexes », alors que la 21e édition l’intègre à la cote 306.8 « mariage et famille », sous la division 306.848.
Enfin, en observant les tables abrégées de la 21e édition, nous retrouvons toujours l’homosexualité en 176, relatif à la « morale sexuelle », en 363.4 relatif aux « problèmes relatifs à la morale publique », en 155.3 relatif à la « psychologie de la sexualité et psychologie des sexes » et en 306.7 relatif aux « relations entre sexes. Pratiques sexuelles. » Cette dernière partie est l’occasion de noter la présence sur le même plan, sous la cote 306.76 désignant les « orientations sexuelles », de l’hétérosexualité, la bisexualité, l’homosexualité et la transsexualité. Il faut toutefois ici regretter la catégorisation de la transidentité comme une orientation sexuelle. Bien que liées dans les mouvements civiques et militants aux questions lesbiennes, gays et bisexuelles, la question transgenre touche à la notion d’identité de genre et non d’orientation sexuelle. Dans la CDD, il n’existe pas de division prenant en compte cette distinction. De plus, jusque-là, cette notion n’était évoquée que par le biais du « travesti » dans la division des « troubles sexuels ».
La dernière et 23e édition propose l’organisation suivante : 306.76 Relations entre sexes. Pratiques sexuelles > 306.764 Hétérosexualité / 306.765 Bisexualité / 306.766 Homosexualité > 306.7662 Homosexualité masculine / 306.7663 Lesbianisme / 306.768 Sociologie de la transexualité.
Elle inclut également l’homosexualité dans les classes 176 (éthique sexuelle), 363.49 (problèmes relatifs à la morale publique. Homosexualité) et 155.3 (psychologie de la sexualité).

Les étagères arc-en-ciel de la bibliothèque d’Umeå

Les notices autorité de Rameau
Tout comme celui de la Classification Décimale Dewey, le contenu du Répertoire d’autorité matière encyclopédique et alphabétique unifié (Rameau) est amené à évoluer et souligne un certain système de pensée, et dans le cadre d’une analyse sur les autorités matières liées aux thématiques LGBT+, une chronologie évocatrice apparaît.
La première notice créée, en 1981, concerne le terme d’« homosexualité masculine », ignorant ostensiblement la possibilité d’une homosexualité féminine. Celle-ci n’apparaît dans ce registre que quelques mois plus tard, en 1982 – date historique de la dépénalisation de l’homosexualité – sous le terme « lesbianisme », en même temps que celui de « bisexualité. » Le terme générique d’« homosexualité » n’est étrangement produit que l’année suivante.
Il faut attendre 1989 pour que le répertoire propose un terme pour évoquer les personnes transgenres, le « transsexualisme. » Cette terminologie se rapporte à une dimension médicale puisqu’elle implique une opération de réassignation pour aboutir physiquement au changement de sexe. Ce vocabulaire apparaît comme imprécis puisqu’il réduit les personnes concernées à un geste chirurgical et les désigne par rapport à leur sexe alors qu’elles se définissent autour de leur identité de genre. Qui plus est, il demeure le terme lié à la dimension psychiatrisante de l’histoire de la transidentité. Aujourd’hui, si les termes « transidentité » et « transgenre » doivent être préférés, ils n’apparaissent pas encore dans la liste Rameau.
Enfin, c’est plus de dix années plus tard, en 2000, que sont générés les termes « hétérosexualité » et « homophobie ». Hasardeuse ou non, cette simultanéité est l’occasion de souligner que la reconnaissance – tardive – du rejet des personnes homosexuelles n’est pas sans rapport avec la vision binaire de la société en termes de sexualité, laquelle induit une illusion de supériorité de l’hétérosexualité sur l’homosexualité.
Au-delà de ces considérations chronologiques, il faut par ailleurs s’intéresser aux sens que donne Rameau à ces termes et aux liens qui peuvent être établis. En effet, cet outil propose, associée à chaque terme de la liste, une rubrique « employé pour » et des termes génériques, associés et spécifiques. Ceux-ci peuvent ainsi poser certaines difficultés ou au contraire apporter un éclairage positif. Notons par exemple la confusion qui demeure quant à la bisexualité dont les termes associés dans le répertoire concernent encore l’« androgynie » et l’« hermaphrodisme », qui relèvent pourtant de notions tout à fait différentes. De même, le « transsexualisme » se voit employé pour parler de l’« intersexualité » et associé au terme générique relatif aux « troubles de l’identité sexuelle ». Enfin, de nombreux préjugés demeurent apparents, comme lorsque l’« homosexualité » se trouve devoir être employé pour une « inversion sexuelle » ou associé aux termes « amitié masculine, » comme le « lesbianisme » l’est aux termes « amitié féminine », ou encore quand « l’homosexualité masculine » se voit accoler le terme spécifique « sodomie. »
Néanmoins, il faut relever de manière encourageante que le terme « hétérosexualité » est associé au terme « hétérosexisme », soulignant ainsi une réalité sociale souvent méconnue, à savoir la promotion exclusive de l’hétérosexualité comme norme, et donc le rejet voire l’invisibilisation de toute autre forme d’orientation sexuelle et affective. Pour finir, la discrimination à l’encontre des homosexuelles n’est finalement pas ignorée non plus, puisqu’il est stipulé que le terme « homophobie » peut être employé pour signifier entre autres la « lesbophobie. »

Pratiques de classement des ouvrages pour la jeunesse

Cette histoire de la classification et de l’indexation des documents traitant de thématiques LBGT nous amène à orienter cette même problématique du côté des ouvrages destinés à la jeunesse. Sans donner de références définitives concernant le choix des cotes et des sujets, il s’agit avant tout d’évoquer certaines pratiques généralistes et pointer les difficultés induites par ces thématiques.
En effet, l’un des objectifs de la littérature pour la jeunesse, fictionnelle ou documentaire, étant d’offrir aux lecteurs une représentation du monde en leur proposant des modèles de comportements et de rapports sociaux, il importe pour les bibliothécaires et les documentalistes de prolonger et de valider ces discours, notamment dans le catalogue de l’établissement. Il faut par conséquent veiller à utiliser, avec encore plus de vigilance que pour un public adulte, une localisation et un vocabulaire éloignés des préjugés et éthiquement adaptés.
Concernant les ouvrages de fiction, ces « documents qui font appel à l’imaginaire3 », la classification est souvent conçue en fonction du genre. « La forme, qui impose d’elle-même des modes distincts de présentation, est souvent la solution la plus simple4. » Ainsi, les romans seront situés ensemble, tout comme les bandes dessinées et les mangas, les pièces de théâtre, etc. Dans ce cas-là, la cote 800 de la Classification Décimale Dewey sera bien souvent remplacée par la lettre R pour les romans, T pour le théâtre, H pour l’humour, etc.
Toutefois, en s’accordant sur le fait que la « classification Dewey ne correspond[e] à aucune stratégie de lecture du public5 », il est possible d’envisager un classement, notamment des romans, par thématiques ou centres d’intérêt. Cette méthode distingue d’une part les genres (le roman policier, le roman fantastique, le roman de science-fiction, le roman humoristique, etc.) et d’autre part les grands sujets. Ces grands sujets peuvent se rassembler sous divers titres, comme l’amour ou les questions de société – deux axes sous lesquels pourraient être classés les ouvrages traitant d’une thématique LGBT. Le point de vigilance se situe dans ces cas-là au niveau de la perception que peut en avoir le public. Privilégier le rangement de ces textes sous une étiquette dédiée aux problématiques sociétales présente un risque de stigmatisation. Si le sujet fait bel et bien référence à un épisode d’homophobie, cette catégorisation se justifie. En revanche, si le lecteur assiste simplement à une relation romantique entre personnes du même sexe, cette option ne servira qu’à marquer une différenciation inappropriée entre le sentiment amoureux hétérosexuel et homosexuel.
À l’inverse cependant, c’est le piège de l’invisibilisation totale qui peut découler du choix de noyer entièrement ces ouvrages dans des thématiques plus généralistes.
Du côté des ouvrages documentaires, les pratiques se tournent généralement vers une simplification des cotes. Ceci permet un regroupement plus large des thématiques, à l’intérieur des grandes classes Dewey par exemple. Là encore, la question se pose quant à l’intitulé de la section où peuvent être classés les documents traitant d’homosexualité, de transidentité, d’homophobie, d’homoparentalité, etc. La diversité des contenus induit de manière logique la répartition de tous ces documents entre les classes liées soit aux questions de société, soit à la sexualité, ou encore aux sentiments, à l’identité ou à la famille. Pour autant, une volonté de mise en avant et de visibilité pourrait justifier un rassemblement sous une même cote ou pôle thématique.

Histoire et culture LGBT+ : pour une meilleure visibilité

Exemples d’actions culturelles

Il existe de nombreuses manières pour les bibliothèques de participer activement à l’inclusion des personnes LGBT, dont nous pouvons donner quelques exemples.
Dans un premier temps, un accès aux collections spécifiques permet de faire vivre de manière indispensable la mémoire et l’actualité de cette communauté auprès des personnes directement concernées. Par ailleurs, ces espaces dédiés amènent également une visibilité nécessaire pour s’affranchir du système de pensée hétéronormé toujours en vigueur dans nos sociétés. En France, s’il existe quelques lieux ressources sur l’Histoire des femmes et du féminisme comme la bibliothèque Marguerite Durand à Paris, l’Espace Égalité de Genre de la bibliothèque Olympe de Gouges à Strasbourg ou le Centre d’Archives du Féminisme de la bibliothèque universitaire d’Angers, seule la bibliothèque municipale de Lyon met à disposition un fonds entièrement dédié aux questions d’identité de genre et d’orientation sexuelle, le Point G. Pourvue d’un fonds d’archives liées à la mémoire homosexuelle, le fonds Michel Chomarat, la BML ouvre cette collection dédiée en 2005 et l’alimente grâce à des ouvrages contemporains, garantissant ainsi « représentativité et transmission6. » Ailleurs, nous pouvons évoquer également les « étagères roses » de l’Openbare Bibliotheek Amsterdam (OBA) ou encore les « étagères arc-en-ciel » de la bibliothèque d’Umeå en Suède. Partant du principe que « les publics LGBTQ étaient insuffisamment pris en compte au sein de la structure : tables de présentation au prisme hétérosexuel, collections dédiées absentes ou peu nombreuses, cultures LGBTQ rendues invisibles7 », ces établissements ont fait le choix de proposer des collections spécifiques mettant en avant la littérature et le cinéma traitant de l’homosexualité, la bisexualité et la transidentité.
Dans un second temps, l’inclusion des personnes LGBT+ peut se traduire par la participation à de grands événements locaux (proposer des projections dans le cadre d’un festival de cinéma LGBT), nationaux (mettre en place des tables thématiques lors de la Marche des fiertés) ou encore internationaux (organiser des conférences autour de la journée international de lutte contre l’homophobie le 17 mai ou celle de la visibilité Trans le 31 mars). Par ailleurs, des associations proposent des expositions gratuites que peuvent se procurer les bibliothèques et CDI, comme « Le cinéma contre l’homophobie » et « La littérature jeunesse contre les discriminations » (association Arc-en-ciel à Toulouse), ou encore le « Projet 17 mai » en bande dessinée concocté par SOS Homophobie. Les bibliothèques et CDI peuvent bien sûr également mettre en place leurs propres cycles d’animations autour des thématiques LGBT+, en accueillant des associations dédiées, en organisation des projections-débats ou encore en impliquant cette dimension dans les travaux des élèves ou en accueillant des groupes de parole comme cela se fait par exemple dans les lycées américains.

Représentation LGBT+ dans la production éditoriale pour adolescents

La littérature pour la jeunesse, et en particulier celle pour adolescents, propose à ses lecteurs un panel intéressant de personnages LGBT. En 2007, Renaud Lagabrielle8 dénombrait 30 romans d’auteurs français contenant un protagoniste homosexuel. Ce chiffre, qui excluait à ce moment-là les textes traduits, a semble-t-il fortement augmenté ces dix dernières années. Bien qu’au regard du nombre d’œuvres destinées à la jeunesse produit chaque année la proportion de celles s’intéressant à la thématique LBGT reste faible, il apparaît que le tabou disparaît peu à peu.
Il faut aussi noter l’évolution de la représentation de ces personnages : les personnages adultes ne sont plus uniquement des oncles et tantes célibataires endurci.e.s et/ou vecteurs de tous les clichés vestimentaires et comportementaux, et les adolescent.e.s ne sont plus seulement montré.e.s comme des victimes. L’enjeu actuel de la littérature pour la jeunesse qui s’empare des questions LGBT est de proposer à la fois des personnages communs, sans victimisation systématique, et des personnages dont l’histoire témoigne de l’homophobie et du fonctionnement hétéronormé de la société.
De fait, nous pouvons trouver dans la production actuelle des personnages ouvertement homosexuel.le.s, mais dont l’orientation sexuelle n’a pas d’incidence sur le récit, comme Sam dans Pixel noir de Jeanne-A. Debats ou Camille dans Proie idéale de Charlotte Bousquet. Ce type de personnages participe à un mouvement de banalisation de l’homosexualité en l’inscrivant sans dramaturgie excessive dans le paysage de tout lecteur et lectrice. De fait, les objectifs du roman contemporain pour adolescents abordant le sujet de l’homosexualité sont les mêmes que ceux de la littérature de jeunesse réaliste en général : l’aide à la construction d’une identité personnelle de l’adolescent lecteur et l’élargissement des horizons de chacun.
En dehors de ces personnages secondaires, la typologie des personnages homosexuels est double. D’une part l’adolescent.e, personnage central de l’histoire dont on suit la découverte de l’homosexualité ou la première relation sentimentale. D’autre part, des personnages adultes homosexuels qui peuvent être heureux en couple, comme Maryline, une amie de la mère de l’héroïne dans F comme garçon, d’Isabelle Rossignol, ou le père de Jack dans le roman éponyme de A. M. Homes qui vit avec un homme depuis son divorce, prouvant ainsi que les difficultés ne durent pas indéfiniment. De plus, en faisant accéder leurs personnages adultes à une vraie « normalité » et en les montrant épanouis et productifs pour la société, les auteurs s’attachent à déconstruire de nombreux préjugés. À l’inverse, le personnage de l’adulte homosexuel peut également être le moyen de traiter de l’épidémie du sida, révélant cette fois-ci des situations familiales et sociales plus complexes, comme par exemple dans Le Cerf-volant brisé de Paula Fox ou Tout contre Léo de Christophe Honoré.
Ce rapide panorama montre la diversité des situations proposées, et par conséquent celle des modèles potentiels auxquels s’identifier. Toutefois, il faut noter, comme le souligne Gilles Béhotéguy 9, qu’une plus grande proportion de titres s’intéresse à l’homosexualité masculine. Cet écart trouve son explication d’une part par l’invisibilisation systémique que connaît l’homosexualité féminine dans nos sociétés, et d’autre part par le tabou que représente l’homosexualité masculine et que la littérature de jeunesse cherche à déconstruire.
Enfin, soulignons que la question de la transidentité est encore très peu traitée dans la production éditoriale pour adolescents (cf. Thémalire de ce même numéro).

 

Pour de nombreuses raisons, liées à l’hétéro et la cis-normativité de notre société, les adolescents LGBT+ s’avèrent être un public particulièrement fragile. L’homophobie, la biphobie et la transphobie subies au quotidien entraînent de nombreuses conséquences négatives difficiles à ignorer. Des études démontrent que ces jeunes doivent faire face à des impacts graves sur leur santé mentale (notamment un taux de suicide beaucoup plus élevé que dans la population générale). Leur orientation sexuelle et/ou leur identité de genre les amène plus fréquemment à souffrir d’isolement, de rupture familiale, à voir leur estime de soi se détériorer et à faire face à des prises de risques accrues.
De manière concrète, ces jeunes LGBT rencontrent plusieurs niveaux de difficultés structurelles, entre réelle invisibilité de leur problématique et injonction à la normalisation. Cela se traduit par un manque de référentiels positifs auxquels s’identifier, mais également par un manque d’espaces dédiés aux questions liées à l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou aux LGBTphobies, où des informations spécifiques seraient facilement disponibles et ces spécificités prises en compte.
Cette notion de besoins particuliers intéresse particulièrement le monde des bibliothèques actuellement, lesquelles s’orientent depuis quelques années vers une offre documentaire et de services pensée en fonction des attentes des différents publics. En ce sens, il n’est pas inopportun d’imaginer ce que les bibliothèques, lieux d’information, de divertissement et d’accueil, peuvent apporter à ce public précis. Des ressources, bien sûr, mais aussi des espaces sûrs et accueillants pour tout.e.s. Cela implique pour les tutelles et les agents de bien connaître les besoins de ces publics, et les bibliothécaires de connaître les ressources vers lesquelles les diriger, que ce soient dans la bibliothèque, en ligne, ou hors les murs (auprès d’associations notamment, en proposant des affiches ou des brochures). Ceci nécessite une adaptation au niveau sémantique. En effet, il semble important que le personnel des bibliothèques soit formé à l’emploi d’un vocabulaire neutre et spécifique.
Enfin, les bibliothèques peuvent également être le lieu où la communauté LGBT+ est mise à l’honneur : les mettre en avant de différentes manières afin de les rendre plus facilement accessibles, mais aussi pour participer à améliorer leur visibilité, apparaît primordial.

Appel à contribution : Faites vos jeux

Espace de loisir, de divertissement, de libre disposition du temps, le jeu peut sembler incompatible avec l’exigence d’effort, de concentration et de rigueur qu’imposent les apprentissages scolaires. Pourtant, depuis quelques années, il regagne son droit de cité dans les établissements où la transversalité des disciplines, et des apprentissages, est de plus en plus sollicitée et valorisée. Nul besoin d’une veille professionnelle approfondie pour s’en rendre compte ! Serious games, club énigmes, ludothèque, escape games… exploitant toutes les facettes de son dé, le ludique s’installe officiellement au sein de nos CDI, qui pour autant ne se confondent pas avec le Foyer.
Intercdi a ainsi choisi de consacrer son prochain dossier thématique de rentrée à cette enthousiasmante question : le jeu au CDI ! Quelle place ? Quelle forme ? Quels jeux ? Quels objectifs ? C’est avec impatience que nous attendons vos contributions : Faites vos jeux, rien ne va plus !

 

 

 

 

Date limite d’envoi des propositions de contribution : 30 avril 2019.
Pour une préparation optimale du numéro, n’hésitez pas à contacter la rédaction au plus tôt : intercdi.articles@gmail.com

Veille numérique 2018 N°3

Éducation

Les origines de la vie

Le CNRS vient d’ajouter un nouveau site à sa collection Sagascience : les origines de la vie. Ce site divisé en cinq parties – Les origines de la vie ; Définir le vivant ; La terre, une exception ? ; Émergence(s) de la vie ; La saga continue – comprend de nombreuses illustrations, vidéos et liens externes. Des chercheurs issus de domaines très divers lui apportent sa caution scientifique.

Escape game « Connais-moi, Échappe-toi »

Le CLEMI et la DANE de l’académie de Besançon ont conçu un jeu d’évasion dans le but de sensibiliser les adolescents à la protection des données personnelles et aux traces numériques laissées sur les réseaux sociaux. Les joueurs sont enfermés dans une classe et doivent rechercher des indices pour accéder aux notes, carnets, et sacs personnels du ravisseur afin de s’échapper. Le jeu s’adresse à des élèves dès la 4e et n’est disponible que dans l’académie de Besançon.

Street art avec Arte

En accès sur la plateforme d’Arte, le nouveau jeu d’infiltration Vandals de Cosmographik invite le joueur
à rechercher des surfaces à recouvrir, à rencontrer des artistes et à découvrir des œuvres. Le jeucomprend 60 casse-tête, 5 villes, 40 fiches sur l’histoire du graffiti, 18 trophées à débloquer. Paris est accessible gratuitement, les autres villes du monde sont disponibles pour 4,49 €.

Ada Lovelace, pionnière de l’informatique

Un manuscrit daté de 1843, attribué à la célèbre mathématicienne ressurgit du passé, faisant d’Ada Lovelace la première programmeuse informatique. Ce texte, traduction et commentaire des travaux
du mathématicien italien Menabrea, contient une formule d’Ada Lovelace analysant et développant le calcul des nombres de Bernoulli, lequel constitue le premier programme informatique de l’Histoire mondiale.

FranceTerme

Un doute sur la terminologie à employer concernant le vocabulaire lié aux évolutions techniques et scientifiques ? Consultez la base FranceTerme. Cette base de données chapeautée par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France en association avec l’Académie française vous recommandera le terme le plus approprié. Ainsi, en 2018, la commission s’est penchée sur le sort du « learning center »…

Lecture numérique

EPUB4 pour bande dessinée

L’institut de recherche et développement au service du déploiement européen de technologies de publication (EDRLab) s’est doté d’un groupe de travail spécialisé dans la bande dessinée (BDCoMa). Celui-ci a annoncé plancher sur le format numérique EPUB4 pour les BD, comics et mangas. Il intégrera du Javascript (JSON), du HTML et des formats images, sons et vidéos.

Fiscalité du livre en Europe

Condamnée par l’Union européenne pour avoir réduit le taux de TVA appliqué aux livres numériques, en vertu d’une directive interdisant ces pratiques, la France est en passe d’obtenir gain de cause lors de la prochaine réunion d’Ecofin (Conseil Affaires économiques et financières) en octobre 2018. Des propositions intéressantes sont sur la table, notamment l’instauration d’une TVA minimale, voire inexistante sur les ventes de livres papier, audio ou numériques, comme cela se pratique déjà en Europe : Scandinavie, Angleterre.

Wikipédia et le français

L’encyclopédie collaborative en ligne a publié plus de deux millions d’articles disponibles en français depuis 2001. Chaque jour, environ 350 articles sont créés par des rédacteurs bénévoles appartenant à toutes les tranches d’âge de la francophonie. Première source d’information sur le net, Wikipédia couvre une multitude de sujets des plus sérieux aux plus farfelus.

BD vidéo sur Spotify

Ce service de streaming musical diffuse désormais des motion comics. Ce nouveau genre de bande dessinée avec animations est censé être plus adapté pour lire les BD sur smartphone. Actuellement, accessible sur l’application de Spotify dans certains pays.

Fiabilité de l’information

Facebook et les fake news

Le 11 juillet 2018, Facebook a lancé officiellement son projet de recherche sur la désinformation : Social Science One. Les chercheurs, pour la plupart américains mais, pour la première fois, non rémunérés directement par Facebook, disposeront d’une énorme masse de données, dont les liens sur lesquels cliquent les internautes ainsi que des informations personnelles (anonymisées) sur les utilisateurs afin d’étudier en profondeur leur comportement.

Fake photos

Des étudiants de l’Université de Berkeley tentent de mettre au point un plugin « SurfSafe » pour détecter les photos truquées ou retouchées sur Internet. Ce plugin compare les images consultées à celles de cent sites d’information réputés fiables, tels le New York Times, ainsi qu’à celles de sites de vérification de faits. Ce système présente bien évidemment des limites techniques et intellectuelles. Le nombre de sites de référence est trop faible. Par ailleurs, le plugin ne fonctionne que sur PC, avec Chrome, Firefox et Opéra. Une base de données communautaire viendra renforcer ce dispositif ainsi qu’une version pour mobile.

Droit et données personnelles

Le Parlement européen et la directive sur le droit d’auteur

Après un intense lobbying en provenance de la Silicon Valley, le Parlement européen a renoncé à deux mesures phares pour contrer les GAFAM : la rémunération des titres de presse que ces groupes utilisent sans acquitter de droits d’auteur, la mise en place d’accords avec les ayants droit ou à défaut le filtrage automatique de contenus publiés sans autorisation. Mais les choses ne sont pas si simples car les opposants à cette directive se comptaient aussi parmi les défenseurs de la liberté du Net. Quant aux auteurs, ils ont de leur côté mené une campagne en faveur de cette directive avec le soutien d’artistes comme Paul McCartney. En bref, la guerre n’est pas finie.

Plainte contre Google, alias big brother

Des journalistes de Reuters, appuyés par des chercheurs de l’université de Princeton ont prouvé que même si votre GPS et la géolocalisation sont désactivés sur votre smartphone, Google sait en permanence où vous êtes. Suite à cette révélation, un Californien attaque Google en justice pour non-respect de la vie privée des usagers.

Mission impossible

Le mode confidentiel de Gmail est opérationnel depuis l’été 2018 sur les mobiles sous Android ou IOS. Désormais, vous pouvez envoyer un message en limitant la durée de lecture de 24h à 5 ans. Il est également possible d’obliger le destinataire à entrer un code secret reçu par SMS avant de lire vos emails. De plus, toutes les options – copier, coller, transférer, télécharger, imprimer – sont désactivées. Attention, ce message s’autodétruira dans …

Base de données

Open data des musées français ?

Contrairement à de nombreux musées aux USA et en Europe, aucun catalogue des musées français n’est accessible gratuitement pour un usage non commercial. Les groupes de travail ministériel et de la RMN s’éternisent et ne rendent pas d’avis sur le sujet. L’Élysée et certains directeurs de musée ont la volonté de développer le libre accès via internet. En effet, les historiens de l’art choisissent majoritairement d’étudier les œuvres les plus facilement accessibles, ce qui a pour conséquence d’accentuer leur notoriété ainsi que celle des musées qui les mettent à disposition librement, au détriment des œuvres et des musées français. Le coût et le droit d’auteur empêcheraient d’avancer sur la question.

Banque de sons gratuits à la BBC

La British Broadcasting Corporation a mis en ligne une version bêta gratuite de très nombreux effets sonores pour un usage personnel, éducatif et de recherche. Les sons au format WAV sont écoutables en ligne et téléchargeables dans le respect du droit d’auteur. La requête dans l’interface de recherche s’effectue par catégorie thématique et/ou mot-clé.

Musique en streaming

Tencent Music tout puissant

Avec 70% des parts du marché chinois du streaming musical, la filiale musicale de Tencent, en position dominante, tente d’introduire le mode payant avec des offres d’abonnement peu onéreuses. Après le retrait sur son site de plus de 2,2 millions de contenus piratés et avec le contrôle des droits sur la plupart des titres occidentaux, Tencent mise sur les offres payantes, lesquelles sont en progression constante (17 millions d’abonnés sur plus de 700 millions d’utilisateurs). La société s’est aussi engagée sur le streaming musical version karaoké avec les applications WeSing, KuWo et KuGou très appréciées par la population asiatique.

No future…

Insta et « Finsta »

Finies les photos ultra-sophistiquées, finis les selfies, place désormais aux photos trash. Venu des États Unis, lancé par Kim K., ce phénomène très prisé par les adolescents consiste à se présenter « au naturel », voire dans des situations douteuses, sur un second compte Instagram réservé aux intimes et renommé pour l’occasion Finsta (Fake Instagram = faux compte). Merci Kim…

Micropuce sous la peau

Environ un tiers des employés d’une entreprise américaine, Three Square Market, spécialisée dans les distributeurs automatiques de boissons, ont accepté, à la suite de leur patron, d’implanter une micropuce dans leur main. Celle-ci fonctionne sans électricité et offre différentes options : payer à distance, déverrouiller un ordinateur, s’identifier, ouvrir une porte etc. Les risques liés à la santé (irradiation), à la sécurité et à la confidentialité sont énormes puisque les données contenues dans la puce pourraient être récupérées dans n’importe quel espace public.

Publicité vidéo sur les vitres de voiture

La société californienne Grabb-It transforme les vitres arrière des voitures en écrans publicitaires lorsqu’il n’y a pas de passager. Grâce à un projecteur, la fenêtre prend l’apparence d’un écran plat pour les personnes extérieures. De plus, la géolocalisation permet de cibler les publicités pour un meilleur impact, par exemple, à midi, dans un quartier d’affaires, le burger d’un restaurant. À n’en pas douter, les vitres numériques de demain ont un grand avenir…

Solidarité

Au quotidien

Mixité sociale, isolement, vie en collectivité… Dans quel endroit la solidarité quotidienne peut-elle mieux s’illustrer que dans un immeuble ? Combien de belles histoires naissent dans les cages d’escalier, les paliers, pendant les déménagements ou les petits événements de la vie ? Paul, jeune garçon de douze ans, en est une belle illustration dans le roman de Peter Hartling, Paul, l’enfant de l’immeuble. Sa mère vient de partir à New-York, pour réaliser ses rêves professionnels, et son père n’est guère à la maison, accaparé par son travail. Paul partage alors son quotidien avec Käthe, sa « mamy de cœur » qui vit juste à côté. Mais lorsque les parents de Paul décident de divorcer, tout se complique. Chamboulé, le jeune garçon pourra compter sur l’aide et le soutien de ses voisins, qui iront jusqu’à lui organiser une fête ! Une belle histoire de solidarité, d’amitié, d’amour, dans un immeuble de Francfort.
Une solidarité qu’Iris, jeune fille pétillante et pleine d’énergie du roman de Lucy Frank, Iris par-ci, Iris par-là, rencontre également dans son immeuble. Alors qu’elle poursuit un gros chat roux qu’elle a croisé dans les couloirs, Iris va emprunter l’escalier extérieur et découvrir ainsi, sous un autre angle, ses voisins. Un enfant handicapé qui s’ennuie, la classique mamy aux chats, ou encore l’effrayant pitbull… Au fil des pages, Iris donne vie à l’immeuble : elle rend des services, crée du lien social, et devient vite indispensable. Une belle leçon de solidarité au quotidien.
Solidarité qui semble être le maître-mot de La Fourmilière, de Jenny Valentine. Sam, jeune garçon de 17 ans, vient de quitter sa campagne pour s’installer dans un immeuble peu reluisant de Londres. Il est en fugue, et son nouveau propriétaire ne lui pose pas de questions. L’immeuble compte une galerie classique de personnages : l’inquiétant voisin, la mamy peu discrète et curieuse, la jeune fille livrée à elle-même… Au fil des rencontres, Sam pourra y voir plus clair et régler peu à peu ses problèmes. Les valeurs de l’amitié et de la solidarité y sont ici mises en relief, dans une histoire attachante pour nos lecteurs les plus âgés.

Envers les enfants

Littérature jeunesse oblige, de nombreux auteurs offrent de belles et touchantes histoires sur la solidarité entourant les enfants, lorsque ceux-ci vivent des situations difficiles. C’est le cas de Mei, dans le roman Tu peux pas rester là de Jean-Paul Nozière. La jeune fille vit avec sa mère Hua, dans une petite ville de province. Mais les gendarmes de la ville ont reçu l’ordre d’expulser les « sans-papiers », et la mère et la fille sont dans ce cas… Impossible pour les habitants de ne rien faire, et une chaîne de solidarité va rapidement se monter : amis, directrice de l’école, inconnus… tous se mobilisent. Un roman fort, qui ne peut laisser indifférent.
L’école, également au cœur du roman Vive la République, de Marie-Aude Murail, qui montre bien à quel point la solidarité s’y exerce de façon aussi naturelle que nécessaire. À 22 ans, Cécile affronte sa première rentrée des classes. Au fil des pages, les enfants se dévoilent. Toussaint et Démor arrivent de Côte d’Ivoire, Steven a bien du mal à suivre, Baptiste ne tient pas en place. Une salle de classe comme un microcosme, dans lequel l’entraide est de mise.

Entre amis

La solidarité n’est-elle pas l’un des piliers de l’amitié ? Bon, pas de discussion philosophique ici et maintenant, mais les romans racontant des histoires d’amis solidaires sont nombreux. On aimera le roman Mandela et Nelson, le match retour, d’Hermann Schulz, dans lequel une équipe de jeunes joueurs de foot de Tanzanie, après un premier match contre l’Allemagne, est invitée à jouer le match retour en Europe. Mais effectuer un tel déplacement n’est pas chose aisée ! Il faudra tout le courage et la conviction des jeunes de l’équipe pour créer un large élan de solidarité et permettre au match de se jouer.
L’amitié entre les enfants crée souvent une solidarité que rien ne semble pouvoir détruire. Dans la série de romans La Tribu, de Sandrine Beau, Anne-Gaëlle Balpe, Séverine Vidal et Jess Pauwels, un groupe d’enfants va mener des enquêtes comme on les aime ! Pour les voir aboutir, solidarité indispensable entre tous les membres du groupe ! Pour les plus jeunes, un agréable moment de lecture ; pour les plus âgés, un petit goût de madeleine de Proust et du club des Cinq !
Cette même solidarité habite la série La Bande à Grimme, d’Aurélien Loncke. Une bande de gosses livrés à eux-mêmes vivent comme ils peuvent dans les allées d’un parc. Orphelins, ils feront au fil de la lecture des rencontres qui vont changer leur vie. Mais ils seront toujours là les uns pour les autres. Un p’tit air de Dickens pour cette série très plaisante à lire

Dans le monde du travail

La solidarité s’exerce de façon forte et naturelle dans le monde du travail. Enfin, elle devrait… Dans le roman Made in Vietnam, de Carolin Phillips, Lan, jeune fille de 14 ans, travaille dans une usine de baskets pour subvenir aux besoins de sa famille. Les conditions de travail sont particulièrement difficiles, et il est plus que nécessaire de se serrer les coudes entre employés. Mais pour Lan, la situation est inacceptable, et la révolte couve. Pourtant, comment faire lorsque vous avez besoin d’argent et que chacun tient à sa place ? Comment lancer une action collective, au risque de perdre son gagne-pain ?
Crainte qui ressort également largement dans le roman La Vie comme Elva, de Jean-Paul Nozière, qui relate un important mouvement de grève dans l’usine La Francilienne, de la petite ville de Sponge. Après le licenciement de 80 employés, la révolte gronde, et c’est la grève générale. L’usine est occupée, les bivouacs s’installent, et une chaîne de solidarité s’installe. Les commerçants de la ville expriment leur colère, et peu à peu, des amitiés et des histoires d’amour se tissent sur fond de revendication sociale. Car la solidarité peut avoir des effets imprévus au départ !

Face au danger

Lorsque la situation l’exige, lorsque la survie est en jeu, alors la solidarité va de soi. Dans le roman Encore heureux qu’il ait fait beau, de Florence Thinard, tous les utilisateurs d’une bibliothèque se retrouvent coincés dans cette dernière… au milieu des flots ! Personne ne l’a vu venir, et il va bien falloir cohabiter et s’entraider. Ce qui n’est pas forcément simple, au vu des différentes personnalités qui se voient contraintes de vivre ensemble. Un roman original, dont le succès auprès des jeunes lecteurs ne se dément pas.
Dans Encore faut-il rester vivants, Anne Ferrier nous plonge dans un monde dévasté suite à une énorme éruption solaire. Et comme si ce n’était pas suffisant, une terrible épidémie décime les survivants. Et on en rajoute une louche : la contamination par le virus rend les malades particulièrement agressifs. Difficile de pouvoir vivre, et même survivre, dans des conditions pareilles. C’est au prix d’une nécessaire entente et solidarité que Julia, Shawn et Mouette vont se battre pour s’en sortir…
C’est seule au départ qu’Angel se trouve confrontée au plus grand des dangers dans le roman de Charlie Price, Desert Angel. Ayant suivi sa mère dans une vie errante, au fil de ses amants, la jeune fille finit par être le témoin de l’assassinat de sa mère. Elle sait que c’est Scotty, son dernier compagnon, qui l’a tuée. Et elle sait aussi qu’il va revenir pour supprimer toutes les traces… et les témoins. Commence alors une terrible course-poursuite sur fond de désert américain, entre quartiers pauvres et camps provisoires. Un environnement dur, mais dans lequel Angel va pouvoir compter sur la solidarité des personnes qui croisent son chemin, en particulier chez les Mexicains sans papiers. Un roman captivant, qui ne laisse aucun répit au lecteur.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale

En temps de guerre, le danger est partout, à chaque carrefour, dans chaque épisode de la vie. Adam et Thomas, les deux jeunes héros du roman éponyme d’Aharon Appelfeld, se retrouvent bien malgré eux au cœur des tourmentes de la Seconde Guerre mondiale, cachés dans la forêt par leur famille. Seuls au monde, ils survivent dans un arbre, et seront secourus par l’élan de solidarité d’une jeune fille, Mina, qui semble venir de nulle part mais à qui ils doivent certainement la vie. Un beau moment d’écriture, à lire à tout âge.
De très nombreux témoignages relatent la nécessaire solidarité installée dans les camps nazis. Tout d’abord, hommage à Simone Veil, avec son ouvrage Une jeunesse au temps de la Shoah. De son enfance à Nice jusqu’au retour des camps, le lecteur est saisi par le souci constant d’entraide et de solidarité qui émaille les pages de cet ouvrage. Une leçon de vie et d’Histoire, dont la lecture est indispensable.
On retiendra également tout particulièrement le texte choc de Francine Christophe, Une petite fille privilégiée. Par son témoignage, l’auteur retrace son histoire, sa vie au camp de Bergen-Belsen. Une vie dans des conditions impossibles, durant laquelle la solidarité allait de pair avec son propre instinct de survie. Francine Christophe évoque les actes solidaires de tous les jours, de tous les instants, dans un monde où le futur, même proche, semble ne plus exister. Dans le film Human, de Yann Arthus-Bertrand, elle raconte notamment cette histoire bouleversante : en tant que fille de prisonnier, elle avait droit à un traitement de faveur, et avait pu apporter au camp un petit sac. Ce dernier contenait deux carrés de chocolat, que sa mère lui réservait pour le moment où elles seraient au plus mal. Pourtant, la jeune Francine choisit finalement de donner ce chocolat à une jeune femme en détresse qui venait de donner naissance à un enfant. De nombreuses années plus tard, une femme se présenta à elle comme étant « le bébé »…

L’Informatisation de la société selon Simon Norac et Alain Minc

La première partie de cette recension consacrée à l’important rapport administratif écrit en 1978 par les deux hauts fonctionnaires, Inspecteurs des Finances, Simon Nora et Alain Minc, tentait d’expliquer ce grand succès de libraire, qui sera l’un des facteurs déclenchants de l’engouement persistant de l’élite administrative et intellectuelle de notre pays pour l’informatique connectée1 et la capacité de cette dernière à transformer les relations entre gouvernés et gouvernants, administrations et citoyens et au sein des hiérarchies administratives.
Les deux rédacteurs accordent une place toute particulière à la transformation des interactions établies au cœur même du système éducatif et de la formation continue.
Anticipant dès 1978 les capacités de la télématique (informatique connectée), nos deux auteurs estimaient que l’État devait prendre la conduite des mutations induites par les technologies de l’information, évitant de la sorte que les grands groupes privés de communication réalisent ces transformations à leur profit exclusif, laissant de côté l’intérêt public et la grande majorité des citoyens. À cette époque, lorsque l’on parle du système scolaire français, il faut bien comprendre qu’il apparaissait comme l’un des meilleurs et des plus performants. L’ascenseur social marchait à plein rendement grâce à une École plébiscitée par des parents éprouvant peu d’angoisse quant à l’avenir de leurs enfants. Le directeur de l’évaluation et de la prospective du ministère de l’Éducation nationale, pouvait s’exclamer sans être contredit « Nous sommes les meilleurs ! Nous avons des méthodes, des exigences et des enseignants que beaucoup d’autres pays nous envient. Les élèves ont en France, des connaissances en moyenne très supérieures à celles de nos voisins2. » Les grands débats autour de la sélection et de la pédagogie ne concernaient qu’un cercle intellectuel restreint composé de sociologues et de pédagogues qui s’est peu à peu agrandi à la suite des événements de mai 19683.
Dès lors, s’avançant sur un sujet sensible avec un corps enseignant sûr de ses valeurs et de ses méthodes, Simon Nora et Alain Minc vont effectuer un travail en forme de sondages et de propositions diverses reprenant le sujet éducatif à plusieurs reprises dans un ordre dispersé tout au long de l’ouvrage. Cependant, après regroupement nous pouvons discerner deux grands axes : le maintien du rôle essentiel des enseignants d’une part ; le bouleversement pédagogique d’autre part. Notons toutefois que ces deux parties sont très inégalement développées.

Le maintien ou non du rôle essentiel des enseignants

Le premier axe concerne le rôle confirmé des enseignants, je cite nos deux auteurs :
« Former un élève ne se limite pas à communiquer des informations techniques ; aucun robot, si bien programmé soit-il, ne saura prendre à sa charge le colloque singulier de l’enseignant et de l’enseigné. »
Ce court passage reste le seul qui, dans l’ensemble du texte, confirme la place prépondérante de l’enseignant. Ces trois lignes apparaissent comme un artifice chargé de rassurer un corps enseignant encore puissant, sûr de lui-même et de ses valeurs. D’autre part, deux mots importants, « transmission » et « intergénérationnel », n’apparaissent pas dans l’ouvrage, termes qui auraient dû étayer la phrase citée ci-dessus car qu’est-ce que l’enseignement si ce n’est la transmission intergénérationnelle des savoirs et des valeurs d’une société, ainsi que le soulignent les sociologues François de Singly et Claude Thélot4. Les limites conceptuelles et pragmatiques de la phrase rassurante quant au rôle des enseignants apparaissent d’autant plus clairement que les longs développements ultérieurs de la pensée des rédacteurs ne laissent aucun doute quant à la nature du deuxième axe qui mobilise toute l’attention de Simon Nora et Alain Minc.

Informatisation et bouleversement pédagogique

« Le développement de l’informatique de masse peut transformer la pédagogie, donc le statut des enseignants. » La métamorphose attendue des enseignements par l’apport des outils numériques connectés doit métamorphoser le rapport de l’élève aux savoirs. En d’autres termes, ce n’est plus l’enseignant qui transmet les connaissances aux jeunes, mais les écrans qui seront directement interrogés. De la sorte les cadres disciplinaires deviendront poreux et le poids des diplômes devrait être atténué. In fine, les fonctions de l’enseignant seraient recentrées sur la coordination, les tâches pédagogiques les plus répétitives et harassantes étant effectuées par les auxiliaires électroniques.
Nos auteurs savent qu’ils s’attaquent à forte partie, et estiment qu’il faudra du temps pour parvenir à une situation nouvelle. En fait, ils prédisent l’effondrement de l’univers sociologique établi après la Seconde Guerre mondiale par la mise en place d’une gigantesque machinerie administrative, le Ministère de l’Éducation nationale fort de plus d’un million de fonctionnaires. La France de la Résistance espérait ainsi pouvoir répondre à l’injonction du préambule de la Constitution de 1946, puis 1958 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir d’État5. » L’Éducation nationale fut la seconde administration européenne par le nombre après l’Armée rouge (russe depuis 1991). De nombreux instituteurs et professeurs issus de milieux modestes, voire populaires, avaient intégré le système scolaire grâce à une école républicaine qu’ils révéraient. Le débat intellectuel autour de la sélection et des méthodes ne semblait pas pouvoir toucher le système scolaire en profondeur, en dépit des critiques émises notamment par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron en 19646. Postérieurement, ces dernières devenues de plus en plus virulentes et entendues permettront à Pierre Bourdieu d’évoquer à plusieurs reprises les « petits blancs ou les pauvres blancs de la culture », en référence aux enseignants crispés sur des valeurs et des méthodes surannées7. Quarante ans plus tard, les affrontements entre les partisans de la méthode d’apprentissage de la lecture dite syllabique et ceux prônant les méthodes globale ou semi-globale8 persistent ! Plus proche du sujet, faut-il utiliser un logiciel pour apprendre l’orthographe, suivre une progression sur écran par l’intermédiaire d’un logiciel ? Pour le calcul, faire un choix entre logiciel ou apprentissage par cœur des tables de multiplication, d’addition, de soustraction ? En réponse, le nouveau ministre de l’Éducation nationale via les quatre circulaires ministérielles du 26 avril 2018 relance tant la méthode d’apprentissage de la lecture syllabique que le calcul mental s’appuyant sur la pédagogie du par cœur9.
Si la puissante vague de réformes, de restructurations et d’informatisation de l’enseignement survenue entre 1975 et 2009 semblait capable de submerger les plus fortes oppositions, comme l’avaient prévu dans un premier mouvement Alain Minc et Simon Nora, depuis la nomination de Luc Châtel en 2009 au ministère de l’Éducation nationale à celle de Jean-Michel Blanquer en 2017, les forces contraires en présence tendent à atteindre un équilibre instable finalement préjudiciable aux enseignants et aux élèves car l’ensemble des acteurs du système scolaire s’épuise dans des mouvements pendulaires incessants, les ministres effaçant les réformes de leurs prédécesseurs. Don de prémonition, les deux rédacteurs du rapport soulignaient que l’évolution vers l’informatisation connectée du système scolaire n’était pas évidente et qu’elle ne serait pas rapide.

Transformation radicale des rapports aux savoirs, à la connaissance et au pouvoir

Le chapitre consacré à la télématique et aux conflits culturels commence par un rappel historique complètement erroné. « Lorsque les Sumériens inscrivaient les premiers hiéroglyphes sur des tablettes de cire, ils vivaient sans probablement le percevoir, une mutation décisive de l’humanité ». Cette phrase comporte des méprises historiques de forme et un véritable fourvoiement sur le fond. Sur la forme, trois points retiennent notre attention :
• Les Sumériens ont inventé l’écriture cunéiforme. Ils écrivaient à l’aide de calames (roseaux taillés) sur des tablettes d’argile. À Uruk, les tablettes d’argiles portaient des listes de mots à apprendre par cœur, destinées aux élèves-scribes. Selon les historiens Samuel Kramer10 et Andrew George, « La Maison des tablettes » (E-DUB-BA) annexée au palais royal avait les caractéristiques d’une bibliothèque et d’une école11. (lointaines ancêtres des CDI ?)
• L’écriture hiéroglyphique, traduite par Jean-François Champollion, appartenait aux Égyptiens qui la transcrivaient sur des feuillets de papyrus.
• Enfin, les Romains utilisaient effectivement des tablettes de cire dans leurs écoles.
Sur le fond, l’erreur est plus grave. Oui, les Anciens avaient conscience de la révolution et des bouleversements introduits par l’écriture. Dans les diverses mythologies antiques les dieux et les héros offrent un don extraordinaire aux hommes : l’écriture. Chez les Égyptiens, c’est Thot, le dieu à tête d’Ibis, dieu du savoir qui apporte l’écriture. Chez les Grecs, c’est Cadmos, un prince phénicien, fils d’Agénor et frère d’Europe, fondateur de Thèbes qui apprend les signes de l’alphabet aux Hellènes. Les Égyptiens reconnaissaient la puissance inouïe de l’écriture. Seuls les scribes pouvaient, avec les pharaons, aspirer à l’immortalité.

Pour conclure cette malencontreuse introduction, les deux hauts fonctionnaires insèrent une analogie entre les bouleversements produits par l’invention de l’écriture et ceux prévisibles qu’apporteraient les technologies informatiques. « Les concepts l’emporteront sur les faits, les itérations sur les récitations. Assumer cette transformation serait une révolution copernicienne sur la pédagogie. La priorité donnée à l’acquisition d’un microsavoir universel est aujourd’hui liée à une conception de la culture dont l’école assure la pérennité. Celle-ci est inséparable des traits sociologiques du monde scolaire et universitaire, de la méritocratie particulière sur laquelle il se fonde, de l’idéologie dont les enseignants sont imprégnés ». Les auteurs précisent que le savoir ne sera plus constitué par l’accumulation de connaissances classifiées, hiérarchisées mais par la capacité de rechercher une information précise. Dès lors, l’enseignement subirait une « révolution copernicienne. » La culture cumulative des enseignants fondée sur le mérite devrait céder la place à une culture édifiée sur des concepts.
Le terme de révolution copernicienne est fort, Copernic ayant révolutionné l’astronomie prouvant que la Terre tournait autour du Soleil et non l’inverse. La Terre devenait une planète parmi d’autres, le Soleil la remplaçait au centre de l’univers. Dès lors, l’ordre divin était perturbé, puisque l’homme n’était plus au cœur de l’univers créé par Dieu12. C’est ainsi qu’à l’aube de la Renaissance, la structure entière de la société était remise en cause, la hiérarchie de l’Église catholique affaiblie, le pouvoir monarchique du Roi représentant de Dieu sur Terre ébranlé. Quarante ans après ce rapport, le constat s’avère en partie justifié quant à la perte d’autorité des enseignants. Cependant, une meilleure appropriation de la culture et des concepts par les élèves reste à prouver. L’amoindrissement de la puissance paternelle, comme de la domination professorale, tient plus à des caractères sociologiques comme l’impact de mai 196813 et à la culture « jeune » véhiculée, selon Dominique Pasquier, par les médias qu’à l’outil informatique proprement dit14. Nonobstant, Jean-Pierre Le Goff soutient que le poids des discours ministériels s’appuyant sur l’apport de sociologues comme Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron ainsi que sur la pédagogie rénovatrice prônée par Antoine de La Garanderie et Philippe Meirieu ne doit pas être négligé dans le dépérissement de l’autorité des enseignants15.
Comme l’avaient prévu nos deux hauts fonctionnaires, si la circulation du sommet vers la base se maintient, l’inverse apparaît également, tant par l’envoi de nombreuses pétitions vers le sommet que par la multiplication de groupes autonomes sur Internet renforçant une communication horizontale et les concepts du partage de la culture et de cotutelle en matière de pédagogie. Dès lors, ces échanges permanents via les réseaux sociaux, « les groupes autonomes » pour nos auteurs, permettent l’établissement d’une « agora informationnelle. »

En réalité, l’optimisme pondéré de Simon Nora et Alain Minc se fondait essentiellement sur l’hypothèse d’un développement régulé des réseaux informatiques. Néanmoins, ils avaient soulevé une autre hypothèse, celle de la dérégulation et de la prise du pouvoir numérique par les grands groupes privés qui transmettraient des « pseudo-informations », sans véritables perspectives de cohérence sociétale. La régulation entrevue par Simon Nora et Alain Minc se fondait essentiellement sur un développement contrôlé par l’État à l’échelle de la nation des réseaux informatiques. La loi du 6 janvier 1978 relative à l’Informatique, aux Fichiers et aux Libertés puis la Convention Européenne pour la Protection des Personnes à l’Égard du Traitement Automatisé à Caractère Personnel, signée à Strasbourg le 28 janvier 1981, correspondaient à l’application concrète de la vision régulatrice de l’expansion numérique à l’échelle de la nation, puis au niveau européen16. Toutefois, la puissance des GAFA, (Google, Amazon, Facebook, Apple) groupe de grandes entreprises américaines dominant le Net et, même les États, annihile les volontés de régulation17. Au milieu de ces violents affrontements idéologiques et économiques que devient l’accès gratuit à la culture pour tous ? Est-ce que, comme le prédisaient les deux rapporteurs, en cas de développement non régulé de l’informatique, les différences sociales ne seraient plus liées au savoir et à la connaissance mais à l’art de retrouver, de sérier et de hiérarchiser les informations reçues par l’intermédiaire des réseaux connectés ? Certes, le modèle culturel reposant sur la mémoire est en apparence affaibli, certainement comme le prédisaient Simon Nora et Alain Minc, en raison de la généralisation des objets connectés. Toutefois les jeunes sont victimes de la dépendance induite par ces mêmes objets passant plusieurs heures quotidiennes à les consulter18. La toute-puissance du numérique connecté se heurte à la persistance de phénomènes sociaux comme celui de la maîtrise de l’orthographe et de la langue fondée sur la mémoire individuelle qui reste encore et toujours un élément déterminant dans la sélection professionnelle et sociale19.
L’utopie techniciste, qui éclaire ce rapport, n’a pas permis aux auteurs d’anticiper le développement sombre du numérique frappant tout particulièrement la jeunesse en ce début du XXIe siècle : diffusions de fausses nouvelles, cyberharcèlement, cyberviolence, cyberpornographie et cyberdépendance20 et 21…
Il faut conclure en laissant de nouveau la parole aux deux auteurs : « Pour que la société d’information reste possible, il faut savoir, mais aussi pouvoir compter sur le temps. La pédagogie réciproque des disciplines et des aspirations s’exerce lentement : elle s’opère, au fil des générations, par la transformation des matrices culturelle : familles, universités, médias… L’urgence et l’ampleur des contraintes que va subir la société française lui laisseront-elles les délais qu’exige cet apprentissage vital ? »
La question fondamentale qui conclut ce rapport reste celle de l’adéquation entre le temps, la pédagogie et les nouvelles formes de transmission des connaissances, du savoir et de la culture via les outils numériques. Loin de la vision d’une société apaisée par le partage serein des connaissances, la réalité d’une informatisation connectée non maîtrisée parce que trop rapide, trop massive, par rapport aux capacités d’intégration et d’absorption des individus, instaure une société encore plus inégalitaire22 excluant tous ceux qui sont incapables de suivre ou de maîtriser l’accélération du mouvement impulsé par les technologies de l’information et de la communication23.

L’important, c’est de participer !

Consultation, citoyenneté, démocratie, financement, habitat, art, culture, chantier… ces dernières années, le « participatif » se conjugue à tous les modes ! Conséquence plus ou moins directe de la révolution numérique qui bouleverse notre capacité d’information en nous y offrant un accès illimité, cette dynamique participative est le témoin d’une volonté diffuse mais manifeste de renversement des processus de décision concernant l’intérêt général, pensé comme une construction collective, par la réappropriation des outils du vivre-ensemble. L’ambition de participer n’est pas une utopie dans le monde de la belle idée : elle s’applique dans des fonctionnements très concrets, qui peuvent, comme les expériences le montrent, s’installer à toutes les échelles, y compris celle de l’école !
Comme nous le rappelle la philosophe Joëlle Zask dans son article, « Apprendre à participer, participer pour apprendre » (p. 51), John Dewey avait déjà souligné l’importance cruciale de l’expérience, de la participation dans les apprentissages en ce qu’ils mobilisent la conscience et placent l’apprenant dans une posture active. Et, si « une approche sociale des intelligences collectives et participatives est devenue prioritaire chez les acteurs de l’école, des apprentissages » comme le soulignent Anne Cordier et Vincent Liquète (p. 12), le lien ténu entre participation et information semble naturellement faire du professeur documentaliste la pierre angulaire de cette articulation au sein des établissements.
Relisons la circulaire de missions à cette lumière, qui replace le professeur documentaliste au cœur de « l’équipe pédagogique » dont il partage les « missions communes » et anime les « co-enseignements ». Ses missions spécifiques en font par ailleurs un « acteur de l’ouverture de l’établissement sur son environnement éducatif, culturel et professionnel (…) en lien avec les dispositifs pédagogiques et éducatifs mis en place dans l’établissement, dans et hors du CDI ». Le professeur documentaliste se trouve ainsi posé en véritable maître d’œuvre d’une « pédagogie favorisant l’autonomie, l’initiative et le travail collaboratif des élèves, autant que la personnalisation des apprentissages, l’interdisciplinarité et l’usage des technologies de l’information et de la communication » dont le but est de « rendre l’élève acteur de ses apprentissages ».
Les nombreuses réponses que nous avons reçues suite à notre appel à contributions prouvent bien à quel point vous êtes, nous sommes engagés dans ces dynamiques. À la fois en tant qu’acteur à l’initiative de projets plus riches les uns que les autres – CDI-
remix (p. 21), juniors associations (p. 24), élève médiateur (p. 41) – mais aussi dans une réflexion plus globale sur le rôle d’enseignant qu’elles tendent à redéfinir, et qu’il ne s’agit pas pour autant de bazarder aux sirènes de la démagogie ! (p. 29 et 46)
C’est toute cette complexité que ce dossier explore afin de partager avec vous les idées, les enthousiasmes, les réussites, mais aussi les doutes et les limites qui bordent la mise en œuvre de ces pratiques participatives favorisant l’horizontalité des interactions. Nous remercions vivement l’ensemble des contributeurs qui nous ont généreusement livré le fruit de leur travail, y compris des outils clés en main comme la fiche Intercdi « mettre en place une give-box » ou le Sketchnote « développer les pratiques participatives des élèves » pour vous les proposer.
Bien entendu, nous comptons sur votre participation à un prochain numéro de votre revue. Bonne lecture !