Un CDI de collège, c’est un peu l’école démocratique pour tous
Les écoles démocratiques, qui proposent le modèle d’une pédagogie alternative libre, sans cours ou programme préconçus, sont très médiatiques et attirent les familles. Elles y voient la possibilité pour leur enfant d’être « respecté » dans son identité et son rythme « naturel » d’apprentissage. Avouons que chacun d’entre nous a un jour regardé d’un œil envieux ces atmosphères paisibles de travail, où chaque enfant vaque à ses occupations. Une sorte de famille nombreuse joyeuse et active, sans les conflits de fratrie ! Un œil de professeur documentaliste ne pourra s’empêcher de déceler dans les reportages consacrés à ces écoles des ressemblances avec le fonctionnement de certains CDI : les élèves choisissent leurs activités librement ; ils sont actifs dans ces activités ; ils collaborent entre eux, et avec des adultes avec lesquels ils ne sont pas systématiquement en situation de hiérarchie ; ils ont droit d’émettre des idées, de proposer et d’animer des activités…
Peut-on pour autant dire des CDI qu’ils sont des graines d’écoles démocratiques au sein de l’école classique ? À lire le mot d’ordre de la Communauté Européenne pour l’Éducation Démocratique (EUDEC), on pourrait le croire : « Les jeunes devraient pouvoir choisir ce qu’ils font, quand, où, comment et avec qui, du moment que leurs décisions ne transgressent pas la liberté des autres de faire de même. Ils devraient aussi jouir d’une part égale du pouvoir de décision sur le fonctionnement de leur organisation, notamment sur le règlement intérieur et son application, participant ainsi à y instaurer un cadre de liberté, confiance, sécurité et respect.1 »
La question se pose avec d’autant plus de pertinence que, ces derniers temps, les CDI sont sollicités pour proposer des coins/espaces/ateliers participatifs et collaboratifs, le plus souvent sur un mode facultatif. L’accent est mis sur ces modes de fonctionnement (remixons les CDI, design thinking, espaces autonomes). Et l’on peut se demander si c’est une évolution incontournable parce qu’à la mode, ou nécessaire parce que positive.
Un CDI assurément collaboratif…
J’aime l’idée que les élèves soient autonomes, libres et responsables. Et cela tombe bien, ils apprécient aussi. Au fil des années, j’ai donc progressivement mis en place dans mon CDI d’exercice un fonctionnement collaboratif et autonome, proposé à tous les usagers. Ceux-ci peuvent cependant faire le choix de l’ignorer en restant des usagers passifs, en demandant de l’aide ou en ne saisissant pas les opportunités facultatives proposées. Mais cela convient au plus grand nombre, et à une grande variété d’élèves : ceux qui aiment qu’on leur fiche la paix, ceux qui ont besoin de valorisation en rendant des services, ceux qui ont le goût de se débrouiller seuls. En cas de besoin, ils demandent assez spontanément à un élève plutôt qu’à moi. J’encourage ce type de collaboration, en demandant à un élève de 6e de montrer à un 3e le fonctionnement de tel espace, ou en créant des binômes de jeux entre deux élèves qui ne se connaissent pas. Je vois les effets positifs de ce fonctionnement dans le décalage d’attitude entre les élèves initiés depuis la 6e lors des séances nombreuses d’explication, et ceux qui arrivent en 4e. Il y a chez ces derniers une sous-utilisation du lieu, et une utilisation passive. Ils sont parfois revendicateurs, et agissent comme des consommateurs en droit d’exiger ceci ou cela. Cela dénote avec l’attitude des autres élèves, qui vont davantage demander ou suggérer.
Symboliquement, j’ai depuis toujours préféré le bureau central au bureau de surveillance à l’entrée. Il est devenu officiellement « bureau collaboratif » l’an dernier. Il concentre, pour les mettre en valeur, les activités à partager (numériques, ludiques, d’aide et d’entraide). Des chaises tout autour invitent les élèves à s’installer à mes côtés.
J’ai choisi une posture d’accompagnant et d’organiseur. L’espace leur appartient, j’en suis juste la gardienne et la superviseuse. Le prêt est ainsi totalement autonome, avec une table rassemblant tout le matériel nécessaire. Une boîte à lettres à la vie scolaire permet de rendre les livres à un autre endroit que le CDI, et ce sont des élèves volontaires qui la vident aux récréations. La plate-forme de recherche Esidoc est utilisée comme un outil d’autonomisation et de collaboration : pour la remédiation ou l’approfondissement, avec des jeux de révision, des vidéos ; pour les activités collaboratives ou autonomes, avec des sites et des informations ; pour proposer des achats ; pour réserver des livres ; pour consulter le planning du CDI, et communiquer avec le professeur documentaliste via l’adresse email communiquée. Des espaces autonomes sont proposés sur les heures d’étude : guitare en libre accès pour les joueurs auditionnés ; espace autonome de méditation/relaxation (avec possibilité de réserver) ; espace « jeux de stratégie » accessible en fin d’heure d’étude.
Les élèves sont associés à la réflexion sur les espaces et le fonctionnement du CDI. Une enquête annuelle permet de recueillir les avis, positifs et négatifs. Ayant lu beaucoup d’articles sur des expériences de design thinking, j’ai organisé l’an dernier une réunion avec des élèves volontaires, intitulée « chantier de réflexion collective ». Avec une dizaine d’élèves, nous avons utilisé les fameux post-it pour lister ce qui allait, ce qui n’allait pas, et nos idées. Les semaines suivantes, à chaque heure d’étude, les élèves étaient sollicités pour donner leur avis, ce qui a permis de mobiliser davantage d’usagers. Nous avons testé certaines propositions pendant plusieurs semaines, et un suivi a été réalisé.
À côté de ces usages proposés à tous, pour des besoins scolaires ou personnels, il y a des activités proposées sur la base du volontariat, sur les temps du midi (les clubs) ou sur les heures d’étude (ce qui permet aux externes de s’impliquer). Au premier rang de ces activités périscolaires, donc facultatives, on trouve les aides CDI (« Z ») : ils aident à ranger (maîtrise des classements), à faire des sélections de livres (esidoc) et rendent des petits services. Les coachs numériques, eux, sont initiés au maniement du matériel et des logiciels (liseuses, tablettes, scanner, padlet, publication sur le site du collège…). L’organisation du groupe reproduit un fonctionnement assez « naturel ». Le cadre est moins carré que les expériences d’experts numériques qu’on peut voir. C’est un peu « comme à la maison », on décide ensemble, on réfléchit ensemble, on adapte les règles ensemble.
Deux clubs proposés le midi complètent la palette des activités, l’un réservé à la lecture, et l’autre aux jeux (de stratégie, de lettres). Dans le cadre de ces clubs, les habitués acceptent facilement de prendre le rôle d’encadrant pour me seconder, et il est très facile de trouver des volontaires pour aider à ranger les armoires. Il arrive que des élèves demandent à pouvoir proposer d’autres activités de type club, qu’ils gèrent alors de A à Z. La pièce du CDI qui accueille les clubs leur est dans ce cas réservée.
Pour que tous ces dispositifs soient compris et investis par les élèves, cela nécessite une signalétique claire et explicite, ainsi que des séances approfondies de découverte des espaces, des règles et des activités proposées. Il faut donner les clés aux nouveaux élèves : les 6e, mais aussi les 4e qui arrivent, ou tout nouvel élève. La visite est également faite à tout nouveau personnel de la vie scolaire, pour qu’il appréhende le fonctionnement du CDI, et la manière dont il s’articule avec l’offre elle aussi variée proposée par la vie scolaire. Dans le cadre des séances dirigées au CDI, certaines habitudes systématiques permettent de faire vivre un mode de travail autonome et collaboratif y compris dans le cadre des enseignements obligatoires – dans la limite du raisonnable selon le travail demandé par l’enseignant - : tirage au sort avec galets et dés à jouer, organisation avec un élève pilote à l’ordinateur, utilisation de quatre couleurs pour les activités de réflexion individuelles et en groupe2, guides de recherche semi-guidés.

… avec des bénéfices évidents,
Ces activités apportent un plus :
• pour les élèves participants : responsabilisation, engagement, implication, plaisir ;
• pour tous les usagers, même simples visiteurs : autonomie et liberté ;
• pour l’adulte : sentiment d’être moins isolé dans la prise de décision concernant le lieu, et satisfaction d’œuvrer pour l’épanouissement des élèves ;
• pour la relation avec les élèves : du respect mais moins de distance qu’avec un enseignant de discipline. On est davantage un référent et un gestionnaire qu’un supérieur hiérarchique qui imposerait son système.
Je me suis tout à fait retrouvée dans un témoignage sur l’excellent site Remixonsdoc des collègues de Toulouse : « Les « événements du midi » favorisent les relations interpersonnelles et les émotions, montrent les bienfaits du partage, favorisent le développement de l’estime de soi. Ils donnent aussi une place aux goûts et aux passions individuelles. »3
Mais pas tout à fait comme à l’école démocratique !
Si je valorise chez les élèves un fonctionnement responsable, autonome et participatif, je ne respecte finalement pas les principes de l’école démocratique à la lettre. J’ai effectivement « faussé » le fonctionnement d’un CDI naturel, de différentes manières.
Tout d’abord, les règles de vie ne sont pas décidées en collaboration, même si les élèves peuvent proposer des modifications. Lors des enquêtes menées auprès des élèves chaque année, leurs demandes sont de pouvoir parler à plus de deux, faire leur travail scolaire, dessiner, dormir, téléphoner. C’est de bonne guerre de leur part de tenter le coup, mais j’estime ne pas avoir à réunir de réunions d’élèves pour arbitrer ces propositions. Pour autant, il n’est pas question de faire preuve d’abus de pouvoir, les règles sont réduites au maximum et mettent à égalité les adultes et les élèves. Les règles de vie s’affichent cette année en couleur et officialisent l’entraide et le partage.
Afin de préserver le calme tout en permettant beaucoup d’activités différentes, beaucoup d’autonomie et des déplacements forcément nombreux, les règles d’organisation sont assez strictes et leur application sans concession ni exception : obligation de s’occuper (ou de demander à l’être), interdiction d’être plus de deux élèves sur une activité (sauf sur la table collective), interdiction de déplacer une chaise, interdiction d’aller aux ordinateurs sans autorisation.
Je n’ai pas non plus conservé l’idée d’une co-gestion à égalité des activités. L’expérience a montré que la cooptation entre élèves est fort utile du point de vue de la socialisation, mais nettement moins de celui de l’efficacité… Je conserve donc ce système pour certaines activités (découverte de l’espace jeu, guitare, liseuse…) mais pas pour celles qui demandent à être effectuées précisément (rangement, saisie des carnets). Il peut y avoir initiation par un élève, mais au bout du compte, c’est l’adulte qui vérifie et valide la compétence, donnant ainsi à l’élève formé le droit et la qualification pour montrer à d’autres.
Enfin, et c’est peut-être le point qui soulève le plus de questions, j’ai faussé un fonctionnement naturel en proposant des activités. C’est contraire aux principes de l’école démocratique, où l’idée est de ne rien imposer. Si l’on voulait essayer de reproduire les conditions préconisées par les écoles démocratiques, il faudrait ne rien proposer sur les heures d’étude, ne rien proposer comme club, ouvrir simplement la pièce et attendre que les élèves demandent une activité. J’ai vécu quelques situations qui peuvent nous mettre sur la piste de cette uchronie. Le club relaxation existe depuis 10 ans, et il manque de place pour accueillir les élèves tant la demande est forte. On a imaginé, avec la collègue responsable du club, un espace autonome de relaxation/méditation au CDI depuis cette année. Il ne désemplit pas. Pourtant, aucun élève n’avait eu l’idée d’en faire la demande. L’an dernier, un collègue de sciences physiques a proposé des énigmes scientifiques au CDI. À notre grand étonnement, cela a eu un succès fou ! Beaucoup d’élèves avaient pris l’habitude de cogiter, demander des indices, proposer des solutions, et venaient assister nombreux aux démonstrations de la réponse. Lorsque le collègue a muté en lycée, personne n’a fait de remarque, ou appelé de ses vœux la poursuite de cette activité…
De même, la lecture loisir, on le sait, a du mal à évoluer sans sollicitations. Je parle souvent du pouvoir de la gestion de l’espace, en disant que « la pédagogie passe aussi par la place des chaises » : mettez un siège devant un bac de magazines, d’albums, et ils seront lus ; enlevez le siège, vous pouvez arrêter les achats. La plupart des élèves lisent ce qui est à bout de bras et n’iront pas chercher un titre pour aller s’installer ailleurs. Loin des yeux…
Mais même en étant force de proposition, toutes les activités sont-elles possibles dès lors qu’elles se basent sur le volontariat ? Lesquelles « prennent » et lesquelles n’ont pas de public ? À quels élèves profite réellement ce système participatif et collaboratif ?
Les limites du volontariat
Quand je propose les Z, les coachs numériques, les siestes contées, l’espace relaxation en autonomie, les clubs, je me fais plaisir, et les élèves sont ravis. Mais qui sont ces élèves ravis ? Sont-ils nombreux ? Les raisons de leur ravissement rejoignent-elles mes objectifs pédagogiques (lecture, info-doc, EMI, ouverture culturelle, avec TOUS les élèves) ? Brisons tout de suite le suspens : très peu participent, de moins en moins au fil des années, et leur ravissement n’est pas toujours en adéquation avec le mien.
Prenons l’exemple du club lecture. Pendant longtemps, quatre clubs lecture vivaient au CDI. Puis les élèves se sont faits de plus en plus rares, et j’ai dû inventer une formule libre où les élèves viennent faire l’activité qu’ils souhaitent, du moment que cela a un rapport avec un livre (exposé, vidéo, rangement…). Ce sont rarement les mêmes, et peu de projets aboutissent. Je me rassure sur mon éventuelle responsabilité dans ce tarissement en voyant mes collègues se désoler de ne plus avoir d’élèves au club math, au club magie, au jardinage, à la chorale…
Ne perdons pas de vue que ces activités facultatives s’adressent aux élèves qui viennent au CDI, d’une part, et, parmi ces usagers (qui ne sont donc pas la totalité des élèves d’un établissement), aux volontaires. Il faut être très clair sur la nature et les conditions de ce volontariat, et ne pas se voiler la face. Le volontariat, ce n’est pas très démocratique. Tout d’abord, ces activités s’adressent aux élèves qui sont tentés. On pourrait parler de « volontariat culturel », de curiosité. Il n’est pas donné à tout le monde de se dire : « Tiens, si j’allais découvrir des choses nouvelles ? ». C’est une initiative très dépendante des habitudes culturelles familiales. Ensuite, il faut que les élèves soient disponibles matériellement. On peut donc oublier les externes, habitués à libérer le terrain par manque de surveillants et de salles d’étude. Exit aussi les élèves qui préfèrent faire leur travail au collège pour s’avancer, ce qui n’est pas vraiment critiquable. Exit enfin les élèves suivis dans des dispositifs type « devoirs faits » ou soutien. On peut aussi éliminer de nos listes les élèves hyper-occupés, qui ont AS le lundi, chorale le mardi, soutien en math le jeudi, et préfèrent jouer au ping-pong que venir au club lecture sur le seul midi qui leur reste. Mais d’un point de vue démocratique, ces élèves-là n’ont pas besoin de nous, on est juste parfois un peu frustrés de ne pas les voir assez pour nous aider à dynamiser notre fonctionnement.
Il faut aussi oublier les élèves « indépendants », ceux qui veulent TOUT faire seuls sans contrainte, et parfois en dehors de l’école. Les lecteurs me l’ont dit très clairement dans la dernière enquête : ils ne veulent pas du cadre contraignant d’un club ou d’une animation lecture. Exit donc le club lecture à la rentrée, ou profit d’un CDI juste ouvert le midi.
Par ailleurs, la collaboration volontaire a ses limites. En effet, il n’est pas certain que ce soit une bonne chose au niveau pédagogique de prévoir par exemple que des élèves « experts » aident systématiquement les élèves à notre place : ils n’ont inévitablement pas le même niveau de compétence que le nôtre. Souvent, en essayant d’aider, ils se rendent compte qu’ils ne savent pas bien faire eux-mêmes. De plus, ils ne sauront pas aider, ils feront à la place, parce qu’aider, cela s’apprend. Un « aide-doc » va chercher à la place d’un autre élève, il n’aura pas la même démarche que le professeur documentaliste qui va repérer les erreurs, les souligner et les corriger, ou qu’un élève qui va tâtonner pour y arriver par lui-même. Si au hasard de leur vie scolaire, leurs compétences leur permettent d’aider un camarade, ils sauront s’en servir, mais cela ne doit pas être l’objectif.
Enfin, il faut aussi se demander si l’on n’est pas en train de se servir des élèves, au lieu de leur rendre service. Les Z n’ont pas à assurer le rangement du CDI, et les coachs n’ont pas à remplacer une formation informatique ou numérique de tous les élèves. Cette réflexion m’a amenée à faire évoluer ces deux projets à la rentrée prochaine, pour prendre la forme de missions plus utiles aux élèves. Il me semble plus pertinent de créer une équipe d’animateur du CDI que des « rangeurs » d’étagères, et de former des journalistes (papier, télé, radio ?) plutôt que des techniciens informatiques. Je préfère faire mon métier de professeur documentaliste, plutôt que d’essayer de pallier les manques de formation informatique et numérique.
Intégrer des éléments participatifs, collaboratifs dans les cours obligatoires ?
Nos objectifs d’apprentissages concernent l’EMI, l’info-doc, l’ouverture à la culture et l’incitation à la lecture. Et nous devons toucher tous les élèves, qu’ils soient volontaires ou réfractaires, qu’ils soient initiés familialement ou pas, qu’ils aient des heures d’étude ou pas.
Ne faut-il pas dès lors imaginer introduire du participatif, de la collaboration, dans les projets pédagogiques obligatoires, ceux qui s’adressent à tous dans le cadre de l’enseignement ? On peut le faire dans l’organisation du travail des élèves (travail en équipe, liberté d’organisation, référent désigné…), dans les outils utilisés (outils numériques collaboratifs), dans la restitution du travail (liberté de choix du support, co-évaluation, présence discrète des adultes…). Tous ces moyens font l’objet de publications nombreuses. Leur point commun, c’est d’être très intéressants du point de vue de la pédagogie, mais malheureusement moins du côté de la gestion du temps. Or, la problématique du manque de temps n’est pas à négliger. Elle aboutit souvent à faire manquer l’un des objectifs : celui de l’apprentissage de la méthode, ou celui du contenu d’enseignement. La collaboration est un objet d’apprentissage en soi. La solliciter aboutit souvent à une surcharge cognitive pour les élèves, qui puiseront des bénéfices comportementaux et sociaux à ce mode de travail, peut-être au détriment des savoirs acquis. Il faut donc en avoir conscience pour adapter les objectifs et la difficulté de la tâche finale demandée. André Tricot, dans ses nombreux travaux, parle des quatre niveaux d’engagement dans la tâche, de charge et surcharge cognitive.
Depuis la réforme du collège, les heures-CDI ont été diminuées des deux-tiers dans mon collège. J’ai donc considérablement adapté ma manière de travailler avec les classes. On l’a vu, une activité qui laisse la part belle au collaboratif prend aussi beaucoup de temps, et le contenu des savoirs mobilisés ne doit pas rajouter une difficulté aux élèves. J’avais pris l’habitude de prendre comme sujets d’exposés des contenus simples : le CDI, des événements vécus par les élèves, un livre lu, un auteur connu… L’idée était de privilégier l’apprentissage des outils de recherche, des outils de mise en forme, de l’autonomie et du travail en équipe. Aucun collègue de discipline ne pourrait y trouver son compte en l’état, le projet est stérile ou presque en termes d’acquisitions de nouvelles connaissances. Si on demande aux élèves de découvrir un sujet nouveau, qu’ils doivent maîtriser et comprendre, il faut que la méthode demandée ne soit pas nouvelle ni difficile.
Il s’agit donc aujourd’hui de trouver d’autres manières de travailler avec les collègues, pour que les projets auparavant initiés par le professeur documentaliste seul puissent se retrouver dans le cadre des enseignements de discipline. C’est une réflexion à mener en équipe, en ayant conscience qu’être collaboratif peut s’apprendre par l’expérience, bien sûr, à la condition de vivre beaucoup d’expériences répétées, souvent ratées et non abouties, ou alors que cela peut s’enseigner de manière progressive et concertée. Ainsi, on ne peut pas mettre sans préparation une classe en autonomie, en exigeant une organisation en équipe, une démarche laissée à leur appréciation, l’usage d’un brouillon collaboratif en ligne type framapad, une mise en forme de leurs recherches avec un autre outil collaboratif numérique ou l’organisation d’un oral. Cela semble évident, et pourtant, le seul fait de leur demander de réaliser ce travail très souvent sur leurs heures de liberté est significatif d’une méconnaissance des difficultés induites par toutes les étapes de ces missions éminemment complexes, mais potentiellement fécondes pour les élèves.
On lit que les temps ont changé, que les élèves ont besoin de travailler d’une autre manière, plus libre, plus collaborative. Je ne peux qu’adhérer à ce souhait, ayant dans ma pratique pu observer les multiples intérêts de ces modes de fonctionnement. Mais il faut à mon avis éviter que le corollaire n’en soit le volontariat.
Certains collègues éprouvent aujourd’hui des difficultés à continuer leurs missions obligatoires à destination de tous les élèves. Restons vigilants pour que le fonctionnement d’un CDI « moderne » et « démocratique » (il paraît qu’il faut dire innovant) respecte l’équilibre de ses missions, et que le « facultatif » ne vienne pas au détriment de la formation de tous les élèves.