« Madame vous êtes ouverte ? » ou Comment des élèves de 6e se représentent leur CDI et leur professeur·e documentaliste

Les élèves de 6e qui arrivent en début d’année au collège ont-ils déjà une idée de ce qu’est un CDI et un·e professeur·e documentaliste ? La question a été explorée en étudiant leurs représentations sociales à travers leurs dessins du CDI1 et du·de la professeur·e documentaliste : en tout, 248 dessins ont été réalisés en septembre, puis décembre 2018, par 66 élèves de deux classes de 6e d’un collège privé sous contrat du 6e arrondissement de Paris. Ils ont ensuite été analysés à l’aide de la méthodologie de l’analyse de contenu. 

Le travail présenté ici est issu du mémoire de Master 2 MEEF de validation du CAFEP de documentation, soutenu en mai 2019. La question de départ prenait appui sur le souvenir d’un CDI de lycée fréquenté il y a quelques années : un lieu plutôt évité, un endroit assimilé à de la punition, où le bruit était totalement prohibé, avec une « dame du CDI » peu aimable. En tant que professeure documentaliste, nous inscrivant dans l’orientation de la circulaire de missions de 20172, nous souhaitions questionner nos propres représentations et celles des élèves, pour tenter de mieux nous adapter à leurs besoins. L’approche s’est faite à partir de dessins, réalisés par des élèves fraîchement arrivés en 6e (10-12 ans), issus de l’école primaire du groupe scolaire ou des écoles primaires du sud parisien. Le milieu socio-professionnel des élèves du collège est composé globalement de cadres supérieurs et professions libérales. Le CDI de l’établissement est géré par deux professeures documentalistes. Il est ouvert tant aux collégiens qu’aux lycéens avec un accueil toute la semaine sauf le mercredi après-midi.

Pour initier la recherche, nous avons d’abord posé des hypothèses :
1. les élèves ont une représentation du CDI influencée par les images des séries télé, les romans, les légendes urbaines, une représentation que l’on pourrait qualifier de « vieillotte », correspondant à une image négative ;
2. les élèves associent le professeur documentaliste et le centre de documentation ;
3. l’aménagement de l’espace et les représentations ont une forte influence sur les apprentissages, le CDI comme espace spécifique de savoirs au sein du lieu scolaire revêt pour les élèves des significations conscientes et inconscientes, et le lieu aménagé et habité par les élèves participe à la structuration de leur rapport au savoir.

Le travail a ensuite consisté à repérer des éléments permettant d’approcher les représentations des élèves concernant le lieu CDI et son responsable à l’aide de l’analyse de contenu ; et plus précisément à mettre en évidence les éléments se dégageant de ces représentations (noyau structurel, éléments périphériques), de manière à nous permettre de valider ou non les hypothèses émises.

Le dessin

Choisir le dessin comme support d’analyse permet de révéler un certain nombre d’éléments qui ne seraient peut-être pas apparus à l’aide d’un médium faisant appel à l’écrit ou à oral. Un avantage du dessin réside dans l’absence de questions construites en fonction d’idées préétablies, ce qui laisse une totale liberté au dessinateur. Le dessin permet ainsi, à condition de travailler avec une consigne cadrante mais ouverte, de faire émerger des messages originaux. Étant donné son caractère spontané, il parle du vécu personnel de l’enfant (le langage graphique et le langage verbal ne reposent pas sur le même canal perceptif), il restitue la « vision intérieure, immatérielle, d’un instant de la vie, non pas tel qu’il est ou a été réellement, mais tel que le sujet dessinant l’a saisi personnellement » (Royer, 1995, p. 44). Le dessin est aussi une façon de mettre les élèves en activité rapidement, sans évaluation et de façon ludique.

L’analyse de contenu

L’analyse de contenu s’organise en trois étapes.

La première, la préanalyse, va orienter l’analyse en opérant des choix dans les documents à analyser, en permettant la formulation d’hypothèses, d’objectifs et le repérage d’indicateurs destinés à l’interprétation finale.
La deuxième étape consiste à relever les différents éléments présents dans les dessins, de façon systématique et rigoureuse afin d’en faire des unités comparables : les unités d’enregistrement ou indices (mot, thème, objet ou référent, personnage, événement, etc.) et leurs indicateurs, ainsi que les unités de contexte3. Par exemple, pour l’indice objet bibliothèques, sept indicateurs ont pu être relevés : présence/absence, longueur des linéaires4, degré de remplissage, surface dans la feuille, position dans la page, éventuelle particularité, présence/absence de livres ; et 31 pour l’indice professeur documentaliste.
L’étape suivante consiste en la création de catégories, composées de plusieurs indices : les catégories ne doivent être ni trop générales ni trop proches ; et elles doivent mettre l’accent sur un aspect de la réalité et posséder quatre qualités (exhaustivité, exclusivité, objectivité, pertinence). Pour notre étude, des catégories ont été identifiées et une grille spécifique élaborée à partir de la littérature (Royer, 1995 ; Moles & Keintz, détaillé par Mucchielli, 1977) afin de prendre en compte la particularité du médium dessin.

Une fois ces catégories élaborées et vérifiées, chaque dessin est analysé minutieusement, et les éléments reportés dans un tableau, à partir duquel des analyses quantitatives sont réalisées pour mettre en évidence ou non certaines caractéristiques saillantes.

La dernière étape consiste en l’interprétation des résultats. Pour cela, l’analyse de contenu utilise l’inférence, un type d’interprétation contrôlée, qui permet l’induction à partir de faits.

Les représentations sociales

L’exploration des représentations sociales est un travail qui s’appuie sur des notions issues de la sociologie. Leurs caractéristiques sont d’être partagées par plusieurs individus et d’être très résistantes. L’individu se représente les choses à partir de ce qu’il sait et il va donc interpréter le monde à partir d’un savoir déjà acquis et à partir de ce qu’il imagine, de ses désirs, de ses peurs, de ses conflits, etc.
C’est la notion retravaillée par Serge Moscovici (1961), dans une perspective psychosociale, qui est utilisée dans le cadre de ce travail, soit un système de valeurs et de pratiques relatif à des objets ou des dimensions du milieu social. Jean-Claude Abric (1994) détaille la notion avec, en premier lieu, un élément fondamental, appelé noyau central qui détermine la signification et l’organisation de la représentation ; ce noyau est composé d’opinions, de croyances, d’informations, faisant consensus dans le groupe porteur de la représentation. Il est relié au contexte historique, sociologique et idéologique, en lien avec les valeurs et les normes. Le noyau central est partagé et stable. Dans un deuxième temps viennent les éléments périphériques, qui sont liés au contexte, à l’environnement immédiat, à l’individu, son histoire et son vécu.

Le CDI : des meubles, des tables, de l’ordre

Les analyses ont ainsi mis en évidence un grand nombre de données. Sont présentées ici celles qui permettent d’approcher les représentations des élèves et donc de mieux les comprendre.

Les dessins des élèves qui n’ont pas encore fréquenté le CDI de l’établissement au moment du recueil des données (20 dessins) sont révélateurs d’un premier noyau dur concernant le CDI : une bibliothèque (meuble). En effet, 19 dessins sur 20 figurent des étagères avec des livres, 13 montrent des meubles pour s’asseoir, 13 des ordinateurs en libre-service et 3 des êtres humains. Rapporté à l’ensemble des dessins représentant le CDI, ce constat est confirmé : 85 % ne représentent aucun professeur, 82 % aucun élève, 77 % ni professeur ni élève. L’absence d’être humain ne peut que questionner… Enfin, 7 % ne représentent pas de bibliothèque : après vérification, il semble que ceci peut être expliqué par l’absence de BCD5 dans l’école primaire fréquentée auparavant par l’élève (Illustrations A). Pour ce qui est de l’élément livres, 30 % des dessins de CDI représentent des bibliothèques sans livres, ce qui fait du livre un élément périphérique de la représentation. Parmi les 40 % de dessins faisant état de titres sur le dos des livres – et qui sont lisibles – on peut noter un attrait pour les BD et les fictions, mais peu de livres « documentaires ». Entre l’espace à disposition contenant des meubles pour ranger des livres, et le contenu réel de ces livres, on ne peut que s’interroger sur le lien fait par les élèves entre CDI et savoir.
Le CDI est-il pour autant envisagé par certains élèves uniquement comme un lieu de détente ? L’absence d’éléments faisant référence au silence pourrait le laisser penser. En effet, les dessins mentionnant des signes en ce sens, comme les mots « chut » ou « silence », ne représentent que 3,5 % de l’ensemble, ce qui tendrait à montrer que l’absence de bruit ne semble pas être un élément central de la représentation.
Sur l’ensemble des dessins représentant des élèves (45), la plupart lisent des livres (14), en général assis, d’autres font la queue à la banque d’accueil (2), entrent dans le CDI (2) ou cherchent un livre (1). Quelques-uns, relativement peu nombreux, utilisent les ordinateurs (4). Certains dessins montrent une interaction entre l’élève et le professeur documentaliste (4). Enfin, d’autres présentent des élèves debout, sans activité particulière (17). Peut-on pour autant en déduire que le CDI est assimilé uniquement à un lieu de lecture et d’emprunt ? Et non à un lieu où travailler sur place ? Les éléments tirés de l’analyse ne permettent pas de dégager une représentation univoque mais plutôt de soulever des questions.

A 1
A 2
A 3

Sur l’ensemble des dessins de CDI, 83 % représentent du mobilier : des tables de tailles et de formes variées et des sièges de tous types : des chaises classiques (23 dessins), des fauteuils (9), des banquettes (12) et des canapés (6), mais aussi des tabourets (8), des poufs (2) ou des chaises de bureau (6), etc. Soit en moyenne 4,3 sièges par dessin. Cependant, 34 % des dessins de CDI ne représentent aucun type de siège. Il ressort ainsi de l’analyse que l’item table peut être inclus dans le noyau de représentation, ce qui correspond d’ailleurs aux résultats de Isabelle Fabre et Hélène Veyrac dans leur étude de 2008 à partir de dessins d’élèves, tandis que l’item siège est un élément périphérique.
Pour ce qui est de l’objet ordinateur enfin, les choses sont nuancées. Sur les 124 dessins de CDI, 90 représentent un ordinateur (73 %), ce qui semble signifier que les élèves associent aisément CDI et ordinateurs. Seuls 27 % ne présentent pas d’ordinateurs, ce qui conduit à considérer l’ordinateur comme un élément satellite dans la représentation du CDI.

Le CDI est aussi, à en croire certains dessins, vu comme le lieu de l’imagination, des idées, de la nourriture de l’esprit et de l’élévation. Deux dessins mettent sur la piste de cette interprétation : une bibliothèque, des livres et… un gâteau ! (Illustration B). La proximité entre livre et nourriture est rare et ce qui vient à l’esprit, en première lecture, est le lien à la nourriture spirituelle, à la façon dont la connaissance « alimente » l’esprit par exemple.

B

Autre exemple relatif au CDI comme lieu de savoir : quatre dessins du CDI affichent une échelle posée contre les bibliothèques. Or, le CDI de l’établissement ne comporte pas d’échelle. Sur ces quatre dessins, trois ont pour auteur des élèves qui sont déjà venus au CDI, et qui avaient une bibliothèque scolaire dans leur école primaire. L’échelle symbolise l’élévation, l’élévation graduelle, mais aussi le rapport entre le ciel et la terre et finalement l’ascension spirituelle. Le dessin qui évoque cela le plus fortement est le C, qui représente le CDI comme une échelle. Il mériterait à lui seul une interprétation détaillée tellement les symboles sont forts. Il faut cependant relever que l’échelle est un élément souvent présent dans les films et les séries quand il est question de bibliothèques. Se retrouve ici l’assimilation CDI/Bibliothèque.
Quelques dessins, très peu nombreux (9 %), représentent des luminaires (lampes de bureau, plafonniers). Ce qui nous a conduite à questionner l’absence/présence de fenêtres. Sur 248 dessins, pas un seul ne fait état de fenêtre : pas de rayons de soleil, pas de ciel. Ce qui peut paraître étrange, même en décembre, étant donné les deux très grandes baies vitrées qui font entrer une lumière abondante dans le CDI. La fenêtre, c’est la réception de ce qui vient de l’extérieur et ce qui permet de voir l’intérieur depuis l’extérieur (les yeux sont les fenêtres de l’âme), c’est le passage de la lumière. Dans les dessins, le CDI ne reçoit rien de l’extérieur, et l’extérieur ne peut rien voir de cet espace, comme un espace clos, qui, peut-être, se suffirait à lui-même. Un seul dessin évoque l’extérieur, qui fait figure d’exception, avec son « CDI échelle » qui monte vers le ciel et ses oiseaux, à moins que les nuages n’évoquent la pensée de l’élève et les rêves (Illustration C). Le CDI serait-il un lieu qui n’a pas besoin d’éclairage venant de l’extérieur ? Ou bien un lieu qui porte en lui-même sa propre lumière, c’est-à-dire le savoir ?
Globalement les dessins présentent des lieux « rangés ». Parmi les dessins représentant des bibliothèques « remplies », 54 dessins de CDI (sur 56) font apparaître des livres « rangés », soit 96,5 %, ce qui est très élevé, et 10 dessins de professeur documentaliste (sur 12) montrent des livres rangés, soit 83 %. Il semble que dans l’esprit des élèves, le CDI est un lieu où les livres sont rangés, et que cet aspect relève du noyau central de la représentation. Néanmoins, ni les dessins de septembre ni ceux de décembre ne montrent d’espaces identifiés en tant que tels (espace collège, espace lycée, espace lecture, espace presse, etc.). Ceci alors qu’une séance pédagogique a eu lieu sur ce thème précis. Il faut mentionner à ce propos que le CDI, à l’époque de ce travail, ne proposait pas de signalétique particulière pour les espaces, ni pour les ouvrages. Quant à la classification Dewey, vue en séance pédagogique, elle est totalement absente des dessins du CDI, et à doses homéopathiques dans deux dessins de professeur documentaliste. Ce qui tend à montrer que l’élément rangement, bien qu’intégré par les élèves, n’est pas encore clairement identifié ni structuré, malgré des séances pédagogiques dédiées.

C

Des éléments de l’ordre de la règle, de la contrainte, ou encore de la surveillance ont pu être également repérés dans les dessins. Sur certains nous pouvons trouver par exemple de grands yeux sur les écrans d’ordinateur (Illustration D 63.12a) qui semblent observer ce qui se passe, et sur l’un d’eux un portique qui sonne (« bip bip bip »). Deux élèves ont dessiné la caméra de l’ordinateur, un autre un panneau signalétique avec un téléphone portable barré et un œil qui observe. Certains dessins enfin font référence à des cellules ou à des grilles de prison (grands traits verticaux et horizontaux barrant toute la feuille, comme une grande grille), ou encore à une boîte, avec ses murs dessinés (Illustration D 61.24a), sensation d’enfermement, représentant un lieu complètement clos, ou symbolisant la tristesse avec un ordinateur qui pleure (Illustration D 61.38a). Ces éléments de l’ordre de l’enfermement ou de la surveillance peuvent alerter sur des perceptions négatives du lieu et inviter à un travail d’ouverture de manière à permettre aux élèves de vivre ces espaces de manière moins contrainte et plus sereine.

D 63.12a
D 61.24a
D 61.38a

Ainsi, quand les dessins mettent en valeur les aspects positifs du CDI, la majorité montre du mobilier : tables, chaises, bibliothèques vues de haut, sans vraiment montrer l’activité de travailler, étudier, lire, etc. On peut alors se demander dans quelle mesure le CDI est un lieu que les élèves envisagent d’habiter au sens de « pratiquer un lieu géographique » (Stock, 2004)6. Ceci est d’autant plus questionnant que 85 % des dessins ne représentent aucun adulte dans le CDI. Cela paraît étonnant et pose la question de la perception du lieu par les élèves. Si le professeur documentaliste est souvent assimilé à son lieu (« Madame CDI », « Madame, vous êtes ouverte ? »), la réciproque ne semblerait donc pas vraie : le lieu n’est pas forcément associé au professeur documentaliste. De plus, aucun indice ne permet de penser que les personnes dessinées représentent d’autres personnes (professeurs, parents, personnel d’encadrement) : cet endroit semble donc strictement réservé au professeur documentaliste et aux élèves, quand ils sont présents.

Le professeur documentaliste : souriant mais inconnu

Le professeur documentaliste est un professionnel singulier. Il est le gardien d’un lieu chargé d’affect et de savoirs, et revêt à ce titre un caractère mystérieux. Ses principales qualités sont l’aide et le sourire. L’élément pédagogique, quant à lui, demeure inconnu et intrinsèquement relié au fonds documentaire qu’il gère. Le noyau central de la représentation semble renvoyer à la qualité sourire, accompagnement, femme et à ses éléments périphériques bienveillance/tristesse, relation avec l’élève, intellectuel. (Illustrations E)

E 1
E 2
E 3
E 4
E 5
E 6

 

Un des constats les plus évidents à la lecture des dessins est la présence de sourires sur les visages des professeurs documentalistes : plus de 74 % des visages sont souriants, que ce soit dans les dessins de septembre ou dans ceux de décembre. À l’évidence, le professeur documentaliste est quelqu’un de souriant dans l’esprit des élèves, et la palette des sourires est large : petit sourire, sourire figé, sourire avec dents visibles (ou non), sourire large, sourire franc. Ceci est toutefois à nuancer. Les regards ont également été étudiés dans l’intention de noter la sensation ressentie à la vue du regard de la personne dessinée. Les données relatives à l’ensemble des dessins montrent un équilibre presque parfait entre un professeur bienveillant, présent, voire malicieux (45 %), et un professeur plutôt triste, absent, voire méchant (43 %)7.
Pour ce qui est des paroles ou des mots notés pour décrire le professeur documentaliste (40 % des dessins), une majorité est de l’ordre de l’accueil (10) et de l’accompagnement vers le livre (montrer, renseigner, gérer les emprunts, expliquer) (31), et seulement 4 de l’ordre de l’interdiction.
Autre constat : sur l’ensemble des dessins de professeurs documentalistes, seuls 25 représentent le professeur et l’élève ensemble (soit 20 %), ce qui est peu. La relation professeur-documentaliste se trouve alors questionnée, elle semble n’être qu’un élément périphérique de la représentation.
Enfin, beaucoup de professeurs dessinés ont des lunettes. Les lunettes, c’est ce qui permet de mieux voir, qui corrige une déficience. C’est aussi le lot de ceux qui lisent beaucoup, des « intellos ». Peut-on alors dire que, dans le milieu scolaire, porter des lunettes peut être assimilé à la fonction « d’intello » ? Ce qui ressort de l’analyse des données, c’est une constante dans le port de lunettes entre les dessins de septembre et de décembre. Plus d’un tiers des professeurs documentalistes se voient affublés de lunettes (39 % des dessins). Et nous-même en portons, ainsi que notre collègue. Le professeur documentaliste serait alors pour un tiers des élèves quelqu’un qui lit beaucoup. La qualité intellectuel pourrait ainsi être un élément périphérique.
Si l’on observe à présent les coiffures des professeurs documentalistes, on remarque une réelle évolution entre les dessins de septembre et de décembre : une quasi disparition du chignon (de 27 % à 7 %) et de coupes carrées (de 26 % à 5 %), et une nette augmentation des coupes courtes (de 3 % à 24 %) et de cheveux détachés (de 38 % à 59 %). L’influence des deux professeures documentalistes du CDI qui ont chacune une coupe assez courte semble ici importante. Cela aurait tendance à illustrer l’influence des enseignants sur l’évolution des représentations des élèves. Mais cela semble aussi révéler la permanence du cliché de la bibliothécaire à jupe et chignon des films ou romans, encore très souvent représentée.

Dans l’ensemble des dessins de septembre, sur les 72 représentant des professeurs documentalistes, 55,5 % peuvent être identifiés comme des femmes et 22 % comme des hommes8. En décembre, le ratio passe à 68 % de femmes et 6 % d’hommes. Notons l’augmentation de la part des femmes entre septembre et décembre et la part stable des professeurs documentalistes non genrés. Ce qui apparaît nettement est la prégnance des femmes représentées dans les dessins. Même si cela a pu être largement influencé par le genre des professeures documentalistes de l’établissement, ceci correspond aussi, à peu de choses près, aux chiffres de l’ONISEP (80 % de femmes dans la profession), et semble être un élément du noyau central de la représentation des élèves.

Enfin, les livres sont moins représentés dans les dessins des professeurs documentalistes (46 %) que dans ceux du CDI (87 %). Cette part moindre montre que le livre semble ne pas faire partie du noyau de la représentation du professeur documentaliste par les élèves, mais plutôt être un élément gravitationnel. Au total, 25 % des dessins de professeur documentaliste ne représentent ni livres, ni documents, ni ordinateur en décembre. Ce qui fait 43 dessins représentant un « objet » symbolique de la connaissance, 16 n’en représentant aucun. Ce sont ces derniers qui questionnent : qu’est-ce que cela signifie pour un élève ? Positif ? Négatif ? Doit-on s’en attrister ? Ou plutôt s’en réjouir ? Un professeur de maths doit-il avoir une règle ou une calculatrice pour être un professeur de maths ? Cette absence d’objet référentiel renseigne-t-elle sur une forme de méconnaissance du professeur documentaliste et donc sur ce qui fait aussi la difficulté du positionnement professionnel ? (Illustration F)

F

Concernant la posture corporelle des professeurs documentalistes représentés, la majorité des dessins (75 %) les montrent sans activité particulière. En septembre, les 25 % de dessins restants les présentent en train de désigner des livres (56 %), porter des livres (6 %), ranger des livres (6 %), donner des livres (13 %) ou d’utiliser un ordinateur (6 %). Ce n’est qu’en décembre que des dessins (14 %) les montrent en posture d’enseignement. Ce qui tend à montrer qu’en début d’année la composante enseignante du métier ne fait pas du tout partie de la représentation des élèves, et que celle-ci est largement influencée par la mise en œuvre (ou non) de séances pédagogiques.

Conclusion

Tenter d’analyser les représentations sociales d’élèves qui arrivent en 6e, et qui n’ont, à priori, jamais fréquenté un CDI ou un professeur documentaliste, pourrait sembler inutile. Or, les analyses ont permis de repérer des éléments qui constituent un état des lieux de ce que les élèves apportent avec eux lorsqu’ils pénètrent pour la première fois dans le CDI de leur collège.

L’exploration, systématique et méticuleuse, des dessins a ainsi mis au jour certains éléments qui pourraient faire partie du noyau central de la représentation des élèves.
Pour le CDI, ce sont le meuble bibliothèque, la table, le rangement, avec en éléments périphériques le livre, le siège, et l’ordinateur. Certains éléments, en revanche, qu’il aurait été logique de trouver ne ressortent pas de l’analyse, comme la présence humaine, la signalétique, le silence, le travail.
Pour le professeur documentaliste, ce sont le sourire, l’aide/accompagnement, la femme, avec, pour éléments périphériques, autant la bienveillance que la tristesse, la relation à l’élève, le caractère intellectuel. Ce qui est à noter est la très faible présence d’éléments en lien avec l’information-documentation et la quasi absence de références à l’Éducation aux médias et à l’information.

Quant à notre regard de stagiaire dans sa deuxième année d’exercice, enthousiasmée par ce métier, il a évolué. Le CDI n’est finalement pas le temple du silence ou de l’ennui ; le professeur documentaliste n’est pas un être focalisé sur le silence et l’absence de mouvement. Tout est très vivant et presque joyeux pour les élèves et nous nous en réjouissons. Nos propres représentations ont été bousculées par ce mémoire. Les différents espaces ont, depuis, fait l’objet d’une reconfiguration, favorisant une meilleure identification. Notre posture aussi a changé : plus en lien avec les élèves, moins axée sur le respect du silence, et davantage dans l’accompagnement sur les aspects info documentaires.

Bien entendu, les éléments mis en exergue ne sont ni exhaustifs ni généralisables : l’étude prend place dans un lieu et un temps donnés et il est très possible que le contexte de réalisation des dessins ait influé sur certaines données. Mais ces données peuvent déjà apporter des éléments de réponses aux hypothèses formulées en amont. Les représentations semblent influencées par les images de séries télé et les romans, sans que cela soit toujours de façon négative. Pour ce qui est de l’amalgame fait entre le lieu CDI et le professeur documentaliste, la faible présence de professeurs documentalistes dans les dessins des CDI tendrait à monter que, à l’inverse de l’association « professeur documentaliste = CDI », un CDI n’est pas forcément attaché à un professeur documentaliste. Enfin, l’absence d’identification des différents espaces dans les dessins de décembre, alors qu’une séance pédagogique a porté sur ce thème, permet de mesurer le poids des représentations, et met en évidence l’importance de l’aménagement du lieu dans l’accès au savoir.

Pour aller plus loin, il serait pertinent de réitérer l’exercice dans d’autres établissements en tous points différents pour comparer les résultats et proposer des analyses plus générales. D’autres pistes seraient aussi à explorer pour poursuivre ce travail : par exemple, analyser les dessins sous l’angle de la consommation ; demander aux élèves de dessiner leur CDI idéal ; chercher à savoir si les élèves font la différence entre une bibliothèque et un CDI. Enfin, pour compléter l’analyse, il serait très intéressant de faire dessiner tous les niveaux de la 6e à la Terminale, des parents, d’autres professeurs et d’autres professeurs documentalistes.

Quoi qu’il en soit, l’analyse a permis de mettre au jour un aspect fondamental de la représentation du CDI, le meuble bibliothèque. Comment alors concilier cela avec les Centres de Connaissance et de Culture impulsés par le Ministère, dans lequel le livre n’a plus la même place ? Cela pourrait-il créer un vide ? Un manque ? L’élève s’attend-il encore à trouver un lieu avec des livres aujourd’hui ? Il semblerait…
Un autre point saillant des représentations des élèves est le caractère accueillant du professeur documentaliste. Si l’on met en parallèle l’absence d’éléments concernant l’information ou les médias, ce travail permet de souligner la difficulté structurelle du métier : un professeur sans discipline, un professeur non identifié comme tel par les élèves. C’est ici sa légitimité qui est questionnée et surtout l’influence que ce manque de reconnaissance peut avoir sur la structuration des connaissances de l’élève.

 

Professeure documentaliste néotit’ en 2022

Les élèves qui entrent en sixième ont beaucoup de mal à s’habituer à vouvoyer les professeurs et à les appeler « Madame » ou « Monsieur ». Ainsi, les premiers jours, je les reprenais patiemment en leur apprenant à me vouvoyer et à m’appeler par mon nom de famille, comme ils doivent le faire en entrant au collège. Un jeune garçon, débordant d’énergie, avait particulièrement du mal à s’adapter à ces nouvelles règles. Très gentil, ça lui semblait tellement naturel de tutoyer tout le monde. Amusée, je lui rappelais à nouveau : « Nathan, tu sais que tu dois m’appeler “Madame” et me vouvoyer ? »
Déconcerté, il me regarda droit dans les yeux et me répondit : « Ça veut dire quoi “vouvoyer” ? » Et là, je ne pus réprimer un sourire. Effectivement, si on entend à longueur de journée « Il faut nous vouvoyer », mais qu’on ne sait pas ce que ça signifie, ça paraît tout de suite plus compliqué à faire ! Peu convaincu par mon explication, il a essayé de faire un effort, mais aujourd’hui encore il lui arrive de nous tutoyer !

Dès que possible, c’est-à-dire quasiment à chaque heure, je descends en permanence récupérer des élèves qui souhaitent venir au CDI. C’est souvent un moment de frustration pour ceux qui ne sont pas désignés et cela me met régulièrement mal à l’aise de devoir faire un choix. Le CDI possède un nombre de places limité et il y a souvent plus d’élèves qui veulent venir que le nombre de places disponible. Comment départager les élèves, alors qu’ils disent tous vouloir travailler, lire ou faire un exposé ?

Chacun a sa méthode et, pour ma part, j’essaie de mélanger les élèves, en prenant à la fois ceux que je sais calmes et travailleurs et des élèves dont je me doute d’avance que l’occupation principale sera le bavardage ou l’utilisation du pc !

Un jour, un élève a insisté pour venir au CDI. Il vint me chercher juste avant de descendre en permanence en me disant :
« Madame, est-ce que vous pouvez venir nous chercher pendant cette heure ?
– Oui, je descends dans 5 min, lui répondis-je, (le temps que tous les élèves soient rangés et installés en permanence).
– Est-ce que vous pourrez me prendre s’il vous plaît ?
– D’accord, mais va te ranger correctement en permanence. »
La règle veut que les élèves qui ne sont pas rangés en permanence, au moment où je descends pour les récupérer, ne soient pas pris au CDI. Cela évite qu’ils traînent dans les couloirs en prétendant aller au CDI.
Alors que je choisissais les élèves en permanence et que je cédais en prenant plus d’élèves, malgré le quota atteint, car certains élèves me disaient vouloir travailler, ce même garçon qui avait insisté pour venir me regarda avec un air déçu et me dit :
« C’est bon, Madame, je vais retourner en permanence.
– Pourquoi ? Toi qui voulais absolument venir il y a encore quelques minutes !
– Il y a trop de monde au CDI, ça ne va pas être bien. »
Surprise par sa réaction, je l’autorisai d’un signe de tête à retourner en permanence et me fis la réflexion de ne plus déroger au quota que je m’étais fixé. Non seulement, c’est plus facile à gérer pour moi, dès lors qu’il y a un nombre acceptable d’élèves, mais c’est également mieux pour les élèves eux-mêmes. Ils se sentent bien au CDI lorsque celui-ci constitue un environnement calme et propice au travail et à la lecture. Sa réaction me montre que les élèves eux-mêmes en sont conscients et, malgré leur frustration de ne pas être pris quand je viens les chercher, ils savent que lorsqu’ils viendront au CDI, ce sera en petit nombre et dans de bonnes conditions.

L’un des sujets qui me pose problème cette année, c’est bien de comprendre les cas particuliers auxquels j’ai affaire dans mon établissement, comme, par exemple, les élèves ULIS, mais aussi les enfants qui vivent en foyer ou qui sont victimes de violence physique ou morale à la maison. En effet, je n’ai pas reçu de formation pour comprendre ces élèves à besoins particuliers et j’en ressens un manque notable.

Je m’en suis précisément rendu compte au cours d’une discussion avec une amie au sujet d’un problème que je rencontrais avec un de mes élèves. Celui-ci devait rendre plusieurs livres au CDI et, après plusieurs rappels, considérant les livres comme perdus, je lui ai transmis une facture. Connaissant sa situation, je ne m’attendais pas à ce qu’il paie cette facture, mais c’était une manière de lui faire remarquer que son retard allait finir par poser problème. Sa réaction ne fut toutefois pas celle que j’attendais : il me rit au nez en me disant qu’il les rendrait quand Lui l’aurait décidé. Je décrivis davantage cet enfant à mon amie qui travaille dans la protection de l’enfance et elle m’expliqua : « L’enfant dont tu me parles est typiquement un enfant “abandonniste” ; il pense que s’il vit en foyer c’est uniquement de sa faute, pas celle de ses parents ou d’une autre personne, mais spécifiquement la sienne. Et il fera tout pour se mettre dans des situations qui l’accusent, pour se prouver que c’est bien lui le problème. Pour se donner raison. Laisse tomber tes livres, c’est le seul rapport qu’il a su construire avec toi, car c’est le seul rapport qu’il cherche à construire. Il faut que tu trouves le moyen de construire une autre relation avec lui que celle dans laquelle il est en faute. »
Mon approche n’était donc pas la bonne et je me rendis compte que n’ayant aucune expérience, aucune connaissance dans ce domaine, je n’aurais pas su qu’il fallait agir autrement sans cette explication. Il me semble impératif que je me forme à la psychologie de l’enfant et il serait intéressant d’ajouter ce domaine aux formations pour devenir enseignant.

Les « piliers du CDI » sont les élèves qui sont toujours présents, quel que soit le temps qu’il fait dehors, et qui deviennent à tour de rôle mes petit.e.s « assistant.e.s », au point qu’il m’arrive de devoir inventer des tâches à réaliser pour ne pas les décevoir lorsqu’ils viennent au CDI pour « me seconder » !

Un jour, j’aidais une élève à choisir un livre dans le CDI. J’avais missionné trois copines pour ranger les quelques livres qui étaient posés sur mon bureau. L’une d’elle, Inès, vint me voir au bout de quelques minutes, toute fière : « Madame ! J’ai rangé votre bureau ! » m’annonça-t-elle avec un grand sourire ! Je ne pus réprimer une grimace en me disant « oh la la, pourvu que je sache retrouver mes papiers ! » Je lui répondis : « Merci, mais j’espère que je vais savoir retrouver mes affaires ! » Elle rigola et me dit : « Oui oui, ne vous inquiétez pas ! ». Maintenant, je prends l’habitude de ranger très régulièrement mon bureau pour qu’elles n’aient pas l’impression que ce soit le bazar !

Une autre élève, Marion, aime particulièrement remettre les bandes dessinées dans les bacs, une fois que celles-ci sont sorties de quarantaine. Depuis le début de l’année, avec la crise sanitaire actuelle, j’ai organisé sous mon bureau des cartons de quarantaine étiquetés selon le jour où me sont rendus les livres. Ainsi, le jeudi, je remets habituellement les livres du lundi, et ainsi de suite. La petite Marion attend donc patiemment le jeudi matin pour pouvoir ranger les bandes dessinées dans les bacs, en fonction du nom de leur auteur. Cependant, un jour j’ai permis à une autre élève, qui avait une heure de permanence et qui voulait m’aider, de ranger les livres sous mon bureau. Elle les rangea tous sans exception et plus vite que je ne le pensais ! Quelle ne fut pas la déception de Marion à la récréation, lorsqu’elle découvrit que les bandes dessinées avaient déjà été remises dans les bacs ! Mais toute gentille elle me dit : « Ce n’est pas grave, mais la prochaine fois, dites-lui bien qu’elle peut ranger tous les autres livres, mais qu’il faut me laisser les bandes dessinées ». Je culpabilisai. Toutefois, il est difficile de satisfaire tout le monde !

Lors d’une récréation, Sofia vint me retrouver au CDI. Marion était près de moi et me racontait sa matinée. Sofia nous vit et, trop contente, posa son cartable sur le sol en disant : « Marion, Madame, j’ai une surprise pour vous ! ». Marion et moi nous nous regardâmes et fîmes les gros yeux, tout étonnées ! Sofia sortit de son sac deux sucettes et nous les tendit ! Surprise et très contente de ce petit geste je m’exclamai : « Ouah trop bien ! Merci beaucoup ! ».
Je crois bien que j’étais plus contente que la petite Marie, bien que je n’aime pas particulièrement les sucettes !

Depuis le début de l’année, je donne des cours d’éducation aux médias et à l’information à une classe de sixième, le mercredi matin, en demi-groupe. J’alterne en changeant de groupe en fonction des semaines A et B. J’ai pu obtenir cette classe de 6e à l’année pour leur éviter d’avoir une heure de trou annuelle. L’objectif que je me suis fixé est de créer une émission de webradio en remettant sur pied la webradio non utilisée du collège qui se trouve au CDI.
Tandis que je discutais avec un surveillant de mes projets avec cette classe, quel ne fut pas son étonnement lorsqu’il apprit que je donnais des cours ! Je lui expliquais alors mes fonctions et mes missions au sein de l’établissement et les différents projets que je commençais à mettre en place. Il était agréablement surpris de ma polyvalence, mais cela montre que, malheureusement, notre travail au sein de l’établissement n’est pas encore connu de tous nos collègues et le peu de retour que j’ai eu des parents d’élèves me montre, également qu’eux non plus ne savent pas ce que nous enseignons.

Dernièrement, j’ai rendu un petit contrôle de connaissance aux élèves. D’habitude, je les sermonne, car ils n’apprennent pas leurs leçons et ce depuis le début de l’année, mais, cette fois-ci, je préférai encourager leurs efforts. Je remis les devoirs aux élèves et deux d’entre elles, Alice et Louise, étaient plutôt fières, car elles avaient eu tout juste. Adèle, qui n’avait pas validé toutes les compétences, s’étonna d’un air boudeur qu’on puisse avoir tout juste. Je demandai alors aux filles si cela avait été difficile et elles répondirent que non, qu’elles avaient juste appris le cours. J’ajoutais qu’effectivement, il suffisait de passer une heure par semaine à apprendre le cours pour réussir mes devoirs. Je précisai également que Sofia avait, elle aussi, eu quasiment tout juste et, pourtant, elle n’avait révisé qu’une heure avec moi, juste avant le contrôle. Le groupe entier me regarda et Adèle répéta : « Vous êtes en train de dire que Sofia a eu tout juste et qu’elle a juste travaillé une heure avec vous ? ». Je répondis : « Oui, tout à fait. Je lui ai montré une bonne méthode pour apprendre et cela l’aide beaucoup à mémoriser le cours ». « Madame, moi aussi je veux faire une heure avec vous pour avoir tout juste à vos contrôles ! », s’exclama Adèle. D’autres élèves hochèrent la tête et je me fis la réflexion qu’il serait intéressant de mettre cela à exécution : peut-être fallait-il reprendre avec eux leur méthode d’apprentissage ?

Le tutorat que je propose à Sofia s’est installé de lui-même, naturellement. Alors qu’elle s’était assise à côté de moi pour réviser le premier petit contrôle que je leur avais proposé au début de l’année, je l’observais. Elle écrivait soigneusement sur une feuille uniquement les réponses notées dans les trous de sa fiche de cours (fiche à trous que nous remplissons ensemble pendant le cours pour que les élèves aient une trace). J’attendis un moment avant de lui poser des questions sur sa méthode d’apprentissage, mais en voyant qu’elle n’apprenait que ces « réponses » sans qu’il y ait de sens (par exemple, pour la définition d’un média, elle apprenait la définition « un moyen de communication » sans le relier à « un média est »), je finis par l’interrompre. Je lui proposai alors de créer des cartes pour mémoriser son cours, au recto, le terme à définir (un média), au verso, la définition (un moyen de communication, etc.). Prenant l’exercice pour un jeu, Sofia s’y prêta joyeusement (d’autant plus qu’elle a une bonne mémoire, si tant est que ce qu’elle apprend puisse faire sens dans son esprit). Une fois les cartes faites, je l’interrogeai et, toute fière, elle essaya de me donner les bonnes réponses. Cette méthode lui a permis de progresser. Je renouvellerai cette heure de tutorat avec elle l’année prochaine.

Nous avons obtenu la labellisation classe média pour l’an prochain et nous allons créer une classe média en 5e. Plusieurs collègues m’accompagnent dans ce projet : un professeur de technologie, la professeure d’éducation musicale, une enseignante de français et la médiatrice du collège. Les élèves auront une heure en demi-groupe par semaine en atelier et travailleront également sur le projet en classe entière avec leurs enseignants respectifs. Nous souhaitons remettre en marche la web radio du collège et cela nécessitera un petit réaménagement du CDI qui sera fait prochainement. Nous devons encore nous réunir afin de mettre au point un projet commun pour l’année et déterminer le rôle de chacun.

Plusieurs anecdotes me viennent à l’esprit, mais voici celle qui retranscrit le mieux la relation entre les élèves et le livre.

L’année dernière, le quart d’heure lecture a été instauré dans mon collège, mais avec la crise sanitaire, c’est la première année où les collègues essaient véritablement de mettre en place ce projet. Les enseignants sont mitigés quant aux bienfaits du quart d’heure lecture qui est assez difficile à mettre en place et à soutenir tout au long de l’année. Beaucoup d’élèves voient cela comme une contrainte et n’ont pas toujours de livre ou font semblant de le lire lorsqu’ils en ont un. Ils ont également du mal à choisir un livre selon leurs envies, privilégiant le plus petit livre ou le premier livre venu, évitant ainsi une punition potentielle s’ils viennent en classe sans livre.
Pour essayer d’aider les élèves dans leur choix, j’ai organisé pour plusieurs classes une séance au CDI leur permettant de choisir un livre. Pour cela, je leur ai distribué en amont des fiches lecteurs pour connaître leurs goûts et leurs envies. J’ai ensuite recherché dans le CDI les livres correspondant à leurs critères et j’ai organisé des tables de sélections thématiques. En arrivant au CDI, j’expliquai aux élèves les différentes sélections que j’avais faites et j’en profitai pour présenter certains livres. Tout au long de l’heure, les élèves étaient libres de parcourir les différentes tables mais aussi les rayons à la recherche d’un livre qui leur plairait. Ils pouvaient également me demander conseil, ce que firent quelques-uns d’entre eux. Une élève en particulier me demanda Les malheurs de Sophie. Je lui rapportai le livre en question, contente de l’avoir trouvé et alors que je le lui tendais elle me dit : « Je dois lire tout ça ? ». Le livre qu’elle n’avait pas encore en main, certes un peu vieux, faisait moins de deux cents pages. Étonnée, je lui répondis : « Il n’est pas si gros que ça et l’écriture est assez large. Il va se lire plus vite que tu ne penses. » Elle ne le prit pas.

Les élèves ont pour la plupart de grandes difficultés avec la lecture et il m’est arrivé à plusieurs reprises que l’on me fasse cette remarque. Certains d’entre eux lisent quelques pages et me rendent le livre sans l’avoir terminé. Lorsque des élèves que je ne connais pas bien me rendent un livre, je leur demande toujours :
« Est-ce qu’il t’a plu ?
– Oui, me répondent-ils la plupart du temps.
– Tu l’as lu en entier ?
– Presque, mais je ne l’ai pas terminé (le marque page est au début ou à la moitié du livre).
– Pourquoi tu n’es pas allé plus loin si tu as aimé l’histoire ? Veux-tu l’emprunter plus longtemps pour pouvoir le terminer ?
– Non c’est bon, ça m’ennuyait ou “J’ai perdu le fil”. »

L’an prochain, je vais mettre en avant quelques livres audio sur des tablettes pour que les élèves en difficulté puissent entrer dans la lecture différemment. J’aimerais également faire venir une conteuse professionnelle et faire tout un travail autour du conte.

Pour conclure, cette année est passée extrêmement vite ! J’avais plein d’idées de projets et de séances à mettre en place en arrivant au collège en septembre et je m’aperçois que je n’ai pas pu faire la moitié de ce que j’avais programmé. Il me faut également revoir à la baisse mes attentes vis-à-vis des élèves, lorsque je donne des cours d’EMI. J’ai une très bonne équipe dans mon établissement, toujours partante pour les projets. Enfin, je suis en train de réaménager le CDI et de repenser la disposition des livres dans les rayonnages pour les mettre davantage en valeur et attirer un peu plus l’œil des élèves.

 

Comment je suis devenue une prof doc heureuse et épanouie

C’est de retour à mon emploi dans une société d’export de films où je comblais un ennui passager en me baladant sur Twitter et les internets que j’approfondis mes recherches. J’ai lu avec étonnement et un enthousiasme grandissant un article rédigé par une future collègue dans Rue 89 et ai pris conscience de la potentielle richesse du métier1. Il faut dire que mon passé d’élève ne rendait pas totalement grâce au métier de professeure documentaliste. Dans le collège rural et catholique où je traînais mes faux jeans Levis 501, le CDI, petite salle encombrée et poussiéreuse, était ouvert occasionnellement par la personne qui faisait office de CPE, fan de chantage et d’humiliation. Dans le beau lycée tout neuf où, interne, je traînais mes jeans à patte d’éph’, le magnifique CDI était l’endroit où je découvris que des femmes pouvaient écrire des livres reconnus par la critique et pas vendus uniquement dans les supermarchés (ce n’est pas en cours de français que j’aurais pu le découvrir) et Nancy Huston, Anaïs Nin et Simone de Beauvoir vinrent à moi au hasard des rayons de ce CDI circulaire et lumineux. J’y ratais mes premiers TPE en première et y réussis mes seconds TPE en terminale, en partie grâce aux deux profs-docs plutôt discrètes et passionnées. Cependant, ingrate adolescente allergique à l’autorité, je les évitais le plus possible, en particulier lorsque je divaguais sur internet (déjà) pour aller sur les blogs de mes idoles de l’époque Gustavo Kuerten et Brian Molko alors que c’était INTERDIT ! Je faisais un usage intensif des ressources du lieu mais fuyais comme la peste les deux enseignantes qui représentaient pour moi l’autorité et la bourgeoisie culturelle qui n’étaient pas (encore) mon monde. Quinze ans plus tard, me voyais-je à leur place ? Pas vraiment, mais les échanges avec deux professeures documentalistes rencontrées sur Twitter (dont l’autrice de l’article susmentionné) passionnées par leur métier, qui prirent le temps de répondre à mes questions naïves (« on a les mêmes vacances que les enseignants ? ! ») me firent comprendre que j’étais sur la bonne piste. Travailler dans une bibliothèque, ce lieu qui me faisait systématiquement l’effet d’une faille spatio-temporelle ? Apprendre aux élèves à s’égarer sur internet (oui, je sais, on dit sérendipité en vrai) ? Conseiller des livres sans obliger qui que ce soit à en lire un ? Lutter contre le déterminisme social par la culture, l’information et la littérature ? Faire des commandes de livres plus élevées qu’un demi-smic ? Cela me faisait rêver. Une inconnue subsistait : les élèves. Avais-je envie de travailler avec des enfants/adolescent.es ? Me retrouver avec des tripotées d’élèves potentiellement aussi pénibles que je l’avais été à cet âge m’intimidait.

C’est une formidable conseillère pôle emploi qui me permit de tester mes rêves dans la réalité, et quelle réalité choisit-elle ! Je me retrouvai contractuelle dans un collège rural catholique de 200 élèves, la température du CDI ne dépassa pas les 14 degrés avant mai et je mis deux jours à accéder aux codes pour me connecter à mon poste informatique. Mes nouveaux collègues très attentionnés mais trop humbles me demandèrent avec une réelle compassion, le premier jour, de quoi j’avais été victime dans ma vie passée pour me retrouver avec eux. Mais, dès le début (enfin après avoir caché le crucifix derrière un meuble…), je m’y sentis à ma place, comme jamais je ne l’avais été.
Je me lançais avec passion et maladresse dans des séances d’initiation à la recherche documentaire, accompagnais les obsessions numériques des habitués geeks du lieu, me plongeais dans la littérature jeunesse pour conseiller ces sagas accrocheuses à des élèves addicts, réussis à bulletiner quelques revues (ou plutôt à abîmer la base de données…). J’avais été sélectionnée après un entretien avec le chef d’établissement et je n’étais clairement pas prête pour ce métier. Reine de l’esbroufe en entretien d’embauche, il était quelque peu irresponsable de me lâcher en responsabilité sans formation. La seule compétence info-documentaire que j’avais développée dans ma vie professionnelle antérieure était donc de traîner sur internet. L’apport des collègues assez engagé.es pour partager leurs travaux et questionnements sur divers blogs et listes de diffusion fut décisif dans mon atterrissage en douceur sur le terrain.

CDI du collège Voltaire à Ussel

Je me rendis aussi compte avec grande surprise que j’adorais travailler avec des collégien.es mais bim ! les résultats du concours me rappelèrent que je ne pourrais pas faire ce travail très longtemps sans me former sérieusement. C’est la même formidable conseillère pôle emploi qui me conseilla la formation de master MEEF et qui me permit par je ne sais quelle manœuvre d’être étudiante et de percevoir l’allocation chômage. Je passai ensuite deux années à l’ESPE où le courage des enseignant.es et le soutien des camarades me permirent d’avoir peu d’échecs à vous raconter sur cette période. Je décidai également de mettre mon esprit râleur dans ma poche, d’adhérer sans recul aux contenus et méthodes d’enseignement, pour pouvoir consacrer mon énergie à l’absorption de savoirs et à l’acquisition de techniques, postures et savoir-faire et réussis le concours cette fois-ci. L’année de stage fut idyllique sur le plan professionnel : j’ai réussi pour la première fois de ma vie à rendre un mémoire sans en avoir honte, mes tutrices ont su recadrer mes pratiques avant que les embrouilles ne pointent le bout de leur nez et mes collègues m’ont transmis les gestes professionnels qui, cerise sur le gâteau, correspondaient à mes valeurs ; rien de drôle à raconter du coup ! Je me retrouvais bonne élève, pour la première fois.
Puis j’ai été lâchée dans le grand bain, dans un lycée, avec deux conseils répétés par mes formatrices que je m’empressai de ne pas écouter. « Il est essentiel d’avoir des relations cordiales avec les agents qui s’occupent de l’entretien du CDI » et « La première année, ne te lance pas dans trop de projets, prends le temps d’observer ».
Pour cette première recommandation, l’échec arriva vite. L’homme de service qui s’occupait du CDI voulait me saluer en me serrant la main, puis en me faisant la bise, puis en me faisant la bise et en me touchant l’épaule et le dos. Je refusai vite cette intimité non consentie, inappropriée et glaçante. Et il devint moins cordial. Chaque passage de balai était notamment l’occasion d’un débranchage en règle de mon poste informatique ; il tenta de m’interdire de déplacer les tables et chaises du CDI, interrompit des séances et déglingua durablement notre bureau. #MeToo n’était pas encore passé par là et je ne pensai même pas à en parler à ma hiérarchie. Cela dura une longue année. Le sexisme ordinaire, c’était cela aussi la découverte du métier sur le terrain. Peut-être qu’un jour, ce genre de comportement ne sera plus toléré dans la fonction publique. J’ai combattu le sexisme que j’ai subi à ma manière, en parlant, en répliquant, en expliquant, en posant des limites, mais toute l’année, cet homme a continué à utiliser son pouvoir pour me nuire. Il a ensuite été absent longtemps, et à son retour, j’ai tout raconté à ma hiérarchie. Mais est-ce moi qui suis en échec ou y a-t-il un problème systémique dans notre société ? De fantastiques personnes prennent maintenant soin du lieu, avec professionnalisme ; nos relations sont très cordiales, j’ai appris qu’éviter le conflit n’était pas toujours constructif.

La deuxième recommandation était de prendre le temps d’observer avant de me lancer ; sage conseil avec le recul, que je m’empressai de ne pas suivre. L’équipe était très dynamique, très volontaire et avait très envie de travailler avec les professeures documentalistes. Pas très sûre de moi, au fond, j’essayais de montrer que je pouvais me rendre utile mais je n’avais pas pris conscience de notre emploi du temps chargé : accueillir toutes les demi-classes des 8 secondes, dispenser 12 h de TPE par semaine et mettre en place de nombreux projets pérennes allaient poser problème. J’avais envie de petits bouts de cours magistraux, et ma collègue non. Je ne l’écoutais pas assez et notre attelage fut quelquefois bancal. Trop critique envers l’aménagement du lieu, je bousculais ses habitudes, encouragée par un chef d’établissement qui pensait que nous mettre en compétition nous rendrait plus performantes. Je me lançais même dans la commande du nouveau mobilier, dès la première année.
Je voulais trop bien faire, être la bonne élève que j’étais à l’ESPÉ alors que j’aurais dû prendre le temps d’observer et de m’adapter, profiter du moindre contrôle de l’institution pour ne pas me précipiter. Par exemple, c’est mieux de connaître un.e collègue et sa réputation avant de s’embarquer pour des séances en coanimation ! Quel cauchemar d’ajuster une évaluation à deux ! Ma posture, autoproclamée chamallow (peu de règles, anéantir les espoirs de rébellion facile en étant gentille jusqu’à l’écœurement) hérissait le poil de certains collègues qui n’avaient pas tout à fait la même posture d’autorité, et je les comprends…
Je me suis formée et j’ai formé à Trello, Piktochart, Canva, Genially, Padlet, Pearltrees, Esidoc, Calameo, Parcoursup, Twitter, Adage, Cned, Eléa, Pix, Viaéduc, Netvibes, Whatsapp, Discord, Framapad, Pronote, Peertube, Dotclear. Cela a été utile, quelquefois. Souvent, pas vraiment.
Je voulais transmettre (ou saupoudrer…) le plus de compétences info-documentaires possible, surévaluant nettement mes capacités de travail d’autant plus limitées que je devins au cours de ces premières années parent de deux jeunes enfants avec un intérêt limité pour le sommeil et illimité pour les otites et autres maladies en « -ite ».
Et puis la réforme du lycée vint tailler dans mon enthousiasme un peu ébouriffant, en supprimant mon plus grand plaisir professionnel : les TPE. C’était pour moi le lieu où nous pouvions à la fois transmettre des compétences, apprendre à connaître les élèves sur un temps long, donner le goût de la recherche et faciliter le travail en groupe en travaillant avec des collègues d’une façon souple. Pouvoir suivre des élèves sur l’année est un luxe pour les profs docs et permet également de créer des relations de confiance avec les élèves qui ensuite font plus souvent appel à nous.
Je pris conscience que des habitudes construites de longue date pouvaient s’écrouler à la suite d’un caprice ministériel, et que l’inertie supposée de l’éducation était un mythe. L’attribution de l’EMI aux enseignant.es d’Histoire-Géo-EMC et de la culture numérique aux enseignant.es de SNT finit de me décourager. C’est comme si ce que nous avions appris à faire à l’ESPÉ devenait caduc. Nous mettre en situation permanente de remise en question pour s’assurer que jamais nous ne serions suffisamment sûr.es de nous pour nous sentir compétent.es me fit l’effet d’une douche froide professionnelle. Je commençai à comprendre pourquoi certain.es collègues étaient aussi ronchons !

L’absence de prime informatique pour les professeures documentalistes acheva de me renfrogner, et je pris conscience que la vision de ce que j’estimais être le cœur de notre métier n’était pas nécessairement partagée en haut lieu. Que peut-être, un jour, je serais rattachée à une collectivité territoriale, soumise aux aléas politiques, ou que mon métier disparaîtrait.

Je décidai donc d’être patiente cette fois, d’observer les conséquences de cette réforme au sein du lycée et mon engagement s’exprima à l’extérieur du lycée, effrayée cependant par le « devoir d’exemplarité ». Puis je changeais de tactique pédagogique : finies les tentatives de massification et d’uniformisation ; je suis alors partie à la recherche d’interstices pour continuer à transmettre ce qui m’animait professionnellement. Il ne fallait surtout pas faire de beaux projets bien brillants récupérés ensuite : mon travail serait bricolé, bancal avec des objectifs plus flous et plus de liberté pour les élèves. Il serait surtout ancré dans mon lycée, inspiré par les façons de faire de collègues plus rodés et inspirants et par les besoins exprimés par les élèves.

CDI du collège Voltaire à Ussel

Avec un groupe extrêmement motivé d’élèves que j’avais réussi à accrocher, grâce au projet fantastique d’une collègue dans lequel j’avais beaucoup de mal à trouver ma place, mais qui voulait bien de moi quand même, nous avions créé le journal du lycée « Les grenouilles enragées » sur l’ENT. Les contenus étaient plus sages que le titre le prévoyait, mais la liberté d’expression acquise au fur et à mesure est une de mes fiertés professionnelles. Qui penserait qu’un de mes grands plaisirs serait qu’une élève puisse parler du problème de l’hétéro-pénétrativité comme norme de l’éducation sexuelle et affective au lycée ? Qu’on publierait une caricature de Zola en crop top ? Qu’une élève éviterait de justesse le décrochage scolaire pendant le confinement grâce aux liens tissés dans le groupe ? Et que d’autres élèves prendraient la relève ? Qu’elles feraient un reportage époustouflant sur les coulisses de la philharmonie de Paris un dimanche de concert ? Qu’une élève ferait un compte-rendu hilarant du meeting d’un candidat à l’élection présidentielle ? Qu’un autre raconterait ses expériences de désobéissance civile au sein du mouvement climat ? Que des élèves dyslexiques me dicteraient avec entrain des comptes-rendus de matchs de foot ? Et que leurs travaux seraient abondamment lus et commentés !

Ce que je considère comme mes réussites professionnelles, qui rentrent toutefois dans le cadre de nos missions, ont eu lieu dans de nombreux interstices hors des cadres, dans des « bricolages », comme dirait Michel de Certeau (les SIC ont laissé quelques heureuses traces dans mon cerveau). Donc fini les échecs pour cet article, voici mes petites réussites, celles qui me motivent suffisamment pour continuer à bulletiner et à cataloguer alors que j’aime autant cela qu’une douche froide un dimanche pluvieux. Une de mes formatrices nous répétait que notre métier ne consistait pas à appliquer des recettes, des techniques, à copier des séances toutes faites. Ces réussites sont pour beaucoup liées aux hasards et aux rencontres, et j’ai appris peu à peu à lâcher prise.
En voici quelques exemples :
Un élève, aux prises avec des parents très éduqués et racistes, a trouvé de la force dans la lecture de La Place d’Annie Ernaux.
Une collègue a appelé son fils Aliocha après que ma collègue de russe et moi-même lui avions chaudement conseillé le roman d’Henri Troyat.
Grâce au talent de ma collègue, super forte en conception graphique, j’ai réussi à concevoir une affiche pour le spectacle de théâtre dont l’esthétique est presque réjouissante.
Une élève veut que je continue de lui recommander des livres qui lui « retournent le cerveau ».
Des élèves ont appris que toucher les cheveux de leurs camarades sans leur consentement n’était pas uniquement irrespectueux mais pouvait être aussi raciste.
Des élèves en difficulté ont interviewé en autonomie, sans pression, une chercheuse en biologie, pendant leurs vacances.
J’ai assisté émue à la première recherche sur internet d’une élève de sixième.
On a organisé une friperie gratuite pour le festival de l’écologie qui a déringardisé les habits de seconde main, permis à des élèves de milieux modestes d’offrir de jolis habits et accessoires à leur famille, sensibilisé à l’impact de la fast-fashion sur nos conditions écologiques et sociales d’existence et fait prendre conscience aux élèves qui ont organisé l’évènement qu’on pouvait avoir un impact sur notre société avec peu de moyens et beaucoup d’enthousiasme.
J’ai laissé pousser les herbes sauvages sur mes mollets, et ne les cache pas sous des pantalons, pour montrer qu’on peut être professionnelle sans se laisser dominer par les règles de « beauté » en vigueur.
On a fraudé une grande institution culturelle pour que nos élèves puissent rentrer avec des tickets individuels et non scolaires, car cette belle institution n’avait pas répondu à nos nombreuses demandes de devis. Et quand on nous a demandé si on était un groupe scolaire, on a menti, devant nos élèves.
J’ai averti plusieurs élèves du mépris de classe et du racisme qu’il pouvait y avoir dans certaines filières d’études supérieures, puis je les ai suffisamment convaincus qu’ils trouveraient des alliés qu’ils avaient les ressources pour y arriver. Finalement ils ont tenté l’expérience.
De nombreux élèves, un peu fatigués, un peu tristes, un peu en décalage ont trouvé refuge dans notre CDI chamallow.

Bref je suis devenue une heureuse et épanouie dame du CDI. Jusqu’à quand ?

 

 

CDI, mon CDI… qu’est-ce qu’on va faire de toi ?

Le CDI. Au départ, il s’agit ni plus ni moins d’une bibliothèque présente dans l’établissement scolaire, au service du livre et du travail individuel. Un lieu sans prétention où le silence est roi, où l’élève vient souvent seul. Rien d’original : il s’agit du modèle qui existait déjà dans les bibliothèques publiques, dont le CDI ne faisait que reprendre les codes.
Cependant, les usagers sont ici des jeunes, des adolescents : un profil déjà bien particulier qui manifestera des usages et des demandes bien spécifiques. Mais surtout, ces derniers demeurent dans l’établissement et vont être, tôt ou tard, confrontés au lieu documentaire. Ainsi, plusieurs générations d’adolescents ont fréquenté durant leur scolarité (de gré ou de force) le CDI et force est de constater, en discutant avec eux, que le lieu ne laisse pas indifférent.
En tant que professeurs documentaliste nous côtoyons quotidiennement des jeunes avec qui nous discutons et échangeons, qui empruntent des livres et fréquentent le lieu avec plaisir parce qu’ils s’y sentent bien. J’irai même plus loin en disant que, pour certains élèves, le CDI représente un espace de liberté, d’épanouissement et même de sécurité.
Pourtant, peu le savent et rares sont ceux qui réalisent à quel point ce lieu est indispensable. Tous les jours, nous sommes entourés d’élèves et de collègues pas forcément au fait de notre travail et de l’importance du CDI tel que nous le percevons en tant que professionnel de l’information-communication et de la documentation. Il s’agit d’un combat quotidien que nous menons pour redonner au lieu tout le respect qu’il mérite et prouver (!) que oui, nous sommes bien des enseignants et des professionnels investis et que nous méritons salaire et respect. Ainsi tout doit être mis sur la table : notre métier, nos fonctions, le lieu et ce qu’il peut apporter à l’élève et à la communauté enseignante. Voilà plusieurs années que l’école se transforme à grande vitesse (notamment via le numérique, maintenant incontournable dans nos pratiques), pense l’autonomie des établissements, réforme les épreuves nationales, renforce l’importance de la laïcité et des valeurs républicaines, du climat scolaire et la lutte contre le harcèlement.
Nul doute que nous avons notre place dans cet avenir et que le CDI a le potentiel pour devenir la plaque tournante de ces priorités. Alors profitons-en et pensons le futur, en commençant par notre propre rôle.

Prof doc, qui es-tu, où es-tu, y es-tu ?

Dystopie : le CDI du futur est-il indissociable du professeur documentaliste ? Rien n’est moins sûr. La France reste le seul pays où existe cette fonction si particulière. Cette double casquette (enseignant et documentaliste), censée être notre point fort, s’est avec le temps retournée contre nous pour devenir un poids dans notre quotidien.
En qualité de professeur, nous n’avons pas le même traitement que nos collègues : pas de prime (informatique, charge de professeur principal), pas d’heures supplémentaires, pas d’agrégation, pas de corps d’inspection spécifique, pas de discipline à part entière.
Cela pose évidemment le problème de la légitimité professionnelle du professeur documentaliste. Dès le départ, le traitement ne joue pas en notre faveur et, malheureusement, implique ces discours clichés que l’on peut entendre sur notre métier.
Quand bien même notre circulaire précise et inscrit noir sur blanc la mission d’enseignement qui nous incombe, cette dernière est conditionnée par notre volonté de faire cours, parfois sur l’insistance des chefs d’établissements, notamment en collège. En l’état, il est donc normal que notre reconnaissance en tant qu’enseignant soit égratignée par comparaison avec nos collègues qui eux ont un programme et des heures inscrites à la DHG. En qualité de documentaliste, ce n’est pas forcément mieux. À ce jour, il n’existe aucune passerelle entre professeur documentaliste et les métiers de bibliothèque.
Nous remplissons les conditions d’accès au concours interne des bibliothèques de la fonction publique d’État et de la fonction publique territoriale (comme n’importe quel enseignant), mais pour le concours interne de bibliothécaire d’État, il n’est pas sûr que nous soyons éligibles. En effet, le site du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche indique :
« Le concours interne est ouvert, aux fonctionnaires et aux agents publics qui justifient au 1er janvier de l’année du concours de quatre années de service public, dont deux années au moins dans un service technique ou une bibliothèque. »
Professeur documentaliste donc, mais ni vraiment professeur ni vraiment documentaliste. Faut-il garder cette double identité ? Faut-il trancher dans le vif et n’avoir qu’une seule casquette ?
À l’heure actuelle, la reconnaissance en tant qu’enseignant ne peut se faire qu’en interne, par l’investissement personnel mais aussi en fonction de l’environnement dans lequel nous évoluons et, notamment, selon les rapports que nous entretenons avec l’équipe éducative et les chefs d’établissement. C’est d’autant plus vrai lorsque nous arrivons en exercice dans un nouvel établissement où parfois, plusieurs années sont nécessaires pour obtenir du crédit auprès des collègues et de la direction.
C’est un sujet sensible dans la profession et, récemment, l’APDEN a sondé les intéressés sur cette question, entre autres sur les heures d’enseignement obligatoire : nous attendons les résultats. Certains pensent que cette sacro-sainte reconnaissance ne viendra que si nous disposons d’un volume horaire inscrit dans la DHG pour enseigner. Mais quid du programme, de la matière, de la formation initiale et continue ? Beaucoup de questions vont se poser ; malgré tout, à partir du moment où nous avons passé le CAPES, il est logique qu’en tant que professeur certifié par un diplôme d’État, nous ayons un devoir d’enseigner régulièrement une matière qui nous est propre et de contribuer activement à l’acquisition de compétences que nous seuls serions à même d’évaluer. Pas de panique : le futur de notre profession est encore lointain ; nous sommes pour le moment les seuls à nous y intéresser !

Sauver le prof doc ou le CDI ?

Revenons au CDI : comment assurer la gestion d’un lieu si nous devions, par exemple, enseigner 18 h chaque semaine ? La réponse est simple : on ne peut pas. À moins d’embaucher davantage de professeur documentaliste et d’aide documentaliste, afin qu’un relais s’instaure et que le CDI puisse rester ouvert avec une grande amplitude horaire. Cependant, difficile de croire que le recrutement de personnel va s’intensifier, sauf si la charge de gestion est attribuée à des vacataires ou à des contractuels sans expérience ni goût particulier de la fonction. Est-ce une bonne chose ? Oui pour l’amplitude d’ouverture, mais quid de l’importance et de la présence d’un professionnel diplômé et dévoué aux élèves ?
Cela dit, une chose est sûre : si les heures d’enseignement peuvent ne pas être dispensées, il est obligatoire d’avoir une personne en charge de la gestion du lieu. La fonction de « documentaliste » continuera donc toujours d’exister tant que le lieu CDI demeurera.
Et ce lieu ne disparaîtra pas : en considérant notre pays et son rapport très intime avec la culture, notamment avec le monde du livre, il semble très improbable que l’établissement du futur ne dispose pas d’un centre de documentation à part entière. Au vu des changements qui attendent l’éducation nationale dans les années à venir, ce dernier va (doit) forcément évoluer, tout en gardant cette fonction de lieu de travail et de lecture avec un accès aux livres qui demeure une volonté forte de l’école républicaine à la française.
S’en tenir à ces seules fonctions semble être tout de même très réducteur. Si l’on prend en compte l’évolution et les changements qui ont eu lieu ces dernières décennies dans le monde des bibliothèques, nul doute que nous allons assister (et cela a déjà commencé dans quelques établissements scolaires) à de grands bouleversements en termes d’usages et de services proposés dans les centres dits de culture et de documentation.
Service, le mot est barbare et heurte l’oreille du professeur documentaliste. Pourtant, à l’image des bibliothèques qui sont progressivement devenues médiathèque, ludothèque, voire cybercafé, il semble que le CDI (pourtant un lieu scolaire) tende vers ce genre d’hybridation. Il y a quelques années, en 2012, on nous parlait du 3C (concept équivalent à celui des Learning center) comme le futur du CDI : un lieu ayant pour but de favoriser l’autonomie des élèves, grâce à la présence d’espaces identifiés et modulables où les ressources seraient accessibles en continu, grâce à une amplitude horaire maximale.
Aujourd’hui, le concept a perdu de l’élan et finalement, on ne parle plus du tout ni des 3C… ni même du CDI. Le mot est absent des textes de réformes, des vademecum et des projets académiques et nationaux. De fait, chaque établissement, selon ses moyens, prend le soin de faire évoluer le CDI comme il le souhaite. Ainsi, pouvons-nous visiter des CDI avec des espaces dédiés à des expositions ou à des travaux d’élèves, d’autres avec des salles infos et de réunions, d’autres avec des espaces ludo-créatifs ; d’autres avec des FAB-LAB (lieu où sont mis à disposition toutes sortes d’outils, notamment des machines pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d’objets), ou d’autres avec uniquement des livres et des ordinateurs. Il est important de préciser que derrière chaque CDI, il y a un professeur documentaliste qui est force de proposition dans son établissement : sa détermination peut faire aboutir à de grands résultats pourvu qu’on accepte de l’écouter.
Soyons optimistes : nous avons cette chance incroyable d’avoir pour responsabilité un lieu particulièrement intéressant et relativement modulable. Nous pouvons nous inspirer des médiathèques, des bibliothèques universitaires ou des centres de documentation à l’étranger pour trouver des idées et les mettre en application.

Dépasser les murs de l’ÉPLE

Le CDI est un lieu indissociable de l’établissement scolaire. Pour le faire évoluer il faut donc mener une veille active pour connaitre et appréhender les avancées et tendances dans le milieu de l’éducation : à nous d’anticiper notre place et le rôle du CDI dans les réformes à venir. Mais il serait tout de même dommage de ne pas regarder ce qu’il se passe dans le monde des bibliothèques. Le CDI du futur, si on observe attentivement ce qu’il se passe dans les médiathèques, sera probablement hybride et élargi dans ses fonctions. Le concept d’hybridation n’est pas nouveau : pour avoir un aperçu de ce que cela veut vraiment dire, prenons l’exemple de la bibliothèque centrale d’Helsinki Oodi, inaugurée en 2018, élue bibliothèque de l’année en 2019 par La Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques. À son sujet, la maire-adjointe de la ville a déclaré : « Ayant contribué à l’alphabétisation de notre nation […] puis à l’épanouissement d’un système éducatif performant, la bibliothèque s’adapte et devient davantage un lieu de socialisation et de création1. »
De nos jours, la quasi-totalité des bibliothèques et médiathèques a adopté un modèle hybride : à la fois un lieu documentaire qui permet un usage solitaire pour son propre travail ou son loisir et un espace social dont le but est de faire rencontrer, réfléchir et interagir à des fins de débat et de création ou tout simplement de socialisation. Entre autres, nous trouvons dans cette fameuse bibliothèque d’Helsinki : une salle de cinéma, des salles pour des réunions associatives, familiales et politiques ; un espace de jeux pour enfants, des ordinateurs et tablettes à disposition, un petit café-restaurant, des salles de repos, un lieu pour faire des impressions 3D, des pièces avec des consoles de jeux vidéo… Et aussi quelques livres.
L’exemple est extrême mais il existe, tout en étant loué pour sa modernité, son architecture et son ambition.

Le troisième étage de la bibliothèque d’Oodi. Si vous voulez être au calme, passez votre chemin !

Cependant cela peut prêter à sourire d’imaginer tout ça en établissement scolaire, pour plusieurs raisons.
D’une part, car le CDI est implanté dans un lieu dédié à l’éducation où l’usager est un élève. Quel est l’intérêt de proposer aux élèves des jeux de sociétés et consoles de jeux vidéo au CDI ? Le débat est ouvert. De plus, proposer plus de services veut dire plus de personnel et de plus grands espaces. Les Learning center, 3C ou médiathèques, résolument modernes, ne peuvent exister sans ce travail essentiel d’architecture des lieux, de création d’espaces prédéfinis et modulables, ouverts et aérés afin d’être confortables et accueillants.
Dans le cas des établissements scolaires, les choses sont un peu différentes : comment faire dans des établissements (et ils sont en écrasante majorité) qui ne peuvent ni s’agrandir, ni faire construire, ni même rénover ? Qui va financer tout cela ? Certainement pas l’établissement scolaire où d’année en d’année on constate une baisse des crédits alloués au fonctionnement du CDI. Il n’y a plus que les départements ou les régions pour nous venir en aide, mais il n’est pas rare que dans les cas de demandes de matériels, fournitures et autres mobiliers nos demandes restent lettre morte. Quant à l’extension des bâtiments, cela est possible uniquement pour certains établissements scolaires particulièrement chanceux et bien situés.
Cette question d’hybridation remet donc en cause l’espace même au CDI, qui est modulable, certes, mais dans une certaine mesure seulement. C’était également le point faible du concept de 3C : son existence et son fonctionnement impliquait des espaces à la hauteur des ambitions, mais la réalité est souvent insurmontable.
À titre personnel, le lieu dans lequel j’exerce fait 100 m², dans un lycée urbain où le manque d’espace est une réelle problématique : pas de salles de réunions, pas de foyer ni d’auditorium. Si l’on souhaite proposer une exposition, un coin jeux de société ou de repos il n’y a que le CDI, mais je dois alors obligatoirement le fermer ou en limiter l’accès pour permettre un fonctionnement… relatif. À moins que j’enlève ces livres qui prennent beaucoup de place ? C’est peut-être cela, finalement, le CDI du futur.
Cynique. Mais pas tant que cela au fond : bien sûr que nous sommes d’accord avec l’idée d’agrandir l’espace, de proposer plus de services pour rendre le lieu moderne, agréable et ultra fonctionnel… mais que l’on nous donne les moyens de le faire. Dans la même veine, pas besoin d’être très perspicace pour deviner cette volonté de passer au tout numérique : via le prêt de tablettes, la généralisation des manuels numériques et des bornes wifi, la mise en place de catalogue de e-books pour la lecture en ligne. Toutes ces nouveautés se généralisent dans les établissements scolaires et ça ne risque pas de s’arrêter. L’aspect lecture et prêt d’ouvrages, fonction historique pour tout centre de documentation qui se respecte, perd de sa vigueur et n’est plus considéré comme un atout pour l’élève et l’établissement. Le cynisme, c’est de finalement présenter le grand projet actuel à savoir « La lecture grande cause nationale » et ne pas évoquer une seule fois le CDI et le professeur documentaliste2.
Cet oubli est symptomatique de notre manque de visibilité et de l’indifférence actuelle à l’égard du CDI. Une seule solution : convaincre. Convaincre de notre efficacité en tant que professionnels de l’information et de la documentation, en tant qu’enseignant ; convaincre de l’importance du lieu pour les élèves. En l’absence de directives claires de la part de nos hiérarchies et des gouvernements, nous sommes contraints de repenser le lieu par nous-mêmes, ce qui n’est pas une si mauvaise chose en soi, car nous serons force de proposition.

Hybridation ou cacophonie ?

Nous disions donc, un CDI hybride. Nous pourrions d’ailleurs aller plus loin : aujourd’hui, le lieu bibliothèque a pour ambition d’être ouvert sur le monde, accessible à tous, utile pour tous. L’objectif est de satisfaire les usagers, mais aussi, il faut le dire, d’attirer ceux qui ne sont jamais venus. Et pour cela, il faut séduire en proposant notamment un panel de services où n’importe quel citoyen (ou futur citoyen) peut y trouver son intérêt. Il s’agissait jadis de briser cette image d’austérité et d’élitisme qui collait à la peau du mot « bibliothèque ». Le pari est réussi et maintenant, familles et particuliers trouvent dans la médiathèque bien plus qu’un simple accès aux livres.
Comme je l’ai évoqué au tout début, le grand chantier selon moi pour le CDI est l’amélioration de son image. Nous exerçons dans ce lieu 30 heures par semaine, mais il est parfois difficile, malgré nos efforts, de faire venir et d’attirer certains élèves (et ils sont nombreux à ne jamais venir). Pourtant, je pense que tous les professeurs documentaliste font des efforts pour rendre le lieu agréable, fonctionnel et propice au travail, au calme, à la curiosité intellectuelle. Ces élèves ont-ils une image du CDI comme lieu d’austérité et de « travail forcé » ? Est-ce simplement une méconnaissance du lieu et de son rôle ? Pendant la période de révision du bac cette année, une élève de terminale a toqué à la porte de mon CDI puis m’a demandé avec mille précautions, la tête seulement dépassant de la porte, si elle avait le droit de venir travailler. Je ne l’avais jamais vue en trois ans, pourtant il n’y a que 400 élèves dans mon établissement. Bien évidemment, les élèves ont le droit de ne pas venir au CDI. Mais cela veut dire qu’ils n’y trouvent absolument pas leur intérêt. Voilà qui mérite que l’on mène des enquêtes dans nos établissements pour justement comprendre le pourquoi du comment !
Nous pourrions, pour attirer davantage les élèves au CDI, proposer davantage d’espaces ludiques et sociabilisants. Mais là encore, il y a de quoi débattre : contrairement à une médiathèque, le CDI est implanté dans un établissement scolaire, à destination d’élèves qui sont tout de même là pour travailler. Peut-on travailler ou réviser convenablement dans un lieu où d’autres élèves jouent, discutent, fabriquent, se prélassent ou encore écoutent de la musique ?
Le CDI du futur devra prendre en compte deux paramètres fondamentaux qui peuvent paraître opposés l’un à l’autre : il devra être dédié au travail, à la révision, à l’acquisition de compétences essentielles au parcours scolaire de l’élève, mais aussi à l’amélioration du climat scolaire et à la mise à disposition d’espaces ludiques, créatifs et sociaux. Ce deuxième point reprend l’idée de la bibliothèque troisième lieu : ce concept, apparu dans les années 80, suppose que dans la société actuelle il n’y a pas assez de lieux où se rencontrer en dehors de la maison et du travail. Appliqué aux bibliothèques ou au CDI, le concept sous-entend que le lieu doit favoriser les rencontres informelles, la convivialité, pour se situer au plus près des demandes des usagers, ceci afin de contribuer à créer du lien social et de favoriser le vivre-ensemble. Le concept est attirant, mais encore faut-il (nous l’avons déjà dit) avoir la possibilité logistique de le faire : la contrainte des espaces demeure encore et toujours prégnante ; chaque innovation dans le monde des bibliothèques semble s’orienter vers le crédo « de plus grands espaces pour de multiples usages ». Et quand c’est impossible, que doit-on faire ? Supprimer ou diminuer les espaces existants3 ?

Dans les petits CDI, il va être compliqué d’installer des fablabs, des espaces de créations et de discussions. CDI du lycée professionnel Claret (Toulon)

Mais ce n’est pas fini : il est devenu impossible, pour n’importe quel professionnel de l’éducation, de ne pas prendre en compte le contexte grandissant de la transition technologique et du tout numérique. Qu’on le veuille ou non, nous assistons à une multiplication des ressources, des outils et des pratiques exclusivement utilisables via la connexion à Internet ou à un outil numérique. La modernisation de l’école suit son cours et il est impensable qu’un élève sorte du système scolaire sans de solides bases informatiques, compétence indispensable pour tout étudiant, et même tout salarié. Mais n’est-ce justement pas cette frénésie du tout numérique qui nuit aux relations humaines, au vivre ensemble, au partage, à l’ouverture culturelle et humaniste ? Là encore il y de quoi débattre, mais la frénésie des outils numériques n’a de cesse de s’intensifier et concerne maintenant tous les âges. Il n’est pas rare de trouver, comme dans le réseau des médiathèques de Paris, des tablettes numériques à disposition des enfants pour « valoriser l’édition de littérature numérique, favoriser le divertissement et le loisir, développer des ateliers créatifs en lien avec les autres ressources de la médiathèque4 ».
Dans le même temps, on perçoit également la volonté de faire du lieu un exemple en matière d’écologie et de développement durable. Pour rendre ces deux axes compatibles, il va falloir être très inventif. Tout est sur la table et le CDI se transforme et s’adapte en fonction des sensibilités du professeur documentaliste qui généralement a toute latitude pour organiser et penser son lieu de travail. L’un de nos plus grands combats, peu importe notre ancienneté ou le type d’établissement où l’on exerce, est de parvenir à sensibiliser les chefs d’établissements et collègues sur le rôle même du CDI dont le potentiel en termes d’apprentissage et de climat scolaire est parfois sous-estimé. C’est un travail d’équipe, à inscrire dans le projet d’établissement.

Mettre le CDI à la place qu’il mérite

Une grande mission sacrée attend donc le CDI : il va s’ouvrir à tous et imposer ses fonctions et son utilité auprès des élèves et personnels. Il deviendra le lieu référence qui servira de valeur étalon au prestige de l’établissement, comme c’est le cas actuellement pour les médiathèques et leur ville. Et celui ou celle qui aura la responsabilité du lieu devra connaître les élèves ; faire preuve d’empathie et de discernement pour les accompagner dans leur parcours éducatif, culturel et citoyen ; être constamment à l’écoute des nouveautés en terme de pédagogie et d’éducation aux médias ; être force de proposition pour l’amélioration du climat scolaire ; mettre à disposition des ressources et les communiquer à tous ; permettre à l’élève de s’exprimer et encourager, valoriser son implication durant tout son parcours scolaire.
Par un concours de circonstances absolument incroyable, ce professionnel existe déjà. Bien qu’on ne le voie pas toujours.
Le CDI du futur, tant qu’il aura en son sein des professionnels dévoués et formés, continuera toujours de proposer aux élèves un accès au savoir, à la connaissance mais aussi au bien-être et à la sérénité. Le métier évoluera probablement et il est nécessaire que le professeur documentaliste obtienne la reconnaissance qu’il mérite en tant qu’enseignant, car telle est sa mission, avec un volume horaire inscrit dans le marbre et en ayant les mêmes droits que les autres professeurs. Depuis plusieurs années, nous constatons avec effroi la multiplication des fake news, de la désinformation, des problématiques de cyberharcèlement et une confusion générale concernant la liberté d’expression et de la laïcité. Or, nous sommes les plus indiqués pour enseigner l’EMI et les valeurs citoyennes aux élèves. Ne plus former, intervenir dans la classe d’un collègue de manière sporadique, mais enseigner sur la durée. Quant au CDI ? Pourquoi ne pas imaginer un volume horaire de 9 h par semaine, afin que nous ayons la possibilité de gérer le CDI malgré nos heures d’enseignement ? (Comme nous le faisons depuis toujours.) Tout cela est possible. Une fois cette reconnaissance acquise, nous serons enfin considérés non pas comme un « soutien important », une « aide précieuse », un « partenaire indispensable » (des termes condescendants auxquels nous nous sommes malheureusement habitués avec le temps), mais comme une force de décision incontournable et audible auprès de nos hiérarchies, qui nous feront confiance et nous soutiendront lorsque nous déposerons sur leur bureau le projet du nouveau CDI.
Chers élèves, collègues, chefs d’établissements et professionnels de l’éducation : nous sommes prêts à vous proposer le CDI du futur. Faites-nous confiance, écoutez-nous, soutenez-nous, vous ne le regretterez pas !

 

 

La revue InterCDI sous le regard des professeurs documentalistes stagiaires

Cinquante ans, l’âge de la maturité pour la revue InterCDI et l’occasion de se tourner vers l’avenir de la profession. Qui, mieux qu’un professeur documentaliste stagiaire, pourrait nous tendre un miroir du futur en exprimant ses attentes, ses craintes, tout en faisant émerger des problématiques professionnelles prégnantes ? Ses usages de lecture et son rapport à la revue InterCDI sont un levier d’analyse pour éclairer la manière dont les contenus de celle-ci reflètent les évolutions de notre profession et peuvent aider les jeunes stagiaires lors de leur prise de fonctions.

Nous avons mené une enquête durant le mois de janvier 2022 auprès des professeurs documentalistes stagiaires1 en formation initiale dans trois académies2. L’interrogation qui sous-tend cette enquête porte sur l’apport de la revue InterCDI à la prise de fonctions des professeurs documentalistes stagiaires en formation initiale et, en prolongement sur les évolutions du métier, le regard de la jeune génération sur la profession, préfiguré par ses attentes envers la revue.

L’enquête menée permet de dresser un panorama des habitudes de lecture et des usages d’InterCDI chez les professeurs documentalistes stagiaires. L’analyse de leurs réponses dessine par ailleurs leur vision de l’avenir de la profession et la manière dont ils imaginent leur futur CDI d’exercice. Enfin, elle nous révèle leurs attentes quant aux contenus et aux problématiques qu’ils souhaiteraient voir traités dans la revue.

Une lecture régulière de la revue, centrée sur la prise de fonctions

Une revue qui existe depuis 50 ans est-elle encore lue par la relève de la profession ? La réponse est nette : 21 personnes interrogées sur un total de 33 disent lire InterCDI. Quant à la fréquence de lecture, 18 répondants lisent tous les numéros ou a minima 2 à 3 numéros par an (sur 5 numéros annuels au total). Si 14 stagiaires affirment lire la revue seulement quand ils en ont besoin, on voit là qu’une lecture régulière et fidèle prédomine, face à un usage plus utilitaire. Si l’on affine davantage, ressortent différentes utilisations de la revue.

Qu’est-ce que la revue InterCDI vous apporte principalement ?

On s’attendrait a priori à ce que les conseils de lecture et d’acquisitions proposés par le Cahier des Livres soient la rubrique privilégiée, comme il nous semble que cela est le cas pour les professeurs documentalistes en poste depuis plus longtemps, même si cela nécessiterait une enquête spécifique sur ce profil de lecteurs. Or, cet usage se fait à la marge, pour seulement 2 stagiaires, la majorité d’entre eux préférant les ressources susceptibles de les accompagner dans leur entrée dans le métier. Ainsi, les exemples de séances pédagogiques et les conseils pour débuter dans la profession sont de loin les plus consultés (12 répondants pour chacun des volets). L’optique de la préparation au concours oriente par ailleurs, pour 7 répondants, la lecture vers les articles d’analyse en Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) et en Sciences de l’Éducation et de la Formation (SEF).
Sur les 7 répondants qui se déclarent non lecteurs, 4 expliquent leur réponse par le fait que la revue est disponible uniquement sur abonnement payant. Mais 2 d’entre eux affirment envisager de prendre cet abonnement et disent pouvoir le consulter dans le CDI de leur établissement de stage : ces réponses-là seraient donc à ajouter au pourcentage global des lecteurs de la revue. Aucun stagiaire interrogé ne remet en cause ici l’intérêt du contenu de la revue, puisque ce sont bien les enjeux financiers de l’abonnement qui semblent décider du non-usage d’InterCDI.
Enfin, cette lecture régulière et axée sur les ressources d’accompagnement à l’entrée dans le métier n’est pas exclusive et se fait de façon complémentaire avec plusieurs autres types de ressources : 13 répondants consultent en effet d’autres périodiques spécialisés en SIC ou en Sciences de l’Éducation, notamment la Revue Française des Sciences de l’Information et de la Communication3, les Cahiers pédagogiques, Médiadoc, et Lecture Jeune ; 12 utilisent les listes de diffusion et les informations circulant entre professeurs documentalistes sur les réseaux sociaux ; enfin, 9 d’entre eux parcourent régulièrement les sites spécialisés et mutualistes, tels que Docpourdocs4 et les blogs tenus par des professeurs documentalistes. On voit donc que les ressources numériques gratuites circulant grâce au partage de contenus sur les listes de diffusion, les blogs ou encore les réseaux sociaux sont tout autant consultées, voire davantage, que les publications scientifiques spécialisées payantes (21 répondants au total).
Il s’agit là d’un changement notable des habitudes de lecture qui témoigne de la prédominance des pratiques participatives chez les professeurs documentalistes stagiaires. En prolongement, on peut donc se demander quelle est la vision de l’avenir de la profession qui émerge chez les personnes interrogées.

Des répondants majoritairement optimistes et fervents défenseurs de la mission pédagogique

L’avenir est envisagé positivement par 15 répondants : 4 d’entre eux affirment tenir leur optimisme de la pluralité des missions et de la liberté pédagogique dont ils disposent qui font la richesse d’un métier singulier dont les particularités permettent, pour 2 répondants, de cultiver une relation heureuse aux élèves. Les bienfaits de la pédagogie de projets pour créer des situations d’apprentissage motivantes et collaborer avec les collègues enseignants de disciplines sont avancés par 3 répondants, de même que 2 autres soulignent les instructions récentes en matière de promotion de la lecture ainsi que les enjeux du métier en termes de culture informationnelle (…) de plus en plus valorisés dans nos sociétés.

Comment vous projetez-vous dans le futur quant à l’avenir de la profession ?

Si les répondants se déclarent majoritairement optimistes, et si 2 d’entre eux se sentent membres d’une communauté, d’un groupe soudé basé sur l’entraide et la mutualisation, leurs propos sont teintés parfois de pessimisme : 4 répondants optimistes regrettent le manque de compréhension et de reconnaissance du statut de professeur alors qu’un autre, replace son enthousiasme dans un contexte ministériel peu engageant et une morosité ambiante au sein des métiers de l’enseignement ; 4 répondants regrettent également le manque de compréhension et de reconnaissance du statut de professeur. Les stagiaires interrogés semblent se construire une identité professionnelle en fonction de ce manque de reconnaissance. « Une identité double… et trouble (…) tendue entre une identité enseignante et une identité documentaliste », pour reprendre les mots de Nassira Hedjerassi et de Jean-Michel Bazin (2013, p. 745).
Du côté des pessimistes (6 répondants), trois raisons sont avancées, à commencer par les injonctions contradictoires entre les attentes institutionnelles et sociétales, si l’on considère les enjeux de l’ÉMI face au manque de reconnaissance de leur expertise pédagogique dans ce champ. Les enjeux socio-politiques de l’ÉMI, soulignés de surcroît dans de nombreux rapports6, ne s’accompagnent pas d’une augmentation de leur marge de manœuvre pédagogique et didactique. Certains notent, par exemple, le refus ministériel de leur donner un rôle prépondérant sur la question quand 4 répondants vont même plus loin dans la critique des orientations prises par les politiques publiques éducatives en évoquant l’instrumentalisation des professeurs documentalistes et le double langage de la part de l’institution au travers de discours qui prônent l’adaptation au tout numérique sous couvert de raisons néolibérales.
La faisabilité de la mise en œuvre de l’ÉMI sur le terrain de l’établissement scolaire est également questionnée. Un répondant met en exergue les sous-effectifs, l’ampleur des missions face au manque criant de titulaires et de remplaçants, tandis qu’un autre conteste la logique de suraccumulation des tâches et semble même douter de sa capacité à mener de front l’ensemble des missions qui lui incomberont. Il se trouve selon lui face à l’impossibilité de faire davantage que du bricolage en ÉMI (…) avec un seul poste de professeur documentaliste.
Cependant les difficultés statutaires des professeurs documentalistes sont situées dans un contexte plus global, celui du système éducatif français, marqué par une dégradation des conditions de travail et des conditions de scolarisation des élèves. Les professeurs documentalistes stagiaires occupent une position singulière entre deux mondes, celui de la formation et de la professionnalisation sur le terrain de l’établissement scolaire. Cette position ne les met pas pour autant à l’abri de ce qu’ils considèrent comme un manque de considération institutionnelle.

Quelle mission du professeur-documentaliste sera la plus à défendre selon vous à l’avenir ?

Qu’ils soient pessimistes ou optimistes, 15 répondants déclarent que parmi les missions dévolues aux professeurs documentalistes, c’est la mission pédagogique qui est la plus à défendre (graphique de droite ci-dessus). Alors que nous nous attendions à une réponse affirmée d’une voix unanime, 6 répondants avancent pourtant que les missions d’ouverture culturelle (5 répondants) et de gestion (1 répondant) sont les plus à défendre. Ces réponses sont remarquables pour deux raisons : d’une part, parce qu’elles émanent de stagiaires qui se déclarent optimistes quant à l’avenir de la profession et d’autre part, parce que les missions de gestion et d’ouverture culturelle n’ont jamais été menacées par les orientations ministérielles. Comment comprendre ces positions ? S’agit-il d’une position d’opposition à l’égard d’une profession trop centrée, selon eux, sur la défense du mandat pédagogique ? S’agit-il d’une réponse en réaction à la défense du mandat pédagogique, visant à rappeler que les missions de gestion et d’ouverture culturelle mériteraient autant d’attention que la mission pédagogique ? Quoi qu’il en soit, ces répondants soulignent manifestement la pluralité des missions qui leur sont dévolues et qu’ils ont bien l’intention d’assumer.

Se projeter dans le futur CDI d’exercice

Comment les répondants se projettent-ils dans leur futur lieu d’exercice ? Comment l’imaginent-ils (position dans l’établissement, agencements intérieurs, espaces, activités qui y sont menées, etc.) ? Et que peut leur apporter la revue InterCDI à ce sujet ?
Le statut de stagiaires les place dans une position transitoire entre un lieu de stage au sein duquel ils se trouvent momentanément en responsabilité partagée avec un tuteur et leur futur lieu d’exercice. Qu’ils soient pessimistes ou optimistes, les réponses s’articulent autour de quatre points :

Un CDI, au centre de l’établissement scolaire

La notion de « centre-central-e » est invoquée par 10 répondants sur 21 pour qualifier ce lieu situé à proximité de la salle des professeurs et de la cour pour attirer les élèves. L’un d’eux élargit même cette dimension en avançant l’idée de tiers-lieu. Quel que soit le terme employé, les répondants décrivent un lieu propice aux échanges et à la construction du parcours scolaire de l’élève. Cette position centrale est également perçue à travers une logique de réseau qui relie le CDI aux autres services de l’établissement dont le service vie scolaire. Des répondants insistent sur la notion d’espace didactisé, de lieu de savoir, de carrefour pédagogique. Des expressions qui traduisent des difficultés rencontrées liées au rattachement institutionnel de l’information-documentation à la vie scolaire7, puisqu’ils expriment leur souhait d’exercer dans une relation bien comprise, connue et acceptée de la communauté éducative. Le CDI qu’ils projettent reflète leur conception d’un métier pluriel dont les missions peuvent être en tension. Cependant, 4 stagiaires refusent de se projeter. Une réaction qui est en opposition avec la vision idéalisée du CDI. Ces réfractaires préfèrent (s’)adapter aux réalités du terrain et du public de (leurs) futur(s) établissement(s) d’exercice.

Un CDI multifonction doté d’espaces modulables pour assumer les missions qui leur sont dévolues

J’aimerais, Je l’aimerais, j’espère que… Ces expressions expriment une vision idéalisée du futur lieu d’exercice. Les considérations des répondants, qui sont essentiellement matérielles, s’expriment à partir de descriptions précises : mobiliers modulables, ordinateurs en nombre suffisant, vidéoprojecteurs, accès à une salle de cours dédiée. Ils se projettent dans un lieu assez grand et adapté aux besoins des usagers. De nombreux qualificatifs sont employés pour désigner ce CDI idéal : facilement accessible, lumineux, ouvert sur l’extérieur, coloré. Dans un second temps, la problématique de la cohabitation des espaces les préoccupe en prévision des différentes activités pédagogiques et culturelles qui y seraient proposées. Espaces de lecture silencieuse (sieste contée, relaxation…), de travail de groupe, de séances pédagogiques, d’éducation aux médias (espace radio, web radio, cinéma…) cohabitent aisément avec des espaces dédiés aux jeux de société ou à la création manuelle. Se confrontent, à travers leurs propos, les réalités issues du terrain de stage avec leurs aspirations à exercer dans un lieu où ils pourront assumer, dans une certaine harmonie, toutes les missions qui leur sont dévolues.

Un CDI innovant et bien doté sur le plan matériel

Contraintes matérielles et contraintes statutaires semblent entremêlées. Les répondants perçoivent leur futur lieu d’exercice par opposition à celui qu’ils occupent actuellement, comme ce professeur stagiaire qui déplore la pauvreté de l’équipement informatique de son lieu de stage et qui espère de tout (son) cœur que l’équipement informatique de son prochain lieu d’exercice sera à la hauteur de ses attentes. Dans leur idéal, le CDI se présente aussi comme un lieu innovant sur le plan pédagogique (un FabLab pour apprendre autrement, une webTv) au sein duquel ils pourront introduire des modalités d’apprentissage alternatives plus ou moins ludiques (club, escape game). Des problématiques budgétaires sont évoquées parce qu’elles conditionnent une offre documentaire riche et multisupport, suscitant l’envie et la curiosité, et enrichie par une veille adaptée aux besoins des collègues. Lorsqu’il s’agit d’imaginer la conception du futur CDI d’exercice, la revue InterCDI constitue un réservoir de ressources, d’inspiration, d’idées, de conseils notamment pour élaborer un premier diagnostic de besoins.

L’information-documentation à l’épreuve de l’ÉMI ?

L’absence d’un mot est aussi significative que sa présence. Seuls 2 répondants conçoivent le CDI comme un lieu dédié à l’information, ouvert sur l’actualité (…) où l’élève trouve les clés de lecture et de tri de l’information. Pourtant 7 répondants sur 21 font référence à une progression des apprentissages en ÉMI pensée sur tous les niveaux avec la communauté éducative. Des contradictions ressortent des propos des répondants au sujet de l’ÉMI. Un pessimiste a une idée bien arrêtée qu’il exprime avec force et fermeté : pas d’ÉMI à l’emploi du temps (à fortiori si le décret n’est pas appliqué)8 pour favoriser plutôt les projets, tandis qu’à contrario, un autre affirme vouloir des séances d’ÉMI régulières. Dans la lignée des prescriptions institutionnelles, un professeur documentaliste stagiaire souhaite, quant à lui, accorder une place essentielle (…) au média scolaire. Ces différentes visions parfois contradictoires mettent en exergue le rapport différencié de chacun à l’information-documentation et à l’ÉMI. Le manque de consolidation épistémologique autour d’un champ disciplinaire de référence apparaît comme la raison principale de ces contradictions.
Les projections des répondants soulèvent la problématique suivante : comment un seul et même lieu, sous la responsabilité le plus souvent d’une seule et même personne, peut-il répondre à autant d’objectifs ? Les propos des stagiaires dessinent en effet un CDI polyvalent qui répond à de multiples attentes et revêt plusieurs fonctions, du lieu de détente au lieu d’apprentissage, du lieu de jeu à celui de la lecture, d’un lieu de travail individuel à celui des travaux de groupe. Cette vision multifonction du CDI n’entrave-t-elle pas celle d’un lieu qui serait identifié également comme le lieu d’exercice d’un enseignant ?

InterCDI au futur : au cœur de la construction d’un commun

Nous avons souhaité ainsi nous projeter dans ce qui pourrait constituer les sommaires à venir, recueillir la parole des professeurs et professeures stagiaires à travers l’expression de leurs attentes générales et spécifiques, percevoir distinctement les préoccupations professionnelles auxquelles la revue devra répondre ou dont elle devra se faire l’écho. Ces dernières questions ciblant précisément des thématiques ont recueilli un taux de réponses de 100 % des participants au sondage.
Ce qui fait une revue, ce sont ses lecteurs. Mais comment la revue InterCDI peut-elle se faire l’écho des préoccupations de ces derniers ? C’est une question qui n’appelle pas de réponses évidentes si l’on en juge par les 3 non-réponses (champ vide) et le « je ne sais pas » exprimés par les répondants. Ces (non-)réponses ne sont pourtant pas anodines. Révèlent-elles les difficultés des répondants à se projeter dans un avenir professionnel incertain ? Qu’ils soient optimistes ou pessimistes, leurs réponses se rejoignent et s’entremêlent autour de trois éléments.

Fournir une banque de données d’idées en donnant la parole aux lecteurs

Se faire l’écho d’une profession suppose de donner la parole aux lecteurs. La revue devrait, tout d’abord, contribuer à la construction d’une culture professionnelle commune en proposant des idées, des témoignages, des comptes rendus d’expériences qui nourrissent les pratiques de terrain. Ainsi, 1 répondant attend des contenus qui activent la créativité de notre profession tandis qu’un autre cherche un espace de réflexions qui reflète autant les réalités de terrain que les débats en cours interrogeant l’avenir du métier. La confrontation de points de vue à travers des regards croisés de chercheurs et de praticiens mais aussi ceux de responsables politiques et syndicaux, ajoute ce répondant, semble un gage de qualité pour une revue qui reflète une profession plurielle. Par ailleurs, 3 répondants suggèrent que la revue accorde plus de place aux lecteurs et à leurs questionnements9 alors qu’un autre pense que les élèves pourraient, eux aussi, y trouver leur place.

Offrir un décryptage de l’actualité et mettre en exergue les préoccupations et revendications de la profession

Les problématiques statutaires, les conditions de travail des professeurs documentalistes et les thématiques sensibles comme la prime informatique devraient faire l’objet de décryptage. Certains répondants suggèrent que des tribunes, des débats, des chroniques et portraits puissent refléter les richesses autant que les difficultés que rencontre la profession. D’autres proposent que ces décryptages portent sur les tweets de profdocs qui sont très actifs sur les réseaux sociaux et, à une échelle plus générale, que la revue puisse proposer des analyses fines des projets de lois en éducation et leurs conséquences sur les enseignants et les élèves. L’idée sous-jacente à ces propositions étant d’élargir l’horizon des lecteurs au-delà de la profession. Une revue professionnelle comme InterCDI s’inscrit effectivement dans un réseau de moyens d’information sur la profession. Elle cohabite avec d’autres revues comme Médiadoc, la revue associative et militante de l’APDEN, avec des sites institutionnels dont SavoirsCDI ainsi que des espaces collaboratifs et de mutualisation qu’offrent les médias sociaux, les listes de diffusion académiques et nationales, les blogs et sites personnels ou associatifs dédiés à la profession à l’instar de Docpourdocs.

Suivre les avancées de la recherche

Les SIC constituent le champ de référence de l’information-documentation. L’intérêt de la revue pour les avancées de la recherche scientifique dans ce champ autant que dans celui des SEF favorise la réflexion sur une épistémologie de l’information-documentation. Ainsi, 1 répondant affirme que les articles des chercheurs lui permettent de se maintenir au niveau.
Les apports de la recherche publiés dans la revue sont mentionnés à 2 reprises pour la démarche réflexive qu’ils permettent d’engager. Et 5 répondants expriment le souhait d’une revue permettant d’allier théorie et pratique, et de suivre les développements de la recherche notamment en information documentation pour réfléchir à une didactisation en lien avec une pédagogie de l’ÉMI.

S’informer pour former aux enjeux actuels de l’ÉMI, préparer la prise de fonctions

Interrogés sur les thèmes qu’ils souhaiteraient voir traités dans la revue, les enseignants stagiaires ont plébiscité des thématiques actuelles d’éducation à l’information et aux médias : les pratiques informationnelles sur les RSN et la protection des données, l’identité numérique, le monde numérique, le jeu vidéo, la parentalité numérique, l’éducation à l’image, le rapport des jeunes à la presse et à l’information d’actualité, les compétences psycho-sociales et le développement de l’esprit critique. Parallèlement, ils souhaitent que la revue leur propose des pistes pour améliorer leur prise de fonctions : l’insertion dans l’équipe pédagogique, la conception de progressions des apprentissages informationnels et de leur évaluation, la mise en œuvre de partenariats, l’accompagnement des parents. Une mention est faite à l’art contemporain comme thématique à traiter.
Ces réponses sont issues d’une projection dans un futur immédiat. Un commentaire le souligne ainsi je débute, j’ai besoin d’être informée dans tous les domaines. Elles soulignent aussi l’importance que revêt pour eux la mission d’enseignement.

Une lecture d’InterCDI régulière, axée sur les articles théoriques et sur les ressources pédagogiques plutôt que sur les critiques littéraires du Cahier des Livres et des attentes envers la revue, tournées essentiellement sur l’accompagnement à la prise de fonctions : les répondants débutent dans le métier et voient à juste titre dans InterCDI une manne d’informations et de conseils à même de les aider dans leur début de carrière. S’ils sont majoritairement optimistes quant à l’avenir de la profession, des inquiétudes percent malgré tout, notamment à propos du manque de reconnaissance de l’institution. Leur CDI idéal serait central, innovant, modulable mais finalement si polyvalent qu’il s’éloignerait presque de sa fonction première de lieu dédié à l’information. En parallèle, les répondants attendent de la revue ce qu’ils retrouvent sur les réseaux sociaux professionnels qu’ils utilisent beaucoup : davantage de participation des lecteurs, de mutualisation de supports pédagogiques et d’agrégation d’idées, notamment en se faisant le relais des professeurs documentalistes actifs sur les blogs et les RSN, mais aussi l’écho des revendications militantes avec des plumes plus pamphlétaires. L’appel est donc lancé ici à de nouveaux contributeurs et la réflexion ouverte pour créer des rubriques inédites. Cinquante ans après sa création, InterCDI entend rester une revue tournée vers l’avenir, à l’écoute de ses lecteurs pour continuer à écrire ensemble les Communs de l’information-documentation.
Ainsi, du Commun au collectif, comme cette répondante l’affirme, la revue permet de ressentir la notion de collectif de la profession car si pour l’instant je suis accompagnée de ma tutrice et mes formatrices, l’année prochaine sera le grand bain en solo.

 

Mathilde 2032, la professeure documentaliste du futur ?

L’année dernière, lors des réunions de bassin, dans son académie de Dijon, ses collègues plus âgées lui ont dit la chance qu’elle avait d’arriver maintenant dans le métier. On discute beaucoup de cette révolution institutionnelle qui, en 2029, deux ans après l’élection présidentielle, a rebattu les cartes. La suppression de l’inspection générale et des inspections académiques, la mise en place de directions d’enseignement avec des personnalités compétentes dans leur domaine, avec des directions académiques… Que de changement, que de progrès, dont Mathilde n’a pas forcément conscience. Ses collègues, elles, ont été particulièrement bousculées dans leurs habitudes, avec un temps nécessaire de transition, quelques craintes aussi, de la colère parfois.

En ce mardi matin de septembre, avant deux séances en troisième au sujet des traces numériques, Mathilde enregistre quelques documents dans le nouveau logiciel documentaire développé conjointement par le ministère de la Culture et le ministère de l’Enseignement, à destination de l’ensemble des établissements publics. L’outil en ligne PubliDocs est adapté selon la structure, et Mathilde, en scannant simplement le code-barre de chaque document, voit les notices et les exemplaires se créer automatiquement à partir d’une base nationale gérée par la Bibliothèque nationale de France. En relation avec la direction numérique de chaque académie, qui ne s’occupe que de mettre en place les outils et environnements techniques nécessaires aux enseignants, chaque académie dispose d’un data center, financé par l’État, qui permet de mettre à disposition de tous les établissements l’outil PubliDocs, relié à la base documentaire globale, le tout gratuitement à tout niveau pour les professeurs documentalistes notamment. Au début, c’était difficile pour beaucoup d’abandonner le principe de créer les notices, mais les collègues s’y sont fait, d’autant qu’on a toujours la main pour créer son propre résumé.

Mathilde a commencé à explorer les opportunités de ce petit data center académique et les options pédagogiques qui s’offrent à elle. Ainsi dispose-t-elle d’un nombre illimité de bases de données, d’espace numérique, afin d’installer, si besoin, les logiciels en ligne agréés par la Direction du numérique éducatif. Elle a appris que l’arrivée progressive de promoteurs du libre dans les arcanes ministériels avait permis, lentement mais sûrement, d’arriver à cette solution. Elle prévoit ainsi cette année de développer un serveur spécifique à l’établissement pour l’hébergement et le contrôle de vidéos produites avec ou par des élèves, avec une gestion avancée et automatisée du droit à l’image afin de régler la publication et son arrêt dans le temps, par exemple. De même, souhaite-t-elle, si elle en trouve le temps, continuer les sessions de radio en directe, qu’avait initiées son prédécesseur, via un outil de diffusion déjà installé et prêt sur cette plateforme.

Le catalogue commence à être large, après deux années difficiles pour étudier au niveau national chaque application candidate ainsi que les conditions de la pérennité des autorisations, tant les moyens de piratage de données progressent aussi vite que les moyens de leur sécurité. Mathilde n’est pas au fait de ces questions techniques, mais elle sait qu’elle peut compter sur son collègue Mathieu, en service à temps plein dans le collège, pour gérer l’ensemble du parc informatique, administratif et pédagogique, en support également, une journée par semaine, pour faire le tour des écoles maternelles et élémentaires. Il n’est pas particulièrement au fait des logiciels éducatifs, initialement, mais il commence à se familiariser avec les besoins bien particuliers des enseignants, il est arrivé en même temps que Mathilde dans l’établissement.

Il n’a d’ailleurs pas vraiment beaucoup de temps pour découvrir tout cela, avec, pour le collège, tout de même la gestion d’une salle informatique et de trois charriots d’ordinateurs portables, le tout sous Ubuntu 32.10. avec un système d’exploitation et un nombre de machines en adéquation avec le cahier des charges national d’équipement. Mathieu vient souvent dans les classes pour épauler les enseignants, à la demande.

Mathilde garde encore à portée de mains ses cours de préparation au Capes en information-documentation, en particulier sur des aspects info-documentaires qui ont trait à la programmation, à la gestion des données, à leur organisation, à l’utilisation des langages d’affichage du Web. Alors qu’elle venait d’une filière littéraire et qu’elle gardait l’image de professeurs documentalistes qui enseignaient la recherche d’information et les médias d’actualité, elle a découvert, lors de ces formations, que le métier comprenait aussi logiquement un champ important de compétences numériques, qu’elle a bien compris qu’il fallait maîtriser pour une transmission a minima de compétences à ses élèves. Elle a vu, en préparant l’écrit, que les enseignements avaient évolué dans les années 2010, avec une tendance à l’enseignement de l’informatique, au détriment de la culture de l’information et des médias, puis que les réformes de 2029 avaient rétabli un équilibre entre les différentes spécialités. L’institution, à l’écoute du terrain, avait pu constater que la « Culture technique du numérique », discipline qui a changé plusieurs fois de nom, ne tenait pas suffisamment la route pour ce qui concernait justement les pratiques de recherche ou l’usage des médias. Elle a pris goût à ce sujet ; elle voit bien que ce n’est pas le cas de tous ses camarades de formation.
Ce qui est agréable et réaliste avec la refonte institutionnelle de l’Enseignement, c’est que les nouvelles équipes académiques, spécialisées, sont à même de développer des outils travaillés sur le terrain, dans les classes, qui permettent des enseignements associés aux nouvelles technologies, sans que les professeurs documentalistes, notamment, soient des experts. Ainsi, dans les académies de Lyon et de Normandie, qui œuvrent de concert, on travaille autour de simulations de réseaux sociaux, de moteurs de recherche, de catalogues documentaires, afin d’apprendre aux élèves, en activité, la face cachée, le fonctionnement technique de ces outils, et ainsi de mieux en découvrir les enjeux et ce qu’ils supposent comme questionnements. Ce peut être frustrant pour certains souhaitant se spécialiser dans ce type de travail, Mathilde s’en rend compte, par exemple, il faut être de l’académie de Bordeaux ou de Limoges pour travailler sur des projets de lecture à ampleur nationale. Mais il semble tout de même que la profession apprécie dans son ensemble cette organisation, selon la dernière enquête de l’Apden dont Mathilde vient de prendre connaissance.

Elle a d’ailleurs ouvert ce matin un onglet dans son navigateur pour adhérer à cette association professionnelle, particulièrement active dans son académie et dont ses responsables d’enseignement académiques ne lui ont dit que du bien. C’est tôt pour elle, dans sa carrière, de s’engager dedans, mais elle a l’impression que c’est important déjà de s’y intéresser. C’est dans cette même logique qu’elle prévoit dans la semaine d’adhérer, pour la première fois, à un syndicat. Elle hésite entre les deux seuls qui n’ont pas freiné des deux fers devant la réforme ; les deux seuls qui l’accompagnent pour faire évoluer la profession. Elle essaie de trouver le temps de voir les différences entre les deux, ce n’est pas si simple en pleine rentrée mais elle ne veut pas oublier ce sujet, comme ce fut le cas l’année passée. Elle sait qu’ils ne sont pas toujours parfaits, mais que, sans eux, elle n’aurait pas de bibliothécaire scolaire pour l’aider et développer ses différents projets culturels, que, sans eux, elle ne pourrait pas comptabiliser ses heures d’enseignement comme telles.

Mais pour l’heure, elle tient à vérifier sur l’outil collaboratif du collège comment sont développées les compétences en Culture de l’information et des médias que ses collègues, selon leur progression, ont indiquées de manière indicative sur l’environnement numérique de travail. Depuis que celui-ci est développé uniformément au niveau national, par des équipes académiques dédiées, hébergé comme les autres logiciels dans le data center de chaque rectorat, les outils pratiques se multiplient, pensés par et pour le terrain, avec une vraie ergonomie. De cela aussi les collègues lui ont parlé l’année dernière, du bonheur de professeurs d’autres disciplines qui ne rechignent plus, comme ce pouvait être le cas auparavant, à utiliser les outils numériques pour mieux s’organiser. Cela permet ainsi à Mathilde (elle regardera l’outil à chaque trimestre) de constater que cette culture reste peu développée dans les autres disciplines, mais qu’elle peut tout de même parfois s’appuyer sur ce que font les autres, et le mentionner aux élèves. Le cahier des charges pour le nombre d’heures prend en compte ces autres enseignements, ainsi que la collaboration parfois. Pour l’instant, elle a du mal à faire sa place à ce sujet, mais elle ne perd pas espoir, et malgré tout elle a beaucoup de latitude pour gérer la plupart des apprentissages seule.

La prochaine réunion de bassin, juste après les vacances d’automne, sera justement consacrée à l’organisation d’une progression à l’année pour la Culture de l’information et des médias, avec un travail préalable de prospection par les deux animatrices du groupe, sur les réseaux en ligne notamment. Si les grands-parents utilisent encore beaucoup les listes de diffusion par courriel, si les parents utilisent toujours les groupes Facebook, de son côté Mathilde, en tant que petite-fille dans le métier, ne jure que par LetShare, réseau d’un nouveau genre créé en 2031. Mélange de l’existant, le réseau détonne par sa capacité à tout agglomérer, avec des flux personnalisés, des messageries synchrones et asynchrones, des murs différents selon chaque centre d’intérêt que l’on définit, sous forme de modules que l’on affiche comme on le souhaite, avec une interaction, des liens, entre chaque module, des entrées par groupes de travail, par individus, de manière plus ou moins automatisée, selon ce qu’on souhaite. Certes, il faut s’asseoir sur le contrôle de ses données personnelles, la formation à leur maîtrise n’en est que plus essentielle, mais sur tous les plans, Mathilde estime que c’est l’idéal. Le risque, plus important que lorsqu’elle utilisait Whastapp et Facebook associés, c’est de se retrouver nez à nez sur le réseau avec des élèves, tant les cloisons sont minces avec ce nouvel outil, qui automatise trop, au goût de tous, les relations « intelligentes » entre utilisateurs.

Malgré une politique gouvernementale de promotion pour la sobriété numérique, force est de constater que les enfants ont le smartphone greffé au corps. Ce n’est pas obligatoire mais l’essentiel des établissements a pris la même décision que celui de Mathilde, en tout cas en collège, brouiller le réseau 4G mais permettre une connexion par Wi-Fi, avec un filtrage alors dans cette connexion. Les personnels enregistrent leur smartphone dans un registre, qui leur permet de ne pas être concerné par ce filtrage, de même que sur leurs ordinateurs de bureau. C’est ce qui leur permet d’être respectés en tant qu’adultes responsables, mais aussi de présenter en classe des documents qui ne sont pas aisément accessibles aux élèves. Ainsi les réseaux sociaux sont proscrits sur le réseau Wi-Fi, les soucis sont malheureusement trop nombreux pour les laisser libres d’accès dans le cadre de l’école, mais ils peuvent être étudiés en classe.

Elle a hâte, d’ailleurs, de commencer sa séquence sur les traces numériques ; elle a repris la veille les simulations à présenter aux élèves, elle a vérifié la pertinence des documents de travail qu’elle compte leur remettre, elle a relu quelques fiches du Wikinotions hébergé sur le site du ministère de l’Enseignement et géré par l’équipe académique de l’académie de Toulouse. Elle se sent à la fois prête et anxieuse, elle en est encore à ses débuts, parfois impressionnée par les élèves. Elle se sent prête, mais craint déjà les questions pièges d’adolescents qui pratiquent beaucoup, qui en savent parfois aussi beaucoup, à leur manière, par petites touches.

Elle doit participer jeudi à une visioconférence, depuis son collège, avec trois collègues des deux collèges les plus proches, sur ce sujet des connaissances des élèves en la matière et sur ce qu’on peut en faire dans le cadre de séquences pédagogiques. Cela durera deux heures, c’est la première fois qu’elle participe à un tel événement national, avec les dernières recherches de la réputée et expérimentée Anne Le Deuff, et surtout un discours préliminaire du directeur national de l’information-documentation, Olivier Cordier, qu’elle a lu déjà sans trop savoir à quoi il ressemble.

Mathilde a d’un coup un grand sourire qui se dessine sur son visage, capté par une élève de sixième là devant elle en étude. Elle exprime sa satisfaction devant la tâche professionnelle qui l’attend, devant ces perspectives. Elle s’éloigne ainsi de ce rêve étrange qu’elle a fait la nuit dernière : elle se réveillait alors un matin de 2022 et se retrouvait arriver dans son collège, à devoir organiser la distribution des manuels scolaires, à batailler pour trouver les heures afin de proposer des animations pédagogiques, à patienter depuis trois jours avant de voir se débloquer l’accès à un site web à visualiser avec les élèves… Un cauchemar qu’elle repousse maintenant symboliquement d’un geste de la main.

Bibliothèque de Tianjin en Chine – Créative Commons CC0 1.0

 

Entre modestie et résistance : la mise en mots du décret sur les ORS¹

Introduction

Les professionnels de la documentation occupent une place stratégique et centrale au sein des organisations en raison de leur niveau de formation et de la relation privilégiée qu’ils entretiennent avec l’information, à savoir leur « sensibilité informationnelle » pour reprendre l’expression de Claude Baltz (2003, p. 152). En tant qu’experts de la pédagogie de l’information-documentation, centrés sur l’éducation des élèves, les professeurs documentalistes sont également sensibles au contexte actuel de l’information et de ses désordres, auxquels s’ajoutent la crise sanitaire et son lot de désinformation. Sur le terrain de l’établissement scolaire, leur mandat pédagogique n’a jamais trouvé autant de légitimité à s’exercer. Un mandat conforté par leur circulaire de missions réactualisée en 2017 qui place, en premier axe, leur fonction d’« enseignant et maître d’œuvre de l’acquisition par tous d’une culture de l’information et des médias2 » en reconnaissant ainsi leur expertise pédagogique dans le champ des Sciences de l’information et de la communication (SIC). À ce titre, ils forment « tous les élèves à l’information documentation » en tant que champ d’intervention distinct de l’ÉMI. Le décret sur les ORS3 devrait conforter la légitimité de ce mandat pédagogique, mais comment s’applique-t-il sur le terrain de l’établissement scolaire et selon quelles modalités ? Sept ans après la parution du décret, où en sont les professeurs documentalistes à ce sujet ? Pour le savoir, nous avons envoyé un sondage anonyme sur les listes de diffusion académique et nationale des professeurs documentalistes à la suite duquel nous avons recueilli 276 réponses4. Nous préciserons tout d’abord le profil des répondants avant de proposer, ensuite, une lecture explicative du décret à partir de leurs témoignages. Leurs mots, qui constituent la matière première de notre réflexion, conduiront le lecteur, dans un dernier temps, à entrer en profondeur dans les résultats du sondage. Entre modestie et résistance, la mise en mots du décret sur les ORS dit « quelque chose » de la manière dont les professeurs documentalistes se perçoivent et se considèrent comme enseignants.

Qui sont les 276 répondants ?

En raison de la période chargée de fin d’année scolaire, nous avons opté pour un sondage court et articulé uniquement autour de deux questions : une question fermée, afin d’identifier le type d’établissement des répondants et une question ouverte visant à recueillir leurs témoignages spontanés :
« Appliquez-vous le décret ORS dans votre établissement ? Si oui, merci d’indiquer de manière explicite les modalités de son application (récupération horaire hebdomadairement, mensuellement, en fin d’année, paiement en heures péri-éducatives, autres…). Si non, merci d’indiquer explicitement les obstacles que vous rencontrez quant à son application. »
172 répondants sont professeurs documentalistes en collège, 50 exercent en lycée général et technologique, 26 en lycée professionnel et 28 au sein de structures mixtes.
Nous les avons répartis en trois catégories :
– 60 % déclarent ne pas appliquer le décret sur les ORS. Ce chiffre est identique à celui obtenu par le SNES à la suite de l’enquête menée en janvier-avril 20205.
– 31 % déclarent l’appliquer.
– 9 % ne répondent pas précisément à la question : oui et non, partiellement, occasionnellement, en partie, à demi, officieusement…
Le graphique ci-dessous indique la répartition des trois catégories en fonction du type d’établissement.

Graphique. Les 276 répondants appliquent-ils le décret sur les ORS ?

Décryptage, précisions et éclairages

J’ai mis le BOEN en copie au chef d’établissement, la première fois, il a répondu que c’était statutaire et ne s’y opposerait pas. Prof doc en lycée général et technologique

Le décret du 20 août 2014 relatif aux ORS des enseignants est un acte réglementaire pris par le gouvernement et signé du Premier ministre. En tant que représentant de l’État, le chef d’établissement est le garant de l’application des textes normatifs au sein de l’établissement scolaire. Ce décret abroge celui de 1950 qui régissait jusqu’alors le statut et les services des enseignants en incluant désormais les professeurs documentalistes dans un texte commun à tous les enseignants. Leur service hebdomadaire y est clairement défini. Nous soulignons cette avancée même si l’application du décret peut se révéler inégale sur le terrain ; nous y reviendrons dans un instant.
L’article 2 du décret définit ensuite les obligations réglementaires de service qui diffèrent selon le corps des enseignants [certifiés, agrégés, professeurs de lycée professionnel (PLP), professeurs des écoles (PE), professeurs d’éducation physique et sportive (EPS)] puis, par dérogation à ces obligations, l’article précise les dispositions particulières qui s’appliquent aux professeurs « de la discipline de documentation » :
« Par dérogation aux dispositions des I et II du présent article, les professeurs de la discipline de documentation et les professeurs exerçant dans cette discipline sont tenus d’assurer : – un service d’information et documentation, d’un maximum de trente heures hebdomadaires […] ­– six heures consacrées aux relations avec l’extérieur qu’implique l’exercice de cette discipline6. »
Qu’ils soient ainsi certifiés (18 h) ou agrégés (15 h), recrutés par la voie du CAPES de documentation ou non, les professeurs documentalistes doivent un service hebdomadaire de 30 h dans l’établissement. Le décret prend donc en considération le fait que de nombreux enseignants de corps différents (PLP, PE, EPS…), déjà titulaires d’un autre concours, se sont orientés vers la documentation.

Qu’est-ce qu’une « heure d’enseignement » ?

Je souhaitais récupérer mes heures pédagogiques, nous avons eu un désaccord avec le chef d’établissement. L’inspectrice a tranché : seules les heures d’AP, inscrites à l’emploi du temps des élèves, peuvent être récupérées. Je n’interviens pas dans le cadre de l’AP. Prof doc en collège

La mention « heure d’enseignement » apparaît officiellement dans le décret :
« Ce service peut comprendre, avec accord de l’intéressé, des heures d’enseignement. Chaque heure d’enseignement est décomptée pour la valeur de deux heures pour l’application du maximum de service prévu à l’alinéa précédent7 ».
L’information-documentation n’étant pas une discipline institutionnalisée, cette mention peut effectivement prêter à confusion comme en témoigne ce prof doc en collège. Pour la préciser, un détour par la circulaire d’application du décret du 29 avril 2015 semble nécessaire. Celle-ci précise que les heures d’enseignement correspondent « aux heures d’intervention pédagogique devant élèves telles qu’elles résultent de la mise en œuvre des horaires d’enseignement définis pour chaque cycle », et ce, « quel que soit l’effectif du groupe d’élèves concerné8 ». Conséquemment, et compte tenu de la situation singulière des professeurs documentalistes, nous définissons la mention « heure d’enseignement » comme une heure de face à face pédagogique devant élèves, prévue dans les grilles horaires du cycle, quel que soit le nombre d’élèves, en présence ou en l’absence d’enseignants disciplinaires, dans ou hors du CDI. Le décret étant silencieux sur ces deux derniers points, il convient d’envisager ces éventualités.
Si l’on s’en tient alors à la définition du décret de 2014 et de sa circulaire d’application de 2015, les « heures d’enseignement » des professeurs documentalistes ne dépendent absolument pas d’un quelconque emploi du temps hebdomadaire CDI inscrit à l’emploi du temps des élèves. Une précision s’impose, puisque cet élément peut constituer un point de désaccord entre les professeurs documentalistes et leur hiérarchie comme en témoigne le prof doc en collège. L’information-documentation n’étant pas une discipline institutionnalisée, elle n’a donc pas d’horaire d’enseignement dédié pour chaque cycle. Par conséquent, et pour être en cohérence à la fois avec le décret sur les ORS et la circulaire de missions, un professeur documentaliste qui assure une heure d’enseignement devrait se trouver alors :
– en face à face pédagogique devant élèves, ce qui signifie en situation de transmettre des notions info-documentaires qui visent l’appropriation de savoirs et de compétences propres à « une culture de l’information et des médias » lesquels sont inscrits dans les programmes disciplinaires ;
– en face à face pédagogique sur une heure dédiée à un enseignement disciplinaire et/ou aux dispositifs éducatifs officiels tels que les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) en collège, l’Accompagnement Personnalisé (AP) en collège et en lycée ou le chef d’œuvre en lycée professionnel.
Nous savons pourtant que, dans les faits, des professeurs documentalistes obtiennent des heures dédiées ajoutées à l’emploi du temps des élèves. Mais ce cas n’est pas pris en considération par le décret sur les ORS. Situer son action pédagogique dans ce cadre revient, dès lors, à prendre un risque, puisque la récupération des heures d’enseignement effectuées pourrait être acceptée ou refusée selon la volonté du chef d’établissement. Inscrire son action pédagogique dans des horaires « officialisés », dédiés aux enseignements disciplinaires et/ou aux dispositifs éducatifs, revient ainsi à limiter ce risque en situant son intervention pédagogique « dans la norme » édictée par le décret.

1 heure d’enseignement effectuée = 2 h de récupération sur le service hebdomadaire de 30 h

Je suis dans un établissement de près de 700 élèves. La Principale voulait que je prenne les 6e toute l’année. Je lui ai dit OK si j’applique le décret (même si je ne demandais pas 7 heures de récup, donc 7 h de fermeture du CDI), elle m’a rétorqué que ce décret ne s’appliquait pas pour ces heures de 6e. Elle refuse également que je fasse une banque de temps pour récupérer quand il y a moins de travail. Concernant les heures faites avec mes collègues, jamais je n’ai décompté. Prof doc en collège

Le décret sur les ORS précise enfin qu’1 heure d’enseignement devant les élèves vaut 2 heures « de service de documentation et d’information ». Chaque heure d’enseignement effectuée étant ainsi décomptée pour la valeur de 2 heures du service hebdomadaire de 30 h. Le prof doc en collège déclare, ci-dessus, assurer 7 heures d’enseignement par semaine. Si le décret s’appliquait « strictement », les 7 heures d’enseignement comptant pour 14 h de service, ses obligations hebdomadaires passeraient donc de 30 h à 23 h9. Ce témoignage n’est pas le seul à soulever les difficultés d’application du décret et notamment l’impossibilité d’une application « stricte ». D’autant plus qu’un seul poste de certifié de documentation à 30 h ne permet déjà pas une ouverture du CDI sur l’ensemble des horaires d’ouverture de l’établissement. Pourtant 31 % des répondants déclarent appliquer ce décret. Comment s’y prennent-ils alors ? Pour le savoir, entrons plus en profondeur dans les résultats du sondage.

Entre application officielle et petits arrangements officieux

Application officielle : bricolages et braconnages

Oui. Temps de présence prévue de 28 h hebdomadaire au lieu de 30 h et souplesse d’emploi du temps en fin d’année quand il n’y a plus d’élèves. (C’est en théorie, parce qu’en pratique, j’ai bien du mal à ne pas faire beaucoup plus d’heures). Prof doc en lycée général et technologique

L’expression « application officielle » désigne une application du décret qui fait l’objet d’un accord établi et reconnu dont les modalités sont acceptées par le chef d’établissement et le professeur documentaliste puis diffusées à l’ensemble de la communauté éducative. Une diversité de modalités d’application ressort des témoignages des répondants qui affirment appliquer le décret sur les ORS :


– 60 % disent effectuer une récupération hebdomadaire : leurs services se situant entre 24 h minimum et 28 h maximum au lieu de 30 h ;
– 16 % déclarent récupérer leurs heures durant les derniers jours de l’année. Parmi-eux, 4 répondants disent juxtaposer cette récupération en fin d’année scolaire avec un décompte hebdomadaire à l’instar de ce prof doc en lycée général et technologique ;
– 11 % déclarent être payés en heures supplémentaires (notamment en lycée), en heures péri-éducatives, en heures de vacation ou en heures dédiées à des dispositifs tels que devoirs faits (notamment en collège)10. Parmi-eux, 2 répondants disent juxtaposer une récupération hebdomadaire avec un paiement en heures péri-éducatives ;
– 9 % déclarent ensuite capitaliser leurs heures sous la forme d’un « réservoir » dans lequel ils piochent, au coup par coup, en fonction de leurs besoins, sous la forme d’une demande d’autorisation d’absence sans récupération. Un professeur documentaliste en collège nous en donne une illustration précise :

Chaque fin de mois, je fais un bilan écrit à mes chefs d’établissement des heures d’enseignement effectuées. Ces heures constituent un «réservoir» dans lequel je pioche en cas de besoin : absence maladie d’une journée, absence personnelle, arrêt quelques jours avant la fin de l’année… Concrètement, cette année, j’en ai récupérées environ 40 %. Prof doc en collège

Parmi-eux, 3 répondants affirment cumuler ce réservoir avec un décompte hebdomadaire.
– 2 % enfin disent récupérer mensuellement et trimestriellement leurs heures mais sans préciser le volume horaire global récupéré.
Alors même que ces professeurs documentalistes disent appliquer le décret sur les ORS, certains soulèvent par ailleurs les difficultés rencontrées face à un texte impossible à appliquer à la lettre qui génère des inégalités de traitement au sein de la profession. 9 % considèrent que l’application du texte dépend, d’une part, du bon vouloir du chef d’établissement et qu’il convient, d’autre part pour 5 % des répondants, de renégocier à chaque changement de direction. Cette situation conduit les professeurs documentalistes à toute sorte de bricolages, sous la forme d’empilement de modalités de récupération pour faire valoir leur droit à la reconnaissance des heures d’enseignement effectuées. Si le décret fait mention explicitement d’une récupération hebdomadaire, force est de constater que des modalités d’application variées sont mises en œuvre. Cette diversité témoigne de braconnages, à savoir de manières de faire singulières et originales en fonction des réalités concrètes de terrain et de la place de chacun au sein de son établissement scolaire. Des braconnages qui peuvent conduire à la résistance face aux difficultés d’application du décret comme l’illustrent les propos des répondants de la troisième catégorie (voir graphique supra).

Application « officieuse » : des braconniers ou des résistants ?

Oui je récupère 2 h dans mon emploi du temps hebdomadaire, sans accord préalable de la direction, qui ne m’a jamais fait de remarque à ce sujet. Prof doc en lycée général, technologique et professionnel

9 % des sondés ne répondent pas précisément à la question posée relative à l’application ou pas du décret. Dans cette troisième catégorie, des témoignages font état de récupérations horaires « officieuses » dont le prof doc en lycée ci-dessus. Finalement, que peut-on opposer à un enseignant qui ne fait qu’appliquer la loi ? 24 % des répondants de cette catégorie déclarent effectuer un décompte hebdomadaire et, parmi-eux, 16 % précisent que ce décompte est de 28 h/semaine au lieu de 30 h. Un sentiment de colère et d’injustice s’exprime à travers leurs témoignages face à un statut bâtard, à l’invisibilité de leur travail, de leur fonction, et face à ce qu’ils ressentent comme du mépris. Cette colère conduit certains d’entre eux, dont ce prof doc en lycée, à développer des stratégies de résistance qui sont le signe du combat mené sur le terrain pour faire valoir leur droit à la reconnaissance de leur mandat enseignant au prix de petits arrangements officieux avec le chef d’établissement qui prennent la forme d’accords ponctuels et tacites demeurant néanmoins fragiles car non pérennes. En effet, ces répondants savent parfaitement qu’en cas de changement de direction, les compteurs seraient remis à zéro les obligeant, sans doute, à entamer de nouvelles négociations.
Toutefois ces petits arrangements officieux ne sont pas propres à cette troisième catégorie puisque 4 % des répondants, qui déclarent ne pas appliquer le décret, font état de récupérations horaires sans accord « officiel » avec leur hiérarchie. Zoomons sur la catégorie la plus importante de notre échantillon.

Quels sont les éléments qui font obstacle à l’application du décret ?

(S’est) rendu coupable de fermer le CDI aux usagers

J’hésite beaucoup à demander l’application du décret car je rechigne à fermer le CDI pour compenser des heures d’enseignement qui ont déjà impliqué une fermeture du CDI au grand public pour des séances prévues avec des classes : cela fait un peu «double peine» pour les autres élèves qui peuvent avoir le sentiment de voir tout le temps le CDI fermé ! Ce décret n’est donc pas forcément la meilleure approche. Prof doc en collège

60 % des répondants déclarent ne pas appliquer ou ne pas parvenir à obtenir l’application du décret. La question de l’ouverture du CDI demeurant le point de discorde principal entre chefs d’établissements et professeurs documentalistes dans les négociations portant sur cette application. 26 % n’appliquent pas le décret en raison du refus du chef d’établissement tandis que 25 % affirment refuser volontairement cette application à cause de la fermeture du CDI qu’elle occasionnerait. Le témoignage ci-dessus illustre parfaitement cette situation. Le dilemme auquel est confronté tout professeur documentaliste qui souhaite appliquer le décret, entre l’accueil des usagers – qui le contraint alors à limiter les temps de fermeture du CDI – et la reconnaissance de sa fonction enseignante – mais sans pour autant léser les usagers – se traduit par l’expression d’un sentiment de culpabilité qui peut le conduire à une forme d’auto-censure. Ce sentiment de culpabilité n’est cependant pas l’apanage des 60 % qui déclarent ne pas appliquer le décret puisque parmi ceux qui disent l’appliquer, la fermeture du CDI reste encore une préoccupation majeure :

Je compte les heures à priori pour l’année (projets, EPI, AP) et je répartis. Je m’arrange pour ne pas trop dépasser (environ 80 heures) afin de ne pas trop fermer. Je répartis les fermetures 1 h/jour et 2 heures le vendredi pm. Prof doc en collège (qui applique le décret)

Ce prof doc en collège détaille ainsi les stratégies de comptage opérées pour minimiser l’impact de sa récupération sur l’ouverture du lieu. Si une application « stricte » du décret paraît difficile, faut-il pour autant que les professeurs documentalistes renoncent à faire valoir leur droit à la reconnaissance des heures d’enseignement effectuées ? L’application du décret semble s’accompagner d’une réflexion qui porte, d’une part, sur l’appartenance du professeur documentaliste au lieu CDI (qui revient à confondre le lieu et la personne), et d’autre part, sur les obstacles à l’exercice de son mandat pédagogique qui sont induits par l’amalgame de son temps de service avec l’ouverture du lieu. Les professeurs documentalistes sont-ils les seuls habilités à ouvrir et fermer le CDI pour en assurer la fonction d’accueil ? Portent-ils seuls la responsabilité de cette « double peine », exprimée par le prof doc en collège, en introduction de cette partie, ou s’agit-il plutôt d’une responsabilité partagée qui incomberait en premier lieu au chef de l’établissement ?
Si la circulaire de missions précise que « les heures d’enseignement sont effectuées dans le respect nécessaire du bon fonctionnement du CDI », elle ne dit pas, en revanche, que ce « bon fonctionnement » dépend du seul service du professeur documentaliste, ainsi que de sa seule responsabilité, d’autant plus que cette circulaire précise, de surcroît, que les modalités d’intervention pédagogique des professeurs documentalistes s’étendent au-delà des frontières du CDI :
« Le professeur documentaliste contribue à l’acquisition par les élèves des connaissances et des compétences définies dans les contenus de formation […], en lien avec les dispositifs pédagogiques et éducatifs mis en place dans l’établissement, dans et hors du CDI11. »
Dans le cadre d’une négociation visant ainsi l’application du décret, la mention « dans et hors du CDI » permettrait de plaider en faveur d’une responsabilité partagée du lieu et pour que le service hebdomadaire de 30 heures, qui incombe au professeur documentaliste, ne soit pas considéré comme un temps d’ouverture/fermeture du lieu. S’il est souhaitable enfin qu’un dialogue se mette en place avec la hiérarchie pour que le « bon fonctionnement » du CDI soit assuré, celui-ci ne peut se passer d’une réflexion sur l’amalgame du professeur documentaliste au lieu CDI tout autant que sur l’équilibre de ses missions.

Enseignement + ouverture culturelle + accueil des usagers et gestion des ressources = réflexion sur l’ordre des priorités

J’avoue que je n’ai pas voulu aller me battre auprès de mes chefs pour le faire appliquer…. Encore des arguments, des tensions, voire des conflits…. Je me suis épargné ça… Prof doc en collège

23 % des répondants qui déclarent ne pas appliquer le décret justifient cette non-application en raison de la position inconfortable d’être dans la demande, de réclamer une « faveur », d’avoir à se justifier. « Encore des arguments » nous dit ce prof doc en collège alors qu’un professeur documentaliste dit ne pas vouloir mendier l’application d’un texte qu’on ne devrait pas argumenter tandis qu’un autre avoue ne pas oser demander. Comme ce prof doc en collège, 8 % craignent que leurs demandes ne débouchent sur une situation de conflit et renoncent, de ce fait, à faire valoir leur droit à la reconnaissance des heures d’enseignement effectuées, d’autant que les témoignages soulignent l’isolement et le manque de soutien de l’inspection à ce sujet. 2 % disent ne pas appliquer le décret eu égard à l’opposition des inspecteurs tandis que 5 % évoquent l’inertie de l’inspection établissements et vie scolaire (EVS). Un manque de soutien qui renforce encore davantage l’isolement des professeurs documentalistes.
5 % déclarent ensuite ne pas appliquer le décret parce qu’ils assurent un nombre trop important d’heures d’enseignement qui impliquerait, ipso facto, une fermeture presque complète du CDI :

Avec presque 12 heures de séances devant élèves chaque semaine, je ne vois pas cela du tout réalisable. Prof doc en collège

Des professeurs documentalistes manifestent leur crainte de se voir retirer des heures d’enseignement parfois durement acquises en cas d’application du décret. Cette situation qui constitue pourtant une double infraction au regard de l’axe 1 de la circulaire de mission et du décret sur les ORS, appelle le soutien des enseignants disciplinaires de l’établissement lequel peut se révéler un précieux atout pour constituer une force de négociation afin d’arriver à un accord dans l’intérêt de la communauté. Toutefois l’absence de réflexion quant à l’équilibre des missions et à l’ordre des priorités, que les professeurs documentalistes se fixent, peut conduire à des contradictions flagrantes illustrées par le témoignage du prof doc en collège ci-dessus. Alors que le décret sur les ORS rappelle la quotité de service d’un certifié de discipline qui est de 18 h (hors EPS) et d’un agrégé qui est de 15 h, ce professeur documentaliste accepte d’exercer 12 h d’enseignement en plus des autres missions afférentes à la fonction de professeur documentaliste et sans reconnaissance des heures d’enseignement effectuées. Avec 12 heures d’enseignement par semaine, comment parvient-il à concilier les missions d’accueil des usagers au CDI, de gestion des ressources documentaires et d’ouverture culturelle de l’établissement ?
Le témoignage de ce prof doc en collège, qui n’est pas un témoignage isolé, soulève un certain nombre de questionnements : toutes les activités pédagogiques menées par les professeurs documentalistes donnent-elles forcément lieu à ce « face à face pédagogique » évoqué précédemment lors du décryptage du décret (voir point 1) ? Toutes les activités pédagogiques menées placent-elles forcément les professeurs documentalistes en situation de transmettre des savoirs et compétences info-documentaires selon un scénario pédagogique élaboré en amont et pour lequel il possède une expertise ? En définitive, qu’est-ce qu’« enseigner » et « transmettre » signifient pour les professeurs documentalistes ? Une application du décret qui prendrait en compte le « bon fonctionnement du CDI » devrait inclure une réflexion sur l’équilibre des missions qui incombent aux professeurs documentalistes et sur le rapport de chacun à la fonction enseignante.
La politique documentaire pourrait, à cet égard, s’avérer utile pour réfléchir sur cet équilibre puisqu’elle comprend « la définition des modalités de la formation des élèves » comme le stipule la circulaire de missions de 2017. D’autant plus que, parmi les raisons avancées par les répondants qui refusent volontairement l’application du décret, 4 % disent manquer de temps pour assumer toutes les tâches inhérentes à leur fonction et 4 % estiment leur charge de travail trop lourde pour un seul poste de professeur documentaliste. Sur ces deux points pourtant, le manque de moyens et les sous-effectifs impactent l’ensemble des enseignants quelles que soient leurs disciplines. La politique documentaire pourrait alors devenir le point d’appui d’une réflexion concernant l’équilibre des missions qui incombent aux professeurs documentalistes dont, prioritairement, la formation des élèves. Elle serait enfin un garde-fou essentiel face à une application du décret qui dépendrait du seul bon vouloir d’un chef.

Du manque d’information à la méconnaissance de ses droits

Parmi les raisons invoquées justifiant la non-application du décret figure, dans une moindre mesure, le manque d’information qui fait obstacle, selon nous, à la constitution d’une réelle force de négociation12. 2 % des répondants, qui déclarent ne pas appliquer le décret, avancent ne pas connaître son existence tandis que 3 % déclarent que les heures d’enseignement effectuées ne correspondent pas à la définition qu’en donne le décret. Sur ce dernier point, nous renvoyons à notre explication de la mention « heure d’enseignement ». Les répondants soulèvent ensuite deux éléments liés tout d’abord à la préparation des séances pédagogiques au CDI puis à la co-animation avec les enseignants de disciplines qui entraveraient, selon eux, l’application du décret. Concernant le premier élément, 5 % affirment ne pas appliquer le décret à cause du temps de préparation de leurs séances qui se déroule au CDI alors que, dans ce cas précis, le décret s’applique au même titre qu’un enseignant qui corrigerait ses copies ou préparerait un cours durant un temps d’évaluation des élèves. Concernant la co-animation pédagogique, lorsque deux enseignants disciplinaires assurent un enseignement en commun, chacun est payé une heure. Pourquoi le professeur documentaliste ne serait-il pas logé à la même enseigne que ses collègues ?
Pour finir, le manque de clarté du texte est un facteur de difficultés pour 5 % des 276 répondants. Si les témoignages soulèvent en effet l’existence d’un texte flou et interprétable, ces caractéristiques ne sont pas propres au décret sur les ORS. Les recherches menées dans le champ des SIC par Claire Oger et Caroline Ollivier-Yaniv ont soulevé les contraintes qui pèsent sur la production des discours institutionnels et les procédés de lissage qui dessinent les contours d’un discours neutre en apparence caractérisé par un effacement de toute réalité de terrain et de toute trace de conflictualité (Oger et Ollivier-Yaniv, 2006). L’imprécision du décret ne serait-elle pas liée, avant tout, à la singularité pédagogique des professeurs documentalistes ? Sans classes attitrées, sans discipline institutionnalisée, sans heures dédiées, pourtant… ils enseignent. Car quelle que soit la position des 276 répondants à l’égard du décret, seul 1 % dit ne pas assurer (ou très peu) d’heures d’enseignement tandis que 22 % affirment en assurer plus qu’ils n’en déclarent réellement.

Conclusion

Entre modestie et résistance, la mise en mots du décret sur les ORS par les professeurs documentalistes dévoile leur rapport singulier et unique à la fonction enseignante. Dans ce texte de 2003 qui nous paraît si actuel, Claude Baltz soulevait le niveau d’exigence de la formation des professionnels de l’information-documentation en posant ce questionnement qui nous sert de réflexion conclusive : « A-t-on alors vraiment pris la mesure de la qualité des compétences ainsi constituées et, par contrecoup, du sous-emploi relatif de la plupart des documentalistes, une fois en activité ? » (2003, p. 149). Un sous-emploi préjudiciable à la mise en œuvre d’une éducation à l’information et aux médias qui constitue pourtant un enjeu de société. Une éducation que seuls des enseignants formés, experts dans la pédagogie de l’information, du document et des médias dans une société où les technologies du numérique investissent la vie des élèves, sont en mesure d’assumer, d’assurer et d’en être les garants. Ils sont en cela des « cartographes et (…) passeurs de l’archipel des savoirs » (p. 153) pour reprendre les mots de Claude Baltz…
« Quand la documentation s’éveillera… ».

 

 

MÉMENTO
Rémunération, primes, indemnités, décompte d’heures…

 

Je suis professeur documentaliste,
voici ce à quoi je n’ai pas droit

– Indemnité de suivi et d’orientation des élèves (ISOE) : Taux annuel part fixe : 1 213,56 € / + part modulable (variable en fonction du niveau) pour la rémunération des fonctions de professeur principal ou référent.
> Décret n° 2021-1101 du 20 août 2021 modifiant le décret n° 93-55 du 15 janvier 1993 instituant une indemnité de suivi et d’orientation des élèves en faveur des personnels enseignants du second degré
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043950839
– Heures Supplémentaires à l’année (HSA) : Taux variable en fonction du corps et du grade (1 379,42 € pour 1 h à l’année pour un certifié classe normale). Heures supplémentaires annuelles, imposables dans la limite de 2 heures hebdomadaires en sus de leur maxima de service, qui figurent sur la VS (Ventilation de Service) signée au début de l’année et sont payées toute l’année, même pendant les vacances ou en période d’arrêt maladie. Ces heures concernent « L’ensemble de ces enseignants, à l’exception des professeurs documentalistes ».
> Missions et obligations réglementaires de service des enseignants des établissements publics d’enseignement du second degré. Circulaire n° 2015-057 du 29-4-2015
https://www.education.gouv.fr/bo/15/Hebdo14/MENH1506031C.htm
– Heures Supplémentaires Effectives (HSE) : Taux variable en fonction du corps et du grade (39,91 € par heure pour un certifié classe normale). Heures de face-à-face pédagogique ponctuelles :
« Situation particulière des professeurs documen­talistes [..] Les intéressés ne peuvent bénéficier d’heures supplémentaires ».
> Missions et obligations réglementaires de service des enseignants des établissements publics d’enseignement du second degré. Circulaire n° 2015-057 du 29-4-2015
https://www.education.gouv.fr/bo/15/Hebdo14/MENH1506031C.htm
– Prime d’équipement informatique : 176 € par an.
> Décret n° 2020-1524 du 5 décembre 2020 portant création d’une prime d’équipement informatique allouée aux personnels enseignants relevant du ministère chargé de l’éducation et aux psychologues de l’éducation nationale.
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042614334

 

Je suis professeur documentaliste,
voici ce à quoi j’ai droit

– Décompte des heures d’enseignement (article 2 du décret ORS : chaque heure est « décomptée pour la valeur de deux heures » et pondération des heures d’enseignement (Article 6, 7, 8 du Décret ORS 2014).
– Indemnité de Sujétions Particulières (ISP). 1000 €/an, versée mensuellement.
> Arrêté du 17 février 2021 modifiant l’arrêté du 14 mai 1991 fixant le taux de l’indemnité de sujétions particulières allouée aux personnels exerçant des fonctions de documentation ou d’information dans un lycée, un lycée professionnel ou un collège :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043178888
– Indemnité Éducation Prioritaire : taux annuel. Part fixe : REP+ = 5 114 € / REP = 3 302 €. Part modulable : jusqu’à 702 €.
> Décret n° 2021-825 du 28 juin 2021 modifiant le décret n° 2015-1087 du 28 août 2015 portant régime indemnitaire spécifique en faveur des personnels exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes « réseau d’éducation prioritaire renforcé » et « réseau d’éducation prioritaire ».
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043711782
– Indemnité pour Missions Particulières (IMP) : 5 taux annuels forfaitaires de 312,50 €, à 3 750 €, en fonction de la mission (coordination, référent culture, numérique, décrochage, de tutorat…) et de la charge effective de travail.
> Circulaire n° 2015-058 du 29-4-2015. Modalités d’attribution de l’indemnité pour mission particulière (IMP).
https://www.education.gouv.fr/bo/15/Hebdo14/MENH1506032C.htm
– Accompagnement éducatif : Taux horaire : 30 €. Ne donne lieu à rémunération que si l’heure intervient en dépassement de la durée du travail réglementaire. Par exemple : « Devoirs faits » en collège.
> Décret n° 96-80 du 30 janvier 1996 relatif à la rémunération des personnes assurant les études dirigées ou l’accompagnement éducatif hors temps scolaire. Modifié par Décret n°2009-81 du 21 janvier 2009
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000191170/
– Indemnité pour activités péri-éducatives : Taux horaire 23, 81 €. Pour rémunérer les heures consacrées à « l’accueil et l’encadrement des élèves en dehors des heures de cours ».
> Décret n° 90-807 du 11 septembre 1990 instituant une indemnité pour activités péri-éducatives en faveur des personnels enseignants des écoles, collèges, lycées et établissements d’éducation spéciale et des personnels d’éducation
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000351634/
– Vacation : taux horaire : 13,72 € pour rémunérer un intervenant qui se voit confier « de manière ponctuelle, des tâches spécifiques d’enseignement, de formation, d’animation ou d’accompagnement de nature pédagogique ».
> Décret n° 2012-871 du 11 juillet 2012 relatif à la rémunération des intervenants chargés à titre accessoire de diverses tâches organisées par les écoles et les établissements d’enseignement relevant du ministère en charge de l’Éducation nationale : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000026174830/
Il est tout à fait possible de cumuler décompte, IMP et rémunérations d’heures ponctuelles.

 

 

Le professeur-documentaliste de Bernard Heizmann et Élodie Royer

Connaître les champs d’intervention

Ce premier chapitre se divise lui-même en trois parties. La première présente le système éducatif français. Du fait de la « dimension transversale du métier » qui le met en « capacité d’interagir avec tous les acteurs », le professeur-documentaliste a sa place dans les différents conseils, instances et commissions d’un établissement scolaire, du conseil d’administration au conseil de la vie collégienne ou de la vie lycéenne. Sa connaissance des nombreux acteurs du système éducatif, des différents agents d’un établissement en passant par les services rectoraux, sans oublier les collectivités territoriales, lui permet, suivant les auteurs, « d’être plus efficace sur le plan de la communication et de la circulation de l’information » et de « l’élaboration et [du] financement des projets et […] dans [la] recherche de partenariats » (p. 17). La connaissance des programmes et des différentes opérations éducatives jalonnant l’année scolaire permet au professeur-documentaliste d’accomplir ses missions, notamment celle d’enseignement. Ainsi, entre autres, le professeur-documentaliste participe à la maîtrise des compétences du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, soit directement parce qu’il intervient auprès des élèves pour travailler l’une ou l’autre des compétences du socle, soit indirectement parce que son travail crée un terrain favorable à leur acquisition (p. 18).
Une deuxième partie traite de la maîtrise de la pédagogie et de la didactique info-documentaires. Après avoir rappelé les principaux textes en vigueur encadrant le métier d’enseignant, Bernard Heizmann et Élodie Royer présentent quelques pédagogues influents, de John Dewey à Jérôme S. Bruner. Le développement d’une « culture pédagogique » étant fondamental pour l’ensemble des missions du professeur-documentaliste, ce rapide descriptif est suivi de celui de concepts pédagogiques, de l’autonomie à la prise en compte des conceptions et représentations des élèves dans l’enseignement. Les deux auteurs présentent les différents types de textes qui encadrent l’intervention pédagogique du professeur-documentaliste : référentiels de compétences, programmes scolaires, curricula et matrices. L’actuel programme d’éducation aux médias et à l’information du cycle 4 ne donnant pas d’indication de progression, il revient « au professeur-documentaliste et aux autres enseignants de fixer celle-ci dans le cadre de la politique documentaire de l’établissement qui formalise la démarche de formation ». Mais, dès lors, plusieurs questions se posent : comment prendre en charge dans un tel cadre tous les élèves ? Quelles compétences peuvent être enseignées de manière partagée avec les collègues de discipline et quelles compétences restent l’apanage du professeur-documentaliste ? (p. 31). Enfin, les auteurs présentent l’évaluation des élèves, sous ses différentes formes (diagnostique, formative, sommative), et la participation du professeur-documentaliste à celle-ci.
La troisième partie positionne le professeur-documentaliste en expert des savoirs info-documentaires. Sont introduits dans un premier temps les deux concepts clés en sciences de l’information et de la communication que sont l’information et le document, à partir desquels le professeur-documentaliste peut expliciter d’autres notions telles que celles de source, d’auteur ou de validité de l’information. Bernard Heizmann et Élodie Royer présentent ensuite la démarche de recherche d’information. Déjà présente dans la circulaire de missions des personnels exerçant dans les centres d’information et de documentation de 1986, ses enjeux évoluent et des questions pédagogiques nouvelles apparaissent. Le professeur-documentaliste la travaille à partir des pratiques des élèves en « s’interrogeant sur la manière dont il peut les rendre plus efficaces, plus fiables, mais aussi sur les solutions qu’il peut mettre en œuvre pour les accueillir et les valoriser » (p. 39). Responsable d’un centre de ressources, il se doit également de connaître et maîtriser l’« ensemble des opérations successives menées par les professionnels, du repérage à l’analyse des besoins jusqu’à la diffusion et à la communication au public concerné », autrement dit la chaîne documentaire d’un établissement scolaire (p. 40). Si l’association des usagers, en particulier des élèves, à celle-ci relève d’une évolution des pratiques professionnelles dépassant le cadre de la documentation scolaire, cette chaîne documentaire conserve ses spécificités notamment en termes de développement des collections (niveau du public, filières, programmes, vocation pédagogique). Les espaces documentaires évoluent également. Le CDI tend en effet à s’inspirer du modèle des learning centres et de ce fait à intégrer un ensemble d’espaces de vie et de travail au niveau de l’établissement. Enfin, une quarantaine de définitions de termes récurrents dans l’exercice du métier de professeur-documentaliste clôt le chapitre : il s’agit principalement de termes liés à la bibliothéconomie.

Maîtriser les principaux gestes professionnels

Ce deuxième chapitre recense et présente les quatorze gestes professionnels principaux identifiés par Bernard Heizmann et Élodie Royer à partir de leur analyse de la circulaire de missions des professeurs documentalistes de 20171.
Le premier geste professionnel identifié est celui de « piloter ». Pilote de la politique documentaire sous la responsabilité du chef d’établissement, le professeur-documentaliste guide la politique de gestion documentaire, de diffusion et de communication de l’information, de formation à la culture de l’information des élèves et d’ouverture culturelle de l’établissement. Avec le changement d’échelle opéré par la conception de la politique documentaire – du CDI à l’établissement – la mise en œuvre de cette dernière peut s’avérer difficile. Alors que le pilotage de la politique documentaire est une affaire d’experts en bibliothèque, le professeur-documentaliste demeure le seul expert dans un établissement scolaire. Le second geste professionnel procède du premier, il s’agit de celui d’« organiser ». Le professeur-documentaliste opère une organisation des ressources documentaires tournée vers l’usager à l’échelle de l’établissement. Il s’agit pour lui « d’architecturer l’information, de créer des liens, des points de passage entre les différents pôles documentaires et informationnels de l’établissement et [de] les mettre en résonance » (p. 68). L’organisation des ressources documentaires relevant de la politique documentaire, le professeur-documentaliste n’est pas le seul agent concerné par ses enjeux dans la réussite des élèves. Il est amené à sensibiliser le personnel de l’établissement à cette question.
Dans le même esprit, tourné vers l’usager, le professeur-documentaliste maîtrise trois gestes professionnels complémentaires : « accueillir », « accompagner » et « enseigner ». Les deux premiers souffrent d’un manque de considération, relevant « de la compétence cachée, de l’informel ou de la personnalité du professeur-documentaliste » (p. 72). Gestes quotidiens, ils soulèvent pourtant des questions : quelles étapes, comment personnaliser l’accueil, quels mots choisir et employer, comment faire pour aller au-devant des usagers pour qu’ils se sentent accueillis ? Comment gérer les conflits éventuels, quelle posture, quelle mobilité pour affirmer sa présence et en même temps être accessible ?
Le sixième geste professionnel, « collaborer », fait l’objet d’une prescription institutionnelle. Il s’agit pour le professeur-documentaliste, et pour l’ensemble des personnels d’éducation, de « coopérer au sein d’une équipe » et de participer aux « travaux disciplinaires et interdisciplinaires », notamment dans le cadre de co-enseignements. Le professeur-documentaliste joue alors un rôle de liant entre les différentes disciplines, afin qu’elles assurent ensemble l’éducation aux médias et à l’information des élèves en cycle 4, par exemple, malgré parfois certains obstacles (difficultés matérielles et organisationnelles, idées reçues des agents). Pour y faire face, Bernard Heizmann et Élodie Royer préconisent d’insister sur les apports de chacun à la formation des élèves dans le cadre du socle commun de connaissances, de compétences et de culture.
« Inciter » et « ouvrir » sont deux gestes professionnels complémentaires. Le premier se manifeste, entre autres, à travers l’incitation à la lecture qui passe par une politique d’acquisition répondant aux besoins et aux attentes des usagers, élèves et personnels, de l’établissement. Le professeur-documentaliste incite également aux bonnes pratiques informationnelles par les médiations qu’il met en œuvre au CDI, incitation qui s’adresse autant aux élèves qu’aux enseignants. Ouvrir est un geste bidirectionnel : il s’agit pour le professeur-documentaliste d’amener les élèves à découvrir des lieux et des ressources extérieures à l’établissement et, inversement, de faire entrer des intervenants extérieurs dans l’établissement à la rencontre des élèves.
« Veiller » et « communiquer » sont également deux gestes professionnels qui se pratiquent à l’échelle de l’établissement scolaire dans le cadre d’une politique documentaire voire d’un projet d’établissement. Le professeur-documentaliste, personne-ressource, accompagne ou forme ses collègues dans leur démarche de veille. En effet, la compétence « exercer une veille documentaire » est une compétence attendue des professeurs stagiaires au terme de leur année de stage. Communiquer suppose de répondre à quelques questions : quels vecteurs, quels destinataires, quels contenus ? (p. 88). Pour ce faire, le professeur-documentaliste contribue à la cohérence de la politique de diffusion de l’information « dans et par l’établissement » (p. 89) en collaboration avec d’autres agents.
« Compétence[s] inconsciente[s] ou cachée[s] » (p. 91) qui « contribuent à rendre plus efficaces le fonctionnement du CDI et le travail du professeur-documentaliste » (p. 96), « lire et écrire » sont des gestes inscrits en filigrane dans les textes encadrant les missions du professeur-documentaliste et dans la pratique quotidienne du métier. Lectures professionnelles, scientifiques et de travail, le professeur-documentaliste lit beaucoup. Ce qui suppose faire preuve d’une « efficacité temporelle et organisationnelle » (p. 92). De la même façon, le professeur-documentaliste écrit beaucoup : pour communiquer, pour garder une trace de son activité ou pour didactiser ses connaissances. Bernard Heizmann et Élodie Royer insistent sur l’importance d’écrits qui ne répondent pas aux impératifs d’un quotidien professionnel, les écrits réflexifs sur sa propre pratique qui conduisent à l’expertise.
Enfin, répondant à une prescription institutionnelle, l’engagement « dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel », le professeur-documentaliste est appelé à se former en permanence. Cependant, si l’offre de formation continue est importante (plans de formation, M@gistère, stages de l’Enssib ou du Salon du livre pour la jeunesse de Montreuil), les missions qui lui sont confiées le sont tout autant, d’où l’importance de mutualiser les apports et les supports de formation, notamment au niveau de l’établissement scolaire. « Se former » et « mutualiser » sont les deux derniers gestes professionnels, interdépendants, qui contribuent à une logique d’innovation et d’amélioration constantes (p. 100).

Réussir les concours : s’inscrire et se préparer

Dans le dernier chapitre, Bernard Heizmann et Élodie Royer détaillent dans un premier temps les conditions et les démarches d’inscription aux concours (externe, interne et troisième voie). Ils rappellent ensuite les modalités de chacune des épreuves à partir des textes officiels qu’ils explicitent. Les auteurs proposent une méthodologie des épreuves qui précise un certain nombre d’attendus informels, notamment pour l’épreuve d’étude d’un sujet de politique documentaire. Une série de questions, réellement posées à l’oral du concours interne, et classées en cinq catégories (système éducatif, sciences de l’éducation et pédagogie documentaire, sciences de l’information, pratique du métier, culture générale), servira autant aux candidats aux différents concours qu’aux professionnels en poste2. Enfin, une bibliographie indique un nombre important de références, classées par chapitre et par partie, ainsi que par geste en ce qui concerne le deuxième chapitre. Une table des sigles avec leur développement complète ceux détaillés dans le corps de l’ouvrage.

En conclusion

Le livre constitue une première entrée actualisée et documentée, sur le métier, articulant éléments de définition et de réflexion qui rappellent à certains égards les manuels de la collection « Le métier de… » des éditions du Cercle de la Librairie. Bernard Heizmann et Élodie Royer proposent un regard honnête sur notre métier en présentant chaque geste en deux temps : dans un premier temps, « on en parle », ils présentent factuellement les prescriptions et les attentes institutionnelles, à partir, entre autres, des documents de l’administration ; dans un deuxième temps, « on en discute », ils passent celles-ci au tamis de la réalité. À travers une approche originale par les gestes professionnels, Le professeur-documentaliste remet finalement en perspective notre quotidien et la richesse de notre métier.

 

HEIZMANN Bernard, ROYER, Elodie. Le professeur-documentaliste. Futuroscope : Canopé éditions, 2019. 165 p. Collection Maîtriser. 978-2-240-04542-3 : 23,90 €.

 

Nouveaux programmes du lycée : où sont les profs docs ?

Des programmes au goût doux amer

La fabrique des programmes scolaires est une affaire de va-et-vient entre deux entités du Ministère de l’Éducation nationale : le Conseil Supérieur des programmes (CSP), chargé de constituer des groupes d’expert.e.s qui rédigent des projets de programmes, et la DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire), signataire finale des textes avant parution au Journal Officiel. Le calendrier extrêmement dense imposé par le Ministère de l’Éducation nationale n’a pas été sans conséquence sur la consultation et l’analyse proposée par l’A.P.D.E.N. Retour sur dix-huit mois de marathon.
Le 14 février 2018, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, annonce une réforme du baccalauréat et du lycée général et technologique et saisit le CSP le 28 février pour l’élaboration des nouveaux programmes et des nouvelles modalités d’évaluation des élèves. En amont, dès le printemps 2018, les syndicats et organisations professionnelles, dont l’A.P.D.E.N., sont auditionnés afin de faire un point sur les programmes existants et les perspectives que pourraient ouvrir les programmes à venir. En juin 2018, une délégation composée de membres du Bureau national et de représentants du GRCDI est reçue par Mme Ayada, présidente du CSP1. Par la suite, les groupes d’expert.e.s (GEPP) remettent leurs travaux au CSP entre septembre et octobre 2018. Les projets de programmes pour les niveaux seconde et première sont examinés par le CSP, puis soumis par la DGESCO à une consultation nationale. L’A.P.D.E.N. est alors sollicitée : selon un calendrier très contraint, le Bureau national y répond sous la forme d’une contribution écrite2. L’association y estime que les projets présentés organisent un transfert inadmissible et incompréhensible des contenus spécifiques de l’information-documentation vers les disciplines instituées, et n’admettent parallèlement qu’un rôle facultatif et auxiliaire des professeur.e.s documentalistes dans les champs couverts par l’EMI, sans jamais asseoir pleinement leur mission d’enseignement. D’autre part, ils sont également loin de donner aux professeur.e.s documentalistes toute leur place dans le champ du développement de la culture et de l’éducation artistique et culturelle, et omettent bien trop souvent de positionner le CDI comme « lieu de formation, de lecture, de culture et d’accès à l’information », principal espace de ressources dont disposent les élèves pour les situations et apprentissages envisagés.
Force est de constater que ces objections n’ont pas été entendues. Le constat est amer à la lecture des programmes définitifs, qui ont bien peu évolué par rapport à la version précédente. Les modalités d’élaboration institutionnelles n’ont pas permis de penser sereinement les contenus, dans un contexte où le Bureau national déplore toujours le refus de l’IGEN de mettre en place un groupe de travail sur les contenus d’un enseignement en information-documentation3, pourtant institué par la circulaire de missions.

Quid du lieu CDI ?

De manière générale, le rôle du CDI est à peine évoqué dans les programmes, alors même qu’il constitue le premier, voire le seul centre de ressources accessible pour les lycéens, et que les situations pédagogiques dans lesquelles il devrait être mobilisé sont par ailleurs nombreuses. Au-delà de ces « oublis » incompréhensibles, lorsque ce « lieu de formation, de lecture, de culture et d’accès à l’information » essentiel est effectivement inscrit, c’est souvent d’une façon qui évacue totalement le rôle et la responsabilité du.de la professeur.e documentaliste. Le programme de l’enseignement de spécialité d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques prévoit que les élèves aient « l’opportunité de réaliser des fiches de lecture sur des ouvrages relatifs aux thèmes étudiés et d’élaborer des projets qui les invitent à se documenter (…) ». L’évocation des ressources du CDI aurait ici été pertinente. Il en va d’ailleurs de même pour la spécialité humanités, littérature et philosophie. Quant au programme de mathématiques, il désigne le CDI comme un lieu où les élèves peuvent avoir un accès aux logiciels spécifiques dans l’établissement, à l’équivalence d’une simple salle informatique.
Enfin, le programme de langues vivantes cite le CDI en lui substituant une terminologie impropre ne relevant d’aucune disposition réglementaire : « certains scénarios peuvent faire l’objet d’une diffusion dans le cadre du lycée par l’intermédiaire du journal et/ou de la radio, du Centre de connaissances et de culture (3C, anciennement CDI), de l’Environnement numérique de travail (ENT), du site internet de l’établissement ». La circulaire de missions des professeur.e.s documentalistes4 entérinant pourtant sans ambiguïté le terme CDI, cette mention ne peut que laisser perplexe…

Quelle place pour l’ouverture culturelle ?

La mission du.de la professeur.e documentaliste en matière d’éducation culturelle et de développement de la lecture est souvent éludée, alors que notre circulaire de missions nous enjoint à contribuer à « l’éducation culturelle, sociale et citoyenne de l’élève » et à développer « l’intérêt pour la lecture ». Or la place du.de la professeur.e documentaliste dans les programmes littéraires et artistiques est très marginale. Dans la mesure où une majorité des programmes relevant du PEAC présente de surcroît des propositions intégrant tout à la fois les approches culturelle et documentaire, avec la mise en œuvre de supports de collecte, de production et d’organisation d’une documentation personnelle par les élèves, de type portfolio ou carnet de bord, cette lacune est doublement incompréhensible.

Dans le domaine de la littérature et du développement de la lecture

Le programme de français de seconde incite à développer le « plaisir de la littérature », et à favoriser « une pratique intensive de toutes les formes, scolaires et personnelles, de la lecture littéraire ». Absente du projet de programmes, la mention explicite de la collaboration avec le.la professeur.e documentaliste sur cette question a été ajoutée dans la version définitive : « La participation à des actions autour de la lecture, en lien avec les professeurs documentalistes, est favorisée ». La mise en valeur et l’exploitation du fonds du centre de ressources ne sont, en revanche, pas évoquées.
Le programme de langues vivantes encourage dès la classe de seconde « la lecture suivie en dehors de la classe », l’élève devant « lire pour son plaisir de façon très autonome ». Le programme de la spécialité littérature, langue et culture étrangère insiste également sur le goût de la lecture en langue vivante. Mais il n’est, là non plus, pas question de travail en lien avec le.la professeur.e documentaliste, qui peut pourtant mettre en place une valorisation du fonds linguistique, et notamment des périodiques en langues étrangères.

Dans le domaine de l’éducation culturelle et artistique

L’absence du.de la professeur.e documentaliste est encore plus criante dans le domaine de l’éducation culturelle et artistique. Seuls les programmes des enseignements optionnels d’histoire des arts de seconde et première évoquent son rôle dans le chapitre « Situations et repères pour l’enseignement » : « Avec l’aide des professeurs documentalistes, les élèves sont invités à exploiter les ressources documentaires disponibles, en particulier celles offertes par les technologies de l’information et de la communication. Ils sont initiés à l’identification, à la critique et à la hiérarchisation des sources documentaires. » Le CDI est, quant à lui, cité dans les programmes de théâtre en seconde et première, au chapitre sur les « Compétences méthodologiques » : « L’élève est capable : de mener une recherche documentaire au CDI ou sur Internet » pour la seconde, et « L’élève est capable de mener une recherche documentaire au CDI ou sur internet, et de la présenter de manière organisée, sous la forme de son choix, à la classe » en première.

Quelle place pour les savoirs info-documentaires ?

L’injonction à « form[er] tous les élèves à l’information documentation et contribu[er] à leur formation en matière d’éducation aux médias et à l’information » est donnée aux professeur.e.s documentalistes à travers deux textes de cadrage : le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation et la circulaire de missions. L’action pédagogique des professeur.e.s documentalistes y trouve un appui et une justification institutionnels. L’A.P.D.E.N., lors de la consultation du CSP en octobre 2018, avait mis en avant cette mission pédagogique à laquelle le ministère fixe pour objectifs de « conforter l’acquisition par chaque élève de la culture de l’information nécessaire à la vie en société et à la compréhension du monde, de développer l’autonomie et l’esprit critique de l’élève dans sa recherche et sa production documentaires et informationnelles et de développer des notions complexes au sein de parcours de formation spécifiques ».5
Les programmes du nouveau lycée général et technologique apportent-ils les éléments épistémologiques et les leviers pédagogiques et institutionnels nécessaires à la mise en œuvre effective de la formation de tous les élèves ?

L’esprit critique : esprit, es-tu là ?
De l’incantation magique à la formation effective des élèves

Tous les programmes de seconde insistent, en préambule, sur la nécessité de développer l’esprit critique de nos élèves. Ainsi, par exemple, l’enseignement du français vise à « approfondir et exercer le jugement et l’esprit critique des élèves (…) » ; l’EMC « contribue à forger leur sens critique et à adopter un comportement éthique » ; en EPS, l’élève « accroît ses capacités de raisonnement et son esprit critique ». Cette question sociale et civique intéresse, parmi tou.te.s ses collègues, le.la professeur.e documentaliste, qui problématise ce sujet sous l’angle de l’accès à l’information et de la confrontation de la source.
Dans un effet de balancier inverse, le questionnement de la source a été abandonné dans la version finale du programme d’histoire en seconde ; il est toutefois maintenu dans le programme d’EMC, qui y accorde une réelle importance. Les compétences en jeu, du point de vue de la culture de l’information et des médias, ne sont pas explicitées dans les attendus disciplinaires. Il est donc permis de voir dans cette formule totémique une nouvelle occasion manquée d’asseoir l’apport pédagogique des professeur.e.s documentalistes, dans leur champ spécifique de l’information-documentation comme dans la dimension transversale de formation à la citoyenneté. Quand la société appelle de plus en plus fortement à faire le tri dans l’information accessible en questionnant les infox, ce constat se révèle tristement ironique. La crainte est forte de rester sur une conception procédurale, modélisante (mettre au point la « recette » pour déjouer le complotisme et la désinformation), sans faire le pont avec ce qui doit, selon nous, impérativement précéder et chapeauter la formation de l’élève : travailler sur la source, la production et la diffusion de l’information, sous les aspects technique, juridique, social, économique, le tout dans une logique de progression impliquant un contact régulier, tout au long du parcours de l’élève, avec des productions informationnelles et médiatiques variées. Il s’agit bien là du cœur de notre mission pédagogique : la culture de l’information et des médias.
Dans la continuité de cette réflexion, nous pouvons nous interroger sur le devenir effectif, au lycée, de l’EMI qui, jusqu’alors présente uniquement dans les programmes d’EMC datant de 2015, fait son entrée officielle dans les programmes. Les concepteurs de ces derniers entérinent l’intégration de l’EMI dans la sphère de l’EMC : « L’éducation aux médias et à l’information, la formation du jugement ainsi que l’enseignement laïque des faits religieux entrent également dans son périmètre ». Si nombre de compétences relevant de l’EMI sont disséminées dans les programmes, cette « éducation à » est au final peu citée en tant que telle. On la retrouve dans les programmes de seconde de français, langues vivantes, SVT et management et gestion (enseignement optionnel) ; en première, elle n’est citée qu’en langues vivantes et SVT. La place de l’EMI n’est donc pas prépondérante dans les programmes du nouveau lycée. Si la contextualisation institutionnelle et les contenus afférents sont lisibles et compréhensibles pour les professeur.e.s documentalistes, qu’en sera-t-il des collègues des autres disciplines, mais également des chef.fe.s d’établissement ? Quelle place occupera l’EMI dans les formations que les académies mettront en place pour accompagner la réforme du lycée ? L’expérience du collège permet de poser le constat du peu d’engagement des collègues des autres disciplines dans cet enseignement transversal, ou a minima, de leur engagement à géométrie très variable en fonction des établissements, qui ne présage pas d’un meilleur avenir au lycée.

Des savoirs présents en creux : vers un transfert de nos compétences pédagogiques ?

Les savoirs adossés aux sciences de l’information et de la communication, champ scientifique de référence des professeur.e.s documentalistes, présentent de nombreuses occurrences, sans jamais être associés à la préconisation d’un co-enseignement articulant l’épistémologie de la discipline-support, et celle, spécifique, de l’information-documentation, cette dernière faisant de plus l’objet de nombreuses confusions avec l’EMI. De même, de nombreuses compétences et situations pédagogiques relevant de la recherche, de l’exploitation (sélection et évaluation), de la production et de la communication d’informations sont disséminées dans les programmes de disciplines aux épistémologies diverses, sans que soit mentionné le rattachement au champ d’expertise des professeur.e.s documentalistes, sans que soit même mentionnée la nécessaire collaboration avec ces dernier.e.s. Et, lorsque c’est le cas, la terminologie pour la définir cantonne in fine le.la professeur.e documentaliste à une posture d’accompagnement ou d’aide, par nature facultative. Ces constats s’appliquent également aux occurrences de l’EMI présentes dans les programmes, qui ne font apparaître la responsabilité et le rôle du.de la professeur.e documentaliste qu’en termes d’éventualité ou de possibilité, voire même l’omettent purement et simplement.

Des programmes qui intègrent l’enseignement de contenus de l’information-documentation… sans le.la professeur.e documentaliste

La lecture du préambule du programme d’EMC de seconde et première ne peut que nous interroger sur la prise en compte de notre rôle auprès des élèves : « Dans sa contribution à la construction du jugement, l’enseignement moral et civique permet la réflexion sur les sources utilisées (textes écrits, cartes, images, œuvres picturales, mises en scène théâtrales et chorégraphiques, productions cinématographiques, musiques et chansons, etc.), sur leur constitution comme document, sur leurs usages culturels, médiatiques et sociaux. L’enseignement moral et civique initie les élèves à la recherche documentaire et à ses méthodes (…) ». Qui donc permet « la réflexion sur les sources », qui « initie les élèves à la recherche documentaire… » ? La formulation est pour le moins équivoque. Nous identifions là des objectifs qui entrent dans le champ d’expertise des professeur.e.s documentalistes sans que nous y soyons explicitement nommé.e.s, et le texte porte immanquablement à interprétation : doit-on comprendre qu’étant dans son champ d’expertise, le.la professeur.e documentaliste est désigné.e pour cette « initiation » ou estime-t-on que tout.e professeur.e du secondaire prenant en charge l’EMC est en capacité de former les élèves dans ces domaines ?
Dans le programme de seconde en SVT, la réponse est claire : « les professeurs de SVT contribuent à l’éducation des élèves aux médias et à l’information par un travail régulier d’approche critique des informations » ; « une formation scientifique développe les compétences d’analyse critique pour permettre aux élèves de vérifier les sources d’information et leur légitimité, puis de distinguer les informations fiables. Ces démarches sont particulièrement importantes en SVT, qui font souvent l’objet de publications « pseudo-scientifiques », voire idéologiques ». Notons que ni le.la professeur.e documentaliste ni le CDI ne sont cités dans ce texte. De nombreuses compétences info-documentaires y sont pourtant attendues : « recenser, extraire, organiser et exploiter des informations à partir de documents en citant ses sources, à des fins de connaissance et pas seulement d’information », « conduire une recherche d’informations sur internet en lien avec une question ou un problème scientifique, en choisissant des mots-clés pertinents, et en évaluant la fiabilité des sources et la validité des résultats », etc.
Le programme de physique-chimie est plus économe en notions info-documentaires, mais précise tout de même en préambule qu’une des compétences développées dans le cadre de la démarche scientifique est de « rechercher et organiser l’information en lien avec la problématique étudiée ».
Le cas le plus emblématique de cet axe est en effet celui de l’enseignement obligatoire nouvellement créé en seconde, sciences numériques et technologie (SNT). Il s’agit là d’un enseignement ayant vocation à être pris en charge par tout.e enseignant.e, et non pas d’une nouvelle discipline. Difficile néanmoins de ne pas relever, dans le contexte de l’annonce toute récente de la création d’un CAPES, puis d’une agrégation d’informatique, une orientation éminemment axée sur l’aspect informatique du numérique, prémisse de l’enseignement de spécialité numérique et sciences informatiques (NSI). Cependant, une grande part du contenu de cet enseignement fait appel à une contextualisation de l’usage du numérique dans la société, de son impact sur les humains, en mobilisant des compétences ou des notions en information-documentation, déjà travaillées par les professeur.e.s documentalistes dans d’autres contextes pédagogiques. Ainsi le chapitre consacré aux réseaux sociaux recouvre-t-il en partie le champ du chapitre « Enjeux moraux et civiques de la société de l’information » abordé en EMC en classe de première, qui était l’occasion de nombreuses situations d’apprentissage investies par les professeur.e.s documentalistes. Le deuxième chapitre annuel porte quant à lui sur la question du web, du moteur de recherche et de son incidence sur l’accès à l’information. Le lien est ici parfaitement clair avec le cœur épistémologique de l’information-documentation, à tel point que des notions professionnelles telles que l’indexation et le SIGB en tant que base de données sont convoquées dans le programme. Tous les autres chapitres, en ce qu’ils appellent à placer l’élève dans une posture de recul critique vis-à-vis du numérique et de son impact sur la société, peuvent être une porte d’entrée pour que le.la professeur.e documentaliste construise des situations d’apprentissage propices au développement d’une culture de l’information et des médias par les élèves.
En première, le thème 4 la spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques, « S’informer : un regard critique sur les sources et modes de communication », représente une autre occasion importante, pour le.la professeur.e documentaliste, de développer des apprentissages info-documentaires avec les élèves. Il n’est hélas fait aucune mention d’une possible collaboration, alors même que le double objectif de ce thème est de permettre aux élèves de « saisir les enjeux de l’information » et de les amener à « réfléchir sur leur propre manière de s’informer, dans la continuité de l’éducation aux médias et à l’information », en s’appuyant sur « une culture relative aux médias ».

Des programmes qui intègrent l’EMI en omettant le rôle du.de la professeur.e documentaliste dans son enseignement, ou en le limitant à une aide méthodologique facultative.

C’est le cas notamment du programme de Langues vivantes, qui fait mention d’une « éventuelle aide des professeurs documentalistes » concernant l’usage du numérique et une « éducation appropriée aux médias ».

Des savoirs explicités, des collaborations encouragées : pain maigre de ces nouveaux programmes

Les rares mentions de collaborations possibles entre les enseignant.e.s de discipline et les professeur.e.s documentalistes se basent sur des situations pédagogiques de recherche d’information. Il y est à chaque fois question de collaboration, et non de co-enseignement. Il semble que les notions et compétences ressortant de la culture de l’information et des médias, acception plus large que la simple démarche de recherche, ne sont pas liées, dans l’esprit des concepteurs de programmes et de l’institution, au plein exercice de notre mission pédagogique. Ce diagnostic illustre pour l’association un chantier revendicatif essentiel qui n’a rien de nouveau, cheval de bataille pour dépasser cette représentation de notre métier restrictive basée essentiellement sur du procédural.
La spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques vise la compétence « Se documenter : l’écoute active en cours doit être complétée par l’acquisition de cette compétence fondamentale pour la réussite dans le supérieur. En classe de première, le travail de documentation est guidé par le(s) professeur(s) de la spécialité et le professeur documentaliste, qui accompagne méthodiquement l’élève dans sa recherche de sources ou d’information, y compris sur internet ».
Le texte du programme de français propose quelques formulations enjoignant à la collaboration avec le.la professeur.e documentaliste qui dépassent le lexique de la possibilité et de l’auxiliaire. Ainsi, parmi les finalités visées, notons « amener [les élèves] à adopter une attitude autonome et responsable, notamment en matière de recherche d’information et de documentation, en coopération avec le professeur documentaliste » ; dans l’objet d’étude « Le roman et le récit du xviiie siècle au xxie siècle » : « [l’enseignant de français] favorise le travail interdisciplinaire, par exemple avec les professeurs documentalistes ». Enfin, l’objet d’étude en classe de seconde « La littérature d’idées et la presse du xixe siècle au xxie siècle » fait le lien avec l’EMI, cette thématique étant déjà abordée en classe de quatrième. Regrettons cependant que la collaboration avec le.la professeur.e documentaliste ne soit pas ici mentionnée.
Dans l’attente des programmes de la classe de terminale, notamment au sujet du grand oral, il apparaît que de nombreuses pistes pédagogiques peuvent s’ouvrir devant nous, à défaut de références explicites aux contenus de l’information-documentation ou aux possibilités de collaboration avec nos collègues enseignant.e.s d’autres disciplines. Se pose toujours, à l’orée de ce nouveau temps institutionnel, la question matérielle : comment concilier engagement pédagogique, gestion du lieu, gestion du fonds documentaire, ouverture culturelle, en l’absence de moyens humains ? Pourrons-nous réellement enseigner à tou.te.s les élèves alors que, déjà en nombre insuffisant, le nombre de postes au CAPES est en forte diminution ? Aucune volonté politique ne semble, une fois de plus, prendre en considération le rôle de notre profession. Alors que la création du CAPES de documentation célèbre ses trente ans, l’A.P.D.E.N. n’est, malheureusement, pas au bout de ses efforts pour faire valoir les revendications de ses membres.