Condition animale

Textes et conventions internationales

Monde

Proclamation de la Déclaration universelle des droits de l’animal le 17 octobre 1978 à la Maison de l’Unesco à Paris (texte révisé par la Ligue internationale des droits de l’animal en 1989 et publié en 1990). Une nouvelle révision a été rédigée par la LFDA en 2018.

Europe

Traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007, entré en vigueur le 1er décembre 2009.
Article 13 : « Désireuses d’assurer une plus grande protection et un meilleur respect du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles, sont convenues […]».

Depuis les années 70, l’Union Européenne s’applique à protéger les animaux par la publication de nombreux textes (conventions, règlements, directives) dans lesquels distinction est faite entre : les animaux domestiques, ceux faisant l’objet d’échanges, et les animaux sauvages.

France

Code pénal 1963. Chapitre unique : Des sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux. Article 521-1 (version du 6 octobre 2006) : « Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. »

Code rural 1976, chapitre 4 : La protection des animaux. Article L214-1 (version du 21 septembre 2000) : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. »

Code civil : Article 515-14 (créé par la loi du 16 février 2015 art 2) : « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens. »

Les animaux sauvages vivant en liberté ne sont toujours pas considérés comme des êtres sensibles.

 

Penseurs

Pythagore (580 av. J.-C.-495 av. J.-C.) : philosophe présocratique. Considéré comme le père du végétarisme. Voir Les Métamorphoses d’Ovide.

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) : philosophe genevois. Discours sur l’origine de l’inégalité (1754) : la différence entre l’homme et l’animal.

Jeremy Bentham (1748-1832) : philosophe britannique, jurisconsulte. Fondateur de l’utilitarisme. Introduction aux principes de morale et de législation (1789).

Arthur Schopenhauer (1788-1860) : philosophe allemand. Sur le besoin métaphysique de l’humanité (1818) : « L’homme est un animal métaphysique ».

Tom Regan (1938-2017) : professeur de philosophie morale. Théoricien américain du droit des animaux. Les Droits des animaux (2013).

Elisabeth de Fontenay (1934-) : philosophe française. Ouvrage de référence : Le Silence des bêtes : la philosophie à l’épreuve de l’animalité (1998).

Peter Singer (1946-) : philosophe australien et professeur de bioéthique. Fondateur du mouvement contemporain des droits des animaux. La Libération animale (1975), Questions d’éthique pratique (1997).

Vinciane Despret (1959-) : philosophe des sciences belge, et spécialiste d’éthologie, Le Chez-soi des animaux (2017), Bêtes et Hommes (2007), Que diraient les animaux si on leur posait les bonnes questions (2014), Penser comme un rat (2009).

Florence Burgat (1962-) : philosophe française, directrice de recherche à l’INRA. Spécialiste de la condition animale. Animal, mon prochain (1997), Le Droit animalier (2016), L’Humanité carnivore (2017), Être le bien d’un autre (2018).

 

 

Associations et manifestations

Quelques-unes des nombreuses associations de défense des animaux :

Société Protectrice des Animaux (SPA). L’association lutte au quotidien pour la protection animale avec pour mission principale de mettre un terme à la maltraitance et aux abandons.

Fondation 30 millions d’amis : association pour la défense et la protection des animaux.

La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA) a pour but l’évolution des textes en faveur des animaux à l’aide d’arguments scientifiques et éthiques.

L214 éthique et animaux : association de protection animale œuvrant pour une pleine reconnaissance de la sensibilité des animaux et l’abolition de certaines pratiques (élevages, abattoirs).

Parti animaliste : créé en 2016, il promeut une évolution de la société qui prenne en compte les intérêts des animaux et qui repense la relation entre les animaux et les humains.

Fond Mondial pour la Nature (WWF) : organisation mondiale de protection de l’environnement, œuvre pour la préservation des espaces et espèces sauvages les plus menacées.

Pour une éthique dans le traitement des animaux (PETA) : lutte pour les droits des animaux, notamment par l’abolition de l’exploitation de leur fourrure, cuir ou laine.

International Fund for Animal Welfare (IFAW) : ONG spécialisée dans la protection des animaux en danger.

Sea Shepherd Conservation Society : ONG engagée dans la protection des écosystèmes marins et de la biodiversité.

Front de libération des animaux (ALF) : mouvement d’activistes des droits des animaux très présent dans les pays anglophones.

Journée internationale sans viande (Meat Out Day), le 20 mars, chaque année.

Journée Internationale pour les Droits des Animaux (JIDA), le 10 décembre, chaque année.

 

© L214

 

Expositions

Grand Palais, Galeries nationales : « Beauté animale », 21 mars 2012-16 juillet 2012. Dossier pédagogique disponible  https://www.grandpalais.fr/sites/default/files/user_images/30/dossier_pedagogique_beaute_animale.pdf

La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences : « L’animal aujourd’hui », créée à l’occasion des 40 années d’existence de la LFDA, Mairie de Paris 5e, 28 août au 2 septembre 2017. Exposition disponible au format PDF  http://www.fondation-droit-animal.org/exposition-lanimal-aujourdhui/

L’association L214 propose deux expositions :
« La viande, les animaux et l’environnement ». Disponible à l’adresse  https://www.l214.com/exposition
« Nourrir l’humanité : Enjeux et alternatives pour l’agriculture ». Disponible à l’adresse  https://education.l214.com/expositions

 

 

Dans les programmes

La sensibilité animale et le droit des animaux n’apparaissent pas en tant que tels dans les programmes scolaires, il faudra donc aborder ces thèmes via des aspects proches du programme.

Collège

5e – Français
Questionnement complémentaire. L’être humain est-il maître de la nature ?
Bulletin officiel n° 30 du 26-7-2018

5e – Géographie
Thème 2 : Des ressources limitées, à gérer et à renouveler
L’alimentation : comment nourrir une humanité en croissance démographique et aux besoins alimentaires accrus ?
Bulletin officiel spécial n°11 du 26-11-2015

3e – Sciences de la vie et de la terre
Le vivant et son évolution. Attendus de fin de cycle :
Expliquer l’organisation du monde vivant, sa structure et son dynamisme à différentes échelles d’espace et de temps.
Mettre en relation différents faits et établir des relations de causalité pour expliquer :
– la nutrition des organismes ;
– la dynamique des populations ;
– la classification du vivant ;
– la biodiversité (diversité des espèces) ;
– la diversité génétique des individus ;
– l’évolution des êtres vivants.
Bulletin officiel spécial n°11 du 26-11-2015

Lycée

2de – SVT
La biodiversité, résultat et étape de l’évolution :
Capacités et attitudes développées tout au long du programme :
Être conscient de sa responsabilité face à l’environnement, la santé, le monde vivant.
Être conscient de l’existence d’implications éthiques de la science.
Bulletin officiel spécial n°4 du 29-4-2010

2de – Histoire géographie
Thème 2 – Gérer les ressources terrestres
Nourrir les hommes :
– Croissance des populations, croissance des productions.
– Assurer la sécurité alimentaire.
Bulletin officiel n° 4 du 29-4-2010

1re – Français
Objet d’étude commun à toutes les séries générales :
La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVIe s. à nos jours :
L’objectif est de permettre aux élèves d’accéder à la réflexion anthropologique dont sont porteurs les genres de l’argumentation afin de les conduire à réfléchir sur leur propre condition. On contribue ainsi à donner sens et substance à une formation véritablement humaniste.
Bulletin officiel spécial n°9 du 30 septembre 2010

Terminale S : SVT
– Être conscient de sa responsabilité face à l’environnement, la santé, le monde vivant.
– Être conscient de l’existence d’implications éthiques de la science
Bulletin officiel spécial n°8 du 13-10-2011

Terminale séries générales : Philosophie
Thèmes de philosophie : autrui (L, ES), perception (L), conscience (L, ES, S), vivant (L, S)
Bulletin officiel n°25 du 19-6-2003

Terminale : EMC
Biologie, éthique, société et environnement :
La responsabilité environnementale. L’interdépendance humanité-nature. Le principe de précaution : sa réalité juridique, ses applications et ses limites.
Bulletin officiel spécial n°6 du 25-6-2015

 

Pistes pédagogiques

• Avec tout professeur (SVT, EMC, philosophie mais pas seulement) intéressé par le sujet, emprunter une exposition pour sensibiliser les élèves au sujet, réaliser un questionnaire et faire venir les classes au CDI.

• Inviter un membre d’une association, un auteur, un philosophe. En amont, réaliser des recherches documentaires sur le sujet au CDI avec les élèves afin de préparer les questions à poser aux intervenants. En aval, s’il existe un journal dans l’établissement, rédiger un compte rendu des interventions et/ou des interviews réalisées par les élèves.

• Entraînement à l’expression orale et écrite :
– Organiser un débat sur les droits des animaux dans le cadre de l’EMC, des cours de lettres avec, au préalable, recherches documentaires au CDI et rédaction d’un texte argumentatif.
– Visionner un reportage, un film puis l’analyser et/ou débattre.

• Sorties : rencontrer une association, se rendre à un festival, se rendre à une conférence sur la cause animale.

• Avec les personnels de la cantine, l’infirmière, les professeurs de SVT, un nutritionniste : concevoir un repas végétarien, en faire la promotion sur le portail du CDI et le site de l’établissement.

• Avec les professeurs de SES ou des séries technologiques, réaliser une enquête sur les pratiques alimentaires des élèves et des personnels.

• Participer à la Journée internationale sans viande le 20 mars et la Journée Internationale pour les Droits des Animaux (JIDA) le 10 décembre chaque année.

 

 

« Le jour viendra peut-être où le reste de la création animale acquerra ces droits qui n’auraient jamais pu être refusés à ses membres autrement que par la main de la tyrannie. »

Jeremy Bentham, Introduction aux principes de la morale et de la législation, 1789.

 

 

Bansky : Dismaland, Bemusement Park 2015 (parc d’attraction) D. R.

 

Image mise en avant : Bansky : Sirens of the Lambs 2013 (spectacle) D. R.

Les bibliothèques, lieux ressources pour les publics LGBT+

Dans son ouvrage sur les Représentations des homosexualités dans le roman français pour la jeunesse, Renaud Lagabrielle1 souligne l’importance des oeuvres proposant un ou des personnages homosexuels dans le panorama éditorial pour la jeunesse, et donc au sein de toutes les bibliothèques (scolaires, municipales et universitaires) à l’heure où celles-ci réfléchissent à la question de l’inclusion sociale. L’une des missions des bibliothèques est en effet de permettre l’accès à tous au savoir et à l’information, et celles-ci semblent ainsi particulièrement indiquées pour amener les adolescents LGBT+ à venir chercher des informations (même si Internet leur offre un accès plus direct et plus discret), et des personnages fictionnels auxquels s’identifier. Par ailleurs, il semble que le concept d’inclusion ne peut se penser sans celui de visibilité, et là encore, les bibliothèques ont un rôle à jouer.

Visibilité des thématiques LGBT+ en bibliothèque

Évolution historique en classification et indexation

Penser l’accès de la documentation liée aux thématiques LGBT+ est une étape fondamentale dans l’accueil des jeunes homosexuel.les et transgenres dans les bibliothèques et CDI. La visibilité de ces sujets, à travers le catalogue, par l’indexation et la cotation – loin de toute stigmatisation, qui en réalité arrive surtout quand on décide d’ignorer et d’exclure –, s’avère nécessaire pour lutter contre le rejet.

La Classification Décimale Dewey
L’étude des évolutions proposées à travers le temps de la Classification Décimale Dewey quant aux thématiques liées à l’homosexualité et à la transidentité ne peut se faire sans une observation du contexte américain à une époque donnée, dans la mesure où cet outil de hiérarchisation des savoirs demeure notamment dépendant du degré de reconnaissance sociale accordée à chaque item et à l’interprétation qui en découle. Par ce biais, nous assistons donc, d’une certaine manière, à l’histoire abrégée des personnes LBGT+ américaines, à l’étendue des préjugés existants et aux avancées visibles et légales de leur mouvement.
Pour un aperçu historique, il faut lire l’article « A brief history of homophobia in Dewey decimal classification2 » de la bibliothécaire australienne Doreen Sullivan. Elle explique comment la notion d’homosexualité dans la Classification Dewey fait dans un premier temps les frais de l’invisibilisation des homosexuel.le.s dans la société, puisque celle-ci n’apparaît pas avant la 13e édition en 1932 et y est dès lors associée d’une part à la cote 132 qui désigne les « mental derangements », et d’autre part à la cote 159.97 ou « abnormal psychology ». Jusqu’à la 14e édition en 1942, l’homosexualité demeure classée en 301.4157, soit comme « relations sexuelles anormales ». Par la suite, dans la 15e édition imprimée en 1952, l’homosexualité intègre la classe des sciences sociales, à travers la cote 301.424 désignant « the study of sexes in society » marquant une nouvelle étape dans la visibilité – bien que toujours réprimée – des personnes homosexuelles. Néanmoins, et malgré les émeutes de Stonewall en 1969 puis la dépsychiatrisation de l’homosexualité et sa suppression de la liste des maladies mentales en 1973 aux États-Unis, les éditions suivantes de la CDD persistent à la reléguer dans la classe de la psychologie comme un trouble du caractère et de la personnalité, dans celle de la santé en tant que trouble neurologique et enfin dans celle des sciences sociales comme perversion, au même titre que la prostitution, l’inceste et les relations extraconjugales. En 1989, dans la 20e édition, on parle toujours de « controversies related to public morals and customs » en 363.4 et de « homosexuality as a crime » en 364.1536. La notion de « mariage homosexuel » est introduite comme subdivision des « institutions relatives aux relations des sexes », alors que la 21e édition l’intègre à la cote 306.8 « mariage et famille », sous la division 306.848.
Enfin, en observant les tables abrégées de la 21e édition, nous retrouvons toujours l’homosexualité en 176, relatif à la « morale sexuelle », en 363.4 relatif aux « problèmes relatifs à la morale publique », en 155.3 relatif à la « psychologie de la sexualité et psychologie des sexes » et en 306.7 relatif aux « relations entre sexes. Pratiques sexuelles. » Cette dernière partie est l’occasion de noter la présence sur le même plan, sous la cote 306.76 désignant les « orientations sexuelles », de l’hétérosexualité, la bisexualité, l’homosexualité et la transsexualité. Il faut toutefois ici regretter la catégorisation de la transidentité comme une orientation sexuelle. Bien que liées dans les mouvements civiques et militants aux questions lesbiennes, gays et bisexuelles, la question transgenre touche à la notion d’identité de genre et non d’orientation sexuelle. Dans la CDD, il n’existe pas de division prenant en compte cette distinction. De plus, jusque-là, cette notion n’était évoquée que par le biais du « travesti » dans la division des « troubles sexuels ».
La dernière et 23e édition propose l’organisation suivante : 306.76 Relations entre sexes. Pratiques sexuelles > 306.764 Hétérosexualité / 306.765 Bisexualité / 306.766 Homosexualité > 306.7662 Homosexualité masculine / 306.7663 Lesbianisme / 306.768 Sociologie de la transexualité.
Elle inclut également l’homosexualité dans les classes 176 (éthique sexuelle), 363.49 (problèmes relatifs à la morale publique. Homosexualité) et 155.3 (psychologie de la sexualité).

Les étagères arc-en-ciel de la bibliothèque d’Umeå

Les notices autorité de Rameau
Tout comme celui de la Classification Décimale Dewey, le contenu du Répertoire d’autorité matière encyclopédique et alphabétique unifié (Rameau) est amené à évoluer et souligne un certain système de pensée, et dans le cadre d’une analyse sur les autorités matières liées aux thématiques LGBT+, une chronologie évocatrice apparaît.
La première notice créée, en 1981, concerne le terme d’« homosexualité masculine », ignorant ostensiblement la possibilité d’une homosexualité féminine. Celle-ci n’apparaît dans ce registre que quelques mois plus tard, en 1982 – date historique de la dépénalisation de l’homosexualité – sous le terme « lesbianisme », en même temps que celui de « bisexualité. » Le terme générique d’« homosexualité » n’est étrangement produit que l’année suivante.
Il faut attendre 1989 pour que le répertoire propose un terme pour évoquer les personnes transgenres, le « transsexualisme. » Cette terminologie se rapporte à une dimension médicale puisqu’elle implique une opération de réassignation pour aboutir physiquement au changement de sexe. Ce vocabulaire apparaît comme imprécis puisqu’il réduit les personnes concernées à un geste chirurgical et les désigne par rapport à leur sexe alors qu’elles se définissent autour de leur identité de genre. Qui plus est, il demeure le terme lié à la dimension psychiatrisante de l’histoire de la transidentité. Aujourd’hui, si les termes « transidentité » et « transgenre » doivent être préférés, ils n’apparaissent pas encore dans la liste Rameau.
Enfin, c’est plus de dix années plus tard, en 2000, que sont générés les termes « hétérosexualité » et « homophobie ». Hasardeuse ou non, cette simultanéité est l’occasion de souligner que la reconnaissance – tardive – du rejet des personnes homosexuelles n’est pas sans rapport avec la vision binaire de la société en termes de sexualité, laquelle induit une illusion de supériorité de l’hétérosexualité sur l’homosexualité.
Au-delà de ces considérations chronologiques, il faut par ailleurs s’intéresser aux sens que donne Rameau à ces termes et aux liens qui peuvent être établis. En effet, cet outil propose, associée à chaque terme de la liste, une rubrique « employé pour » et des termes génériques, associés et spécifiques. Ceux-ci peuvent ainsi poser certaines difficultés ou au contraire apporter un éclairage positif. Notons par exemple la confusion qui demeure quant à la bisexualité dont les termes associés dans le répertoire concernent encore l’« androgynie » et l’« hermaphrodisme », qui relèvent pourtant de notions tout à fait différentes. De même, le « transsexualisme » se voit employé pour parler de l’« intersexualité » et associé au terme générique relatif aux « troubles de l’identité sexuelle ». Enfin, de nombreux préjugés demeurent apparents, comme lorsque l’« homosexualité » se trouve devoir être employé pour une « inversion sexuelle » ou associé aux termes « amitié masculine, » comme le « lesbianisme » l’est aux termes « amitié féminine », ou encore quand « l’homosexualité masculine » se voit accoler le terme spécifique « sodomie. »
Néanmoins, il faut relever de manière encourageante que le terme « hétérosexualité » est associé au terme « hétérosexisme », soulignant ainsi une réalité sociale souvent méconnue, à savoir la promotion exclusive de l’hétérosexualité comme norme, et donc le rejet voire l’invisibilisation de toute autre forme d’orientation sexuelle et affective. Pour finir, la discrimination à l’encontre des homosexuelles n’est finalement pas ignorée non plus, puisqu’il est stipulé que le terme « homophobie » peut être employé pour signifier entre autres la « lesbophobie. »

Pratiques de classement des ouvrages pour la jeunesse

Cette histoire de la classification et de l’indexation des documents traitant de thématiques LBGT nous amène à orienter cette même problématique du côté des ouvrages destinés à la jeunesse. Sans donner de références définitives concernant le choix des cotes et des sujets, il s’agit avant tout d’évoquer certaines pratiques généralistes et pointer les difficultés induites par ces thématiques.
En effet, l’un des objectifs de la littérature pour la jeunesse, fictionnelle ou documentaire, étant d’offrir aux lecteurs une représentation du monde en leur proposant des modèles de comportements et de rapports sociaux, il importe pour les bibliothécaires et les documentalistes de prolonger et de valider ces discours, notamment dans le catalogue de l’établissement. Il faut par conséquent veiller à utiliser, avec encore plus de vigilance que pour un public adulte, une localisation et un vocabulaire éloignés des préjugés et éthiquement adaptés.
Concernant les ouvrages de fiction, ces « documents qui font appel à l’imaginaire3 », la classification est souvent conçue en fonction du genre. « La forme, qui impose d’elle-même des modes distincts de présentation, est souvent la solution la plus simple4. » Ainsi, les romans seront situés ensemble, tout comme les bandes dessinées et les mangas, les pièces de théâtre, etc. Dans ce cas-là, la cote 800 de la Classification Décimale Dewey sera bien souvent remplacée par la lettre R pour les romans, T pour le théâtre, H pour l’humour, etc.
Toutefois, en s’accordant sur le fait que la « classification Dewey ne correspond[e] à aucune stratégie de lecture du public5 », il est possible d’envisager un classement, notamment des romans, par thématiques ou centres d’intérêt. Cette méthode distingue d’une part les genres (le roman policier, le roman fantastique, le roman de science-fiction, le roman humoristique, etc.) et d’autre part les grands sujets. Ces grands sujets peuvent se rassembler sous divers titres, comme l’amour ou les questions de société – deux axes sous lesquels pourraient être classés les ouvrages traitant d’une thématique LGBT. Le point de vigilance se situe dans ces cas-là au niveau de la perception que peut en avoir le public. Privilégier le rangement de ces textes sous une étiquette dédiée aux problématiques sociétales présente un risque de stigmatisation. Si le sujet fait bel et bien référence à un épisode d’homophobie, cette catégorisation se justifie. En revanche, si le lecteur assiste simplement à une relation romantique entre personnes du même sexe, cette option ne servira qu’à marquer une différenciation inappropriée entre le sentiment amoureux hétérosexuel et homosexuel.
À l’inverse cependant, c’est le piège de l’invisibilisation totale qui peut découler du choix de noyer entièrement ces ouvrages dans des thématiques plus généralistes.
Du côté des ouvrages documentaires, les pratiques se tournent généralement vers une simplification des cotes. Ceci permet un regroupement plus large des thématiques, à l’intérieur des grandes classes Dewey par exemple. Là encore, la question se pose quant à l’intitulé de la section où peuvent être classés les documents traitant d’homosexualité, de transidentité, d’homophobie, d’homoparentalité, etc. La diversité des contenus induit de manière logique la répartition de tous ces documents entre les classes liées soit aux questions de société, soit à la sexualité, ou encore aux sentiments, à l’identité ou à la famille. Pour autant, une volonté de mise en avant et de visibilité pourrait justifier un rassemblement sous une même cote ou pôle thématique.

Histoire et culture LGBT+ : pour une meilleure visibilité

Exemples d’actions culturelles

Il existe de nombreuses manières pour les bibliothèques de participer activement à l’inclusion des personnes LGBT, dont nous pouvons donner quelques exemples.
Dans un premier temps, un accès aux collections spécifiques permet de faire vivre de manière indispensable la mémoire et l’actualité de cette communauté auprès des personnes directement concernées. Par ailleurs, ces espaces dédiés amènent également une visibilité nécessaire pour s’affranchir du système de pensée hétéronormé toujours en vigueur dans nos sociétés. En France, s’il existe quelques lieux ressources sur l’Histoire des femmes et du féminisme comme la bibliothèque Marguerite Durand à Paris, l’Espace Égalité de Genre de la bibliothèque Olympe de Gouges à Strasbourg ou le Centre d’Archives du Féminisme de la bibliothèque universitaire d’Angers, seule la bibliothèque municipale de Lyon met à disposition un fonds entièrement dédié aux questions d’identité de genre et d’orientation sexuelle, le Point G. Pourvue d’un fonds d’archives liées à la mémoire homosexuelle, le fonds Michel Chomarat, la BML ouvre cette collection dédiée en 2005 et l’alimente grâce à des ouvrages contemporains, garantissant ainsi « représentativité et transmission6. » Ailleurs, nous pouvons évoquer également les « étagères roses » de l’Openbare Bibliotheek Amsterdam (OBA) ou encore les « étagères arc-en-ciel » de la bibliothèque d’Umeå en Suède. Partant du principe que « les publics LGBTQ étaient insuffisamment pris en compte au sein de la structure : tables de présentation au prisme hétérosexuel, collections dédiées absentes ou peu nombreuses, cultures LGBTQ rendues invisibles7 », ces établissements ont fait le choix de proposer des collections spécifiques mettant en avant la littérature et le cinéma traitant de l’homosexualité, la bisexualité et la transidentité.
Dans un second temps, l’inclusion des personnes LGBT+ peut se traduire par la participation à de grands événements locaux (proposer des projections dans le cadre d’un festival de cinéma LGBT), nationaux (mettre en place des tables thématiques lors de la Marche des fiertés) ou encore internationaux (organiser des conférences autour de la journée international de lutte contre l’homophobie le 17 mai ou celle de la visibilité Trans le 31 mars). Par ailleurs, des associations proposent des expositions gratuites que peuvent se procurer les bibliothèques et CDI, comme « Le cinéma contre l’homophobie » et « La littérature jeunesse contre les discriminations » (association Arc-en-ciel à Toulouse), ou encore le « Projet 17 mai » en bande dessinée concocté par SOS Homophobie. Les bibliothèques et CDI peuvent bien sûr également mettre en place leurs propres cycles d’animations autour des thématiques LGBT+, en accueillant des associations dédiées, en organisation des projections-débats ou encore en impliquant cette dimension dans les travaux des élèves ou en accueillant des groupes de parole comme cela se fait par exemple dans les lycées américains.

Représentation LGBT+ dans la production éditoriale pour adolescents

La littérature pour la jeunesse, et en particulier celle pour adolescents, propose à ses lecteurs un panel intéressant de personnages LGBT. En 2007, Renaud Lagabrielle8 dénombrait 30 romans d’auteurs français contenant un protagoniste homosexuel. Ce chiffre, qui excluait à ce moment-là les textes traduits, a semble-t-il fortement augmenté ces dix dernières années. Bien qu’au regard du nombre d’œuvres destinées à la jeunesse produit chaque année la proportion de celles s’intéressant à la thématique LBGT reste faible, il apparaît que le tabou disparaît peu à peu.
Il faut aussi noter l’évolution de la représentation de ces personnages : les personnages adultes ne sont plus uniquement des oncles et tantes célibataires endurci.e.s et/ou vecteurs de tous les clichés vestimentaires et comportementaux, et les adolescent.e.s ne sont plus seulement montré.e.s comme des victimes. L’enjeu actuel de la littérature pour la jeunesse qui s’empare des questions LGBT est de proposer à la fois des personnages communs, sans victimisation systématique, et des personnages dont l’histoire témoigne de l’homophobie et du fonctionnement hétéronormé de la société.
De fait, nous pouvons trouver dans la production actuelle des personnages ouvertement homosexuel.le.s, mais dont l’orientation sexuelle n’a pas d’incidence sur le récit, comme Sam dans Pixel noir de Jeanne-A. Debats ou Camille dans Proie idéale de Charlotte Bousquet. Ce type de personnages participe à un mouvement de banalisation de l’homosexualité en l’inscrivant sans dramaturgie excessive dans le paysage de tout lecteur et lectrice. De fait, les objectifs du roman contemporain pour adolescents abordant le sujet de l’homosexualité sont les mêmes que ceux de la littérature de jeunesse réaliste en général : l’aide à la construction d’une identité personnelle de l’adolescent lecteur et l’élargissement des horizons de chacun.
En dehors de ces personnages secondaires, la typologie des personnages homosexuels est double. D’une part l’adolescent.e, personnage central de l’histoire dont on suit la découverte de l’homosexualité ou la première relation sentimentale. D’autre part, des personnages adultes homosexuels qui peuvent être heureux en couple, comme Maryline, une amie de la mère de l’héroïne dans F comme garçon, d’Isabelle Rossignol, ou le père de Jack dans le roman éponyme de A. M. Homes qui vit avec un homme depuis son divorce, prouvant ainsi que les difficultés ne durent pas indéfiniment. De plus, en faisant accéder leurs personnages adultes à une vraie « normalité » et en les montrant épanouis et productifs pour la société, les auteurs s’attachent à déconstruire de nombreux préjugés. À l’inverse, le personnage de l’adulte homosexuel peut également être le moyen de traiter de l’épidémie du sida, révélant cette fois-ci des situations familiales et sociales plus complexes, comme par exemple dans Le Cerf-volant brisé de Paula Fox ou Tout contre Léo de Christophe Honoré.
Ce rapide panorama montre la diversité des situations proposées, et par conséquent celle des modèles potentiels auxquels s’identifier. Toutefois, il faut noter, comme le souligne Gilles Béhotéguy 9, qu’une plus grande proportion de titres s’intéresse à l’homosexualité masculine. Cet écart trouve son explication d’une part par l’invisibilisation systémique que connaît l’homosexualité féminine dans nos sociétés, et d’autre part par le tabou que représente l’homosexualité masculine et que la littérature de jeunesse cherche à déconstruire.
Enfin, soulignons que la question de la transidentité est encore très peu traitée dans la production éditoriale pour adolescents (cf. Thémalire de ce même numéro).

 

Pour de nombreuses raisons, liées à l’hétéro et la cis-normativité de notre société, les adolescents LGBT+ s’avèrent être un public particulièrement fragile. L’homophobie, la biphobie et la transphobie subies au quotidien entraînent de nombreuses conséquences négatives difficiles à ignorer. Des études démontrent que ces jeunes doivent faire face à des impacts graves sur leur santé mentale (notamment un taux de suicide beaucoup plus élevé que dans la population générale). Leur orientation sexuelle et/ou leur identité de genre les amène plus fréquemment à souffrir d’isolement, de rupture familiale, à voir leur estime de soi se détériorer et à faire face à des prises de risques accrues.
De manière concrète, ces jeunes LGBT rencontrent plusieurs niveaux de difficultés structurelles, entre réelle invisibilité de leur problématique et injonction à la normalisation. Cela se traduit par un manque de référentiels positifs auxquels s’identifier, mais également par un manque d’espaces dédiés aux questions liées à l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou aux LGBTphobies, où des informations spécifiques seraient facilement disponibles et ces spécificités prises en compte.
Cette notion de besoins particuliers intéresse particulièrement le monde des bibliothèques actuellement, lesquelles s’orientent depuis quelques années vers une offre documentaire et de services pensée en fonction des attentes des différents publics. En ce sens, il n’est pas inopportun d’imaginer ce que les bibliothèques, lieux d’information, de divertissement et d’accueil, peuvent apporter à ce public précis. Des ressources, bien sûr, mais aussi des espaces sûrs et accueillants pour tout.e.s. Cela implique pour les tutelles et les agents de bien connaître les besoins de ces publics, et les bibliothécaires de connaître les ressources vers lesquelles les diriger, que ce soient dans la bibliothèque, en ligne, ou hors les murs (auprès d’associations notamment, en proposant des affiches ou des brochures). Ceci nécessite une adaptation au niveau sémantique. En effet, il semble important que le personnel des bibliothèques soit formé à l’emploi d’un vocabulaire neutre et spécifique.
Enfin, les bibliothèques peuvent également être le lieu où la communauté LGBT+ est mise à l’honneur : les mettre en avant de différentes manières afin de les rendre plus facilement accessibles, mais aussi pour participer à améliorer leur visibilité, apparaît primordial.

Appel à contribution : Faites vos jeux

Espace de loisir, de divertissement, de libre disposition du temps, le jeu peut sembler incompatible avec l’exigence d’effort, de concentration et de rigueur qu’imposent les apprentissages scolaires. Pourtant, depuis quelques années, il regagne son droit de cité dans les établissements où la transversalité des disciplines, et des apprentissages, est de plus en plus sollicitée et valorisée. Nul besoin d’une veille professionnelle approfondie pour s’en rendre compte ! Serious games, club énigmes, ludothèque, escape games… exploitant toutes les facettes de son dé, le ludique s’installe officiellement au sein de nos CDI, qui pour autant ne se confondent pas avec le Foyer.
Intercdi a ainsi choisi de consacrer son prochain dossier thématique de rentrée à cette enthousiasmante question : le jeu au CDI ! Quelle place ? Quelle forme ? Quels jeux ? Quels objectifs ? C’est avec impatience que nous attendons vos contributions : Faites vos jeux, rien ne va plus !

 

 

 

 

Date limite d’envoi des propositions de contribution : 30 avril 2019.
Pour une préparation optimale du numéro, n’hésitez pas à contacter la rédaction au plus tôt : intercdi.articles@gmail.com

Veille numérique 2018 N°3

Éducation

Les origines de la vie

Le CNRS vient d’ajouter un nouveau site à sa collection Sagascience : les origines de la vie. Ce site divisé en cinq parties – Les origines de la vie ; Définir le vivant ; La terre, une exception ? ; Émergence(s) de la vie ; La saga continue – comprend de nombreuses illustrations, vidéos et liens externes. Des chercheurs issus de domaines très divers lui apportent sa caution scientifique.

Escape game « Connais-moi, Échappe-toi »

Le CLEMI et la DANE de l’académie de Besançon ont conçu un jeu d’évasion dans le but de sensibiliser les adolescents à la protection des données personnelles et aux traces numériques laissées sur les réseaux sociaux. Les joueurs sont enfermés dans une classe et doivent rechercher des indices pour accéder aux notes, carnets, et sacs personnels du ravisseur afin de s’échapper. Le jeu s’adresse à des élèves dès la 4e et n’est disponible que dans l’académie de Besançon.

Street art avec Arte

En accès sur la plateforme d’Arte, le nouveau jeu d’infiltration Vandals de Cosmographik invite le joueur
à rechercher des surfaces à recouvrir, à rencontrer des artistes et à découvrir des œuvres. Le jeucomprend 60 casse-tête, 5 villes, 40 fiches sur l’histoire du graffiti, 18 trophées à débloquer. Paris est accessible gratuitement, les autres villes du monde sont disponibles pour 4,49 €.

Ada Lovelace, pionnière de l’informatique

Un manuscrit daté de 1843, attribué à la célèbre mathématicienne ressurgit du passé, faisant d’Ada Lovelace la première programmeuse informatique. Ce texte, traduction et commentaire des travaux
du mathématicien italien Menabrea, contient une formule d’Ada Lovelace analysant et développant le calcul des nombres de Bernoulli, lequel constitue le premier programme informatique de l’Histoire mondiale.

FranceTerme

Un doute sur la terminologie à employer concernant le vocabulaire lié aux évolutions techniques et scientifiques ? Consultez la base FranceTerme. Cette base de données chapeautée par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France en association avec l’Académie française vous recommandera le terme le plus approprié. Ainsi, en 2018, la commission s’est penchée sur le sort du « learning center »…

Lecture numérique

EPUB4 pour bande dessinée

L’institut de recherche et développement au service du déploiement européen de technologies de publication (EDRLab) s’est doté d’un groupe de travail spécialisé dans la bande dessinée (BDCoMa). Celui-ci a annoncé plancher sur le format numérique EPUB4 pour les BD, comics et mangas. Il intégrera du Javascript (JSON), du HTML et des formats images, sons et vidéos.

Fiscalité du livre en Europe

Condamnée par l’Union européenne pour avoir réduit le taux de TVA appliqué aux livres numériques, en vertu d’une directive interdisant ces pratiques, la France est en passe d’obtenir gain de cause lors de la prochaine réunion d’Ecofin (Conseil Affaires économiques et financières) en octobre 2018. Des propositions intéressantes sont sur la table, notamment l’instauration d’une TVA minimale, voire inexistante sur les ventes de livres papier, audio ou numériques, comme cela se pratique déjà en Europe : Scandinavie, Angleterre.

Wikipédia et le français

L’encyclopédie collaborative en ligne a publié plus de deux millions d’articles disponibles en français depuis 2001. Chaque jour, environ 350 articles sont créés par des rédacteurs bénévoles appartenant à toutes les tranches d’âge de la francophonie. Première source d’information sur le net, Wikipédia couvre une multitude de sujets des plus sérieux aux plus farfelus.

BD vidéo sur Spotify

Ce service de streaming musical diffuse désormais des motion comics. Ce nouveau genre de bande dessinée avec animations est censé être plus adapté pour lire les BD sur smartphone. Actuellement, accessible sur l’application de Spotify dans certains pays.

Fiabilité de l’information

Facebook et les fake news

Le 11 juillet 2018, Facebook a lancé officiellement son projet de recherche sur la désinformation : Social Science One. Les chercheurs, pour la plupart américains mais, pour la première fois, non rémunérés directement par Facebook, disposeront d’une énorme masse de données, dont les liens sur lesquels cliquent les internautes ainsi que des informations personnelles (anonymisées) sur les utilisateurs afin d’étudier en profondeur leur comportement.

Fake photos

Des étudiants de l’Université de Berkeley tentent de mettre au point un plugin « SurfSafe » pour détecter les photos truquées ou retouchées sur Internet. Ce plugin compare les images consultées à celles de cent sites d’information réputés fiables, tels le New York Times, ainsi qu’à celles de sites de vérification de faits. Ce système présente bien évidemment des limites techniques et intellectuelles. Le nombre de sites de référence est trop faible. Par ailleurs, le plugin ne fonctionne que sur PC, avec Chrome, Firefox et Opéra. Une base de données communautaire viendra renforcer ce dispositif ainsi qu’une version pour mobile.

Droit et données personnelles

Le Parlement européen et la directive sur le droit d’auteur

Après un intense lobbying en provenance de la Silicon Valley, le Parlement européen a renoncé à deux mesures phares pour contrer les GAFAM : la rémunération des titres de presse que ces groupes utilisent sans acquitter de droits d’auteur, la mise en place d’accords avec les ayants droit ou à défaut le filtrage automatique de contenus publiés sans autorisation. Mais les choses ne sont pas si simples car les opposants à cette directive se comptaient aussi parmi les défenseurs de la liberté du Net. Quant aux auteurs, ils ont de leur côté mené une campagne en faveur de cette directive avec le soutien d’artistes comme Paul McCartney. En bref, la guerre n’est pas finie.

Plainte contre Google, alias big brother

Des journalistes de Reuters, appuyés par des chercheurs de l’université de Princeton ont prouvé que même si votre GPS et la géolocalisation sont désactivés sur votre smartphone, Google sait en permanence où vous êtes. Suite à cette révélation, un Californien attaque Google en justice pour non-respect de la vie privée des usagers.

Mission impossible

Le mode confidentiel de Gmail est opérationnel depuis l’été 2018 sur les mobiles sous Android ou IOS. Désormais, vous pouvez envoyer un message en limitant la durée de lecture de 24h à 5 ans. Il est également possible d’obliger le destinataire à entrer un code secret reçu par SMS avant de lire vos emails. De plus, toutes les options – copier, coller, transférer, télécharger, imprimer – sont désactivées. Attention, ce message s’autodétruira dans …

Base de données

Open data des musées français ?

Contrairement à de nombreux musées aux USA et en Europe, aucun catalogue des musées français n’est accessible gratuitement pour un usage non commercial. Les groupes de travail ministériel et de la RMN s’éternisent et ne rendent pas d’avis sur le sujet. L’Élysée et certains directeurs de musée ont la volonté de développer le libre accès via internet. En effet, les historiens de l’art choisissent majoritairement d’étudier les œuvres les plus facilement accessibles, ce qui a pour conséquence d’accentuer leur notoriété ainsi que celle des musées qui les mettent à disposition librement, au détriment des œuvres et des musées français. Le coût et le droit d’auteur empêcheraient d’avancer sur la question.

Banque de sons gratuits à la BBC

La British Broadcasting Corporation a mis en ligne une version bêta gratuite de très nombreux effets sonores pour un usage personnel, éducatif et de recherche. Les sons au format WAV sont écoutables en ligne et téléchargeables dans le respect du droit d’auteur. La requête dans l’interface de recherche s’effectue par catégorie thématique et/ou mot-clé.

Musique en streaming

Tencent Music tout puissant

Avec 70% des parts du marché chinois du streaming musical, la filiale musicale de Tencent, en position dominante, tente d’introduire le mode payant avec des offres d’abonnement peu onéreuses. Après le retrait sur son site de plus de 2,2 millions de contenus piratés et avec le contrôle des droits sur la plupart des titres occidentaux, Tencent mise sur les offres payantes, lesquelles sont en progression constante (17 millions d’abonnés sur plus de 700 millions d’utilisateurs). La société s’est aussi engagée sur le streaming musical version karaoké avec les applications WeSing, KuWo et KuGou très appréciées par la population asiatique.

No future…

Insta et « Finsta »

Finies les photos ultra-sophistiquées, finis les selfies, place désormais aux photos trash. Venu des États Unis, lancé par Kim K., ce phénomène très prisé par les adolescents consiste à se présenter « au naturel », voire dans des situations douteuses, sur un second compte Instagram réservé aux intimes et renommé pour l’occasion Finsta (Fake Instagram = faux compte). Merci Kim…

Micropuce sous la peau

Environ un tiers des employés d’une entreprise américaine, Three Square Market, spécialisée dans les distributeurs automatiques de boissons, ont accepté, à la suite de leur patron, d’implanter une micropuce dans leur main. Celle-ci fonctionne sans électricité et offre différentes options : payer à distance, déverrouiller un ordinateur, s’identifier, ouvrir une porte etc. Les risques liés à la santé (irradiation), à la sécurité et à la confidentialité sont énormes puisque les données contenues dans la puce pourraient être récupérées dans n’importe quel espace public.

Publicité vidéo sur les vitres de voiture

La société californienne Grabb-It transforme les vitres arrière des voitures en écrans publicitaires lorsqu’il n’y a pas de passager. Grâce à un projecteur, la fenêtre prend l’apparence d’un écran plat pour les personnes extérieures. De plus, la géolocalisation permet de cibler les publicités pour un meilleur impact, par exemple, à midi, dans un quartier d’affaires, le burger d’un restaurant. À n’en pas douter, les vitres numériques de demain ont un grand avenir…

Solidarité

Au quotidien

Mixité sociale, isolement, vie en collectivité… Dans quel endroit la solidarité quotidienne peut-elle mieux s’illustrer que dans un immeuble ? Combien de belles histoires naissent dans les cages d’escalier, les paliers, pendant les déménagements ou les petits événements de la vie ? Paul, jeune garçon de douze ans, en est une belle illustration dans le roman de Peter Hartling, Paul, l’enfant de l’immeuble. Sa mère vient de partir à New-York, pour réaliser ses rêves professionnels, et son père n’est guère à la maison, accaparé par son travail. Paul partage alors son quotidien avec Käthe, sa « mamy de cœur » qui vit juste à côté. Mais lorsque les parents de Paul décident de divorcer, tout se complique. Chamboulé, le jeune garçon pourra compter sur l’aide et le soutien de ses voisins, qui iront jusqu’à lui organiser une fête ! Une belle histoire de solidarité, d’amitié, d’amour, dans un immeuble de Francfort.
Une solidarité qu’Iris, jeune fille pétillante et pleine d’énergie du roman de Lucy Frank, Iris par-ci, Iris par-là, rencontre également dans son immeuble. Alors qu’elle poursuit un gros chat roux qu’elle a croisé dans les couloirs, Iris va emprunter l’escalier extérieur et découvrir ainsi, sous un autre angle, ses voisins. Un enfant handicapé qui s’ennuie, la classique mamy aux chats, ou encore l’effrayant pitbull… Au fil des pages, Iris donne vie à l’immeuble : elle rend des services, crée du lien social, et devient vite indispensable. Une belle leçon de solidarité au quotidien.
Solidarité qui semble être le maître-mot de La Fourmilière, de Jenny Valentine. Sam, jeune garçon de 17 ans, vient de quitter sa campagne pour s’installer dans un immeuble peu reluisant de Londres. Il est en fugue, et son nouveau propriétaire ne lui pose pas de questions. L’immeuble compte une galerie classique de personnages : l’inquiétant voisin, la mamy peu discrète et curieuse, la jeune fille livrée à elle-même… Au fil des rencontres, Sam pourra y voir plus clair et régler peu à peu ses problèmes. Les valeurs de l’amitié et de la solidarité y sont ici mises en relief, dans une histoire attachante pour nos lecteurs les plus âgés.

Envers les enfants

Littérature jeunesse oblige, de nombreux auteurs offrent de belles et touchantes histoires sur la solidarité entourant les enfants, lorsque ceux-ci vivent des situations difficiles. C’est le cas de Mei, dans le roman Tu peux pas rester là de Jean-Paul Nozière. La jeune fille vit avec sa mère Hua, dans une petite ville de province. Mais les gendarmes de la ville ont reçu l’ordre d’expulser les « sans-papiers », et la mère et la fille sont dans ce cas… Impossible pour les habitants de ne rien faire, et une chaîne de solidarité va rapidement se monter : amis, directrice de l’école, inconnus… tous se mobilisent. Un roman fort, qui ne peut laisser indifférent.
L’école, également au cœur du roman Vive la République, de Marie-Aude Murail, qui montre bien à quel point la solidarité s’y exerce de façon aussi naturelle que nécessaire. À 22 ans, Cécile affronte sa première rentrée des classes. Au fil des pages, les enfants se dévoilent. Toussaint et Démor arrivent de Côte d’Ivoire, Steven a bien du mal à suivre, Baptiste ne tient pas en place. Une salle de classe comme un microcosme, dans lequel l’entraide est de mise.

Entre amis

La solidarité n’est-elle pas l’un des piliers de l’amitié ? Bon, pas de discussion philosophique ici et maintenant, mais les romans racontant des histoires d’amis solidaires sont nombreux. On aimera le roman Mandela et Nelson, le match retour, d’Hermann Schulz, dans lequel une équipe de jeunes joueurs de foot de Tanzanie, après un premier match contre l’Allemagne, est invitée à jouer le match retour en Europe. Mais effectuer un tel déplacement n’est pas chose aisée ! Il faudra tout le courage et la conviction des jeunes de l’équipe pour créer un large élan de solidarité et permettre au match de se jouer.
L’amitié entre les enfants crée souvent une solidarité que rien ne semble pouvoir détruire. Dans la série de romans La Tribu, de Sandrine Beau, Anne-Gaëlle Balpe, Séverine Vidal et Jess Pauwels, un groupe d’enfants va mener des enquêtes comme on les aime ! Pour les voir aboutir, solidarité indispensable entre tous les membres du groupe ! Pour les plus jeunes, un agréable moment de lecture ; pour les plus âgés, un petit goût de madeleine de Proust et du club des Cinq !
Cette même solidarité habite la série La Bande à Grimme, d’Aurélien Loncke. Une bande de gosses livrés à eux-mêmes vivent comme ils peuvent dans les allées d’un parc. Orphelins, ils feront au fil de la lecture des rencontres qui vont changer leur vie. Mais ils seront toujours là les uns pour les autres. Un p’tit air de Dickens pour cette série très plaisante à lire

Dans le monde du travail

La solidarité s’exerce de façon forte et naturelle dans le monde du travail. Enfin, elle devrait… Dans le roman Made in Vietnam, de Carolin Phillips, Lan, jeune fille de 14 ans, travaille dans une usine de baskets pour subvenir aux besoins de sa famille. Les conditions de travail sont particulièrement difficiles, et il est plus que nécessaire de se serrer les coudes entre employés. Mais pour Lan, la situation est inacceptable, et la révolte couve. Pourtant, comment faire lorsque vous avez besoin d’argent et que chacun tient à sa place ? Comment lancer une action collective, au risque de perdre son gagne-pain ?
Crainte qui ressort également largement dans le roman La Vie comme Elva, de Jean-Paul Nozière, qui relate un important mouvement de grève dans l’usine La Francilienne, de la petite ville de Sponge. Après le licenciement de 80 employés, la révolte gronde, et c’est la grève générale. L’usine est occupée, les bivouacs s’installent, et une chaîne de solidarité s’installe. Les commerçants de la ville expriment leur colère, et peu à peu, des amitiés et des histoires d’amour se tissent sur fond de revendication sociale. Car la solidarité peut avoir des effets imprévus au départ !

Face au danger

Lorsque la situation l’exige, lorsque la survie est en jeu, alors la solidarité va de soi. Dans le roman Encore heureux qu’il ait fait beau, de Florence Thinard, tous les utilisateurs d’une bibliothèque se retrouvent coincés dans cette dernière… au milieu des flots ! Personne ne l’a vu venir, et il va bien falloir cohabiter et s’entraider. Ce qui n’est pas forcément simple, au vu des différentes personnalités qui se voient contraintes de vivre ensemble. Un roman original, dont le succès auprès des jeunes lecteurs ne se dément pas.
Dans Encore faut-il rester vivants, Anne Ferrier nous plonge dans un monde dévasté suite à une énorme éruption solaire. Et comme si ce n’était pas suffisant, une terrible épidémie décime les survivants. Et on en rajoute une louche : la contamination par le virus rend les malades particulièrement agressifs. Difficile de pouvoir vivre, et même survivre, dans des conditions pareilles. C’est au prix d’une nécessaire entente et solidarité que Julia, Shawn et Mouette vont se battre pour s’en sortir…
C’est seule au départ qu’Angel se trouve confrontée au plus grand des dangers dans le roman de Charlie Price, Desert Angel. Ayant suivi sa mère dans une vie errante, au fil de ses amants, la jeune fille finit par être le témoin de l’assassinat de sa mère. Elle sait que c’est Scotty, son dernier compagnon, qui l’a tuée. Et elle sait aussi qu’il va revenir pour supprimer toutes les traces… et les témoins. Commence alors une terrible course-poursuite sur fond de désert américain, entre quartiers pauvres et camps provisoires. Un environnement dur, mais dans lequel Angel va pouvoir compter sur la solidarité des personnes qui croisent son chemin, en particulier chez les Mexicains sans papiers. Un roman captivant, qui ne laisse aucun répit au lecteur.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale

En temps de guerre, le danger est partout, à chaque carrefour, dans chaque épisode de la vie. Adam et Thomas, les deux jeunes héros du roman éponyme d’Aharon Appelfeld, se retrouvent bien malgré eux au cœur des tourmentes de la Seconde Guerre mondiale, cachés dans la forêt par leur famille. Seuls au monde, ils survivent dans un arbre, et seront secourus par l’élan de solidarité d’une jeune fille, Mina, qui semble venir de nulle part mais à qui ils doivent certainement la vie. Un beau moment d’écriture, à lire à tout âge.
De très nombreux témoignages relatent la nécessaire solidarité installée dans les camps nazis. Tout d’abord, hommage à Simone Veil, avec son ouvrage Une jeunesse au temps de la Shoah. De son enfance à Nice jusqu’au retour des camps, le lecteur est saisi par le souci constant d’entraide et de solidarité qui émaille les pages de cet ouvrage. Une leçon de vie et d’Histoire, dont la lecture est indispensable.
On retiendra également tout particulièrement le texte choc de Francine Christophe, Une petite fille privilégiée. Par son témoignage, l’auteur retrace son histoire, sa vie au camp de Bergen-Belsen. Une vie dans des conditions impossibles, durant laquelle la solidarité allait de pair avec son propre instinct de survie. Francine Christophe évoque les actes solidaires de tous les jours, de tous les instants, dans un monde où le futur, même proche, semble ne plus exister. Dans le film Human, de Yann Arthus-Bertrand, elle raconte notamment cette histoire bouleversante : en tant que fille de prisonnier, elle avait droit à un traitement de faveur, et avait pu apporter au camp un petit sac. Ce dernier contenait deux carrés de chocolat, que sa mère lui réservait pour le moment où elles seraient au plus mal. Pourtant, la jeune Francine choisit finalement de donner ce chocolat à une jeune femme en détresse qui venait de donner naissance à un enfant. De nombreuses années plus tard, une femme se présenta à elle comme étant « le bébé »…

L’Informatisation de la société selon Simon Norac et Alain Minc

La première partie de cette recension consacrée à l’important rapport administratif écrit en 1978 par les deux hauts fonctionnaires, Inspecteurs des Finances, Simon Nora et Alain Minc, tentait d’expliquer ce grand succès de libraire, qui sera l’un des facteurs déclenchants de l’engouement persistant de l’élite administrative et intellectuelle de notre pays pour l’informatique connectée1 et la capacité de cette dernière à transformer les relations entre gouvernés et gouvernants, administrations et citoyens et au sein des hiérarchies administratives.
Les deux rédacteurs accordent une place toute particulière à la transformation des interactions établies au cœur même du système éducatif et de la formation continue.
Anticipant dès 1978 les capacités de la télématique (informatique connectée), nos deux auteurs estimaient que l’État devait prendre la conduite des mutations induites par les technologies de l’information, évitant de la sorte que les grands groupes privés de communication réalisent ces transformations à leur profit exclusif, laissant de côté l’intérêt public et la grande majorité des citoyens. À cette époque, lorsque l’on parle du système scolaire français, il faut bien comprendre qu’il apparaissait comme l’un des meilleurs et des plus performants. L’ascenseur social marchait à plein rendement grâce à une École plébiscitée par des parents éprouvant peu d’angoisse quant à l’avenir de leurs enfants. Le directeur de l’évaluation et de la prospective du ministère de l’Éducation nationale, pouvait s’exclamer sans être contredit « Nous sommes les meilleurs ! Nous avons des méthodes, des exigences et des enseignants que beaucoup d’autres pays nous envient. Les élèves ont en France, des connaissances en moyenne très supérieures à celles de nos voisins2. » Les grands débats autour de la sélection et de la pédagogie ne concernaient qu’un cercle intellectuel restreint composé de sociologues et de pédagogues qui s’est peu à peu agrandi à la suite des événements de mai 19683.
Dès lors, s’avançant sur un sujet sensible avec un corps enseignant sûr de ses valeurs et de ses méthodes, Simon Nora et Alain Minc vont effectuer un travail en forme de sondages et de propositions diverses reprenant le sujet éducatif à plusieurs reprises dans un ordre dispersé tout au long de l’ouvrage. Cependant, après regroupement nous pouvons discerner deux grands axes : le maintien du rôle essentiel des enseignants d’une part ; le bouleversement pédagogique d’autre part. Notons toutefois que ces deux parties sont très inégalement développées.

Le maintien ou non du rôle essentiel des enseignants

Le premier axe concerne le rôle confirmé des enseignants, je cite nos deux auteurs :
« Former un élève ne se limite pas à communiquer des informations techniques ; aucun robot, si bien programmé soit-il, ne saura prendre à sa charge le colloque singulier de l’enseignant et de l’enseigné. »
Ce court passage reste le seul qui, dans l’ensemble du texte, confirme la place prépondérante de l’enseignant. Ces trois lignes apparaissent comme un artifice chargé de rassurer un corps enseignant encore puissant, sûr de lui-même et de ses valeurs. D’autre part, deux mots importants, « transmission » et « intergénérationnel », n’apparaissent pas dans l’ouvrage, termes qui auraient dû étayer la phrase citée ci-dessus car qu’est-ce que l’enseignement si ce n’est la transmission intergénérationnelle des savoirs et des valeurs d’une société, ainsi que le soulignent les sociologues François de Singly et Claude Thélot4. Les limites conceptuelles et pragmatiques de la phrase rassurante quant au rôle des enseignants apparaissent d’autant plus clairement que les longs développements ultérieurs de la pensée des rédacteurs ne laissent aucun doute quant à la nature du deuxième axe qui mobilise toute l’attention de Simon Nora et Alain Minc.

Informatisation et bouleversement pédagogique

« Le développement de l’informatique de masse peut transformer la pédagogie, donc le statut des enseignants. » La métamorphose attendue des enseignements par l’apport des outils numériques connectés doit métamorphoser le rapport de l’élève aux savoirs. En d’autres termes, ce n’est plus l’enseignant qui transmet les connaissances aux jeunes, mais les écrans qui seront directement interrogés. De la sorte les cadres disciplinaires deviendront poreux et le poids des diplômes devrait être atténué. In fine, les fonctions de l’enseignant seraient recentrées sur la coordination, les tâches pédagogiques les plus répétitives et harassantes étant effectuées par les auxiliaires électroniques.
Nos auteurs savent qu’ils s’attaquent à forte partie, et estiment qu’il faudra du temps pour parvenir à une situation nouvelle. En fait, ils prédisent l’effondrement de l’univers sociologique établi après la Seconde Guerre mondiale par la mise en place d’une gigantesque machinerie administrative, le Ministère de l’Éducation nationale fort de plus d’un million de fonctionnaires. La France de la Résistance espérait ainsi pouvoir répondre à l’injonction du préambule de la Constitution de 1946, puis 1958 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir d’État5. » L’Éducation nationale fut la seconde administration européenne par le nombre après l’Armée rouge (russe depuis 1991). De nombreux instituteurs et professeurs issus de milieux modestes, voire populaires, avaient intégré le système scolaire grâce à une école républicaine qu’ils révéraient. Le débat intellectuel autour de la sélection et des méthodes ne semblait pas pouvoir toucher le système scolaire en profondeur, en dépit des critiques émises notamment par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron en 19646. Postérieurement, ces dernières devenues de plus en plus virulentes et entendues permettront à Pierre Bourdieu d’évoquer à plusieurs reprises les « petits blancs ou les pauvres blancs de la culture », en référence aux enseignants crispés sur des valeurs et des méthodes surannées7. Quarante ans plus tard, les affrontements entre les partisans de la méthode d’apprentissage de la lecture dite syllabique et ceux prônant les méthodes globale ou semi-globale8 persistent ! Plus proche du sujet, faut-il utiliser un logiciel pour apprendre l’orthographe, suivre une progression sur écran par l’intermédiaire d’un logiciel ? Pour le calcul, faire un choix entre logiciel ou apprentissage par cœur des tables de multiplication, d’addition, de soustraction ? En réponse, le nouveau ministre de l’Éducation nationale via les quatre circulaires ministérielles du 26 avril 2018 relance tant la méthode d’apprentissage de la lecture syllabique que le calcul mental s’appuyant sur la pédagogie du par cœur9.
Si la puissante vague de réformes, de restructurations et d’informatisation de l’enseignement survenue entre 1975 et 2009 semblait capable de submerger les plus fortes oppositions, comme l’avaient prévu dans un premier mouvement Alain Minc et Simon Nora, depuis la nomination de Luc Châtel en 2009 au ministère de l’Éducation nationale à celle de Jean-Michel Blanquer en 2017, les forces contraires en présence tendent à atteindre un équilibre instable finalement préjudiciable aux enseignants et aux élèves car l’ensemble des acteurs du système scolaire s’épuise dans des mouvements pendulaires incessants, les ministres effaçant les réformes de leurs prédécesseurs. Don de prémonition, les deux rédacteurs du rapport soulignaient que l’évolution vers l’informatisation connectée du système scolaire n’était pas évidente et qu’elle ne serait pas rapide.

Transformation radicale des rapports aux savoirs, à la connaissance et au pouvoir

Le chapitre consacré à la télématique et aux conflits culturels commence par un rappel historique complètement erroné. « Lorsque les Sumériens inscrivaient les premiers hiéroglyphes sur des tablettes de cire, ils vivaient sans probablement le percevoir, une mutation décisive de l’humanité ». Cette phrase comporte des méprises historiques de forme et un véritable fourvoiement sur le fond. Sur la forme, trois points retiennent notre attention :
• Les Sumériens ont inventé l’écriture cunéiforme. Ils écrivaient à l’aide de calames (roseaux taillés) sur des tablettes d’argile. À Uruk, les tablettes d’argiles portaient des listes de mots à apprendre par cœur, destinées aux élèves-scribes. Selon les historiens Samuel Kramer10 et Andrew George, « La Maison des tablettes » (E-DUB-BA) annexée au palais royal avait les caractéristiques d’une bibliothèque et d’une école11. (lointaines ancêtres des CDI ?)
• L’écriture hiéroglyphique, traduite par Jean-François Champollion, appartenait aux Égyptiens qui la transcrivaient sur des feuillets de papyrus.
• Enfin, les Romains utilisaient effectivement des tablettes de cire dans leurs écoles.
Sur le fond, l’erreur est plus grave. Oui, les Anciens avaient conscience de la révolution et des bouleversements introduits par l’écriture. Dans les diverses mythologies antiques les dieux et les héros offrent un don extraordinaire aux hommes : l’écriture. Chez les Égyptiens, c’est Thot, le dieu à tête d’Ibis, dieu du savoir qui apporte l’écriture. Chez les Grecs, c’est Cadmos, un prince phénicien, fils d’Agénor et frère d’Europe, fondateur de Thèbes qui apprend les signes de l’alphabet aux Hellènes. Les Égyptiens reconnaissaient la puissance inouïe de l’écriture. Seuls les scribes pouvaient, avec les pharaons, aspirer à l’immortalité.

Pour conclure cette malencontreuse introduction, les deux hauts fonctionnaires insèrent une analogie entre les bouleversements produits par l’invention de l’écriture et ceux prévisibles qu’apporteraient les technologies informatiques. « Les concepts l’emporteront sur les faits, les itérations sur les récitations. Assumer cette transformation serait une révolution copernicienne sur la pédagogie. La priorité donnée à l’acquisition d’un microsavoir universel est aujourd’hui liée à une conception de la culture dont l’école assure la pérennité. Celle-ci est inséparable des traits sociologiques du monde scolaire et universitaire, de la méritocratie particulière sur laquelle il se fonde, de l’idéologie dont les enseignants sont imprégnés ». Les auteurs précisent que le savoir ne sera plus constitué par l’accumulation de connaissances classifiées, hiérarchisées mais par la capacité de rechercher une information précise. Dès lors, l’enseignement subirait une « révolution copernicienne. » La culture cumulative des enseignants fondée sur le mérite devrait céder la place à une culture édifiée sur des concepts.
Le terme de révolution copernicienne est fort, Copernic ayant révolutionné l’astronomie prouvant que la Terre tournait autour du Soleil et non l’inverse. La Terre devenait une planète parmi d’autres, le Soleil la remplaçait au centre de l’univers. Dès lors, l’ordre divin était perturbé, puisque l’homme n’était plus au cœur de l’univers créé par Dieu12. C’est ainsi qu’à l’aube de la Renaissance, la structure entière de la société était remise en cause, la hiérarchie de l’Église catholique affaiblie, le pouvoir monarchique du Roi représentant de Dieu sur Terre ébranlé. Quarante ans après ce rapport, le constat s’avère en partie justifié quant à la perte d’autorité des enseignants. Cependant, une meilleure appropriation de la culture et des concepts par les élèves reste à prouver. L’amoindrissement de la puissance paternelle, comme de la domination professorale, tient plus à des caractères sociologiques comme l’impact de mai 196813 et à la culture « jeune » véhiculée, selon Dominique Pasquier, par les médias qu’à l’outil informatique proprement dit14. Nonobstant, Jean-Pierre Le Goff soutient que le poids des discours ministériels s’appuyant sur l’apport de sociologues comme Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron ainsi que sur la pédagogie rénovatrice prônée par Antoine de La Garanderie et Philippe Meirieu ne doit pas être négligé dans le dépérissement de l’autorité des enseignants15.
Comme l’avaient prévu nos deux hauts fonctionnaires, si la circulation du sommet vers la base se maintient, l’inverse apparaît également, tant par l’envoi de nombreuses pétitions vers le sommet que par la multiplication de groupes autonomes sur Internet renforçant une communication horizontale et les concepts du partage de la culture et de cotutelle en matière de pédagogie. Dès lors, ces échanges permanents via les réseaux sociaux, « les groupes autonomes » pour nos auteurs, permettent l’établissement d’une « agora informationnelle. »

En réalité, l’optimisme pondéré de Simon Nora et Alain Minc se fondait essentiellement sur l’hypothèse d’un développement régulé des réseaux informatiques. Néanmoins, ils avaient soulevé une autre hypothèse, celle de la dérégulation et de la prise du pouvoir numérique par les grands groupes privés qui transmettraient des « pseudo-informations », sans véritables perspectives de cohérence sociétale. La régulation entrevue par Simon Nora et Alain Minc se fondait essentiellement sur un développement contrôlé par l’État à l’échelle de la nation des réseaux informatiques. La loi du 6 janvier 1978 relative à l’Informatique, aux Fichiers et aux Libertés puis la Convention Européenne pour la Protection des Personnes à l’Égard du Traitement Automatisé à Caractère Personnel, signée à Strasbourg le 28 janvier 1981, correspondaient à l’application concrète de la vision régulatrice de l’expansion numérique à l’échelle de la nation, puis au niveau européen16. Toutefois, la puissance des GAFA, (Google, Amazon, Facebook, Apple) groupe de grandes entreprises américaines dominant le Net et, même les États, annihile les volontés de régulation17. Au milieu de ces violents affrontements idéologiques et économiques que devient l’accès gratuit à la culture pour tous ? Est-ce que, comme le prédisaient les deux rapporteurs, en cas de développement non régulé de l’informatique, les différences sociales ne seraient plus liées au savoir et à la connaissance mais à l’art de retrouver, de sérier et de hiérarchiser les informations reçues par l’intermédiaire des réseaux connectés ? Certes, le modèle culturel reposant sur la mémoire est en apparence affaibli, certainement comme le prédisaient Simon Nora et Alain Minc, en raison de la généralisation des objets connectés. Toutefois les jeunes sont victimes de la dépendance induite par ces mêmes objets passant plusieurs heures quotidiennes à les consulter18. La toute-puissance du numérique connecté se heurte à la persistance de phénomènes sociaux comme celui de la maîtrise de l’orthographe et de la langue fondée sur la mémoire individuelle qui reste encore et toujours un élément déterminant dans la sélection professionnelle et sociale19.
L’utopie techniciste, qui éclaire ce rapport, n’a pas permis aux auteurs d’anticiper le développement sombre du numérique frappant tout particulièrement la jeunesse en ce début du XXIe siècle : diffusions de fausses nouvelles, cyberharcèlement, cyberviolence, cyberpornographie et cyberdépendance20 et 21…
Il faut conclure en laissant de nouveau la parole aux deux auteurs : « Pour que la société d’information reste possible, il faut savoir, mais aussi pouvoir compter sur le temps. La pédagogie réciproque des disciplines et des aspirations s’exerce lentement : elle s’opère, au fil des générations, par la transformation des matrices culturelle : familles, universités, médias… L’urgence et l’ampleur des contraintes que va subir la société française lui laisseront-elles les délais qu’exige cet apprentissage vital ? »
La question fondamentale qui conclut ce rapport reste celle de l’adéquation entre le temps, la pédagogie et les nouvelles formes de transmission des connaissances, du savoir et de la culture via les outils numériques. Loin de la vision d’une société apaisée par le partage serein des connaissances, la réalité d’une informatisation connectée non maîtrisée parce que trop rapide, trop massive, par rapport aux capacités d’intégration et d’absorption des individus, instaure une société encore plus inégalitaire22 excluant tous ceux qui sont incapables de suivre ou de maîtriser l’accélération du mouvement impulsé par les technologies de l’information et de la communication23.

L’important, c’est de participer !

Consultation, citoyenneté, démocratie, financement, habitat, art, culture, chantier… ces dernières années, le « participatif » se conjugue à tous les modes ! Conséquence plus ou moins directe de la révolution numérique qui bouleverse notre capacité d’information en nous y offrant un accès illimité, cette dynamique participative est le témoin d’une volonté diffuse mais manifeste de renversement des processus de décision concernant l’intérêt général, pensé comme une construction collective, par la réappropriation des outils du vivre-ensemble. L’ambition de participer n’est pas une utopie dans le monde de la belle idée : elle s’applique dans des fonctionnements très concrets, qui peuvent, comme les expériences le montrent, s’installer à toutes les échelles, y compris celle de l’école !
Comme nous le rappelle la philosophe Joëlle Zask dans son article, « Apprendre à participer, participer pour apprendre » (p. 51), John Dewey avait déjà souligné l’importance cruciale de l’expérience, de la participation dans les apprentissages en ce qu’ils mobilisent la conscience et placent l’apprenant dans une posture active. Et, si « une approche sociale des intelligences collectives et participatives est devenue prioritaire chez les acteurs de l’école, des apprentissages » comme le soulignent Anne Cordier et Vincent Liquète (p. 12), le lien ténu entre participation et information semble naturellement faire du professeur documentaliste la pierre angulaire de cette articulation au sein des établissements.
Relisons la circulaire de missions à cette lumière, qui replace le professeur documentaliste au cœur de « l’équipe pédagogique » dont il partage les « missions communes » et anime les « co-enseignements ». Ses missions spécifiques en font par ailleurs un « acteur de l’ouverture de l’établissement sur son environnement éducatif, culturel et professionnel (…) en lien avec les dispositifs pédagogiques et éducatifs mis en place dans l’établissement, dans et hors du CDI ». Le professeur documentaliste se trouve ainsi posé en véritable maître d’œuvre d’une « pédagogie favorisant l’autonomie, l’initiative et le travail collaboratif des élèves, autant que la personnalisation des apprentissages, l’interdisciplinarité et l’usage des technologies de l’information et de la communication » dont le but est de « rendre l’élève acteur de ses apprentissages ».
Les nombreuses réponses que nous avons reçues suite à notre appel à contributions prouvent bien à quel point vous êtes, nous sommes engagés dans ces dynamiques. À la fois en tant qu’acteur à l’initiative de projets plus riches les uns que les autres – CDI-
remix (p. 21), juniors associations (p. 24), élève médiateur (p. 41) – mais aussi dans une réflexion plus globale sur le rôle d’enseignant qu’elles tendent à redéfinir, et qu’il ne s’agit pas pour autant de bazarder aux sirènes de la démagogie ! (p. 29 et 46)
C’est toute cette complexité que ce dossier explore afin de partager avec vous les idées, les enthousiasmes, les réussites, mais aussi les doutes et les limites qui bordent la mise en œuvre de ces pratiques participatives favorisant l’horizontalité des interactions. Nous remercions vivement l’ensemble des contributeurs qui nous ont généreusement livré le fruit de leur travail, y compris des outils clés en main comme la fiche Intercdi « mettre en place une give-box » ou le Sketchnote « développer les pratiques participatives des élèves » pour vous les proposer.
Bien entendu, nous comptons sur votre participation à un prochain numéro de votre revue. Bonne lecture !

Légendes urbaines de la documentation

La légende, c’est cette histoire qui se doit d’être transmise au fil des générations car elle est porteuse d’enseignements. Étymologiquement, legenda désigne ce qui doit être lu, ce qui en fait un document à part entière, au sens « de leçon de vie » si on reprend l’étymologie du mot documentum proposée par le Gaffiot. Ce sont des histoires que l’on se raconte sans trop savoir si elles se sont réellement produites, mais qui paraissent d’autant plus crédibles qu’il nous semble que c’est quelqu’un de proche qui nous l’a racontée…
De telles histoires existent dans nos domaines. Il y a par exemple l’histoire de cette jeune fille, poignardée dans une bibliothèque sans que personne ne s’en aperçoive, le meurtrier ayant pu ressortir totalement incognito sans être inquiété. Le corps de l’étudiante n’est découvert que quelques minutes plus tard, mais il est hélas trop tard… L’histoire a longtemps circulé aux États-Unis sur les campus, notamment lorsqu’une étudiante s’aventurait à chercher un document dans des rayonnages isolés. Une légende urbaine qui s’inspire d’un fait bien réel : Betsy Aardsma1, une étudiante, a ainsi été assassinée en 1969 dans la bibliothèque de l’université de Pennsylvanie, et près de 50 ans après, ce meurtre n’est pas toujours pas résolu. La légende urbaine peut ainsi s’appuyer sur une réalité, même si ce n’est évidemment pas forcément le cas… car finalement, le but de la légende n’est pas la véracité, mais le message à faire passer.
Ces histoires pimentent toujours de manière opportune les réunions ennuyeuses. Ainsi, pour affronter une nouvelle année, il semblait utile d’esquisser quelques légendes urbaines de la documentation !

La création du CAPES de documentation serait la conséquence d’un pari perdu par Michel Rocard avec Lionel Jospin

Lionel Jospin aurait parié avec Michel Rocard l’intérêt de créer le CAPES de documentation. Rocard était hésitant d’un point de vue financier et pas totalement convaincu au niveau pédagogique. Jospin aurait donc parié avec Rocard de manière quelque peu insensée pour parvenir à le convaincre. L’influence de Françoise Chapron a été décisive dans cette histoire bien entendu auprès de Lionel Jospin, mais il fallait convaincre ensuite le Premier ministre. Début 1989, à cette demande, Michel Rocard répond tout d’abord que les Français sont plus prêts d’accepter que le groupe Début de soirée soit à nouveau premier du Top 50 avec son nouveau single « La vie, la nuit » que de comprendre l’intérêt d’un nouveau CAPES ! Jospin voit là l’occasion de voir son projet aboutir, et parie que « La vie, la nuit » ne sera jamais en tête du Top 50. Rocard continuant de soutenir l’inverse, Jospin met en jeu… la création du CAPES de documentation. La suite, vous la connaissez : Début de soirée se classera avec ce titre à la seconde place du Top 50, et le CAPES sera donc créé quelques mois plus tard. C’est David Hallyday avec son titre « High » qui demeure en tête. De là à en faire un hymne pour la profession habituée à connaître des hauts et des bas…

Un groupe œuvre pour la disparition du CAPES de documentation (en cachette. Enfin pas tant que ça)

Un groupe veut la mort du CAPES de doc. Surnommés les « débuts de soirée », rapport à la légende précédente, ils apparaissent toujours en costume, avec ou sans cravate, et souhaitent faire carrière au sein de la vie (la nuit ?) scolaire. On a soupçonné plusieurs inspecteurs d’en faire partie, mais sans en avoir la moindre preuve tangible. Depuis, le groupe cherche à remixer tout un tas d’idées reprises ici ou là et notamment dans les pays anglo-saxons pour tenter d’en faire quelque chose de moderne et d’innovant en France. Bien que le groupe semble digne de figurer dans bideetmusique.com, ils auraient conservé une certaine légitimité d’action au ministère.

Le Mundaneum de Paul Otlet existerait bel et bien, mais dans une autre dimension de l’espace-temps

Tout cela se serait produit grâce à une rencontre avec Albert Einstein chez le chercheur et philanthrope Patrick Geddes2 à Montpellier. Dans notre univers, la rencontre n’a jamais eu lieu, car les Einstein ont annulé leur visite ; par contre, dans l’univers de la documentation, cette rencontre se produit et permet la constitution du plus grand réseau de savoir de l’Histoire avec une nouvelle forme organisationnelle qui permet l’émergence d’un état supranational. Outre une plus grande accessibilité intellectuelle et matérielle à tous les savoirs du monde, les grands industriels paient des impôts au niveau supranational. Il est possible parfois d’apercevoir cet autre univers, en fermant les yeux après une lecture studieuse de quelques passages du Traité de Documentation.

Lire du Danielle Steel en regardant les émissions de téléréalité serait plus efficace qu’une lobotomie.

La rumeur circule dans les milieux professionnels depuis des années sans que personne n’ait pu confirmer si une véritable étude scientifique avait pu être réalisée à ce sujet. D’autres affirment qu’il n’y aurait absolument aucun besoin de cumuler l’un et l’autre pour obtenir le même résultat…

Le grimoire de Duplessis

Pascal Duplessis aurait écrit un grimoire sur la didactique de l’information qui ne pourrait être lu que par des initiés capables de maîtriser les principes du triangle didactique. Les services secrets de l’Inspection générale auraient tenté de s’en emparer à plusieurs reprises, mais ils se sont montrés incapables de saisir le système de classification de Duplessis vu qu’ils ne se servent que de Google. D’autres versions prétendent qu’ils auraient fini par partir tous guillerets après avoir bu la potion magique de Duplessis : un apéro dont lui seul a le secret.

La prof doc enfermée dans son CDI tout un week-end

Une professeure documentaliste aurait passé tout un week-end dans son CDI enfermée par mégarde, trop concentrée sur son projet de refaire sa classification. Ne pouvant sortir de son établissement, elle a préféré mener à bien son projet durant tout le week-end. Cette histoire semble néanmoins reposer sur quelques témoignages qui en attestent l’authenticité. On parle parfois de nuit plutôt que de week-end. Parfois, la légende s’accompagne du fait que lors de l’entreprise classificatoire, la professeur documentaliste aurait reçu la visite de Paul Otlet (dans la version CDU de l’histoire) ou de Melvil Dewey (dans la version CDD). Les plus dubitatifs prétendent qu’il n’y a pas que Pascal Duplessis qui sait faire des apéros…

La professeur documentaliste qui fait toujours chut ne sait en fait pas prononcer un autre mot

Elle ne s’exprime qu’en langage des signes bibliothéconomiques (une version très rare, que la plupart des sourds et malentendants ne peuvent même pas comprendre) et continue à exercer au sein de nos établissements. Elle aurait été aperçue récemment dans un collège de campagne très isolée après une mutation thérapeutique. Dans certaines légendes, elle porte le nom de sorcière du CDI du fait de ses doigts crochus et de son regard qui fige d’effroi quiconque tente de la regarder, ou pire de lui adresser la parole. Je n’en ai jamais rencontré, mais certains témoignages semblent conforter sa possible existence. Certains esprits rationnels tentent de nous expliquer qu’il s’agit en quelque sorte d’une métaphore du pire. Mais Chut ? ! tout cela ne pourrait être que des racontars.

La terrible légende du ou de la professeur documentaliste qui aurait catalogué tous les documents de sa maison avec BCDI

Il ou elle se serait finalement abonné à toutes les mises à jour de Canopé avec installation e-sidoc et tutti quanti, au point que cela commençait à lui revenir cher. Son conjoint aurait d’ailleurs demandé le divorce après une ultime tentative pour lui faire installer PMB… Cette légende fait froid dans le dos, mais on aime bien se la raconter entre collègues.

Un-e des auteurs à succès de la littérature érotique serait documentaliste

On n’en sait guère plus, mais il est évident que désormais, on cherche à savoir qui pourrait être cette libre plume qui a bien plus du succès avec ses récits qu’avec ses activités professionnelles. Nulle question apparemment de 50 nuances de Grey, mais de récits d’aventures où héros et héroïnes partagent bien plus que leur goût pour la littérature. On se doute qu’aucune de ses œuvres ne figure dans les rayons de son CDI. Pourtant, ne serait-ce pas une occasion de relancer les emprunts ?

Suzanne Briet aurait écrit un nouvel ouvrage sur la documentation qui n’aurait jamais été publié

La rumeur prétend qu’il aurait été écrit en anglais avec l’intention de l’éditer sous un pseudonyme masculin. On s’attend à le voir resurgir un jour ou l’autre au gré d’une découverte inattendue. Il y aurait notamment pas mal de passages sur la documentation secrète contre laquelle Briet s’est déjà exprimée, considérant qu’elle constituait une injure faite à la documentation. Du coup, on se demande pourquoi Briet aurait choisi de dissimuler elle aussi une œuvre ? À moins qu’elle ne soit maudite ? Dan Brown serait déjà sur le coup pour raconter l’histoire.

L’association des psychanalystes aurait révélé que les professeurs documentalistes sont d’excellents clients dans un rapport paru par erreur sur une liste de diffusion

Impossible de retrouver la trace de ce message, mais il témoignerait d’un fort développement de schizophrénie parmi la profession du fait de la nécessité de pouvoir exécuter plusieurs tâches différentes, en même temps ou à la suite, sur des périodes entrecoupées par des interruptions. Le cerveau finirait au bout d’un certain temps par générer plusieurs personnalités pour pouvoir répondre aux difficultés du quotidien.

Le CDI qui rend fou

Il existerait un CDI qui finirait inéluctablement par rendre fou tous ses pensionnaires au fil du temps. De nombreux professeurs documentalistes se seraient ainsi succédé et, inlassablement, tous auraient fini par avoir des comportements étranges, voire carrément suicidaires. Et ce sans compter les menaces qu’ils finissent par faire peser sur les élèves ou les collègues. La rumeur voudrait que le CDI soit adossé à l’ancien mur d’une vieille bâtisse contenant des champignons de type hallucinogène. Depuis l’émission de cette hypothèse, le CDI aurait été déplacé et la pièce attenante au vieux mur aurait vu son isolation refaite pour devenir un entrepôt dans lequel on évite de demeurer trop longtemps.

Les professeurs documentalistes, potentiels serial killers ?

Une étude aurait démontré que les qualités et compétences des professeurs documentalistes les rapprochaient de celles d’un serial killer. Ont été notamment mis en avant le fait de pouvoir réaliser plusieurs choses en même temps, la capacité à reprendre facilement le fil d’une ancienne problématique, la volonté de collecter les éléments de façon structurée, le désir de donner sens à tout ce qui paraît éparpillé et celle de marquer les esprits. Les rumeurs prétendent également que le groupe des « débuts de soirée » aurait inventé cette histoire auprès du ministère de l’Intérieur pour servir leurs intérêts. Cependant, la rumeur serait telle que beaucoup d’inspecteurs craignent d’aller rendre visite aux professeurs documentalistes. Le fait qu’ils soient moins inspectés que les autres collègues de discipline tendrait à conforter que cette légende est pour le moins prise au sérieux par l’administration.

 

Beaucoup d’autres légendes circulent, et il est difficile de toutes les conter. Il existe bien sûr celle du collègue qui a tellement fait de choses répréhensibles qu’il n’exerce plus sur le terrain et qu’il a pu ainsi monter dans la hiérarchie au ministère. Mais ce cas n’est pas propre à la documentation. De toute manière, le CDI demeure un lieu de légende urbi (toutes les histoires et les rumeurs des établissements finissent toujours par y circuler) et orbi (celles du monde entier y sont accessibles).
Tout cela pour vous dire, chers professeurs documentalistes, que vous avez tout pour être légendaires !

Les enjeux des pratiques participatives en information documentation

Éléments définitoires des pratiques collaboratives et participatives

Bien que par définition les activités documentaires soient fortement instrumentées, il n’en demeure pas moins que ces vingt dernières années, progressivement depuis le paradigme de l’Approche orientée usagers (Le Coadic, 1997), une place de plus en plus conséquente est accordée aux usagers, en tant qu’individus sachant progressivement s’organiser et diffuser entre eux un ensemble d’informations et de données au bénéfice d’un grand nombre en lien avec des communautés. Une part de cette organisation collective du travail se fait sans forme de prescription si ce n’est la seule volonté des acteurs de participer à un projet commun au nom d’un collectif d’appartenance, contournant régulièrement les règles et normes fixées par les instances de la formation. Par intelligences collectives et/ou collaboratives, nous entendons des modes d’organisation, de gouvernance et de considération des autres permettant à un individu, usager ou professionnel, d’organiser son activité dans un collectif d’acteurs, accepté par tous, où chacun contribue à la fourniture d’informations à tous. Nombre de travaux révèlent la richesse de l’intelligence des individus, intelligences multiples qui sont pourtant malmenées par les modes managériaux, économiques, et les formes d’exclusion sociale par le chômage. D’où la nécessité absolue d’une coordination « en temps réel » des intelligences. Ne pas reconnaître l’intelligence des autres, c’est finalement exercer sur eux humiliation, ressentiment, et partant une forme de violence.
Or l’intelligence collective ne s’instaure qu’avec une culture forte, des technologies cognitives performantes, des langues et des idées en circulation sociale. En soi, elle ne peut se décréter. Un des postulats documentaires serait qu’avec l’essor des techniques et des méthodes collectives de travail et de partage, nous augmenterions la granularité et la finesse des analyses et du traitement de l’information, luttant dès lors contre les phénomènes antérieurs de massification des connaissances et de l’information, comme l’énonce Pierre Lévy dès la fin des années 1990. Cependant, la question fondamentale de la construction de connaissance est de savoir qui a autorité et possibilité de fixer de nouvelles règles du jeu participatif social incitant à produire collectivement pour un bien commun, sans gaspiller compétence ou toute qualité humaine reconnue. Avec l’idée de fond que le groupe nourrit les apprentissages du sujet et qu’un individu ne peut apprendre seul.
Pionnière de la recherche et de l’enseignement des technologies éducatives, Geneviève Jacquinot alerte d’ailleurs sur la prétendue capacité d’autodidaxie des individus (Jacquinot, 1993). En matière d’apprentissages informationnels, il ne suffit pas d’avoir accès à des ressources mutualisées, ou d’avoir des compétences technologiques pour accéder aisément à l’information et en faire connaissance. S’auto-former, s’engager dans un processus informationnel intentionnel et participer à un processus partagé supposent de détenir une compétence sociale particulièrement discriminante qui englobe la capacité à se comporter de manière constructive dans un groupe, à coopérer et à communiquer, mais aussi à assumer des responsabilités. Cette capacité à participer à des collectifs s’apprend comme maintes autres compétences à caractère scolaire, professionnel, etc.

Le rapport à l’information : quelques intentions clefs

Accompagner puis former à la culture participative de l’information revient a minima à considérer quatre volets de la dimension informationnelle : tendre vers un renforcement de l’autonomie du sujet, organiser et s’intégrer à la dimension collective du travail, construire une citoyenneté informationnelle avec des valeurs humanistes clefs, et enfin analyser son agir informationnel. Pierre Lévy prend soin d’indiquer toute la difficulté à engager un collectif humain dans une aventure où chaque individu prendra plaisir « à imaginer, à explorer, à construire ensemble des milieux sensibles ». Le rapport de l’individu à une sorte de confiance dans un collectif humain, n’est pas aisé et immédiat. À l’heure où tout le monde manque de temps, paradoxalement Pierre Lévy indique que l’engagement dans un processus collectif nécessitera forcément du temps, le « temps d’impliquer les personnes, de tisser des liens, de faire apparaître les objets, les paysages communs… et d’y revenir » (Lévy, 1997).
De fait, Jérôme Dinet (2012), par exemple, avoue dans son travail réflexif que malgré un affichage voire des discours sur le collaboratif, nombre d’activités de recherche d’information présentent souvent une faible interaction collaborative entre les membres ainsi que des processus d’apprentissage pauvres entre les individus observés. En matière d’usages d’information se pose ainsi la question de l’utilité avérée d’un travail collaboratif au-delà des discours, des idéaux voire des utopies affichées. Les individus impliqués dans le travail collaboratif peuvent avoir le sentiment de consommer un temps inutilement passé à la gestion et la régulation du travail au sein du groupe d’appartenance, et d’engager un coût cognitif lourd pour des résultats de recherche, de sélection et d’appropriation de l’information relativement faibles.
De son côté, Nabil Ben Abdallah (2012) considère l’émergence de pratiques collaboratives, et mesure l’intérêt de considérer la recherche collaborative d’information ; il s’agit alors pour un groupe de personnes de considérer leurs activités pour « rechercher, récupérer, et utiliser des informations », le sens du partage et de l’organisation de l’activité. Cette recherche d’information oblige « à l’exigence d’un certain niveau d’entente et de compréhension partagée » (Hertzum, 2008). La collaboration et l’intelligence collective ne s’imposent pas, ne se décrètent pas. Elles nécessitent un accompagnement et des modalités de mise en œuvre anticipés, notamment par l’enseignant dans notre cas. Sans sentiment d’un intérêt commun (notion de « common ground »), la collaboration a peu de chance de réussir, rappelle Nabil Ben Abdallah. Ainsi, à l’heure où de nombreux dispositifs sont mis à disposition des enseignants et de leurs élèves/étudiants, certes la technique peut faciliter la vitesse, la quantité de traitement, la lisibilité et le design des ressources, mais elle ne remplacera pas la volonté individuelle et la conviction de chaque apprenant à s’inscrire dans un projet participatif et émancipateur.

Et le professeur documentaliste dans tout ça ?

Les articles publiés par des auteurs praticiens ou penseurs depuis l’essor du Web 2.0 font majoritairement la part belle à l’image d’un professionnel de la documentation qui apparaît comme un initiateur voire un promoteur actif de l’intelligence collective, dans l’organisation mais aussi plus largement dans la société. Il n’en reste pas moins que le professeur documentaliste reste encore fortement tributaire de l’organisation du temps et des espaces scolaires ainsi que du soutien des autres disciplines pour tout apprentissage en lien avec le travail participatif. Les questions socialement et scientifiquement vives, les projets (ÉMI, éducation à…), les controverses, sont autant de leviers à une culture participative ambitieuse. Comme suggéré par François Bourdoncle (2010), avec un Internet devenu tel un vaste « nuage » hétérogène dans lequel nous sommes tous immergés, plus ou moins aveuglement, le professeur documentaliste peut avoir vocation à coordonner un retour à l’organisation sociale et à la régulation des activités pédagogiques par les approches collaboratives et participatives.
L’observation de séances pédagogiques in situ ou telles que présentées en ligne par des professeurs documentalistes ne manque pas d’interroger le regard que l’on porte sur les outils collaboratifs et plus largement les injonctions à la participation et à la collaboration. En effet, il serait vain de penser que mettre les élèves en situation dite de collaboration ferait d’eux des usagers de l’information dotés de compétences sociales et informationnelles immanentes. Plus encore, l’injonction à participer à l’ère numérique n’est pas innocente : le « capitalisme informationnel » (Proulx et al., 2014) regorge de ces comportements consistant à fournir des données, captées et monétisées, comportements que les professeurs documentalistes ont précisément à cœur bien souvent de déconstruire. Dès lors, le choix des outils utilisés pour mobiliser les élèves autour de projets participatifs ou collaboratifs est loin d’être anodin, et il est fondamental que les enseignants documentalistes, porteurs d’une culture informationnelle référée à des concepts en information-communication (Couzinet, 2008), y soient tout à fait vigilants. Citons pour exemple le recours de plus en plus banalisé en contexte scolaire à des plateformes relevant des industries marchandes du web, sans que pour autant une déconstruction et une analyse critique en soient effectuées. La contradiction est alors de mise entre des idéaux d’émancipation sociale et intellectuelle, traversant les discours des enseignants documentalistes, et la participation à un marché de l’information et un modèle de société opposés (Cordier, 2018).

 

En conclusion, vouloir une école au service du collectif, même si l’enthousiasme social est là, nécessite forcément des coûts d’organisation et économique de structuration, où organisation, temporalité, nouveaux espaces doivent être interrogés et réajustés. L’utopie serait de penser que des modalités spontanées d’organisation collective d’une intelligence informationnelle, sans aucune forme d’organisation et de régulation sociale, pourraient voir le jour en se greffant naturellement aux pratiques d’information factuelles. Par conséquent, il ne s’agit plus pour les professionnels de communiquer de façon descendante aux usagers potentiels ou de décréter un passage au participatif, mais bien de considérer ces derniers au cœur du processus de communication vu comme un processus d’interactions horizontales. La culture informationnelle de la participation interroge profondément le pouvoir d’agir des individus, et la conscience de faire potentiellement partie d’un collectif, en se sentant capable d’agir par et sur ce collectif, et par conséquent sur le monde lui-même, par la production, le croisement, la confrontation de contenus d’information. Ainsi, revendiquer la culture de la participation revient à défendre un projet collectif militant mettant au cœur des apprentissages l’individu, avec ses forces, ses lacunes et ses représentations du paysage informationnel.

 

Apprendre à participer, participer pour apprendre

À la lecture de John Dewey se dessine une perspective précise : l’éducation par l’expérience. Toute expérience est éducative, toute éducation fait appel à l’expérience2. Pourquoi ?
En premier lieu, faire une expérience est apprendre quelque chose qui résout un problème présent, clôture une enquête, apporte un apaisement vis-à-vis du sentiment pénible que génèrent le doute, l’incertitude, le trouble. Comme le montre également Peirce, connaître est un effort dont le but est de supprimer ce sentiment afin d’atteindre la quiétude de la « croyance ». Loin d’être volontaire et artificiel, comme le doute cartésien poussé à la limite, le doute ordinaire provoque un sentiment d’insatisfaction que l’expérience organisée tente de surmonter3.
De même, selon Dewey, l’expérience naît d’un « trouble ». Elle prend le relais des habitudes dès lors que les conditions stabilisées qui constituent leur théâtre d’opérations viennent à être perturbées, — comme lorsque le sens interdit de la rue que tel conducteur emprunte quotidiennement est modifié. À ce moment-là, au lieu que l’habitude du conducteur favorise le continuum de sa condition et consolide son adaptation au monde qui est le sien, elle devient un obstacle tout aussi concret que celui que représente le panneau de sens interdit qui a changé de position. La difficulté produite est à la fois objective et subjective : au lieu d’être continue, intégrée, efficace et économique en énergie, l’habitude contractée dans le passé agit désormais de telle manière qu’elle sépare le conducteur de son environnement, qui lui-même se sépare de sa conduite4.
C’est dans l’espace de cette séparation que l’expérience advient. Dans le cadre de la thèse défendue ici (l’éducation appelle l’expérience et réciproquement), une première condition pédagogiquement utile fait son apparition : si l’expérience est un processus que déclenche un trouble au niveau des interactions entre l’individu et son environnement, et si nous apprenons par l’expérience, alors il est utile que les maîtres qui apportent des matériaux aux élèves le fassent de telle manière qu’ils suscitent une perturbation de leurs habitudes, du moins de certaines d’entre elles, afin de faire naître un étonnement, un questionnement, une exploration. Méthodologiques, empiriques ou formels, les matériaux proposés par l’école ne peuvent être reçus que dans la mesure où ils franchissent le seuil des habitudes mentales ou comportementales des élèves.
Toujours à ce niveau primitif, il est réciproquement souhaitable que l’école forme un environnement tel que les perplexités des élèves puissent s’y exprimer et y trouver des éléments d’expérience et d’enquête. Penser l’école, la salle de classe ou les activités scolaires de cette façon est particulièrement exigeant. Rien n’est indifférent : la distance du maître par rapport à l’élève, l’organisation matérielle de la salle de classe ou des horaires, le « programme », les modes de circulation dans l’école, tout compte.
Par définition, l’école ne peut être ouverte sur l’expérience qu’à la condition que ce qu’elle transmet soit aussi bien perturbateur que pouvant être perturbé. Les élèves dogmatiques dont les opinions sont fermement arrêtées sont tout aussi néfastes pour la liberté d’enquête et la libération de l’expérience de chacun que le sont les formes institutionnelles de l’école dite traditionnelle, — celle qui, à l’époque de l’apparition de l’éducation progressiste, ou dite « par l’expérience », était « conservatrice », — un terme qui signifiait que la fonction de l’école était de reproduire (au sens donné par Bourdieu à ce terme) les formes basiques de la société et d’ajuster les élèves aux attentes sociales, sans les transformer. Nous pourrions exprimer la fonction conservatrice de l’école en recourant au distinguo entre la valeur d’assimilation, qui consiste à faire fusionner l’individu et le tout, et celle d’intégration, qui respecte les interactions dont l’expérience relève structurellement. L’organisation spatiale de l’école, par exemple, illustre bien les questions en jeu : la division rigide de l’espace, le cloisonnement des pièces qui renforce celui des matières et des activités, l’estrade, la sonnerie à intervalle parfaitement régulier, le long couloir de service, tout supprime l’imprévisible et active la discipline à tous les sens du terme, l’ensemble évoquant une « institution totale », dans les termes de Erwin Goffman5. À la maîtrise spatiale correspond celle du comportement, des corps et des gestes, des rythmes et des contenus. La rencontre qui, d’une manière générale, comporte un élément de surprise, sans quoi elle n’advient pas, est prohibée. Apprendre dans de telles conditions (certes schématiquement décrites ici) n’est réellement possible que si l’élève jouit par ailleurs des conditions culturelles de sa participation, dont son entourage le fait bénéficier, et des valeurs d’assimilation qui sont la clé de la réussite.
Il est donc logique que les partisans d’une éducation centrée sur l’expérience aient souhaité décloisonner la salle de classe, les approches, l’école même afin de l’ouvrir sur le monde extérieur et réciproquement, afin d’ouvrir les diverses phases de la vie sociale à l’enfance, à la jeunesse et à l’éducation continue6. En outre, et contrairement à ce qui s’est passé en France en raison de l’impensé moniste et centralisateur qui a culminé avec le concept d’une école « unique », la même pour tous, le décloisonnement a ailleurs été conçu comme un procédé de pluralisation des méthodes, des activités, des programmes, des matières enseignées ou encore des auteurs de référence. L’éducation sinon « centrée sur l’élève », du moins penchée sur son individualité, ne relève pas d’une philosophie du laisser-faire biologique ou d’une croyance dans les aptitudes naturelles des enfants à l’auto développement, comme le pense Nathalie Bulle, mais dans l’adaptation des matériaux proposés aux capacités logiques, sensibles ou intellectuelles des apprenants7.
Ceci nous mène à un second niveau, qui est celui, non plus du déclencheur de l’expérience, mais de son déroulement. Selon Dewey, l’expérience advient en deux temps. Le premier, celui de la « situation troublée », consiste en ceci que le sujet de l’expérience est affecté de l’extérieur, ce qui se traduit par une vaste gamme de réactions qui vont de la réception sensorielle à la réaction brutale, de l’émotion à la souffrance, et ainsi de suite. L’empirisme classique repose sur cette phase de l’expérience qui est passive et souvent exprimée de manière sensualiste comme le phénomène correspondant au fait que nos sens sont « frappés » par un objet extérieur et qu’à cette occasion, nous formons en réaction une « image des sens ». Dans la perspective pragmatiste, le fait d’être affecté n’est cependant qu’une première phase de l’expérience. En l’état, elle n’est pas complète. Elle le devient quand l’individu affecté parvient à relier à certains éléments de la situation qui le perturbe un « plan d’action » destiné à surmonter le trouble qui l’affecte. Qui plus est, afin que l’expérience en cause soit accomplie, il est requis que le plan d’action prévu réussisse objectivement. Quand c’est le cas, l’individu restaure la continuité de son existence et peut reprendre le cours de ses activités. En revanche, si le trouble du départ est exacerbé, ou persiste, l’expérience reste tronquée et l’individu, en perte de pouvoir d’agir8.
Ce qui émane ici est l’importance de ce pouvoir. Le pragmatisme est une philosophie de l’action. Plus exactement, c’est une philosophie qui aborde toutes choses, la morale, la connaissance, l’éthique, la politique, l’art, dans les termes d’un agir directeur qui, sans être séparé de la pensée, en constitue la mise à l’épreuve et le correctif quand besoin est. Loin de tout dualisme, l’action est également au centre de la formation de l’individualité humaine. Knowing is doing, mais réciproquement, doing is knowing. Connaître c’est faire, mais le faire n’est qu’une agitation s’il n’est pas guidé par une idée directrice quelconque qui peut prendre la forme d’un projet ordinaire ou celle d’une théorie scientifique, sans que la logique en jeu soit différente.
Au sens le plus complet du terme, la « participation » a lieu dans et par l’expérience. Cette dernière ne peut être vécue par procuration. Elle engage l’individu et la connexion qu’il établit entre sa pensée et son action. Grâce à cette connexion, il « transforme le monde » et, se faisant, réalise certaines de ses virtualités dont l’ensemble façonne progressivement sa personnalité. Comme on l’a évoqué, la transformation est requise par l’expérience, et ce par définition : celle-ci s’accomplit dans le sein d’une évolution qui est celle de la situation initiale. Pour sonder le sol à la recherche d’une cavité, l’explorateur utilise des outils, remue la terre, réalise des tests chimiques, etc. Le chercheur à la paillasse ou l’enfant qui construit un château de sable ne procèdent pas autrement qu’en effectuant un va-et-vient continuel entre des plans d’action, la réalisation du plan et l’observation des résultats provoqués par leur manipulation. Or, d’un point de vue psychologique, cette relation interactionnelle et expérimentale au monde est une source essentielle d’individuation. En l’absence de la liberté qui consiste à faire jouer des possibilités, à jouer des rôles et à les tester, à explorer et à transformer, l’individu est « perdu ».
À la différence de l’instruction, l’Éducation sollicite les capacités physiques et psychiques des élèves de telle manière qu’il leur est loisible de perfectionner celles qui ont leurs préférences. Avec l’instruction, l’adresse est moniste, le contenu transmis figé, les facultés mobilisées bien déterminées dans un cadre prétendument « général » qu’on appelle esprit logique, mémoire, raisonnement, lesquels sont prétendument requis, à l’exclusion des autres, pour accéder aux « enseignements de base ». Avec l’éducation, l’accès au connaître est au contraire pluraliste. Face un problème dont les élèves sont alors partie prenante, chacun travaille à la bonne méthode en fonction de ses inclinations, de ses connaissances, de ses valeurs, etc. Le dessin ou la danse par exemple peuvent être mobilisés au profit de l’élaboration d’un savoir partageable. Au lieu d’être inculqué, le connu est en partie découvert par l’élève au fur et à mesure qu’il s’y applique. Il en va de même du « jardin pédagogique », par exemple celui que Maria Montessori avait intégré dans son école, le considérant comme l’outil pédagogique par excellence, susceptible de soutenir une vaste gamme de fonctions d’apprentissage, allant de l’accélération des perceptions de l’enfant aux mathématiques, la géographie, la botanique, l’histoire, le tout sur fond de sociabilité et d’auto- organisation. Finalement, avec le dressage ou le conditionnement s’élabore par contre un processus qui requiert, non plus l’usage de certaines facultés au détriment d’autres jugées anti scolaires, – notamment les facultés créatrices –, comme dans le cas de l’instruction dite « publique », mais la mise en sommeil des facultés individuelles au profit d’une pure et simple réceptivité dont le degré de conscience est indifférent. Si l’on en croit par exemple les fondateurs du behaviorisme, le conditionnement est d’ailleurs d’autant plus parfait que la conscience n’est pas mobilisée. C’est sous la surface des représentations et des vouloirs qu’il opère, en mobilisant les « instincts » et les processus psychiques primaires qui ne disparaissent ni n’évoluent en aucun de nous. Tel le chien que Pavlov était parvenu à faire saliver au son de la cloche qu’il agitait au moment de la présentation de nourriture, puis sans elle, l’individu réagit au contexte social d’une manière déterminée d’avance. D’après le fondateur du behavioriste John Watson, l’individu n’agit pas, il est agi par la société dont la fonction rationnelle est de produire des stimuli déterminés pour obtenir des réponses déterminées et des comportements souhaitables et prévisibles.
Qu’ils s’adossent à une technique de terreur ou pas, le dressage et, dans une certaine mesure, l’instruction, ne font pas appel à la participation des élèves, ni même, dans bien des cas, à celle des professeurs, chargés d’obtempérer face à des injonctions émises par leur « hiérarchie » et, au mieux, de trouver les moyens pour atteindre au mieux et au plus vite les finalités prescrites de l’extérieur.
Bien que les méthodes d’exclusion de la participation soient nombreuses, elles peuvent être rangées dans deux catégories. Dans la première se trouvent celles qui dépendent de pratiques coercitives qui s’exercent contre les phases d’engagement émotionnel et intellectuel des membres de la communauté scolaire, et les destituent de responsabilités aussi bien individuelles que collectives. À l’engagement se substitue la docilité et l’obéissance, ce dont l’idée même de « discipline » est la juste illustration. Dans la seconde catégorie se trouvent à l’inverse un ensemble d’anti-méthodes qui prennent le contre-pied des premières, en préconisant la suppression de toute ingérence dans le développement de l’enfant au profit de l’expression prétendument ordonnée et automatique de ses facultés « naturelles ». L’école anarchiste libertaire par exemple, dans une certaine mesure la pédagogie Waldorf-Steiner, et l’ensemble des pédagogies acquises à l’idée d’un « laisser-faire » de l’enfant et d’une intervention minimum, – qui ne sont pas sans rappeler la doctrine du libéralisme économique –, non seulement reposent sur une conception métaphysique d’un « l’individu tout fait » dont l’expérience montre le caractère purement fictif mais, en outre, privent les jeunes des éléments qui leur apporteraient les matériaux nécessaires à leur entrée dans l’expérience et, par suite, à leur pleine participation sociale et individuelle et donc, à la croissance de leur personnalité distinctive.
La participation requiert qu’un juste milieu soit trouvé entre la dépendance de l’individu à l’égard du milieu et la vacuité d’un milieu sans relief faute d’être structuré par la communauté ou plus exactement, par les expériences accumulées des générations successives. Que l’école effective doive réaliser un tel équilibre, qu’elle subordonne ses méthodes, son curriculum, ses finalités culturelles et sociales, à la recherche de cet équilibre, voilà ce qui constitue l’apport fondamental de la philosophie de l’éducation de John Dewey.