Culture-Nature, en trait d’union au CDI

Un retour d’expérience au lycée Beauséjour de Narbonne montre, à travers les déclinaisons d’un projet de grainothèque, que le professeur documentaliste est le passeur culturel naturel de cette éducation à la citoyenneté, le garant de ce lien ductile à tisser aujourd’hui au CDI.
Le CDI en tant que « lieu de formation, de lecture et d’accès à l’information », dans la ligne de la circulaire de mission n° 2017-051, du 28 mars 2017, est le reflet de la société qui aujourd’hui s’interroge sur son impact sur le climat. Le professeur documentaliste a un rôle à jouer dans la sensibilisation aux enjeux environnementaux auprès des différents publics qu’il accueille tous les jours au CDI. En les accompagnant à participer à des actions ponctuelles ou à des animations culturelles, en construisant des projets et en incitant à l’intégration dans la politique documentaire des partenaires locaux déjà engagés dans des initiatives écologiques locales, il devient un maillon fort de l’engagement écologique de son établissement scolaire dans une démarche raisonnée et durable.

Feu vert

La Semaine européenne du développement durable, en septembre, peut être un tremplin pour conjuguer au quotidien une éducation au développement durable. Transversale, c’est une éducation partagée et à partager. Le CDI est l’écrin de la culture, ce qui en fait le lieu propice pour appeler à protéger la nature.
Culture et nature ne s’opposent pas, mais se réunissent en ce lieu pour accompagner les citoyens à devenir vertueux. Le rôle du professeur documentaliste est de promouvoir des rencontres pour inciter les élèves à réfléchir au monde qu’ils souhaitent construire demain.

Le rayon vert

C’est une éducation qui fédère élèves, enseignants, parents dans des pédagogies de projets, ouvrant chacun sur son environnement si et seulement si elle reste modeste.
Il ne s’agit pas de prôner les gestes, les attitudes écoresponsables envers et contre tous les réfractaires. Ce n’est pas une éducation qui vise à dénoncer les travers de nos sociétés de consommation, ni du saupoudrage de bonnes pensées pour avoir bonne conscience ou pour répondre à une incitation gouvernementale.
Agir en tant que professeur documentaliste c’est proposer avec conviction à ses usagers ce retour à l’essentiel : accueillir la nature sur ses rayonnages, réconcilier nature et culture. Rester curieux et inventif. Dans tous les CDI, construisons avec les élèves une grainothèque de fleurs, de mots ou de métiers.

Avoir la main verte

Les grainothèques sont des banques de graines qui témoignent aussi de l’environnement local. Seules les semences pouvant pousser dans la région où est implantée la grainothèque seront choisies. Sont ainsi privilégiés les légumes, les fleurs et les aromatiques. Il est évident qu’un partenariat avec une jardinerie locale pour acheter les premières graines est nécessaire. Des potagers pédagogiques ont été conçus, en parallèle parfois, autour de thématiques comme « les plantes qui soignent » ou les carrés médiévaux, pour mettre en valeur ces bibliothèques vertes.
Rassurons-nous, le professeur documentaliste ne doit pas nécessairement avoir la main verte dans son CDI pour inciter à la conception d’un réservoir vert.

Se mettre au vert

Dans le cadre de l’AP, par exemple, les élèves accompagnés de leurs professeurs peuvent relever le défi de concevoir une grainothèque. Cette initiative s’inscrit également dans le parcours citoyen de l’élève ou peut intéresser les éco-délégués. Les grainothèques fonctionnant sur le système du libre-échange attirent de nouveaux usagers. Les élèves prennent une graine et en donnent une en échange. Pour commencer la grainothèque, nous avons pu bénéficier d’un don, d’autres graines ont été achetées. Il s’agit de toujours veiller à approvisionner la grainothèque de graines de fleurs, de légumes et de fruits locaux. Le sachet qui abrite la graine fournira à l’élève les informations nécessaires à sa plantation sur son rebord de fenêtre, son balcon, son potager ou son jardin. C’est une action qui relie les générations. Beaucoup d’élèves ont rapporté des graines des jardins ou des potagers de leurs grands-parents.

Vers un CDI vert ?

Tous les professeurs sont invités à participer : le professeur d’arts plastiques concevra les affiches ou le meuble qui accueillera les pochettes, le professeur de SVT prodiguera de bons conseils dans le choix des semences, le professeur d’histoire géographie réfléchira aux enjeux environnementaux et animera des débats citoyens en classe, le professeur de lettres et les professeurs de langues créeront les pochettes et indiqueront en plusieurs langues les conseils de culture. Un règlement pourra être écrit et discuté en éducation civique ou avec les assistants d’éducation. Le professeur documentaliste apportera son aide aux élèves pour penser à une classification des graines avec le professeur de physique à partir du tableau périodique des éléments, par exemple.
Il accompagnera également les élèves à prélever l’information à mentionner sur les pochettes de graines lors de recherches documentaires.
Ces pochettes seront mises à disposition au CDI. Il pourra être intéressant de valoriser leur création auprès de la médiathèque de réseau.

Et un jour, nous avons rencontré Johann Charvel1 et nous avons décliné les grainothèques en grainothèques de mots et de métiers… Grâce à cet écrivain, entremetteur entre la culture et la nature, nous avons étoffé notre vocabulaire lors de son spectacle théâtral « permaculturel », La graineterie de mots. Il nous a invités à « cultiver la biodiversité de notre vocabulaire ». Une grainothèque peut en cacher une autre.

Grainothèque de mots

Pas de mauvaises graines chez les mots

Après une banque de graines, une grainothèque de mots peut être réalisée au CDI. Chaque année, des mots entrent dans le dictionnaire. Pour 2021, le mot influenceur est ajouté, qui est défini comme la personne qui, en raison de sa popularité et de son expertise dans un domaine donné (la mode, par exemple) est capable d’influencer des pratiques de consommations. D’autres termes sont retirés, c’est le cas des mots : assoter, baladinage, finet, poétereau… Tous les mots supprimés sont présents sur le site de l’Académie française. Les élèves s’y rendent et font leur récolte de mots précieux et anciens pour créer des pochettes de mots.
Pour lutter contre le désherbage de la langue française, d’autres élèves empruntent un mot qu’ils choisissent et le sèment librement. Le pari réalisé est que les élèves vont employer le mot selon les conseils de culture fournis sur la pochette et ainsi enrichir leur vocabulaire.
Chaque pochette de graines de mots est composée du mot en plusieurs exemplaires à l’intérieur. Sur la pochette sont écrits son étymologie « appartient à la famille de », sa définition, son synonyme, un antonyme, un exemple de phrase et un conseil de culture : « le répéter 5 fois par jour » ou « essayer de l’employer le mercredi seulement » ou encore « faire deux phrases contenant le mot ». Nous pourrions imaginer ajouter d’autres informations : sa traduction en langue étrangère par exemple. À chacun de s’emparer et de faire germer l’idée.

Un mot à planter (verso)
Un mot à planter (recto)

Graines de citoyens

Concernant les métiers, nous avons choisi également de faire créer aux élèves, sur le même modèle, des enveloppes-métiers pour décliner l’expression « graine de ». À l’intérieur de chaque pochette Avenir est présente une fiche métier en plusieurs exemplaires. Réalisées par les élèves de terminales pour s’informer et informer les autres élèves sur le métier qu’ils aimeraient exercer plus tard, ces « graines de métiers » sont mises à disposition prioritairement auprès des élèves de première, de seconde et seront proposées aux élèves de 3e du collège voisin lors des Portes Ouvertes comme ressources documentaires dans l’Espace Orientation du CDI. En Aide Personnalisée, chaque élève conçoit une fiche métier recensant la formation nécessaire, les compétences et les qualités à posséder ainsi qu’une description des tâches principales du métier étudié. Sur l’enveloppe sont aussi mentionnées les sources utilisées (l’élève doit proposer une bibliographie et une image libre de droit pour l’illustrer) ; le métier est noté avec sa « famille » et ses synonymes. À l’intérieur de la pochette, on peut imaginer glisser le QR code de la fiche ONISEP correspondante par exemple.
Les pochettes réalisées en AP donnent également l’occasion de vérifier que les élèves savent prélever l’information dont ils ont besoin pour réaliser ensuite leur lettre de motivation. C’est un exercice de saison à faire pousser dans les CDI pour préparer les élèves au Grand Oral…

Culture-Nature, en trait d’union au CDI

« Si hotum in bibliotheca habes, deerit nihil » écrivait Cicéron à Varron : Si tu as une bibliothèque et un jardin, tu as tout ce qu’il te faut. Offrons aux élèves tout ce qui leur faut pour demain. Cultivons notre esprit par les livres en semant des graines.

Graines pour grainothèque

Photographies : Bénédicte Langlois

 

Le Jardin du rêve et du savoir

Le Jardin du rêve et du savoir du collège Roland Garros de Nice est une illustration de cette démarche : tout est parti d’une idée qui a germé dans les esprits à la suite de la crise sanitaire : celle d’un CDI extérieur. Cette idée s’est développée avec la découverte d’un lieu propice à sa réalisation, jusqu’à ce que des éléments extérieurs permettent d’envisager sa concrétisation. Les élèves, tels un groupe de jardiniers, ont alors été sollicités dessinant les plans de ce CDI hors du commun et hors les murs.

Une idée qui germe

Lorsque la pandémie est apparue, de nombreux CDI se sont vus désertés de façon imposée. Puis, très vite, les professeurs documentalistes se sont adaptés selon le protocole sanitaire propre à leur établissement.
Le collège Roland Garros est un établissement au carrefour de deux quartiers très différents : le quartier de la gare, très populaire et le quartier de Cimiez, plutôt huppé. De ce fait, le collège accueille un public très hétérogène avec près de 50 nationalités différentes et des élèves issus soit de catégories socioprofessionnelles très défavorisées (33 %), soit très favorisées (33 %). En outre, nous proposons une Ulis et une UPE2A. Cette mixité sociale est très riche et permet de mener à bien de nombreux projets pédagogiques très diversifiés.
À la rentrée 2020, par mesure de précaution, l’établissement accueillant près de 700 élèves, toute fréquentation du CDI, en dehors des séances de groupes classes, a été interdite jusqu’à nouvel ordre. Ce fut brutal, voire douloureux. Il fallait réagir vite pour que notre Cérès1 ainsi privé de sa sève ne se fane pas. Dans un premier temps, et comme nous avons la chance de nous situer dans une région au climat plus que favorable, le club lecture a donc été déraciné et implanté en extérieur. Chaque midi, livres et fauteuils ont été déménagés à l’air libre. Nous avons choisi un espace relativement calme entre l’entrée de l’établissement et le parking à vélos. Bien que ce ne soit pas une solution très florissante, elle a permis aux élèves de renouer avec le plaisir de lire le temps de la pause méridienne. En outre, le club lecture, non dissimulé par ses 4 murs, a attiré les regards et par ricochet de nouveaux membres.
Puis le froid a commencé à pointer le bout de son nez. Tels des voiles d’hivernage, nous avons sorti les plaids pour pouvoir prolonger le club en extérieur. Cette période un peu particulière a placé le Club lecture sous les rayons du soleil, mais aussi sous le feu des projecteurs. Nombreux ont été ceux qui se sont intéressés à notre petit groupe et, petit à petit, tout un chacun a commencé à imaginer un Cérès pérenne, hors les murs.

Le CDI extérieur

Baliser le terrain

Notre collège, labellisé E3D2, s’étend sur près de 12 000 m² très arborés : micocouliers, bigaradiers, mimosas, pins, palmiers et magnolias côtoient nos potagers, un potager classique et un autre en aquaponie (système permettant de faire vivre ensemble et en parfaite harmonie des plantes et des animaux aquatiques dans un système fermé ; les plantes se nourrissant des déjections des poissons par leur capacité à filtrer l’eau).

Situé sur une colline, le terrain est en relief et offre de nombreux coins et recoins de verdure plus ou moins exploités. Avec le Club “Lecture en herbe”, nous nous sommes davantage intéressés à ces espaces, mais c’est le chef cuisinier du restaurant scolaire qui a trouvé l’emplacement idéal pour implanter notre CDI extérieur.
En effet, derrière les cuisines, dans un endroit non fréquenté et se situant en haut d’une butte se cache un plateau totalement envahi par les broussailles et les mauvaises herbes où se perdent quelques trésors comme le carré d’orchidées sauvages. Ce petit coin de paradis est vraiment l’endroit rêvé pour notre projet, mais il nécessiterait des travaux de jardinage, d’aménagement, de sécurisation et d’ornementation. La professeure documentaliste soumet quand même l’idée à la Principale, l’emmène sur place et lui présente succinctement le projet qui commence à prendre racine dans son esprit, mais surtout dans celui des élèves.
Un rapide état des lieux est alors dressé. Il faut sécuriser le terrain avec une barrière pour éviter les chutes, recréer un accès depuis la cour et surtout débroussailler ! La cheffe d’établissement est très intéressée par cette idée d’un lieu de culture en extérieur, mais cela demande du temps, de la réflexion et un certain budget. Malgré tous ces freins, chacune se garde d’enterrer l’idée et, au contraire, se dit qu’un jour viendra où il sera possible de planter les jalons de cette idée peu banale, en collège, d’un jardin de lecture.

Le jardin

Préparer semis et plantations

Pour créer un jardin, il faut certaines connaissances, certains savoir-faire et, parfois, un peu d’aide extérieure. La Principale du collège, bien consciente de cette dernière donnée et tout à fait convaincue de l’aspect pédagogique du jardin de lecture, a soigneusement rangé ce projet dans un coin de son esprit et a patiemment attendu cet engrais qui manquait à l’aboutissement de ce lieu.
Cet “engrais” s’est présenté une avant-veille de vacances avec la venue de la nouvelle cheffe du service maintenance, chargée des collèges au Conseil Départemental. Cette dame visitait les établissements lorsque ses pas l’ont menée jusqu’à nous. Après avoir constaté et priorisé les travaux d’entretien, elle s’est penchée sur notre label E3D ainsi que sur notre projet d’établissement, qui présente toute une partie consacrée au bien-être des élèves et du personnel. C’est dans ce contexte que l’espace visé pour notre jardin de lecture lui a été présenté. Le fait que ce projet soit partagé par les élèves et les adultes, associé à l’idée de créer un lieu culturel en extérieur, ainsi que le désir d’exploiter un espace vert jusque-là à l’abandon, a suscité tout son intérêt. Elle s’est alors engagée à nous accompagner tant matériellement qu’humainement dans cette aventure. Deux jours plus tard le terrain était totalement débroussaillé à l’exception du carré d’orchidées sauvages. Le premier coup de bèche étant donné, il était désormais officiellement possible de dévoiler le projet et de s’y investir totalement.

Les fourmis se mettent à l’œuvre

Les débroussailleuses à peine rangées, le Club Lecture a été réuni avec pour ordre du jour une surprise. En fait, ce n’en fut pas une car les membres du club n’ayant nullement abandonné leur idée de jardin de lecture, avaient deviné, sans y croire, ce qui se tramait derrière le restaurant scolaire.
Ils ont aussitôt pris les choses en main avec beaucoup d’enthousiasme, dressant la liste des actions à mener et celle des besoins matériels. Sans le savoir, ils venaient de se lancer dans la pédagogie de projet et le design thinking3. Très impliqués et faisant preuve d’un véritable esprit d’équipe, ces élèves de 6e et 5e, membres volontaires du club Lecture, ont tout d’abord procédé à un brainstorming pour lister les besoins, définir un nom pour ce nouveau lieu, rédiger un règlement, choisir un mobilier adapté et faire le point sur les activités attendues dans cet espace. En partenariat avec le service d’intendance, ils ont appris les impératifs et les règles d’achats d’un établissement scolaire. Ils se sont ensuite plongés dans les catalogues professionnels pour rechercher du mobilier d’extérieur conforme à leurs attentes et dans le respect des normes des collectivités.
Parallèlement, nous leur avons expliqué quels travaux les services du Conseil Départemental envisageaient avec quelques bonnes surprises dont l’installation d’un mur végétal pour atténuer le bruit du boulevard.
Ces séances avaient à la fois un goût d’anniversaire, tant les élèves semblaient heureux de se lancer dans cette entreprise, et un côté comité de rédaction, chacun prenant son rôle très à cœur. Tous étaient très actifs, car après avoir distribué les missions de chacun, les uns ont rédigé des lettres à l’intention du Département, les autres se sont penchés sur le nom du lieu, tandis que d’autres encore discutaient du coût de tel transat ou de la couleur du voile d’ombrage. Les élèves ont fait preuve de beaucoup d’autonomie et d’un grand sens des responsabilités. Chacun a vraiment apporté son empreinte au projet, s’exprimant en ces termes :

« Il faut un panneau comme ceux qu’on voit sur les sentiers de randonnées pour afficher notre règlement et le programme des activités.
Ce serait bien de mettre une plaque de rue pour indiquer le nom de notre jardin.
Nous avons besoin d’une poubelle. Elle doit être en bois parce que nous serons dans un jardin.
Et si on mettait une table style table de pique-nique pour pouvoir écrire confortablement ?
Il faudra protéger notre cabanon avec du produit spécial si on veut qu’il dure longtemps. »

Ces élèves se sont lancés dans le projet de façon très active et très mûre. Ils se sont penchés sur tous les aspects du jardin : financiers, pratiques, environnementaux et esthétiques. Souvent ils ont surpris les adultes par leur maturité, mais aussi par leur caractère raisonnable et leur capacité à se projeter dans ce lieu naissant.

[Se] Cultiver

Notre jardin de lecture a finalement été baptisé Jardin du Rêve et du Savoir pour rendre visible son lien avec le Cérès, mais aussi parce que ses deux fonctions principales seront la lecture et l’acquisition de connaissances en lien avec notre environnement. Au fil des séances, le jardin a révélé un besoin de respiration et de sérénité, mais aussi la volonté de se mettre au vert, de pouvoir bénéficier d’un espace à la fois calme et verdoyant. En effet, la crise sanitaire a amplifié ce désir qui était déjà présent d’être à l’air libre car dans cette grande ville qu’est Nice, nombreuses sont les familles qui vivent en appartement, bien souvent sans aucun espace extérieur.

Le club lecture du CDI avec la plaque de rue

D’autre part, il est à noter que la douzaine d’élèves impliqués de façon continue a vraiment travaillé de concert, sans heurts, et toujours avec respect et bonne entente.
Ils voient ce jardin comme un lieu où lire et parler de leurs lectures, mais aussi comme un lieu d’apprentissage, puisqu’ils souhaitent tout savoir sur les végétaux de leur jardin. De plus, le Jardin du rêve et du savoir proposera une bibliothèque verte qui se constituera d’une bibliographie en lien avec la nature et les jardins et regroupera des documentaires et de la fiction. Cette bibliothèque sera intégrée dans Lire Délivre, notre projet bibliocréatif.
Enfin, notre jardin sera un lieu de déconnexion, un retour à la terre et l’occasion d’une interaction avec son environnement proche, rendant hommage au Candide de Voltaire :

« Il faut cultiver notre jardin ».

 

 

Photographies : Nora Nagi-Amelin

 

Dystopies et changements climatiques

Sécheresse1, Déluge2, Mers mortes3, Le dernier hiver4… sont autant de titres évocateurs d’une littérature manifestant un intérêt pour les problèmes liés aux dérèglements climatiques. En effet, les fictions d’anticipation reflétant nos angoisses à ce sujet se sont développées de façon exponentielle ces cinq dernières années, notamment aux États-Unis en réaction à Donald Trump et aux climato-sceptiques. La « fiction climatique », également appelée Cli-fi (pour climate fiction), un terme dont l’écrivain et blogueur Dan Bloom est à l’origine (2008), dénonce les dérives de notre société qui mettent à mal notre planète en causant pollution, disparition des abeilles, pénurie d’eau… Cette sous-branche de la science-fiction apocalyptique dans laquelle la destruction du monde est provoquée par des dérèglements climatiques croît en France alors que la littérature de notre pays, contrairement à la littérature américaine, s’est longtemps passionnée pour la ville. Et même l’armée française s’y intéresse et prend très au sérieux les auteurs de SF en constituant sa Red Team. La ministre des armées, Florence Parly, avait dévoilé en décembre dernier les noms des 10 écrivains retenus pour cette mission : anticiper les menaces futures (dont le réchauffement climatique) à travers l’écriture de scénarios à venir.
Il est à noter aussi que depuis 2018, le Prix du roman d’écologie récompense chaque année un roman francophone dont l’intrigue consacre une part importante aux questions liées au climat.

La littérature dédiée aux adolescents n’est pas en reste dans ce domaine. Les dangers liés à une surexploitation de la nature se retrouvent en effet souvent au cœur de nombreux romans d’anticipation. Et afin de préparer le lecteur au pire et pour le motiver à des changements de comportement dans le présent, la dystopie est un moyen auquel les auteurs ont fréquemment recours. Contre-utopie, elle présente l’idée d’un futur peu encourageant, dont les causes sont souvent à chercher dans les dérives de notre société. Critiques de notre système de vie contemporain, ces ouvrages présentent les luttes de protagonistes contre l’oppresseur que nous aurons peut-être nous-mêmes à mener si nos efforts ne suffisent pas ces prochaines années pour endiguer le réchauffement climatique et contrôler la gestion de nos ressources. Ils dénoncent ainsi des sociétés grisées par les progrès technologiques et scientifiques, par le contrôle de la nature. Et certaines histoires virent parfois au cauchemar…

Une planète Terre mise à mal…

Hélène Montardre, dans sa série Océania, et Jean-Michel Payet, dans le premier volet de sa série 2065 : La ville engloutie, emmènent le lecteur dans un futur proche, dans un monde où la montée des mers et des océans a bien eu lieu, jusqu’à la disparition de certaines parties du globe. Dans Océania : la Prophétie des oiseaux, nous accompagnons Flavia, qui vit avec son grand-père, guetteur. Ce dernier, avec ses collègues et certains chercheurs scientifiques, avait bien alerté sur des changements climatiques annoncés par le comportement des oiseaux. Mais ignorée des pouvoirs publics, la fonte des glaces a inéluctablement eu lieu et les habitants des côtes se retrouvent à devoir se déplacer. Pour sauver sa petite-fille, le grand-père va confier Flavia à un navigateur qui s’apprête à rejoindre l’Amérique et tenter de passer la gigantesque digue qui protège la ville de New York du déferlement des vagues et de l’arrivée massive de milliers de personnes du monde entier qui cherchent refuge. Le lecteur se retrouve alors plongé dans une société sous haute surveillance, privée de liberté et de tout contact avec les autres pays.
C’est dans un style différent que, dans le roman de Jean-Michel Payet, nous suivons les aventures d’Émile, récemment piqué par la remarque d’une camarade qui le traite de gros naze. En visite chez son grand-père, il découvre alors que ce dernier, via un trou dans la maison, se rend régulièrement dans le passé. Il décide d’emprunter lui aussi ce passage temporel, mais pour se projeter dans le futur, afin de vérifier s’il deviendra bien ce que la fille qu’il admire lui a dit. Mais difficile pour lui de retrouver sa ville, engloutie par les eaux, en proie à de fréquents tsunamis.
Si nous sommes captivés par les aventures de ces deux protagonistes, c’est que la montée des mers et des océans est un processus déjà bien enclenché et que nous ne pouvons que nous identifier à un monde où les images d’ours polaires à la dérive sur une banquise émiettée ou d’îles qui disparaissent sous les eaux sont montrées depuis déjà quelques temps par les médias.
C’est aussi contre les forces d’une nature détraquée que Reda, dans Terre de tempêtes (Johan Heliot), également chez son grand-père, va devoir se battre face à un cyclone d’une puissance inouïe. Là encore, dans un futur proche (2060), le climat en Europe a bien changé : le Nord est devenu une zone marécageuse, tandis que le Sud subit la sécheresse. Une erreur dans une exploitation expérimentale a provoqué un rot de méthane, consécutif à un accident sismique, qui a libéré dans l’Atlantique nord une poche de gaz, vingt fois plus nocif que le dioxyde de carbone. L’effet de serre atteint alors le seuil de 27°C, température idéale pour la formation de cyclones. Si le sujet paraît complexe, c’est en toute simplicité que l’auteur dénonce dans ce livre la course à l’exploitation d’énergies de substitution due à l’accroissement de la consommation, souvent au détriment de la population.

Une des autres conséquences dramatiques des changements climatiques est la disparition d’espèces animales et végétales. C’est ce thème de l’effondrement qu’a choisi Maja Lunde dans son magnifique roman Une histoire des abeilles qui, par sa structure originale, nous plonge dans trois époques et univers différents. D’un chapitre à l’autre, le lecteur suit William en Angleterre en 1851, George en Ohio en 2007 et Tao en Chine en 2098. À travers ces personnages, le lecteur est amené à comprendre, via une histoire des abeilles et de l’apiculture, les prémices et les conséquences effroyables de la disparition de ces insectes, on le sait, indispensables à la pollinisation.
Comme un cri d’alerte là encore, les auteurs du recueil Nouvelles vertes nous mettent face à nos responsabilités en nous faisant prendre conscience (ou un peu plus conscience) de la fragilité de la Terre. La faune marine en danger ou la surexploitation des forêts tropicales sont deux exemples des conséquences désastreuses des actes des habitants de notre planète parfois loin de penser qu’un sac plastique lâché dans la nature peut être mangé par un dauphin (qui le prend pour un calamar), cette ingestion pouvant conduire à la mort de l’animal.

Enfin, les particules en suspension, le dioxyde de soufre, les composés organiques volatiles et autres gaz modifient la qualité de l’air que l’on respire et ont des effets significatifs sur la santé et l’environnement. Dans des scénarios poussés à l’extrême, Carina Rozenfeld (dans Les clefs de Babel) et Thimotée de Fombelle (dans Céleste, ma planète, Prix du Festival du livre jeunesse d’Annemasse), plongent le lecteur dans des mondes futurs où l’air est devenu irrespirable. Dans le premier ouvrage, récompensé par le Prix des Incorruptibles niveau 5e-4e en 2011, le Grand Nuage (immense nuage toxique qui détruit toute vie sur Terre) a empoisonné la planète à la suite des explosions massives d’usines chimiques et de centrales nucléaires. Les hommes se sont réfugiés dans une immense tour nommée Babel.
Cette image de tour, cette fois-ci à la façade de verre ou de briques, se retrouve dans Céleste, ma planète, planète de fumée sur laquelle les hommes ont dû, là encore, construire des immeubles toujours plus hauts, à la recherche d’un air plus respirable, au-dessus des nuages de pollution. Avec, dans les deux ouvrages, une répartition inégalitaire des habitants en classes dans une société qui protège les plus aisés de la pollution atmosphérique. Ces derniers occupent les étages les plus élevés de la tour dans Les clefs de Babel tandis que les plus faibles vivent en bas, rejetés, là où l’air est le plus pollué et où les conditions de vie s’avèrent sordides : humidité, logements sombres et exigus.

… Sur laquelle les hommes doivent survivre

Dans la plupart des ouvrages d’anticipation illustrant les conséquences des changements climatiques, c’est donc à un contexte bien souvent postapocalyptique que les protagonistes doivent s’adapter tant bien que mal, à un monde où les populations encore épargnées tentent de survivre.

Dans le fascinant roman réaliste de Jean Hegland, Dans la forêt, les habitants ont quitté la ville, fuyant des virus et le manque de ressources, une crise économique… (impossible de ne pas établir de parallèle avec la période de pandémie que nous traversons). Une famille isolée au milieu de la forêt décide de rester dans cet écrin de verdure et se retrouve à vivre en autarcie. La relation des deux sœurs, leurs passions (la danse pour l’une, la littérature pour l’autre) et leur force de vivre contre la rudesse du quotidien ramènent le lecteur à une certaine humilité et à une réflexion croissante sur le rapport entre l’homme et la nature.
La forêt, Samaa, elle, ne sait pas ce que c’est. Les arbres, elle ne les voit que sous forme de troncs quand un groupe de chasseurs en rapporte pour vendre le bois. Car dans Et le désert disparaîtra, de Marie Pavlenko, la vie a presque disparu. Plus d’animaux ; partout, le désert. Et c’est toujours plus loin que la tribu nomade doit partir traquer ce matériau devenu si rare et si convoité tandis que les femmes et les enfants attendent le retour des hommes, se nourrissant de barres protéinées et d’eau gélifiée.
C’est ce thème de la sécheresse et de la pénurie d’eau qui sera au cœur du roman à suspens Dry (Lauréat du prix Young Adult 2018 du Salon du Livre de Marseille et dans la sélection du Prix des Incorruptibles 2020-2021, niveau 3e-lycée), de Neal et Jarrod Shusterman. Le manque d’eau en Californie va vite mener les habitants à une guerre du chacun pour soi jusqu’à transformer certains d’entre eux en zombies assoiffés prêts à tout pour une gorgée du précieux liquide. Les auteurs y dépeignent également, parmi les héros, une famille survivaliste qui s’était préparée à une éventuelle catastrophe, mais qui ne sera pas épargnée pour autant par les difficultés dans cette course effrénée contre le temps où chaque heure passée sans boire peut coûter la vie.
On retrouve l’évocation de ce mode de vie dans la palpitante série Ciel, de Johan Heliot, via le personnage du grand-père qui a pour volonté de rassembler sa famille pour les fêtes de Noël chez lui, dans les Vosges. Mais cette réunion familiale ne pourra pas avoir lieu. CIEL, intelligence artificielle toute puissante qui a remplacé Internet, a pris possession de toutes les machines afin de maîtriser les humains et ainsi sauvegarder la planète en stoppant toute pollution et autres gestes mettant la Terre en péril. Cette famille, éclatée aux quatre coins de l’Europe, se retrouve alors sous l’emprise dictatoriale des robots. Chacun des membres tente tant bien que mal de survivre, isolés à Berlin, Paris, en Italie ou encore dans le Vercors.

Dans les deux bandes dessinées The End, de Zep et Après le monde, de Timothée Leman, la nature a repris le dessus et seuls quelques survivants sur Terre ont été épargnés par l’apocalypse. Dans le premier ouvrage, l’auteur pose la question d’une nouvelle chance pour l’espèce humaine. Une équipe de chercheurs, en Suède, travaille sur la communication des arbres entre eux et avec les hommes. Ils tentent de démontrer que ces végétaux détiennent les secrets de la Terre à travers leur ADN, leur codex. C’est en recoupant leurs génomes avec la mort mystérieuse de promeneurs en forêt espagnole, le comportement inhabituel des animaux sauvages et la présence de champignons toxiques que le professeur comprendra que ces événements sonnent l’alerte d’un drame planétaire immédiat qui n’épargnera que Théodore, le stagiaire du groupe, et quelques autres. Le lecteur en conclut alors qu’ils devront, ensemble, se réorganiser pour construire une nouvelle société.
Dans Après le monde, Héli et Selen sont les deux derniers survivants. Tous les autres ont été aspirés, pensent-ils, par une tour de lumière blanche. Ensemble, ils vont partir et tenter de découvrir l’origine de cette catastrophe. Contenant très peu de texte, cette BD est servie par un graphisme original et onirique. Dans un autre style, les pages de l’œuvre de Zep sont également très belles et surprenantes, en couleurs monochromes.

Et pour terminer cette série de livres dans lesquels les hommes ne peuvent plus habiter la Terre comme avant, on en arrive aux sous-genres planet et space opera.
Dans sa série en cinq cycles, Les mondes d’Aldébaran, Léo fait évoluer ses personnages sur des planètes étrangères et mystérieuses, des exoplanètes. Nous sommes au XXIIe siècle. Au siècle précédent, les conditions sur Terre se sont dégradées à la suite du réchauffement de la planète, avec une pollution toujours croissante et des guerres religieuses dévastatrices. Grâce à la technologie avancée et aux progrès dans la conquête de l’espace, de nouvelles planètes habitables sont découvertes. Les protagonistes de ces bandes dessinées sont donc les premiers colons d’Aldébaran. Privés de communication avec la Terre, ils explorent cet univers peuplé d’animaux fascinants et d’une flore étonnante. Cent ans après leur arrivée, d’étranges phénomènes surviennent.
Si le graphisme des personnages est parfois désuet, l’univers créé par l’auteur et l’intrigue tiennent le lecteur en haleine. Ces ouvrages restent destinés à un public de lycéens, certaines scènes se présentant comme sensuelles ou violentes.
L’étonnante novella de Liu Cixin, Terre errante, traduite du chinois et adaptée au cinéma en 2019, appartient quant à elle à la branche du space opera. L’intrigue se déroule dans l’espace. La Terre se meurt, le soleil se transforme progressivement en géante rouge. Pour éviter l’extinction de notre planète, les Nations imaginent un projet fou : transformer la Terre en un vaisseau spatial. En construisant d’immenses propulseurs plasma, ils arracheront cette dernière de son orbite et la mèneront vers le système de Proxima de Centaure.
Cette œuvre de qualité, qui laisse au lecteur des images fortes, entre tout à fait résonance dans le contexte actuel de la course à la conquête spatiale notamment avec l’exploration de Mars pour laquelle la Chine est devenue une superpuissance.

De nouveaux modèles d’éco-citoyenneté

Mais l’accès à d’autres planètes n’est pas le seul recours imaginé par les auteurs s’intéressant aux problèmes d’environnement.
Tout le récit de Christian Grenier, par exemple, repose sur la quête d’un monde utopique, d’un pays mystérieux : Écoland. À la recherche de cet idéal : Vitalin, souhaitant retrouver sa compagne, et Clovisse, en mission secrète pour le gouvernement. Leurs routes vont se croiser. Mais que vont-ils trouver ? Ce roman, édité en 2003, mais dont l’écriture aurait débuté bien auparavant, se voulait au départ une fiction d’anticipation. Mais aujourd’hui, l’ouvrage semble réaliste, offrant une réflexion sur l’écologie, la décroissance, la mutualisation de nos connaissances, les alternatives possibles à notre mode de vie, afin de sortir de la surconsommation responsable d’une pollution massive.
Jean-Luc Mercastel nous emmène quant à lui dans un monde beaucoup plus radical, Un monde pour Clara. Si les mouvements des jeunes citoyens pour un respect de l’environnement après divers accidents nucléaires représentaient au départ une lutte juste, la construction d’un nouveau modèle a plongé les habitants dans la terreur d’une dictature avec, à sa tête, Les enfants de Gaïa, une secte ultra puissante prête à tout au nom de l’écologie. L’auteur présente à travers cet ouvrage de science-fiction les dérives possibles d’un idéal vert et l’aveuglement des hommes dès leur accession au pouvoir.
Pour finir sur un ton plus léger, empreint d’humour, l’éditeur Thierry Magnier, dans Nouvelles re-vertes, toujours sur le principe du recueil de nouvelles, propose cette fois-ci des récits plus optimistes sur la Terre de demain.

Cette littérature de science-fiction ou d’anticipation axée sur les dérèglements climatiques trouve une place toute naturelle dans nos CDI. Le large éventail de titres édités (seule une petite sélection est mentionnée dans cet article) permet d’accompagner les élèves et d’enrichir leur réflexion, puisque l’on sait que l’éducation au développement durable se retrouve aujourd’hui dans les programmes de nombreuses disciplines et que des éco-délégués sont élus depuis quelques années dans les collèges et les lycées. Plaisantes à lire, ces fictions ne peuvent qu’aider les élèves à prendre conscience des enjeux de nos actes pour la planète et peut-être, les inciter à s’engager au quotidien en tant que citoyens. Les notes en fin d’ouvrages que les auteurs ou éditeurs proposent parfois sur le sujet sont un plus et confirment que le combat contre le réchauffement climatique est une préoccupation sociétale croissante.

 

 

Cultiver ses compétences numériques sur Pix

Si Pix est une plateforme généraliste s’adressant de manière indifférenciée au citoyen français quel que soit son âge ou son statut, elle se destine aussi à un usage pédagogique, en succédant au B2i (Brevet informatique et Internet) et au niveau 1 du C2i (Certificat informatique et internet). La plateforme permet en effet d’évaluer en ligne les compétences numériques des apprenants selon un modèle inspiré du cadre européen Digicomp. Elle délivre une certification à l’issue de la troisième et de la terminale via une campagne lancée par l’établissement scolaire. Trois outils sont mis à disposition de la communauté éducative : les tests personnels d’auto-positionnement réalisables en autonomie ; l’outil de gestion « Pix Orga » qui permet à l’enseignant de lancer des campagnes de « positionnement » auprès de ses élèves et « Pix Certif » qui délivre un diplôme attestant du niveau atteint dans 16 compétences identifiées, sur un total de 775 Pix.

Notre contribution à ce numéro de la revue InterCDI se propose d’apporter quelques éléments de réflexion sur la manière dont l’utilisation de la plateforme Pix par des professeurs documentalistes peut s’intégrer aux pratiques scolaires préexistantes et participer d’une éducation à la culture numérique, dans un contexte où émergent de premiers retours d’usage, parfois critiques (APDEN, 2020).
Après la publication d’un premier article sur le sujet dans la revue Spirale (Carton, Tréhondart, 2020), nous avons souhaité ici mettre l’accent sur l’expérience des acteurs de terrain, et appuierons donc notre analyse sur des témoignages recueillis auprès : des concepteurs de la plateforme, d’un « ambassadeur » Pix et de professeurs documentalistes (stagiaires en formation à l’Inspé de Lorraine ou professeurs en exercice). Dans le cas des professeurs documentalistes stagiaires, les avis ont émergé à l’occasion d’un cours sur les plateformes numériques éducatives et d’une invitation pédagogique à produire des retours commentés et argumentés, textes scientifiques et discours d’accompagnement à l’appui ; ils ont été anonymisés et numérotés ainsi : « Profdoc-Inspé1 », « Profdoc-Inspé2 »…

Tableau des interviewé(e)s

Nous avons, à travers ces entretiens, cherché à explorer les promesses, apports, limites et premiers questionnements autour des modalités de mise en œuvre de Pix. Les professeurs documentalistes font en effet partie des premiers professionnels amenés à développer son usage dans les établissements — nombre de compétences numériques2 testées par la plateforme touchant à des domaines de l’éducation aux médias et à l’information (ÉMI) dont ils ont la charge.

Un « outil » né dans la mouvance de l’État-plateforme

Lorsqu’une institution promeut et encadre un outil, les systèmes de normes et les valeurs au cœur de sa conception tendent à s’effacer aux yeux des usagers. S’il semble banalisé, le terme de « plateforme » souvent utilisé pour désigner Pix n’est pas anodin et renvoie au projet de réinvention et de modernisation des services publics sur le modèle des industries numériques (Alauzen, 2019) que certains ont désigné sous le nom d’« État-plateforme ». Hubert Guillaud (2017) parle à ce sujet d’un modèle inspiré des « pratiques agiles des startups, très pragmatiques, [modèle qui] semble inventer son fonctionnement en marchant ». Le directeur de Pix, Benjamin Marteau, souscrit à cette vision, qui revient à « inventer une nouvelle manière, collaborative et horizontale, de construire des services publics éducatifs, en les exposant en permanence, de version bêta en version bêta3 ». Ce processus permanent d’amélioration reposant sur les retours et critiques des usagers « fait partie du modèle de construction », explique-t-il lors de notre entretien. Il reconnaît s’inspirer des imaginaires de la « multitude » et de la participation, pour, selon un principe proche du crowdsourcing, enrichir la plateforme par les ressources, commentaires, critiques, tutoriels produits et proposés par les usagers. Il s’agit de prendre en compte leurs avis, tout en s’appuyant sur le grand nombre pour faire levier et les utiliser comme une « corde de rappel ». Dans le cas de Pix, on peut se demander jusqu’à quel point ce travail de veille, de proposition de contenus et de formulation de propositions alternatives réalisé par des enseignants simples usagers ou membres de la « communauté Pix » ne s’apparente pas à une forme de digital labor (Verdier, Colin, 20154). Deux des quatre enseignants que nous avons interrogés ont par exemple envoyé de nombreux messages par le biais du bouton « signaler un problème » afin de « remonter les choses qui n’allaient pas » (Profdoc1) ou des « erreurs » en élaborant des « topos » (Profdoc2).
Décrite comme une quasi-« émanation du ministère de l’Éducation nationale », mais aussi « une petite entreprise qui mène son aventure », par Philippe Lacurie, ambassadeur Pix pour l’académie de Nancy-Metz, Pix reprend les codes et conventions de la start-up, qu’il s’agisse des procédures de recrutement sur le site Welcome to the jungle5 ou des terminologies utilisées – « Devenez concepteur de défis pédagogiques6 ». Dans les discours d’accompagnement, la figure de l’entrepreneur remplace celle du bureaucrate (Pezziardi, Verdier, 2017, p. 35-367). Interrogé sur l’appellation « ambassadeur » attribuée par Pix, Philippe Lacurie trouve son titre certes « assez pompeux, assez ronflant mais assez amusant également ». Cette approche ludique vient par contraste souligner l’obsolescence des dispositifs B2i et C2i, jugés « vieillissants » et austères. Philippe Lacurie insiste sur la « modernité » d’un « outil fait par des jeunes, pour des jeunes » afin de répondre à des pratiques et besoins actuels. Selon un professeur documentaliste en formation (Profdoc-Inspé1), « Pix est la réponse parfaite à l’échec du C2i, qui ennuyait à peu près tous les utilisateurs qui s’y sont frottés ».
Peu de professeurs documentalistes que nous avons interrogés connaissaient toutefois l’existence du dispositif « start-up d’État », une expression qui résonne pour certains comme un « antonyme » venant questionner les liens entre service public et entreprise. Benjamin Marteau a par ailleurs été délégué général du CNEE (Conseil national éducation économie8), une organisation qui, explique-t-il, cherche à trouver « des domaines d’intérêt partagé entre le monde de l’éducation et le monde de l’économie ». Au cœur du projet se trouve l’idéal politique affirmé d’un rapprochement entre ces deux champs, notamment autour de l’idée que « l’école doit se refonder en dialoguant avec le monde économique ». La genèse de Pix trouverait sa source dans la volonté, d’une part, de l’Éducation nationale de faire évoluer le référentiel du C2i et, d’autre part, dans le constat fait au sein du CNEE et des entreprises membres qu’il manque une formation adaptée à des « compétences numériques transverses ». Il s’agit de dépasser l’apprentissage d’un logiciel pour « être capable de se mouvoir dans un monde numérique qui bouge en permanence » (B. Marteau). Cette convergence d’intérêts entre secteur privé et secteur public est présentée comme nécessaire afin, d’une part, de redorer le blason de l’action publique — « On n’est pas obligé de considérer toujours que l’on va être à la traîne du secteur privé en termes de numérique éducatif » (B. Marteau) — mais aussi de lutter contre le « danger d’appropriation » lié à l’intrusion des acteurs dominants des industries numériques dans la sphère scolaire. Autant d’éléments qui poussent les fondateurs à décrire Pix comme un « bien commun éducatif » ; « Il y a un risque : c’est que concrètement, à un moment, Google fasse une certification et que le ministère de l’Éducation nationale soit obligé de payer Google, parce que ce sera la seule qui sera reconnue. Il y a l’idée qu’à un moment il faut que le service public se saisisse de ce sujet et réunisse toutes ses forces en étant également en lien avec le secteur privé » (B.  Marteau).
Si le rapprochement avec les « communs » semble une « appropriation » à Profdoc3, certains enseignants sont sensibles au fait de pouvoir « faire des liens » entre ces deux univers car « désormais, partout dans la vie courante, pour son administration, pour n’importe quel job on a besoin d’être performant en compétences numériques et informatiques » (Profdoc4).

Les témoignages des enseignants interrogés, titulaires ou en formation, livrent par ailleurs des retours contrastés, allant de l’enthousiasme à la critique.

Une vision gamifiée des apprentissages à la fois stimulante et frustrante

Les témoignages recueillis auprès des professeurs documentalistes valorisent les choix de design de la plateforme, dont l’univers de référence semble plus proche de celui de jeu que du monde scolaire. Le parcours non linéaire, reposant sur une mécanique ludique qui incite à amasser le plus de points (« pix ») possibles pour progresser, permettrait d’associer l’activité effectuée aux pratiques stimulantes du jeu vidéo, qui « peuvent motiver les apprenants à entrer dans les modules proposés » (Profdoc-Inspé2). Un univers graphique « accueillant », un « design sobre et efficace » (Profdoc-Inspé3), une « interface ergonomique » (Profdoc-Inspé4), des couleurs vives et harmonieuses, une signalétique claire… ces éléments de charte visuelle donnent apparemment envie de passer du temps sur la plateforme. Un rapprochement est aussi établi avec les codes graphiques de Twitter et Facebook, en pointant une interface « tout en rondeurs » (Profdoc-Inspé5) où la couleur bleue est prédominante. Cette familiarité apparente avec des formes-modèles propres aux industries du numérique permettrait à l’apprenant de dépasser l’impression de prescription scolaire associée aux outils C2i et B2i et de s’approprier plus facilement l’interface. Après avoir testé un parcours de navigation, plusieurs professeurs documentalistes avouent s’être pris au jeu et ne pas avoir eu l’impression de travailler tant ils se sentaient impliqués dans la résolution des « défix » proposés. Les mécaniques ludiques ont également fonctionné chez les enseignants plus expérimentés : soit ils se sont eux-mêmes « amusés » (Profdoc2) ou ont trouvé l’« expérience valorisante » (Profdoc4) lors de leurs premiers tests, soit ils considèrent l’aspect ludique comme un moyen « d’accrocher » (Profdoc1) leurs élèves.
Toutefois, si beaucoup reconnaissent dans un premier temps s’être senti happés, ils pointent en parallèle les limites de ces promesses. Une étudiante (Profdoc-Inspé6) fait remarquer que, placés en situation réelle, ses élèves sont loin de s’amuser : « Le “jeu” qui est par essence censé divertir, ne l’est pas forcément lorsqu’il devient obligatoire », conclut-elle ; par ailleurs, la longueur de certains tutoriels ne semble pas toujours adaptée au niveau de compréhension (Profdoc-Inspé6). Est ainsi pointée l’ambivalence entre la ludification des apprentissages, imitant des pratiques extrascolaires liées au jeu vidéo, et l’enjeu scolaire d’un travail d’évaluation, appréhendé comme un devoir, une obligation, dans le cadre d’une potentielle certification diplômante.
Un enseignant (Profdoc1) pointe par ailleurs le fait que ces dynamiques ludiques masquent des disparités de compétences et d’appétences entre les élèves : il a observé certaines classes entrer dans une compétition bon enfant autour de Pix, tandis que d’autres élèves, effrayés, semblent penser que Pix est réservé « aux dieux de l’ordi ». Une autre professeure documentaliste remarque que les questions sous forme d’énigmes sont destinées à des lecteurs comprenant l’implicite, et ne sont donc pas forcément adaptées à des adolescents à la littératie parfois fragile, comme ses élèves de SEGPA. Enfin, Profdoc3 considère que les mécaniques ludiques mobilisées relèvent davantage de « stimuli », l’apprenant n’étant pas gratifié « par l’apprentissage de savoir, le fait d’avoir établi des connexions avec ce qu’il sait déjà », mais « par l’algorithme » – ce qu’il juge « abêtissant ».

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Une vision restreinte de la culture numérique et de l’éducation aux médias et à l’information

Les remarques fusent quand les professeurs documentalistes comparent les visions de la « culture numérique » qu’ils portent et défendent avec celles que la plateforme semble mettre en œuvre. Plusieurs s’interrogent sur la réduction de l’ÉMI à des formes d’évaluation binaire, de défis à résoudre. Avec ses codes de différentes couleurs, le design du site séparerait de manière artificielle des blocs de compétences, de savoirs et de savoir-faire que les enseignants tentent au contraire de relier et de connecter (Profdoc-Inspé6). L’enchaînement rapide d’activités, de tests, de quizz, de passages de niveaux, selon des logiques de progression décrites comme parfois opaques, décousues ou incohérentes, semble par moments si « fulgurant » que certains se demandent de quelle manière cette vision accélérée de l’apprentissage peut prétendre faire « culture » (Profdoc-Inspé2) : ces logiques d’accélération et de cloisonnement sont-elles à même de participer à une vision unifiée et contextualisée de la transmission des savoirs en contexte scolaire ? La logique de résultats ne risque-t-elle pas de prendre le pas sur la lenteur inhérente au processus de compréhension et la réflexivité au cœur des méthodes d’éducation aux médias : « Par la progression proposée, Pix se propose de former les citoyens à une vision restreinte de la culture numérique » conclut Profdoc-Inspé7.
Des failles sont également pointées dans les activités de remédiation. Une professeure documentaliste en formation revient sur la logique de participation collaborative selon laquelle les tutoriels sont proposés par les usagers : « Les sources sont-elles toujours fiables et neutres ? Sont-elles validées en amont et par qui ? On peut en effet s’interroger sur la neutralité des liens et des questions elles-mêmes » (Profdoc-Inspé4). L’ambition de neutralité affichée par la plateforme semble parfois ternie par des liens externes pointant vers des sites d’entreprise, des réseaux sociaux, des blogs dont les auteurs ne sont pas toujours clairement identifiés. Alors que l’un des enjeux de l’ÉMI consiste en un travail de déconstruction du fonctionnement des Gafam, le lien qu’offre Pix avec les plateformes de réseau social et autres infomédiaires semble trouble aux yeux de certains enseignants. Certains s’inquiètent d’un risque de formatage du comportement de l’élève, sans l’éclairage didactique nécessaire à la compréhension des motivations des acteurs du web : « Les questions de Pix s’assimilent plus à des directives qu’à des incitations à réfléchir » (Profdoc-Inspé5) ; ce futur professeur documentaliste ajoute que l’acquisition d’une culture critique du numérique ne consiste pas « à s’accommoder de structures préexistantes, mais à être aussi incité à les remettre en cause, à en interroger la raison d’être ».
Les enseignants titulaires s’accordent sur la difficulté de faire vivre l’ÉMI au quotidien dans leurs établissements et auprès des élèves. « C’est tout le problème du transversal dans l’Éducation nationale » (Profdoc4) ; « C’est inclus dans les cours de tout le monde, et on sait bien que quand c’est inclus dans les cours de tout le monde, c’est fait par personne » (Profdoc2). Pour Profdoc3, Pix véhicule une conception standardisée de l’ÉMI dans des contenus clés en main, donnant l’impression d’une conception superficielle des savoirs et des compétences mobilisées dans certaines épreuves. L’un des enseignants (Profdoc1) pointe également le fait que « c’est essentiellement du procédural », sans « réponse libre » ou déduction.
Trois autres enseignants titulaires insistent sur l’argument d’autorité que constituerait l’intégration de compétences liées à l’ÉMI. Selon Profdoc2 et Profdoc4, Pix permettrait aux enseignants réticents à aborder les compétences numériques de base de se défausser de cette tâche puisque les élèves les acquerraient grâce à la plateforme, ce qui participerait également d’une hypocrisie de l’institution. D’après Profdoc4, malgré l’affirmation institutionnelle que « tout le monde fait de l’ÉMI, tout le monde enseigne l’ÉMI, tout le monde fait du Pix », en réalité, « personne ne fait de l’ÉMI », mis à part les professeurs documentalistes et les quelques enseignants sensibilisés à ces thématiques, comme les « geeks ».
Profdoc3 relie, quant à lui, la mise en scène de l’ÉMI sur Pix à une « capsularisation de l’enseignement » traduite par un « manque d’ouverture » et un effet « d’auto-légitimation ». Il cite en exemple les épreuves liées au Décodex et à Wikipédia, deux exercices ne permettant pas, selon lui, de comprendre « la fabrication de l’auteur et de l’autorité » ou ce que signifie « décoder l’information » sur ces espaces numériques.

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Quelle place pour l’enseignant ?

Les professeurs documentalistes en formation s’interrogent sur la place qui leur est laissée à l’intérieur du dispositif socio-technique, dans la mesure où « il semble compliqué d’éduquer à l’esprit critique via une plateforme en ligne sans interaction, sans enseignant » (Profdoc-Inspé2). « La plateforme ne propose-t-elle pas l’acquisition d’une somme de connaissances déracinées du terreau fertile de l’esprit critique ? Les formulaires à remplir, les QCM et les quiz ne contribuent-ils pas à prodiguer un enseignement mécanique peu propice à la discussion ? L’apprenant, contrairement à sa position en classe, lorsqu’il se retrouve dans une situation d’apprentissage du numérique par le numérique, est laissé à sa solitude » argumente Profdoc-Inspé4.
Par ailleurs, la vision universalisante de la culture numérique portée par une plateforme dont les évaluations normatives n’établissent pas de distinction selon les classes d’âge ou les pratiques individuelles (Profdoc-Inspé7) semble s’opposer à la logique de différenciation prévalant en classe. Une professeure documentaliste en formation se demande si ce n’est pas revenir à une vision universaliste de l’élève et du citoyen que de proposer une plateforme unique, tout en instrumentalisant le discours enseignant : « Les concepteurs de Pix empruntent ainsi le vocabulaire des enseignants, avec des termes comme “exigence”, “bienveillance” ou “parcours”, mêlé à celui du numérique, comme les “communautés” auxquels les enseignants peuvent se greffer (dont l’organisation évoque les TraAM). Ils construisent ainsi une vision du numérique unique, facile d’accès, dans une optique fonctionnelle et non critique » (Profdoc-Inspé7).
Tous les enseignants interrogés le répètent : ils ne sont ni « profs de Pix » ni voués à devenir de simples administrateurs de Pix Orga.

Pix n’est pas une plateforme de médiation pédagogique

Un point central sur lequel se retrouvent d’ailleurs tous les enseignants du corpus est que Pix n’est pas en soi une plateforme pédagogique. À ce sujet, Benjamin Marteau explique qu’il est difficile de « trouver un équilibre » : « On a des gens qui nous reprochent de nier la place de l’enseignant ou en tout cas de la cacher […]. Et de l’autre, il y a ceux qui me disent ‘Ah, mais il n’y a pas assez d’outillage pour les enseignants’ ou ‘Il n’y a pas assez de tutoriels. Vous devriez carrément faire des formations sur la plateforme’ ».
Profdoc4 évoque des « biais » en raison du fait que Pix est une plateforme « d’auto-formation », ce qui pose problème pour « proposer de la rétroaction ou de la médiation ». Elle revient sur l’idée de construction de l’esprit critique qui consiste à « pouvoir rentrer en discussion, à confronter l’élève à ses représentations, ce qu’il vient de lire, ce qu’il vient de faire, et puis peut-être l’avis de quelqu’un d’autre, d’un pair ou d’un tiers en tout cas ». Elle relève ainsi le risque de « formater » les élèves en leur proposant des réponses « qui vont les orienter », sans prise en compte de la nécessité d’un retour critique au sein même de la plateforme. Le formatage pourrait également être celui de l’enseignement : « On pourrait réduire l’acte d’enseigner à la mise en action d’un élève devant une plateforme ». Profdoc3 renchérit : « Il y a un discours qui convoque les compétences, l’auto-apprentissage, le côté ludique, interactif, et je me suis dit, mais tout ça, pour moi, c’est du marketing ».
Profdoc2 s’interroge sur le rôle à tenir pour l’enseignant, car, d’une part, Pix utilise des algorithmes de recommandation qui empêchent le professeur de garder la maîtrise de ses progressions. D’autre part, la même interface sert à la fois d’espace de travail et de certification, ce qui relève, selon elle, d’une « malveillance institutionnelle » en raison d’effets potentiellement délétères : « Si tu les as aidés, si tu les as guidés, si t’as fait ton boulot de prof, ils vont se planter [à la certification] ».
Profdoc1 est également sceptique vis-à-vis de la portée pédagogique des modalités d’entraînement proposées : « Je trouve que Pix c’est très très edtech quoi, c’est très orienté informatique pratique de tous les jours, c’est-à-dire que même si tu ne comprends rien à ce que tu fais, c’est pas grave, t’avances dessus et tu sais faire. […] Ça ne croise pas du tout le côté plus TICE que nous on peut avoir dans les établissements scolaires où derrière il y a un souci didactique, où il y a une construction de séquences, où t’as une progression ».

Enjeux d’appropriation et détournements d’usages

Pour Profdoc1, Pix s’inscrit dans l’espace ÉMI qu’il souhaite mettre en place au sein du CDI, car « il permet la pratique, la médiation directe avec les élèves » créant des occasions de discussion. Pix offrirait donc de la « matière » brute pour l’enseignant, qui viendrait nourrir la compréhension des pratiques de ses élèves et favoriser le retour réflexif.
Profdoc2 se sert également de Pix pour repérer « ce que les élèves ne savaient pas faire ». À défaut de les mettre plus régulièrement en situation pour observer leurs difficultés et y remédier, Pix peut servir d’outil d’évaluation diagnostic, permettant de faire ressurgir les manques d’habileté pour des compétences numériques de base.
Dans ses usages, Profdoc4 réinjecte également des temps de dialogue lors de « cours Pix » au cours desquels : « On s’arrête et on prend des questions en vidéo-projection et on essaie de réfléchir ». Elle admet toutefois qu’en raison de la personnalisation des questions cette solution est une « adaptation » de la plateforme, qui a cependant le mérite de révéler les besoins de formation des élèves, parfois invisibilisés par l’idée fausse que « les élèves [sont] des geeks, des super compétents, et qu’il n’y [a] plus rien à faire en info-doc ».
Profdoc3 a, quant à lui, tenté de « faire de Pix un allié » plutôt qu’un adversaire contre qui « il ne sert à rien de lutter ». Il concède donc une légitimité à Pix comme « répétiteur », base d’exercice sur des points techniques précis, dans la lignée de « l’enseignement assisté par ordinateur ».
Émergent par ailleurs dans les témoignages des idées de détournement d’usages pour imaginer des « exercices critiques dans la lignée de l’ÉMI » (Profdoc-Inspé7). Une enseignante en formation imagine une mise en situation pédagogique qui permettrait « de déconstruire la place surplombante et indiscutable qu’elle [la plateforme] peut prendre, à l’heure où l’enseignant peut être inquiet face à la réforme du baccalauréat et la nouvelle contrainte que représente Pix ».
Profdoc2 résiste même à l’utilisation de Pix dans sa version actuelle car « ce serait nier [s]on travail de prof, mettre en danger les gamins sur leurs certifications ». Toutefois, elle rêve d’un « Pix pédagogique » inspiré du logiciel TACIT, dans lequel il serait possible d’« extraire des questions » pour recomposer des parcours adaptés à un thème, à un niveau de difficulté, à une classe. Selon elle, Pix Orga, qu’elle compare à l’outil administratif de gestion Pronote, ne permet pas de laisser la personnalisation à la main de l’enseignant mais sert seulement « à rattacher le compte Pix des élèves à la base d’établissement et après à leur balancer la certification ».
Enfin, parmi les détournements proposés, Profdoc2 et 4 évoquent la possibilité pour les professeurs documentalistes de tirer leur épingle du jeu en sensibilisant leurs collègues aux enjeux de l’ÉMI sous le prétexte de les initier à Pix. Cette « ruse », qui évoque les processus de détournement étudiés par Michel de Certeau (1990), permettrait aussi aux professeurs documentalistes « d’avoir des élèves qui ne sont pas tristes d’être avec nous » (Profdoc2), ou encore de renforcer leur place, souvent méconnue, au sein de l’équipe pédagogique et auprès de la direction.

Conclusion

Pour terminer, il nous semble intéressant de revenir sur les différentes formes de critiques formulées au sujet de et autour de Pix. Dans le cas des enseignants titulaires, il est frappant de constater que, si trois sur quatre se sont montrés mitigés vis-à-vis de la conception de l’apprentissage modélisée par la plateforme, les critiques s’adressent principalement à l’institution scolaire. Profdoc1 remarque le caractère bâclé des liens entre les différents référentiels que Pix est censée concrétiser, entre ÉMI, CRCN et attentes du monde professionnel. Il parle de « bidouillage ». Les enseignants dénoncent aussi le manque de reconnaissance de leur rôle alors qu’« il y a urgence à former les gamins ». ­Profdoc2 alerte sur le risque de se voir étiquetée « prof qui fait du Pix », un non-sens selon elle.
Enfin, le refus ou la difficulté d’assumer une critique d’ordre politique d’un dispositif présenté comme éducatif a attiré notre attention. Ainsi, Profdoc4 précise qu’il « n’y a rien de politique ou de propagande dans ce que j’ai dit, il n’y a pas de sous-entendus, de malveillance de la part de Pix […] du tout, du tout ». Profdoc3, au contraire, formule une critique d’ordre politique vis-à-vis de Pix et d’autres plateformes comme Impala, nourrie par son appétence pour les sciences de l’information et de la communication, mais indique ne pouvoir l’assumer en son nom propre en raison de rapports de force inégaux au sein de l’institution scolaire : « Je pense qu’il ne faut pas aller contre le Pix, parce que c’est un peu le pot de terre contre le pot de fer ; il y a quand même toute une légion de gens qui sont mandatés pour ça et qui sont fiers de l’être, donc c’est les IPR, les académies ». Cette dernière remarque souligne peut-être la nécessité d’une collaboration accrue entre enseignants et chercheurs, afin d’ouvrir des espaces de travail et de recherche plus libres, mais aussi de construire des cadres de discussion pérennes et égalitaires entre les différentes parties concernées : concepteurs, enseignants, académies, formateurs…

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Lire des livres. Lire délivre…

Quand on pense que le livre a pu être, un instant, considéré comme un bien non-essentiel. Quand on pense que les librairies, les bibliothèques et les médiathèques ont été, un temps, fermées.
Érasme a dû se retourner dans sa tombe, lui qui écrivait : « Quand j’ai un peu d’argent je m’achète des livres et s’il m’en reste j’achète de la nourriture et des vêtements ». Bon, pour les vêtements c’est raté aussi…
Et puis, c’est peut-être son best-seller L’Éloge de la folie qui a inspiré ces idées délirantes à nos gouvernants.
En tout cas, le livre, sous toutes ses formes, est au centre des CDI depuis leur création et par conséquent au cœur de notre revue.
À ce propos, Thimothée Mucchiutti nous offre quelques pistes pour valoriser les collections. Des conseils faciles à mettre en œuvre et permettant de promouvoir la consultation et l’emprunt des documents en s’appuyant sur les centres d’intérêts de nos différents publics et sur les actions éducatives menées dans nos établissements. Cela ne coûte pas cher et ça peut rapporter des lecteurs. Une autre piste à suivre pour mettre en valeur les fictions : le booktube qui utilise l’appétence des jeunes pour le numérique et rajeunit la traditionnelle et poussiéreuse fiche de lecture d’antan ; ou encore le bookflix qui reprend la page d’accueil de Netflix pour mettre en avant les nouveautés et les tendances actuelles de la littérature jeunesse.
Parmi les livres ayant le plus de succès dans nos CDI, les bandes dessinées arrivent certainement en tête. Agnès Deyzieux, spécialiste en la matière, s’interroge sur la place des autrices dans le 9e art. Dans cet article très complet, elle retrace le difficile parcours des femmes dans la bande dessinée, un milieu traditionnellement fermé aux autrices. Des pionnières, depuis Claire Brétécher ou Florence Cestac, jusqu’à Pénélope Bagieux ou Aude Picault, la route a été longue et semée d’embûches. Elles sont encore peu nombreuses (12% des auteurs de bandes dessinées) et comme leurs collègues masculins très mal rémunérées.
La bande dessinée représente une grande part du cahier des livres d’InterCDI. Vous y retrouverez d’ailleurs la critique du dernier album de Florence Cestac : Un papa, une maman. Une famille formidable (la mienne). Ce cahier de critiques est le fruit du travail d’une vingtaine de nos collègues qui présentent l’actualité d’une centaine d’éditeurs, petits ou grands. À ce sujet, nous aurons le plaisir de vous annoncer, dans un prochain numéro, une nouveauté qui vous fera gagner du temps et enrichira vos bases… Ne divulgâchons pas cette information encore classée par la rédaction « confidentielle » !
Pour finir, comment ne pas citer Alberto Manguel qui écrit dans La Bibliothèque, la nuit :
« Il se peut que les livres ne changent rien à nos souffrances, que les livres ne nous protègent pas du mal, que les livres ne nous disent pas ce qui est bien ou ce qui est beau, et ils ne nous mettent certes pas à l’abri du sort commun qu’est la tombe.
Mais les livres nous offrent une multitude de possibilités : possibilité d’un changement, possibilité d’une illumination. »
Oui, en cette période de liberté restreinte, d’enfermement, lire des livres nous délivre…

Éducation critique aux médias et à l’information en contexte numérique

La première partie intitulée « éduquer à l’information, décoder les infomédiaires » introduit le sujet par les pratiques des acteurs et regroupe trois contributions qui abordent l’ÉMI comme un cadre propice à la compréhension de l’environnement informationnel. Comprendre « la crise de l’information » à travers les relations entre les médias et les jeunes est l’ambition de Sophie Jehel qui signe la plus longue contribution du recueil (ch8). Sa recherche scientifique menée sur plusieurs années (2015-2017) portant sur la réception d’images violentes, sexuelles et haineuses par les adolescents rend compte des facteurs de cette crise qui ébranle d’une part le monde journalistique français depuis la fin des années 1980 et alimente d’autre part une défiance croissante et protéiforme des jeunes, notamment des milieux populaires, à l’égard des discours officiels et médiatiques. À partir d’un entretien mené avec un professionnel de la production de contenus pédagogiques, Léo Jannot-Sperry constate que le phénomène de la désinformation déstabilise à la fois les États sommés de se doter de lois, les journalistes amenés à développer des outils de fact-checking, et les médias numériques usant dans certains cas de la censure (ch9). La crise de l’information est aussi une crise de confiance politique dans les démocraties occidentales selon Romain Badouard (ch1). Pour lutter contre la désinformation, le complotisme et les infox, cet auteur préconise alors de promouvoir une éducation critique reposant sur l’acquisition de « nouvelles » connaissances et compétences (p. 28) portant sur l’information et sa valeur ainsi que sur des compétences économiques et sociotechniques pour comprendre les modèles sur lesquels reposent le marché de l’information et les infrastructures informationnelles (captation de l’attention et injonction à la participation entre autres). Ces trois auteurs s’accordent par conséquent sur une approche de l’ÉMI par « le faire » stimulant l’apprentissage. Une ÉMI qui en tant qu’éducation au débat offre un espace d’écoute et de considération de la parole des jeunes afin de développer leur pouvoir d’action dans la création de contenus numériques.
Quelles marges de libertés les objets techniques laissent-ils en effet aux individus ? Dans le domaine de la sociologie, la contribution de Serge Proulx, orientée autour de ce questionnement fédérateur, réunit deux contributions soutenant une ÉMI centrée sur l’acquisition de postures critiques de dévoilement et de dénonciation des modèles économiques sur lesquels reposent les plateformes du numérique. L’avènement de ce que Proulx nomme « la société de la surveillance » par le contrôle quasi invisible et continu des activités humaines (géolocalisation, invisibilité des techniques de captation et de capitalisation des traces) rend nécessaire une culture numérique fondée sur la connaissance et la maîtrise du code informatique afin que les internautes citoyens retrouvent une capacité d’agir « dans le sens d’un développement humain durable » (p. 57, ch3). Car « sous les ronrons » de Google et de son apparente simplicité d’utilisation, se trouvent en effet des « machinistes et leur machination » selon le titre éloquent de la contribution de Guillaume Sire (ch7). En dévoilant le fonctionnement de l’algorithme PageRank et les modèles économiques de l’entreprise, l’auteur livre sa réflexion sur l’absence de neutralité des outils numériques et les visions du monde que leurs concepteurs imposent. Dévoiler pour dénoncer et résister. Une résistance qui s’organise entre les actions des hackers et des lanceurs d’alerte et s’incarne à travers des pratiques créatives de bidouillage nommées Hackability par Sébastien Broca. Une résistance protéiforme comme celle qui émerge à l’intérieur même du numérique dans la première moitié des années 1980 aux États-Unis à travers le mouvement des logiciels libres lequel est décrit par l’auteur comme favorable à l’exercice du droit fondamental « d’exécuter, copier, modifier » (ch4).
La technique n’est pas neutre. Trois auteurs décident alors de l’appréhender comme constitutive des manières de penser et d’agir. À partir des usages des technologies mobilisées dans le cadre de la participation citoyenne (civic technology), Clément Mabi questionne les nouvelles formes de citoyenneté numérique plus réflexive et critique que les affordances démocratiques2 du numérique dessinent (ch5). Considérer les affordances pour déconstruire les stratégies affectives du web est le pari scientifique posé par Camille Alloing et Julien Pierre (ch6). L’instrumentalisation des émotions et des affects par les plateformes numériques engage ces auteurs à défendre une ÉMI fondée sur des travaux d’écriture, de lecture de récits expérientiels et d’analyse du design (interfaces, émoticônes et émojis) faisant des « sociabilités numériques », un levier d’action. L’environnement numérique est assurément le lieu de la « sociabilité digitale adolescente » pour Sigolène Couchot-Schiex (sciences de l’éducation) et Gabrielle Richard (sociologie) (ch2, p. 39). Centrée sur des témoignages et entretiens en milieu scolaire, leur étude propose une lecture genrée de cas de cyber-violence à caractère sexiste et sexuel. La nature interdisciplinaire et transversale de l’ÉMI offrant dès lors un champ d’action pour l’éducation à l’égalité des sexes en faveur de la lutte contre les stéréotypes de genre et le sexisme. Perçue comme un langage commun, comme un projet transversal d’unification des sciences humaines et sociales, la méthodologie du Genre autorise enfin l’individu à s’extraire d’une vision dichotomique homme/femme par la déconstruction des rapports sociaux de sexes, de pouvoir et de domination selon Marlène Coulomb-Gully dont la contribution ouvre la seconde partie du recueil (ch10).

« 
une ÉMI invitant aux initiatives créatives
et à l’exercice de la pensée divergente
»

Intitulée « approches réflexives et créatives des médias » cette seconde partie relate des expériences créatives dont la finalité est l’acquisition d’une culture fondée sur des connaissances et compétences en littératies informationnelle, numérique et médiatique ainsi que sur l’adoption de postures critiques de distanciation et de réflexivité. Qu’est-ce que la créativité ? Quel rapport l’école entretient-elle avec les pratiques créatives ? La contribution-plaidoyer de Laurence Corroy retrace l’historique de la notion et révèle son imbrication avec l’éducation aux médias et la pensée critique fondamentalement divergente (ch13). L’auteure défend par conséquent une ÉMI invitant aux initiatives créatives et à l’exercice de la pensée divergente excluant le conformisme comme gages d’autonomie, de responsabilisation et de droit à la différence vers le développement « d’une logique de l’agir efficace et créative » (p. 192). Acquérir une capacité d’agir s’incarne dans le rite de passage du statut d’agent à celui d’acteur selon Anne Cordier (ch16). Ses cheminements théoriques et méthodologiques et son approche socio-critique de l’ÉMI s’expriment d’une part à travers une conception de l’acteur dans sa complexité plurielle, l’« être-au-monde-informationnel » (p. 233 ; Baltz, 2011)3 et d’autre part, par la déconstruction des mythes et discours portant sur les pratiques informationnelles numériques des adolescents perçus comme digital natives. L’ÉMI questionne alors la transmission d’une culture de l’information qui dans la lignée de Baltz4 est entendue par la chercheure comme une culture de l’interprétation et du sens. Une culture qui questionne enfin la culture technique des professionnels de l’information selon Céline Ferjoux dont la contribution s’appuie sur un entretien avec une professeure documentaliste (ch17).
Deux contributions plongent ensuite le lecteur dans l’univers de la sémiotique. L’atelier « textualités augmentées » à destination d’étudiants décrit par Nolween Tréhondart propose une réflexion sur l’approche co-créative enseignant-élève ainsi que sur l’enseignement des techniques de création et d’édition d’un objet hybride : le livre numérique enrichi (ch12). L’acquisition de postures réflexives et critiques à l’égard du design et des contenus numériques lesquels sont dotés selon Nicole Pignier d’une force énonciative, s’acquiert dans le cadre d’une éducation critique orientée vers l’analyse sémiotique des processus médiatiques. La chercheure en sémiotique postule en effet à travers l’usage du néologisme « technesthésies » que les technologies numériques préfigurent les perceptions et médiations info-communicationnelles (ch11, p. 167).
Trois contributions décrivent enfin les tentatives de détournements des prescriptions d’usages des réseaux sociaux par le biais de pratiques artistiques témoignant du déploiement d’une praxis5 critique par le biais d’expériences vécues de l’intérieur. Interroger les pratiques numériques par le medium théâtre est le défi posé par l’artiste-doctorant et ingénieur de recherche Fardin Mortazavi dont l’entretien riche et documenté jalonné de références théoriques nombreuses est mené par Sophie Jehel en conclusion du recueil (ch18). À la fois scène d’expression de la pensée et espace de distanciation et de débat sur le rapport qui lie les jeunes au monde numérique, le théâtre ouvre selon lui la voie à l’adoption d’une posture de résistance à l’égard de toute forme d’influence et d’emprise. En recourant à la sémio-pragmatique, l’économie politique de la communication et la sociologie des usages, Alexandra Saemmer montre la place grandissante occupée par les réseaux sociaux dans les pratiques info-communicationnelles en France. Les expériences de détournement des réseaux passent également selon elle par la création d’identités fictives en tant qu’expériences littéraires offrant à l’individu la possibilité d’expérimenter différentes formes et images de soi (ch14). Inscrivant la littérature numérique dans une relation de pouvoir (Foucault), l’auteure interroge ce que « peut la littérature face aux techno-pouvoirs numériques ? » (p. 197). Dans le domaine de la sociologie, l’expérience créative des identités fictives offre à Francis Jauréguiberry l’occasion d’une réflexion sur le rapport des adolescents connectés au temps, à l’espace et à l’identité (l’image de soi) (ch15). Alors que les postulats accompagnant les discours sur les technologies valorisent l’immédiateté, l’ubiquité et l’évasion, à contrario la création, la réflexion et la méditation invitent à suspendre le temps. Cette dualité temporelle soulève un questionnement conclusif et fédérateur à l’ensemble des contributions du recueil : « À quels arts de faire et de vivre avec les technologies, l’ÉMI souhaite-elle former les jeunes citoyens ? » (p. 23).

Huit ans après l’institutionnalisation de l’ÉMI, on ne peut qu’accueillir avec enthousiasme et intérêt la parution d’un tel ouvrage. Si nous déplorons toutefois la faiblesse des questionnements portant sur l’opérationnalisation et les marges de manœuvre réelles de l’ÉMI sur le terrain (à l’exception des ch11 et 13), cet ouvrage a néanmoins le mérite de poser une réflexion théorique orientée vers une éducation critique aux médias et à l’information (ÉCMI) à travers une multitude d’approches critiques et une diversité de thématiques6 pouvant constituer autant d’objets d’enseignement. Un ouvrage riche et pluriel qui soulève simultanément les enjeux politiques, pédagogiques et sociétaux dévolus à l’ÉMI et met implicitement sur le devant de la scène la question cruciale des plans de formation forgeant ainsi la culture informationnelle7 des enseignants.
Ce large éventail de thématiques comporte cependant l’écueil de présenter l’ÉCMI comme un « fourre-tout d’éducations à… » sans contours, ni limites à laquelle chacun assignerait la définition qu’il entend, contribuant ainsi à renforcer le flou théorique de cette éducation. On ne peut que regretter à ce sujet l’absence d’une définition explicite et d’une théorisation scientifique du concept d’éducation critique alors que le titre même du recueil le laissait espérer. Par ailleurs quels sont les savoirs, compétences et savoir-être constitutifs d’une culture critique de l’information et des médias ? Au regard du contexte informationnel actuel, la problématique de la transmission aux élèves de cette culture critique aurait mérité d’être soulevée. Sur ce dernier point, chaque lecteur se résignera à se faire sa propre idée…

 

 

Le CDI vert (dossier rentrée 2021)

Alors que le premier confinement a redonné, de façon inattendue, une courte bouffée d’oxygène à la planète, nous sommes nombreux à nous interroger sur les modes d’action efficaces pour freiner le réchauffement climatique et inverser les effets néfastes de l’impact humain sur la Nature. De COP en Agenda 2030, de marches pour le climat en campagnes de sensibilisation, les initiatives sont foisonnantes et impliquent la jeunesse dans de nouvelles formes d’engagement.

Quelle place donner au professeur documentaliste dans cette recherche de solutions ?

Informer pour comprendre ces thématiques scientifiques et sociétales et par là même enclencher l’action, semble être au cœur des enjeux. Comment mettre en valeur les informations liées aux changements climatiques, à l’écologie, au développement durable au sein du fonds documentaire mais également dans tout l’établissement ? Revisiter les classifications, créer des espaces ou rayons « climat », développer une politique documentaire spécifique, mais aussi inviter des intervenants ou organiser un forum associatif peuvent en être des modalités. En parallèle, comment communiquer efficacement sur ces thématiques et marquer les esprits en utilisant des moyens durables ?

Éduquer au développement durable peut converger avec l’ÉMI pour être le terreau d’un esprit critique de combat qui abatte définitivement les arguments climato-sceptiques, et redonne foi en l’information scientifique, souvent complexe sur de tels sujets. Quels dispositifs pédagogiques mettre en œuvre dans ce contexte pour le professeur documentaliste ? Avez-vous des exemples d’activité menée sur les infox du climat ? Le calcul de l’empreinte carbone de chaque élève ou enseignant, et même celui du CDI, est-il possible ? 
Par ailleurs, si vous travaillez dans un éco-collège ou un éco-lycée, ou sous label E3D, faites-nous part des actions menées à l’échelle de l’établissement et de votre implication. Grainothèques au CDI, jardins intérieurs, ruches, potagers, etc. : nous attendons vos retours d’expérience sur ce type d’initiatives. Partagez également vos conditions de travail, les particularités architecturales et l’agencement de l’espace de votre CDI si vous travaillez dans un établissement à énergie positive ou à haute qualité environnementale.

Agir pour un CDI durable et responsable, qu’est-ce que cela implique concrètement ? Comment se former ? Quels petits gestes adopter au quotidien pour rendre le CDI plus vert ? Quelles initiatives mettre en œuvre pour recycler, redonner vie aux livres pilonnés, usagés ? Gestion de la consommation de papier, mode de couverture des livres, réduction des déchets, comment résoudre ces multiples paradoxes liés à nos consommations de fonctionnement, tout comme celui de l’impact du numérique sur l’environnement, numérique qu’il semble désormais bien difficile d’utiliser avec parcimonie ?

Enfin, plus globalement, quelles formes particulières d’engagement des élèves en matière de développement durable peuvent se fédérer au CDI ? Clubs, associations, réunions, cercles de réflexion, autant de manières d’agir ensemble et de continuer à espérer…

Retrouvez un dossier complet sur le CDI vert dans le numéro 292-93 de la rentrée scolaire 2021.

Des nuages de mots pour comprendre les pratiques d’information sur les RSN

Contextualisation de notre travail de recherche et méthodologie

Notre analyse s’inscrit dans le cadre d’un travail de thèse soutenu et finalisé sur les pratiques d’information dans un contexte de pédagogie documentaire sur les RSN dans le second degré. Nous avons étudié le lien existant ou non entre les pratiques prescrites et les pratiques informelles à travers le discours des enseignants documentalistes et des élèves dans le cadre de la modélisation d’une culture de l’information (Entraygues, 2020).
Pour mener notre travail de recherche doctorale, à partir d’une réalité professionnelle et sociétale complexe, celle des enseignants documentalistes, nous avons analysé les articulations entre trois objets qui nous sont apparus en tension au début de notre recherche.

Figure 1 Schématisation des tensions entre nos objets de recherche

Reprenons rapidement les notions qui sont au cœur du métier d’enseignant documentaliste car elles trouvent leur origine dans les missions de la profession et sont liées à la société de l’information.

Tout d’abord, la culture de l’information et ses expressions multiples telles que la culture de l’information, la culture informationnelle, la maîtrise de l’information ou la literacy informationnelle et l’Éducation aux médias et à l’information (ÉMI) regroupent pratiques sociales, notions théoriques et pratiques pédagogiques. À la fois culture commune et générale (Doueihi, 2011) en lien direct avec la société de l’information (Chante, 2010), elle constitue, aussi, une forme non délimitée de culture scolaire qui découle d’une réflexion sur des contenus de connaissances nécessaires aux élèves dans le but d’éduquer à l’information (Chapron et Delamotte, 2010).
Les pratiques d’information représentent l’ensemble des rapports à l’information qu’ils soient informationnels, communicationnels, socialisants ou ludiques. Deux types de pratiques, prescrites et informelles, entrent en tension dans des contextes d’usage en apparence opposés (Béguin-Verbrugge, 2006). Nous maintenons cette différenciation pour offrir un cadre théorique à des pratiques d’information multiples.
Les RSN, troisième objet mobilisé qui se caractérise par de l’information qui circule sur une plate-forme-technique (Boyd et Ellison, 2013), sont au cœur de ces pratiques d’information juvéniles.

Pour comprendre les divergences et les convergences entre ces trois notions, nous avons étudié les pratiques d’information sur les RSN dans un contexte scolaire de janvier à juin 2017. Nos terrains d’observation, au nombre de dix, se répartissent sur le territoire national et regroupent des établissements scolaires diversifiés, avec une répartition relativement homogène entre quatre lycées et six collèges, puis entre les zones rurales, urbaines et semi-urbaines. L’enquête de terrain a porté sur deux catégories de publics différents : les enseignants documentalistes et les apprenants, élèves des établissements scolaires. Nous avons mis en place une méthodologie en deux volets combinant des entretiens semi-directifs avec onze enseignants documentalistes et 81 élèves sur les pratiques prescrites et informelles en rapport avec les RSN et l’observation et l’analyse de séances pédagogiques. Le terrain nous a fait découvrir deux contextes d’études : un cadre formel lors de séances avec des documents de cours et les rendus des élèves, un cadre informel avec les traces écrites des élèves sous formes de photos ou de copies de documents.

Un choix scientifique : le nuage de mots

Lors des rencontres avec les sujets, nous leur avons demandé de nous donner spontanément trois mots clés en rapport avec les réseaux socionumériques : nous avons recueilli environ 240 mots émanant des élèves et 30 mots de la part des enseignants documentalistes.
Au début de l’entretien, les élèves devaient énoncer rapidement trois mots de manière spontanée, représentant leur vision des RSN.
En complément de la série des trois questions sur la place des RSN à l’école, au CDI et dans la culture de l’information, les enseignants documentalistes devaient également citer trois termes correspondants aux RSN dans un cadre professionnel : Q5 […] Donnez trois mots clés représentant les RSN en tant qu’enseignant documentaliste.
Nous avions pour objectif de récolter un ensemble naturel1 et révélateur de la parole de nos deux publics-cible. Pour exploiter au mieux ce corpus, nous avons choisi d’illustrer ces représentations générales par un nuage de mots construit avec les mots-clés, reflets intuitifs de la vision déclarée des RSN. Le nuage de mots est un résumé sémantique qui apporte une schématisation rapide des représentations d’un objet ou d’une pratique.
Pour notre recherche, cet outil visuel a amplifié scientifiquement nos affirmations sur ce sujet à travers une figuration simplifiée, visuelle et hiérarchisée des discours. C’est un appui complémentaire de notre analyse des verbatims des élèves et des enseignants.
Cette représentation fondée sur la fréquence d’apparition des catégorisations déclarées, est une forme de doxa locale, fondée sur une statistique de fréquence (Boullier et Crépel, 2009, p. 119). Au-delà de la facilité d’accès qui explique une démocratisation, par exemple, grâce au site Delicious, site de classement de marque-pages avec une indexation thématique, le nuage de mots nous offre une entrée quantitative pour notre analyse discursive dans la continuité de notre exploration sémantique et une visualisation accessible des représentations fondées sur les critères scientifiques. Par conséquent, nous avons fait le choix à partir des mots clés récoltés auprès de nos deux publics de travailler à partir d’un nuage de mots comme élément complémentaire de notre démonstration scientifique au sens que lui concèdent Dominique Boullier et Maxime Crépel (Ibid.) interrogeant cependant les limites de la valeur scientifique de ce graphisme. En effet, le nuage de mots, figuration qui peut sembler subjective, ne constitue pas une schématisation traditionnelle des résultats de recherche mais plutôt une vulgarisation scientifique de notions à analyser pour une véritable exploitation des données collectées.

Quelques représentations des pratiques d’information sur les RSN des élèves

Figure 2 Nuage de mots des représentations des RSN des élèves

Cet agencement de termes présente, dans une police plus grande et plus grasse, les mots les plus répétés sur les 243 mots recueillis : on remarque que partage, discuter, communiquer, photo, divertissement se détachent des autres, ce qui correspond aux pratiques plurielles que nous avons observées lors de notre recherche, à savoir les pratiques d’information sociales, ludiques et communicationnelles, en rapport direct avec le divertissement et les loisirs des adolescents.
Le partage et les enjeux communicationnels se démarquent nettement de cet agencement de termes ce qui est en adéquation avec les pratiques d’information identifiées en amont. Les amis, personnes centrales du réseau, s’affichent également comme des éléments constitutifs et inhérents aux RSN. Les pratiques et les représentations sont en phase et montrent une certaine conscience des enjeux informationnels sur les RSN.

Quelques représentations des enseignants documentalistes des pratiques pédagogiques sur les RSN

Figure 3 Nuages de mots des représentations des RSN des enseignants documentalistes

Ce nuage de mots a été réalisé à partir des mots-clés donnés par les onze enseignants documentalistes interrogés. Quatre mots-clés se distinguent et situent les usages des RSN dans une dimension professionnelle éducative mais non pédagogique. Le vocable communauté fait référence à une communauté professionnelle avec une identité forte qui partage des ressources. Le partage et l’échange, mots-clés redondants donnés par les sujets, font partie des pratiques professionnelles importantes des enseignants documentalistes et montrent les interactions au sein du groupe professionnel. Nous pensons par exemple aux groupes créés sur les RSN. L’information forme le contenu présent sur les RSN et implique une vigilance critique. Cette méfiance conjointe à l’utilisation des RSN se retrouve transmise parfois involontairement aux élèves par le biais d’une entrée pédagogique centrée sur les risques numériques ou les dangers des RSN.

Potentialités pédagogiques du dispositif RSN à la lumière d’une comparaison entre les représentations des deux sujets d’étude

Nous notons alors deux types de représentations en opposition : celle des enseignants documentalistes relatives à des objectifs éducatifs et faisant écho aux préoccupations d’une même communauté professionnelle. Ces représentations communes avec les élèves nous indiquent un cadre d’usage technique général et sociétal. Les RSN apparaissent comme un outil informationnel et communicationnel permettant le partage.
La réalité de la société de l’information pose question pour la communauté pédagogique et réaffirme ses objectifs de transmission d’une culture de l’information aux élèves ; en même temps, les élèves expriment également un besoin de sensibilisation à des pratiques d’information sur les RSN. Toutefois, les projets pédagogiques observés sur les RSN s’avèrent une réponse éducative à une sociabilité juvénile mais sont guidés parfois par une entrée stigmatisante focalisant sur les risques sur les RSN.
Les mises en œuvre pédagogiques centrées sur les RSN de nos huit terrains d’observation offrent trois entrées éducatives différentes, informatives, communicationnelles et réflexives et permettent des formes de transmission diverses entre perméabilité ou transférabilité des sphères scolaires et privées et des sensibilisations aux pratiques d’information personnelles sur les RSN.

Perspectives vers la construction d’une culture de la citoyenneté informationnelle

Les représentations des RSN de nos deux sujets nous révèlent une délimitation spécifique et la formation d’une culture de l’information composite au sens de Joëlle Le Marec (2002).
Cette culture de l’information, telle que nous l’avons analysée, fait le lien entre le terrain et la conceptualisation, la théorie et la pratique, s’accordant avec les nouveaux dispositifs que sont les réseaux socionumériques en lien avec les pratiques d’information.

Une première forme de culture de l’information, contextuelle, interroge le lien entre formalité et informalité et remet en cause les relations entre la norme scolaire et la norme sociale. Les sphères privée et scolaire influencent directement les pratiques d’information sur les RSN ; se forme alors une double culture de l’information afférente aux contextes d’usage.

Ensuite, nous en avons déduit que la culture de l’information était émergente c’est-à-dire en construction pour s’adapter à la société de l’information et reliée directement aux RSN et aux pratiques d’information scolaires innovantes qui en découlent.

Enfin, nous pouvons en conclure que la notion de culture de l’information comme une culture de la citoyenneté informationnelle est une culture pratique, conceptuelle et critique au sens étymologique en lien avec l’information vers une autonomisation informationnelle : pour agir dans la société de l’information et pour maîtriser l’information, pour comprendre la société de l’information et enfin pour s’épanouir en tant que citoyen.
La culture de l’information en formation relative aux pratiques d’information sur les RSN se dessine multiscalaire et stratiforme, fonction des cadres d’usage et des prescriptions (enseignantes, parentales, sociales) dont les pratiques d’information émanent.

 

 

Magie et sorcellerie

Expositions, musées

Exposition “Magies-Sorcelleries” : Muséum de Toulouse et Musée des Confluences à Lyon (19 décembre 2020 – 31 octobre 2021)
Magie blanche, magie noire, sorcières, prestidigitation… Cette exposition mêle dispositifs magiques et collections des deux musées
https://www.museum.toulouse.fr/agenda?oaq[uid]=41820389

“La Galerie des illusions, exposition d’art magique” (31 mars – 16 septembre 2018)
Dossier de presse très complet comprenant, notamment, un historique des liens entre art et magie depuis la préhistoire :
https://gallery.mailchimp.com/5a9a86c341243f1105bb75ace/files/8bb3e117-eb18-469f-9a98-3cdc8fdda270/La_Galerie_des_Illusions_Dossier_de_Presse_2018_.pdf

La Villette, Paris
Les dimanches magiques pour découvrir la magie et s’initier aux tours :
https://lavillette.com/programmation/dimanches-magiques_e412
Magic Wip, la fabrique de magie, spectacles de magie https://lavillette.com/programmation/magic-wip-saison-4_e953

Exposition « Illusions » au Palais de la Découverte à Paris (Novembre 2018 – août 2019)
Pour décrypter les phénomènes qui trompent nos sens et faire tomber les secrets des magiciens :
http://www.palais-decouverte.fr/fileadmin/fileadmin_Palais/fichiersContribs/vous-etes/professionnel/presse-media/cp/CP_ILLUSIONS.pdf

La Maison de la Magie Robert-Houdin, Blois
Propose des activités pédagogiques autour de la magie de la maternelle au lycée : https://www.maisondelamagie.fr/1063-activites-pedagogiques.htm
https://www.maisondelamagie.fr/

Gare aux sorciers ! Mucem, Marseille
https://www.mucem.org/collections/theme-collection/node
Le Mucem a récupéré les collections du MNATP (Musée national des Arts et Traditions populaires)

Musée du Cirque et de l’illusion, Dampierre-en-Burly
https://www.museeducirqueetdelillusion.com/

Le musée de la magie & La maison de la magie, Lyon
https://www.mattmorgan.fr/musee-de-la-magie-et-maison-de-la-magie/

Musée de la magie et des automates, Paris
https://museedelamagie.com/

Musée de l’illusion, Paris
https://museedelillusion.fr/

Maison des Sorcières, Bergheim
http://haxahus.org/

Cité Magique, Pontillas (Wallonie, Belgique)
http://www.adamsmagicshow.be/cite_magique/

The Museum of Witchcraft and Magic à Bostcastle (Cornouailles, Royaume-Uni)
Musée de la sorcellerie et de la magie.
https://museumofwitchcraftandmagic.co.uk/
https://artsandculture.google.com/story/QQIyj6cFuv4mJw?hl=fr

Concours – spectacles – évènements

Fédération Française des Artistes Prestidigitateurs
Organise : des congrès, les championnats de France de magie, des concours régionaux.
https://www.magie-ffap.com/

Monte-Carlo Magic Stars
Le Festival de Magie de Monte-Carlo
https://www.monte-carlo.mc/fr/visites/magic-stars/

Café-théâtre de la magie, Paris
https://www.doublefond.com/

Programmes et repères pédagogiques

Collège

Socle commun de connaissances, de compétences et de culture, Cycle 3 et cycle 4
« 5° les représentations du monde et l’activité humaine : ce domaine est consacré à la compréhension des sociétés dans le temps et dans l’espace, à l’interprétation de leurs productions culturelles et à la connaissance du monde social contemporain. » Décret n° 2015-372 du 31 mars 2015

EMC, Sixième, cinquième, quatrième, troisième
“Principes généraux : reconnaître le pluralisme des opinions, des convictions, des croyances et des modes de vie (principe de la coexistence des libertés)”

Français (Culture littéraire et artistique), Sixième
“Le monstre, aux limites de l’humain :
On étudie des contes merveilleux et des récits adaptés de la mythologie et des légendes antiques, ou des contes et légendes de France et d’autres pays et cultures.”

EMC, Sixième
«La sensibilité : soi et les autres. Exemples :
Discussion à visée philosophique sur le thème de la tolérance ou sur le thème de la moquerie.
La tolérance (en lien avec le programme d’histoire).
Étude dans les différents domaines disciplinaires de la diversité des cultures et des religions.”

Histoire, Sixième
“Thème 2 : Récits fondateurs, croyances et citoyenneté dans la Méditerranée antique au Ier millénaire avant J.-C.”

Sciences, Sixième
“Situer la Terre dans le système solaire et caractériser les conditions de la vie terrestre : Découvrir l’évolution des connaissances sur la Terre et les objets célestes depuis l’Antiquité.”

Français (Cult. litt. et artistique), Cinquième
“Regarder le monde, inventer des mondes. Imaginer des univers nouveaux : découvrir des textes et des images relevant de différents genres et proposant la représentation de mondes imaginaires, utopiques ou merveilleux”

Français (Cult. litt. et artistique), Quatrième
“Regarder le monde, inventer des mondes. La fiction pour interroger le réel : comprendre comment le récit fantastique, tout en s’inscrivant dans cette esthétique, interroge le statut et les limites du réel”

Le français et les autres champs du savoir, Tout niveau du cycle 4
« Comparer les représentations mythiques et les représentations scientifiques de différents phénomènes étudiés en SVT, en visant : des acquisitions culturelles concernant les mythes et les grands questionnements auxquels ils tentent de répondre ; l’identification des traces laissées par ces mythes dans la culture contemporaine (par exemple l’astrologie) ; la distinction entre ce qui relève de la croyance et ce qui est acquis à la suite d’une démarche scientifique. »

Langues, Cycle 4
« En lien avec les langues et culture de l’Antiquité, le français, l’histoire et la géographie, l’histoire des arts.
Mythes, croyances, héros… Explorer les récits, les œuvres artistiques, le patrimoine archéologique. »

Physique – Chimie, cycle 4
“Croisements entre enseignements.
En lien avec les arts plastiques, les SVT, les mathématiques.
Lumière et arts : illusion d’optiques, trompe-l’œil, camera obscura, vitrail (de la lumière blanche aux lumières colorées).
En lien avec les langues de l’Antiquité, l’histoire, les mathématiques, la technologie
Histoire des représentations de l’Univers : les savants de l’école d’Alexandrie (Eratosthène et la mesure de la circonférence de la Terre, Hipparque et la théorie des mouvements de la Lune et du Soleil, Ptolémée et le géocentrisme, Aristote et la rotondité de la Terre…), les instruments de mesure (astrolabe, sphère armillaire…).
En lien avec les langues de l’Antiquité, l’histoire, les mathématiques, la technologie.
Sciences et Antiquité : héritage de la Grèce antique dans la construction de la science.”

SVT, Cycle 4
“Croisements entre enseignements
En lien avec les arts plastiques, l’éducation musicale, la physique-chimie.
Sens et perceptions, fonctionnement des organes sensoriels et du cerveau, relativité des perceptions ; jardin des cinq sens ; propagation de la lumière, couleurs ; défauts de vision et création artistique.
Distinguer ce qui relève d’une croyance ou d’une idée et ce qui constitue un savoir scientifique. »

Lycée général et technologique

https://eduscol.education.fr/92/j-enseigne-au-lycee-generaltechnologique
BO spécial n° 1 du 22 janvier 2019
BO spécial n° 8 du 25 juillet 2019

Physique-chimie, Seconde
“Ondes et signaux. 2. Vision et image : vision humaine”
Travail sur l’illusion d’optique

Physique-chimie, Première
“Ondes et signaux. 2. La lumière : images et couleurs, modèles ondulatoire et particulaire. A) Images et couleurs : Vision des couleurs et trichromie.”
Travail sur l’illusion d’optique

SVT, Terminale
“Enjeux planétaires contemporains. De la plante sauvage à la plante domestiquée. …plantes cultivées, un enjeu majeur pour l’humanité qui utilise les plantes comme base de son alimentation et dans des domaines variés.”
Étude des plantes médicinales

SES, première et terminale
“Distinguer les démarches et savoirs scientifiques de ce qui relève de la croyance”
“Sociologie et science politique”
Image des femmes (la sorcière), rituels, pratiques culturelles, culture populaire, croyances

Histoire géographie, seconde
“Thème 2 : XVe-XVIe siècles : un nouveau rapport au monde, un temps de mutation
intellectuelle”
Chasse aux sorcières

Pistes pédagogiques

Club de magie : cartes à jouer et cartes divinatoires (symbolique), apprentissage de tours.

Avec les professeurs de sciences : atelier décryptage de la magie et des effets d’optique (escalier de Penrose, échiquier d’Adelson) ; invitation de magiciens, scientifiques et chercheurs.

Recherches documentaires sur l’histoire des sciences (Physique chimie, mathématiques, SVT).

Atelier / jardin / recherches sur les plantes médicinales avec le professeur de SVT ou de biologie et physiopathologie humaines en STSS.

Visite d’un musée de la magie. Parcours “spirite” notamment à Blois ou encore à La Villette pour s’initier aux tours.

Avec le professeur de SES ou professeur de philosophie, recherche documentaire sur les croyances, les coutumes, les rituels du monde entier.

Recherche documentaire iconographique sur la représentation des sorcières en arts plastiques ou histoire des arts. Travail sur l’image des femmes.

Recherche de photos et dessins dans la presse de l’époque (L’Illustration par exemple), notamment tout ce qui concerne le spiritisme, la magie, l’hypnose sur Gallica.

Séance EMI sur la fiabilité des sites relatifs à ces sujets, notamment dans le cadre de l’apprentissage de la distinction entre croyance et science.

Sur le portail du CDI (E-sidoc, PMB etc.) : afficher un carrousel d’illusions d’optique, bibliographie sur la magie et la sorcellerie.

Mettre en valeur le fonds en exposant les documents par thématiques (magie, sorcellerie, illusion d’optique, plantes médicinales).

Booktubes : présentation critique de lectures d’ouvrages (documentaires ou fictions) par les élèves en SES ou en histoire sur l’image des femmes (la sorcière) : une misogynie certaine envers les femmes indépendantes, vivant seules, ayant un savoir médicinal entre autres, et peu ou pas pratiquantes.

Sitographie

Breton, Justine. La Magie au cœur du genre. Bibliothèque nationale de France (BnF)
https://fantasy.bnf.fr/fr/comprendre/la-magie-au-coeur-du-genre/

Besson, Anne. Shakespeare et la fantasy, une histoire de magie. Bibliothèque nationale de France (BnF)
https://fantasy.bnf.fr/fr/comprendre/shakespeare-et-la-fantasy-une-histoire-de-magie/

Cahen-Patron, Iseult. Bosch, Goya, Michel-Ange : 15 sorcières qui enchantent l’histoire de l’art. Connaissance des arts, 7/11/2020
https://www.connaissancedesarts.com/arts-expositions/bosch-goya-michel-ange-15-sorcieres-qui-enchantent-lhistoire-de-lart-11147902/

Entre magie et sorcellerie : “Une bibliographie jeunesse (documentaires et fictions), en écho à l’exposition ‘Magies-Sorcelleries’”, Bibliothèque Émile Cartailhac et Médiathèque Jeunesse « Pourquoi pas ? », Toulouse, 2021
https://www.museum.toulouse.fr/documents/10180/19408898/MAGIES+SORCELLERIES_EXPO.pdf/aff4adca-1f85-41bc-9b8d-324e6549a4e1

Filmographie en lien avec l’exposition « Magies-Sorcelleries ». Bibliothèque Émile Cartailhac et Médiathèque Jeunesse « Pourquoi pas ? », Toulouse, 2021
https://www.museum.toulouse.fr/documents/10180/175438099/Movie+news_Magies_2020.pdf/16e29e41-7b3d-473e-a9ba-d3777f5d678d

Série en 4 épisodes sur le site Hérodote :
Larané, André. Sorciers et sorcières. Entre philtres d’amour et bûchers, 2021
https://www.herodote.net/Entre_philtres_d_amour_et_buchers-synthese-2519-468.php
Grégor, Isabelle. Fantômes et démons : Fantastique. Quand le monde de l’ombre joue avec nos nerfs, 2020
https://www.herodote.net/Quand_le_monde_de_l_ombre_joue_avec_nos_nerfs-synthese-646-468.php
Gondoin, Stéphane William. Quand le diable réclame son dû : La sorcière de Berkeley, 2020
https://www.herodote.net/Quand_le_Diable_reclame_son_du-synthese-2518-468.php
Larané, André. 5 décembre 1484 : Le pape enquête sur les sorciers et les sorcières, 2019
https://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=14841205&ID_dossier=468

Souder, Dominique. Mathématiques et magie. Académie de Poitiers, 2020
http://ww2.ac-poitiers.fr/math/spip.php?article1107

Radio

Chardeau, Amaury. Sorcières : la marque du diable. France Culture, 2019.
Contient une sélection de musiques et chansons sur la sorcellerie.
https://www.franceculture.fr/emissions/juke-box/sorcieres-la-marque-du-diable

Weitzmann, Marc. Présence des sorcières. Du bûcher à l’écoféminisme. France Culture, 2019
https://www.franceculture.fr/emissions/signes-des-temps/presence-des-sorcieres-du-bucher-a-lecofeminisme
L’ethnologue Jeanne Favret-Saada raconte la sorcellerie en Mayenne : «J’ai dû me faire désenvoûter». France Culture, 2016. 30 mn
https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/l-ethnologue-jeanne-favret-saada-raconte-la-sorcellerie-en

Filmographie

Documentaires

Colmon, Benjamin. Sorciers, magie noire, envoûtements, désenvoûtements. Arcades, 2014. 53 mn

Favret-Saada, Jeanne. Livre 4/8. La sorcellerie dans la Mayenne. Série « Les Possédés et leurs mondes », Anthropologie et Société, 2019. 35 mn
https://www.youtube.com/watch?v=ANTnaQBOzb8

La Vapeur, Hadrien ; Vaclav, Corto. Kongo. Pyramide distribution, 2020. 1 h 10 mn

Magie Digitale. Tracks, ARTE, 12/2014. 11 mn
https://www.youtube.com/watch?v=H3qlsSZMvC8

Magie et sorciers. Dossier, ARTE Junior, 04/2019. 2 mn 23 s https://www.youtube.com/watch?v=NI8hNyw3RtA

Mény, Jacques. La magie Méliès. Sodaperaga, Mikros Image, La Sept ARTE. 1997. 130 mn

Occultisme : La magie au cœur de la culture pop. BiTS, ARTE 10/2016. 11 mn
https://www.youtube.com/watch?v=ouW09-GfZg0

Fictions

Adamson, Andrew. Le monde de Narnia : le lion, la sorcière blanche et l’armoire magique. Buena Vista International, 2005. 2 h 20 mn
1er chapitre de la trilogie.

Burger, Neil. L’Illusionniste. Bull’s Eye Entertainment, 2007. 1 h 50 mn

Columbus, Chris. Harry Potter à l’école des sorciers. Warner Bros, 2001. 2 h 32 mn
1er film d’une série de huit

Jackson, Peter. Le Seigneur des Anneaux : La Communauté de l’anneau. Warner Bros, 2001. 2 h 58 mn
1er chapitre de la trilogie.

Keene, Nietzchka. Quand nous étions sorcières. Patrick Moyroud, 1989. 1 h 19 mn
Version restaurée en 2019. Avec Björk pour sa première apparition au cinéma.

Nolan, Christopher. Le Prestige. Warner Bros, 2006. 2 h 08 mn

Yates, David. Les Animaux fantastiques. Warner Bros, 2016. 2 h 13 mn

Leterrier, Louis. Insaisissable. SND, 2013. 1 h 56 mn

La série X-files : de nombreux épisodes réfèrent à des phénomènes magiques ou de sorcellerie (11 saisons)
Saison 2, épisode 14 : La Main de l’enfer
Saison 5, épisode 10 : La Poupée
Saison 7, épisode 8 : Maleeni le Prodigieux
Saison 11, épisode 8 : Les Forces du mal

La série Charmed : l’histoire de trois sœurs sorcières (8 saisons)

Représentations artistiques

Gardner, Daniel, Les Trois Sorcières de Macbeth, 1775, National Portrait Gallery, Londres

Goya, Francisco de, Le Sabbat des sorcières, 1798, Musée Lázaro Galdiano, Madrid
Francisco Goya a peint de nombreuses scènes de sorcellerie

Grasset, Eugène, Trois femmes et trois loups. 1892, Musée des arts décoratifs, Paris

Waterhouse, John William, Circé, L’Empoisonneuse, 1892, Art Gallery of South Australia

Œuvres illusions d’optique (Vasarely, Escher, Arcimboldo)

Affiches du magicien Harry Houdini

 

 

Quelle place pour les autrices dans la bande dessinée ?

Une situation difficile des autrices dans le marché actuel

Le marché de la bande dessinée connaît un très grand essor depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000, qui se traduit par une augmentation du nombre de titres produits et vendus et par un élargissement du lectorat, vers plus de mixité. Mais la situation des autrices n’en reste pas moins difficile d’un point de vue économique comme en termes de reconnaissance. Le marché reste en effet dominé par les hommes du côté de la création comme de l’édition.

Invisibilisées

Les autrices de bande dessinée sont présentes dans tous les pays du monde et dans chaque grand segment de la bande dessinée, que ce soit dans le comics, la bande dessinée franco-belge ou le manga (où les autrices sont aussi nombreuses que les auteurs). Certaines sont reconnues internationalement (Rumiko Takahashi, sacrée Grand Prix d’Angoulême en 2019, Marjane Satrapi, Pénélope Bagieu) et personne ne peut remettre en cause la capacité ou la légitimité des femmes à créer de la bande dessinée. Pourtant, partout le même constat s’impose : elles souffrent d’invisibilisation. «Les femmes sont présentes et très productrices, mais peu présentes parmi les artistes honorés et reconnus», affirme Chantal Montellier (Motais de Narbonne, 2016).

Peu nombreuses

Depuis les années 2000, les femmes représentent environ 12 % des auteurs de bande dessinée francophone, contre 6 % dans les années 1990 (selon les différents rapports de l’Association des critiques et journalistes de bande dessinée -ACBD- qui prennent en compte les auteur.rice.s qui ont signé au minimum trois publications et qui possèdent un contrat en cours). Le rapport de 2016 compte précisément 12,8 % d’autrices professionnelles, soit 182 scénaristes et/ou dessinatrices, auxquelles s’ajoutent 85 coloristes. Ce chiffre peut être comparé avec les résultats du rapport d’enquête publié par les États Généraux de la BD en 2016. Cette enquête menée auprès de 1500 auteurs, professionnels et amateurs, révèle une part accrue des autrices : 27 % dont la grande majorité a moins de 40 ans (56 %), avec une moyenne d’âge autour de 34 ans. Ce chiffre montre l’attrait des femmes pour la création de la bande dessinée, mais aussi le fait que très peu vivent réellement de cette activité.
Si la proportion des femmes présentes dans le milieu de la bande dessinée a progressé depuis 30 ans, leur nombre aurait aujourd’hui tendance à stagner, voire à baisser. Un état de fait à mettre probablement en relation avec divers phénomènes liés au marché de la bande dessinée (surproduction) tout autant qu’à leur sexe. Le manque de visibilité, de reconnaissance, la rémunération très faible des autrices n’incitent pas celles-ci à se lancer dans la profession.
La présence des autrices dans le monde de la bande dessinée reste donc faible. D’autant plus lorsque l’on compare leur situation dans la littérature de jeunesse (où elles sont environ deux tiers) ou la littérature générale (environ un quart). Si les femmes sont majoritaires dans les écoles d’art ou spécialisées en bande dessinée, il est probable que pour elles, le marché de la bande dessinée est plus difficile à pénétrer que celui de l’illustration et n’est ni assez rentable ni assez légitimant.

Mal rémunérées

Le marché de la bande dessinée est prospère et en hausse constante depuis une décennie, en termes de production comme de ventes. En 2020, la BD, en 3e position du marché du livre, représente 510 M€ de CA (en progression constante), 53 millions d’albums vendus, 8 millions d’acheteurs… Mais si tous les indicateurs du secteur sont à la hausse, les auteurs, eux, sont en crise.
Les États Généraux de la BD (2016) ont en effet révélé l’immense précarité des auteur.rice.s : 67 % des autrices vivent en dessous du Smic (contre 53 % des auteurs) ; 50 % vivent en dessous du seuil de pauvreté (33 % pour les hommes). Bien que le marché de la bande dessinée se porte bien et jouisse d’une belle image de marque auprès du grand public, la réalité sociale des auteurs est bien moins florissante : faiblesse des revenus qui les oblige à avoir bien souvent un emploi parallèle, absence de protection sociale, temps de travail titanesque… «Alors qu’il n’y a jamais eu autant d’albums dans les rayons, un prolétariat de la bande dessinée semble s’être formé au fil des années.» (Auteur de BD, un métier de plus en plus précaire, Frédéric Potet, Le Monde, 26/01/2016). Les raisons sont nombreuses : diminution des droits d’auteurs, hausse des prélèvements obligatoires dans les métiers artistiques, baisse des ventes au titre. Les femmes, comme dans bien d’autres métiers, sont plus durement touchées que les hommes.

Empêchées

Les œuvres des autrices bénéficient de moins de promotion que celles des auteurs. Les chiffres des États Généraux de la BD montrent qu’en moyenne, les femmes sont moins exposées que les hommes (52 % à n’avoir eu droit à aucune exposition depuis trois ans, contre 44 %, chez les hommes), qu’elles bénéficient de moins de promotion presse (36 % contre 23 %) ou de marketing (79 % contre 63 %). Même des artistes reconnues bénéficient de moins d’intérêt que leurs homologues masculins : «Claire Bretécher a accordé moins d’entretiens dans des médias spécialisés ou non spécialisés que la plupart des auteurs célèbres.» (https://www.franceculture.fr/personne-claire-bretecher. Jessica Kohn).
Dans Plafond de verre, mode d’emploi, Audrey Alwett et Dimat décryptent les mécanismes du plafond de verre – préjugés de comportements ou d’organisation qui empêchent les femmes d’accéder à de hautes responsabilités – en illustrant le témoignage d’une créatrice de bande dessinée. Les autrices sont moins invitées dans les festivals, font moins de dédicace, sont oubliées des sélections ou des prix. Rappelons le scandale d’Angoulême 2016 où sur la présélection pour le Grand Prix, soit trente pressentis, aucun nom de femme ne figurait. Cette année, au 48e Festival d’Angoulême 2021, sur 61 participants, elles sont 16 autrices en lice. Malgré ce net progrès, ce n’est pas encore la parité… Personnellement, en 10 ans, en tant que « journaliste bd », j’ai interviewé 132 auteurs lors de rencontres publiques. Combien étaient des femmes ?… Quatre…
Ce sont les éditeurs ou les libraires qui décident des campagnes de promotion, de leur organisation et des personnes à mettre en avant. Et il s’avère que ce sont des professions majoritairement masculines. Si l’on trouve des femmes dans les maisons d’édition (aux ressources humaines, dans la comptabilité, le conseil éditorial, les relations presse), elles ne sont que très peu à des postes de décision.

En lutte

© Montellier, Chantal – Association Artémisia.

Conscientes de cet état de fait, dès 2007, un premier collectif de femmes voit le jour : Artémisia, dont le nom est un hommage à l’artiste italienne du XVIIe siècle, Artemisia Gentileschi. Créée à l’initiative de Chantal Montellier, Jeanne Puchol (autrices de bande dessinée) et Marie-Jo Bonnet (historienne, spécialiste de l’histoire des femmes), cette association décerne des prix à des albums scénarisés et/ou dessinés par des femmes. « Tous les ans, le jury récompense une femme auteure de bande dessinée, pour saluer son œuvre, l’encourager, rendre le travail des femmes dans la bande dessinée plus visible, lutter contre la discrimination passive, contre les multiples plafonds de verre qui continuent de limiter la percée des auteures, des dessinatrices, des scénaristes, des créatrices, de leur art, leur créativité, leur génie. » (http://www.assoartemisia.fr/notre-combat). Mixte depuis 2010, le jury décerne ses prix (six à présent), le 9 janvier, jour anniversaire de la naissance de Simone de Beauvoir.

Le combat contre le sexisme dans la bande dessinée prend une tournure particulière en 2015. Julie Maroh (Le Bleu est une couleur chaude) est contactée par le Centre Belge de la Bande Dessinée pour participer à une exposition collective intitulée «La BD des filles». L’autrice explique alors à l’institution à quel point ce projet est accablant et misogyne. Elle alerte par email 70 autrices de bande dessinée. Le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme est créé, ainsi que l’établissement d’une charte (Berg, 2019). Elle sera signée par 250 autrices. À travers leur charte, ces autrices entendent dénoncer un marketing genré et une approche sexuée de leurs travaux ; elles revendiquent l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans la bande dessinée. Elles soulignent ainsi qu’il n’y a pas une bande dessinée féminine mais des bandes dessinées faites par des femmes, de la même façon qu’il n’y a pas un éternel féminin mais des femmes. L’art n’a pas de genre. «Puisque la bande dessinée masculine n’a jamais été attestée ni délimitée, il est rabaissant pour les femmes auteures d’être particularisées comme créant une bande dessinée féminine.» (https://bdegalite.org/).
Elles font entendre leur voix au Festival d’Angoulême 2016 (où aucun nom de femme n’est retenu pour la présélection du Grand Prix). La polémique débouche sur la création d’un comité de concertation chargé par le ministère de la Culture de revoir l’organisation du festival. Par ailleurs, elles continuent à dénoncer sur leur site web les stéréotypes de genre présents dans la bande dessinée.

Un milieu traditionnellement fermé aux autrices

Pourquoi la place accordée aux femmes dans la bande dessinée est-elle si restreinte ? Que ce soit pour ses personnages mis en scène, ses thématiques déployées ou ses auteurs phares, le monde de la bande dessinée a souvent été estampillé «domaine masculin». C’est juste que la bande dessinée a été longtemps pratiquée par des hommes en direction d’un public masculin. « Faite par de vieux petits garçons pour de jeunes petits garçons » a affirmé le scénariste Pierre Christin, qui désigne ainsi la bande dessinée comme un club fermé, un entre-soi masculin. Mais ce constat est sociétal et non pas inhérent au genre. Les femmes n’ont pas décidé massivement de ne pas être autrices de bandes dessinées, pas plus que la bande dessinée serait un médium «naturellement» masculin. Leur arrivée tardive dans ce milieu corrobore simplement l’affirmation de Jean-Christophe Menu : la bande dessinée est un art « en retard » et qui ne s’est ouvert aux autrices que récemment.

Les magazines pour filles

Au début du XXe siècle, les périodiques destinés à la jeunesse instaurent un cloisonnement entre filles et garçons. Les magazines pour filles (La Semaine de Suzette, Lisette…) qui présentent plutôt des textes illustrés que de la bande dessinée permettent néanmoins à des autrices de se faire un nom. C’est le cas de Jeanne Spallarossa, rédactrice en chef de La Semaine de Suzette qui crée en 1905 le personnage de Bécassine, dessiné par Pinchon. Sous les pseudonymes de Jacqueline Rivière ou Tante Jacqueline, elle devient ainsi la première scénariste de bande dessinée française. Bécassine sera reprise par de nombreux auteurs, ce qui n’empêchera pas son autrice de sombrer dans l’oubli.
Au moins 7 % des auteurs de bande dessinée étaient des femmes après la Seconde Guerre mondiale, dont certaines avaient même commencé à travailler dans les années 1930. Mais le fait que leurs travaux n’ont jamais été publiés sous forme d’albums ou de recueils a favorisé leur oubli, voire leur mise à l’écart de l’histoire de la bande dessinée. D’autres facteurs, comme le manque de légitimité culturelle des magazines pour enfants ou la solitude inhérente au métier de dessinateur qui ne favorise pas la construction d’un réseau social fédérateur, ont participé à un processus d’invisibilisation des femmes dans la bande dessinée (Kohn, 2017).

«Des petites mains»

Les femmes qui travaillent dans le milieu de la bande dessinée franco-belge des années 1950 et 1960 sont majoritairement coloristes ou illustratrices de magazines, des tâches considérées à l’époque comme subalternes ou d’assistance.
Le métier de coloriste qui consiste à mettre en couleurs le dessin au trait et à créer des effets de lumière et d’ombre requiert pourtant des compétences artistiques et techniques très pointues. Mais cette activité a longtemps été perçue comme un travail d’exécutant. Souvent compagnes de dessinateurs, les coloristes sont la plupart du temps restées dans leur ombre. On sait néanmoins que certaines coloristes assistaient bien plus que par la mise en couleurs leurs époux. Malgré la création en 2009 de l’Association des Coloristes de bande dessinée, leur statut reste toujours flou. Sont-elles créatrices, co-autrices ou simples collaboratrices ?

Illustratrices pour la jeunesse

Les femmes ont investi plus facilement le monde de l’illustration pour la jeunesse que la bande dessinée. Elles avaient travaillé pour les magazines pour jeunes filles, y avaient illustré des récits, elles se sont tournées vers l’illustration d’albums jeunesse. Elles sont actuellement environ 65 % à être autrices d’albums jeunesse.
Cette assignation des créatrices au monde de l’illustration et de la jeunesse a induit l’idée que les femmes ont un dessin souple aux formes douces et des univers colorés, supposément adapté à un public enfantin. Ces idées stéréotypées sur un style graphique «féminin» ont perduré longtemps dans le milieu de la bande dessinée. Où de même certains genres sont implicitement assignés aux femmes (vie quotidienne, intimité) comme d’autres leur sont refusés (heroïc fantasy, aventure, polar).

Les années 70 : des pionnières isolées…

À partir des années 60/70, des autrices comme Claire Brétecher, Chantal Montellier, Florence Cestac, Annie Goetzinger investissent la bande dessinée et font figure de pionnières. Le fait qu’elles s’adressent majoritairement à un public adulte contribue probablement à leur reconnaissance.
Claire Bretécher participe en effet à la création de l’Echo des savanes en 1972, un magazine «réservé aux adultes» qui se libère de toute censure et s’affranchit des contraintes éditoriales en cours. Tout au long de ses albums, depuis les années 1970 jusqu’aux années 2000, elle pointe avec un humour féroce les travers de ses contemporains tout en accompagnant l’évolution des mœurs de la société française, abordant la libération sexuelle, l’homosexualité, la parentalité, le clonage, la PMA, la psychanalyse… Sa série Les Frustrés, prépubliée dans le Nouvel Observateur, lui a attiré un public qui dépassait le strict cadre de l’amateur.rice de bande dessinée et a probablement joué dans son statut d’icône (« Notre-Dame de la BD », selon l’expression de Blutch, Libération, 11/12/2020).
Chantal Montellier n’a jamais caché que, pour elle, la bande dessinée « était une arme politique surtout ». Ses œuvres dénoncent les mécanismes d’oppression et d’aliénation de l’être humain et plus particulièrement des femmes à travers des récits d’anticipation, du polar politique, des enquêtes fictionnalisées ou des reportages, des genres de récits considérés comme masculins. Son engagement artistique, politique et féministe lui a sans doute coûté la reconnaissance du grand public, mais son œuvre, reflet d’un combat sans concession, présente un aspect émancipateur et une originalité graphique incontestables.
Avec des œuvres (ô combien différentes mais néanmoins) marquées par l’ironie critique et la satire sociale, Claire Bretécher et Chantal Montellier ont figuré parmi les rares figures emblématiques de la bande dessinée féminine. Mais, avec leurs homologues de l’époque, elles restent isolées. «Lorsque j’ai démarré début 70, nous n’étions pas plus de 2 ou 3, Claire Bretécher, Nicole Claveloux qui venait de l’édition pour enfants, Annie Goetzinger… Dans le dessin de presse politique, j’étais la seule et faisais figure de pionnière, “privilège” qui se paie cher» (cf. Motais de Narbonne, 2016).

… et des autrices en mouvement(s)

Dans la mouvance émancipatrice des années 60-70 et de la contre-culture, des mouvements aux États-Unis, au Japon et en France réunissent des autrices qui se fédèrent contre le sexisme dans la bande dessinée et revendiquent une place dans ce marché qui leur est fermé.
Aux États-Unis, apparaît le comix qui, avec son X, s’affirme comme une alternative au comics grand public. Malgré son caractère avant-gardiste, cette production demeure empreinte de misogynie. Les magazines de «women’s comix» fleurissent alors : It Ain’t Me, Babe, Tits & Clits (Tétons et clitos), Wimmen’s Comix, entièrement réalisés par des femmes. Ils offrent un espace d’expression libérateur aux créatrices, véritable creuset d’influence pour l’édition indépendante et de nombreuses autrices à travers le monde. Des grands noms y feront leurs preuves : Trina Robbins, Aline Kominsky, Joyce Farmer…
Ces comix féministes américains incitent les autrices françaises à créer un magazine féminin Ah ! Nana (1976). S’il est réalisé entièrement par des femmes, le magazine invite néanmoins un auteur masculin à chaque numéro (Tardi, Moebius, Chaland…) inversant ainsi la proportion qui a cours dans les publications contemporaines. Il reflète les préoccupations féministes de l’époque : la maternité, le plaisir féminin, la domination masculine, les violences faites aux femmes (notamment sexuelles), la prostitution. Il aborde aussi des sujets interdits comme l’inceste ou l’homosexualité. Une liberté de ton et de parole qui lui vaudra les foudres de la censure. Après neuf numéros, Ah ! Nana est frappé d’une interdiction de vente aux mineurs en août 1978, puis censuré pour pornographie. Ces sanctions entraînent la disparition du titre. Alors que paradoxalement, la bande dessinée de l’époque emprunte volontiers à la pornographie et au machisme, le contenu éditorial de la revue, parce qu’il est proposé par des femmes, choque. Les autrices qui voulaient briser des tabous sont mises à l’index. En France, la plupart d’entre elles retournent à la bande dessinée pour enfants ou disparaissent complètement.

Une entrée des autrices par les marges

Fin des années 1990, début des années 2000, une nouvelle génération d’autrices émerge. Si celles-ci conquièrent petit à petit, discrètement, les segments traditionnels de la bande dessinée autrefois réservés aux hommes (aventure, western, SF, fantastique, polar, histoire), elles se font surtout remarquer en investissant les tendances novatrices qui traversent la bande dessinée contemporaine et accèdent ainsi à un peu plus de visibilité et de reconnaissance publique.

Le récit autobiographique

La fin des années 90 est marquée par le courant de la bande dessinée alternative qui apporte une bouffée d’oxygène à la création. Une nouvelle façon de concevoir la bande dessinée émerge, en termes d’édition (format et pagination se diversifient), de narration (des scénarios intimistes ou engagés), de genres (le reportage, l’essai ou l’autobiographie). Une révolution de la bande dessinée portée par des éditeurs indépendants dans laquelle les autrices trouvent leur place.
C’est surtout dans le récit autobiographique encore balbutiant en bande dessinée que les autrices vont s’illustrer. Exploré par le comix underground dès les années 70, débuté en France dans les années 80, le récit autobiographique en bande dessinée va s’épanouir dans l’édition indépendante des années 90. Entre autoreprésentation et autodérision, le récit du Moi, centré sur la vie intérieure et le rapport au corps, invente une nouvelle grammaire visuelle, fondée sur la métaphorisation des émotions. Les autrices s’emparent de ce genre avec succès et entremêlent vie intime et mise en perspective politique, historique ou sociologique. Le succès inattendu de Persepolis de Marjane Satrapi provoque un effet de stimulation auprès des autrices et d’amplification médiatique du «phénomène autobiographique» dans la bande dessinée. Premier best-seller de l’Association dont le succès critique est confirmé par l’attribution de deux prix à Angoulême et la sortie d’un film d’animation, ce récit propulse la bande dessinée alternative au premier plan et inspire de nombreuses autrices (comme Zeina Abiracheb ou Amruta Patil).
Cet intérêt des autrices pour le récit autobiographique n’est pas limité à la France. De tous les coins du monde, elles investissent ce genre : Alison Bechdel (Fun Home, 2006), Uli Lust (Trop n’est pas assez, 2007), Karlien De Villiers (Ma mère était une très belle femme, 2007), Rosalind B. Penfold (Dans les sables mouvants, 2007), Debbie Drechsler (Daddy’s girl, 1996), Julie Doucet (Journal, 2004), Dominique Goblet (Faire semblant, c’est mentir, 2007).
Implicitement ou explicitement, l’autobiographie féminine propose une réflexion sur le fait d’être une femme. Le genre permet d’explorer le rapport au corps, à la sexualité, aux relations familiales d’un point de vue singulier. Et d’interroger des questions liées à la construction de l’identité, notamment à propos du genre.
Par le biais du témoignage, les autrices dénoncent les injustices auxquelles le sexisme les expose : viol conjugal, violence sexuelle, violence familiale y sont décrits de multiples façons, allant du réalisme au métaphorique. Une critique de la société patriarcale émerge de ces autobiographies féminines. Leurs points de vue sur le sexisme systémique en cours dans la société interrogent la place attribuée aux femmes et amènent une autre façon de regarder la société.
Dans une étude consacrée à deux autrices (Julie Doucet et Dominique Goblet), Laurence Brogniez souligne que le genre autobiographique permet une forme de liberté et d’expérimentation narratives et graphiques, «une forme ouverte à des audaces, sur le plan de la forme et du contenu, qui, dans d’autres genres plus codés et contraints, pourraient être reçus avec réserve» (Brogniez, 2010). L’autobiographie dessinée en tant qu’elle favorise l’affirmation de la subjectivité permet d’innover et d’élaborer un style graphique singulier et libre.
À cette époque, le récit autobiographique porté par l’édition alternative va connaître un certain succès sinon auprès du grand public du moins d’un large cercle d’amateurs de bande dessinée. Et ce succès dont les «gros» éditeurs se sont désormais emparés s’amplifie et ne se dément toujours pas. Le récit du Moi aux pratiques multiples (autofiction, récit de voyage, journal intime, témoignage) et aux thèmes divers (enfance, Histoire, amour, vie professionnelle…) est ainsi devenu un des genres majeurs de la bande dessinée de ces vingt dernières années. Cette reconnaissance a donné une visibilité aux œuvres féminines qui ont participé à son développement et une forme de légitimité des autrices pour conquérir leur place dans le monde du 9e Art.

Le blog dessiné

Dans les années 2000, le phénomène des blogs dessinés permet également à toute une génération de se faire connaître. Conçu comme un journal de bord, quotidien et intime, il incite les autrices à se livrer, souvent sur un ton humoristique qui fait la part belle à la caricature et à l’autodérision. Ce nouveau mode de publication, à la fois immédiat, régulier et interactif, favorise les récits courts servis par un graphisme proche de l’esquisse ou du croquis. La légèreté y est de mise, dans le ton comme dans les anecdotes mises en scène. Le blog sert de rampe de lancement à un certain nombre d’autrices, parfois déjà connues dans la publicité et l’illustration de presse (Margaux Motin dans Muteen, Pénélope Bagieu dans Femina) qui goûtent au succès hors de l’édition traditionnelle de bande dessinée.
C’est ainsi qu’en 2007, Pénélope Bagieu est révélée par son blog Ma vie est tout à fait fascinante. Elle met en scène une sorte d’alter ego Pénélope Joliecœur qui incarne une jeune parisienne apprêtée, férue de shopping et souvent submergée de travail. Puis pour le magazine Femina, l’autrice réalise Joséphine, le récit d’une trentenaire fleur bleue, gaffeuse et complexée, qui espère rencontrer l’homme idéal. Ces chroniques du quotidien teintées d’autodérision séduisent le public des blogs comme celui des magazines dits féminins et ouvrent la porte de l’édition papier à Pénélope Bagieu.
Des autrices (Margaux Motin, Anne Guillard, Aude Picault, Eva Rollin, Diglee, Nathalie Jomard…) sont publiées alors, sous l’appellation « bd girly », inventée par les éditeurs. L’expression dérive du succès de la chick litt américaine (= littérature de poulettes) dont Le Journal de Bridget Jones est l’archétype. L’expression est dévalorisante car elle souligne la frivolité de ces récits où dominent, malgré l’autodérision, le culte des apparences et l’emprise de la société de consommation. Cette étiquette marketing pour promouvoir une bande dessinée « faite par des femmes à destination des femmes » pose problème. Entre revendication au droit des femmes à parler d’elles-mêmes et second degré mettant en scène des « filles » superficielles et narcissiques, la « bd girly » favorise souvent la reproduction des clichés sexistes dont elle prétend s’affranchir.
Conscientes de cette ambiguïté, ces autrices reconnaissent avoir surfé sur la vague « girly » pour exister et trouver une place dans un marché qui ne leur en laissait guère d’autre. Depuis, certaines poursuivent une carrière dans l’édition de bande dessinée et se sont écartées de cette catégorisation piège (Olivier, 2016).

À la fin des années 2000, les autrices sont plus nombreuses et plus visibles que durant la décennie précédente grâce à ces deux phénomènes qui ont marqué l’histoire de la bande dessinée : l’édition alternative et le blog dessiné. En passant par des moyens de publication parallèles, les autrices ont réussi à pénétrer le marché de l’édition papier de la bande dessinée.
«Parce que les autrices étaient devenues beaucoup plus nombreuses, avaient enfin des espaces de création, (…) il y eut des initiatives pour mettre en lumière cette évolution, pour l’accélérer, comme la littérature universitaire ou journalistique sur la création au féminin ou sur la représentation des femmes dans la bande dessinée.» (Ciment, 2017).
La connotation péjorative que revêt l’étiquette « girly » favorise une prise de conscience chez les jeunes autrices. Leur discours sur la vie quotidienne – la leur et celle des autres femmes – confrontée à des normes et des discriminations sexistes, évolue. Les préjugés sur la bande dessinée créée par les femmes, leur manque de représentation et de valorisation, amènent certaines d’entre elles à exprimer leur indignation, à dénoncer les inégalités de genre et à politiser leurs positions. Une bande dessinée féministe va pouvoir émerger sous différentes formes dans la décennie suivante.
Autre fait important de cette période charnière pour la bande dessinée féminine, c’est l’apparition d’un lectorat féminin. Encore ténu, il est lié à l’épanouissement de la bande dessinée autobiographique, mais aussi au shôjo et au josei manga dont l’offre éditoriale est particulièrement florissante en France à cette époque. De nombreux libraires ont vu pour la première fois dans leurs librairies (spécialisées en bande dessinée), de façon régulière, des jeunes filles et des femmes. Dans les statistiques récentes, c’est le genre catégorisé «roman graphique» dans lequel se trouvent classées biographies et autobiographies qui attire le plus le lectorat féminin (CNL, 2020). Il y a bien une sorte de corrélation entre l’émergence d’une création féminine et l’existence d’un lectorat féminin de bande dessinée. De même qu’il faut probablement avoir été lectrice de bande dessinée pour avoir envie de devenir autrice. Dans ce sens, la partition sexuée de l’édition manga a bien eu pour conséquence et avantage de donner une place importante aux autrices japonaises et ainsi d’enrichir ce segment éditorial.

In penelope-jolicoeur.com © Bagieu, Pénélope, 2009.

Des féminismes en marche

Une valorisation des parcours de femmes

• Femmes réelles
À la suite du mouvement autobiographique, le courant biographique consacré aux portraits de femmes réelles, célèbres ou inconnues, prend son essor au milieu des années 2000 pour s’épanouir actuellement. Des collections dédiées aux parcours de femmes voient le jour chez les alternatifs comme chez les grands éditeurs (Grands destins de femmes, en 2011 chez Naïve, Reines de sang chez Glénat, Pionnières chez Soleil) et se déclinent aussi bien sous forme de fictions que de documentaires. Certains ouvrages sont des commandes confiées à des spécialistes (hommes ou femmes). Mais pour de nombreuses autrices, la valorisation de parcours féminins est l’expression d’une démarche militante, une réponse à l’invisibilité des femmes dans la société.
On peut citer Catel qui se révèle comme une biographie engagée. Elle s’est en effet spécialisée avec le scénariste José-Louis Bocquet dans les biographies de femmes qui ont marqué les mouvements féministes : Olympe de Gouges, Joséphine Baker, Kiki de Montparnasse, Benoîte Groult. Ces albums denses, au trait élégant, dressent le portrait de femmes qui ont su défier les conventions de leur temps et s’inscrire dans une lutte sociale et idéologique. En 2019, Catel, avec Claire Bouilhac, adapte un roman de Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, une héroïne qui affirme sa volonté de s’affranchir du joug masculin et des normes sociales du monde dans lequel elle évolue.
Pénélope Bagieu rencontre avec sa série Culottées un grand succès médiatique. Elle propose, sur le mode humoristique, une galerie de portraits, couvrant des époques et des lieux divers. Publié chaque semaine sur un blog hébergé par Le Monde, le récit de ces femmes fortes, audacieuses et souvent méconnues rencontre un si grand succès qu’il est adapté en série animée. Publiée aux États-Unis, la série est récompensée en 2019 par le prestigieux prix Eisner.
Aux côtés de ces biopics aux formes très variées, se développent des titres mettant en valeur des femmes liées par des combats collectifs et féministes, passés ou contemporains (Journal d’une Femen, Jujitsuffragettes, Le Manifeste des 343, Communardes ! Radium girls…). Des titres encore isolés, qui ne représentent pas vraiment une tendance éditoriale, mais qui n’existaient pas ou peu dans la décennie précédente, signe d’une évolution récente. Ces albums transmettent en partie l’héritage des féministes aux lecteur.rice.s et redonnent une place aux femmes (anonymes ou célèbres) dans l’Histoire dont elles ont été souvent effacées.

• Héroïnes de fiction
À côté de ces albums consacrés à des personnalités réelles ou à des mouvements féministes, se développent des récits récents de fiction, destinés à un public jeunesse comme adulte, où les autrices mettent en valeur des héroïnes fortes et inspirantes.
Plusieurs adaptations de romans jeunesse (souvent issus du catalogue École des Loisirs) dévoilent des parcours émancipateurs de jeunes filles. Situés dans l’Angleterre du 19e siècle (Miss Charity de Marie Aude Murail, dessiné par Anne Montel, scénarisé par Loïc Clément), dans l’Amérique du début du 20e siècle (Calpurnia, de Jacqueline Kelly, adapté par Daphné Collignon) ou contemporaine (Speak, de Laurie Halse Anderson adapté par Emily Caroll) ou encore dans la France occupée (La Guerre de Catherine, de Julia Billet adapté par Claire Chauvel), ces titres témoignent chez les autrices d’une volonté de promouvoir en bande dessinée des jeunes héroïnes valorisées par leurs combats dans des sociétés discriminantes et répressives.
Sont aussi publiées des œuvres à destination d’un public adolescent ou adulte, où originalité graphique et narrative sont remarquables. Dans Saison des Roses, Chloe Vary met en scène Barbara, une lycéenne, capitaine d’une équipe de foot féminin d’une banlieue parisienne (fictive) qui se bat farouchement pour maintenir son équipe dans un club qui favorise l’équipe masculine. Soutenu par un découpage énergique et une colorisation au feutre, le récit nous parle d’amitié, de sexisme, d’amour, de famille, de rapports entre adolescents et adultes (Prix Artémisia de l’émancipation et Fauve Prix du Public 2020).
Dans Betty Boob, Julie Rocheleau et Véro Cazot mettent en scène une héroïne qui malgré toutes les pertes qu’elle subit (un sein suite à un cancer, un compagnon atterré par la situation et un emploi qu’elle ne peut plus exercer) va se reconstruire de façon inattendue. Une bande dessinée bouillonnante de fantaisie graphique, muette et totalement expressive (Prix BD Fnac, 2018).
Avec Bitch Planet, Kelly Sue De Connick réalise une dystopie d’une force critique surprenante. Dans un monde, inspiré du nôtre, dominé par les hommes, qui imposent des normes, physiques, morales et comportementales aux femmes, celles qui refusent de s’y plier sont décrétées « non-conformes ». Elles sont expédiées dans une prison en orbite au-dessus de la Terre, surnommé « Bitch Planet » où on leur tatoue les lettres NC sur la peau à leur arrivée. Ces femmes ont en commun d’être racisées et stigmatisées dans cette société… mais ce peut être aussi une épouse qui ne «convient» plus et dont le mari souhaite se débarrasser. Plusieurs d’entre elles se rebellent, s’organisent et tentent de s’échapper. Avec ces héroïnes emblématiques, ce comics prend en compte le sexisme et le racisme et représente dans une certaine mesure les intersections de ces oppressions. L’album comporte des fausses publicités avec des injonctions imposées aux femmes proches de la réalité, décapantes par leur humour cynique. Un dossier fourni et documenté présente en annexe les mouvements féministes américains. Cet album de l’autrice qui travaille pour Marvel (sur des séries comme Avengers ou Spiderman) n’a pas été très bien accueilli par son public masculin mais il semble qu’elle ait trouvé un public fan qui va jusqu’à se tatouer NC sur le corps…
Qu’ils mettent en scène des récits de femmes réelles ou des luttes d’héroïnes de fiction, ces albums participent en même temps à la constitution d’une histoire des femmes à travers des destins émancipateurs, des femmes qui ont tenté (et parfois réussi) à échapper aux normes imposées. Ensemble, ils construisent une réflexion sur les pressions et oppressions que les femmes subissent et sur les dangers qui les menacent quand elles veulent y échapper ou les combattre. Ils proposent des modèles inspirants et stimulants pour les lecteur.rices. C’est en cela que l’on peut dire qu’ils ont une dimension, voire une ambition féministe.

Une promotion de la pensée féministe

Depuis 2010, des autrices, souvent présentes sur les réseaux sociaux, transforment la bande dessinée en un moyen d’expression pédagogique et militant des luttes féministes (Emma, Mirion Malle, Marine Spaak, Lili Sohn).
Ces autrices abordent la bande dessinée documentaire sous forme d’essais, chroniques, témoignages, que l’on peut qualifier de didactiques ou pédagogiques, comme si elles éprouvaient la nécessité de mettre leur art au service de l’information sur le féminisme. Elles ont souvent recours à l’humour qu’elles utilisent comme une arme antisexiste. Le second degré, l’ironie ou la dérision, permettent de pointer l’injustice et l’absurdité de certaines situations.
Sur son blog débuté en 2011, Mirion Malle analyse la représentation des femmes dans la société et les médias, montrant l’influence de la culture populaire dans la permanence des clichés sexistes, racistes et lgbtphobes. Ses planches seront publiées en 2016 sous le titre Commando Culotte, les dessous du genre et de la pop culture chez Ankama. Avec La ligue des super féministes publié en 2019, Mirion Malle s’adresse à un jeune lectorat. Elle démonte avec simplicité, pédagogie et humour les mécanismes sexistes à l’œuvre dans notre société. Elle y clarifie dans de courts chapitres des notions comme le genre, l’identité sexuelle, le consentement, l’intersectionnalité… Le livre mêle des exemples concrets et quotidiens du sexisme, des analyses d’objets de la pop culture et rend accessible des outils comme le test de Bechdel (qui vise à mettre en évidence la sous-représentation de personnages féminins dans une œuvre de fiction) ou des notions comme l’écriture inclusive.
En 2017, Emma développe dans son blog dessiné (Emmaclit, sous-titré Politique, trucs pour réfléchir et intermèdes ludiques) la notion de charge mentale qui pèse sur les femmes. Sa bande dessinée Fallait demander est partagée plus de 200 000 fois sur Facebook à peine un mois après sa publication et citée par un grand nombre de médias. Forte de son succès, Emma publie cinq bandes dessinées documentaires. Sous forme de courts chapitres, elle définit des concepts sociologiques, analyse l’image de la femme véhiculée par les médias et la publicité, dénonce les discriminations au travail, l’inégal partage des tâches domestiques au sein des couples hétérosexuels, les maltraitances gynécologiques, la culture du viol et le sexisme bienveillant. Elle aborde également des thèmes d’actualité : les mouvements sociaux, la réforme du Code du travail, les violences policières, le racisme, la transition écologique. Cet «autre regard» (titre générique de plusieurs de ses ouvrages) qui dévoile des mécanismes intériorisés par chacun amène lectrices et lecteurs à s’interroger sur leurs propres comportements et à réfléchir à de nouvelles positions, individuelles ou collectives. «Il y a une oppression qui nous relie toutes. Si on tape dessus ensemble, au lieu de galérer chacune dans notre coin, on sera libérées». Emma privilégie la pédagogie à l’esthétisme : ses dessins simples, voire schématiques sont au service d’une argumentation claire et bien documentée. «On n’achète pas mes livres parce qu’ils sont beaux, mais parce qu’ils sont parlants» (AFP, 2017).

Un autre regard T2, Emma © Massot, 2017.

Difficile de parler de féminisme en bande dessinée sans citer Liv Stromquist, pionnière en la matière. Née en 1978, elle fait partie d’un vaste mouvement de féminisation de la bande dessinée suédoise, reflet de l’avant-gardisme du pays en matière d’égalité des sexes. Très populaire dans son pays où elle publie depuis 2005, ses bandes dessinées connaissent aujourd’hui une audience internationale. Ses albums se présentent comme des essais politiques et féministes, à la fois documentés et humoristiques (cinq titres disponibles en France). «De mon côté, j’en avais marre de l’autofiction qui se résumait pour les dessinatrices à de l’autoflagellation. Je me disais qu’on pouvait être drôle tout en attaquant frontalement les structures du pouvoir et les mécanismes de domination». Elle analyse les stéréotypes de genre (Les sentiments du Prince Charles, 2012), déboulonne les fausses idées concernant le sexe féminin (L’Origine du monde, 2016), explique les racines du patriarcat (I’m every woman, 2018), dénonce les ravages du néolibéralisme (Grandeur et décadence, 2017) et dissèque les comportements amoureux à l’ère du capitalisme et de l’individualisme (La Rose la plus rouge s’épanouit, 2019).
L’autrice surprend par la clarté de ses analyses autant que par des parallèles inattendus croisant anecdotes issues de la pop culture et théories sociologiques. Son dessin au trait jeté et brouillon côtoie des photos de magazines et des reproductions d’œuvres d’art détournées. Sa verve mordante et son humour cinglant ont participé à sa réputation et contribué à son succès.

Amorcée au début des années 2000, une évolution indiscutable est en cours dans le monde de la bande dessinée, qui donne un peu plus de place aux autrices. 2000 marque la naissance d’un nouveau siècle, et c’est aussi la date à laquelle, pour la première fois, une autrice, Florence Cestac reçoit le Grand Prix de la ville d’Angoulême qui récompense l’ensemble de son œuvre. On pourrait souligner aussi qu’en 45 ans, elle est la seule autrice à avoir obtenu ce prix (équivalent d’un césar ou d’un oscar pour le 9e Art) jusqu’à ce que Rumiko Takahashi l’obtienne à son tour en 2019. On voit que l’évolution est lente. Mais on peut penser que désormais la parole des femmes comme leurs productions artistiques sont en cours de réhabilitation et de revisibilisation dans la société. Une nouvelle génération d’autrices que les anciennes ne renieraient pas construisent et éclairent la société par leurs visions singulières, diverses et résolument féministes. Ce faisant, elles œuvrent à donner un espace et une place à l’imaginaire des femmes dans notre société.

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Aux quatre coins du monde

La situation contemporaine des autrices au Japon, au Royaume-Uni, en Suède et aux États-Unis (abordée dans l’exposition Autrices de bande dessinée, des pionnières aux contemporaines), ne peut être ici développée (faute de place). On pourra se reporter au n° 283 d’Intercdi, où dans l’article intitulé Le shôjo, un manga que pour les filles ? est abordé le rôle décisif et novateur des autrices japonaises dans le renouvellement graphique et thématique du manga des années 70, qui ont transformé le shôjo manga en une puissante tribune féministe.
Pour apporter également un éclairage international, on retrouve sur Internet de nombreuses traces de l’exposition Comix Creatrix : 100 Women Making Comics qui s’est déroulée à la House of Illustration de Londres, en 2016, sous la direction d’Olivia Ahmad et Paul Gravett. Avec pour objectif de mettre en valeur les œuvres de 100 autrices de bande dessinée, de toute nationalité, depuis les pionnières de la caricature du 18e siècle aux romans graphiques d’aujourd’hui. Une vidéo (Comix Creatrix : Artist perspectives, 29 minutes) composée d’interviewes (de Catherine Anyango, Rachel House, Posy Simmonds, Brigit Deacon, Kripa Joshi, Nicola Lane, Kate Evans, Hannah Berry) et d’images de leurs œuvres donne un aperçu de cette incroyable diversité et vitalité des autrices de bande dessinée dans le monde. (https://https://www.youtube.com/watch?v=BUWd2_xPmRo)