La Bibliothèque, la nuit

Dans cet essai érudit et foisonnant, le collectionneur passionné de livres qu’est Alberto Manguel interroge les représentations collectives, culturelles, mais aussi celles de sa propre subjectivité à l’aune de sa bibliothèque personnelle, de ces lieux de connaissance que sont les bibliothèques. Traducteur, éditeur, critique littéraire et essayiste dont la problématique principale est centrée sur les livres et la lecture, cet écrivain d’origine argentine a été dans sa jeunesse lecteur pour Borges. Il a voyagé dans de multiples pays, a pris la nationalité canadienne, puis a vécu en France près de Poitiers où il avait installé sa bibliothèque riche de quelques 30 000 livres1 avant de devoir tout récemment déménager. Si sa quête au cœur des livres le conduit à se questionner sur le monde lui-même, c’est qu’il invoque à chaque page nombre de références littéraires, artistiques, et historiques en un perpétuel va-et-vient entre son expérience de lecteur et ses rencontres avec des bibliothèques réelles, mythiques ou imaginaires.

L’ordonnancement du monde

« La bibliothèque est un espace clos, un univers autonome dont les règles prétendent remplacer ou traduire celles de l’univers informe du dehors ». Détentrice d’une masse de connaissances, la bibliothèque se pose comme un lieu d’ordre qui entend donner du sens au désordre du monde en proposant une organisation particulière du savoir. « Pendant la journée, la bibliothèque est un royaume d’ordre. (…) La structure du lieu est visible : un labyrinthe de lignes droites, où l’on n’est pas censé se perdre mais trouver ; une pièce divisée en suivant un ordre apparemment logique de classification ; une géographie qui obéit à une table des matières prédéterminée et à une hiérarchie mémorable d’alphabets et de nombres. »
On voit ici le paradoxe de la métaphore du labyrinthe, image fréquemment utilisée pour évoquer les bibliothèques, l’enjeu pour les professeurs documentalistes, comme pour les bibliothécaires, étant de faire de cette impression labyrinthique un lieu simple et intuitif où chacun peut trouver l’information dont il a besoin. Si cet ordonnancement du monde est évident en journée, Manguel lui oppose une vision quasi fantasmagorique de sa bibliothèque personnelle la nuit. Il s’y libère des contraintes quotidiennes, de la logique et de la classification. C’est le royaume du butinage, de la sérendipité : un livre en appelle un autre, par association d’idées. « Si le matin, la bibliothèque suggère un reflet de l’ordre sévère et raisonnablement délibéré du monde, la bibliothèque la nuit, semble se réjouir de son désordre fondamental et joyeux ». Manguel rapproche ces expériences différentes des deux profils de lecteurs évoqués par Virginia Woolf : celui qui aime s’instruire et celui qui aime lire. Pour Manguel, le jour est propice à la concentration et à l’étude, la nuit à la lecture plaisir et à l’imagination.

La volonté d’une bibliothèque de rassembler en un même lieu toute « notre expérience indirecte du monde », d’harmoniser nos connaissances et notre imagination, et de grouper l’information, est incarnée par les deux mythes suivants : la Tour de Babel et la Bibliothèque d’Alexandrie. Arrêtons-nous un moment sur cette dernière, image mythique et hautement symbolique s’il en est, de toute bibliothèque.
La bibliothèque d’Alexandrie est la première à avoir pour ambition de rassembler de façon exhaustive tous les livres du monde (sous forme de rouleaux de papyrus). Ce « rêve d’un ordre universel », repris aujourd’hui par la volonté d’infini du Web, entend donner une place à chaque rouleau et enregistrer de façon systématique toutes les informations selon le classement thématique inventé par les bibliothécaires alexandrins. Chaque rouleau qui arrive est copié et c’est cette copie qui est conservée dans la bibliothèque. Si la postérité a gardé la mémoire des raisons d’être de la bibliothèque, elle n’a en revanche quasiment rien conservé de l’apparence et de l’agencement des lieux. On sait que la salle principale baptisée Museion (« maison des Muses ») ornée de l’inscription « le lieu du traitement de l’âme », comporte des étagères (bibliothekai, étymologie du mot bibliothèque) avec des casiers pour ranger les rouleaux. Il y existe également des salles de travail et une salle de repas pour les savants. « La Bibliothèque qui se voulait dépositaire de la mémoire du monde n’a pas pu sauvegarder pour nous son propre souvenir. »
Une des raisons d’être de la Bibliothèque d’Alexandrie est la quête d’immortalité des Égyptiens : par la conservation des histoires qui prouvent et donnent du sens à leurs existences, ils s’assurent un présent continuel. Ce sont en effet les lecteurs qui donnent une nouvelle vie à des livres appartenant pourtant au passé : « La lecture est un rituel de renaissance ».
La deuxième injonction liée à la Bibliothèque d’Alexandrie est, comme on l’a dit, l’enregistrement exhaustif du savoir. Toute une communauté de savants (à l’instar d’Euclide ou Archimède) est logée à proximité de la Bibliothèque pour rédiger des œuvres critiques, des gloses, des commentaires sur les rouleaux qui y sont conservés, selon la règle édictée au IIe s. av. J.-C. : « Le texte le plus récent remplace tous les précédents puisqu’il est censé les contenir. » Le principe du palimpseste littéraire joue ici à plein.
Enfin, elle constitue un lieu de mémoire et en cela, représente une volonté politique : rassembler des œuvres grecques permet de prouver la supériorité de la culture égyptienne, en démontrant l’influence de l’Égypte sur la culture grecque. Alexandrie résonne pour finir comme un avertissement sur la fragilité et le caractère éphémère de cette conservation des traces : tout peut un jour être détruit…
Par opposition à cette volonté d’ordonnancement du monde, le mythe de la Tour de Babel témoigne quant à lui de la fin de l’unicité de la société, la dispersion des langues et la perte de sens qui en découle. C’est bien tout le contraire qui se joue à Alexandrie, symbole d’une quête universelle : la mise en commun et la conservation exhaustive des connaissances en un même lieu.

D’autre part, l’organisation interne d’une bibliothèque représente un ordre, un système de classement2, quel qu’il soit. Celui-ci peut être plus ou moins fantaisiste, à l’instar des 12 modes de classement édictés par Georges Pérec dans Penser / Classer. On peut en effet imaginer pour sa bibliothèque personnelle un classement purement esthétique, par taille, pour que les dos des livres soient parfaitement alignés en hauteur. Ou encore un classement purement pragmatique, regroupant les livres les plus utilisés, les plus lus, à l’image de la bibliothèque de Pline Le Jeune. Mais une bibliothèque publique, en s’adressant au plus grand monde, doit établir un code compris de tous et prédéterminé, qui conditionne son agencement global. Or, si « l’ordre engendre l’ordre », on peut aussi plonger dans des catégories et des sous-catégories multiples, dans une arborescence fractale infinie, comme nous le dit si bien Alberto Manguel :
« Sitôt établie, une catégorie en suggère ou en impose d’autres, si bien qu’aucune méthode de catalogage, sur étagères ou sur papier, n’est jamais close. Si je décide d’un certain nombre de sujets, chacun de ceux-ci exigera une classification à l’intérieur de sa classification. À un certain degré de rangement, par fatigue, ennui ou découragement, j’arrêterai la progression géométrique. Mais la possibilité de continuer est toujours là. Il n’existe pas de catégories ultimes dans une bibliothèque. »
On voit bien, par exemple avec l’arborescence de la classification Dewey, qu’il est possible d’ajouter sans fin des sous-catégories, d’affiner les thèmes au plus précis possible. La dérive serait qu’il y ait des cotes tellement précises qu’elles seraient uniques pour chaque livre…
Le revers de tout classement est qu’il est forcément arbitraire. S’il permet de « délimiter l’illimité » des connaissances, il propose toujours une certaine vision du monde. C’est une des principales critiques qui est adressée à la Dewey, mais cette objection est valable pour toutes les classifications. Manguel en donne plusieurs exemples : le fait de classer une œuvre dans la catégorie « Roman policier » oriente d’emblée le lecteur en lui donnant des clés de lecture particulières. Le classement utilisé dans la bibliothèque impériale de Chine, divisé en quatre grandes catégories (Histoire – Philosophie – Littérature – Textes canoniques) était ensuite rangé en fonction de la rime du dernier mot du titre, ce qui créait des centaines de combinaisons. On peut également trouver dans les bibliothèques chinoises médiévales une structure pyramidale, qui représente la hiérarchie sociale, les écrits de l’Empereur étant placés en premier.
Ces différents classements ne sont donc jamais neutres, même lorsqu’ils utilisent l’ordre alphabétique, puisque ce dernier génère des juxtapositions et des associations d’idées entre des livres fort dissemblables qui sont tout aussi arbitraires que les autres classements.
Le premier à utiliser le classement alphabétique est le bibliothécaire d’Alexandrie, Callimaque. Il établit un catalogue en 120 volumes des principaux auteurs grecs de la bibliothèque, en les classant selon des pinakes (ou « tables ») qui mélangent genres et thèmes : épopée, poésie lyrique, tragédie, comédie, philosophie, médecine, rhétorique, droit, et une dernière catégorie Divers qui est un vaste fourre-tout ! À l’intérieur de ces catégories, les auteurs sont ensuite classés par ordre alphabétique avec des notes biographiques et une bibliographie réalisées par Callimaque. Ce système de classement alphabétique se retrouve plus tard dans les bibliothèques du monde arabe, mais il n’y a en revanche aucune uniformité au Moyen Âge pour mettre de l’ordre dans l’œuvre d’un même auteur : par titre, par ordre chronologique, par sujet, selon les bibliothèques.
« Si une bibliothèque est un miroir de l’Univers, alors le catalogue est le miroir de ce miroir. » Les premières formes de classements thématiques apparaissent à l’époque médiévale, selon le témoignage d’Avicenne qui se rend dans la bibliothèque du Sultan de Boukhara. « Chaque pièce y était consacrée à une science en particulier » où le bibliothécaire est « le gardien de la mémoire vivante des livres ». Ainsi, Avicenne peut y consulter les livres et « reconnaître la position de chacun d’eux dans la catégorie scientifique appropriée ». Les divisions thématiques s’associent donc au classement alphabétique dans le Moyen-Âge arabo-musulman.
Mais « une bibliothèque est une entité en perpétuel accroissement » et si une catégorie contient trop de livres, elle devient inutile. L’idée est donc venue d’utiliser « l’univers illimité des nombres » plutôt que celui, fini et restreint des lettres de l’alphabet. C’est ainsi que l’américain Melvil Dewey, en 1873, conçoit le principe d’utiliser des décimales « pour numéroter une classification de toute la connaissance humaine imprimée ». Chaque division peut ainsi se rediviser en sous-thèmes à l’infini, en arborescence. Les dix grandes classes du savoir proposées par Dewey, selon un classement par sujet en fonction du contenu des livres, correspondent bien entendu à un contexte politique et culturel particulier. L’idéologie sous-jacente y est celle d’une supériorité de la « race » anglo-saxonne, d’une culture américaine dominante. On est là bien loin d’une forme d’universalité dans la grille de lecture et de compréhension du monde qui est proposée, et c’est pourtant cette classification qui sera adoptée partout dans le monde grâce à sa simplicité et son côté pratique. « À tout ce que l’on peut concevoir, on peut attribuer un nombre, et l’on peut donc contenir dans l’infinie combinaison de dix chiffres l’infinité de l’univers. »

Inversement, « pour Umberto Eco, une bibliothèque doit avoir le côté imprévisible d’un marché aux puces. » Elle peut être le royaume du hasard, malgré l’ordre qui y règne. En effet, tout classement entraîne des rassemblements de livres farfelus, mystérieux, étonnants, tissant ainsi des similitudes secrètes, des liens mentaux et des paysages imaginaires que les vagabondages des lecteurs dans les rayons dessinent, au gré de leurs envies et de leur subjectivité. La succession des lectures, selon les choix et la chronologie dans lesquelles elles sont effectuées, colore tel ou tel livre de souvenirs et des réminiscences des précédentes lectures. « Chacun des livres est un kaléidoscope qui se modifie sans cesse : chaque nouvelle lecture lui apporte un nouveau tour, un nouveau schéma ».
Dans le cas d’une collection privée, c’est aussi bien entendu un reflet de la personnalité de son propriétaire. « Toute bibliothèque est une autobiographie » Mais comment lier un principe d’organisation logique et rationnelle et la combinaison aléatoire et personnelle issue des expériences de lecture ? C’est ce dilemme qu’a tenté de résoudre le critique d’art et écrivain Aby Warburg dans sa bibliothèque personnelle dès 1909. La « Bibliothèque Warburg de Science de la culture » dédiée à la déesse grecque de la mémoire Mnémosyne, est constituée de rayonnages elliptiques, puisque chaque livre renvoie forcément à un autre titre dans cette vision cyclique de la bibliothèque. Elle est selon le philosophe Cassirer « un catalogue de problèmes ». En effet, les sujets sont juxtaposés selon des associations d’idées libres, comme la philosophie mêlée à l’astrologie, l’Art regroupé avec la Religion et la littérature, la théologie, la poésie associées à l’histoire de l’Art… Warburg cherche aussi à y appliquer la « règle du bon voisin » : le livre que l’on connaît bien côtoie peut-être sans qu’on le sache un livre inconnu au titre un peu obscur mais qui renferme exactement l’information dont on a besoin. Les livres ainsi regroupés sont l’expression de « la pensée de l’humanité sous tous ses aspects, constants et changeants ». Il reprend donc en permanence le classement, y change l’ordre des livres sans cesse, au gré des liens qui se tissent dans son esprit. C’est là toute la limite de la bibliothèque de Warburg qui donne une représentation de la complexité de sa pensée mais est incompréhensible de l’extérieur pour tout autre que lui-même. Manguel, en visitant sa reconstitution au Warburg Institute à Londres, est pris de vertige et de stupeur face au labyrinthe des rayonnages et à l’absence totale de repères dans cette bibliothèque complexe et infiniment personnalisée.

Un lieu fini qui entend contenir l’infini

Si l’utopie qui sous-tend les grandes bibliothèques est de rassembler tous les livres du monde au même endroit, le lieu bibliothèque en lui-même n’est pas infini dans sa spatialité et présente des contraintes matérielles bien réelles. L’emplacement d’un livre, son inscription dans un certain espace de la bibliothèque lui donne déjà et a priori une certaine définition, un sens, si arbitraire soit-il, en fonction du mode de classement choisi. L’ordre adopté peut également être en partie conditionné par l’agencement de l’espace et les contraintes du lieu. Manguel multiplie ainsi les exemples d’architectures et de dispositifs permettant de contenir le plus de livres possible dans une bibliothèque : étagères suspendues, échelles immenses, rayons rotatifs à 4 côtés etc. Il dit pourtant aussi en préambule que la disposition la plus optimale des livres dans un rayon serait de les disposer à hauteur de bras et d’œil, donc jamais au ras du sol ni trop en hauteur, pour en faciliter l’accès, chose qui arrive très peu souvent en raison du gaspillage de place.
L’éternel problème est bien entendu ici la conservation des documents et leur stockage. Si la numérisation peut être une solution pour gagner de la place, elle s’avère problématique sur le long terme en raison de la difficile pérennité des formats informatiques. Le papier se conserve finalement beaucoup mieux et plus longtemps qu’un support numérique trop dépendant des évolutions technologiques. Manguel soutient donc la double conservation imprimée et numérique dans une bibliothèque, dans une complémentarité des supports.
Il déploie ensuite à travers plusieurs références historiques l’image de la bibliothèque en perpétuel agrandissement, ce qui pose nécessairement problème dans un lieu qui n’est lui pas infini. Ainsi, Gabriel Naudé, en 1627, dans son « Advis pour dresser une bibliothèque », montre bien que l’intérêt d’une bibliothèque est d’y trouver ce que l’on cherche. Or, étant une collection forcément incomplète et en perpétuel renouvellement, c’est là tâche impossible que de contenir tous les documents nécessaires à tous.
C’est le même objectif qui régit l’Encyclopédie de Diderot : les volumes représentent en quelque sorte à eux seuls l’équivalent du contenu d’une bibliothèque entière. L’idée est bien de « rassembler les connaissances éparses sur la surface de la Terre », de créer une « encyclopédie sanctuaire » qui se suffit à elle-même (article « Encyclopédie » dans l’Encyclopédie). Diderot déclare également que « cet ouvrage pourrait tenir lieu de bibliothèque dans tous les genres à un homme du monde ; et dans tous les genres excepté le sien, à un savant de profession ». Le classement interne à L’Encyclopédie est alphabétique, mais les liaisons entre les sujets sont visibles par des renvois en fin d’article. Ces liens qui tissent un arbre de la connaissance humaine sont d’ailleurs souvent étonnants et révélateurs du contexte historique et philosophique des Lumières. Par exemple, en fin d’article sur l’anthropophagie, on trouve un renvoi vers « Eucharistie – Communion – Autel » !
L’utopie qui est au cœur de l’Encyclopédie de Diderot devrait permettre de clore l’expansion infinie des bibliothèques. C’est également l’idée qui sous-tend le Web et sa volonté d’exhaustivité. À l’instar des deux personnages de Flaubert, Bouvard et Pécuchet qui se sont donné pour mission de lire tous les livres du monde, les bibliothèques ne font que « se déployer et enfler jusqu’au jour inconcevable où elles contiendront tous les volumes jamais écrits sur tous les sujets imaginables ». C’est également la métaphore présente dans la bibliothèque de Babel de Borges, celle d’une bibliothèque illimitée contenant tous les livres possibles, où le personnage se rend compte que sa quête est redondante et impossible. En effet, « l’encyclopédie mondiale, la bibliothèque universelle existe, et c’est le monde même. »
Par ailleurs, l’agencement des livres dans une pièce détermine l’univers mental, l’atmosphère et la relation qui se créent entre le lecteur et les ouvrages. Michel Melot, alors directeur de la BPI, le dit fort bien : « Tout bibliothécaire est toujours un peu architecte. Il bâtit sa collection comme un ensemble à travers lequel le lecteur doit circuler, se reconnaître, vivre ». La perception du lieu ne sera pas la même dans une bibliothèque compartimentée en sections, avec une hiérarchisation des sujets, ou dans une salle ronde, à l’agencement circulaire, où chaque livre peut être vu comme le premier. Si notre bibliothèque personnelle correspond à nos habitudes de lecture individuelles, le plan d’une bibliothèque publique reflète un certain mode de classement et la tentative de résolution du dilemme entre liberté de circuler et espace de concentration. Ainsi, que ce soit dans la salle Labrouste de la BNF ou dans la salle de lecture de la British Library, on retrouve cette volonté d’allier intimité et volume, grandeur et isolement. De même, la bibliothèque Laurentienne de Florence, dessinée par Michel-Ange, rappelle au lecteur la relation entre le monde et le livre avec des espaces qui évoquent la forme des pages. Le nombre d’or, symbole de la perfection et de l’idéal du beau, y est utilisé dans les proportions de la salle de lecture, illustrant par là même l’ordonnancement des connaissances, alors que l’escalier d’accès à la salle, dynamique, à trois chemins incurvés, semble dire quant à lui qu’aucun ordre ne peut réellement contenir et englober la connaissance humaine. C’est bien ce double paradoxe qui est perpétuellement au cœur de l’architecture de toute bibliothèque.

Lieux à la fois ouverts et clos, les bibliothèques, tout comme les CDI, doivent répondre à des injonctions contradictoires : comment favoriser le travail et la concentration dans un espace où la libre circulation est prioritaire pour trouver le bon document ? C’est la différence que pointe Manguel entre bibliothèque et cabinet de travail. Ce dernier est comme une tanière, où il trouve les livres qui lui sont les plus nécessaires, des « extensions de lui-même », de « vieilles connaissances ». « Si ma bibliothèque raconte l’histoire de ma vie, c’est mon cabinet de travail qui témoigne de mon identité ». Cet espace intime peut être englobé par la bibliothèque, mais doit dans tous les cas être propice « à l’introspection et à la réflexion, être un lieu où penser ».
On y recherche ce que Sénèque appelle l’Euthymia (tranquillitas en latin), c’est-à-dire le « bien-être de l’âme », un lieu qui favorise la mémoire, le travail dans un isolement sans distraction. Comment procurer à nos élèves cette euthymia que Manguel appelle de ses vœux dans son cabinet de travail ? L’informatique peut dans certains cas recréer une forme de bulle d’isolement, mais être également un vecteur infini de déconcentration… Salles de travail, box, tables isolées, îlots etc., sont autant de possibilités d’agencement pour combiner concentration et ouverture dans un espace restreint.

Un symbole politique, culturel et mémoriel

En tant qu’espace regroupant savoir et écrit, la bibliothèque se place au centre des enjeux de pouvoirs, tant politique que culturel. Le livre, associé à un certain prestige social, assure une forme de légitimité du savoir, conservé dans les bibliothèques. Ce n’est évidemment pas anodin si nombre de personnages politiques, monarques, dirigeants, se font représenter avec une bibliothèque en arrière-plan. L’écrit est aussi une manière de laisser une trace, il assure une forme d’immortalité. Si des mécènes financent des bibliothèques, c’est pour associer leurs noms à des lieux de culture et en obtenir un certain rayonnement. Manguel cite ici l’exemple d’Andrew Carnegie, riche industriel américain, qui au XIXe siècle, a permis l’ouverture d’un réseau de 2500 bibliothèques publiques partout aux États-Unis. Vues par ses détracteurs comme une forme de contrôle social, ces bibliothèques ont néanmoins permis au plus grand nombre d’accéder aux livres et à la lecture gratuitement.
Le fonds documentaire d’une bibliothèque peut par ailleurs, être analysé en creux, en fonction de tous les livres qui n’y sont pas. Tout choix implique des renoncements, des exclusions, des oubliés, des absents. Les livres sont révélateurs et signifiants par leur seule présence ou absence. La censure, selon le régime politique et le contexte historique, peut jouer à plein dans une bibliothèque : les écrits peuvent être éminemment subversifs et jugés scandaleux, « dégénérés » pour les Nazis, « bourgeois » pour les Staliniens, etc. Détruire les livres d’un peuple est un moyen de détruire son identité, sa culture et sa mémoire. Dans toute guerre nous dit Manguel, l’envahisseur commence par brûler la bibliothèque du peuple conquis pour imposer son autorité.
Dans des circonstances moins dramatiques et de façon plus pragmatique, la constitution d’un fonds documentaire répond à une ligne directrice et à des orientations particulières. Ainsi, « toute bibliothèque évoque son double interdit ou oublié : une bibliothèque invisible mais impressionnante, composée de livres qui, pour des raisons conventionnelles de qualité, de sujets ou même de volume, ont été jugés indignes de survivre sous ce toit en particulier. »
Les titres rassemblés dans une bibliothèque peuvent être un moyen collectif de définir l’identité d’une société, d’un pays, d’une culture. En ce sens, il semble logique que la constitution d’une bibliothèque relève de l’État. C’est Pétrarque le premier qui envisage la dimension publique et étatique de la bibliothèque, en 1362. L’Italie est d’ailleurs dotée de 6 bibliothèques nationales. En Angleterre, en revanche, le processus prend beaucoup plus de temps et ce n’est qu’au XVIIIe siècle que naît la British Library, associée au British Museum. En parallèle du Copyright Act de 1842, qui permet à la bibliothèque de recevoir le dépôt légal de tous les livres imprimés dans le pays, une politique volontariste est mise en place, chapeautée par le bibliothécaire Antonio Panizzi. Ce « tissu de livres » doit être « la place forte de l’identité politique et culturelle britannique ». La bibliothèque devient « le portrait de l’âme nationale », une « vitrine de la Nation ». Elle doit représenter tous les aspects de la pensée et de la vie quotidienne au Royaume-Uni.
Manguel donne également comme exemple la restauration et la reconstruction de la bibliothèque nationale du Liban, qui fait figure de projet unificateur entre une mosaïque de cultures, de religions et de langues. « Il se peut que, de par sa nature kaléidoscopique, n’importe quelle bibliothèque, si personnelle soit-elle, offre à qui l’explore un reflet de ce qu’il cherche, une fascinante lueur d’intuition de ce que nous sommes en tant que lecteur. » Elle permet de donner « une compréhension de la façon dont un pays pense et s’organise, comment il divise et catalogue le monde. » La bibliothèque devient ainsi « un miroir au défi vertigineux des multiples identités du pays et des temps. »
D’autre part, l’écrit dont les bibliothèques sont les détentrices a bien sûr valeur de trace, de mémoire d’une culture et d’une civilisation. Si les étudiants de mai 68 criaient entre autres, « ici on ne cite pas », pour revendiquer une pensée originale et inédite, « citer » c’est en réalité utiliser la bibliothèque ; c’est se référer au passé pour écrire le présent ; c’est s’inscrire dans la longue chaîne de l’histoire de la pensée. La bibliothèque a une mission de mémoire, mémoire de la connaissance accumulée, mais aussi mémoire des victimes, des injustices, des horreurs commises dans le passé en tant que lieu de conservation des témoignages. Par opposition, la bibliothèque du vainqueur ne gardera trace que de l’histoire officielle, celle du pouvoir en place. Même lorsque des livres ont été détruits ou ont disparu, il paraît important, nous dit Manguel, de documenter leur absence, de relater l’histoire de la bibliothèque, avec ses pertes, ses manques, pour garder paradoxalement, une mémoire de l’oubli.
Que l’on considère le livre comme un objet familier qui nous fait nous sentir un peu chez nous, ou au contraire comme l’incarnation même de l’altérité, comme une terre étrangère, la bibliothèque peut dans les deux cas, être vue comme ce qui « renferme une vérité plus vaste que celle du temps et du lieu où l’on vit ». Elle rassemble ce qui est dispersé dans l’espace et dans le temps. « Le passé est une étagère remplie de livres ouverte à tous », source infinie d’inspiration et de réappropriation affirme Sir Thomas Browne. L’esprit humain s’incarne à travers les livres et assure ainsi la continuité de l’histoire de la pensée au fil des siècles. Le passé peut ainsi être considéré comme une bibliothèque infinie : « en lui gît notre espoir d’un futur supportable » conclut Manguel.

En 2018 à Beyrouth, réouverture de la Bibliothèque nationale du Liban, 42 ans après sa fermeture, au cœur de la guerre civile © D. R.

En conclusion de ce passionnant essai, Manguel, citant en exergue Chalamov, nous dit : « Les livres sont ce que nous possédons de meilleur dans la vie, ils sont notre immortalité ». Là encore, l’idée de mémoire et de postérité est au centre des enjeux de conservation de la pensée et de la connaissance humaine assurée par les bibliothèques, qu’elles soient imprimées ou numériques. Manguel compare la bibliothèque d’Alexandrie, ce symbole mythique de l’omniscience, avec la Toile et son ambition d’omniprésence. La « tangible intangibilité » du Web propose une nouvelle vision de l’infini. Mais que l’on parcoure une bibliothèque publique, sa propre collection de livres, ou les dédales des bibliothèques numérisées, le désir de remise en ordre du monde y est factice. L’ordonnancement proposé par le classement des informations dans un fonds documentaire quel qu’il soit entend mettre du sens dans le hasard et le désordre du monde, mais ne peut au final qu’offrir « une image négociable du monde réel ». Les bibliothèques représentent donc bien autant de tentatives de créer une identité culturelle, de conserver la mémoire et l’histoire d’un peuple, de classer les savoirs en catégories pensables et compréhensibles de tous, de perpétuer et d’assouvir les besoins de fiction et d’imaginaire des lecteurs. Pour Manguel, citant Pénélope Fitzgerald dans La Fleur bleue, « si un roman commence par une découverte, il doit se terminer par une recherche ». Ici, l’histoire de la bibliothèque de Manguel se clôt sur la recherche d’une consolation…

 

À José Francès

 

 

Le PREAC BD d’Angoulême

Depuis l’année scolaire 2002-2003, Angoulême accueille un Pôle de Ressources en Éducation Artistique et Culturelle bande dessinée, ou PREAC BD. Chaque année, en prélude au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, se tient un séminaire qui propose d’explorer le potentiel pédagogique du 9e Art pris dans toute sa diversité. Co-organisée par l’Atelier Canopé 16 – La Couronne, la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image, le Festival international de la Bande Dessinée, et la DAAC du Rectorat de Poitiers, cette formation gratuite est ouverte à tous les enseignants – premier et second degrés –, de toutes les disciplines, ainsi qu’aux bibliothécaires et aux médiateurs culturels au sens large. Elle poursuit plusieurs objectifs :
– conforter la présence du 9e art et son usage dans la pédagogie au sein des établissements scolaires ;
– apporter des ressources documentaires aux enseignants ;
– accompagner les projets dans les établissements et réfléchir aux enjeux de la bande dessinée dans le parcours des élèves.

Céline Buyse, stagiaire, professeur d’Histoire Géographie de Lycée y trouve une grande richesse pour sa pratique professionnelle :
« Participer à ce séminaire, c’est d’abord venir me nourrir en venant écouter des spécialistes, sur des sujets pointus et qui nous présentent des tours d’horizon aussi exhaustifs que passionnants sur un thème donné. (…)
C’est aussi l’occasion de me pencher sur des genres vers lesquels je n’irai pas spontanément, comme le manga, qui m’était une culture totalement étrangère, ou presque. Cela nous permet à nous Occidentaux – et à nous, professeurs d’Histoire – de nous rappeler qu’il n’y a pas une seule lecture des événements, et que certaines planches d’auteurs japonais, coréens ou autres, peuvent offrir des points de vue et des grilles d’analyse très intéressants à présenter à nos élèves, lors de TD, ou même pour illustrer un cours. »
L’organisation et l’animation du séminaire sont assurées depuis 2009 par Laurent Lessous qui a succédé à Didier Quella-Guyot. En 18 éditions, ces deux critiques du 9e Art ont réussi, en s’appuyant sur des thématiques renouvelées chaque année, à proposer une large gamme d’approches d’un médium longtemps méprisé dans le monde de l’éducation. Pourtant, ils ont montré que tous les genres, des plus populaires – thriller, humour ou science-fiction – à ceux proposant une réflexion plus poussée à leurs lecteurs – récits historiques, de reportage ou à visée citoyenne – peuvent être abordés de manière pédagogique.
Les séminaires sont aussi l’occasion de rencontrer des auteurs reconnus lors de tables-rondes animées. Lewis Trondheim, Joann Sfar, Etienne Davodeau, Kris, Edmond Baudouin, Zeina Abirached, Emmanuel Guibert, Florence Cestac, Jean Dytar, Derf Backderf, Antonio Altarriba, Thierry Murat, Bruno Loth et beaucoup d’autres ont été invités à discuter avec les stagiaires pour expliciter leur travail d’auteur.
Céline Buyse se souvient notamment de « David Prudhomme et Jean Dytar qui (les) avaient régalé d’une présentation fleuve de leurs travaux respectifs avec des photos de planches en cours de travail, de techniques pour raconter une histoire dans un lieu finalement unique – la grande salle de La Vision de Bacchus, en maquette ! ou de leurs sources d’inspiration (tableaux, statuettes, etc.). Comprendre le cheminement de leur travail, le temps long de l’écriture du scénario, de la mise en page, les problèmes éthiques ou parfois liés au droit d’auteur dans le cas d’adaptation de romans en bande dessinée, permet d’avoir une vision beaucoup plus globale et d’appréhender aussi différemment les choses. »
Cette formation gratuite, ouverte à tous, connaît un succès grandissant. Claire Richet, professeur documentaliste en Lycée professionnel, est une fidèle de ce rendez-vous annuel qu’elle qualifie volontiers de « bonheur renouvelé », et même de « chance dans un contexte de formation continue peu varié ».
Pour que tous les stagiaires puissent participer efficacement aux ateliers de pratique, une sélection a été mise en place. Les organisateurs limitent ainsi à une centaine le nombre de stagiaires. Pour concourir au prochain séminaire en janvier 2020, sur le thème de la bande dessinée d’aventure, il faudra vous inscrire et envoyer une lettre de motivation à l’automne 2019. Un lien de préinscription devrait être mis en place à cette période sur le site Canopé 16.

Appel à contribution : Faites vos jeux

Espace de loisir, de divertissement, de libre disposition du temps, le jeu peut sembler incompatible avec l’exigence d’effort, de concentration et de rigueur qu’imposent les apprentissages scolaires. Pourtant, depuis quelques années, il regagne son droit de cité dans les établissements où la transversalité des disciplines, et des apprentissages, est de plus en plus sollicitée et valorisée. Nul besoin d’une veille professionnelle approfondie pour s’en rendre compte ! Serious games, club énigmes, ludothèque, escape games… exploitant toutes les facettes de son dé, le ludique s’installe officiellement au sein de nos CDI, qui pour autant ne se confondent pas avec le Foyer.
Intercdi a ainsi choisi de consacrer son prochain dossier thématique de rentrée à cette enthousiasmante question : le jeu au CDI ! Quelle place ? Quelle forme ? Quels jeux ? Quels objectifs ? C’est avec impatience que nous attendons vos contributions :

Faites vos jeux, rien ne va plus !

Pour une préparation optimale du numéro 280-281 (septembre-octobre), n’hésitez pas à contacter la rédaction au plus tôt : intercdi.articles@gmail.com

Les Bibliothèques

Histoire, représentations, utopies

Qu’elles soient nichées au cœur d’un monument historique, construites dans une architecture futuriste et grandiose, ou cachées dans l’intimité d’un salon privé, les bibliothèques sont les lieux où règnent l’écrit et la connaissance, quels que soient leurs supports, imprimés ou virtuels. à ce titre, elles peuvent fasciner autant qu’effrayer, subjuguer autant qu’horripiler. Labyrinthiques et infinies, ou lugubres décors de crimes ou de sortilèges, elles peuplent la littérature et le cinéma et nourrissent folles utopies et imaginaires foisonnants. Panorama subjectif des représentations des bibliothèques et des ressources liées à leur histoire.

Incroyables bibliothèques

Tour d’horizon de quelques bibliothèques remarquables à visiter. Les sites de chacune de ces bibliothèques sont pourvus d’une rubrique qui en retrace l’histoire, l’évolution architecturale, et met en lumière les manuscrits, incunables et œuvres patrimoniales qui y sont conservés.

En France :

BNF site François Mitterrand et site Richelieu, Paris  www.bnf.fr/fr/la_bnf/histoire_de_la_bnf.html

Bibliothèque Sainte-Geneviève, Paris  www.bsg.univ-paris3.fr/iguana/www.main.cls

Bibliothèque Mazarine, Paris  www.bibliotheque-mazarine.fr/fr/

En Europe :

Trinity College, Dublin  www.tcd.ie/library/about/history.php

Abbaye bénédictine d’Admont, Autriche  www.stiftadmont.at/en/library

Bibliothèque de l’Abbaye bénédictine d’Admont

Bibliothèque abbatiale St Gall, Suisse  www.stiftsbezirk.ch/fr/container/stiftsbibliothek/

Bibliothèque Nationale de Prague, République Tchèque  www.en.nkp.cz/about-us/about-nl/national-library-s-history

Bibliothèque Nationale de Prague

Abbaye bénédictine de Metten, Allemagne  www.kloster-metten.de/?page_id=23&layout_id=1

Openbare Bibliotheek Amsterdam (OBA), Pays-Bas  www.oba.nl/

Openbare Bibliotheek Amsterdam

Bibliothèque Laurentienne, monastère de San Lorenzo, Florence (Italie) www.bmlonline.it/

Ailleurs dans le monde :

Bibliothèque du Congrès, Washington D.C., USA   www.loc.gov/

Bibliothèque du Congrès, Washington D C

Bibliotheca Alexandrina, Le Caire (Égypte)  www.bibalex.org/fr/Default

Bibliothèque de Tianjin (Chine) www.francetvinfo.fr/monde/chine/chine-la-bibliotheque-de-tianjin-une-architecture-impressionnante_2627424.html

Bibliothèque de Tianjin

Bibliotheca Vasconselos, Mexico www.bibliotecavasconcelos.gob.mx/

Cette galerie photos explore l’architecture des grandes bibliothèques partout dans le monde, qu’elles soient très anciennes ou contemporaines  www.tuxboard.com/les-plus-belles-bibliotheques-dans-le-monde/

Le Mundaneum à Mons (Belgique) : créé par les Belges Paul Otlet (1868-1944), père de la documentation, et Henri La Fontaine (1854-1943), Prix Nobel de la paix en 1913. On y trouve les meubles-tiroirs qui renfermaient les fiches du Répertoire Bibliographique universel, ancêtre du Web, ce « Google de papier » qui entendait recenser à travers leurs références bibliographiques, toutes les parutions mondiales. Aujourd’hui le Mundaneum est un lieu d’exposition, et un centre d’archives dont le fonds documentaire se compose des ouvrages personnels des fondateurs, d’affiches, de cartes postales, de plaques de verre, du Répertoire Bibliographique Universel, du Musée International de la Presse et de fonds d’archives relatifs à trois thématiques principales : le pacifisme, l’anarchisme et le féminisme  www.mundaneum.org/

Warburg Institute à Londres : centre de recherche, d’archives, lieu d’expositions et de conférences, l’institut Warburg renferme la bibliothèque d’Aby Warburg, critique d’art et essayiste, qui possède son propre système très personnel de classement, dans une pièce circulaire et en perpétuel changement  https://warburg.sas.ac.uk/

Expositions

La bibliothèque, la nuit : bibliothèques mythiques en réalité virtuelle (qui s’est déroulée à la BNF site François Mitterrand en 2017).
Cette exposition en partenariat avec les Archives nationales du Québec prend pour fil conducteur le livre d’Alberto Manguel, La bibliothèque, la nuit ; après une introduction consacrée à l’imaginaire des bibliothèques, à partir des collections de la BNF, le visiteur se retrouve plongé grâce à un casque de réalité virtuelle, dans une salle aux arbres-livres où il peut visiter dix bibliothèques mythiques, réelles ou imaginaires  www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/expositions/f.bibliotheque_la_nuit.html

Exposition La bibliothèque la nuit, BNF

Labrouste, architecte (1801-1875) : la structure mise en lumière, exposition qui s’est déroulée à la cité de l’architecture et du patrimoine, en 2012-2013  www.citedelarchitecture.fr/fr/exposition/labrouste-1801-1875-architecte-la-structure-mise-en-lumiere

Expositions virtuelles

BNF, Galerie d’histoire des représentations : Tous les savoirs du Monde. Exposition virtuelle sur l’encyclopédisme, les grands livres de l’histoire de la pensée, les tentatives de rassembler les connaissances au travers de l’histoire  http://expositions.bnf.fr/savoirs/index.htm
BNF, Galerie du Livre et de l’écrit :
L’aventure du livre  http://classes.bnf.fr/livre/index.htm
L’aventure des écritures  http://classes.bnf.fr/ecritures/index.htm
Choses lues, choses vues  http://expositions.bnf.fr/lecture/arret/01_1.htm

Cette dernière galerie virtuelle comprend entre autres un article sur l’histoire de la lecture rédigé par Roger Chartier, la retransmission filmée d’une conférence d’Alberto Manguel sur la lecture, des représentations sur les pratiques de lecture et de l’arbre des savoirs, une anthologie de textes sur la lecture, les bibliothèques, le classement des livres.

Dossiers thématiques

Cours en ligne de l’Université de Montpellier : histoire du livre et des bibliothèques, classée en deux principales parties, « L’objet » et « L’usage ». Dans cette dernière, les thèmes « Conservation / Utilisation / Circulation » permettent de revenir sur les grandes bibliothèques et leur histoire  http://meticebeta.univ-montp3.fr/lelivre/sommaire/index.html

Sur le site Remue.net, un dossier thématique garni d’anthologies sur le thème « Bibliothèques en Littérature », foisonnant de citations, références et documents pour alimenter les représentations imaginaires des bibliothèques.  http://remue.net/spip.php?rubrique169

La bibliothèque humaine « Human Library »  http://humanlibrary.org/
Le concept fondé par une association danoise est de proposer des « livres humains », à savoir des personnes qui viennent témoigner sur un sujet précis, lors de groupes de parole. L’idée est de reprendre la métaphore de la bibliothèque pour « emprunter » ces témoins pendant quelques minutes afin d’écouter leur histoire. L’association tourne partout en Europe et en France pour libérer la parole. À lire  www.lexpress.fr/actualite/societe/human-library-quand-les-auteurs-de-livres-racontent-leur-histoire_1887978.html

Temps forts

Nuit de la lecture : Organisée par le Ministère de la Culture, cet événement qui a eu lieu cette année le samedi 19 janvier, est l’occasion de mettre à l’honneur la lecture grâce à une ouverture en nocturne des bibliothèques publiques qui proposent animations, spectacles, jeux de pistes, sélections, contes etc. On peut facilement faire écho à cet événement dans les CDI en proposant en journée des animations similaires qui permettent la promotion de la lecture.
https://nuitdelalecture.culture.gouv.fr/
À noter, la rubrique « Piochez des idées » est une petite mine d’or d’activités à mettre en œuvre sur la lecture au CDI  https://nuitdelalecture.culture.gouv.fr/Participez/Piochez-des-idees-pour-organiser-un-evenement

Nuit des Bibliothèques : événement similaire à la Nuit de la Lecture, la Nuit des Bibliothèques s’est déroulée le samedi 13 octobre 2018 dans de nombreuses médiathèques. Animations, concerts, et ambiance festive lors de l’ouverture en nocturne des bibliothèques.  http://mediatheques.bordeaux-metropole.fr/zoom/la-nuit-des-bibliotheques-2

 

Bibliographie

Mangas

Shinohara / Umiharu. Le Maître des livres. Komikku editions, 2011-2017. Série en 15 tomes.

Yumi, Kiiro / Arikawa, Hiro. Library wars : love & war. Glénat, 2008-2015. Série en 15 tomes, adaptée des 4 light novels éponymes écrits en 2006-2007.

Gakuto Mikumo, Chako Abeno. The Mystic Archives of Dantalian, Soleil Manga, 2008-2011. Série en 8 tomes.

Bande dessinées

MATHIEU, Marc-Antoine, L’Ascension et autres récits. Delcourt, 2005.

MATHIEU, Marc-Antoine. Le Livre des livres. Delcourt, 2017.

SCHUITEN, François, PEETERS Benoît. Les Cités obscures, 3. L’Archiviste. Casterman, 2000.

SHIGA Jason. Bookhunter. Cambourakis, 2001.

Livre jeu

Gueidan, Clémence ; Natas, Guillaume ; Steiner, Florent. Une nuit à la bibliothèque. Mango, 2018 (livre jeu d’escape game, énigmes)

Romans jeunesse

BEN KEMMOUN Hubert. N’allez jamais à la bibliothèque pour plaire à la fille dont vous êtes amoureux. Pocket Jeunesse, 2005

BRISOU-PELLEN, Evelyne. Le Grand Amour du bibliothécaire. Casterman, 2005.

CHEE, Traci. La Lectrice ; éd. Robert Laffont, 2017.

COLFER, Eoin. Panique à la bibliothèque. Gallimard jeunesse, 2004.

GUDULE, La bibliothécaire, Hachette, Le livre de poche, 1995.

HASSAN ; RADENAC. La Fille qui n’aimait pas les fins. Syros, 2013

HASSAN, Yaël. Momo petit prince des Bleuets. Syros, 1998.

MAHY, Margaret. L’Enlèvement de la bibliothécaire. Gallimard Jeunesse, 2002

MORGENSTERN, Suzie. Le Vampire du CDI. L’école des Loisirs, 1997

SANVOISIN, Eric. Le Buveur d’encre. Nathan, 2005

THOMPSON, Colin. Le Livre disparu. Circonflexe, 1998.

ZUSAK, Markus. La Voleuse de livres. Oh éditions, 2007.

Littérature (liste subjective et non exhaustive)

On peut citer, avec Manguel, quelques-unes des représentations imaginaires des bibliothèques : celle qu’invente Rabelais dans Pantagruel, qui est une satire du monde savant et monastique ; celle de Charles Dickens chez lui, qui comporte une porte secrète dissimulée derrière une étagère composée de dos de livres imaginaires écrits par des auteurs fantaisistes ; ou encore les bibliothèques fictives peuplées de livres bien réels comme celles du capitaine Némo ou celle dans laquelle mène l’enquête Guillaume de Baskerville dans Le Nom de la Rose d’Eco.

BEINHART, Larry. Le Bibliothécaire. Gallimard, Folio policier, 2005.

BONGRAND, Caroline. Le Souligneur. Stock, 1993

BORGES, Jorge Luis. La Bibliothèque de Babel. Fictions Gallimard, Folio, 1986.

BRADBURY, Ray. Fahrenheit 451. Gallimard, Folio SF, 2005.

CHRISTIE, Agatha. Un cadavre dans la bibliothèque. LGF, 2001

DESALMAND, Paul. Le Pilon. Quidam éditeur, 2011.

DAMASIO, Alain. La Horde du contrevent. Gallimard, 2015.

DAOUD, Kamel. Zabor ou Les psaumes. Actes Sud, 2017

DIVRY, Sophie. La Cote 400, 10/18, 2013.

ECO, Umberto. Le Nom de la rose, Lgf, 1983.

FASMAN, Jon. La Bibliothèque du géographe, Seuil, 2005.

FINKEL, Irving. Au paradis des manuscrits refusés, 10/18, 2017.

FOENKINOS, David. Le Mystère Henri Pick. Gallimard, 2016.

GROSSMAN, Lev. Codex : le manuscrit oublié. LGF, 2004. HAUMONT, Thierry. Le Conservateur des ombres. Gallimard, 1985.

HUYSMANS, JK. A rebours. Gallimard, Folio, 1991.

LIBIS, Jean. La Bibliothèque. Ed. du Rocher, 2000.

MUSIL, Robert. L’Homme sans qualités. Seuil, 1982. À noter : on y trouve la méthode du personnage de bibliothécaire inventé par Robert Musil en 1930 pour retenir tous les titres des livres de sa bibliothèque : il n’en a lu aucun ! Cela lui permet, assure-t-il, d’en avoir une vue d’ensemble, sans se noyer dans les détails de leur contenu.

PADURA, Leonardo. Les Brumes du passé. Métailié, 2015. Découverte d’une bibliothèque privée intouchée depuis des années.

POSLANIEC, Christian. Les Fous de Scarron. Le Masque, 1990.

RABELAIS. Pantagruel. Seuil, 1996.

ROTHFUSS, Patrick. trilogie Chronique du tueur de roi. Bragelonne, 2009.

RUIZ Zafon, Carlos. L’Ombre du vent. Librairie générale française, 2005.

VERNE, Jules. Vingt mille lieues sous les mers. Lgf, 2001. Pour la bibliothèque du Capitaine Némo dans le Nautilus.

Essais / Livres documentaires

ANDRE, Marie-Odile ; DUCAS Sylvie (dir.) Écrire la bibliothèque aujourd’hui. Éd. du Cercle de la librairie, 2007.

BAEZ, Fernando ; LHERMILLIER, Nelly. Histoire universelle de la destruction des livres : des tablettes sumériennes à la guerre d’Irak. Fayard, 2008.

BAILLY, Jean-Christophe. Une nuit à la bibliothèque ; suivi de Fuochi sparsi. C. Bourgois, 2005

BARATIN, Marc ; JACOB, Christian. Le pouvoir des bibliothèques : la mémoire des livres en Occident. Albin Michel, 1996.

BENJAMIN, Walter. Je déballe ma bibliothèque, Rivages poche, 2015.

BERTRAND, Anne-Marie. Les Bibliothèques. La Découverte, 2011

BERTRAND, Anne-Marie ; KUPIEC, Anne.Ouvrages et volumes : architecture et bibliothèques. Cercle de la Librairie, 1997.

CHAINTREAU, Anne-Marie ; LEMAITRE, Renée. Drôles de bibliothèques : le thème de la bibliothèque dans la littérature et le cinéma. Cercle de la librairie, 1993.

CHARTIER, Roger. L’Ordre des livres : lecteurs, auteurs, bibliothèques en Europe entre le XIVe et le XVIIIe siècle. Alinéa, 1992.

DESMAZIERES, Erik ; ROLIN, Olivier. Voyage au centre de la bibliothèque. Catalogue d’exposition, BNF, Hazan, 2012.

ECO, Umberto. De Bibliotheca. L’Échoppe, 1986.

ECO, Umberto ; CARRIERE, Jean-Claude. N’espérez pas vous débarrasser des livres. Grasset, 2009.

EL ABADIE, Mostafa. Vie et destin de l’ancienne bibliothèque d’Alexandrie. Unesco, PNUD, 1992.

FIGUIER, Richard. La Bibliothèque, miroir de l’âme, mémoire de l’âme. Autrement, 1991.

HOBSON, Anthony. Grandes bibliothèques. Stock, 1971.

JOLLY, Claude ; POULAIN, Martine ; VARRY, Dominique ; VERNET, André. Histoire des bibliothèques (4 vols). éd. Du Cercle de la Librairie, 1989-1992, rééd. 2008-2009.

LAUBIER, Guillaume (de) ; BOSSER, Jacques. Bibliothèques du monde. éd. De la Martinière, 2003

LEVIE, Françoise. L’Homme qui voulait classer le monde : Paul Otlet et le Mundaneum. Les impressions nouvelles, 2006.

MANGUEL, Alberto. La bibliothèque, la nuit. Actes Sud / Leméac, 2006.

MANGUEL, Alberto. Je remballe ma bibliothèque : une élégie et quelques digressions. Actes Sud, 2018.

MELOT, Michel. La Sagesse du bibliothécaire. L’œil neuf, 2004.

MINOUI, Delphine. Les Passeurs de livres de Daraya : une bibliothèque secrète en Syrie. Seuil, 2017.

NAUDE, Gabriel. Advis pour dresser une bibliothèque. 1627, édition par Bernard Teyssandier, Klincksieck, 2008.

OLENDER, Maurice. Un fantôme dans la bibliothèque. Seuil, 2017.

ORSENNA, Erik. Voyage au pays des bibliothèques. Stock, 2018.

PEREC, Georges. Penser / Classer. Seuil, 2003.

PIVOT, Bernard ; BONCENNE, Pierre. La Bibliothèque idéale. Albin Michel, 1988.

PLAINE, Jacques. Souvenirs d’un libraire. Le Cherche Midi, 2002.

POLASTRON, Lucien Xavier. Livres en feu : histoire de la destruction sans fin des bibliothèques. Gallimard, 2009.

WOOLF, Virginia. Comment lire un livre. L’Arche, 2008.

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Le Rat de Bibliothèque Carl Spitzweg, 1850, huile sur toile, musée Georg-Schafer, Schweinfurt (Allemagne)
Bibliothèque Imaginaire du Nautilus

 

Le cas Sikoryak

La caractéristique de la parodie, c’est d’évoquer une œuvre existante tout en présentant des différences perceptibles et de manifester humour ou raillerie. Une parodie est donc une œuvre originale qui en imite une autre : elle engage une relation critique à l’objet parodié, lui faisant subir certaines transformations dans un esprit ludique ou satirique, avec l’intention d’amuser, et pas nécessairement de moquer ou dénigrer l’œuvre originale ; de nombreuses parodies sont des hommages rendus à des œuvres dont on reconnaît l’importance.
Dans le détournement, qui peut apparaître comme l’un des moyens de la parodie, dans la bande dessinée, le procédé consiste en un jeu de décontextualisation et d’hybridation d’images ou de planches existantes, pas forcément redessinées, mais sorties de leur contexte initial, détournées de leur intention ou de leur public d’origine.
En plus d’être ludique, la parodie en bande dessinée s’avère souvent pédagogique. En proposant un regard décalé, l’exercice de la parodie invite le lecteur à une lecture ou relecture des œuvres. Par les choix qu’ils font, la sélection dessine un corpus des œuvres référentielles, essentielles, celles qu’il faut connaître ou qui ont marqué l’histoire de la bande dessinée.

Robert Sikoryak est un auteur américain atypique dont l’essentiel de l’œuvre se concentre sur d’étonnantes expérimentations que l’on peut qualifier de parodiques. Il redessine en utilisant le même style graphique que l’œuvre parodiée, dans un exercice proche du pastiche ou du détournement, mais en ajoutant une dimension ludique et critique et en s’imposant d’autres contraintes, ce qui aboutit à des formes de bande dessinée inédites.

Dostoyevsky Comics planche P. 51

 

 

Masterpiece Comics

Ancien membre de l’équipe éditoriale de Raw, la prestigieuse revue d’Art Spiegelman et de Françoise Mouly, Robet Sikoryak est dessinateur pour le New Yorker et publie chez Drawn & Quarterly. Masterpiece Comics est le seul album de cet auteur publié en France par les éditions Vertige graphic, en 2012. Les planches réunies dont la production s’est échelonnée sur 20 ans (1989-2009) ne sont peut-être pas vraiment des parodies, mais relèvent d’une expérience étrange et originale entre littérature et bande dessinée, qu’on pourrait nommer hybridation ou interfécondité.
Sur la couverture française est mentionnée en titre secondaire La bande dessinée prend d’assaut la littérature alors que le sous-titre original en anglais (where classics and cartoons collide) signifie plutôt « entrer en collision ». Il faut plutôt y voir une confrontation voire une alliance. En tout cas, il ne s’agit pas d’une simple adaptation de classiques de la littérature, même doublée d’une intention ironique. Loin de réaliser un exercice de style « à la manière de », Sikoryak organise une association délibérée. Il va orchestrer un croisement entre une grande œuvre du patrimoine littéraire mondial et un comics, en recherchant une analogie entre la bande dessinée choisie et le texte littéraire. R. Sykoryak ne se contente pas de plaquer une œuvre sur une autre, il cherche des interactions profondes ou des passerelles symboliques entre des grands personnages littéraires et des héros de bande dessinée. Ce qui permettra au lecteur de chercher à identifier les points de convergence, d’enquêter afin de découvrir où se situe le travail de greffe de l’auteur.
Observons deux de ces récits.
Avec Dostoyevsky comics, qui rappelle le mythique Detective comics où paraît pour la première fois Batman, Sikoryak revisite Crime et Châtiment dans un récit de onze pages. Dans BD Zoom en 2012, Cecil MacKinley relevait que « le fait de prendre la nature profondément torturée de Batman pour la plonger dans le contexte moralement anxiogène de Crime et châtiment constitue une équation passionnante, cela questionne le personnage de Bob Kane avec ironie, en immergeant la fausse naïveté des bandes du Golden Age dans une trame littéraire tragique et classique, jetant des ponts entre cette littérature reconnue et un genre injustement méprisé ». Et effectivement, entre Raskolnikov et Batman, une affinité existe, mise en valeur par R. Sikoryak. Raskolnikov, ancien étudiant qui vit dans la solitude et la pauvreté, assassine une vieille prêteuse sur gage pour lui voler son argent. Or si l’on se concentre sur la justification de son acte par l’auteur russe, Raskolnikov en devient un prétendant à la surhumanité : « Les hommes ordinaires doivent vivre dans l’obéissance et n’ont pas le droit de transgresser la loi […] Les individus extraordinaires, eux, ont le droit de commettre tous les crimes et de violer toutes les lois pour cette raison qu’ils sont extraordinaires ». On n’est pas loin de la définition du super-héros, et le choix par Sykoryak de Batman dont l’âme sombre et les motivations douteuses ont souvent été exposées révèle ses fondements dans la planche de la page 51 ci-jointe. Raskolnikov et Batman s’imaginent au-dessus de la loi, en tout cas, ils sont prêts à la transgresser. Et ils estiment qu’il est juste d’employer des mesures extraordinairement cruelles pour lutter contre ce qu’ils considèrent être injustes.
Observons également sur cette planche une case décentrée où apparaît le visage grimaçant de la vieille femme, victime du crime de Raskol, qui vient le hanter en permanence. Elle apparait ici sous l’apparence du Joker, le super vilain, perpétuel adversaire de Batman ! Le costume du super-héros est montré comme un travestissement qui facilite le meurtre. Ici, à peine Raskol l’a-t-il enfilé qu’il trucide la vieille femme. Lorsqu’à la fin, il enlève son masque, et retire son costume de chauve-souris, il redevient un homme libre, libéré de son mensonge et de son crime.

Sikoryak travaille au plus près du style des auteurs cités : « Dans le cas de ma version de Crime et Châtiment de Dostoïevski, j’ai réuni un grand nombre de rééditions de Batman des années 50 pour pouvoir m’imprégner de leurs techniques de narration, de composition et de dessin. Pour cet exemple, je me suis tout particulièrement inspiré du style de Dick Sprang que je considère comme l’artiste le plus important de l’époque sur cette série. J’ai fait des photocopies de certaines de ses cases. Je les ai remontées, puis collées en fonction de leurs spécificités pour les rassembler ensuite dans un classeur : cela m’a servi de référence pour la conception de mes planches. En parallèle, j’ai dégagé les grandes lignes du roman pour les adapter aux contraintes narratives de la bande dessinée. Je pousse le vice jusqu’à imiter le lettrage des Batman de l’époque. Ce qui prime, c’est de respecter les intentions des deux œuvres : le style du comics et la trame du roman1. »
Observons une seconde rencontre proposée dans Masterpiece Comics, cette fois-ci entre Superman, de Siegel et Shuster, et L’Étranger d’Albert Camus. Le récit est condensé en huit couvertures d’Action Camus qui caricaturent les couvertures d’Action Comics, magazine qui publiait Superman. Ici, si le principe de l’hybridation est le même que précédemment, l’adaptation se double d’une contrainte, celle de la réduction.
Cette rencontre a priori improbable est pourtant assez judicieuse. Tout d’abord, les fausses couvertures, tout en reprenant les problématiques du roman, sont en accord avec Superman et ce que sous-entend sa présence sur notre planète : la solitude, l’abandon, l’absurdité et une forme de condamnation de la société : « J’ai toujours éprouvé un grand plaisir à jouer avec les similitudes et les disparités entre les personnages des comics et ceux des œuvres littéraires. Dans ce cas précis, les deux protagonistes, Meursault et Superman, sont des orphelins et des sortes de marginaux2 ».
Superman, envoyé dans l’espace par ces parents avant que leur planète natale ne disparaisse, est un émigré sur Terre, obligé de cacher sa vraie nature, coincé dans une double vie et une double identité. Le fils de Krypton devient ainsi aisément L’Étranger, semblable à Meursault, un personnage en marge de la société qui, à l’enterrement de sa mère, ne se comporte pas comme l’exigent les codes sociaux : il ne pleure pas et ne manifeste pas le moindre chagrin, alors que le soleil « insoutenable » et la chaleur lui paraissent le plus menaçants et désagréables pendant les obsèques. Tous les éléments de cette scène sont très bien rendus par Sykoriak qui plante un Superman, désinvolte et fumeur au milieu du cimetière. L’incipit de Camus, une des phrases les plus célèbres de la littérature, « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas » est scindé en deux, entre le titre de l’épisode et la question posée en direct par Superman.
Dans ces huit couvertures, on retrouve l’articulation du roman autour de trois événements importants : l’enterrement de la mère au début, le meurtre de l’Arabe au milieu et la condamnation à la fin. Dans les deux premiers événements, le soleil a une symbolique marquée, étroitement liée à la souffrance et à la mort, parfaitement mis en valeur ici par Sikoryak. Dans la bande dessinée, on se souvient de l’influence du soleil sur Superman : une partie de ses pouvoirs lui viennent de cette planète dont il absorbe les radiations…
L’éventail des styles abordés par Sikoryak est impressionnant. Il fait montre d’une capacité extraordinaire à se glisser dans le style de chacun des dessinateurs choisis. Il ne s’est pas engagé dans un seul genre de littérature ou de comics. Il va piocher dans toute l’histoire de la bande dessinée américaine, depuis le début du xxe siècle avec Little Nemo jusqu’aux Garfield ou Peanuts plus récents, en passant par les comics des années 50 et 60, pour les marier avec Voltaire, Kafka, Emily Bronte, Oscar Wilde, Goethe… Ce qu’agence Sikoryak, c’est une « inadaptation » délibérée. Mais, comme le souligne Loleck, « cette inadaptation est mesurée : car une analogie existe, de sorte qu’une forme de complicité s’articule entre l’œuvre littéraire choisie et le registre graphique dans lequel elle se trouve déplacée3. »
Entre pastiche, caricature, parodie, mise en relation, adaptation, ces hybridations manigancées par l’artiste, par-delà leur caractère parfois saugrenu, disent une vérité de chacune des deux sources ainsi « mixées ». Il y a bien quelque chose d’irrévérencieux et de réjouissant dans l’hybridation – le fait que Raskolnikov se transforme en Batman – mais il y a aussi ce travail de convergence, ce jeu de miroirs qui s’instaure entre ces récits croisés de sorte que Dostoievsky revèle une vérité sur Batman, Oscar Wilde sur Little Nemo, ou Kafka sur Charlie Brown. Dans une interview, Sikoryak précise : « j’essaie de choisir des œuvres qui ont eu un impact culturel, qui appartiennent à notre conscience culturelle collective. J’aime l’idée de trouver une connexion entre deux univers qui appartiennent clairement à des pôles opposés, en termes d’intentions et de publics et j’espère trouver suffisamment de parallèles entre leurs intrigues ou personnages pour en tirer profit4 »
On voit bien qu’un des objectifs de Sikoryak est de casser des clichés quant aux représentations qu’on se fait de la littérature ou de la bande dessinée et de créer des passerelles entre elles, montrer qu’il y a des traces de l’un dans l’autre à travers des problématiques communes. Au final, rend-il la littérature plus proche aux amateurs de bande dessinée et/ou rend-il la bande dessinée plus intéressante aux yeux des amateurs de littérature ? Probable qu’il parvienne plus à séduire les amateurs de bande dessinée, car le background en matière d’histoire de la bande dessinée se révèle plus important pour apprécier le jeu qu’il propose que le background en termes de littérature.

The Unquotable Trump

« Que pensez-vous du “waterboarding” [une forme de torture simulant la noyade] ? Je l’apprécie beaucoup. Je crois qu’elle n’est pas assez sévère. »

Plus récemment, en 2017, Sikoryak a publié The Unquotable Trump, une satire du Président américain à travers le détournement de couvertures de magazines ou d’albums de bandes dessinées emblématiques. Sikoryak s’est ici imposé une contrainte : n’utiliser que les mots prononcés par Trump lors d’événements publics ou d’interviews, sans procéder à aucune modification de termes.
Ce titre, The Unquotable Trump, est une référence à tiroirs ! En effet, il fait directement référence à The Uncredible Hulk, son titre et évidemment ce personnage particulièrement monstrueux, ce Dr Jekyll et M. Hyde de la bande dessinée, incapable de contrôler sa colère et ses métamorphoses. Mais le titre s’amuse également de la contrainte de la citation que s’est imposée Sikoryal puisque The Unquotable Trump pourrait être traduit par « l’Incitable Trump », on a presque envie de dire « celui dont on ne peut pas citer les propos » tant ils sont choquants, et dont le procédé choisi révèle toute la provocation  !
Sykoryak met en scène des batailles épiques entre super-héros et super-vilains qui constituent d’après lui un contexte particulièrement adéquat à la mise en scène de Trump : « Je pense qu’une partie de la raison pour laquelle cela fonctionne si bien est que les bandes dessinées sont souvent très tranchées lorsqu’elles décrivent le bien et le mal. Et parfois, leur vision du monde est très simpliste, tout comme les déclarations de Trump. Je pense que la bande dessinée peut être assez subtile et nuancée, mais pour cette série, je joue définitivement avec les stéréotypes de la bande dessinée5. »
Trump se trouve ainsi intégré dans des couvertures mythiques de la bande dessinée américaine, caricaturé en Hulk ou super-vilain. Le fait d’être transporté dans l’univers de la fiction déréalise le président américain, il n’est plus qu’un personnage de papier affublé des tares des personnages qu’il représente. Cette mise en scène attire l’attention du lecteur sur les mots de Trump. Des déclarations d’ailleurs souvent prononcées plutôt qu’écrites. En les sortant de leur contexte et en les écrivant comme un texte de personnage, l’auteur met ces déclarations à distance, les exhibe, les expose, les donne à relire. L’extravagance ou la violence des propos de Trump ressurgissent dans toute leur crudité, comme mis à neuf par cette expérience. La parodie de Sikoryak dévoile ici son esprit satirique. Cette mise en scène s’avère également jubilatoire pour un amateur de comics qui pourra chercher à identifier l’auteur, le style, le genre, l’époque à laquelle fait référence Sikoryak, et surtout le point de convergence entre le texte de Trump et l’œuvre sélectionnée. C’est donc à la fois un jeu de référence sur la bande dessinée et la parodie d’un homme politique, dont le but est de discréditer.

« Nous allons tellement gagner que vous allez être fatigués de gagner et vous allez venir vers moi et me dire: «S’il vous plaît, nous ne pouvons plus gagner ! »

Terms and Conditions,
The Graphic novel

Autre projet assez incroyable de Sikoryak : la mise en bande dessinée d’un document particulièrement illisible, à savoir les conditions générales d’utilisation d’Itunes d’Apple, un document de 20 000 mots qu’aucun utilisateur ne lit et que pourtant tous valident en cliquant sur le bouton « Accepter ». Ce texte est un document juridique qui engage l’utilisateur et protège surtout la société éditrice. Le seul à l’avoir lu entièrement est peut-être Robert Sikoryak qui l’a adapté en bande dessinée (publié chez Drawn and Quaterly en mars 2017, pas encore traduit en français). « Je me suis dit que les conditions générales d’iTunes feraient une bande dessinée très improbable. J’ai adoré l’idée d’adapter dans son intégralité un texte dont tout le monde a entendu parler, mais que très peu de gens ont réellement lu. » Et il ajoute « C’est quelque chose que les conditions d’utilisation ont en commun avec de nombreux classiques de la littérature ».
Ce projet aura demandé plusieurs années ; le résultat tient en 94 pages. Chaque page est réalisée d’après une planche de bande dessinée existante, redessinée dans le style de l’artiste original, avec une représentation de Steve Jobs qui prend la place et le style graphique du personnage d’origine. Les dialogues et les commentaires narratifs sont la retranscription exacte et intégrale des conditions contractuelles iTunes d’Apple. « En choisissant un texte sans narration, cela signifiait que je pouvais utiliser les scénarios des bandes dessinées que je parodiais pour créer un drame, du suspense ou de l’humour6 ».
Steve Jobs déambule dans ces univers multiples, allant de Little Nemo aux X Men. Steve Jobs a l’avantage de parler à tout le monde : sa tenue, lunettes et pull noir col roulé, est un uniforme parfait pour un personnage de bande dessinée, parce que forte visuellement et donc reconnaissable facilement. Aucune autre personnalité du monde du numérique n’égale son statut iconique. « Si j’avais utilisé les conditions d’utilisation de Facebook ou Amazon, par exemple, je n’aurais pas eu un personnage principal avec le même impact » révèle lui-même Sikoryak.
Le contraste est assez saisissant entre la neutralité du texte et certaines pages connues ou représentatives du style d’un auteur : celle de Steve Jobs en pleine recherche des Cigares du Pharaon par exemple. Ou discutant avec les protagonistes dubitatifs de Persepolis. Sikoryak précise : « J’ai vraiment essayé de représenter les différents types de bande dessinée : il y a des artistes européens et japonais, des auteurs indépendants et d’autres plus traditionnels, des auteurs édités sur papier et d’autres sur le web, des auteurs de roman graphique et des artistes publiés dans les journaux du début du xxe siècle… Je dois avoir passé autant de temps à choisir les artistes et à trouver des pages qu’à les dessiner ! »
Ce qui ressort de cette juxtaposition de planches, c’est qu’il n’y a pas de hiérarchie à l’intérieur de l’album, des auteurs à privilégier au détriment d’autres. Pour Sikoryak, il n’y a pas de barrières ni d’échelons. Le lecteur est convié à une représentation générale et éclectique de la bande dessinée, loin de tout sectarisme. Évidemment, le lecteur le plus aguerri s’amusera à reconnaître telle ou telle planche et en tirera du plaisir. Pour les autres, cela ne sera peut-être qu’une invitation à la découverte graphique ou une promenade dans l’histoire de la bande dessinée.

Terms & Conditions

Sykoriak ne cherche pas, comme dans les travaux précédents, à faire émerger des associations entre le texte et les planches choisies, mais cela ne signifie pas qu’on ne peut pas en trouver ! Comme dans une planche tirée du travail de Kate Beaton où un paysan médiéval demande une jeune fille en mariage. La proposition de mariage (un peu forcé) de Jobs n’est qu’une suite d’injonctions qui répète you agre, you agree / vous etes d’accord… Difficile de ne pas tisser de liens ! Sur une autre planche se produit un télescopage assez réussi et humoristique. Steve Jobs embrasse Jean Grey (connue en France sous le nom de Strange girl ou Marvel girl) juste avant qu’elle ne meure dans la Saga de Phénix noir (un récit des X-Men des années 70, écrit par Chris Claremont et John Byrne). Pendant qu’il l’embrasse, il lui chuchote passionnément à l’oreille : « Ceux qui recevront des cadeaux doivent avoir un équipement et des paramètres de contrôle parental compatibles pour utiliser certains de ces cadeaux. » par sa mise en scène, Sikoryak parvient à conférer à cette phrase un contenu quasi érotique !
Un critique américain a souligné : « le produit fini est remarquable pour plusieurs raisons : le texte reste tout à fait inaccessible, même transposé dans cette excitante tradition visuelle de bandes dessinées. Ce qui montre que délibérément ou pas, Apple a fait de vous un serf asservi à un seigneur dont vous ne parlez pas la langue. » Sikoryak met ainsi en évidence le langage sibyllin des documents de ce type où tout est fait pour que l’utilisateur ne comprenne rien de ce qui lui est énoncé, et qui ne sert en fait qu’à protéger les sociétés. Il affirme pourtant qu’avec ce projet, il ne cherche pas à devenir un ennemi d’Apple mais bel et bien d’expérimenter et de jouer avec cette forme d’adaptation.

Le travail de Sikoryak qui s’exerce dans l’aire du pastiche, de la référence détournée et de la parodie est tout à fait atypique. Entre ses adaptations littéraires qui sont plutôt des hybridations, ses mises en scène de Trump qui sont effectuées sous contrainte textuelle et iconique et son dernier travail qui est de l’ordre de l’exercice de style, du détournement et du pastiche, difficile de catégoriser cet auteur et d’étiqueter son travail. Il y a bien chez lui quelque chose d’oubapien qui relève du ludique, de l’expérimentation, du plaisir de la transgression et de l’emprunt de voies inexplorées par la bande dessinée.

Terms & Conditions : Sikoryak reprend ici une planche culte de Will Eisner qui avait intégré le titre du Spirit dans la forme architecturale du building, et qui avait utilisé le cadre de l’ascenseur pour figurer les premières cases.

 

 

¡ ADELANTE !

En cette fin 2018, c’est avec un profond chagrin que la rédaction d’Intercdi a accueilli la nouvelle du décès de José Francés.
Si quelques lignes ne suffiront jamais à rendre compte de ce que José a apporté à la revue, et encore moins à chacun d’entre nous, lui dédier cet édito qu’il a rédigé à votre attention de nombreuses années durant était une évidence. Les témoignages d’affection qui lui ont été adressés esquissent tous cette même présence au monde et à l’autre, attentive, généreuse, sensible. Avec son sourire si chaleureux, sa prévenance constante, son humanisme, sa bienveillance et sa grande humilité, José était un homme exceptionnellement attachant, qui nous manquera terriblement.
C’est en 1986, sur l’invitation de Roger Cuchin, fondateur du CEDIS, que José rejoint votre revue. Depuis, s’impliquant toujours davantage dans la vie de l’association, il a travaillé sans relâche à faire exister InterCDI à l’aune de son engagement professionnel, sur un chemin de partage, d’ouverture, et de curiosité. Lors de son mandat de président (2000-2010) mais déjà avant, et encore longtemps après, jusqu’à cet automne. Il nous a consacré une grande partie de sa vie, nous offrant, avec discrétion mais sans réserve, son regard précis, sa tempérance, son enthousiasme.
Ce numéro que vous tenez entre vos mains est le premier que nous aurons préparé sans lui. Et pourtant. Mon bureau recèle de mille et une de ses précieuses attentions qui rappellent toutes combien l’efficacité technique offerte par la modernité ne doit jamais faire passer un moyen pour une fin : pas un document de travail sans un petit mot personnel, pas un courrier sans une jolie carte choisie avec soin, pas un BAT sans un coup de fil enthousiaste se terminant invariablement par la même exclamation : ¡ Adelante ! Injonction joyeuse et résolument tournée vers l’avenir dont nous avions fait notre mot d’ordre, une sorte de cri de guerre même, qui scande chaque page de ce nouveau numéro dont le hasard du calendrier a fait qu’il soit le premier de l’année.
Le premier édito rédigé par José en tant que président (Intercdi n°167, sept-oct. 2000) s’intitulait « Continuité », et c’est sans aucun doute le plus bel hommage que nous pourrons lui rendre : continuer. Continuer de faire vivre la revue et le lien avec nos lecteurs en gardant pour cap ses principes, que Julie Mallon, sa compagne, décrit avec tant de justesse : « un partage harmonieux et complet des expériences, une curiosité critique mais sans jugement abrupt, disons une curiosité bienveillante pour ce qui se passe dans les CDI et une vigilance critique (pas forcément hostile…) vis-à-vis de l’Institution, le rappel à la mission d’éducation, c’est-à-dire d’ouverture des jeunes esprits et vers eux, en partant d’eux et du concret, de la vie, mais en les « élevant », pour leur donner des chances de comprendre leur vie personnelle et sociale. » C’est ainsi forts de ces lignes qu’il a défendues tant d’années, accompagnées d’un carré de chocolat (selon sa prescription annuelle) et de son injonction favorite, que nous vous proposons ce numéro pour bien débuter cette nouvelle année, que nous vous souhaitons douce, riche en projets et heureuse.
¡ Adelante !

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C’est à la suite de mon premier article paru en 2005 que j’ai été convié à participer à un comité de rédaction par Chantal Nicolas, la rédactrice en chef de l’époque. Impressionné d’être invité par cette revue que je lisais depuis vingt ans et qui était, à mes débuts, le seul lien entre documentalistes, j’étais arrivé très en avance et dans mes petits souliers (ce qui est à la fois un zeugma et une litote car je chausse du 47). José, sans doute en raison de l’horaire matinal de son train, était déjà là. Il m’a aussitôt accueilli avec une grande chaleur, enveloppante, qui chassa le trac de me retrouver devant une vingtaine de personnes que je ne connaissais pas. Il me donna immédiatement l’impression que je faisais partie de « la famille », que j’étais adopté. Au fil des réunions, au fil des ans, j’appris à le connaître, à l’aimer.
José était un homme bienveillant. Toujours prêt à monter au créneau pour défendre notre profession, toujours prêt à soutenir un collègue, José était toujours confraternel.
José, grand lecteur de journaux, avait trouvé sa juste place à la tête de notre revue. Sans lui, elle ne serait pas ce qu’elle est.
José avait une autorité apaisante. Lors des échanges parfois vifs entre les membres du Comité de rédaction, il intervenait et tranchait, c’était son rôle, mais en prenant à chaque fois en considération les opinions des uns et des autres pour que personne ne se sente oublié ou blessé.
José était d’une grande rigueur intellectuelle et morale. Pas d’étroitesse, pas de bassesse d’esprit chez cet homme-là.
José était respectueux des autres. Il avait ainsi un respect quasi filial pour Roger Cuchin, le fondateur de notre revue.
José n’a jamais cessé de nous accompagner, et lorsque, parfois, le vent mauvais nous traversait, il était toujours là pour nous conseiller ou annoncer des jours meilleurs.
José donnait l’impression d’être un homme solide, un pied ancré dans sa terre ardéchoise, l’autre en Espagne, du côté de Valence. Même s’il n’a pas gagné son dernier combat, il s’est toujours battu vaillamment.
José était rieur. Je revois son grand sourire, ses yeux qui pétillaient et ses épaules qui se secouaient lorsque je sortais une mauvaise blague (je n’en connais que des mauvaises !).
Comme qui aime bien, châtie bien, je l’avais gentiment chambré dans le début de mon billet « Pour en finir une bonne fois pour tout avec la culture », qui, je sais, l’avait amusé :
« Lorsque le mercredi 14 octobre 2009, au cours du Comité de Rédaction de votre revue préférée José Francés, notre vénéré directeur de la publication, pointa son doigt sur moi en m’interpellant : « Pour le numéro spécial Culture, Jean-Marc, tu nous feras bien un truc rigolo ? », je me suis retrouvé comme le taureau dans l’arène qui, tête baissée alors qu’il admire tranquillement l’élégance des espadrilles du toréador, sent brutalement l’acier glacé de l’épée pénétrer son cou et briser une à une ses vertèbres cervicales.
La métaphore taurine m’est tout de suite venue à l’esprit car je soupçonne José d’avoir des origines hispaniques. D’autant plus qu’il vient aux réunions d’InterCDI habillé de lumière et que quand on lui demande s’il veut un café, il répond toujours : « Olé ! »
Je ne pouvais me défiler devant une commande aussi pressante de celui dont la photo orne chacun des éditos de la revue et qui, tel le Grand Timonier, guide nos pas dans la purée de pois d’un métier injustement méconnu… »

Salut et Fraternité Grand Timonier
Hasta la vista, compa ñero !

Jean-Marc David
Secrétaire général du CEDIS

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Immense peine.
J’ai eu la chance de connaître José, professeur documentaliste infatigable, exerçant en collège dans le Nord, et militant pour la profession et l’éducation à l’information et aux médias pour tou.te.s.
Je me souviens de ce jour de l’année 2003 où il est venu s’attabler dans le salon de mon domicile parental, à Lens, pour travailler avec moi sur un article qu’on me demandait d’écrire à propos de mon travail de recherche effectué dans le cadre de mon mémoire de Maîtrise en Info-Comm. À propos des « travaux croisés », et de leur perception par les élèves. Un échange d’une grande richesse pour l’aspirante professeure documentaliste que j’étais alors.
Je me souviens de ce numéro de la Revue Intercdi, envoyé par José à mon domicile, et reçu juste avant de prendre le TGV pour aller passer les oraux du CAPES Documentation à Marseille. Sur la première page de cette revue, José avait rédigé un petit mot, plein d’encouragements et de confiance à mon égard. J’ai emporté ce numéro avec moi, et l’ai lu dans le train, le mot de José posé bien en évidence, comme un mantra.
Depuis l’obtention du concours, les années ont passé, mais je n’ai jamais oublié José, sa modestie, sa franche sympathie, sa bienveillance, et sa vision du métier et du monde, sa force de conviction. Je n’ai jamais oublié ce que ce regard profondément confiant avait provoqué en moi, en tant que (future) professionnelle mais aussi tout simplement en tant qu’être humain.
De façon régulière, et toujours discrète, José m’adressait, depuis cette première et forte rencontre, des petits signes, des mots, toujours empreints de cette gentillesse. Aujourd’hui, je garde précieusement au fond de moi chaque mot, chaque regard, chaque expression de ce visage si chaleureux. Et regrette de n’avoir pas dit tout cela à José de son vivant. Même si, je le sais déjà, il aurait balayé ce remerciement d’un revers de la main, baissant les yeux modestement, et disant « Je n’y suis pour pas grand-chose, je fais de mon mieux ».
Mais ce mieux était tant, José.

Anne Cordier
Ex-professeure documentaliste (62)
Maîtresse de Conférences en SIC, Espé de Rouen

L’esclavage

Cette litanie de dates montre l’évolution de la prise de conscience du caractère génocidaire de la traite négrière telle qu’elle s’est mise en place à partir du 15e siècle2. La loi Taubira parle bien de cet aspect de l’esclavage dans l’article 1 : « La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité. » L’article 2 évoque son enseignement à l’école : « Les programmes scolaires et les programmes de recherche en Histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l’esclavage la place conséquente qu’ils méritent .»

Un Marron, planche ©éd. Des Bulles dans l’Océan-Denis Vierge

Repères pédagogiques

L’esclavage et les traites sont au programme de 4e, dans le thème 1 : le 18e s., expansions, Lumières et révolutions. Un quart du programme d’Histoire est effectivement consacré aux traites négrières au 18e siècle, soit à l’apogée de ce trafic. Il est explicitement recommandé dans les programmes de ne traiter que cette partie, et non pas les origines de l’esclavage ou sa mise en place.

En classe de 2de, l’esclavage est traité surtout du point de vue des mouvements abolitionnistes, comme partie des mouvements de liberté des nations au 19e siècle, comme le précise le thème 5 du programme : Révolutions, libertés, nations, à l’aube de l’époque contemporaine.

Sites institutionnels

La création d’un comité chargé d’organiser les lieux et actions de commémoration de l’esclavage et de la traite est ordonnée par la loi Taubira. Après plusieurs changements de nom, ce comité devient en 2013 le Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage (CNMHE).  www.cnmhe.fr/
Ce site est très utile notamment pour toutes les informations législatives, et le calendrier des événements autour de la commémoration, notamment à travers sa page :
 www.esclavage-memoire.com/
Attention, certaines pages ne sont pas rafraîchies depuis quelques temps, et la rubrique Enseignement est un peu maigre.

Projet de fondation pour la mémoire de l’esclavage  www.lemonde.fr/politique/article/2018/04/27/une-fondation-pour-la-memoire-de-l-esclavage-sera-creee-en-2018-a-annonce-emmanuel-macron_5291735_823448.html

Organisation des Nations Unies
Le site web de l’ONU regroupe sur une page l’ensemble des ressources qu’elle propose à l’occasion de sa propre journée de commémoration de l’abolition de l’esclavage, le 2 décembre. On y trouve de nombreux textes de lois, déclarations d’intention et qui concernent aussi beaucoup l’esclavage moderne. Il peut être toutefois intéressant de signaler la dimension internationale de la commémoration.  www.un.org/fr/events/slaveryabolitionday/index.shtml

Un laboratoire du CNRS travaille sur les questions de l’esclavage, le Centre International de Recherches sur l’Esclavage (CIRESC). Sur son site, on trouve les travaux du laboratoire  www.esclavages.cnrs.fr, ainsi qu’un lien vers un site pédagogique  http://education.eurescl.eu . Ce dernier n’est pas vraiment à jour, mais certaines pistes peuvent donner des idées de parcours d’expositions.

Les musées

Mémorial de l’abolition de l’esclavage, Nantes. La ville de Nantes possède un grand mémorial de l’esclavage, en lien bien entendu avec le passé de port négrier de la ville.
 http://memorial.nantes.fr/
Le site propose des infos pratiques sur le musée, ainsi que des éléments pour aider les enseignants à préparer leur visite.
 www.chateaunantes.fr/fr/enseignants.
Différents parcours sont proposés, du primaire au lycée. Une sélection de ressources accompagne ces parcours d’exposition. Des expositions itinérantes peuvent également être empruntées.

Association Les anneaux de la mémoire, Nantes. Cette association, créée à la suite de l’exposition éponyme, travaille sur les mémoires de la traite négrière et l’ouverture culturelle entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique.  http://anneauxdelamemoire.org/
Elle propose également la location de matériel d’exposition, mallettes, expositions, etc.
 http://anneauxdelamemoire.org/outils-de-mediation/outils-pedagogiques/

Le mémorial ACTe, Pointe-à-Pitre
Ce mémorial, construit à la place d’une ancienne usine sucrière, est également un lieu d’expression de la culture caribéenne et programme, en plus des expositions permanentes et temporaires, des rencontres, concerts, contes, conférence, etc.
 http://memorial-acte.fr/

La route des abolitions de l’esclavage – Pôle mémoriel du Grand-Est. Ce pôle mémoriel est en fait un réseau de musées ou de lieux de mémoire situés dans l’Est de la France. Il est une association loi 1901 reconnue d’intérêt générale. Sur le site, on trouve l’ensemble des lieux visitables, mais également des ressources mises à disposition, notamment des expositions en prêt et des bibliographies.  www.abolitions.org
Quelques musées de ce réseau ont une page Facebook, notamment la maison de la Négritude à Champagney  www.facebook.com/MaisondelaNegritude/
et l’espace muséographique Victor Schoelcher, à Fessenheim  www.facebook.com/museeschoelcher/

Portrait de Renty, esclave africain, 1850, Les Routes de l’esclavage ©CPB Films

Déroulé de cours en ligne

Un déroulé de cours sur Bordeaux et le commerce triangulaire. http://pedagogie.ac-guadeloupe.fr/lettres_histoire_geographie_lp/bordeaux_et_commerce_triangulaire#attachments

« Les chemins d’une liberté, esclavage et abolitions »  http://pedagogie.ac-guadeloupe.fr/lettres_histoire_geographie_lp/bordeaux_et_commerce_triangulaire#attachments

Dossiers pédagogiques

 https://education.francetv.fr/matiere/temps-modernes/cm1/dossier/l-esclavage-comprendre-son-histoire
Dossier très complet autour de l’esclavage. Attention, il est à destination d’élèves de CM1, certains documents ne seront pas adaptés notamment les dessins animés « Il était une fois… ». Pour le reste, le format court des articles et des vidéos se prêtent très bien à une exposition au CDI, en collège.

 www.inrap.fr/dossier-actualite/sur-les-traces-de-l-esclavage-colonial
Un dossier constitué par l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives sur les fouilles de sites liés à l’esclavage : usines sucrières, plantations, etc.

 www.esclavage-martinique.com/
Chronologie de l’histoire de l’esclavage en Martinique.

 https://gallica.bnf.fr/essentiels/parcours-pedagogiques/esclavage
Ce parcours s’appuie sur les documents de Gallica (iconographie mais également littérature) pour créer un parcours pédagogique avec notamment des questions posées aux lecteurs, qui doivent trouver la réponse dans les documents. Plutôt pour le lycée.

Site Histoire par l’Image  www.histoire-image.org/fr/albums/traite-noirs

Expositions virtuelles

 http://exposvirtuelles.charente-maritime.fr/fr/expositions/la-traite-negriere-rochelaise-au-xviiie-siecle
Exposition virtuelle qui raconte cette fois-ci l’activité négrière de La Rochelle, autre grand port négrier français. On trouve des cartes, des panneaux explicatifs, des fac-similés de documents d’époque, type registres de commerces, etc.

La visite virtuelle d’une habitation sucrerie en Martinique, créée par quatre enseignants. Fiches pédagogiques téléchargeables, iconographie. Une ressource agréable à explorer.
 www.habitation-sucrerie.fr/index.php?lang=fr

 www.thinglink.com/scene/651720949619490817?buttonSource=viewLimits
Une carte Thing Link des principaux ports négriers français, avec des liens vers des ressources pédagogiques type FranceTV éducation. Idéal pour une mise à disposition sur un ordinateur en libre service lors d’une exposition dans l’établissement.

Marché aux esclaves à Zanzibar, Les Routes de l’esclavage ©CPB Films

Les routes de l’esclavage

Les Routes de l’esclavage est un documentaire en quatre parties de 52 minutes qui propose de retracer une histoire de l’esclavage, de l’Antiquité à la fin du xixe siècle, en s’appuyant sur l’ouvrage de l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch3, d’ailleurs conseillère historique du film. Né de la rencontre de trois documentaristes – Daniel Cattier, Juan Gélas et Fanny Glissant –, il s’avère un outil précieux à exploiter en fonction des ressources disponibles ou acquises en CDI pour cette occasion (cf. Ouverture culturelle de ce même numéro) et des possibilités dans votre établissement, lors de séances en co-enseignement avec les collègues d’Histoire-géographie qui ont cette problématique au programme. Résultat d’un travail de cinq ans, d’interviews de quarante historiens et de dix voyages à travers le monde, le film est une grande réussite, aussi bien sur le fond que sur la forme.
Tout d’abord, la forme. Le film est aisé à regarder : le discours est clair, et malgré le sujet tragique, le ton n’est jamais dramatique ou misérabiliste. Pour illustrer des événements précis ou des paroles de contemporains de l’époque, des séquences animées sont intercalées, ce qui permet d’introduire de l’anecdotique dans la suite des explications et interviews, et de varier le rythme du récit. Elles sont réalisées façon aplats de peinture animés, ce qui change des traditionnelles séquences de reconstitution un peu datées, où des acteurs pas toujours excellents amenaient plus de gêne que de compréhension…

Concernant le fond, la problématique du documentaire est la suivante : il s’agit non seulement de comprendre les mécanismes et l’économie de l’esclavage, mais aussi de se demander comment l’Afrique subsaharienne s’est retrouvée au cœur des routes de l’esclavage. Entre le viie et le xixe siècles, ce sont ainsi près de 20 millions d’Africains venus de tout le continent (Akans, Peuls, Yorubas etc. à l’ouest, Somalis à l’est) qui vont être réduits en esclavage et déportés. Comment une traite d’une telle ampleur a-t-elle pu se produire ?

476-1375 : Au-delà du désert

L’esclavage existe dès l’Antiquité, mais ce sont souvent des populations plutôt blanches et géographiquement proches, notamment de l’Empire romain. Si en latin on emploie le mot servus, qui a donné les termes « serf » « servitude », le mot esclave dérive lui du nom des Slaves.
En 476, l’Empire romain s’effondre, laissant la place à d’autres expansions. Au viie s., l’Empire musulman commence ses conquêtes, et a besoin de forces armées mais également de bras pour travailler. L’Islam interdisant d’asservir des musulmans, il faut trouver des forces plus loin. Au ixe siècle, une première traite s’organise entre l’Éthiopie, la Somalie et le monde arabe. Ces esclaves, nommés Zandj, arrivent en masse pour travailler en Mésopotamie. En 869, une révolte très violente marque un coup d’arrêt à cette traite. Petit à petit, Bagdad décline, au profit du Caire. Le marché de l’Afrique intérieure s’ouvre alors, d’autant que les esclaves commencent à se convertir à l’Islam pour échapper à leur condition. Les Arabes cherchent alors plus à l’Ouest, et traitent avec les Berbères, connaisseurs des routes du désert. Une route s’ouvre, reliant Le Caire à Tombouctou, porte de l’Empire du Mali, qui regorge de richesses, notamment d’or. À sa tête, l’empereur Soundiata Keita souhaite développer son pays et entretenir cette relation avec les Arabes. Mais il convertit son pays à l’Islam et les Arabes poursuivent plus au sud leurs recherches.
Entre les viiie et xive siècles, les Arabes ont ainsi déporté et réduit en esclavage près de 3,5 millions d’Africains. Aujourd’hui encore, ces routes transsahariennes sont utilisées par les populations fuyant les guerres et la misère, et tombent encore aux mains des marchands d’esclaves.

1375-1620 : Pour tout l’or du monde

Le Portugal, petit royaume côtier, cherche lui aussi à s’enrichir. En quête d’or bien sûr, mais les esclaves sont aussi une richesse. Plusieurs facteurs poussent les armateurs, encouragés par le roi Henri Le Navigateur, à chercher des voies de commerce vers l’Atlantique : contourner les Arabes présents dans le Sahara pour débarquer directement sur les côtes d’Afrique noire d’une part, d’autre part la place même de Lisbonne, seule capitale européenne donnant directement sur l’Atlantique. Les Portugais se lancent à l’assaut de l’Océan. Ils ne restent pas longtemps seuls : lorsqu’en 1453 Constantinople tombe, la route commerciale avec les Arabes et les Ottomans est coupée. L’Europe se lance à son tour sur la route atlantique : Flamands, Génois, Vénitiens suivent les Portugais. En 1471, ceux-ci s’installent alors sur l’île Saõ Tomé, d’où ils commercent avec le royaume Kongo, qui n’avait pas été en contact avec les musulmans. Le roi se convertit au christianisme, la noblesse s’entiche des nouveautés amenées par les Portugais. Ils s’y retrouvent en situation de monopole commercial. Toutefois, c’est toujours l’or qui les intéresse, et celui-ci se trouve dans l’actuel Ghana : se met alors en place une première forme de commerce triangulaire entre le royaume Kongo, les mines d’or et Saõ Tomé.
Sur l’île, les Portugais mettent en place le modèle économique de la plantation, en l’occurrence de canne à sucre. Le sucre est un produit très demandé, donc vendu cher, et est produit par une main-d’œuvre gratuite : c’est un modèle très rentable. Il est ainsi exporté rapidement au Brésil, découvert en 1500. Le sucre et la traite négrière qui en permet la culture deviennent ainsi la principale source de revenus pour la couronne portugaise. Toutefois, notamment à Saõ Tomé, une telle concentration de population opprimée conduit à des soulèvements : malgré la politique de « métissage » visant à défendre les intérêts des colons, une violente révolte éclate en 1595. Les Portugais abandonnent Saõ Tomé ; les plantations et les esclaves sont transférés vers le Brésil et les Caraïbes, au climat propice à la culture de la canne.
En 1620, les Portugais sont les maîtres incontestés de la traite négrière, 1 million d’Africains ont ainsi été déportés entre le xve et le xviie siècle.

1620-1789 : Du sucre à la révolte

Les nations se livrent à une guerre du sucre : 75% des esclaves sont déportés à cause du sucre. Les Antilles offrant les mêmes conditions que Saõ Tomé, la Hollande, l’Angleterre, la France font la guerre aux Espagnols et aux Portugais pour s’implanter dans la région. La reine d’Angleterre Elisabeth Ire encourage et finance ces raids corsaires.
Dans les plantations, les conditions sont extrêmement difficiles : à cause de la dureté du travail, les femmes tombent rarement enceintes, et le taux de mortalité infantile est très élevé. De plus, l’espérance de vie dépasse rarement les dix ans. Il y a donc un besoin constant de main-d’œuvre renouvelée.
Dans ce contexte, le système bancaire et d’assurances de l’Angleterre se développe, pour financer et assurer les grandes expéditions négrières. Les ports négriers se développent : Liverpool, Anvers, Nantes, La Rochelle, Bordeaux. L’argent de l’esclavage enrichit considérablement ces villes, et irrigue tout le pays. Souhaitant profiter de la situation, Louis XIV arme la France, mais la flotte ne fait pas le poids face à l’Angleterre ou la Hollande. La guerre a lieu sur les flots mais également sur les terres africaines : tout le long de la façade atlantique, des forts européens s’élèvent et sont de véritables enjeux stratégiques. Le commerce se poursuit avec les chefs de guerre locaux : les Européens vendent du métal, des objets, du tabac… en échange de captifs. C’est durant cette période que se met réellement en place la superposition de l’apparence et du statut, l’opposition entre les « Noirs » « Nègres », qui regroupent l’ensemble des populations noires toutes nations confondues, et les « Blancs », appelés ainsi par les esclaves des Caraïbes pour qui les oppresseurs n’étaient pas non plus issus de différentes nations.
En 1685 paraît en France le Code Noir. Ce code est une première tentative de régir les rapports entre maître et esclave, notamment en fixant des limites à la violence. Il est toutefois bien peu appliqué.
Dans les plantations, le feu de la révolte couve : de plus en plus d’esclaves se sauvent et se réfugient dans les forêts tropicales, on les appelle neg’marrons, terme dérivé de l’espagnol cimarron, qui désigne du bétail retourné à la vie sauvage. À partir des années 1720, les Caraïbes connaissent une flambée de violence qui met à mal l’industrie du sucre et de la traite. Dans les années 1780, l’opinion publique commence à s’émouvoir du sort des esclaves, des mouvements abolitionnistes se font entendre. Fin xviiie s., l’esclavage semble en perte de vitesse et décrié de par le monde.

1789-1888 : nouvelles frontières de l’esclavage

Mandy, cuisinière asservie à une famille d’Austin, Texas, 1865 ©AustinHistoryCenter/CPB Films

Les Blancs commencent à développer une grande peur des Noirs, tant ils craignent un soulèvement, à l’image de ce qui s’est passé en 1791 à Saint-Domingue. Menée par Toussaint Louverture, cette guerre dure douze ans, et se solde par une défaite de Napoléon Ier. En 1804 est proclamée la première république noire au monde : Saint-Domingue devient Haïti. C’est un très grand choc économique, dans une période de grande demande.
Les esclavagistes quittent Haïti et implantent les méthodes de culture intensive aux États-Unis (coton), à Cuba (sucre) et au Brésil (café). On passe à une économie de masse, avec une augmentation du rendement par esclave : à cette époque, l’Europe consomme massivement ces produits issus des colonies.
En Angleterre, les centres financiers se détournent peu à peu de l’esclavage et cherchent à investir dans les filatures locales : la traite finit par être abolie en 1807 et l’esclavage en 1833. À partir de 1815, elle oblige les autres pays à abandonner les routes de la traite négrière dans l’Atlantique nord4. Les esclaves nés aux Caraïbes sont emmenés aux États-Unis où la culture du coton se développe le long du Mississippi.
Entre 1815 et 1850, le Brésil continue la traite illégalement dans l’Atlantique sud : à Rio de Janeiro, pour un Blanc on compte quatre Noirs qui traversent l’Atlantique. Le principal port d’échange négrier est désormais Zanzibar, sur la façade Est de l’Afrique. Les États-Unis mettent en place l’esclavage industriel, et encouragent les naissances, quitte à en passer par le viol5.
Toutefois, tout au long du xixe s., les idées abolitionnistes gagnent du terrain : les États-Unis sont embarrassés, ils ne souhaitent pas être distancés par les idées progressistes européennes, mais ce sont les planteurs du Sud qui tiennent l’économie. En 1861 éclate la guerre de Sécession, qui fera des ravages entre le Nord abolitionniste et le Sud esclavagiste. En 1865, les Nordistes gagnent la guerre et l’esclavage est aboli. Dans les faits, les Noirs restent des citoyens de seconde zone, cantonnés aux tâches subalternes, n’ayant ni droit de vote, ni liberté de circulation.
1873 : les Européens, sous couvert de lutter contre la traite, contrôlent puis occupent les côtes africaines. Si la traite se termine avec Zanzibar, progressivement les colons s’enfoncent dans le continent pour faire main basse sur les richesses. L’esclavage n’existe plus, mais les colons font appel au travail forcé pour exploiter café, sucre, cacao, coton, caoutchouc. Des aventuriers comme Stanley6 achètent à vil prix des pans entiers du Congo au profit du roi des Belges Léopold II. Même les missions d’évangélisation ont une position ambiguë : il s’agit bien sûr d’instruire et de soigner les Africains, tout en affichant une « supériorité ».
En 1888, le Brésil est le dernier pays d’Amérique à abolir l’esclavage, c’est la fin de 450 ans d’esclavage, avec l’idée que le pays devait se « civiliser », « progresser ». Mais alors que faire de tous ces Noirs ? On veut « blanchir » la population, en encourageant la migration de milliers d’Européens pauvres.
C’est la fin de l’époque des grandes traites négrières, qui auront entraîné la mort de 50 millions d’Africains entre le viie et le xixe siècle.

Femmes esclaves du harem du sultan de Zanzibar, entre 1890 et 1900 ©CPB Films

C’est sur ce chiffre terrible que se conclut ce documentaire. Ce résumé est loin d’être exhaustif ; il n’inclut bien entendu pas tous les éclairages d’universitaires du monde entier, qui apportent moult précisions, mais qu’il aurait été fastidieux de retranscrire. Un détail m’a intéressée : ce film retrace une histoire de l’esclavage à l’échelle mondiale, et ne cherche ainsi pas à entrer dans toutes les dates qui jalonnent chaque Histoire nationale. Cela permet de sortir du côté « Histoire de France », qui n’est d’ailleurs pas de mise dans les programmes7, et de comprendre que la France n’est qu’un rouage dans l’Histoire du monde et pas son pivot.

Youtube à l’école

Youtube, qu’est-ce que c’est ?

En 2017, Youtube est le réseau social le plus utilisé par les 11-17 ans. À la question « Quel réseau social utilises-tu le plus ? », posée par l’étude de l’association Génération Numérique1, les jeunes répondent en premier Youtube (28 %), devant Snapchat (24 %).
Car, à l’instar de Facebook, Twitter et Instagram, Youtube est bien un réseau social. On y crée un profil, on y dépose du contenu (en l’occurrence des vidéos), qu’on aime, qu’on partage, qu’on commente. Le public touché par la diffusion de ces contenus est si vaste que dès lors que l’on souhaite publier quelque chose, on passe par Youtube : les artistes font la promotion de leur travail ou de leur actualité via des vidéos placées sur la plateforme ; les institutions ont leur chaîne, les médias traditionnels aussi, sans parler des innombrables particuliers qui se créent des communautés autour de sujets aussi divers que le maquillage, les jeux vidéo, les défis plus ou moins idiots, les récits de vie, etc.

Youtube, plate-forme éducative

Puisque tout le monde, créateurs de contenu et audience, semble se donner rendez-vous sur Youtube, il paraît pertinent de se pencher sur ce média, notamment pour en découvrir les trésors. Ce qui nous intéresse ici, ce sont les chaînes à vocation culturelle, éducative, voire pédagogique. Il en existe beaucoup ; le ministère de la Culture a d’ailleurs publié en novembre 2018 une liste de 350 chaînes culturelles et scientifiques francophones classées par discipline2. Le document est facile d’accès, l’introduction est claire, des liens vers des articles de revues professionnelles sont indiqués. Il peut donc tout à fait être diffusé tel quel à l’ensemble de l’équipe pédagogique et les collègues pourront choisir dans le sommaire la sélection de chaînes concernant leur discipline.
Toutefois, je l’ai étudiée pour vous, et vous propose ici, pour une exploitation plus immédiate, ma « sélection dans la sélection », en vous présentant quelques chaînes et indications pédagogiques : niveau, utilisation possible en cours, etc. Dans tout ce foisonnement, il est possible que je ne mentionne pas des chaînes qui vous semblent indispensables : n’en prenez pas ombrage et partagez vos chaînes préférées sur le compte Facebook @Revue Intercdi !

Informatique

Cookie connecté
Pour comprendre des concepts numériques et informatiques avec des graphiques et des émojis, rendez-vous sur cette chaîne. Les vidéos, d’une dizaine de minutes, expliquent ce qu’est un cloud, un algorithme ou qu’est-ce que la RGPD. Lien sur la chaîne
Le + : La vidéo qui explique les Systèmes d’Information en émojis.

 

Sciences

Physique-Chimie

Florence Porcel
Florence Porcel, journaliste, s’est spécialisée dans les vidéos scientifiques, tendance astronomie.
Le + : La playlist « les perles du PAF » où elle corrige et/ou précise des inexactitudes à propos de l’espace véhiculées dans les médias.

Mathématiques

Hans Amble
Cette chaîne est très clairement un support pédagogique : pas d’humour, pas d’effets de coupes, c’est simple mais efficace. Les playlists sont classées par niveau : terminale S option maths, première S, etc. Lien sur la chaîne
Le + : Sobriété et efficacité sont les maîtres mots de cette chaîne !
A voir aussi : Math un peu ça, avec un peu d’histoire des sciences. LPB Maths Vidéos

Biologie, Paléontologie

Cédrik Jurassik
Chaîne de paléontologie classique et bien ficelée, de l’ordre de l’amateur éclairé. Je ne conseillerai pas comme support de cours, mais comme conseil pour changer des clips, c’est tout à fait adapté. Lien sur la chaîne
Le + : Des dinosaures partout !
A voir aussi : M – Gigantoraptor, PaleoWorld

Connecsciences
Un biologiste et un géologue nous parlent de sciences naturelles à travers deux formats de vidéos, les unes d’environ 3 min, intéressantes pour attirer l’attention sur un point précis, plutôt niveau collège, les autres plus longues, environ 20 min pour développer un sujet. Lien sur la chaîne
Le + : Des « parenthèses » plus techniques insérées dans certaines vidéos, qui font un point sur des éléments comme la classification du vivant.

Biologie, sciences du vivant

La minut’
En 5 min, le youtubeur aborde des questions principalement autour de la nutrition et de l’alimentation. C’est clair, rapide et peut facilement servir à une introduction de séquences. Lien sur la chaîne
Le + : Convient dès le collège, pour changer un peu de C’est pas Sorcier.

Prof SVT 71
Une chaîne pédagogique, clairement conçue comme un support de cours. Les vidéos sont organisées par niveau de classe, de la 6e à la Terminale S spécialité SVT. Lien sur la chaîne
Le + : Conçue aussi pour les enseignants qui souhaitent mettre en place la classe inversée.

Dans ton corps
Julien Ménielle (frère d’Adrien Ménielle, pour celle et ceux qui suivent Golden Moustache), ancien infirmier puis journaliste, évoque des sujets un peu intimes comme le clitoris ou le psoriasis. Le ton décalé et l’allure de fan de métal du vidéaste peuvent aider à dédramatiser certains sujets. Lien sur la chaîne
Le + : Peut servir pour amorcer des cours d’éducation à la sexualité.

Dirty Biology
Léo Grasset est sans conteste le Youtubeur scientifique superstar (et accessoirement doctorant en biologie). De nombreuses vidéos, un parti pris un peu décalé « À quoi sert un pénis ? », « Godzilla aurait-il pu exister ? », font de cette chaîne une grande réussite. Lien sur la chaîne
Le + : La chaîne YouTalks, un podcast qu’il anime avec Viviane Lalande sur la vulgarisation scientifique sur Internet et Youtube.

Lettres, littérature

Bulldop
Booktube
Sur sa chaîne, Émilie alias Bulldop livre ses coups de cœur, ses dernières lectures, ses piles à lire…
Le + : Elle rassure les adultes en ayant une chronique régulière dans l’émission C’est au programme sur France 2, et manie parfaitement les codes des différentes vidéos Youtube : le déballage des nouveautés (Unboxing), ses rendez-vous (Mes dernières lectures, les 5 conseils, etc.), ce qui rend le format familier pour les ados.
A voir aussi : Les lectures de Nine, la chaîne de Nine Gorman, Piko Books

 

La brigade du livre
La Brigade, c’est une bande de fous du livre qui décortique pour nous les mystères de la littérature. Les vidéos font une dizaine de minutes, et sont construites comme une mini-série.
Le + : Le style est dynamique et agréable à suivre, le montage est très pro. Crossover avec l’excellente chaîne de cinéma Le Fossoyeur de films.

Le Mock
Deux étudiants lyonnais traitent de divers sujets autour du monde des livres : chroniques d’ouvrages, mais aussi histoire de l’édition, visite dans les médiathèques de la région… Les vidéos durent entre 5 et 10 min et sont construites comme des mini-documentaires. Lien sur la chaîne
Le + : Ils abordent également certains sujets d’EMI, comme l’orientation politique de la presse.

Histoire

Confessions d’Histoire
Les grands événements de l’Histoire du monde racontés par ceux qui les ont vécus ! Retrouvez les interviews de Jules César, Cléopâtre ou Agnès Sorel qui vont expliqueront tout en une dizaine de minutes. Lien sur la chaîne
Le +: Des costumes plutôt jolis, une info correcte sous forme humoristique. Quelques gros mots de temps en temps, mais rien d’affolant.
A voir aussi : Chroniques d’histoires

C’est une autre histoire
Manon Bril est une thésarde en Histoire et nous fait partager sa passion, notamment pour le monde antique, à travers différents types de vidéos. Lien sur la chaîne
Le + : Elle a créé différentes playlists, jouant sur l’effet « épisode de série », que l’on retrouve avec plaisir d’une fois sur l’autre. Peut permettre de créer un effet de rituel pour chaque nouvelle séquence, en Histoire mais aussi en arts plastiques (playlist « tu vois le tableau »)
A voir aussi : les portraits très réussis de femmes qui ont marqué l’Histoire, Virago, par Aude GG.

AlterHis
Cette chaîne s’amuse à proposer des uchronies, ces scénarios d’anticipation qui imaginent la marche du monde si un événement ne s’était pas déroulé comme il l’a fait. Par exemple, comment serait le monde si l’Allemagne nazie avait eu la bombe atomique ou si la France avait gagné la guerre en 1870. Lien sur la chaîne
Le + : Vidéos assez longues (plutôt 15 min) mais qui peuvent être utilisées pour une séquence en commun entre français (le récit d’invention) et Histoire (la période étudiée) en classe.

Revue du Monde
Charlie Danger, archéologue, explore l’Histoire le long de vidéos plutôt drôles, quasi pro et ainsi vraiment agréables à regarder, d’une dizaine de minutes. Lien sur la chaîne
Le + : Elle traite souvent de sujets un peu macabres, tels que les momies, les squelettes de diamant et les têtes réduites, qui devraient bien plaire aux élèves, souvent amateurs de sensations fortes

Géographie, Géopolitique

HugoDécrypte
Le jeune Youtubeur et étudiant à Sciences Po Hugo Travers propose une série de vidéos, courtes, documentées et dynamiques sur des sujets d’actualité. Il propose un décryptage des événements et des interviews politiques. Lien sur la chaîne
Le + : Le format court et l’aisance du jeune homme peuvent faire de bonnes introductions de séquences, en géographie mais aussi en EMI.
A voir aussi : Hugo Travers a également une autre chaîne, où il évoque plutôt l’actualité internationale, mais en anglais.

Mister Geopolitix
Des cartes, des graphiques pour répondre à des problématiques type « comment résoudre des conflits » ou « Séparer des pays par un mur ? ». Les vidéos sont assez longues, autour d’une vingtaine de minutes, mais bien documentées. Lien sur la chaîne
Le + : Une voix agréable et calme, loin du débit mitraillette de certains youtubeurs.
A voir aussi : Un peu moins travaillé mais intéressant quand même : Terra Incognita

Arts

Musique

Les chaînes musicales accessibles pour les élèves de secondaire sont souvent centrées sur le genre préféré du ou de la vidéaste :
Rock, métal : Metalliquoi ?, ou Enjoy the noise
Rap : Le Rapporteur
Opéra : L’Opéra et ses zouzs
Musique classique (que les profs de musique me pardonnent pour l’intitulé fourre-tout) : Révisons nos classiques
Pour les enseignant.e.s de musique, quelques tutoriels autour de la composition, les altérations, les rythmes : SiFaSil’le
Le + : La playlist Tutos.

Histoire de l’art

Muséonaute
Petite chaîne bien fichue qui emmène les spectateurs au musée sur des thématiques précises. Les vidéos durent une petite dizaine de minutes et sont accessibles dès le collège, dont utilisables en cours d’arts plastiques. Lien sur la chaîne
A voir aussi : Sous la Toile, une autre étudiante en Histoire de l’art ou REG’Art

Audiovisuel, cinéma, jeux vidéo

Développeuse du dimanche
Lola Guilldou nous fait découvrir les coulisses de la création d’un jeu vidéo en indépendant. Outre l’aspect découverte technique, il peut aider pour orienter une recherche de métiers. Lien sur la chaîne
Le + : Une femme qui présente son métier de développeuse, ça aide à casser les clichés…

Le Fossoyeur de films
François Theurel est un fou de cinéma et a développé sur sa chaîne toutes sortes de formats pour en parler. Top 10, Après-séances, courts-métrages qui mettent en scène son personnage de fossoyeur qui déterre les pépites cinéma. Lien sur la chaîne
Le + : La vidéo « Manuel de savoir-vivre du spectateur », qui devrait être montrée à tous les élèves avant une sortie au cinéma.

Game Spectrum
Chaîne qui parle des jeux vidéo comme sujets d’étude (et non pas des captations de jeu, qui intéressent beaucoup les élèves, mais qui sont plutôt du loisir). Lien sur la chaîne

Spécial Professeurs documentalistes

Les chaînes présentées ci-dessous sont plus spécifiquement à destination des profs docs. Ce sont des chaînes qui traitent des médias en général, et qui peuvent être utilisées soit en cours, soit à titre de veille professionnelle.

Le roi des rats
Large audience pour ce youtubeur anonyme qui dénonce des faits de société liés aux médias ou à Internet qui lui semblent importants : travail des enfants sur Youtube, téléréalité etc. Il y a clairement un parti pris, mais il peut être intéressant de jeter un œil, ne serait-ce que pour comprendre son audience. Lien sur la chaîne
Le + : Sa vidéo qui explique le fonctionnement de Tik Tok et qui a bien circulé sur les réseaux professionnels des profs-docs.

Fils de Pub
Petite chaîne pour décrypter les mécanismes de la publicité et du marketing pour donner envie d’acheter des produits. Le youtubeur parle du McDo et de parfum, produits courants dans l’environnement des élèves. Plutôt pour le niveau lycée. Lien sur la chaîne

Hygiène Mentale
Excellente chaîne où Christophe Michel explique les mécanismes de l’esprit critique avec des animations. Le propos est assez fouillé et les vidéos assez longues (15 min), ce qui en fait plutôt une chaîne pour le lycée, voire pour les enseignants. Lien sur la chaîne

Officiel Defakator
Defakator est un superhéros en cape et masque qui démasque les fake news ! La Terre est plate, les extraterrestres sont parmi nous, etc. Mais comme chaque vidéo dure entre 30 min et une heure, c’est clairement un outil de préparation de séances pour les profs docs.

Aude WTFake
Aude est journaliste et décortique les mécanismes des fake news, théorie du complot, site douteux, etc. Contenu sérieux et présentation pop, les vidéos sont réussies et facilement exploitables dès le collège. Lien sur la chaîne

Des Médias presque parfaits
Chaîne intéressante mais plutôt pour de la veille documentaire pour les profs-docs. Lien sur la chaîne

Absol Vidéos
Je classerai cette chaîne plutôt en EMI qu’en informatique, car le jeune homme a un discours assez conséquent sur Youtube et les mécanismes de diffusion de l’information sur Internet. Plutôt pour de la veille professionnelle. Lien sur la chaîne
Le + : Des entretiens assez longs avec des personnalités de Youtube mais pas que.

À part pour celles qui sont explicitement destinées aux enseignants, ces vidéos sont de la vulgarisation, elles n’ont pas vocation à remplacer un cours. Toutefois elles permettent de varier les approches et de se familiariser avec la syntaxe de ce langage très familier aux ados. Humour, travail sur le montage, citation et apparition (featuring, abrégé en ft.) dans les vidéos les uns des autres sont les constantes de ces vidéos, qui font ainsi passer des informations sérieuses dans un format ludique.

Dong !

Pouvez-vous nous présenter en quelques mots l’ambition éditoriale de cette nouvelle revue ?

Son ambition est d’essayer de donner le goût de la lecture de reportage. Le reportage, l’histoire vraie, le témoignage : tout ce qui raconte le monde qui nous entoure. Nous aimerions que Dong ! propose aux lecteurs de 10 à 15 ans un rapport à l’actualité un peu différent, plus distancié, sur l’air du temps plus que sur l’actualité immédiate.

Pourquoi privilégier le format du reportage, et plus généralement, à lire votre premier sommaire, du témoignage direct : reportage, autoportrait, entretien, mon histoire ?

Parce qu’il nous semble important de réfléchir ensemble au rapport à l’actualité proposé aux jeunes lecteurs aujourd’hui et de proposer des alternatives. C’est une génération qui a le smartphone en poche, une génération surinformée… Tous ces témoignages directs que nous donnons à lire dans Dong ! explorent le monde qui les entoure. Prendre le temps de lire, se plonger dans ce monde-là avec une revue de papier entre les mains, accepter un rythme de narration différent permet d’appréhender autrement les autres et peut-être mieux les comprendre et faire preuve d’un peu plus d’empathie…

Pourquoi ce nom : Dong ! ?

Pour des tas de drôles de raisons. Disons que c’est le résultat de très nombreuses listes, discussions, fous rires… Nous ne voulions surtout pas faire « faux jeunes », nous ne voulions pas de mot anglais, nous voulions faire envie et ne pas avoir l’air trop sérieux. Un jour, nous sommes tombés d’accord sur Gong (l’idée venait de la couverture d’un livre posé sur l’étagère du bureau d’Isabelle Péhourticq, éditrice documentaire Actes sud jeunesse à l’origine du projet avec moi), mais ce mot n’était pas libre (déposé par un groupe allemand dont c’est le titre d’un journal télé) ! Bref, un peu déçus et las car nous avions déjà un beau logo, on s’est dit que si on prenait Dong, on aurait qu’une seule lettre à changer ! Et finalement, c’est resté. Dong ! s’est imposé et aujourd’hui on adore ce nom. Il répond aux contraintes fixées initialement, il est léger et dynamique, c’est une onomatopée qui donne de l’élan…

Quel est le public cible ?

Les 10/15 ans. Cela peut sembler large, et en fait les lecteurs de cette tranche d’âge-là ont des niveaux de lectures et des centres d’intérêt très variables. Mais cela correspond à l’âge du collège. Nous avons fait en sorte que les textes soient accessibles sans être simplistes. Si des notions ou des mots sont un peu plus complexes, ils sont normalement toujours compréhensibles dans le contexte. Quelques mots sont quand même parfois expliqués en bas de page, mais nous avons essayé de ne pas en abuser pour ne pas alourdir la lecture. Par ailleurs, une rubrique du site a vraiment été conçue pour être complémentaire. Dans « Les plus », le journaliste apporte des précisions plus théoriques sur le sujet (par exemple, pour le premier reportage dans une classe UPE2A, on trouve le nombre d’élèves ainsi scolarisés, l’origine de ce dispositif…).

Dans un contexte de difficulté de la presse écrite, pourquoi ce(t audacieux !) pari ?

Parce qu’on y croit, même si on sait que c’est difficile ! Parce qu’on est convaincu que c’est important… Quand on lit l’enquête passionnante « L’abus de smartphone rend-il idiot ? » dans le Télérama n° 3594, on en est encore plus convaincu !

Comment s’organisent la rédaction de la revue et les rapports avec la maison d’édition Actes Sud ?

La rédaction en chef se fait en collaboration entre Isabelle et moi. Nous discutons beaucoup toutes les deux des sujets. Tous les avis sont bienvenus : le directeur artistique, Kamy Pakdel, notre secrétaire de rédaction, les graphistes… participent, et Thierry Magnier, directeur de la publication, nous fait aussi part du sien. Les auteurs sont indépendants et nous espérons qu’au fil des mois, ils seront de plus en plus impliqués pour nous proposer des sujets et que Dong ! soit le rendez-vous d’auteurs désireux de partager leur goût du reportage.

Comment le monde de la presse et le monde de l’édition se rencontrent-ils ?

Dong ! n’est pas vraiment un livre et pas vraiment un magazine. La rencontre se fait naturellement : les documentaires d’Actes Sud junior ont toujours incarné un regard, un point de vue sur le monde, avec une approche assez journalistique d’une certaine manière. La filiation avec la revue se fait assez naturellement. Et puis, comme nous portons le souhait de proposer un rapport à l’actualité plus doux, plus lent, le monde du livre, du papier est cohérent.

Qui sont les contributeurs ?

Des auteurs, des journalistes, des illustrateurs, des photographes… Tous viennent d’univers et d’horizons assez différents mais ils ont tous l’envie de s’adresser à de jeunes lecteurs. Trois rubriques sont directement écrites par des lecteurs (la correspondance en partenariat avec La Fondation d’entreprise la Poste, le témoignage en partenariat avec la ZEP, Zone d’expression prioritaire, la rubrique Ma mère revue et corrigée).

Il y a quelques photos, mais le parti pris graphique semble résolument tourné vers l’illustration : pourquoi ce choix ?

Le parti pris est surtout de montrer à quel point les visuels racontent aussi un sujet de reportage. Illustrations ou photographies ne viennent pas « souligner » le texte, ils apportent autre chose, comme un jeu de regards montrant les différentes facettes que peut prendre un sujet. Bref, dans Dong ! il y aura normalement autant d’illustrations que de photographies selon les sujets. Dans le numéro 2 par exemple, il y aura un reportage raconté essentiellement par les images d’un photo-reporter et le texte sera moins conséquent.

Ne craignez-vous pas que la longueur de certains articles (sans encadrés) ne décourage des ados qui ont plutôt tendance à faire de la lecture fragmentée ?

Cela fait partie du pari ! En fiction, ils prouvent qu’ils savent avaler des pavés… Nous avons le souci de soigner la narration pour les emporter dans notre histoire. C’est aussi dans la continuité de la ligne éditoriale d’Actes Sud junior pour les documentaires.

Pourquoi ne pas avoir créé de rubrique d’actualité culturelle dont on sait les ados friands ?

Parce que nous ne sommes pas un magazine justement, et que d’autres le font très bien. Nous les amenons vers autre chose. Cela ne nous empêchera pas de parler de musique ou de cinéma mais d’une autre façon que l’agenda des sorties.

Des hors-séries sont-ils imaginés ?

Nous en avons très envie et les thèmes ne manquent pas !

Dong ! est-elle présente sur Internet ? Si oui, de quelle manière ?

Un site est en ligne depuis mi-novembre. Il présente la revue en détail et comporte un contenu inédit dans la rubrique Les plus. Là, les auteurs racontent de façon très personnelle la façon dont ils ont travaillé et appréhendé le sujet. L’enjeu est de décrypter le travail médiatique et d’expliquer la façon de travailler des auteurs et journalistes mais aussi d’assumer leur subjectivité, leur regard, leurs hésitations, leurs appréhensions, leurs satisfactions.