L’oral comme praxis

Normalien, agrégé d’histoire, diplômé de Sciences Po, vous avez enseigné dans un établissement ZEP à la Courneuve, au pied de la cité des 4000, avant de devenir professeur d’art oratoire à Science Po Paris. Pouvez-vous apporter quelques précisions sur votre parcours personnel en lien avec les compétences orales et professionnelles ?

Après une dizaine d’années d’études supérieures, j’ai candidaté pour un poste à exigence spécifique lors de ma titularisation dans un collège à La Courneuve. Ce fut une redescente sur terre bienvenue. Enseigner à des adolescents de 10 à 17 ans vous conduit à quitter le monde nimbé des spéculations intellectuelles pour vous river à une seule question : comment faire passer ce que j’ai envie de transmettre ? Ce fut une mise en pratique personnelle de cet art de la parole qui est en premier lieu un art de l’écoute et de l’altérité. J’étais nourri par mes études bien sûr, mais aussi par la formation et la pratique du théâtre et particulièrement par une expérience de troupe de théâtre itinérant.
À Normale Sup’, au milieu des années 1990, j’avais mis en scène quelques pièces, Sartre, Gombrowicz… Nous étions une bande de copains. Et parmi ceux-là quelques-uns à vouloir une autre aventure. Non pas jouer devant les pairs, mais devant tous les publics, dans la tradition du théâtre populaire.
Une expérience de troupe, où vous débutez la journée par des parades sur les marchés – ou les parkings de supermarchés -, puis montez les décors de bois à la visseuse l’après-midi, puis installez les projecteurs pour jouer le soir, parfois dans le vent et sous la menace de l’orage. J’avais vingt-cinq ans, j’étais chef de la troupe : ce fut une école. Avec le recul, je crois que pendant ces heures innombrables consacrées à la mise en scène et à la direction d’acteurs, je me suis forgé comme pédagogue. Et sans doute suis-je allé vers le théâtre parce qu’au fond, ce qui me touchait, c’était cet accouchement de la personne pendant la répétition.

Comment en êtes-vous venu à ce théâtre de tréteaux ?

Avec un ami, au milieu des années 1990, nous nous étions rendus à la rencontre du Foostbarn Travelling Theatre, une troupe communautaire anglaise fondée à l’époque hippie qui jouait dans la banlieue de Dijon, sous chapiteau, l’Odyssée d’Homère, un spectacle dans la tradition de la Commedia Dell’ Arte, de Molière et Shakespeare. Après le spectacle, je demande aux comédiens où ils conseillent de se former. Ils répondent : « Il n’y a qu’un lieu, l’École Jacques Lecoq à Paris ». J’ignorais tout de cette institution davantage connue aux États-Unis, en Australie ou en Corée que dans son propre pays.
La rencontre avec Jacques Lecoq (1921-1999) a provoqué un séisme personnel. C’était un immense pédagogue de théâtre. J’étais élève dans son école deux ans avant sa mort, mais il transmettait toujours en personne. C’était une pédagogie conçue comme un voyage et dont la progression sur chaque journée, chaque semaine, l’une à la suite de l’autre, était pensée. J’avais un peu plus de vingt ans, le bon élève français, un élève si raide dans son corps. J’ai beaucoup souffert à l’École Lecoq au milieu des danseurs, des comédiens, des acrobates venus des cinq continents. J’y ai reçu une grande leçon.
La pédagogie de Lecoq est fondée sur l’engagement physique et l’observation du monde. Ariane Mnouchkine du Théâtre du Soleil dit qu’il a été son maître et je comprends pourquoi. Il fut l’inventeur génial du masque neutre, lui-même hérité de la tradition du masque noble du théâtre nô japonais.
C’est un outil pédagogique qui invite à un dépouillement personnel. Un masque en cuir que l’on se met sur le visage et qui permet de ressentir la sensation physique du calme et la relation à l’espace, élément clef dans le travail de l’acteur comme de l’orateur, mais aussi de l’enseignant et plus généralement de toute personne dont l’exercice de la parole est au cœur du métier. Bien sûr, une telle qualité fondamentale, l’état de réceptivité à ce qui nous environne, peut se travailler autrement que par le masque neutre, mais ce ne sera pas le même voyage.

Ecole Internationale de Théâtre Jacques Lecoq

Et l’art oratoire dans tout ça ?

Quand j’étais chez Lecoq, je sortais de Sciences Po et j’avais été déçu de ne pas y rencontrer un enseignement de l’art oratoire. L’oral qui faisait pourtant la réputation de l’École consistait en un exposé de 10 minutes produit par les étudiants, souvent assis, à lire leurs notes à toute vitesse, de crainte de ne pas avoir le temps de dire tout ce qu’ils avaient préparé. L’exposé était suivi à chaque fois d’une reprise de l’enseignant, qui s’attachait quasi exclusivement au contenu. Sauf exception, la « conférence de méthode » répétait inlassablement le même rituel monotone, deux exposés, deux reprises, que ce soit en économie, en histoire, en droit ou en relations internationales. On n’en pouvait plus (ça a beaucoup changé depuis). Quand je suis à l’École Lecoq, je découvre une nouvelle traduction de l’Institution oratoire de Quintilien, par Françoise Desbordes. Une traduction qui rend l’auteur antique lumineux pour le lecteur contemporain. Je tombe sur ce passage du XIe livre où Quintilien rappelle que les fondations de la maîtrise oratoire sont les mêmes que celles du jeu de l’acteur, qu’elles passent par l’entraînement physique, la respiration, les exercices vocaux et la gestuelle. Ce qu’on oubliait d’enseigner en France en dehors des meilleurs conservatoires de théâtre et de chant… ou de l’École Lecoq…

Est-ce cette lecture qui a guidé votre projet ?

C’est mon Eurêka. Peu après, je soumets à Richard Descoings (1958-2012) qui avait été mon enseignant à Sciences Po – en droit, en notes sur dossiers – et devenu entre-temps directeur de l’institution, un projet de séminaire pratique qui transmettrait aux étudiants les fondations de l’art oratoire. La même année, alors que j’enseigne au Collège Jean Vilar à La Courneuve, aux pieds de la Cité des 4000, nous lançons les Conventions Éducation Prioritaire qui visent à recruter rue Saint Guillaume des talents venus des territoires défavorisés que l’on n’arrivait pas à recruter jusque-là. Nous étions en l’an 2000. Depuis, près de 2300 élèves venus de plus de 100 lycées ont été sélectionnés par cette voie d’admission. Je ne compte plus aujourd’hui ces anciens étudiants devenus des interlocuteurs, à très haut niveau de responsabilité, qui sont enfants des sans-grades, chômeurs, ouvriers, éboueurs, agents d’entretien, mineurs mis à la retraite d’office à 40 ans car on fermait les dernières mines dans le Nord et en Lorraine. Je n’oublierai jamais qu’en 2001, les détracteurs de la réforme nous opposaient : « Mais un enfant d’ouvrier, ça ne peut pas s’intéresser à la politique ! ». Dans l’enseignement de l’art oratoire comme dans le recrutement, il s’agit de révéler des talents et de restaurer l’égalité des chances.

Dans le rapport (remis le 19 juin 2019) « Faire du Grand Oral un levier de l’égalité des chances », vous insistez sur l’importance de l’oral au cours des études, de l’école au lycée, avançant l’idée que le « Grand Oral » constitue l’aboutissement du parcours scolaire.

L’héritage que nous avons reçu, c’est un oral qui ne fait pas partie des priorités de l’École républicaine, toute focalisée sur le triptyque « Savoir lire, écrire, compter » et ce, depuis plus d’un siècle. Pourtant, parler en public est bien une compétence fondamentale pour réussir dans la vie. Et accessible à tous, pour peu que les techniques en soient enseignées. Un préjugé qui a la vie dure est qu’il s’agirait d’un talent de naissance. C’est ce que disent certains qui ne l’ont jamais enseigné !
Il faut tout réinventer, mais on ne part pas de rien. De la petite enfance à la terminale, il existe des initiatives sur l’oral, menées par des enseignants, parfois par des établissements entiers dans le cadre d’un projet pédagogique ambitieux, mais malheureusement de façon marginale. Lorsque j’effectue des sondages parmi les étudiants de Sciences Po, en leur demandant s’ils ont appris à parler en public à l’école, huit à neuf sur dix me répondent par la négative. Il y a néanmoins ces quelque 10 à 20 pour cent qui ont connu une expérience heureuse et fondatrice à l’école. Il faudrait vérifier si de tels chiffres sont corroborés à l’échelle nationale. Lorsque je collabore avec des rectorats, les équipes de l’inspection sont tout à fait capables d’identifier des pratiques pédagogiques orales, certes minoritaires, mais heureuses, qui ont cours dans certains établissements. Il y a intérêt à commencer par là, établir l’inventaire des bonnes pratiques, les analyser, les faire connaître, inciter à s’en inspirer. Et avoir à l’esprit que si l’on remonte plus loin dans le temps, nous avons connu une tradition pédagogique de l’oral, à l’époque médiévale bien sûr, avec la disputatio, mais de façon plus intéressante encore depuis le XVIIe siècle, avec des progressions pensées sur plusieurs années, particulièrement dans les écoles protestantes, jésuites ou oratoriennes dont il y a aussi des enseignements à tirer.
Certains opposants à la réforme du Grand Oral vous disent qu’un élève de terminale ne sera pas capable de parler debout et sans notes pendant cinq minutes. Je crois qu’ils ne posent pas la bonne question. La vraie question, mais aussi la plus dérangeante pour nous est de nous demander pourquoi des enfants qui, à l’école primaire, sont capables de faire des exposés debout, de dire devant toute la classe des mini-nouvelles dont ils sont les auteurs, de jouer des saynètes de théâtre, de déclamer des poésies avec plaisir, perdent cette faculté pendant les années collège. Quel est ce dispositif pédagogique qui ne nous permet pas d’étayer sur les acquis de l’enfance, d’aider l’adolescent à construire avec méthode ce qui a été découvert dans un esprit de jeu ? Alors oui, dès le collège et le lycée, mais aussi bien avant, dès l’école primaire et la maternelle.

Vous faites référence aux neurosciences, en lien avec le théâtre, notamment à propos des neurones miroirs « avec les neurones miroirs, les neurosciences découvrent ce que le théâtre sait depuis longtemps » (p. 12).
Pouvez-vous développer ce point ? Comment le distinguer d’une pratique ordinaire du mimétisme ?

La formule est de Peter Brook, une autre personnalité majeure du théâtre, qui lui-même a mis en scène L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, adapté du livre du neurologue Oliver Sacks. Le dialogue entre art et science, teinté d’humour, ne s’arrête pas là, puisque Giacomo Rizzolati qui, avec ses équipes, a mis en évidence les neurones miroirs en 1990, cite Peter Brook dès la première phrase de l’ouvrage qu’il a consacré à sa découverte. Je doute que les neurosciences renversent la table dans notre compréhension de la parole et de son partage. Elles nous permettent de comprendre plus précisément ce qui est en jeu. Ce que les hommes de l’art, comme Peter Brook, c’est un fait, pratiquent comme règle de l’art et parfois de façon plus exploratoire depuis des millénaires. L’apprentissage par le mimétisme que vous évoquez, présent partout dans le règne animal et chez le petit humain, s’explique justement en grande partie par la mise en évidence des neurones miroirs. Comment un geste que vous faites, même abstrait, déclenche une stimulation électrique dans mon cerveau comme si moi-même j’effectuais ce geste, peut-être pas de même intensité, peut-être pas en stimulant tous les mêmes neurones mais tout de même. À partir de là, c’est toute la généalogie du langage humain qui peut être revisitée et questionnée et les scientifiques ne se privent pas de le faire. Comment nos ancêtres préhistoriques, accédant à la position debout ont pu joindre le geste à la parole ? Est-ce que le geste a précédé, accompagné ou suivi la parole transitive puis abstraite ?

 

Un tel questionnement a-t-il des incidences sur votre pédagogie ?

Ce n’est en effet pas seulement un horizon spéculatif. Cette question intéresse aussi le pédagogue. Si mon geste aide l’énonciation et la formulation, ce que des phoniatres et des pédagogues ont compris bien avant que les neurosciences ne le confirment, on saisit bien qu’un enseignement de l’art oratoire s’adressant à des élèves assis ou les mains dans le dos, ou même les bras le long du corps serait stérilisant. Combien de fois des apprenants me disent « Je ne sais pas quoi faire de mes mains, de mes bras ! ». Or, des formateurs qui ont peu de conscience corporelle n’insisteront pas sur la gestuelle, voire, parfois, pour masquer leur ignorance, glisseront la question sous le tapis, diront : « Oh de toute façon, la gestuelle, cela ne s’apprend pas… » ou encore lâcheront : « Quand on est convaincu par ce que l’on dit, le geste vient tout naturellement… ». La vérité est que la gestuelle, comme la voix se travaillent. L’entraînement réveille les potentialités de chacun, libère des habitudes qui nous limitent, qui sont acquises pour la plupart – et non innées -. Comme pour les autres arts, il faut passer par des gammes, et c’est ce qui va nous libérer. Quand le pianiste se sentira-t-il enfin libre dans son interprétation de Chopin ? Dans un autre domaine, la conduite automobile, au prix de combien d’heures d’apprentissage avons-nous acquis une fluidité au volant ? (Si jamais nous l’avons acquise un jour…) Pour la prise de parole en public, la maîtrise s’acquiert beaucoup plus rapidement et aisément. Il s’agit en moyenne de 10 minutes par jour pendant deux ou trois semaines.

Il faut donc s’entraîner, multiplier des exercices, suivre une méthode…

Mon premier ouvrage, Tous orateurs, chez Eyrolles, co-écrit avec Hervé Biju-Duval, dit comment nous envisageons les choses, comment notre pratique de l’enseignement nous permet de dire qu’elles doivent s’envisager : toute personne, avec un minimum d’entraînement, peut parler en public. L’ouvrage est une méthode, présente des mises en situation, des témoignages exclusifs d’artistes comme Alain Souchon ou Jean-Michel Jarre, d’un journaliste, Ali Baddou, et des exercices d’entraînement.
Le dernier né, Je réussis mon Grand Oral du Bac1, s’adresse spécifiquement aux lycéens de terminale. Je l’ai écrit avec Paul Vialard, compagnon de route et pédagogue comme moi. Et une éditrice, Elisabeth Sanchez, aguerrie à l’écriture de manuels scolaires. Nous avons consacré neuf mois à le composer, à l’écrire et le réécrire – Vingt fois sur le métier… – à l’illustrer, tant l’enjeu de s’adresser au public des élèves, de leur donner les clefs pour parler en public requérait d’être méthodique et précis. L’ouvrage est conçu comme un vade-mecum pour le Grand O, je pense dense, technique et sérieux, tout en étant accessible à tous. Il détaille les enjeux de l’épreuve et de sa préparation, mais a aussi pour objectif de permettre à l’élève de construire étape par étape sa compétence de parler en public. Il présente ainsi une centaine d’entraînements progressifs. Si l’élève conserve ce livre dans sa bibliothèque au-delà de l’année de terminale, parce qu’il estime que cette méthode lui sera toujours utile, nous aurons gagné notre pari pédagogique.

Enseigner l’oral cela ne demande-t-il pas du temps, un apprentissage continué ?

De combien d’heures d’enseignement jouit un élève, de la maternelle à la terminale ? Un paquet compris entre 12.000 et 15.000 heures. C’est juste colossal. Pour ce qui est de l’oral, quelques heures suffisent pour s’approprier les fondamentaux. Une demi-journée en demi-classe. Il y a très peu de prérequis. Certains linguistes et sociologues vous diront le contraire, opposant l’argument du biais social – qui existe – comme une fin de non-recevoir. Ils ne parlent en réalité pas de la même chose. Ils se focalisent sur la linguistique et la maîtrise lexicale, au lieu de considérer l’enseignement de l’oral et ses fondations. On ne peut pas leur en vouloir dans la mesure où cet enseignement de l’oral, ils ne l’ont pas eux-mêmes rencontré. Je crois qu’ils écrivent cela en toute bonne foi, mais dans une connexion très fragmentaire avec le réel. Si vous relisez attentivement Marcel Mauss et Pierre Bourdieu, vous constaterez que les fondateurs ont bien évoqué l’oral comme une technique du corps. Cela pourrait mettre la puce à l’oreille. L’oral est une praxis.

C’est à dire…

C’est une pratique sur soi en relation avec les autres et un processus. La plupart des enseignants de l’oral s’adressent à des publics de tout âge, de toute condition sociale, avec les mêmes résultats, des progrès très rapides de l’apprenant, une maîtrise des fondamentaux en quelques heures. Je travaille régulièrement avec des personnes en situation de handicap. Un collègue et ami vient d’animer un séminaire pour des personnes nées avec une trisomie 21. J’ai encore à l’esprit l’exemple de cette clinique psychiatrique où chaque année, patients et personnels soignants préparent et jouent ensemble une pièce de théâtre : chacun va le chemin, personnel et collectif, semé d’embûches bien sûr, mais qui emmène plus loin. L’oral est le plus inclusif des modes de transmission et d’interaction que je connaisse.

Quel rapport voyez-vous aux apprentissages de l’écrit ?

L’écrit et l’oral sont les deux jambes d’une éducation équilibrée. Il est funeste qu’en France, on ait cru pouvoir éduquer les élèves en leur demandant de courir à cloche-pied, en concentrant l’essentiel des apprentissages sur l’écrit. Je vous ai parlé tout à l’heure de ces écoles primaires où les enfants déclament et interprètent de la poésie. Mais imaginons que la récitation d’une poésie ne soit associée qu’à un exercice de mémorisation. Je récite par cœur et, de fait, je m’arrête au milieu du gué sur le chemin de l’oral. Car le plus intéressant ne vient-il pas après, lorsque l’enfant pourra mettre en jeu sa sensibilité pour interpréter le poème ou la fable ? Au moment où il pourra réellement nourrir son goût de la langue et les interactions avec l’auditoire.

Votre projet, votre démarche sont politiques en même temps qu’éducatifs ?

Il y a dix ans, j’ai publié une tribune dans Le Monde intitulée « Savoir lire, écrire, compter et… parler en public » (parue le 20 octobre 2011). J’enseigne l’art de la parole depuis vingt ans. À la fin de l’année 2020, j’aurais accompagné près de 8000 personnes dans l’acquisition de cette maîtrise fondamentale. Cela peut paraître beaucoup, mais sur vingt ans, ce n’est pas tant que cela. Et si l’on pense aux 67 millions de Français… Oui, c’est un combat.
Il s’agit bien d’un projet politique, une affaire de la cité : donner la capacité de parler en public à tous. Voilà bien une réforme de société, et je ne crains pas de le dire, aussi radicale et progressiste que celle des congés payés sous le Front Populaire, de l’IVG ou de l’abolition de la peine de mort. Une réforme qui concerne aujourd’hui 12 millions d’élèves. Mais je souhaite relativiser le « vous » que vous m’adressez. S’il renvoie à un individu solitaire que je serais, je le récuse. C’est par un prisme trompeur que l’on croit aux réussites individuelles et que l’on oppose la personne au collectif. L’enseignement de l’oral en France ne peut réussir que dans une dynamique collective. J’insiste sur ce point, non par humilité ou par fausse modestie, mais parce que c’est la réalité et parce que le politique naît de ce collectif.

Enseigner ou pratiquer l’oral c’est construire du collectif avant tout ?

Je crois que si, en France, on était davantage attentifs aux conditions de réussite des collectifs, et ce, dès l’école, on ferait des pas de géant. Dans notre histoire récente, on l’a constaté de façon magistrale dans notre façon de répondre à la crise sanitaire qui n’a commencé à être satisfaisante qu’à partir du moment où l’on a restauré le collectif. Les grandes réussites, qu’elles soient économiques, sociales ou artistiques ne sont que collectives. Que serait devenu Picasso sans sa rencontre avec Georges Braque et tant d’autres ? Je vous ai parlé tout à l’heure du creuset dans lequel s’est construit Jacques Lecoq. Revenons à l’enseignement de l’oral qui est une aventure collective. Je ne suis moi-même qu’une personne parmi d’autres pour la porter. Ce n’est pas moi qui ai pris l’initiative de la mission ni qui ai pris la décision du Grand Oral.

Comment s’est concrétisé ce collectif à Sciences Po ?

C’est un compagnonnage sur 20 ans. Une équipe portée au fil du temps par une trentaine de personnes, des universitaires, des comédiens, des chanteurs lyriques, des chorégraphes, qui a mis au pot commun pour spécifier les séquences pédagogiques les plus utiles pour enseigner l’art de la parole à des publics divers. Des universitaires canadiens et suisses, spécialistes en sciences de l’éducation, nous ont également donné de très précieux conseils. Sciences Po est lui-même le creuset qui a permis ces rencontres et l’exploration de cette pédagogie. L’actuel directeur de Sciences Po, Frédéric Mion, ne m’en voulez pas de lui rendre hommage, ce n’est que justice, s’est intéressé de près à ce que nous proposions, nous a fait confiance et a tout fait pour accompagner cette innovation. Il a ainsi créé un Centre d’Écriture et de Rhétorique à Sciences Po au sein duquel nous avons pu nous déployer. Si on ne fait pas confiance à une innovation, si on ne l’accompagne pas dans la durée, elle meurt ! Au-delà de Sciences Po, le rapport de préconisations sur le Grand Oral est encore le fruit d’une intelligence collective qui s’est cristallisée au printemps 2019, où les équipes du ministère et de l’inspection générale ont joué un rôle déterminant.

Convaincre, séduire, captiver un auditoire : quel sens donner à ces verbes ? Qu’en est-il de la dimension « sincère » du message et dans un contexte scolaire du « penser par soi-même », de porter sa propre parole, son ethos, fruit d’une maturation et d’une instruction comme vous le soulignez vous-même ?

Cette question est tout à fait fondamentale. Comment favoriser la parole propre de l’élève à la faveur du Grand Oral qui est aussi un oral de maturité pour reprendre la formule de Pierre Mathiot. Certains, reproduisant ce qu’ils ont eux-mêmes connus, rêvaient d’en faire un petit oral d’agrégation. Inutile de dire que si l’on transforme le Grand Oral en interrogatoire de connaissances et que l’on fait des jurys des juges de touche, on n’aura rien accompli et on ira droit dans le mur. Le plus intéressant pour le jury est de se positionner comme accompagnateur, plus du côté de la maïeutique socratique que du quizz. Le jeune adulte en face de moi, comment puis-je l’aider à aller plus loin dans sa réflexion sur sa question et sur son projet ? Ce regard exigeant mais bienveillant est indispensable pour susciter un échange de qualité. Mais il ne suffit pas.

Il y a aussi ce qui se joue du côté de l’élève…

Exactement. Et bien en amont, dès le choix des questions par l’élève. Là se jouera déjà 50 % du succès pour chacun. Une idée géniale (et je peux d’autant mieux le dire qu’elle n’est pas de moi) est que le lycéen doive articuler le choix de ses questions à une réflexion sur son parcours et ses souhaits d’orientation. Si le lycéen part de lui-même, de sa curiosité, de la façon dont il se projette pour définir sa question, avant de chercher le lien avec le programme de spécialité, nous sommes dans la bonne dynamique.

Cela n’est-il pas garanti ? La démarche projet s’inscrit dans cette perspective…

L’expérience nous a appris le contraire. Si l’élève est incité à choisir parmi une liste de 30 sujets établis à l’avance par l’enseignant, comme cela s’est vu lorsque la pratique des TPE était dévoyée, ou pis encore, parmi des sujets glanés ou achetés sur internet, on a peu de chance de susciter son adhésion au projet éducatif du Grand Oral. Permettez-moi de prendre un exemple personnel. À l’automne dernier, j’ai effectué à la demande d’un chef d’établissement, un pilote avec une trentaine d’élèves de première. À 8 h, la plupart étaient dans le brouillard pour le choix de leur sujet et pour tout dire, très peu motivés. L’un d’eux était même assis de travers m’opposant presque son dos, signe qui ne trompe pas un enseignant en début de séance.

……

J’ai d’abord voulu sauver ma séance. Nous étions début novembre. Je ne connaissais rien du texte officiel qui est sorti en février. Je leur ai dit : « Partez de vous, pas du programme de spécialité, après on verra ». Puis nous avons partagé les fondamentaux (la posture, le regard, la respiration) de façon à ce qu’ils aient les repères pour parler debout devant les autres, objectif pédagogique de la session, à la fin de la matinée. À la pause de 10 h, le même qui me tournait le dos vient me trouver. Il me dit :
« Je fais du basket, en fait, je suis même basketteur de haut niveau. Est-ce que vous pensez que je peux faire quelque chose sur « le corps du basketteur » ?
– C’est-à-dire ? je lui demande.
– Eh bien, quelle est la part de l’inné ? la part due à l’entraînement ? Existe-t-il des normes concernant ce corps du basketteur ? »
J’ai évidemment trouvé la proposition excellente. Comme ce lycéen envisageait une spécialité en SVT et en Physique, les passerelles avec le programme étaient massives : le génome, l’analyse du mouvement, etc. Ce jour-là, à l’issue de la session, les 30 élèves de première étaient capables de parler pendant 1 à 3 minutes du sujet qu’ils avaient choisi, debout devant les autres. Et cela avant les dizaines d’heures de travail que requerra la préparation du Grand Oral. Je crois que dans l’ensemble, les élèves et les enseignants peuvent être confiants dans ce choix personnel de départ. Cela peut faire peur bien sûr. Comme enseignant, on se dit qu’on ne maîtrisera pas tous les sujets, etc. En vérité, on va gagner un temps considérable, tout simplement parce que l’élève sera motivé et que l’on aura simplement à l’accompagner.

Ne craignez-vous pas de voir fleurir des sujets fantaisistes et/ou de peu d’intérêt ?

Il y a bien sûr une contrepartie au choix du sujet par l’élève et que les enseignants de spécialité auront bien sûr à valider. Outre le lien avec le programme qui va inciter l’élève à s’en enquérir de façon active, il y a l’étape fondamentale de la documentation. De la qualité de celle-ci dépend la qualité du travail qui suivra et qui pourra mûrir sur de longs mois. Recueil de données, sitographie, bibliographie. Plus que jamais les CDI seront le poumon du lycée. Il est donc tout naturel que les textes officiels aient prévus que les professeurs documentalistes qui sont responsables de la formation des élèves à l’information-documentation, à l‘éducation aux médias et à l’information puissent faire partie des jurys.

La distanciation physique en situation de pandémie ne fait-elle pas écran à l’interaction ? Ne nous amène-t-elle pas à revoir l’approche ?

Vous m’auriez posé la question en février, je vous aurais répondu qu’il était impensable d’enseigner la prise de parole en public à distance. Et puis… le confinement est venu… Comme les autres collègues, j’ai été mis au défi de m’adapter. Au total, j’ai donné une cinquantaine d’heures d’enseignement à distance en art oratoire, de fin mars à fin avril, à des étudiants qui participaient simultanément au même cours, qu’ils soient en France, au Liban, aux États-Unis ou en Asie. Et j’ai constaté que cela fonctionnait très bien. Tout simplement parce qu’il s’agit d’une pédagogie active et que les outils numériques mis à disposition permettent les interactions. Alors, oui, il faut d’emblée envisager des formations à distance, non seulement en prenant en compte le risque d’un nouveau confinement, mais tout simplement parce que désormais, avec ou sans pandémie, les élèves auront à être éloquents en présentiel comme dans la réalité virtuelle. Animer un webinaire, se présenter par une vidéo, participer à un entretien à distance ne s’improvise pas. Comme pour le reste, il y a des techniques à connaître et des apprentissages à construire.

La rentrée, c’est la reprise, après plusieurs mois d’interruption ; la priorité peut-elle être sur l’oral alors que la question de la remédiation est aussi posée ?

Il y a bien sûr la question de la distanciation physique et des préconisations sanitaires à respecter qui vont sans doute continuer à varier dans le temps et selon les territoires. Mais la crise sanitaire ne signifie pas une injonction soudaine à se taire. Je crois au contraire qu’après ces longs mois d’interruption, pour certains élèves dont la scolarité en pointillés a pu commencer dès décembre 2019, l’oral est stratégique. L’enjeu est bien de retrouver une dynamique de classe, la confiance et la bienveillance qui permettront de travailler. L’erreur serait de se précipiter sur les programmes comme s’il ne s’était rien passé. Ce qui s’est produit est majeur et a concerné, dans le monde entier, toutes les générations. Il y a un intérêt à partir de là. Cet événement, comment les élèves l’ont-ils vécu ? Qu’en pensent-ils ? Qu’ont-ils à en dire ? La parole et la qualité d’écoute qui l’accompagnera, on le sent bien, vont être décisives. Si vous profitez de ce moment, pour partager en une demi-journée, les techniques fondamentales pour l’oral (posture, respiration, regard, présence vocale, relation à l’auditoire), vous donnez aux élèves une compétence nouvelle. Ils en constateront l’effet sur eux quasi immédiatement, ils vous en seront reconnaissants. Nous nous donnons les moyens, en une demi-journée, de remettre tout le monde le pied à l’étrier.

Cyril Delhay

 

 

Déambulations Jansoniennes

Un atelier de pratique artistique théâtre réunit depuis huit ans 25 lycéens issus de tous les niveaux jusqu’aux classes préparatoires. Ils sont encadrés par une comédienne et un comédien en alternance. Stéphanie Ruaux et Laurent D’Olce. À l’occasion de la Nuit de la lecture1 le 18 janvier dernier, nous avons proposé aux élèves de l’atelier de travailler sur les grands discours. L’objectif était de leur faire comprendre que savoir exprimer ses idées est une force et savoir prendre la parole un pouvoir.

L’année s’organise en deux temps : de septembre à janvier, un travail approfondi est effectué sur le corps, la voix, le travail d’improvisation et le jeu collectif. En janvier, un événement est organisé soit dans le cadre de la Nuit de la lecture en partenariat avec le ministère de la Culture, soit sous la forme d’un spectacle théâtral. Cela nous permet d’intégrer les élèves de CPGE qui ne peuvent plus suivre l’atelier à partir des mois de mars-avril en raison de la préparation des concours. Par la pratique de cet atelier théâtre « Grands discours », ils ont ainsi pu ressentir l’articulation et le développement des idées écrites par leurs auteurs.
Du Discours sur la misère de Victor Hugo jusqu’à celui prononcé par Greta Thunberg à la COP 24, les élèves ont pu mesurer l’investissement nécessaire pour que ces discours soient compris par leur auditoire. Il leur avait été demandé de les apprendre par cœur, afin que leurs regards puissent être libres et qu’aucun pupitre ne soit nécessaire. Ce fut donc un travail « sans filet », car la présence d’un texte papier sur un pupitre constitue une béquille à laquelle il est rassurant de se raccrocher, comme le note un élève : « J’ai peur de regarder le public, je replonge dans mon texte, je ne sais pas quoi faire de mes mains, je tiens le pupitre ».
On ne se rend jamais assez compte à quel point le plus dur est de rester les bras le long du corps et d’assumer cette position : cela demande une assurance et une confiance en soi, une vraie capacité à reprendre son souffle en toute sérénité sans pouvoir se cacher d’aucune manière et c’est ce travail que nous avons proposé aux élèves.
Pour pouvoir rythmer cette présentation, car il ne faut jamais oublier le public, certains textes ont été répartis entre deux ou trois élèves. Nous avons agrémenté le parcours de deux scènes extraites d’œuvres de Molière en lien avec le langage : celle du Mariage forcé dans laquelle le débat est de savoir s’il faut dire « la forme » ou la « figure » d’un chapeau, et la scène bien connue du Bourgeois Gentilhomme au cours de laquelle Monsieur Jourdain découvre qu’il parle en prose.
Dans le cadre très particulier du lycée Janson de Sailly, fort d’un beau patrimoine historique, nous avons choisi une forme déambulatoire, afin que les élèves puissent s’approprier des lieux auxquels ils n’ont pas toujours accès, que ce lycée devienne encore un peu plus le leur et qu’ils puissent partager ce plaisir avec le public constitué en grande majorité de leurs parents et amis.
Les salles traversées ne comportant évidemment pas de scènes, afin que les élèves soient bien visibles depuis n’importe quel coin de la salle, nous avons choisi de les faire s’exprimer debout sur des tables, ce qui augmentait pour eux la sensation d’être « exposés », mais aussi le devoir d’être en maîtrise de ce que nous appelons au théâtre notre « instrument » : notre corps et surtout notre voix.
Les élèves ont été admirables dans leur engagement et la fierté qu’ils ont eu à faire cette représentation « chez eux », dans leur lycée, était très belle à voir.

Le Mariage Forcé ( Molière et Lully )

 

 

« Booktubes » La critique littéraire vidéo pour développer l’oral

C’est dans cette perspective que j’ai proposé à une collègue enseignante d’anglais, et en direction d’une classe de seconde, le projet « Booktubes1 » , une pratique médiatique bien connue des professeurs documentalistes qui permet de promouvoir une œuvre littéraire et de développer des échanges autour de pratiques de lecture à partir de courtes présentations vidéo de l’ouvrage. Le plaisir suscité auprès des élèves par ce type de projet, lors d’une précédente expérience en lycée, m’avait confortée dans ce choix.

Déroulement du projet

Après la présentation de l’intention pédagogique, nous avons remis à chaque élève un livret contenant les modalités du projet : dates-échéances, fiches conseils, ainsi qu’une description de la production demandée. Ces supports pédagogiques devaient être disponibles à chaque séance afin d’accompagner le travail en autonomie. Les élèves devaient ainsi réaliser une vidéo d’environ 3 minutes avec pour finalité de donner envie de lire un livre en langue anglaise issu du fonds documentaire du CDI. Le booktube devait être structuré en trois temps : présenter le livre choisi, donner un résumé du récit sans pour autant trop le dévoiler, décrire les principaux personnages, expliciter le genre ainsi que le style pour conclure par un avis de lecture argumenté qui incite à emprunter le livre. Dans ce type de projet nécessitant une durée de lecture importante et un temps court pour la réalisation finale, le choix des livres est une étape qu’il ne faut pas négliger. Il faut en effet éviter tout changement en cours de projet qui mettrait l’élève en difficulté par rapport au temps imparti. Ensuite, nous avons visionné avec les élèves plusieurs booktubes afin de réfléchir aux critères de réussite de cette présentation orale : regarder son auditoire (la caméra) pour lui adresser un message, être pleinement convaincu du discours que l’on porte, exploiter les ressources expressives et créatives de la parole en variant le ton, en marquant les silences, énoncer clairement ses propos…

De l’écrit à l’oral

Nous avons ensuite proposé une grille d’évaluation afin de guider l’élève vers un oral en langue vivante étrangère réussi. Une fois la lecture de l’ouvrage terminée, les élèves remettent dans un premier temps une fiche de lecture à l’enseignante d’anglais. Cette première production documentaire sert de matériau pour l’écriture du scénario de la vidéo conduisant les élèves à effectuer un exercice de synthèse de la fiche et à en exploiter des éléments pertinents pour la construction d’un argumentaire. Pour rendre leur vidéo percutante, les élèves doivent également réfléchir à une phrase d’accroche ainsi qu’à une conclusion dynamique de la vidéo. La mise en scène joue un rôle déterminant dans la réussite de la vidéo. Cet aspect a permis d’introduire quelques règles cinématographiques et conseils de tournage. Les productions sont individuelles, mais la réalisation se fait par binôme (l’un filme, l’autre présente son ouvrage). Une fois le scénario finalisé et corrigé, les éléments scéniques fixés, l’entraînement à l’oral peut commencer.

BookTube 2019 2020 : Julien. https://youtu.be/49gCFI_l4pg

Le booktube, un genre au service de l’oral

Pour réaliser la vidéo booktube, l’élève est amené à créer une situation scénarisée où il endosse le rôle d’un personnage, celui du booktuber, chroniqueur littéraire, qui se met volontiers en scène, face caméra, pour faire la promotion d’un livre. Humour, proximité avec le spectateur sont mis au service du discours, afin de convaincre de la pertinence de lire un livre. L’élève peut ainsi prendre de la distance, il interprète un rôle, celui du critique ; ce jeu de personnage à endosser protège d’une certaine manière l’élève et lui donne le sentiment de moins s’exposer personnellement. Cela contribue à réduire les appréhensions.
Le choix aussi de demander des productions individuelles permet à l’élève de s’entraîner, de se filmer sans s’exposer immédiatement au regard de la classe, de multiplier les prises de vue, au CDI ou chez soi. Les vidéos sont autant de traces tangibles à partir desquelles l’élève pourra prendre conscience de sa performance et recevoir des retours d’un camarade et des remédiations. Les enseignantes adoptent dans ce projet une posture d’accompagnement en apportant conseils et observations. Les situations d’entraînements, mises en œuvre au CDI, en binôme choisis (je filme mon camarade qui s’auto-évalue d’abord, puis je lui fais un retour constructif et inversement) favorisent la collaboration entre les élèves et l’autonomie. Trois séances d’entraînement à l’oral des élèves ont permis à toute la classe de se filmer, et de recevoir les retours des enseignantes. Nous avons utilisé les tablettes Android de l’établissement ainsi que les téléphones des élèves pour filmer et effectuer le montage à l’aide de l’application « Filmora Go », qui est gratuite et simple de prise en main. Disponible sur les plateformes Android et iOS, cette application permet d’effectuer des incrustations de textes, d’images, de vidéos et d’appliquer des effets visuels et sonores rendant les vidéos dynamiques. Une fois envoyées aux enseignantes, les vidéos sont évaluées sur la base de la grille d’évaluation remise au début du projet, et qui a également servi de grille d’observation durant les entraînements et le tournage des vidéos.

Regards sur le projet

Les élèves se sont montrés impliqués tout au long du projet ; l’attrait pour la vidéo, un média qui leur est familier, a contribué à les motiver. Les entraînements à l’oral organisés au CDI ou effectués hors du lycée ont permis aux élèves de progresser dans leurs compétences orales et d’améliorer leur confiance en eux-mêmes. Du point de vue des apprentissages info-documentaires, ce projet a permis d’aborder avec les élèves les notions d’auteur et de droit de l’information ainsi que les licences libres par l’usage des banques d’images et de sons libres de droits. Par ailleurs, les élèves ont publié une vidéo de présentation du projet sur le fil Twitter de l’établissement2, afin de partager leurs réalisations. À travers ce projet, nous avons souhaité rendre les élèves davantage actifs dans leurs apprentissages et développer une dynamique motivante pour progresser à l’oral. La réalisation des booktubes est aussi pour nous enseignantes, l’occasion d’expérimenter une approche multimodale des compétences info-documentaires. Celle-ci convoque les langages dans leur diversité : l’écriture, l’image, l’expression et leur médiatisation. Elle prend sens pour les élèves car elle s’inscrit naturellement dans une culture audiovisuelle développée dans des pratiques informationnelles personnelles. La vidéo opère aussi une médiation aisée vers la littérature et la lecture : elle offre, après explicitation et premières tentatives, un cadre propice à la prise de parole, très vite rassurant. L’élève peut se tromper, bafouiller, l’enregistrement sera effacé puis repris jusqu’à la maîtrise de l’expression. Le visionnage proposé individuellement ou par groupe engage l’élève dans un processus d’autoévaluation et d’écoute active, il lui permet de prendre conscience des éléments qui structurent une bonne expression orale : articulation, souffle, intonation, construction et narration de l’écrit oralisé, argumentation, conviction et persuasion : ces compétences communicationnelles essentielles que les lycéens devront mobiliser au-delà du Grand Oral, tout au long de leur vie.

 

 

 

 

 

Si on lisait… à voix haute

Présentation du concours

Ce mercredi 18 septembre, François Busnel lance un concours, un peu comme un défi d’ailleurs, puisqu’il fait le vœu de faire lire à voix haute un maximum de collégiens et lycéens.

Le principe est le suivant : les enseignants motivés par ce projet inscrivent une ou plusieurs de leur classe et s’engagent à travailler avec les élèves la lecture à voix haute comme ils le souhaitent. À leur convenance, ils organiseront ensuite la sélection d’un représentant pour chacune de leur classe, qui enregistrera alors dans l’établissement une vidéo de 2 minutes d’une lecture d’un texte de son choix, à voix haute.

Cette expérience mettant en avant la lecture, la littérature, l’oralité ne peut que séduire une amoureuse des livres. Dès le lendemain, j’envoyais un mail à l’attention des enseignants de lettres de l’ensemble scolaire dans lequel je travaille, pour leur présenter le projet. Le jour-même deux enseignants répondaient avec enthousiasme : un professeur pour une classe de seconde et un autre pour une classe de 1re. Le 26 septembre, je procédais à l’inscription sur le site dédié et, le 2 octobre, j’avais un mail de confirmation de notre participation au concours.

Pourquoi le professeur documentaliste dans un tel concours ?

Participer à ce projet permet, avant toute chose, un travail en interdisciplinarité avec des collègues sur le thème de l’oralité. La réforme du bac met très clairement l’accent sur cette compétence que les élèves doivent acquérir au cours de leur scolarité, en vue d’une évaluation sommative en fin d’année de terminale appelée « Grand oral ». La mise en application effective, dès la seconde, du travail de l’oral (quelle que soit la forme qu’il prend), bien que présente dans les programmes de toutes les disciplines, n’est pas forcément une réalité de terrain. La lecture à voix haute est donc une occasion parmi d’autres de former des élèves à une pratique de l’oralité.

La lecture partagée engage la relation avec les autres. Elle implique, elle impose de se dévoiler, rien que par le choix de son texte. Les jeunes disent quelque chose d’eux, parfois même de très personnel. Ce partage, tel un don, est propice à la découverte d’un texte, d’un livre, d’un auteur. Pour eux, et pour nous aussi, il faut le dire ! Un nouvel univers s’ouvre devant certains…
Ces moments créent un lien fort entre les élèves, et aussi entre eux et nous. Une complicité naissante qui annoncera d’autres échanges par la suite : des conseils de lectures, des emprunts même au CDI, des suggestions d’achats, un dialogue.
Enfin, je dirais que ce concours est une occasion supplémentaire de promouvoir la lecture auprès des jeunes. En tant qu’enseignants documentalistes, nous sommes habitués à monter des projets pédagogiques, des animations, à participer à des temps forts nationaux (la Nuit de la lecture par exemple) autour de la lecture.
La lecture personnelle, le plus souvent individuelle et silencieuse, est mise en avant. Nous la mesurons, chaque année, en éditant les statistiques d’emprunts lors des bilans. La fréquentation du lieu aussi, car tous n’empruntent pas, mais un certain nombre de nos lycéens lisent sur place.
Une lecture collective aussi, est organisée, parfois. C’est le plus souvent le professeur documentaliste le narrateur. Quelquefois les élèves.
Là, les élèves sont au centre du projet : ils seront les lecteurs. Ils défendront leur texte. Ils seront la voix des écrivains.
Ce qui suppose, bien sûr de les y préparer. Comment ?

La mise en œuvre du projet

Elle s’est organisée de façon distincte entre les deux classes, les deux enseignants et les deux niveaux : adaptation oblige à la personnalité de chacun, et surtout aux objectifs visés, tout en ayant un souhait commun, dès le départ, celui de permettre à ces deux classes de se mesurer entre elles à un moment donné !

En classe de seconde, nous avons tout naturellement intégré la lecture à voix haute à l’ensemble de notre projet d’année avec l’enseignant de lettres, Monsieur Saladin. Nous avions déjà, au mois de juin, décidé de placer l’oral au centre des apprentissages du programme de français.
Notre progression débutait par des exercices progressifs d’acquisition de savoir-être à l’oral, sur les heures de demi-groupe en français :
– la posture pour s’exprimer (debout ou assis, se tenir droit, apprendre à respirer, placer sa voix, modérer les tonalités) ;
– le rythme (la ponctuation, les silences, les modularités des intonations…) ;
– la gestuelle (rester stable sur ses pieds, bien ancré dans le sol, les quatre pieds de la chaise posés au sol, les mains posées sur la table ou le long du corps…) ;
– le langage (repérer les tics verbaux, les astuces pour y remédier, s’exprimer clairement, utiliser un niveau de langage adapté) ;
Nous avons ensuite travaillé le savoir-faire. Quels sens peut-on donner à un texte en fonction de l’intonation que nous utilisons ? Se questionner d’abord, analyser, avant de passer à l’action.
Après avoir repéré les différentes formes de discours, et visionné plusieurs extraits de discours (Barack Obama…), nous avons établi avec la classe, une grille de conseils pour adapter l’intonation, le rythme aux intentions de l’auteur du texte. Naturellement, nous en sommes venus aussi à évoquer les émotions que l’on peut transmettre à la lecture d’un texte, ce qui va lui donner tout son sens et sa force.
Parallèlement, nous avons présenté à la classe le concours de La Grande Librairie. L’accueil a été très positif. Les élèves devaient chercher pour le retour des vacances de la Toussaint, un extrait d’un texte de leur choix qu’ils liraient devant toute la classe au mois de novembre. Nous ne pouvions y consacrer trop de temps sur les heures de cours de français. Aussi, nous leur avons demandé de s’entraîner à lire un extrait d’une minute maximum.
Nous leur avons projeté en classe entière la vidéo de trois acteurs promulguant leurs conseils pour une bonne lecture à voix haute.
Et je leur ai fourni les critères d’évaluation sur lesquels ils seraient sélectionnés, les mêmes que ceux demandés par le concours.

En classe de première, en raison du programme à respecter en vue du bac, nous n’avons pas pu y consacrer le même temps.
L’accueil a été lui aussi très enthousiaste par la classe dans son ensemble. Le challenge à relever, le sentiment d’avoir été “choisi” pour représenter l’établissement au niveau national, leur plaisait bien. On pourrait même dire que cela les amusait. Ils ont aussi très vite compris leur intérêt à court terme, puisqu’à l’oral de l’EAF, la lecture d’un texte est une compétence évaluée.
Avec le groupe de lycéens latinistes j’ai pu aborder un travail sur le souffle, la posture, la diction et l’intonation au moyen de petits exercices. Le professeur de lettres, Monsieur Meunier, avait, quant à lui, travaillé avec l’ensemble de la classe sur les émotions qui se dégagent à la lecture d’un texte. Par habitude, une fois par semaine, il leur lisait aussi un extrait d’un livre contemporain, pour leur donner le goût de la lecture, et aiguiser leur curiosité. Apprendre par l’exemple…
Comme pour la classe de seconde, nous avons visionné tous ensemble la vidéo de conseils de lecture proposée par La Grande librairie, et nous leur avons remis la grille d’évaluation.

Nous avons procédé ensuite de façon similaire pour les deux classes. Nous avons décidé que le choix du représentant devait se faire par les pairs. Tout le monde tentait sa chance. Le vote se faisait individuellement, sur feuille et pour un autre que soi ! Nous avons établi des règles de respect indispensables au bon déroulement de la sélection : interdiction de se moquer, de faire du bruit pendant la lecture ou de perturber d’une quelconque façon le lecteur.
Deux heures ont été nécessaires pour entendre tout le monde, initialement une seule séance d’une heure avait été envisagée… La présentation du texte et de l’auteur, les applaudissements, les quelques rapides conseils de lecture que nous donnions, ont eu raison de notre timing ! Nous avons fait le choix de retenir pour une finale à venir, les 8 élèves ayant obtenu le plus de votes dans chaque classe.

S’exposer au regard et à l’écoute des autres n’est pas aisé et certains élèves pouvaient rencontrer des difficultés, une gêne compréhensible. C’est une prise de risque, où le jeune se dévoile. Nous nous devions de les rassurer et de les mettre en confiance afin que ce moment soit avant tout un moment de partage.
Les élèves ont donné le meilleur d’eux-mêmes en se prenant au jeu.
Les textes lus furent variés. Avec la classe de seconde nous avons pu écouter des extraits lus de L’Étranger d’Albert Camus, de Dom Juan de Molière, des Contemplations de Victor Hugo, de L’enfant qui ne pleurait pas de Torey L. Hayden et des poèmes de Baudelaire, à plusieurs reprises. En première, leurs choix se sont portés sur Petit Pays de Gaël Faye, Le mariage de Figaro de Beaumarchais, Le Chevalier inexistant de Italo Calvino, No et moi de Delphine de Vigan ou encore Jules Verne et son Voyage au centre de la terre.
Début décembre, une fois les 8 finalistes connus dans chaque classe, j’ai organisé une séance de travail de lecture des textes sélectionnés avec ces élèves sur la pause méridienne au CDI. Nous avons lu ensemble à partir de conseils généraux de lecture que j’avais répertoriés sous la forme d’une fiche, conseils que j’ai, à la suite de leur lecture, personnalisés. Chacun a annoté son texte. Ces exercices d’appropriation et d’interprétation ont été répétés à plusieurs reprises. Certains lecteurs sont revenus par la suite s’isoler dans une bulle de travail au CDI et répéter ou me faire écouter leurs progrès.
La sélection finale était pour nous l’occasion que les deux classes se mesurent à la manière d’une “battle” afin de créer une émulation. Les élèves attendaient ce moment comme un événement ! Ils ont voté pour un élève de chaque classe en cochant les cases d’une grille (voir encadré). Celui ou celle qui remportait le maximum de voix serait le représentant de sa classe au concours “Si on lisait à voix haute”. C’est ainsi que Philippine L. a séduit l’auditoire avec sa lecture de Enivrez-vous de Charles Baudelaire en seconde, et Hadrien en première, avec celle du poème du capitaine Clément Frison-Roche, Pour que vive France.
Chacun d’eux a retravaillé sa lecture sur nos conseils croisés, avant d’enregistrer la vidéo. Le dépôt sur la plateforme dédiée se terminait le 9 février 2020.
L’attente a été longue pour les deux jeunes, impatients de savoir s’ils seraient demi-finalistes parmi les 140 000 élèves participants (collégiens et lycéens confondus).
Verdict par mail (et à La Grande Librairie) le mercredi 4 mars : Hadrien est sélectionné ! C’est une immense joie pour lui, sa classe et nous aussi. Dorénavant, c’est tout le niveau première qui est derrière lui, par solidarité.
Philippine est un peu déçue, forcément. Mais elle en a retiré de la confiance en elle et la fierté d’avoir représenté ses camarades, en donnant le meilleur d’elle-même.

Nous continuons l’aventure avec Hadrien, pour le faire progresser et essayer de l’emmener le plus loin possible. Nous souhaitons vraiment, le professeur de Lettres et moi-même que le prochain texte soit, à nouveau, un choix personnel. Cela ne donnera que plus de force à sa lecture. Nous lui demandons de nous en proposer trois dans un registre différent afin qu’on le conseille au mieux. Ses propositions sont les suivantes : Lettre d’Alphonse de Lamartine à Mary Anne Birch, l’Enfant de Victor Hugo (poème) et La Bonne Chanson de Verlaine (poème). Comme il avait déjà lu un poème pour sa première vidéo, nous lui avons conseillé de choisir la lettre d’amour.
Le travail sur le texte, s’est ensuite effectué à distance, en raison du confinement. Nous avons échangé par mail tous les trois. Hadrien réalisait des vidéos de sa lecture qu’il nous partageait et que nous renvoyions avec des annotations parfois secondes par secondes. La date de rendu de la vidéo était maintenue au 3 avril 2020 sur la même plateforme. En plus de la lecture de 2 minutes maximum, il fallait que le jeune se présente et justifie le choix de son texte. Notre collaboration a porté ses fruits et nous avons tenu les délais.

Le 14 avril, à 21 h, après une journée à guetter les mails assidûment, nous avions les noms des 12 finalistes (6 collégiens et 6 lycéens). Hadrien n’en faisait pas partie. Dommage ! L’aventure s’achève pour nous. Enfin, presque. L’élan inspiré par notre participation à cette aventure collective, nous pousse à suivre la fin du concours. Sur le site dédié, nous visionnons les vidéos des finalistes.

Et nous ne manquerons pas la finale retransmise à la télévision, comme Hadrien, Philippine, les autres élèves des deux classes, ainsi que beaucoup d’autres jeunes de l’ensemble scolaire Notre-Dame de Bury.

De l’intérêt de la lecture à voix haute au lycée

Participer à ce concours, c’est d’abord un projet de classe, qui permet au groupe de se constituer et d’expérimenter le partage (des textes, des avis), la bienveillance (séance de passation orale face à la classe entière), l’émulation aussi puisqu’ils vont voter pour la meilleure lecture. Autant de savoir-être qui forment les futurs adultes pour la vie en société.
La lecture à voix haute fait glisser la littérature du domaine des disciplines “intellectuelles” à celui de l’expérience, de la vie, du plaisir, du partage et de l’émotion. L’expérience d’un (petit) instant de grâce.
La possibilité, ensuite, de choisir son texte, ouvre le champ à l’ensemble du territoire des genres : de la littérature de l’imaginaire, au polar, en passant par la poésie… Au regard des textes choisis, cela confirme, par exemple que le supposé dédain des jeunes pour la poésie ne se vérifie pas dans les faits. Nombreux sont les choix qui se sont portés sur des poèmes ; cela invite donc à repenser les modalités d’approche de la poésie en classe.
Enfin, c’est aussi le moyen d’inscrire l’acte de lecture, de lui redonner de l’importance, en prenant le temps…

 

 

L’oralité en poupe

Le professeur documentaliste, un pluri-métier

Devenue professeure documentaliste par hasard et nécessité, j’ai toujours eu à cœur de transmettre aux élèves ce en quoi je crois, fondé sur le bon sens et la mise en œuvre d’outils pédagogiques simples et accessibles. Embauchée à Saint Michel de Picpus1 en 1992 pour mes compétences d’animation culturelle, je crée et développe des échanges linguistiques pour le collège et le lycée, bâtissant des échanges durables au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie, répondant ainsi au besoin d’immersion linguistique des élèves, dans un cadre privilégié de pratique quotidienne. Ralliant l’enthousiasme des élèves et des parents, ces échanges ont pour but de créer au-delà des frontières culturelles, géographiques et linguistiques, des relations amicales dont certaines durent toujours. En 2010 j’intègre le collège EIB2 davantage ouvert à l’international.
La communication est au cœur de mes préoccupations. Communiquer, en langue étrangère ou dans sa propre langue, est un atout fondamental pour prendre sa place dans la société et s’y mouvoir avec aisance. Savoir regarder les autres en face, ne pas avoir peur de soi-même, jouer avec ses émotions, apprivoiser ses failles, tout cela s’apprend. Acquérir ce savoir-faire stimule les facultés cognitives et ancre durablement les apprentissages scolaires. Savoir prendre la parole en public décuple la confiance en soi.
Si tout le monde n’est pas outillé de la même façon, chacun peut réussir, si tant est que les conditions d’apprentissage soient au rendez-vous. Déconstruire également les stéréotypes qui assimilent la compétence orale à une caractéristique intrinsèque de l’être humain, au même titre que la couleur des yeux, est nécessaire. Forte de ce credo, je propose depuis plus de dix ans aux professeurs volontaires de travailler avec eux sur la prise de parole en public en fonction de leurs programmes et de leurs besoins. Inventive et créative, je m’adapte aux situations et fais feu de tout bois !
Je tiens à préciser que mon expertise de l’oralité s’inscrit dans une pratique du slam débutée il y a six ans à laquelle s’ajoute une dynamique de formations successives contribuant à nourrir et à diversifier mes outils, à savoir des formations proposées par le PAF spécifiquement consacrées à la pratique théâtrale dans des lieux tels que le théâtre Monfort et la Comédie-Française où j’ai eu la chance de rencontrer des formatrices soucieuses de donner des exercices faciles à mettre en place en classe entière, une licence professionnelle d’Encadrement d’Ateliers de Pratiques Théâtrales3 obtenue il y a trois ans et un master Théâtre4 en cours, débuté l’année dernière dans le cadre d’un congé formation.

La communication orale, une compétence qui se travaille

Riche de toutes ces formations outils, je propose régulièrement à tout professeur motivé de travailler l’oralité en fonction des besoins des élèves et au regard de leurs programmes. Si le collège EIB, situé dans le 17e arrondissement, près du métro Courcelles, draine une population très privilégiée, aux origines ethniques variées5, il n’en demeure pas moins que tous les élèves ont besoin de s’entraîner à la pratique de l’oralité. Pour certains, il est compliqué, voire presque impossible de prendre la parole en public, car leur culture d’origine ne les y encourage pas. C’est pourquoi il est très important de faire travailler tous les élèves – pas seulement les volontaires -, et de varier les conditions d’entraînement en alternant petits groupes en autonomie, cercle collectif et accompagnement individuel.
Pratiquer l’oralité induit une exposition au regard de l’autre, une mise à nu qui peut être à la fois réjouissante et perturbante. Dans un groupe Il y a toujours des élèves partants pour prendre la parole, voire l’accaparer, d’autres qui, au contraire, soi-disant à l’aise, vont faire les guignols, et puis il y a toutes celles et ceux qui voudraient disparaître, comme neige au soleil. La mise en œuvre de ces activités d’oralité fondées sur un dévoilement de l’intime peut s’avérer parfois déroutante pour l’élève, le groupe ou le professeur. Des exercices qui fonctionnent avec tel groupe ne fonctionnent pas nécessairement avec tel autre. Il importe alors de conclure au mieux et d’essayer de comprendre ensemble avec les élèves pourquoi cela n’a pas fonctionné. Et, ce faisant, les professeurs partenaires poursuivent sous une autre forme l’apprentissage et l’exercice de l’oralité.

Création de tableaux vivants ; La mort marraine de Grimm, classe de 6e, 2018

Des projets aboutis, des élèves valorisés

-> Projet René de Obaldia

Se relier les uns aux autres, aller à la rencontre de personnes ressources, nouer des contacts est au cœur de notre métier. Grâce à mon libraire de quartier, j’ai pu rencontrer René de Obaldia et lui demander de venir soutenir nos élèves de 6e impliqués dans un travail d’interprétation à partir de son recueil de poésie Innocentines6. En collaboration avec leur professeur de français, j’ai demandé aux élèves de choisir une poésie et de l’apprendre par cœur. Certains se sont mis par groupe de deux ou trois. Le travail portait sur l’extériorisation du texte par le corps. Ensemble, par petits groupes, les uns au CDI, les autres en salle de classe, nous avons cherché quels gestes, quelles intonations pouvaient faire sens dans leur interprétation. Environ 4 séances ont été nécessaires. Une fois que tous les élèves sont parvenus à créer leur propre univers poétique, nous les avons regroupés en classe entière et nous leur avons demandé de réfléchir à l’articulation et au déroulement des poèmes dans l’espace. Ayant la chance de disposer d’un petit théâtre à proximité du collège, les élèves ont pu répéter deux fois avant la restitution finale. Le jour J, René de Obaldia a pu voir des élèves, confiants et heureux, capables de se mouvoir dans l’espace en tenant compte de leurs partenaires et du public. À la fin de la représentation, l’auteur nous a fait la très grande joie de nous dire des poèmes. Face à la réussite de ce projet, nous l’avons reconduit l’année suivante et René de Obaldia nous a fait de nouveau l’honneur de sa présence.

-> Projet concours de récitation BnF

Un autre de mes projets favoris est celui que je mène depuis plusieurs années avec la BnF et que j’espérais mener de nouveau au printemps dernier. La BnF organise pour les collégiens et les lycéens un concours de récitation qui se clôture par une masterclasse. En fonction des projets pédagogiques de l’établissement, je travaille soit avec une classe de 6e soit avec une classe de 5e. En collaboration avec leur professeur de français, nous sélectionnons des textes d’après le thème proposé par la BnF et nous préparons tous les élèves à l’interprétation du texte qu’ils ont retenu. Après 4 séances, en demi-groupe, nous nous mettons d’accord, élèves et professeurs, pour désigner les trois élèves volontaires pour défendre les couleurs de leur classe. Afin de mettre toutes les chances de leur côté, je continue à les faire travailler tous les trois au CDI, sur le temps du cours de français. Le jour du concours toutes les classes sont rassemblées dans l’amphithéâtre de la BnF pour soutenir leurs représentants. L’ambiance, croyez-moi, est tendue, et l’écoute d’excellente qualité ! Nos élèves ont gagné deux fois le troisième prix et une fois le premier prix.

-> Projet écriture et interprétation

Travailler l’oralité passe aussi par l’écriture et moi-même étant slameuse c’est tout naturellement que je propose aux professeurs de travailler sur le slam, concept qui, soit dit en passant, contrairement à ce que certains pensent, ne relève pas d’une forme d’écriture ni d’une manière de dire, mais tout simplement de conditions d’énonciation : un slam c’est trois minutes, a cappella devant un public, en général une communauté de poètes et de supporters rassemblés pour encourager et vivre un moment de partage sensible. Si, pour les jeunes collégiens, le slam ne pose pas de problème, pour les plus âgés, à savoir les élèves de 3e, cela peut être compliqué. Je me souviens en particulier d’une séance menée avec une professeure de français qui a failli tourner court. Nous avions monté un projet sur plusieurs séances dont un déplacement à Radio Clype7 pour l’enregistrement des textes et une restitution lors d’un spectacle de fin d’année au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Lors de la première séance nous avons travaillé sur la définition du slam et les représentations que les élèves en avaient. J’ai montré des extraits d’un documentaire8 et nous leur avons fait écouter des slams écrits par des élèves issus d’autres établissements. Ensuite nous leur avons demandé d’écrire des slams sur le sujet de leur choix, avec la possibilité de faire des rimes. Un silence dubitatif, désemparé, s’est installé. Certains ont demandé des éclaircissements, tandis que d’autres ont manifesté leur désapprobation. Ils refusaient d’écrire arguant du manque de sérieux. Choqués par le niveau de langue, familier voire grossier, ils s’y opposaient catégoriquement. La professeure et moi-même, nous nous sommes regardées consternées. Jamais il ne nous serait venu à l’idée que les élèves pouvaient refuser d’écrire des slams. Finalement après une discussion approfondie et le soutien des élèves favorables au projet, les résistances sont tombées. De très beaux textes, issus de leur vécu, ont été écrits.
Avec les plus jeunes au contraire, le slam passe bien. C’est avec joie et même bravade qu’ils jouent avec les mots. Ils en profitent parfois pour passer des messages forts à leurs camarades. Une année j’ai fait participer une classe de 5e à un tournoi de slams interscolaire9 dans le 20e arrondissement. La compétition avait du retard alors, en attendant, j’ai improvisé une scène ouverte à l’extérieur dans le jardin du centre Paris’Anim. Nos élèves ont rencontré d’autres élèves issus de banlieue défavorisée et ce mélange était revigorant. Ensemble ils ont partagé leurs mots.
Écrire et interpréter ça peut être aussi « écrire à la manière de ». Une année, j’ai fait appel à Nino Judice, un poète portugais et le grand-père d’une de nos élèves de 5e. Avec sa professeure de français, nous avons proposé à la classe de choisir un poème dans son recueil Géométrie variable10 et d’en inventer un sur le même modèle. À l’instar du projet mené avec René de Obaldia, les élèves ont travaillé l’interprétation en vue d’une restitution sur scène, dans un petit théâtre de quartier en présence du poète. Sa petite-fille bien sûr faisait partie de cette classe. Et ce lien intergénérationnel et affectif n’a pas manqué de motiver toute la classe !
Mener des actions d’oralité personnalisée s’inscrit durablement dans la mémoire émotionnelle des élèves. Gagnant en confiance, ils sont à même de réinvestir ces savoir-faire d’une année sur l’autre. Certains, une fois lycéens, reviennent me voir et se remémorent, les yeux brillants, comment je les ai fait répéter inlassablement et comment, petit à petit, ils ont progressé jusqu’au déclic.

Le CDI : lieu alternatif pour un accompagnement personnalisé

Si je devais retenir un point particulier dans ma façon de travailler je dirais que c’est le temps que je consacre à chaque élève. Quel que soit le type d’exercice, à un moment donné, je prends trois ou quatre élèves à part et je les fais retravailler patiemment, en demandant à leurs camarades d’exercer un regard critique : je demande à chacun de formuler un point positif et un point à améliorer en indiquant si possible comment y parvenir. Bannir le jugement et encourager ! J’insiste également sur l’autonomie des élèves en leur proposant de réfléchir eux-mêmes à la mise en scène. Pour évaluer leur progression, nous organisons des temps de répétitions collectives et certaines sont filmées. Ce travail permet au groupe de s’auto-analyser dans une perspective de discernement critique et constructif. Il va sans dire que tout travail d’interprétation exige l’apprentissage impeccable des textes à jouer. Car si plaisir et inventivité il faut, rigueur et persévérance il se doit !
Le CDI, lieu alternatif d’expérimentation à l’oralité, ouvre les portes à la différence de chacun, sans dispositif d’évaluation sommative, privilégie le travail sur le corps, les sensations, les émotions et permet à l’élève d’ajuster son altérité dans une temporalité propre à son rythme. Plus que jamais le CDI se prête à accueillir ce type de travail et le professeur documentaliste, au carrefour de l’enseignement disciplinaire peut légitimement s’en emparer. Je rêve de pouvoir mettre en place un atelier spécial « exposés », un atelier qui serait consacré à l’entraînement oral des élèves ayant des difficultés à présenter leurs exposés. Accorder du temps supplémentaire à ces élèves avant qu’ils ne passent devant toute la classe ; prendre, ensemble, le temps d’examiner comment l’exposé a été construit ; leur faire prendre conscience qu’un exposé bien fait selon les méthodes préconisées facilite la prise de parole, tels sont mes objectifs. Bien maîtriser son sujet aide à s’exprimer devant les autres sans avoir recours à ses feuilles. Quand l’élève parvient à comprendre que le fond et la forme sont complémentaires, alors on a bien avancé et on peut continuer à poser les jalons techniques pour une prise de parole efficace. Prendre conscience de sa respiration les mains sur le ventre, projeter sa voix, poser son regard en fixant un point déterminé ensemble, ancrer son corps, poser les pieds bien à plat, déverrouiller les genoux, détendre son corps, prendre son temps avant de parler sont des actions simples qui demandent juste à être répétées sous le regard de celui qui les accompagne. À quel moment le professeur de discipline peut-il consacrer du temps à cet apprentissage ?

Des projets d’oralité transversaux

L’oralité n’est pas l’apanage du français et dans chaque discipline il est possible de travailler l’oralité. Cette année, outre mes projets avec les professeurs de français, j’ai eu le plaisir d’être sollicitée par des professeurs de SVT, d’anglais et d’espagnol.

-> Projet Ver de terre11

La professeure de SVT connaissant mes compétences de slameuse a souhaité les mettre à profit pour un projet que nous avons construit ensemble pour ses trois classes de 6e. Après avoir été enthousiasmée l’été dernier par un spectacle12 sur le ver de terre, la professeure de SVT a souhaité en faire le socle de notre projet. Celle-ci m’a donné carte blanche pour préparer des séances de sensibilisation au vocabulaire scientifique utilisé par la comédienne durant son spectacle. La difficulté pour mener à bien ce projet a été de trouver des heures. Il me fallait au moins quatre heures par classe. J’ai récupéré quelques créneaux libérés par des professeurs pour cause de voyage ou de sorties scolaires, complétés par des heures ajoutées dans l’emploi du temps par le directeur. Ce projet a permis aux élèves de jouer avec des mots complexes et de s’en approprier les sonorités, souvent avec délectation, avant d’en découvrir le sens en cours de SVT. Les élèves ont créé des slams dont certains devaient être déclamés le 16 mars devant la comédienne, juste après son spectacle. Bien que cette dernière phase n’ait pas eu lieu, nous avons pu constater le plaisir que les élèves ont eu à s’emparer de cette activité et comment ils ont réussi à mémoriser et prononcer des noms scientifiques très pointus. J’aurais souhaité vous transmettre quelques slams écrits par les élèves, malheureusement, les textes, stockés au CDI, ont été également confinés !

-> Projet Macbeth

Un autre projet en cours concerne la mise en bouche d’une pièce de Shakespeare, Macbeth en version adaptée, niveau B2 pour une classe de 4e. Cette fois-ci l’intervention se fait en anglais. Bien que je sache m’exprimer en anglais ce fut un challenge, mais soutenue et encouragée par la professeure d’anglais, j’ai réussi à mener une séance de deux heures. Si parfois les mots me manquent, le professeur ou les élèves viennent à la rescousse. Montrer aux élèves l’exemple de ses failles et comment les dépasser avec leur aide est également formateur pour tous. À l’occasion de cette séance, j’ai pratiqué un de mes exercices favoris, la lecture adressée13, qui met en jeu toute la classe dans une dynamique d’écoute participative et de projection de voix, à laquelle peuvent se combiner des effets d’émotion et d’intention (colère, joie, tristesse, chuchotement, cri…). La disposition en cercle inclut chaque élève qui, tour à tour, se fait « adresseur » ou « adressé ». Cette activité fonctionne avec n’importe quel type de support écrit et ne nécessite pas d’apprendre un texte par cœur. L’adresse qui se fait d’abord visuellement engage une vraie relation avec l’autre et suscite souvent au départ des malaises. Dans certaines cultures, c’est compliqué d’être regardé. Or, comment établir une relation sincère et propice à la communication sans se laisser regarder ? En s’ouvrant à l’autre pour mieux s’ouvrir à soi-même. Et vice versa ! Plus ces types d’exercices seront répétés plus l’élève prendra confiance et aura du plaisir, le plaisir étant l’une des clés pour réussir à communiquer.
J’ai également pratiqué un autre de mes exercices favoris qui au début surprend mais ensuite en le pratiquant ravit l’ensemble des élèves. Il s’agit de la lecture chorale, exercice qui peut se pratiquer dans n’importe quelle discipline et qui ne nécessite pas d’installation particulière. Le professeur désigne un chef de chœur qui changera après avoir lu trois ou quatre lignes. Le chœur va oraliser la ponctuation des phrases lues par le chef de chœur. Cet exercice a pour résultat d’engager activement l’ensemble des élèves : le chœur écoute et oralise le moment venu, tandis que le chef de chœur veille à laisser le silence pour le groupe. La lecture se fait plus fluide, moins précipitée laissant émerger le sens et le rythme du texte. Au départ, il faut compter un temps d’adaptation mais ensuite le résultat est très intéressant. Une harmonie collective se met en place où chacun est acteur et solidaire.

-> Projet Culture méditerranéenne

Quant à mon troisième projet, celui-ci était prévu avec la professeure d’espagnol qui m’avait sollicitée pour accompagner ses élèves de 5e en Andalousie en mars dernier. En lien avec l’une des thématiques du séjour, celle-ci m’a demandé de préparer une séance d’oralité à réaliser sur place, en espagnol. Je lui ai proposé de travailler sur les spécialités culinaires et la nourriture andalouse. Utiliser différents outils – écrire des slams, faire marcher les élèves sur le thème de la faim (être affamé, être repu, avoir mal au ventre, se brûler la langue…), faire bouger le corps, sortir les émotions – permet de fixer durablement des notions scolaires. Faire appel aux sensations et les extérioriser donne du plaisir, même si c’est difficile pour certains.

Le CDI partenaire d’un parcours oralité

Ne pas s’arrêter aux difficultés. J’en ai moi-même fait l’expérience dans ma démarche de slameuse novice. En fréquentant assidument les scènes ouvertes de slam, j’ai découvert un univers empreint de bienveillance et de non-jugement qui m’a permis de progresser. Tout ce que j’ai appris au cours de ces dernières années, je le réinvestis régulièrement dans ma pratique professionnelle, informant quelques-uns de mes collègues de cette double vie, voire triple lorsque je reprends des études. Le regard porté sur moi, au sein de mon établissement, reste quelquefois étonnant : à quoi ça te sert de faire des études ? Pourquoi tu continues ? Je répondrai que cette triple démarche me permet d’enrichir mon expertise pédagogique et d’affirmer une place particulière dans laquelle je me sens bien et totalement légitime. La conscience de la nécessité d’apprendre à communiquer pour un bien-être réciproque, je l’ai en moi depuis très longtemps. Lors de mes accompagnements scolaires à l’étranger, j’ai été émerveillée de voir l’aisance de la plupart des élèves anglo-saxons, entraînés à la prise de parole en public grâce à des temps de rassemblement14 collectif hebdomadaire permettant de prendre la parole d’une façon informelle.
Être sincère, être convaincue du bien-fondé de sa démarche, maîtriser son sujet, forcément, cela donne de la force et renforce votre confiance : vous savez que vous avez une place et que celle-ci est unique. Longtemps, mes activités pédagogiques de prise de parole en public ont été considérées au sein de mon établissement avec condescendance, jugées peu sérieuses par certains. Heureusement, il y a toujours eu autour de moi des collègues partageant mon point de vue et prêts à travailler en ce sens avec leurs élèves. Et maintenant, l’Éducation nationale se met aussi à promouvoir l’oralité en instituant des examens oraux pour le DNB15 et le baccalauréat16. La roue tourne et le nouveau directeur du collège dans lequel j’exerce, arrivé il y a trois ans, se fait fort d’inscrire l’oralité dans le cursus de chaque élève, pour chaque niveau, malgré les réticences de certains professeurs. Dans cette perspective, le directeur m’a sollicitée ainsi que deux collègues de français, pour réfléchir à la mise en place d’un parcours oralité de la 6e à la 3e. Nous avons donc travaillé à une progression thématique sur des points pivots tels que : extérioriser ses émotions, lire et raconter des histoires, écrire et interpréter ses textes, s’engager dans un jeu théâtral, improviser, riposter, argumenter et construire une grille d’évaluation orale. Si le projet ne s’est pas encore concrétisé, faute de disponibilité horaire, il n’en demeure pas moins qu’une dynamique de réflexion est à l’œuvre, engageant toutes les disciplines pour chaque niveau. Et j’ai confiance dans l’avenir, pour qu’un parcours d’oralité en partenariat avec les professeurs documentalistes voie le jour. En attendant, la tendance est à convoquer des spécialistes de la prise de parole en public et à les faire intervenir sur des heures hors enseignement. Si faire appel à des intervenants permet d’apporter un autre regard – moi-même, les années passées, j’ai fait venir l’association des Hauts Parleurs17 pour toutes les classes de 4e -, n’est-ce pas dans nos missions de veiller à accompagner l’élève au plus près des réformes proposées par l’Éducation nationale et de mettre en place des activités en collaboration avec les professeurs ? N’est-ce pas à la direction de veiller à tenir compte des compétences de la communauté éducative et à les laisser émerger dans un souci de partage et de transmission transversale ?

En guise de conclusion je pourrai dire que ce n’est pas parce qu’on est professeur qu’on sait prendre la parole en public, devant des adultes. On pourrait pointer du doigt le manque de formation à l’oralité dans le cursus menant au professorat. À ce sujet d’ailleurs, de jeunes professeurs de mon établissement ont réclamé une formation à l’oralité au moment même où je proposais au directeur, début mars, d’en faire une à l’intention des professeurs le désirant, avec l’idée d’utiliser les mêmes exercices que ceux réalisés par les élèves. La suggestion validée, il est prévu d’animer, avec deux autres collègues, un atelier oralité en fin d’année scolaire. Plus que jamais les élèves ont besoin de faire des liens entre le travail de chacun et de chacune. Rassembler toutes les compétences et les faire valoir les unes les autres est nécessaire. Reste la question de comment valoriser ce travail d’oralité auprès des élèves et des professeurs de discipline ? Quel retour en avons-nous ? Quelles stratégies mettre en place pour évaluer et mesurer la progression des élèves ? Un autre chantier en perspective à mettre en œuvre collectivement !

 

Virginie Séba & Edgar Sekloka – Dame chique tache [CLIP]
https://www.youtube.com/watch?v=E_NZa1jmwlw

 

 

Atelier Ver de terre – exercices d’oralité

A/ Se familiariser au vocabulaire scientifique

 

LECTURE ADRESSÉE

Installer les élèves en cercle. Un élève pioche dans un chapeau un des mots ci-dessous ; il en prend connaissance, mémorise le mot, choisit du regard un élève et adresse ce mot en le regardant attentivement. L’élève adressé répète le mot en regardant dans les yeux l’adresseur qui s’assure de la bonne prononciation du mot. Ne pas hésiter à faire répéter si besoin puis montrer le mot à l’assemblée. Ensuite c’est au tour de l’élève adressé de piocher un mot, de le mémoriser et de choisir du regard un élève à qui il adresse son mot. Quand il n’y a plus de mots dans le chapeau, remettre les mots et continuer l’exercice jusqu’à ce que tous les élèves aient joué le rôle d’adressé et d’adresseur.

lombricien – géodrilologie – épigé, endogé, anécique – INRA – clitellum – paradiapause – humus – argile – complexe argilo-humique – segment – métamère – sol – hermaphrodisme – Darwin.

 

VIRE-LANGUE

Répéter plusieurs fois le texte suivant en respectant les coupes qui signalent une pause pour reprendre sa respiration

Le clitellum en épigé / métamère le lombricien. /Argile complexe le segment s’hermaphrodisme / et s’anécique pour former la / géodrilologie. / L’INRA  a frappé d’endogé / les sols argilo-humiques / leur préférant les sols paradiapauses, / propices à meilleur humus / pour la prolifération des vers de terre.  

Exercice à pratiquer en groupe puis deux par deux

Se présenter deux par deux au public en disant chacun son tour le texte

 

B/ Exercices d’écriture en vue de prendre la parole

 

Moi, je 

A partir des lettres de son prénom, recouper avec celles du début des mots scientifiques. A partir de cette banque de mots faire un court poème en commençant par : Moi, prénom, je :

 

V   Ver de terre

I     INRA

R

G    Géodrilologie 

I

N

I

E     Endogé 

Moi, Virginie, géodrilologue passionnée

Je travaille à l’INRA

Sur les vers de terre à caractère endogé

 

J’aime / j’aime pas

A partir des mots suivants, composer 2 quatrains en utilisant au minimum 4 mots de la liste, 2 mots par quatrain et faire rimer les quatrains (utilisation du dictionnaire des rimes)

(lombricien – géodrilologie – épigé, endogé, anécique – INRA – clitellum – paradiapause – humus – argile – complexe argilo-humique – segment – métamère – sol – hermaphrodisme – Darwin..)

J’aime la géodrilologie

Depuis 4 bonnes années

Avec mon bâton de berger

Je trace à tâtons les endogés

J’aime pas les clitellums

Ca s’infiltre dans l’humus

profond jusqu’au thymus

Et sifflent tout leur calcium

 

Ma définition

A partir des mots suivants imaginer une définition : choisir un mot et intégrer 2 autres mots de la liste dans la définition

(lombricien – géodrilologie – épigé, endogé, anécique – INRA – clitellum – paradiapause – humus – argile – complexe argilo-humique – segment – métamère – sol – hermaphrodisme – Darwin..)

Exemple :

Géodrilologie : (nom commun féminin) C’est l’étude des segments anéciques présents dans les sols argilo-humiques permettant de dater avec précision l’origine des métamères.

 

C/ Exercice d’oralité

 

Détente, concentration, respiration

Se mettre en cercle ; debout les yeux fermés ; poser les mains sur son ventre et sentir sa respiration naturelle.

Faire 10 soupirs en inspirant par le nez puis en expirant par la bouche tout doucement, le plus longtemps possible.

Recommencer 10 fois en bloquant sa respiration juste à la fin de l’inspiration pendant 1 à 2 secondes puis expirer tranquillement le plus longtemps possible.

Revenir à la respiration normale, toujours les mains posées sur son ventre et les yeux fermés.

 

Echauffement

Réveiller les différentes parties de son corps (sauf tête) ; imaginer que sa main est un gant et se frotter les différentes parties du corps, bras, jambes, pieds, mains, cou, épaules …

Auto masser sa tête

Grimacer : étirer les muscles du visage dans tous les sens, ouvrir la bouche, bouger sa langue dans tous les sens puis tirer la langue

 

Cercle d’attention

Se passer un objet imaginaire :

 – Lentement car c’est fragile

 – Vite car ça brûle

Se passer un ver de terre (quelles sensations cela procure)

De sa place dans le cercle :

 – Dire son prénom et faire un geste ; le cercle répète le prénom et reproduit le geste

 – Exprimer un son et un mouvement dynamique, bouger de sa place vers le centre du cercle ; le cercle reproduit le son et le mouvement dynamique

 

Exercice de marche

Marcher en groupe tranquillement sur le plateau sans se toucher, faire attention aux autres. Quelqu’un décide de s’arrêter, tout le monde s’arrête ; pause puis le groupe repart ; Recommencer plusieurs fois jusqu’à établissement d’un rythme harmonieux, comme une respiration naturelle

Marcher tranquillement sur le plateau sans se toucher puis aux consignes marcher selon les indications :

 – Dans la boue

 – Sous la pluie

 – Dans le sable

 – Dans une forêt

 – Par grand vent

 – Comme un vieillard

 – Comme un petit garçon

 – Comme un ver de terre

Au clac, s’arrêter et garder la pause

 

Improvisation pour exprimer émotions

Trois élèves face au groupe classe : chaque élève, chacun son tour, dit une phrase simple (la même phrase pour les trois élèves) avec une intention piochée dans une enveloppe ; inventer une phrase à partir du ver de terre.

Exemple :

Le ver de terre aime la pluie

Intentions tirées : joyeux, en colère, timide

 

Lecture adressée

A partir des textes produits par les élèves, faire une lecture adressée :

en cercle, un élève avec le texte de son prénom, mémorise un segment du texte facile à retenir, choisit du regard un élève et adresse ce segment en le regardant attentivement. L’élève adressé répète ce segment en regardant l’adresseur. Ensuite c’est celui qui a parlé en dernier qui opère de la même façon en utilisant un segment de son texte.

 

Improvisation mimée

Par groupe de deux élèves : un élève mime un verre de terre et le second fait les bruitages.

Les spectateurs doivent deviner dans quelle situation est le ver de terre.

Exemple de situations :

 – Sols asséchés

 – Sols dégoulinants de pluie

Les voies de l’oral

Cette rentrée bien particulière ouvre une nouvelle année scolaire marquée par le « Grand Oral » auquel se soumettront les élèves de classe Terminale préparant les cinq épreuves finales du baccalauréat 2021. Les compétences orales évaluées relèvent d’une part de la capacité pour l’élève à prendre la parole en public, d’exploiter ses connaissances et d’autre part de développer une argumentation en lien avec son projet personnel. Les professeurs documentalistes sont doublement mobilisés à la fois pour la préparation et la participation au jury. Pour autant leurs actions menées au CDI, au sein des établissements scolaires et dans des cadres pédagogiques non formels participent de longue date de cette didactique de l’oral. Les activités dans leur diversité, les projets engageant les compétences en jeu dans le Grand Oral montrent une multiplicité d’entrées qui ne peuvent être réduites à ce seul domaine de « l’oral ». En effet, les apprentissages info-documentaires convoqués, la manière dont leur progression sont conçues relèvent pleinement du champ des oralités. Ce numéro de dossier se classe résolument dans cette perspective, celle d’expliciter, analyser des situations de communication, des actes de langage, en somme des faits culturels. Car chaque prise de parole évoque un contexte particulier : celui de l’oralité première aux situations de communication ordinaire, interpersonnelle, et celui de l’oralité seconde qui fait référence à un oral médiatisé et surtout relie l’écrit à l’oral pour reprendre la terminologie de Walter J. Ong. Ce dossier distingue au sein des pratiques professionnelles deux axes d’orientation qui par ailleurs se rejoignent souvent : l’enseignement de l’oral inscrit dans une démarche d’éducation aux médias et à l’information et plus globalement du développement la culture informationnelle et la pratique de l’oral dans une approche davantage communicationnelle faisant appel aux techniques du corps, à un art de dire et de parler.
Car comme l’évoque Sylvie Plane il ne s’agit pas d’enseigner un oral mais plutôt des oraux selon des cadres et enjeux de communication pluriels et de les extraire d’une représentation influencée par l’écrit. Elle souligne ainsi dans son approche historique toute la complexité du rapport entre l’Ecole et l’enseignement de l’oral oscillant entre maîtrise de la langue et maîtrise du discours. Ces objectifs de maîtrise s’articulent de manière fondamentale, essentielle avec ceux de l’éMI : les contributions d’Isabelle Martin et Blandine Schmidt interrogent les dispositifs médiatiques et analysent la démarche communicationnelle inscrite dans le dossier du CLEMI « se préparer à l’oral par la pratique médiatique », celle d’Emily Bouillon et d’Emeline Bis montre bien comment une classe media permet de travailler des apprentissages de maîtrise de la langue, de prise de parole, de connaissance des médias grâce à l’animation d’une webtv par les élèves. Stéphanie Quattrociocchi expose l’intérêt double de l’expérimentation du LabAurascope autour de l’enseignement de l’oral, à la fois pour l’élève et pour l’enseignant grâce à la vidéoscopie. Autant de lectures qui éclairent la démarche proprement info-documentaire des pratiques pédagogiques autour de l’oralité.
Bien parler selon des contextes variés relève également du développement de compétences psychosociales, d’estime de soi, de confiance, de compréhension de codes culturels, de signes pour bien argumenter ses propos, être capable de redonner voix à un texte par une interprétation juste, personnelle et donc par le fait de comprendre et de s’approprier une voix autre. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Cyril Delhay, auteur du rapport éponyme explicite son dessein politique de faire de l’apprentissage de l’oral un levier d’égalité des chances. Cette réactualisation, dans les programmes scolaires, de la nécessité de développer les compétences orales des jeunes adolescents fait écho au pouvoir que la parole maîtrisée donne. En reprenant son propre parcours il nous livre les clés de son enseignement d’un art oratoire, ce qui entre en résonance avec les déambulations jansoniennes proposées par Martine Liagre, la pratique du booktube selon Djamila Aït Hammi, la participation à des concours de lecture à voix haute conduite par Cécile Combettes. Virginie Seba, professeure documentaliste, slameuse, poète, nous fait partager la part sensible de son propre enseignement dans une dernière étape de ce voyage en oralité(s).
Au printemps dernier des voix se sont tues dans les théâtres, salles de spectacle vivant… peu de temps cependant pour reprendre par d’autres voies médiatisées, du podcast jusqu’au simple téléphone permettant des consultations poétiques avec pour mot d’ordre « Tenir parole ». Gageons que la lecture de ce numéro vous accompagne dans vos expérimentations par-delà les conversations masquées, la distanciation sanitaire, pour permettre aux élèves de « tenir parole » à leur tour.

PMB, un retour d’expérience

Pourquoi passer à PMB ?

On peut légitimement se poser la question lorsque le logiciel documentaire utilisé dans son établissement est BCDI, qu’il fonctionne bien, et qu’on en est plutôt satisfait.
Il faut savoir qu’il y a d’abord un aspect de conformité à une circulaire de 2012, la circulaire Ayrault, qui a pour but de favoriser l’usage du logiciel libre dans les administrations publiques, dont l’école fait partie. Choisir PMB est alors un moyen de se conformer à cette demande, au même titre que choisir l’utilisation de la suite bureautique Libre Office plutôt que celle de Microsoft.
Ensuite, il faut avoir en tête le modèle économique de Canopé pour BCDI : c’est un opérateur de l’État qui reçoit des subventions de ce dernier ; il est par ailleurs subventionné par chaque académie où il est implanté et chaque établissement doit payer annuellement la solution documentaire BCDI pour pouvoir l’utiliser, un abonnement dont le montant n’a fait qu’augmenter ces dernières années.
On peut donc décider de continuer à utiliser le logiciel de Canopé ou d’en changer pour faire des économies, économies non négligeables quand le paiement du logiciel est pris sur les lignes budgétaires attribuées au CDI.
Enfin, PMB peut permettre une gestion partagée des documents, inscrite dans une démarche de politique documentaire, pensée à l’échelle de l’établissement. Il offre également beaucoup de petites fonctionnalités bien pratiques au quotidien : le bulletinage assisté, le prêt express ou encore la gestion des « paniers » que je détaillerai au fur et à mesure de ce retour d’expérience.
Il y a beaucoup d’étapes à suivre pour utiliser PMB quand on n’a aucun accompagnement de la part de l’académie, mais c’est un changement qui, de mon point de vue, présente beaucoup d’avantages, dont le « multitâche » proposé par le logiciel (cataloguer et prêter un livre en même temps, par exemple).

Présentation générale

PMB est un logiciel documentaire développé par PMB services, il est complètement libre et gratuit, si tant est qu’on ne fasse pas appel aux services techniques de l’entreprise (maintenance, hébergement, formations, etc.) et s’installe sur un serveur. Cet outil est doté d’une interface de gestion et d’un catalogue, le tout accessible depuis n’importe quel navigateur web.
Avant de détailler l’utilisation de PMB, précisons quelques points pratiques

Vocabulaire de PMB

Les emprunteurs : dans PMB on parle de « lecteurs » pour désigner les personnes (élèves, enseignants, personnel autre…), usagers-emprunteurs des documents catalogués ; à ne pas confondre avec « utilisateurs », terme retenu pour désigner les personnes qui ont accès à la partie gestion ;
Le catalogue : le terme couramment utilisé est « OPAC » pour Open Public Access Catalog ;
Les recherches en mode gestionnaire : c’est principalement la « recherche multi-critères » qui est utilisée, elle s’apparente aux équations de recherche de BCDI.

Spécificités de PMB

Une première spécificité est l’organisation générale des menus : on trouve un premier menu horizontal avec différents onglets qui peuvent être ouverts dans différentes fenêtres du navigateur (circulation, catalogue, administration, portail…). Puis pour chaque menu, un sous-menu vertical qui permet différentes actions (sous l’onglet circulation par exemple, on peut prêter, rendre un ouvrage, créer de nouveaux lecteurs, etc.). Et enfin un sous sous-menu précisant les actions spécifiques au sous-menu (c’est très souvent le cas pour le menu de l’administration).


Une autre spécificité de PMB est la présence de « paniers » : ils permettent d’enregistrer certains ouvrages en fonction de critères et d’appliquer des actions sur l’ensemble des ouvrages présents à l’intérieur du panier (je reviendrai sur ce point).

Outil à maîtriser en complément de PMB

Un tableur : utile pour l’import de la base élèves.

Comment passer de BCDI à PMB ?

Si vous avez la chance d’être dans une académie qui propose ce logiciel, rien de plus facile, il suffit de contacter les services de la DANE1 ou le « groupe PMB » de votre académie pour faire la demande d’ouverture de base et il ne vous restera plus qu’à faire la « bascule » seul ou avec vos services académiques.
Si, en revanche, vous n’avez pas cette chance, cela est un peu plus complexe (et je parle en connaissance de cause…) : il faut procéder à un nettoyage de la base BCDI pour préparer la bascule, faire l’installation technique de PMB sur un serveur (en ligne ou en interne), vérifier les paramètres de PMB et procéder à la bascule.

Voici les tutos que j’ai utilisés et ma réflexion sur la future base PMB de mon établissement en rapport avec chacune des étapes mentionnées ci-dessus.

Étape 1 : Nettoyage de BCDI pour préparer la bascule vers PMB

TUTO 1 : Préparer la base BCDI (Alain Soulier2)

Une base PMB se réfléchit en amont : manière dont on veut que les documents apparaissent, modalités de prêt en fonction des ouvrages (manga, périodiques, BD, roman…), utilisation de douchette ou non pour les codes exemplaires… Toute la procédure est expliquée par Alain Soulier dans un tutoriel. Libre à chacun ensuite de réaliser sa propre organisation.
Pour ma part, j’ai d’abord choisi de faire en sorte que les « étagères3 » correspondent physiquement aux documents que j’ai au CDI : fictions, documentaires et périodiques. Puis, pour chacune de ces étagères, j’ai précisé à l’aide des « rayons » les différentes catégories : dans les fictions, on trouve les romans, les BD, les mangas, les nouvelles, les poésies… ; dans les documentaires, les différentes classes Dewey ; et dans les périodiques les différents abonnements du CDI.
Cette organisation permet aux élèves qui consultent le catalogue de se « balader » dans un CDI virtuel qui correspond à l’organisation physique du lieu. Ainsi ils ne sont pas « perdus » quand ils doivent aller chercher dans les rayons le(s) livre(s) qui les intéresse(nt).
J’ai profité de ce changement de logiciel documentaire pour « remettre à plat » les numéros d’exemplaires en mettant des codes-barres, lisibles avec une douchette. Il m’a donc fallu veiller à ce que les numéros d’exemplaires de BCDI puissent se fondre avec ce nouveau système. Une fois cette manipulation réalisée, il ne reste qu’à effectuer les changements dans PMB et à équiper les livres en codes-barres pour faciliter le prêt.

Cette première étape est importante, tout comme il est important de consacrer du temps à la préparation de BCDI. Essayez d’engager cette réflexion au moins une année avant de procéder au changement : pour ma part, j’ai consacré 40 h au moins de travail « pur » à cette phase préparatoire, en plus des heures de cours, de l’accompagnement des élèves au fil des journées et de toutes nos autres tâches. Essayez également de préserver des heures sans élèves dans votre emploi du temps ou, si vous êtes deux en poste, des plages horaires dédiées pendant lesquelles vous pourrez vous isoler (prévoyez en moyenne au moins 2 h consécutives).
C’est un travail de longue haleine, mais cela en vaut la peine !

Étape 2 : Installation technique de PMB

TUTO 2 : PMB Normandie

C’est la partie la plus complexe quand on doit installer PMB « seul », sans l’aide des services de l’académie. Nous n’avons pas tous les compétences et les connaissances pour faire face aux différents problèmes techniques.
Dans mon collège, le Principal m’a fait confiance pour installer en local PMB sur le serveur de l’établissement : j’ai suivi le tutoriel de PMB Normandie qui propose un déroulé pas à pas pour ce genre d’installation. Vous pouvez suivre ce même tuto pour installer PMB sur vos postes informatiques, mais cela suppose que tous les ordinateurs (au moins ceux du CDI) soient en réseau pour que les élèves puissent accéder au catalogue.
Je tiens à préciser que les collègues qui se lancent dans l’aventure risquent d’être amenés à résoudre des questions techniques (PHP4 , SQL5 notamment) et qu’il vaut mieux s’armer de patience pour parvenir à installer une base PMB accessible et fonctionnelle.

Étape 3 : Vérifier les paramètres de PMB (phase de test)

TUTO 1 : Préparer la base BCDI (Alain Soulier)

Avant de commencer à importer les données (ouvrages et élèves), il est nécessaire de faire le point sur les paramètres de PMB et de vérifier les imports.

Première étape : nettoyer la base que vous avez installée, parfois les versions PMB et leur paramétrage comportent des notices, des emprunteurs, des auteurs, etc. Pour les supprimer, rien de plus simple, il existe une fonction nettoyage (chemin d’accès : Administration → Outils → Nettoyage de la base).
Lancer la commande en cochant ce qu’il faut retirer pour que la base soit totalement vierge.

Deuxième étape : vérifier que l’import des lecteurs se passe bien. Pour cela aller dans Administration → Lecteurs → Import lecteurs. Si votre paramétrage de PMB est bon, vous aurez une indication du fichier de bureautique qu’il faut créer (voir image). Je vous conseille de préparer un premier fichier avec une dizaine de lecteurs pour voir si l’import est réalisé correctement et sans problème (opération à répéter jusqu’à ce que votre fichier classeur soit bon en pensant à supprimer les lecteurs précédents).


Troisième étape : avant de faire la bascule de votre base BCDI vers PMB, faire un test avec une petite section de votre base (voir le tuto 1). Aller dans Administration → Imports → Exemplaires UNIMARC et importer. Puis vérifier que cela fonctionne correctement : si les emplacements et le type de prêt sont bons, il ne doit pas y avoir d’erreurs ; sinon, vous devrez peut-être revoir la concordance des champs entre BCDI et PMB (étape 1).

Quatrième étape : faire quelques tests ; prêter des livres à de faux emprunteurs, simuler des retards, essayer d’ajouter des livres et de les prêter, etc. Faire tous les tests qui vous passent par la tête pour être sûr(e) d’avoir une base opérationnelle pour la bascule. Mais avant cela, une dernière manipulation s’impose : nettoyer de nouveau votre base PMB pour éviter d’avoir vos faux emprunteurs et des doublons sur vos ouvrages.

Étape 4 : Bascule et insertion base élève

TUTO 1 : Préparer la base BCDI (Alain Soulier)

C’est la dernière partie et, bonne nouvelle, c’est la plus simple si vous avez bien pris le temps de faire tous les tests. Vous n’avez plus qu’à reprendre les procédures que vous avez déjà faites pour la phase de tests.
Il vous suffit de bien suivre le tuto 1 et de laisser la machine s’occuper de tout ! Il faudra bien sûr faire une vérification générale de ce que vous aurez importé, mais vous aurez un PMB complètement opérationnel !

PMB au quotidien : les avantages !

Même si le passage de BCDI à PMB peut sembler complexe, une fois que vous aurez pris en mains cet outil, vous pourrez en apprécier les nombreux avantages. Pour ma part, je constate que j’ai une vision plus globale de l’ensemble de mon fonds, dès la connexion, grâce au tableau de bord (voir image) qui permet de voir en un coup d’œil les retours et/ou les abonnements en retard (oui, il y a beaucoup de retards dans mon établissement…).


PMB permet de prêter des documents tout en continuant le catalogage. Pour cela il suffit d’ouvrir sur différents onglets du navigateur les différents onglets de PMB (circulation, catalogue, ou autre). Ainsi on ne perd pas le bénéfice du travail commencé quand on enregistre un retour à la récréation ou qu’on prête un ouvrage rendu à un élève qui attend pour l’emprunter.
Un autre avantage : l’utilisation des codes-barres avec une douchette (comme dans BCDI). Leur utilisation permet de gérer plus facilement les prêts et surtout les retours, voire de le faire faire à un élève sans que cela soit trop complexe pour lui. Cela représente un gain de temps non négligeable dans nos nombreuses tâches, et il faut l’avouer, certains élèves adorent nous aider !

Je vais maintenant présenter certains aspects de PMB qui facilitent la gestion du fonds au quotidien.

Les paniers

Les paniers sont très utiles lors de recherche « multi-critères », lorsqu’on souhaite réaliser des bibliographies ou des sélections sur un thème, pour préparer l’inventaire ou encore pour avoir une trace des ouvrages à mettre au pilon. Il faut alors veiller à attribuer le résultat de la recherche au panier de son choix (panier « notice », « exemplaire », « bulletin » pour les périodiques, ou « lecteurs », géré sous l’onglet circulation), en cliquant sur l’image du panier correspondant, pour un traitement immédiat ou futur.
Un sous-menu permet de gérer chaque panier : « Gestion » pour créer, modifier ou supprimer un panier, « Collecte » pour remplir le panier, « Pointage » pour distinguer les ouvrages ou ressources d’un panier, et « Actions » pour effectuer un changement sur le contenu d’un panier.
Les paniers permettent de faire un traitement par lots (comme dans BCDI) : soit pour apporter une modification (changement de statut, de section, etc.), soit pour mettre en valeur une partie du fonds sur l’OPAC, soit pour procéder au désherbage, ou au récolement. Pour cette dernière action, il est très utile d’avoir un fonds avec des codes-barres et les douchettes, le pointage devient alors très facile : il suffit de scanner les livres et on voit assez rapidement les ouvrages non « pointés », donc non présents dans le fonds au moment du récolement.

Bulletinage assisté

C’est une fonctionnalité qu’on trouve dans Circulation → Périodiques → Bulletinage. Elle permet, après avoir créé un abonnement avec un modèle prévisionnel pour chaque périodique auquel le CDI est abonné (voir la documentation de PMB pour le tutoriel), de simplement cocher tel ou tel numéro reçu pour lui attribuer un numéro d’exemplaire et le mettre en circulation. Cela permet également de voir assez rapidement les manques dans les abonnements en cours et de faire les démarches nécessaires.

Gestion partagée

PMB permet une démarche partagée de gestion des ressources de l’établissement, ce qui suppose bien évidemment une politique documentaire partagée, impliquant l’ensemble des personnels et portée par le chef d’établissement. Dans une moindre mesure, on peut aussi envisager des profils « utilisateurs » pour des élèves qui apportent leur aide pour les opérations de prêt ou de retours d’ouvrages. Pour cela il suffit d’aller dans Administration → Utilisateurs → Gestion des utilisateurs, et de créer des profils d’utilisateurs (donnant accès à l’interface de gestion) et de leur ouvrir certains droits. Par exemple, dans mon établissement, les élèves du Club Lecture sont formés pour le prêt et le retour des ouvrages : leur profil « Club lecture » leur donne accès uniquement à l’onglet « Circulation », ce qui évite qu’ils fassent des erreurs dans la base même. De la même manière, on peut cataloguer les séries de français et ouvrir le droit de prêt aux collègues de Lettres pour qu’ils gèrent seuls leurs séries.
Dans le cadre de la gestion partagée, j’ai également créé une autre base PMB qui ne contient que les manuels scolaires, de manière à ne pas surcharger la base principale du CDI, mais aussi pour bien dissocier les manuels des ressources du CDI. Avec cette base dédiée, la gestion des manuels scolaires est réalisée avec une rapidité incroyable : les collègues qui veulent les manuels dans leur salle ont un prêt à leur nom et en sont complètement responsables (même pour la gestion des dégradations) ; et le prêt aux élèves est simplifié avec la gestion des groupes classes, il suffit simplement de « biper » les manuels empruntés. En tout, la gestion des manuels en début d’année n’a demandé que 30 minutes par classe. Pour les retours, nous avons décidé avec les professeurs principaux que cela se passerait dans leur salle : j’apporterai la douchette et mon aide.
L’objectif à terme de la démarche engagée avec les collègues est de faire en sorte que les professeurs principaux soient formés et autonomes dans les prêts et retours des manuels scolaires en début et fin d’année scolaire. De mon côté, je n’aurai plus qu’à gérer les arrivées et départs en cours d’année.

Prêts express

C’est une fonctionnalité de PMB bien pratique quand des élèves attendent impatiemment que les ouvrages soient disponibles au prêt, après une commande. Elle permet de prêter un livre après avoir renseigné seulement un minimum d’informations. Le traitement/catalogage complet se fera une fois que le livre sera rendu. Pour cela, il faut, à partir de la fiche-élève, cliquer sur « Prêt Express ». Et de là, enregistrer l’ISBN, le titre et attribuer un numéro d’exemplaire, puis cliquer sur le bouton « créer la notice/exemplaire et prêter ». Un message apparaît pour signifier qu’il s’agit d’un prêt express. Ce même message apparaîtra au moment du retour pour rappeler qu’il faut alors compléter le traitement documentaire de l’ouvrage.


Au-delà de ces avantages pratiques, il est à noter qu’il existe une grande communauté autour de PMB avec des passionnés qui ont une bonne maîtrise du logiciel. Dès que l’on a un problème technique à résoudre ou une question à propos d’une manipulation, on peut solliciter la communauté PMB : la réponse arrive généralement assez rapidement, d’autant plus que certaines questions ont déjà été anticipées (on n’est pas seul à rencontrer des difficultés). Et le tout avec beaucoup de bienveillance.

« Les défis de l’éducation aux médias et à l’information » selon le CESE

À la différence du rapport Studer2 (Assemblée nationale, octobre 2018) et de la note du Cnesco3 (février 2019), tous deux centrés sur le rôle et la place de l’EMI à l’école, l’avis du CESE entend insister sur le rôle de tous les acteurs de l’EMI (État, collectivités locales, associations, familles…). Voté à l’unanimité, il est en lien avec deux avis précédents, énoncés respectivement en 2017 et en 2019, intitulés : « Réseaux sociaux numériques : comment renforcer l’engagement citoyen ? » et « L’éducation populaire, une exigence du 21ème siècle » lequel évoquait déjà l’investissement de l’éducation populaire dans le champ de l’éducation aux médias et à l’information.
Le CESE énonce ainsi 19 préconisations qui s’articulent autour de trois défis :
– faire de l’EMI une « grande cause nationale » élargie à tous les publics (étudiants, parents, personnes âgées…) ;
– renforcer la formation des acteurs intervenant dans le champ de l’EMI ;
– soutenir l’évaluation et la recherche dans ce champ, notamment autour de la thématique de la réception de l’information. La création d’un fonds financier dédié à l’EMI et abondé par les recettes de la taxe Gafa est envisagée.
Toutes ces perspectives ne peuvent en première lecture que nous enthousiasmer. Pour autant, l’analyse attentive de l’avis et de la synthèse du CESE ainsi que celle des 13 vidéos des auditionnés en entretien public (soit une heure d’audition environ) nous interrogent à plusieurs niveaux.
Notre proposition de lecture critique s’articulera ainsi autour des deux questionnements suivants : quelle est la place des enseignants du secondaire dans l’approche de l’EMI développée par le CESE ? Quelles visions de l’EMI nous sont-elles données à voir à travers le choix et les discours des auditionnés ?

1. Éduquer aux médias et à l’information : où sont les enseignants du secondaire ?

1.1. Une EMI qui échapperait à l’Éducation nationale et à ses acteurs ?

« D’ailleurs comme le souligne le baromètre 2018 sur la confiance des Français dans les médias, 71 % des personnes interrogées estiment que c’est «tout à fait» ou «plutôt» le rôle de l’Éducation nationale d’organiser un enseignement d’EMI à tous les élèves. » (Avis du CESE, p. 31.)

Quelle est l’opinion du CESE sur le rôle de l’Éducation nationale dans l’EMI ? La vidéo introductive de Marie-Pierre Gariel (rapporteure) souligne la multiplicité des actions et des acteurs intervenant dans le champ de l’EMI. La rapporteure insiste également sur le manque de coordination et d’efficacité entre les Ministères. L’analyse lexicale de ses propos relève des références aux acteurs issus de différents secteurs : l’éducation populaire (citée 4 fois), le milieu associatif (cité 4 fois), les journalistes (cités 3 fois). La vidéo introductive comporte enfin des images des membres de l’association d’éducation populaire Jets d’encre participant aux échanges et aux discussions du CESE. Sont nommés d’autres acteurs intervenant dans le champ de l’EMI comme les entreprises du numérique, la Caisse d’allocations familiales (Caf) et l’Union nationale des associations familiales (Unaf) entre autres. Le mot « enseignant » et les actions menées par les enseignants du secondaire sont étonnamment absents du discours de la rapporteure4.
Retour sur l’avis du CESE. Un certain nombre d’éléments sont développés dans la partie intitulée « L’action du ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse » (avis, p. 31), notamment la nécessité de former les enseignants, la place de l’EMI dans les programmes disciplinaires ainsi que celle du professeur documentaliste sur laquelle nous reviendrons dans la sous-partie suivante. Qu’en est-il alors des actions de terrain menées par les enseignants du secondaire après sept années de mise en œuvre de l’EMI ? Qu’en est-il aussi des nouvelles « tendances » d’éducation aux médias et à l’information observées sur le terrain et menées par les enseignants du secondaire telles que les classes média, la réalisation de Booktrailers, de Webradio ou de WebTv par exemple5 ? De tout cela pas un mot, alors que les actions de l’association Jets d’encre, du Bondy Blog (vidéo) et du Labo 148 (avis du CESE, p. 17) ou encore celles du CLEMI qualifié « d’acteur majeur » (avis, p. 37) font l’objet de développements et d’explicitations. Ce constat est, de surcroît, d’autant plus étonnant que l’institutionnalisation de l’EMI dans les programmes des cycles 2, 3 et 4 permet de former plusieurs classes d’âges et que l’avis mentionne d’une part qu’il appartient à l’Éducation nationale « d’organiser un enseignement d’EMI à tous les élèves » (avis, p. 31) et fait référence d’autre part au rapport de l’Unesco6 (2011) qui considère les « enseignants comme des acteurs incontournables pour la promotion de l’EMI » (avis, p. 45). Or, parmi les auditionnés, seule une maîtresse de conférences en SIC7 exprime clairement « le rôle central de l’éducation nationale ». La liste des auditionnés par le CESE (en entretiens publics et privés) atteste par ailleurs d’une sous-représentation des enseignants du secondaire, puisque sur 34 auditionnés : 10 sont issus du milieu associatif dont celui de l’éducation populaire (Jets d’encre, la Zep, le Bondy Blog, Ceméa, l’@gence, Acrimed), 8 sont issus de l’enseignement supérieur (7 enseignants chercheurs, 1 conseillère auprès de la DGESIP), 6 sont issus du secteur de l’audiovisuel et du journalisme (ESJ de Lille, CSA, AFP), 4 représentent les syndicats (SNJ-CGT, CFDT-F3C, CFDT), 2 représentent le CLEMI, 1 auditionné est issu de l’enseignement secondaire (Proviseur de lycée) et 2 auditionnés, enfin, représentent respectivement les Ministères de l’agriculture et de la culture. Mais où sont les enseignants du secondaire ?
Il s’ensuit que le rôle des enseignants du secondaire apparaît seulement en filigrane, à travers l’apport du CLEMI, les partenariats engagés avec le milieu associatif ou à travers la formation. À titre d’exemple, une action d’EMI est évoquée par la rapporteure à travers la Semaine de la presse et des médias. Événement important, certes, mais aussi ponctuel, puisqu’il est limité à une semaine chaque année. Nombre de professeurs n’attendent donc pas cet événement pour mettre en place leurs actions d’EMI sur l’année en fonction des programmes scolaires et des opportunités qui s’offriront à eux. Et lorsqu’il est question enfin de favoriser une EMI active, ce n’est pas non plus dans le champ de l’Éducation nationale que les références sont prises, puisqu’il s’agit de développer « une pédagogie de l’apprentissage par le «faire» qui utilise notamment les méthodes actives de l’éducation populaire » (avis, p. 49). Alors que le CESE développe une approche de l’EMI sous l’angle de la citoyenneté, de l’éducation critique et de la préservation de la démocratie, comment élargir l’EMI à tous les publics tout au long de la vie en occultant à ce point l’engagement et le travail mené par les enseignants du secondaire ?

1.2. Focus sur le professeur documentaliste  : le rattachement de l’EMI aux SIC

« Je pense à l’existence de professeurs documentalistes qui sont formés aux SIC […] je pense à l’existence d’enseignants disciplinaires qui se dévouent à des projets […]. Peut- être faudrait-il permettre aux enseignants documentalistes d’être plus reconnus dans ce rôle central de développement de l’EMI… » Questions à Amandine Kervella (vidéo)8.

Poursuivons nos observations lexicologiques en nous centrant maintenant sur le rôle du professeur documentaliste dans le champ de l’EMI et en partant de l’extrait suivant, issu de l’avis : « Il revient plus particulièrement aux professeurs documentalistes de mettre en œuvre cette éducation soit en propre dans leur CDI, soit dans l’accompagnement de leurs collègues dans les différents champs disciplinaires pour leur permettre de développer des projets » (avis, p. 32). L’expression « en propre » fait référence à la possibilité de mener seul une action d’EMI. Les professeurs documentalistes sont également cités par le Ministère de l’enseignement agricole avec une référence précise à l’enseignement info-documentation à travers le champ disciplinaire de « technologie de l’information et du multimédia/information-documentation » (avis, p. 34). Nous constatons ensuite qu’un certain nombre de verbes sont mobilisés pour signifier le champ d’action de cet enseignant : « maître d’œuvre », « accompagnateur », « il participe aux côtés des enseignants », « il appuie les enseignants » (avis, p. 33 et 59), « il les [les élèves] forme à un usage raisonné et critique des ressources médiatiques numériques et physiques » (avis, p. 33). De l’accompagnateur au formateur en passant par le maître d’œuvre, il s’avère que l’utilisation d’une multiplicité de verbes pour qualifier les missions du professeur documentaliste accentue le manque de visibilité sur sa fonction pédagogique. L’avis évoque, pour preuve, l’implication du professeur documentaliste également en ces termes : « Mais ils et elles [professeurs documentalistes] ont aussi d’autres missions et parfois du mal à dégager du temps notamment pour monter des projets d’EMI en partenariat avec des acteurs extérieurs » (avis, p. 60). C’est ignorer la priorité accordée à la transmission d’une culture de l’information et des médias qui se manifeste sur le terrain à travers les nombreuses actions d’EMI menées seul ou en partenariat. Cette priorité accordée à l’expertise pédagogique du professeur documentaliste dans le champ l’EMI s’inscrit dans le premier axe de la circulaire de mission professionnelle de mars 2017, pourtant citée dans l’avis du CESE.
La préconisation n° 159 suggère un renforcement de la formation initiale et continue des enseignants du secondaire, des professeurs documentalistes, des chefs d’établissements et des personnels du secteur socio-culturel public ou associatif. Dans la même logique, l’avis insiste sur « la formation initiale et continue des enseignants à l’EMI c’est-à-dire a minima aux sciences de l’information et de la communication (SIC) » (avis, p. 60). Cet intérêt des SIC pour l’EMI est également évoqué par Ollivier-Yaniv10 : « l’EMI à la confluence de plusieurs disciplines est plus particulièrement étudiée par les Sic » (avis, p. 35). Alors que les préconisations n° 211 et 612 suggèrent d’une part le renforcement de la marge de manœuvre du CLEMI en tant qu’opérateur de l’EMI (par la création d’instances régionales et nationales pilotées par le CLEMI et réunissant les principaux acteurs de l’EMI), et d’autre part l’augmentation de ses moyens financiers et humains, on ne peut que s’étonner que l’augmentation du champ d’action pour les enseignants du secondaire, et surtout pour les professeurs documentalistes qui appartiennent aux champs des SIC, ne fasse pas l’objet d’une préconisation du CESE. L’avis énonce enfin que « dans les nouveaux programmes, la place des professeurs documentalistes est réaffirmée » (avis, p. 33). Il est fait référence ici aux nouveaux programmes de lycée où ce n’est pas la place du professeur documentaliste qui est réaffirmée mais celle des notions info-documentaires. Auparavant ces notions invisibles étaient diluées dans les programmes disciplinaires. La réforme du lycée 2019 marque en effet un recentrage de ces notions info-documentaires autour d’objets d’études abordés selon les épistémologies disciplinaires. En voici trois exemples : le premier concerne le thème 4 du programme d’enseignement de spécialité d’histoire-géographie, géopolitique et de sciences politiques en classe de 1ère intitulé « s’informer : un regard critique sur les sources et modes de communication » (25 h) ; le second exemple extrait du programme de français de la classe de 2nde bac professionnel concerne l’objet d’étude nommé « la construction de l’information : s’informer » qui s’articule autour des thématiques des circuits de l’information, des médias, de la source et du système de la désinformation ; enfin les objets d’études relatifs au programme de SNT (sciences numériques et technologie) de la classe de seconde ont trait à internet, au web (histoire, fonctionnement, moteur de recherche), aux données (définition, structure et enjeux), aux réseaux sociaux (définition, enjeux, cyberviolence…) entre autres.
Et nous pourrions aller plus loin dans l’analyse de ce qui constitue in fine des parties de « programme disciplinaire » en information-documentation-média. Ce « programme » se constitue progressivement face aux nouveaux enjeux sociétaux liés à la société de l’information, sur un mode transversal, et de manière éclatée. Ces évolutions ouvrent assurément de nouvelles perspectives pour le professeur documentaliste qui voit son champ d’action s’accroître en fonction de la réalité des terrains. Peut-on dire pour autant et de manière généralisée que « la place des professeurs documentalistes est réaffirmée » ? Un professeur documentaliste qui prendrait en charge le programme de SNT en classe de 2nde par exemple serait indubitablement confronté aux mêmes logiques contradictoires : accueil des élèves au CDI/enseignement selon un emploi du temps défini, notions info-documentaires abordées sous l’angle des disciplines/ notions info-documentaires abordées sous l’angle des SIC, pour ne prendre que ces deux exemples.

2. L’EMI et le développement d’un « agir responsable » face à l’information et aux médias

2.1. Le paradoxe de l’élargissement de l’EMI à tous les publics

« L’EMI doit permettre aux enfants, aux jeunes, aux adultes et aux personnes âgées, d’acquérir, sans pour autant devenir des professionnels, des connaissances et des compétences leur permettant de s’informer, d’émettre, de diffuser, d’analyser et de partager des informations de façon responsable. » (Synthèse du CESE, p. 1.)

Face aux nouveaux modes d’accès à l’information, la nécessité d’élargir l’EMI à tous les publics tout au long de la vie fait consensus. Le statut de l’EMI dans la sphère scolaire est rappelé par le CESE : enseignement transversal (et non discipline scolaire) qui repose sur une démarche active et sur une pédagogie de projets (avis, p. 32) qui tiennent compte des pratiques réelles des acteurs. La préconisation n° 413 évoque enfin la mise en œuvre d’un plan systématisant la création d’un média par établissement scolaire et propose la mise en place d’événements liés à l’EMI.
La volonté d’élargir l’EMI à tous les publics cible essentiellement les parents, les étudiants et les personnes âgées et prévoit l’élargissement du champ d’action de divers acteurs du milieu socio-culturel. La préconisation n° 6 prévoit par exemple une Semaine de la presse et des médias renommée en « semaine des médias et de l’information pour tous » avec un volet scolaire et un volet grand public. Alors que l’EMI est institutionnalisée dans les programmes des cycles 2 (CP, CE1, CE2), 3 (CM1 et CM2) et 4 (5e, 4e, et 3e), il est étonnant qu’une préconisation visant à élargir institutionnellement l’EMI au lycée ne soit pas formulée. Comment raisonnablement construire une EMI « tout au long de la vie » élargie à tous les publics sans une institutionnalisation de l’EMI à tous les niveaux scolaires ?
La citation ci-dessus rappelle la finalité de l’EMI dans la formation du citoyen responsable. L’analyse de l’avis du CESE atteste par ailleurs d’une insistance lexicale autour de la notion de « responsabilité » : « […] accéder à une autonomie responsable » (avis, p. 10), « être libres et responsables face à l’information en contribuant à un débat démocratique et éclairé » (avis, p. 11), « exercer sa citoyenneté de façon responsable et informée » (avis, p. 48). La responsabilité constitue une charge à assumer pour l’élève et sous-tend un certain nombre de capacités pour répondre de ses actes en tant que producteur et consommateur d’information. Le développement des techniques numériques impose en effet une responsabilité constitutive de l’action : vérifier les sources, analyser la véracité de l’information, diffuser une information fiable en tant que producteur par exemple. La responsabilité est constitutive enfin de la liberté, puisqu’être libre c’est être en mesure d’assumer ses responsabilités. Cette approche responsabilisante (avis, p. 13) qui selon Yolande Maury (2011) vise « à ce que l’élève soit en capacité d’assumer les changements, de gérer aléas et incertitudes, et résoudre lui-même les défis et/ou problèmes rencontrés »14 n’est-t-elle pas un moyen pour l’institution de se désengager de ses responsabilités en matière d’EMI ? Renvoyer aux responsabilités de chacun, c’est éviter de se confronter à la sienne.
Or, développer un agir responsable à l’égard de l’information et des médias induit pour l’élève la capacité de comprendre, d’analyser, de critiquer, de proposer et de décider dans l’environnement informationnel numérique. Pour les enseignants, éduquer à la responsabilité dans l’usage de l’information et des médias sous-tend la transmission d’un minimum vital informationnel, fondé sur des connaissances et des compétences info-documentaires autorisant le développement du sens de la responsabilité chez l’élève ; « une bible informationnelle » écrivait Claude Baltz15. Le développement d’un agir responsable va toutefois bien au-delà d’un volet de connaissances et de compétences à transmettre. Il sous-tend une façon de percevoir le monde informationnel à l’ère numérique, une manière d’être et d’agir sur ce monde. Claude Baltz l’affirmait déjà en 1998 : « pas de société de l’information sans culture informationnelle »16. L’agir responsable est au cœur de la transmission d’une culture informationnelle fondée sur une éthique de l’information et des médias, sans laquelle l’élève ne peut développer ses capacités dans la société d’aujourd’hui où le numérique prend une place majeure.
Le développement de cet agir responsable est-il toutefois possible sans la reconnaissance pleine et entière des actions d’EMI menées par les enseignants du secondaire ? Est-il possible sans une reconnaissance institutionnelle ferme et sans équivoque du mandat pédagogique du professeur documentaliste qui, fort de son expertise pédagogique dans le champ des SIC, a la charge de transmettre cette culture informationnelle, de la même manière qu’il appartient à un professeur de sciences de transmettre une culture scientifique, à un professeur de lettres de transmettre une culture littéraire ou à un professeur d’histoire-géographie de transmettre une culture humaniste ?

2.2. L’EMI, à la convergence de trois éducations à… (information, média, numérique) : l’information à l’épreuve du média

« Je parlerai surtout de l’information parce que lorsque l’on entend média, il y a aussi du divertissement […] l’important c’est l’information. […] ça nécessite de l’éducation à l’information plus que de l’éducation aux médias. » Questions à Patrick Eveno (vidéo)17.

Les 19 préconisations du CESE plaident « pour une EMI élargie qui accompagne les individus tout au long de leur vie dans l’acquisition d’une solide culture médiatique et numérique » (avis, p. 48). Lexicalement, les termes relatifs au champ médiatique sont sur-représentés par rapport au champ de l’information-documentation. Ce qui ne signifie pas pour autant que ce dernier soit inexistant, mais qu’il souffre plutôt d’un manque de visibilité. Deux exemples extraits de l’analyse lexicale des travaux du CESE autorisent ce constat. Le premier est issu de l’analyse des vidéos des auditionnés qui révèle plusieurs formulations de l’EMI : l’« éducation aux médias » est l’expression la plus utilisée (31 fois) par les auditionnés. C’est deux fois plus que l’expression pourtant « officielle » d’« éducation aux médias et à l’information » ou « EMI » formulée 15 fois par les auditionnés. L’expression « éducation à l’information » est quant à elle peu employée (3 fois) tout comme « éducation ou formation au numérique » (7 fois). L’analyse lexicale des discours des auditionnés révèle pourtant clairement la présence de notions relatives aux champs de l’information-documentation : 89 récurrences de termes issus du champ lexical des médias ont été relevées (média et médiatique essentiellement) et 81 sont relatives au champ lexical de l’information (informer, information, source, désinformation, infox, fake essentiellement).
Le même constat apparaît à travers l’analyse de l’avis du CESE. L’éducation aux médias (EAM) est évoquée à travers huit approches et en termes :
– d’évolutions, d’histoire et de bouleversements (mutation du monde des médias, crise des médias, confiance et méfiance vis-à-vis des médias, histoire des médias…) ;
– de modèle et de sphère économique propre (organisations professionnelles du secteur de la presse et des médias, concentration des médias, élargissement de l’offre médiatique, modèle économique des médias, condition de travail dans les médias…) ;
– de diversité (médias traditionnels, audiovisuels, média « pure player », média alternatif, médias associatifs) ;
– d’usage et d’appropriation (pratiques médiatiques, création de média, fabrication de contenu médiatique, décrypter les médias et l’information, décrypter les messages et les représentations médiatiques) ;
– de culture (une solide culture médiatique et numérique, culture des médias et du numérique).
La perte progressive du mot « information » dans l’expression « éducation aux médias et à l’information » formulée par les auditionnés et la faiblesse des occurrences liées à l’expression « éducation à l’information » n’empêchent pas une nette représentation de l’éducation à l’information (EAI) à travers six approches et en termes :
– d’évolutions, d’histoire et de bouleversements (fausses informations durant la grande guerre, diffusion et circulation de l’information, nouveaux vecteurs d’information, flux d’information désormais continu, instantané et planétaire, de nouveaux moyens de diffusion de l’information, changement dans la façon de produire et transmettre de l’info, histoire de l’information…) ;
– d’usage et d’appropriation surtout (décryptage et réception de l’information, émetteur et récepteur de l’information, s’informer, analyser et partager des informations, traitement de l’information, le rapport à l’information, crédibilité et pertinence d’une information, sources d’information, qualité de l’information, consommation d’information, comprendre l’information, ressources documentaires et informationnelles, appropriation de l’environnement informationnel, recherche d’information, évaluation de l’information, l’évolution de la société de l’information, nouveaux usages des jeunes en matière informationnelle, maitrise de l’info, accès à l’information, manipulation de l’information, exposition à une information…) ;
– de diversité (désinformation, multiplication des supports d’information, l’information d’actualité, sites d’information, informations peu fiables, mal-information…) ;
– de modèle et de sphère économique propre (dégradation des conditions de travail et précarisation des professionnels de l’information, technologies de l’information, associations de professionnels de l’information…) ;
– d’éthique (droit à l’information, libertés de l’information, esprit critique face à l’information, crédibilité de l’info, confiance dans les informations, pluralisme de l’information…).
L’indicible « éducation à l’information » diluée dans les expressions « éducation aux médias et au numérique » constitue bien par conséquent un champ spécifique, distinct, et possède un territoire propre, mais cette éducation à l’information souffre d’un manque de visibilité renforçant sans doute son caractère indicible.


Conclusion

« […] inscrire l’EMI dans un parcours et dans un temps long plutôt que dans la multiplication de séquences (ateliers ou interventions ponctuelles) dont les effets sur les bénéficiaires sont limités. » (Avis, p. 49.)

En touchant toute une classe d’âge par leurs actions pédagogiques, les enseignants restent les acteurs principaux de la mise en œuvre de l’EMI. Leur sous-représentation dans les travaux entrepris par le CESE est-elle révélatrice d’un aveu d’impuissance de l’école dans la mise en œuvre d’une EMI pour tous ? L’inscription de l’EMI dans un temps long comme l’énonce la citation ci-dessus extraite de l’avis du CESE est-elle compatible, par exemple, avec d’une part l’absence de reconnaissance institutionnelle de l’EMI à tous les niveaux de l’enseignement secondaire et d’autre part avec la « forme scolaire » ? Cette dernière expression employée par de nombreux chercheurs dont Jean-François Cerisier (2016) désigne cet espace où « on n’y apprend ni ce que l’on veut, ni à sa façon, et l’on ne choisit ni avec qui, ni où, ni quand » (Cerisier, 2016, p. 10)18. Dans cet ordre scolaire qui a son organisation temporelle propre (découpage en temps de cours) une EMI inscrite dans un temps long pourrait-elle trouver sa place ? N’y a-t-il pas ici une incompatibilité ? Beaucoup de questions sont formulées qui restent pour un temps sans réponse. Le travail mené par le CESE, certes, encourageant pour la profession, atteste en conclusion d’un manque de visibilité, voire d’une forme de méfiance vis-à-vis des actions d’EMI menées dans la sphère de l’enseignement secondaire. L’EMI vue par le CESE n’est pas l’EMI que les professeurs documentalistes mènent au quotidien, confrontés aux problèmes et aux questions info-communicationnelles des élèves.
Or, nous sommes l’institution scolaire : élèves, enseignants, parents… Par notre implication et nos intentions, nous contribuons à bâtir l’institution scolaire. Pour mener à bien leurs actions visant à développer chez l’élève un agir responsable à l’égard de l’information et des médias numériques, les professeurs documentalistes pourraient se focaliser essentiellement sur leur mission pédagogique. Mission prioritaire qui reviendrait dans certains contextes à accepter et à autoriser que d’autres personnels (enseignants, élèves…) puissent prendre en charge les missions de gestion et d’accueil du CDI. Dans un espace-temps bouleversé par le numérique et face à une information circulante, se délocaliser, quitter le CDI pour éduquer à l’information et aux médias et transmettre les fondements d’une culture informationnelle m’apparaissent comme une nécessité. Cette délocalisation, ce hors-lieu, garantirait l’avenir pédagogique des professeurs documentalistes qui ne se situe plus à l’intérieur du CDI mais dans chaque espace de l’établissement scolaire.

 

 

Sexualité et littérature ados

L’adolescence est un âge de la vie qui correspond à peu près à la période de la puberté chez l’homme. Elle se caractérise par des transformations psychologiques et physiques qui le font passer de l’enfant à l’adulte ; l’être humain devient sexué et capable de se reproduire. D’où la place importante que prennent le sexe et la sexualité chez les ados. Même s’ils sont ressentis de manière plus forte, les sentiments tels que l’amour, l’amitié, l’injustice ont déjà été éprouvés par les enfants. En revanche, les émois physiques, aussi bien en solitaire que vis-à-vis des autres, sont nouveaux et à apprivoiser. D’autant plus que cette nouveauté, à la fois plaisante, intrigante et effrayante est également taboue. Alors que le corps change, grandit, échappe au contrôle, il est encore difficile de mettre des mots sur les formidables émotions qui le traversent1. C’est là que la littérature intervient : les ados y retrouvent leur questionnement, grâce à votre aide discrète et efficace.
Je vous propose donc un deuxième volet de notre exploration du « roman de genre » : le roman « érotique » pour ados. Nous verrons dans cet article que cet adjectif « érotique » est finalement assez impropre à la littérature ados, mais que je l’emploierai faute de mieux, me refusant d’utiliser le terme « roman sexuel » qui me paraît clinique et à vrai dire assez disgracieux.
La loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse dit clairement que celles-ci « ne doivent comporter aucun contenu présentant un danger pour la jeunesse en raison de son caractère pornographique […] ». La pornographie, c’est littéralement la représentation de sujets obscènes. Or, la sexualité est considérée comme obscène, et pourtant elle est un des éléments qui façonnent l’adolescence : comment écrire sur un sujet tabou et pourtant fondateur ? Alors qu’aujourd’hui, on parle de sexualité dans les médias, les séries2 , les films, sur Instagram, comment en parler aux ados sans être pornographe ou au contraire, trop didactique  ? Suivez le guide à travers le roman « érotique » pour ados.

Les premières fois.
Quand on parle d’amour et de sexualité pour les adolescents, on entre dans ce monde troublant et émouvant de la première fois : premier baiser, premiers émois, premières caresses. C’est donc sans surprise dans ce paragraphe que l’on trouvera le plus de références. C’est d’ailleurs le thème du recueil 16 nuances de premières fois, où différents auteurs et autrices jeunesse racontent différentes premières fois, des plus effrayantes aux plus touchantes. Les nouvelles y sont toutefois assez explicites : réservez-le davantage au lycée. Un autre recueil, intitulé Premières fois est à mentionner : des auteurs et autrices abordent des thèmes tels que l’appréhension, les conseils douteux, l’homosexualité, mais aussi la première fois dans d’autres cultures. Un des romans les plus réussis dans cette catégorie est à mon avis L’Amour en chaussettes, de Gudule. Delphine est amoureuse de son prof d’arts plastiques qui, bien sûr, l’éconduit gentiment. Elle se rapprochera de son copain Arthur, avec qui elle fera l’amour pour la première fois. Cette description de la première intimité, avec doux baisers, maladresses et caleçon Simpson est l’une des plus justes que j’aie lue. La question de la première fois, c’est aussi la question du « bon » moment, avec le « bon  » partenaire. Faut-il « se réserver » ? Faut-il « se débarrasser » de sa virginité, comme un fardeau encombrant qui nous relie encore à l’enfance ? Deux ouvrages abordent ce sujet, l’un sur un mode léger, façon teen movie américain, et l’autre dans un registre plus ironique. Dans Celui qui sera mon homard, une bande de copines décide que c’est ce soir qu’elles perdront leur virginité ; le tout est raconté dans une ambiance de chassé-croisé léger. Dans J’ai quinze ans et je ne l’ai jamais fait, Capucine, 15 ans, est une jeune fille « intello » et réservée, toutefois obsédée par l’idée de « le faire », si possible avec un garçon plus âgé, le prof d’histoire-géo par exemple… Comme l’héroïne de Gudule, elle finira par se rendre compte que les garçons de son entourage sont plus intéressants qu’ils n’en ont l’air, et que garçons et filles peuvent aussi faire d’autres choses ensemble que simplement perdre leur virginité. Ces titres abordent donc cette question essentielle, avec son lot d’attentes et de déceptions. D’autres romans traitent en revanche des problèmes plus graves liés à la sexualité.

Une thématique couramment abordée est celle de la grossesse adolescente.
Dans Le Test, Madeleine est une jeune fille de bonne famille qui découvre à seize ans qu’elle est enceinte. Au-delà de la question de garder ou non l’enfant, l’autrice Sophie Andrians interroge la question de la communication entre les adultes et les adolescentes, et le fait que tous les milieux sociaux sont concernés. Jo Witek s’empare également de ce sujet dans Trop tôt, où l’on suit la tristement banale histoire de l’amour de vacances d’une très jeune fille : elle fait le mur, elle se sent adulte dans le regard d’un garçon plus âgé, une brève étreinte dans les dunes, et puis le retard, quelques semaines plus tard. On suit sa difficulté de communication avec son père, totalement exclu de ce qui est considéré comme une affaire de femmes, l’avortement.

Un angle plus rare, lié au développement du numérique et surtout à la facilité d’accès aux contenus pornographiques est abordé dans Point of View, de Patrick Bard. Lucas est un jeune garçon plutôt complexé qui va développer une forme de dépendance au porno, au point de se couper de son entourage, voire de se blesser. Il rejoint alors un centre de désintoxication pour adolescents où il rencontre d’autres jeunes aux diverses pathologies, notamment une jeune fille en proie à d’autres démons : ils surmonteront ensemble leurs craintes.

Des tonalités crues.
Certains auteurs jouent avec les codes du roman ado et cherchent à provoquer des réactions fortes : quoi de plus amusant alors que d’aborder de manière frontale et crue les questions qui taraudent filles et garçons ?
En 2004, l’auteur anglais Melvin Burgess tracassait les bibliothécaires et documentalistes en publiant Une Idée fixe, récit de trois ados qui veulent absolument connaître les joies du sexe, mais sans bien sûr s’y connaître, et en usant et abusant d’un langage extrêmement fleuri. Évidemment, rien ne se passera comme prévu. La description des fanfaronnades des trois garçons est très bien rendue, et rappellera sans doute certaines « grandes gueules », notamment aux profs-docs de collège. Toutefois, c’est le langage qui est cru, et non les situations, ce qui permet à l’ouvrage d’être édité dans une collection jeunesse.
Plus dérangeant était Lady : ma vie de chienne, où une gamine délurée et à la sexualité bien affirmée se retrouvait un matin transformée en chienne (le terme anglais bitch a la même connotation insultante qu’en français) et qui finalement préférait rester ainsi, passant sa journée à traîner avec les chiens du quartier et à manger. Dérangeant par le côté affirmation d’une sexualité bestiale, et surtout du fait de s’en accommoder, ce roman avait beaucoup divisé à sa sortie.
Dans le contexte actuel de libération de la parole, notamment de la sexualité féminine, ces ouvrages ont été réédités par Gallimard.
Plus récemment, Vincent Cuvellier s’amuse avec la fanfaronnade des garçons dans Ma tronche en slip. Ici, Benjamin, 15 ans, un peu vantard, un peu obsédé, assez désagréable finalement, est casté pour des publicités de sous-vêtements. Le périple en Afrique du Sud pour le tournage de la pub est émaillé de gags, de masturbation rapide dans les toilettes pour se calmer après avoir vu les filles en maillot de bain… L’ensemble est assez potache, prête à rire et peut dédramatiser les situations gênantes d’érections impromptues.

Que les expériences vécues soient joyeuses, graves, décevantes ou inexistantes, elles ne sont pas à proprement parler érotiques. Elles cherchent à créer une identification ou au contraire un repoussoir, afin que les jeunes puissent trouver des réponses à leurs questions sur ce moment si intime. Ces situations ne sont pas conçues pour être excitantes.
Toutefois, une collection des éditions Thierry Magnier, L’Ardeur, entend proposer de l’érotisme pour les adolescents. Le premier titre de cette collection s’intitule Le Goût du baiser, de l’autrice Camille Fontaine. L’héroïne, Léa, perd le goût et l’odorat à la suite d’un accident. Elle va devoir apprendre à vivre avec ce handicap, et notamment découvrir la sexualité en étant privée d’une partie de ses sens. Publié en 2019, ce roman balaye tous les sujets qui peuvent intéresser les ados : premier amour, première relation sexuelle, mais également consentement, revenge porn3 , homosexualité, grossophobie, etc. La couverture porte la mention « Public à partir de 15 ans ». En effet, les scènes de sexe sont explicites et visent clairement à émoustiller les jeunes lectrices et lecteurs.
En janvier puis en mars 2020, la collection s’étoffe de deux titres : Le Point sublime, de Manu Causse, et Tout à vous, de Maia Brami.
Cette collection entend mettre la sensualité au cœur de la lecture, et pas seulement la « première fois » comme une étape de l’adolescence.

Si l’on parle de romans érotiques pour les ados, doit-on y inclure les romances, tels les ouvrages du genre After, d’Anna Todd, ou Calendar Girl, d’Audrey Carlan ?
Nombre de jeunes filles (le lectorat de ces ouvrages est majoritairement féminin) lisent ces fictions, qui se trouvent plutôt dans le rayon young adults des librairies. Doit-on les compter parmi les livres à proposer au CDI, vu le succès qu’ils rencontrent, et la thématique qu’ils traitent ? Ici, chacun se fera juge, mais il ne semble pas que ces ouvrages soient destinés à des adolescents : leur contenu explicite4 est clairement destiné à émoustiller les lectrices, et ils ne sont pas publiés sous couvert de la loi de 1949.

Finalement, ce qui lie tous ces romans, et les rend si populaires, c’est qu’ils reprennent la trame du Bildungsroman, le roman d’apprentissage. Ils racontent une des étapes marquantes de la vie des ados, à savoir l’investissement de leurs corps et de leurs sentiments qui deviennent ceux d’adultes. Alors, on peut largement les proposer, car ils ne sont ni érotiques, ni pornographiques. Ils mettent en scène les joies et les affres des cœurs et des corps, et en deviennent par-là universels.