« Madame vous êtes ouverte ? » ou Comment des élèves de 6e se représentent leur CDI et leur professeur·e documentaliste

Les élèves de 6e qui arrivent en début d’année au collège ont-ils déjà une idée de ce qu’est un CDI et un·e professeur·e documentaliste ? La question a été explorée en étudiant leurs représentations sociales à travers leurs dessins du CDI1 et du·de la professeur·e documentaliste : en tout, 248 dessins ont été réalisés en septembre, puis décembre 2018, par 66 élèves de deux classes de 6e d’un collège privé sous contrat du 6e arrondissement de Paris. Ils ont ensuite été analysés à l’aide de la méthodologie de l’analyse de contenu. 

Le travail présenté ici est issu du mémoire de Master 2 MEEF de validation du CAFEP de documentation, soutenu en mai 2019. La question de départ prenait appui sur le souvenir d’un CDI de lycée fréquenté il y a quelques années : un lieu plutôt évité, un endroit assimilé à de la punition, où le bruit était totalement prohibé, avec une « dame du CDI » peu aimable. En tant que professeure documentaliste, nous inscrivant dans l’orientation de la circulaire de missions de 20172, nous souhaitions questionner nos propres représentations et celles des élèves, pour tenter de mieux nous adapter à leurs besoins. L’approche s’est faite à partir de dessins, réalisés par des élèves fraîchement arrivés en 6e (10-12 ans), issus de l’école primaire du groupe scolaire ou des écoles primaires du sud parisien. Le milieu socio-professionnel des élèves du collège est composé globalement de cadres supérieurs et professions libérales. Le CDI de l’établissement est géré par deux professeures documentalistes. Il est ouvert tant aux collégiens qu’aux lycéens avec un accueil toute la semaine sauf le mercredi après-midi.

Pour initier la recherche, nous avons d’abord posé des hypothèses :
1. les élèves ont une représentation du CDI influencée par les images des séries télé, les romans, les légendes urbaines, une représentation que l’on pourrait qualifier de « vieillotte », correspondant à une image négative ;
2. les élèves associent le professeur documentaliste et le centre de documentation ;
3. l’aménagement de l’espace et les représentations ont une forte influence sur les apprentissages, le CDI comme espace spécifique de savoirs au sein du lieu scolaire revêt pour les élèves des significations conscientes et inconscientes, et le lieu aménagé et habité par les élèves participe à la structuration de leur rapport au savoir.

Le travail a ensuite consisté à repérer des éléments permettant d’approcher les représentations des élèves concernant le lieu CDI et son responsable à l’aide de l’analyse de contenu ; et plus précisément à mettre en évidence les éléments se dégageant de ces représentations (noyau structurel, éléments périphériques), de manière à nous permettre de valider ou non les hypothèses émises.

Le dessin

Choisir le dessin comme support d’analyse permet de révéler un certain nombre d’éléments qui ne seraient peut-être pas apparus à l’aide d’un médium faisant appel à l’écrit ou à oral. Un avantage du dessin réside dans l’absence de questions construites en fonction d’idées préétablies, ce qui laisse une totale liberté au dessinateur. Le dessin permet ainsi, à condition de travailler avec une consigne cadrante mais ouverte, de faire émerger des messages originaux. Étant donné son caractère spontané, il parle du vécu personnel de l’enfant (le langage graphique et le langage verbal ne reposent pas sur le même canal perceptif), il restitue la « vision intérieure, immatérielle, d’un instant de la vie, non pas tel qu’il est ou a été réellement, mais tel que le sujet dessinant l’a saisi personnellement » (Royer, 1995, p. 44). Le dessin est aussi une façon de mettre les élèves en activité rapidement, sans évaluation et de façon ludique.

L’analyse de contenu

L’analyse de contenu s’organise en trois étapes.

La première, la préanalyse, va orienter l’analyse en opérant des choix dans les documents à analyser, en permettant la formulation d’hypothèses, d’objectifs et le repérage d’indicateurs destinés à l’interprétation finale.
La deuxième étape consiste à relever les différents éléments présents dans les dessins, de façon systématique et rigoureuse afin d’en faire des unités comparables : les unités d’enregistrement ou indices (mot, thème, objet ou référent, personnage, événement, etc.) et leurs indicateurs, ainsi que les unités de contexte3. Par exemple, pour l’indice objet bibliothèques, sept indicateurs ont pu être relevés : présence/absence, longueur des linéaires4, degré de remplissage, surface dans la feuille, position dans la page, éventuelle particularité, présence/absence de livres ; et 31 pour l’indice professeur documentaliste.
L’étape suivante consiste en la création de catégories, composées de plusieurs indices : les catégories ne doivent être ni trop générales ni trop proches ; et elles doivent mettre l’accent sur un aspect de la réalité et posséder quatre qualités (exhaustivité, exclusivité, objectivité, pertinence). Pour notre étude, des catégories ont été identifiées et une grille spécifique élaborée à partir de la littérature (Royer, 1995 ; Moles & Keintz, détaillé par Mucchielli, 1977) afin de prendre en compte la particularité du médium dessin.

Une fois ces catégories élaborées et vérifiées, chaque dessin est analysé minutieusement, et les éléments reportés dans un tableau, à partir duquel des analyses quantitatives sont réalisées pour mettre en évidence ou non certaines caractéristiques saillantes.

La dernière étape consiste en l’interprétation des résultats. Pour cela, l’analyse de contenu utilise l’inférence, un type d’interprétation contrôlée, qui permet l’induction à partir de faits.

Les représentations sociales

L’exploration des représentations sociales est un travail qui s’appuie sur des notions issues de la sociologie. Leurs caractéristiques sont d’être partagées par plusieurs individus et d’être très résistantes. L’individu se représente les choses à partir de ce qu’il sait et il va donc interpréter le monde à partir d’un savoir déjà acquis et à partir de ce qu’il imagine, de ses désirs, de ses peurs, de ses conflits, etc.
C’est la notion retravaillée par Serge Moscovici (1961), dans une perspective psychosociale, qui est utilisée dans le cadre de ce travail, soit un système de valeurs et de pratiques relatif à des objets ou des dimensions du milieu social. Jean-Claude Abric (1994) détaille la notion avec, en premier lieu, un élément fondamental, appelé noyau central qui détermine la signification et l’organisation de la représentation ; ce noyau est composé d’opinions, de croyances, d’informations, faisant consensus dans le groupe porteur de la représentation. Il est relié au contexte historique, sociologique et idéologique, en lien avec les valeurs et les normes. Le noyau central est partagé et stable. Dans un deuxième temps viennent les éléments périphériques, qui sont liés au contexte, à l’environnement immédiat, à l’individu, son histoire et son vécu.

Le CDI : des meubles, des tables, de l’ordre

Les analyses ont ainsi mis en évidence un grand nombre de données. Sont présentées ici celles qui permettent d’approcher les représentations des élèves et donc de mieux les comprendre.

Les dessins des élèves qui n’ont pas encore fréquenté le CDI de l’établissement au moment du recueil des données (20 dessins) sont révélateurs d’un premier noyau dur concernant le CDI : une bibliothèque (meuble). En effet, 19 dessins sur 20 figurent des étagères avec des livres, 13 montrent des meubles pour s’asseoir, 13 des ordinateurs en libre-service et 3 des êtres humains. Rapporté à l’ensemble des dessins représentant le CDI, ce constat est confirmé : 85 % ne représentent aucun professeur, 82 % aucun élève, 77 % ni professeur ni élève. L’absence d’être humain ne peut que questionner… Enfin, 7 % ne représentent pas de bibliothèque : après vérification, il semble que ceci peut être expliqué par l’absence de BCD5 dans l’école primaire fréquentée auparavant par l’élève (Illustrations A). Pour ce qui est de l’élément livres, 30 % des dessins de CDI représentent des bibliothèques sans livres, ce qui fait du livre un élément périphérique de la représentation. Parmi les 40 % de dessins faisant état de titres sur le dos des livres – et qui sont lisibles – on peut noter un attrait pour les BD et les fictions, mais peu de livres « documentaires ». Entre l’espace à disposition contenant des meubles pour ranger des livres, et le contenu réel de ces livres, on ne peut que s’interroger sur le lien fait par les élèves entre CDI et savoir.
Le CDI est-il pour autant envisagé par certains élèves uniquement comme un lieu de détente ? L’absence d’éléments faisant référence au silence pourrait le laisser penser. En effet, les dessins mentionnant des signes en ce sens, comme les mots « chut » ou « silence », ne représentent que 3,5 % de l’ensemble, ce qui tendrait à montrer que l’absence de bruit ne semble pas être un élément central de la représentation.
Sur l’ensemble des dessins représentant des élèves (45), la plupart lisent des livres (14), en général assis, d’autres font la queue à la banque d’accueil (2), entrent dans le CDI (2) ou cherchent un livre (1). Quelques-uns, relativement peu nombreux, utilisent les ordinateurs (4). Certains dessins montrent une interaction entre l’élève et le professeur documentaliste (4). Enfin, d’autres présentent des élèves debout, sans activité particulière (17). Peut-on pour autant en déduire que le CDI est assimilé uniquement à un lieu de lecture et d’emprunt ? Et non à un lieu où travailler sur place ? Les éléments tirés de l’analyse ne permettent pas de dégager une représentation univoque mais plutôt de soulever des questions.

A 1
A 2
A 3

Sur l’ensemble des dessins de CDI, 83 % représentent du mobilier : des tables de tailles et de formes variées et des sièges de tous types : des chaises classiques (23 dessins), des fauteuils (9), des banquettes (12) et des canapés (6), mais aussi des tabourets (8), des poufs (2) ou des chaises de bureau (6), etc. Soit en moyenne 4,3 sièges par dessin. Cependant, 34 % des dessins de CDI ne représentent aucun type de siège. Il ressort ainsi de l’analyse que l’item table peut être inclus dans le noyau de représentation, ce qui correspond d’ailleurs aux résultats de Isabelle Fabre et Hélène Veyrac dans leur étude de 2008 à partir de dessins d’élèves, tandis que l’item siège est un élément périphérique.
Pour ce qui est de l’objet ordinateur enfin, les choses sont nuancées. Sur les 124 dessins de CDI, 90 représentent un ordinateur (73 %), ce qui semble signifier que les élèves associent aisément CDI et ordinateurs. Seuls 27 % ne présentent pas d’ordinateurs, ce qui conduit à considérer l’ordinateur comme un élément satellite dans la représentation du CDI.

Le CDI est aussi, à en croire certains dessins, vu comme le lieu de l’imagination, des idées, de la nourriture de l’esprit et de l’élévation. Deux dessins mettent sur la piste de cette interprétation : une bibliothèque, des livres et… un gâteau ! (Illustration B). La proximité entre livre et nourriture est rare et ce qui vient à l’esprit, en première lecture, est le lien à la nourriture spirituelle, à la façon dont la connaissance « alimente » l’esprit par exemple.

B

Autre exemple relatif au CDI comme lieu de savoir : quatre dessins du CDI affichent une échelle posée contre les bibliothèques. Or, le CDI de l’établissement ne comporte pas d’échelle. Sur ces quatre dessins, trois ont pour auteur des élèves qui sont déjà venus au CDI, et qui avaient une bibliothèque scolaire dans leur école primaire. L’échelle symbolise l’élévation, l’élévation graduelle, mais aussi le rapport entre le ciel et la terre et finalement l’ascension spirituelle. Le dessin qui évoque cela le plus fortement est le C, qui représente le CDI comme une échelle. Il mériterait à lui seul une interprétation détaillée tellement les symboles sont forts. Il faut cependant relever que l’échelle est un élément souvent présent dans les films et les séries quand il est question de bibliothèques. Se retrouve ici l’assimilation CDI/Bibliothèque.
Quelques dessins, très peu nombreux (9 %), représentent des luminaires (lampes de bureau, plafonniers). Ce qui nous a conduite à questionner l’absence/présence de fenêtres. Sur 248 dessins, pas un seul ne fait état de fenêtre : pas de rayons de soleil, pas de ciel. Ce qui peut paraître étrange, même en décembre, étant donné les deux très grandes baies vitrées qui font entrer une lumière abondante dans le CDI. La fenêtre, c’est la réception de ce qui vient de l’extérieur et ce qui permet de voir l’intérieur depuis l’extérieur (les yeux sont les fenêtres de l’âme), c’est le passage de la lumière. Dans les dessins, le CDI ne reçoit rien de l’extérieur, et l’extérieur ne peut rien voir de cet espace, comme un espace clos, qui, peut-être, se suffirait à lui-même. Un seul dessin évoque l’extérieur, qui fait figure d’exception, avec son « CDI échelle » qui monte vers le ciel et ses oiseaux, à moins que les nuages n’évoquent la pensée de l’élève et les rêves (Illustration C). Le CDI serait-il un lieu qui n’a pas besoin d’éclairage venant de l’extérieur ? Ou bien un lieu qui porte en lui-même sa propre lumière, c’est-à-dire le savoir ?
Globalement les dessins présentent des lieux « rangés ». Parmi les dessins représentant des bibliothèques « remplies », 54 dessins de CDI (sur 56) font apparaître des livres « rangés », soit 96,5 %, ce qui est très élevé, et 10 dessins de professeur documentaliste (sur 12) montrent des livres rangés, soit 83 %. Il semble que dans l’esprit des élèves, le CDI est un lieu où les livres sont rangés, et que cet aspect relève du noyau central de la représentation. Néanmoins, ni les dessins de septembre ni ceux de décembre ne montrent d’espaces identifiés en tant que tels (espace collège, espace lycée, espace lecture, espace presse, etc.). Ceci alors qu’une séance pédagogique a eu lieu sur ce thème précis. Il faut mentionner à ce propos que le CDI, à l’époque de ce travail, ne proposait pas de signalétique particulière pour les espaces, ni pour les ouvrages. Quant à la classification Dewey, vue en séance pédagogique, elle est totalement absente des dessins du CDI, et à doses homéopathiques dans deux dessins de professeur documentaliste. Ce qui tend à montrer que l’élément rangement, bien qu’intégré par les élèves, n’est pas encore clairement identifié ni structuré, malgré des séances pédagogiques dédiées.

C

Des éléments de l’ordre de la règle, de la contrainte, ou encore de la surveillance ont pu être également repérés dans les dessins. Sur certains nous pouvons trouver par exemple de grands yeux sur les écrans d’ordinateur (Illustration D 63.12a) qui semblent observer ce qui se passe, et sur l’un d’eux un portique qui sonne (« bip bip bip »). Deux élèves ont dessiné la caméra de l’ordinateur, un autre un panneau signalétique avec un téléphone portable barré et un œil qui observe. Certains dessins enfin font référence à des cellules ou à des grilles de prison (grands traits verticaux et horizontaux barrant toute la feuille, comme une grande grille), ou encore à une boîte, avec ses murs dessinés (Illustration D 61.24a), sensation d’enfermement, représentant un lieu complètement clos, ou symbolisant la tristesse avec un ordinateur qui pleure (Illustration D 61.38a). Ces éléments de l’ordre de l’enfermement ou de la surveillance peuvent alerter sur des perceptions négatives du lieu et inviter à un travail d’ouverture de manière à permettre aux élèves de vivre ces espaces de manière moins contrainte et plus sereine.

D 63.12a
D 61.24a
D 61.38a

Ainsi, quand les dessins mettent en valeur les aspects positifs du CDI, la majorité montre du mobilier : tables, chaises, bibliothèques vues de haut, sans vraiment montrer l’activité de travailler, étudier, lire, etc. On peut alors se demander dans quelle mesure le CDI est un lieu que les élèves envisagent d’habiter au sens de « pratiquer un lieu géographique » (Stock, 2004)6. Ceci est d’autant plus questionnant que 85 % des dessins ne représentent aucun adulte dans le CDI. Cela paraît étonnant et pose la question de la perception du lieu par les élèves. Si le professeur documentaliste est souvent assimilé à son lieu (« Madame CDI », « Madame, vous êtes ouverte ? »), la réciproque ne semblerait donc pas vraie : le lieu n’est pas forcément associé au professeur documentaliste. De plus, aucun indice ne permet de penser que les personnes dessinées représentent d’autres personnes (professeurs, parents, personnel d’encadrement) : cet endroit semble donc strictement réservé au professeur documentaliste et aux élèves, quand ils sont présents.

Le professeur documentaliste : souriant mais inconnu

Le professeur documentaliste est un professionnel singulier. Il est le gardien d’un lieu chargé d’affect et de savoirs, et revêt à ce titre un caractère mystérieux. Ses principales qualités sont l’aide et le sourire. L’élément pédagogique, quant à lui, demeure inconnu et intrinsèquement relié au fonds documentaire qu’il gère. Le noyau central de la représentation semble renvoyer à la qualité sourire, accompagnement, femme et à ses éléments périphériques bienveillance/tristesse, relation avec l’élève, intellectuel. (Illustrations E)

E 1
E 2
E 3
E 4
E 5
E 6

 

Un des constats les plus évidents à la lecture des dessins est la présence de sourires sur les visages des professeurs documentalistes : plus de 74 % des visages sont souriants, que ce soit dans les dessins de septembre ou dans ceux de décembre. À l’évidence, le professeur documentaliste est quelqu’un de souriant dans l’esprit des élèves, et la palette des sourires est large : petit sourire, sourire figé, sourire avec dents visibles (ou non), sourire large, sourire franc. Ceci est toutefois à nuancer. Les regards ont également été étudiés dans l’intention de noter la sensation ressentie à la vue du regard de la personne dessinée. Les données relatives à l’ensemble des dessins montrent un équilibre presque parfait entre un professeur bienveillant, présent, voire malicieux (45 %), et un professeur plutôt triste, absent, voire méchant (43 %)7.
Pour ce qui est des paroles ou des mots notés pour décrire le professeur documentaliste (40 % des dessins), une majorité est de l’ordre de l’accueil (10) et de l’accompagnement vers le livre (montrer, renseigner, gérer les emprunts, expliquer) (31), et seulement 4 de l’ordre de l’interdiction.
Autre constat : sur l’ensemble des dessins de professeurs documentalistes, seuls 25 représentent le professeur et l’élève ensemble (soit 20 %), ce qui est peu. La relation professeur-documentaliste se trouve alors questionnée, elle semble n’être qu’un élément périphérique de la représentation.
Enfin, beaucoup de professeurs dessinés ont des lunettes. Les lunettes, c’est ce qui permet de mieux voir, qui corrige une déficience. C’est aussi le lot de ceux qui lisent beaucoup, des « intellos ». Peut-on alors dire que, dans le milieu scolaire, porter des lunettes peut être assimilé à la fonction « d’intello » ? Ce qui ressort de l’analyse des données, c’est une constante dans le port de lunettes entre les dessins de septembre et de décembre. Plus d’un tiers des professeurs documentalistes se voient affublés de lunettes (39 % des dessins). Et nous-même en portons, ainsi que notre collègue. Le professeur documentaliste serait alors pour un tiers des élèves quelqu’un qui lit beaucoup. La qualité intellectuel pourrait ainsi être un élément périphérique.
Si l’on observe à présent les coiffures des professeurs documentalistes, on remarque une réelle évolution entre les dessins de septembre et de décembre : une quasi disparition du chignon (de 27 % à 7 %) et de coupes carrées (de 26 % à 5 %), et une nette augmentation des coupes courtes (de 3 % à 24 %) et de cheveux détachés (de 38 % à 59 %). L’influence des deux professeures documentalistes du CDI qui ont chacune une coupe assez courte semble ici importante. Cela aurait tendance à illustrer l’influence des enseignants sur l’évolution des représentations des élèves. Mais cela semble aussi révéler la permanence du cliché de la bibliothécaire à jupe et chignon des films ou romans, encore très souvent représentée.

Dans l’ensemble des dessins de septembre, sur les 72 représentant des professeurs documentalistes, 55,5 % peuvent être identifiés comme des femmes et 22 % comme des hommes8. En décembre, le ratio passe à 68 % de femmes et 6 % d’hommes. Notons l’augmentation de la part des femmes entre septembre et décembre et la part stable des professeurs documentalistes non genrés. Ce qui apparaît nettement est la prégnance des femmes représentées dans les dessins. Même si cela a pu être largement influencé par le genre des professeures documentalistes de l’établissement, ceci correspond aussi, à peu de choses près, aux chiffres de l’ONISEP (80 % de femmes dans la profession), et semble être un élément du noyau central de la représentation des élèves.

Enfin, les livres sont moins représentés dans les dessins des professeurs documentalistes (46 %) que dans ceux du CDI (87 %). Cette part moindre montre que le livre semble ne pas faire partie du noyau de la représentation du professeur documentaliste par les élèves, mais plutôt être un élément gravitationnel. Au total, 25 % des dessins de professeur documentaliste ne représentent ni livres, ni documents, ni ordinateur en décembre. Ce qui fait 43 dessins représentant un « objet » symbolique de la connaissance, 16 n’en représentant aucun. Ce sont ces derniers qui questionnent : qu’est-ce que cela signifie pour un élève ? Positif ? Négatif ? Doit-on s’en attrister ? Ou plutôt s’en réjouir ? Un professeur de maths doit-il avoir une règle ou une calculatrice pour être un professeur de maths ? Cette absence d’objet référentiel renseigne-t-elle sur une forme de méconnaissance du professeur documentaliste et donc sur ce qui fait aussi la difficulté du positionnement professionnel ? (Illustration F)

F

Concernant la posture corporelle des professeurs documentalistes représentés, la majorité des dessins (75 %) les montrent sans activité particulière. En septembre, les 25 % de dessins restants les présentent en train de désigner des livres (56 %), porter des livres (6 %), ranger des livres (6 %), donner des livres (13 %) ou d’utiliser un ordinateur (6 %). Ce n’est qu’en décembre que des dessins (14 %) les montrent en posture d’enseignement. Ce qui tend à montrer qu’en début d’année la composante enseignante du métier ne fait pas du tout partie de la représentation des élèves, et que celle-ci est largement influencée par la mise en œuvre (ou non) de séances pédagogiques.

Conclusion

Tenter d’analyser les représentations sociales d’élèves qui arrivent en 6e, et qui n’ont, à priori, jamais fréquenté un CDI ou un professeur documentaliste, pourrait sembler inutile. Or, les analyses ont permis de repérer des éléments qui constituent un état des lieux de ce que les élèves apportent avec eux lorsqu’ils pénètrent pour la première fois dans le CDI de leur collège.

L’exploration, systématique et méticuleuse, des dessins a ainsi mis au jour certains éléments qui pourraient faire partie du noyau central de la représentation des élèves.
Pour le CDI, ce sont le meuble bibliothèque, la table, le rangement, avec en éléments périphériques le livre, le siège, et l’ordinateur. Certains éléments, en revanche, qu’il aurait été logique de trouver ne ressortent pas de l’analyse, comme la présence humaine, la signalétique, le silence, le travail.
Pour le professeur documentaliste, ce sont le sourire, l’aide/accompagnement, la femme, avec, pour éléments périphériques, autant la bienveillance que la tristesse, la relation à l’élève, le caractère intellectuel. Ce qui est à noter est la très faible présence d’éléments en lien avec l’information-documentation et la quasi absence de références à l’Éducation aux médias et à l’information.

Quant à notre regard de stagiaire dans sa deuxième année d’exercice, enthousiasmée par ce métier, il a évolué. Le CDI n’est finalement pas le temple du silence ou de l’ennui ; le professeur documentaliste n’est pas un être focalisé sur le silence et l’absence de mouvement. Tout est très vivant et presque joyeux pour les élèves et nous nous en réjouissons. Nos propres représentations ont été bousculées par ce mémoire. Les différents espaces ont, depuis, fait l’objet d’une reconfiguration, favorisant une meilleure identification. Notre posture aussi a changé : plus en lien avec les élèves, moins axée sur le respect du silence, et davantage dans l’accompagnement sur les aspects info documentaires.

Bien entendu, les éléments mis en exergue ne sont ni exhaustifs ni généralisables : l’étude prend place dans un lieu et un temps donnés et il est très possible que le contexte de réalisation des dessins ait influé sur certaines données. Mais ces données peuvent déjà apporter des éléments de réponses aux hypothèses formulées en amont. Les représentations semblent influencées par les images de séries télé et les romans, sans que cela soit toujours de façon négative. Pour ce qui est de l’amalgame fait entre le lieu CDI et le professeur documentaliste, la faible présence de professeurs documentalistes dans les dessins des CDI tendrait à monter que, à l’inverse de l’association « professeur documentaliste = CDI », un CDI n’est pas forcément attaché à un professeur documentaliste. Enfin, l’absence d’identification des différents espaces dans les dessins de décembre, alors qu’une séance pédagogique a porté sur ce thème, permet de mesurer le poids des représentations, et met en évidence l’importance de l’aménagement du lieu dans l’accès au savoir.

Pour aller plus loin, il serait pertinent de réitérer l’exercice dans d’autres établissements en tous points différents pour comparer les résultats et proposer des analyses plus générales. D’autres pistes seraient aussi à explorer pour poursuivre ce travail : par exemple, analyser les dessins sous l’angle de la consommation ; demander aux élèves de dessiner leur CDI idéal ; chercher à savoir si les élèves font la différence entre une bibliothèque et un CDI. Enfin, pour compléter l’analyse, il serait très intéressant de faire dessiner tous les niveaux de la 6e à la Terminale, des parents, d’autres professeurs et d’autres professeurs documentalistes.

Quoi qu’il en soit, l’analyse a permis de mettre au jour un aspect fondamental de la représentation du CDI, le meuble bibliothèque. Comment alors concilier cela avec les Centres de Connaissance et de Culture impulsés par le Ministère, dans lequel le livre n’a plus la même place ? Cela pourrait-il créer un vide ? Un manque ? L’élève s’attend-il encore à trouver un lieu avec des livres aujourd’hui ? Il semblerait…
Un autre point saillant des représentations des élèves est le caractère accueillant du professeur documentaliste. Si l’on met en parallèle l’absence d’éléments concernant l’information ou les médias, ce travail permet de souligner la difficulté structurelle du métier : un professeur sans discipline, un professeur non identifié comme tel par les élèves. C’est ici sa légitimité qui est questionnée et surtout l’influence que ce manque de reconnaissance peut avoir sur la structuration des connaissances de l’élève.