CDI, mon CDI… qu’est-ce qu’on va faire de toi ?

Le CDI. Au départ, il s’agit ni plus ni moins d’une bibliothèque présente dans l’établissement scolaire, au service du livre et du travail individuel. Un lieu sans prétention où le silence est roi, où l’élève vient souvent seul. Rien d’original : il s’agit du modèle qui existait déjà dans les bibliothèques publiques, dont le CDI ne faisait que reprendre les codes.
Cependant, les usagers sont ici des jeunes, des adolescents : un profil déjà bien particulier qui manifestera des usages et des demandes bien spécifiques. Mais surtout, ces derniers demeurent dans l’établissement et vont être, tôt ou tard, confrontés au lieu documentaire. Ainsi, plusieurs générations d’adolescents ont fréquenté durant leur scolarité (de gré ou de force) le CDI et force est de constater, en discutant avec eux, que le lieu ne laisse pas indifférent.
En tant que professeurs documentaliste nous côtoyons quotidiennement des jeunes avec qui nous discutons et échangeons, qui empruntent des livres et fréquentent le lieu avec plaisir parce qu’ils s’y sentent bien. J’irai même plus loin en disant que, pour certains élèves, le CDI représente un espace de liberté, d’épanouissement et même de sécurité.
Pourtant, peu le savent et rares sont ceux qui réalisent à quel point ce lieu est indispensable. Tous les jours, nous sommes entourés d’élèves et de collègues pas forcément au fait de notre travail et de l’importance du CDI tel que nous le percevons en tant que professionnel de l’information-communication et de la documentation. Il s’agit d’un combat quotidien que nous menons pour redonner au lieu tout le respect qu’il mérite et prouver (!) que oui, nous sommes bien des enseignants et des professionnels investis et que nous méritons salaire et respect. Ainsi tout doit être mis sur la table : notre métier, nos fonctions, le lieu et ce qu’il peut apporter à l’élève et à la communauté enseignante. Voilà plusieurs années que l’école se transforme à grande vitesse (notamment via le numérique, maintenant incontournable dans nos pratiques), pense l’autonomie des établissements, réforme les épreuves nationales, renforce l’importance de la laïcité et des valeurs républicaines, du climat scolaire et la lutte contre le harcèlement.
Nul doute que nous avons notre place dans cet avenir et que le CDI a le potentiel pour devenir la plaque tournante de ces priorités. Alors profitons-en et pensons le futur, en commençant par notre propre rôle.

Prof doc, qui es-tu, où es-tu, y es-tu ?

Dystopie : le CDI du futur est-il indissociable du professeur documentaliste ? Rien n’est moins sûr. La France reste le seul pays où existe cette fonction si particulière. Cette double casquette (enseignant et documentaliste), censée être notre point fort, s’est avec le temps retournée contre nous pour devenir un poids dans notre quotidien.
En qualité de professeur, nous n’avons pas le même traitement que nos collègues : pas de prime (informatique, charge de professeur principal), pas d’heures supplémentaires, pas d’agrégation, pas de corps d’inspection spécifique, pas de discipline à part entière.
Cela pose évidemment le problème de la légitimité professionnelle du professeur documentaliste. Dès le départ, le traitement ne joue pas en notre faveur et, malheureusement, implique ces discours clichés que l’on peut entendre sur notre métier.
Quand bien même notre circulaire précise et inscrit noir sur blanc la mission d’enseignement qui nous incombe, cette dernière est conditionnée par notre volonté de faire cours, parfois sur l’insistance des chefs d’établissements, notamment en collège. En l’état, il est donc normal que notre reconnaissance en tant qu’enseignant soit égratignée par comparaison avec nos collègues qui eux ont un programme et des heures inscrites à la DHG. En qualité de documentaliste, ce n’est pas forcément mieux. À ce jour, il n’existe aucune passerelle entre professeur documentaliste et les métiers de bibliothèque.
Nous remplissons les conditions d’accès au concours interne des bibliothèques de la fonction publique d’État et de la fonction publique territoriale (comme n’importe quel enseignant), mais pour le concours interne de bibliothécaire d’État, il n’est pas sûr que nous soyons éligibles. En effet, le site du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche indique :
« Le concours interne est ouvert, aux fonctionnaires et aux agents publics qui justifient au 1er janvier de l’année du concours de quatre années de service public, dont deux années au moins dans un service technique ou une bibliothèque. »
Professeur documentaliste donc, mais ni vraiment professeur ni vraiment documentaliste. Faut-il garder cette double identité ? Faut-il trancher dans le vif et n’avoir qu’une seule casquette ?
À l’heure actuelle, la reconnaissance en tant qu’enseignant ne peut se faire qu’en interne, par l’investissement personnel mais aussi en fonction de l’environnement dans lequel nous évoluons et, notamment, selon les rapports que nous entretenons avec l’équipe éducative et les chefs d’établissement. C’est d’autant plus vrai lorsque nous arrivons en exercice dans un nouvel établissement où parfois, plusieurs années sont nécessaires pour obtenir du crédit auprès des collègues et de la direction.
C’est un sujet sensible dans la profession et, récemment, l’APDEN a sondé les intéressés sur cette question, entre autres sur les heures d’enseignement obligatoire : nous attendons les résultats. Certains pensent que cette sacro-sainte reconnaissance ne viendra que si nous disposons d’un volume horaire inscrit dans la DHG pour enseigner. Mais quid du programme, de la matière, de la formation initiale et continue ? Beaucoup de questions vont se poser ; malgré tout, à partir du moment où nous avons passé le CAPES, il est logique qu’en tant que professeur certifié par un diplôme d’État, nous ayons un devoir d’enseigner régulièrement une matière qui nous est propre et de contribuer activement à l’acquisition de compétences que nous seuls serions à même d’évaluer. Pas de panique : le futur de notre profession est encore lointain ; nous sommes pour le moment les seuls à nous y intéresser !

Sauver le prof doc ou le CDI ?

Revenons au CDI : comment assurer la gestion d’un lieu si nous devions, par exemple, enseigner 18 h chaque semaine ? La réponse est simple : on ne peut pas. À moins d’embaucher davantage de professeur documentaliste et d’aide documentaliste, afin qu’un relais s’instaure et que le CDI puisse rester ouvert avec une grande amplitude horaire. Cependant, difficile de croire que le recrutement de personnel va s’intensifier, sauf si la charge de gestion est attribuée à des vacataires ou à des contractuels sans expérience ni goût particulier de la fonction. Est-ce une bonne chose ? Oui pour l’amplitude d’ouverture, mais quid de l’importance et de la présence d’un professionnel diplômé et dévoué aux élèves ?
Cela dit, une chose est sûre : si les heures d’enseignement peuvent ne pas être dispensées, il est obligatoire d’avoir une personne en charge de la gestion du lieu. La fonction de « documentaliste » continuera donc toujours d’exister tant que le lieu CDI demeurera.
Et ce lieu ne disparaîtra pas : en considérant notre pays et son rapport très intime avec la culture, notamment avec le monde du livre, il semble très improbable que l’établissement du futur ne dispose pas d’un centre de documentation à part entière. Au vu des changements qui attendent l’éducation nationale dans les années à venir, ce dernier va (doit) forcément évoluer, tout en gardant cette fonction de lieu de travail et de lecture avec un accès aux livres qui demeure une volonté forte de l’école républicaine à la française.
S’en tenir à ces seules fonctions semble être tout de même très réducteur. Si l’on prend en compte l’évolution et les changements qui ont eu lieu ces dernières décennies dans le monde des bibliothèques, nul doute que nous allons assister (et cela a déjà commencé dans quelques établissements scolaires) à de grands bouleversements en termes d’usages et de services proposés dans les centres dits de culture et de documentation.
Service, le mot est barbare et heurte l’oreille du professeur documentaliste. Pourtant, à l’image des bibliothèques qui sont progressivement devenues médiathèque, ludothèque, voire cybercafé, il semble que le CDI (pourtant un lieu scolaire) tende vers ce genre d’hybridation. Il y a quelques années, en 2012, on nous parlait du 3C (concept équivalent à celui des Learning center) comme le futur du CDI : un lieu ayant pour but de favoriser l’autonomie des élèves, grâce à la présence d’espaces identifiés et modulables où les ressources seraient accessibles en continu, grâce à une amplitude horaire maximale.
Aujourd’hui, le concept a perdu de l’élan et finalement, on ne parle plus du tout ni des 3C… ni même du CDI. Le mot est absent des textes de réformes, des vademecum et des projets académiques et nationaux. De fait, chaque établissement, selon ses moyens, prend le soin de faire évoluer le CDI comme il le souhaite. Ainsi, pouvons-nous visiter des CDI avec des espaces dédiés à des expositions ou à des travaux d’élèves, d’autres avec des salles infos et de réunions, d’autres avec des espaces ludo-créatifs ; d’autres avec des FAB-LAB (lieu où sont mis à disposition toutes sortes d’outils, notamment des machines pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d’objets), ou d’autres avec uniquement des livres et des ordinateurs. Il est important de préciser que derrière chaque CDI, il y a un professeur documentaliste qui est force de proposition dans son établissement : sa détermination peut faire aboutir à de grands résultats pourvu qu’on accepte de l’écouter.
Soyons optimistes : nous avons cette chance incroyable d’avoir pour responsabilité un lieu particulièrement intéressant et relativement modulable. Nous pouvons nous inspirer des médiathèques, des bibliothèques universitaires ou des centres de documentation à l’étranger pour trouver des idées et les mettre en application.

Dépasser les murs de l’ÉPLE

Le CDI est un lieu indissociable de l’établissement scolaire. Pour le faire évoluer il faut donc mener une veille active pour connaitre et appréhender les avancées et tendances dans le milieu de l’éducation : à nous d’anticiper notre place et le rôle du CDI dans les réformes à venir. Mais il serait tout de même dommage de ne pas regarder ce qu’il se passe dans le monde des bibliothèques. Le CDI du futur, si on observe attentivement ce qu’il se passe dans les médiathèques, sera probablement hybride et élargi dans ses fonctions. Le concept d’hybridation n’est pas nouveau : pour avoir un aperçu de ce que cela veut vraiment dire, prenons l’exemple de la bibliothèque centrale d’Helsinki Oodi, inaugurée en 2018, élue bibliothèque de l’année en 2019 par La Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques. À son sujet, la maire-adjointe de la ville a déclaré : « Ayant contribué à l’alphabétisation de notre nation […] puis à l’épanouissement d’un système éducatif performant, la bibliothèque s’adapte et devient davantage un lieu de socialisation et de création1. »
De nos jours, la quasi-totalité des bibliothèques et médiathèques a adopté un modèle hybride : à la fois un lieu documentaire qui permet un usage solitaire pour son propre travail ou son loisir et un espace social dont le but est de faire rencontrer, réfléchir et interagir à des fins de débat et de création ou tout simplement de socialisation. Entre autres, nous trouvons dans cette fameuse bibliothèque d’Helsinki : une salle de cinéma, des salles pour des réunions associatives, familiales et politiques ; un espace de jeux pour enfants, des ordinateurs et tablettes à disposition, un petit café-restaurant, des salles de repos, un lieu pour faire des impressions 3D, des pièces avec des consoles de jeux vidéo… Et aussi quelques livres.
L’exemple est extrême mais il existe, tout en étant loué pour sa modernité, son architecture et son ambition.

Le troisième étage de la bibliothèque d’Oodi. Si vous voulez être au calme, passez votre chemin !

Cependant cela peut prêter à sourire d’imaginer tout ça en établissement scolaire, pour plusieurs raisons.
D’une part, car le CDI est implanté dans un lieu dédié à l’éducation où l’usager est un élève. Quel est l’intérêt de proposer aux élèves des jeux de sociétés et consoles de jeux vidéo au CDI ? Le débat est ouvert. De plus, proposer plus de services veut dire plus de personnel et de plus grands espaces. Les Learning center, 3C ou médiathèques, résolument modernes, ne peuvent exister sans ce travail essentiel d’architecture des lieux, de création d’espaces prédéfinis et modulables, ouverts et aérés afin d’être confortables et accueillants.
Dans le cas des établissements scolaires, les choses sont un peu différentes : comment faire dans des établissements (et ils sont en écrasante majorité) qui ne peuvent ni s’agrandir, ni faire construire, ni même rénover ? Qui va financer tout cela ? Certainement pas l’établissement scolaire où d’année en d’année on constate une baisse des crédits alloués au fonctionnement du CDI. Il n’y a plus que les départements ou les régions pour nous venir en aide, mais il n’est pas rare que dans les cas de demandes de matériels, fournitures et autres mobiliers nos demandes restent lettre morte. Quant à l’extension des bâtiments, cela est possible uniquement pour certains établissements scolaires particulièrement chanceux et bien situés.
Cette question d’hybridation remet donc en cause l’espace même au CDI, qui est modulable, certes, mais dans une certaine mesure seulement. C’était également le point faible du concept de 3C : son existence et son fonctionnement impliquait des espaces à la hauteur des ambitions, mais la réalité est souvent insurmontable.
À titre personnel, le lieu dans lequel j’exerce fait 100 m², dans un lycée urbain où le manque d’espace est une réelle problématique : pas de salles de réunions, pas de foyer ni d’auditorium. Si l’on souhaite proposer une exposition, un coin jeux de société ou de repos il n’y a que le CDI, mais je dois alors obligatoirement le fermer ou en limiter l’accès pour permettre un fonctionnement… relatif. À moins que j’enlève ces livres qui prennent beaucoup de place ? C’est peut-être cela, finalement, le CDI du futur.
Cynique. Mais pas tant que cela au fond : bien sûr que nous sommes d’accord avec l’idée d’agrandir l’espace, de proposer plus de services pour rendre le lieu moderne, agréable et ultra fonctionnel… mais que l’on nous donne les moyens de le faire. Dans la même veine, pas besoin d’être très perspicace pour deviner cette volonté de passer au tout numérique : via le prêt de tablettes, la généralisation des manuels numériques et des bornes wifi, la mise en place de catalogue de e-books pour la lecture en ligne. Toutes ces nouveautés se généralisent dans les établissements scolaires et ça ne risque pas de s’arrêter. L’aspect lecture et prêt d’ouvrages, fonction historique pour tout centre de documentation qui se respecte, perd de sa vigueur et n’est plus considéré comme un atout pour l’élève et l’établissement. Le cynisme, c’est de finalement présenter le grand projet actuel à savoir « La lecture grande cause nationale » et ne pas évoquer une seule fois le CDI et le professeur documentaliste2.
Cet oubli est symptomatique de notre manque de visibilité et de l’indifférence actuelle à l’égard du CDI. Une seule solution : convaincre. Convaincre de notre efficacité en tant que professionnels de l’information et de la documentation, en tant qu’enseignant ; convaincre de l’importance du lieu pour les élèves. En l’absence de directives claires de la part de nos hiérarchies et des gouvernements, nous sommes contraints de repenser le lieu par nous-mêmes, ce qui n’est pas une si mauvaise chose en soi, car nous serons force de proposition.

Hybridation ou cacophonie ?

Nous disions donc, un CDI hybride. Nous pourrions d’ailleurs aller plus loin : aujourd’hui, le lieu bibliothèque a pour ambition d’être ouvert sur le monde, accessible à tous, utile pour tous. L’objectif est de satisfaire les usagers, mais aussi, il faut le dire, d’attirer ceux qui ne sont jamais venus. Et pour cela, il faut séduire en proposant notamment un panel de services où n’importe quel citoyen (ou futur citoyen) peut y trouver son intérêt. Il s’agissait jadis de briser cette image d’austérité et d’élitisme qui collait à la peau du mot « bibliothèque ». Le pari est réussi et maintenant, familles et particuliers trouvent dans la médiathèque bien plus qu’un simple accès aux livres.
Comme je l’ai évoqué au tout début, le grand chantier selon moi pour le CDI est l’amélioration de son image. Nous exerçons dans ce lieu 30 heures par semaine, mais il est parfois difficile, malgré nos efforts, de faire venir et d’attirer certains élèves (et ils sont nombreux à ne jamais venir). Pourtant, je pense que tous les professeurs documentaliste font des efforts pour rendre le lieu agréable, fonctionnel et propice au travail, au calme, à la curiosité intellectuelle. Ces élèves ont-ils une image du CDI comme lieu d’austérité et de « travail forcé » ? Est-ce simplement une méconnaissance du lieu et de son rôle ? Pendant la période de révision du bac cette année, une élève de terminale a toqué à la porte de mon CDI puis m’a demandé avec mille précautions, la tête seulement dépassant de la porte, si elle avait le droit de venir travailler. Je ne l’avais jamais vue en trois ans, pourtant il n’y a que 400 élèves dans mon établissement. Bien évidemment, les élèves ont le droit de ne pas venir au CDI. Mais cela veut dire qu’ils n’y trouvent absolument pas leur intérêt. Voilà qui mérite que l’on mène des enquêtes dans nos établissements pour justement comprendre le pourquoi du comment !
Nous pourrions, pour attirer davantage les élèves au CDI, proposer davantage d’espaces ludiques et sociabilisants. Mais là encore, il y a de quoi débattre : contrairement à une médiathèque, le CDI est implanté dans un établissement scolaire, à destination d’élèves qui sont tout de même là pour travailler. Peut-on travailler ou réviser convenablement dans un lieu où d’autres élèves jouent, discutent, fabriquent, se prélassent ou encore écoutent de la musique ?
Le CDI du futur devra prendre en compte deux paramètres fondamentaux qui peuvent paraître opposés l’un à l’autre : il devra être dédié au travail, à la révision, à l’acquisition de compétences essentielles au parcours scolaire de l’élève, mais aussi à l’amélioration du climat scolaire et à la mise à disposition d’espaces ludiques, créatifs et sociaux. Ce deuxième point reprend l’idée de la bibliothèque troisième lieu : ce concept, apparu dans les années 80, suppose que dans la société actuelle il n’y a pas assez de lieux où se rencontrer en dehors de la maison et du travail. Appliqué aux bibliothèques ou au CDI, le concept sous-entend que le lieu doit favoriser les rencontres informelles, la convivialité, pour se situer au plus près des demandes des usagers, ceci afin de contribuer à créer du lien social et de favoriser le vivre-ensemble. Le concept est attirant, mais encore faut-il (nous l’avons déjà dit) avoir la possibilité logistique de le faire : la contrainte des espaces demeure encore et toujours prégnante ; chaque innovation dans le monde des bibliothèques semble s’orienter vers le crédo « de plus grands espaces pour de multiples usages ». Et quand c’est impossible, que doit-on faire ? Supprimer ou diminuer les espaces existants3 ?

Dans les petits CDI, il va être compliqué d’installer des fablabs, des espaces de créations et de discussions. CDI du lycée professionnel Claret (Toulon)

Mais ce n’est pas fini : il est devenu impossible, pour n’importe quel professionnel de l’éducation, de ne pas prendre en compte le contexte grandissant de la transition technologique et du tout numérique. Qu’on le veuille ou non, nous assistons à une multiplication des ressources, des outils et des pratiques exclusivement utilisables via la connexion à Internet ou à un outil numérique. La modernisation de l’école suit son cours et il est impensable qu’un élève sorte du système scolaire sans de solides bases informatiques, compétence indispensable pour tout étudiant, et même tout salarié. Mais n’est-ce justement pas cette frénésie du tout numérique qui nuit aux relations humaines, au vivre ensemble, au partage, à l’ouverture culturelle et humaniste ? Là encore il y de quoi débattre, mais la frénésie des outils numériques n’a de cesse de s’intensifier et concerne maintenant tous les âges. Il n’est pas rare de trouver, comme dans le réseau des médiathèques de Paris, des tablettes numériques à disposition des enfants pour « valoriser l’édition de littérature numérique, favoriser le divertissement et le loisir, développer des ateliers créatifs en lien avec les autres ressources de la médiathèque4 ».
Dans le même temps, on perçoit également la volonté de faire du lieu un exemple en matière d’écologie et de développement durable. Pour rendre ces deux axes compatibles, il va falloir être très inventif. Tout est sur la table et le CDI se transforme et s’adapte en fonction des sensibilités du professeur documentaliste qui généralement a toute latitude pour organiser et penser son lieu de travail. L’un de nos plus grands combats, peu importe notre ancienneté ou le type d’établissement où l’on exerce, est de parvenir à sensibiliser les chefs d’établissements et collègues sur le rôle même du CDI dont le potentiel en termes d’apprentissage et de climat scolaire est parfois sous-estimé. C’est un travail d’équipe, à inscrire dans le projet d’établissement.

Mettre le CDI à la place qu’il mérite

Une grande mission sacrée attend donc le CDI : il va s’ouvrir à tous et imposer ses fonctions et son utilité auprès des élèves et personnels. Il deviendra le lieu référence qui servira de valeur étalon au prestige de l’établissement, comme c’est le cas actuellement pour les médiathèques et leur ville. Et celui ou celle qui aura la responsabilité du lieu devra connaître les élèves ; faire preuve d’empathie et de discernement pour les accompagner dans leur parcours éducatif, culturel et citoyen ; être constamment à l’écoute des nouveautés en terme de pédagogie et d’éducation aux médias ; être force de proposition pour l’amélioration du climat scolaire ; mettre à disposition des ressources et les communiquer à tous ; permettre à l’élève de s’exprimer et encourager, valoriser son implication durant tout son parcours scolaire.
Par un concours de circonstances absolument incroyable, ce professionnel existe déjà. Bien qu’on ne le voie pas toujours.
Le CDI du futur, tant qu’il aura en son sein des professionnels dévoués et formés, continuera toujours de proposer aux élèves un accès au savoir, à la connaissance mais aussi au bien-être et à la sérénité. Le métier évoluera probablement et il est nécessaire que le professeur documentaliste obtienne la reconnaissance qu’il mérite en tant qu’enseignant, car telle est sa mission, avec un volume horaire inscrit dans le marbre et en ayant les mêmes droits que les autres professeurs. Depuis plusieurs années, nous constatons avec effroi la multiplication des fake news, de la désinformation, des problématiques de cyberharcèlement et une confusion générale concernant la liberté d’expression et de la laïcité. Or, nous sommes les plus indiqués pour enseigner l’EMI et les valeurs citoyennes aux élèves. Ne plus former, intervenir dans la classe d’un collègue de manière sporadique, mais enseigner sur la durée. Quant au CDI ? Pourquoi ne pas imaginer un volume horaire de 9 h par semaine, afin que nous ayons la possibilité de gérer le CDI malgré nos heures d’enseignement ? (Comme nous le faisons depuis toujours.) Tout cela est possible. Une fois cette reconnaissance acquise, nous serons enfin considérés non pas comme un « soutien important », une « aide précieuse », un « partenaire indispensable » (des termes condescendants auxquels nous nous sommes malheureusement habitués avec le temps), mais comme une force de décision incontournable et audible auprès de nos hiérarchies, qui nous feront confiance et nous soutiendront lorsque nous déposerons sur leur bureau le projet du nouveau CDI.
Chers élèves, collègues, chefs d’établissements et professionnels de l’éducation : nous sommes prêts à vous proposer le CDI du futur. Faites-nous confiance, écoutez-nous, soutenez-nous, vous ne le regretterez pas !

 

 

Mathilde 2032, la professeure documentaliste du futur ?

L’année dernière, lors des réunions de bassin, dans son académie de Dijon, ses collègues plus âgées lui ont dit la chance qu’elle avait d’arriver maintenant dans le métier. On discute beaucoup de cette révolution institutionnelle qui, en 2029, deux ans après l’élection présidentielle, a rebattu les cartes. La suppression de l’inspection générale et des inspections académiques, la mise en place de directions d’enseignement avec des personnalités compétentes dans leur domaine, avec des directions académiques… Que de changement, que de progrès, dont Mathilde n’a pas forcément conscience. Ses collègues, elles, ont été particulièrement bousculées dans leurs habitudes, avec un temps nécessaire de transition, quelques craintes aussi, de la colère parfois.

En ce mardi matin de septembre, avant deux séances en troisième au sujet des traces numériques, Mathilde enregistre quelques documents dans le nouveau logiciel documentaire développé conjointement par le ministère de la Culture et le ministère de l’Enseignement, à destination de l’ensemble des établissements publics. L’outil en ligne PubliDocs est adapté selon la structure, et Mathilde, en scannant simplement le code-barre de chaque document, voit les notices et les exemplaires se créer automatiquement à partir d’une base nationale gérée par la Bibliothèque nationale de France. En relation avec la direction numérique de chaque académie, qui ne s’occupe que de mettre en place les outils et environnements techniques nécessaires aux enseignants, chaque académie dispose d’un data center, financé par l’État, qui permet de mettre à disposition de tous les établissements l’outil PubliDocs, relié à la base documentaire globale, le tout gratuitement à tout niveau pour les professeurs documentalistes notamment. Au début, c’était difficile pour beaucoup d’abandonner le principe de créer les notices, mais les collègues s’y sont fait, d’autant qu’on a toujours la main pour créer son propre résumé.

Mathilde a commencé à explorer les opportunités de ce petit data center académique et les options pédagogiques qui s’offrent à elle. Ainsi dispose-t-elle d’un nombre illimité de bases de données, d’espace numérique, afin d’installer, si besoin, les logiciels en ligne agréés par la Direction du numérique éducatif. Elle a appris que l’arrivée progressive de promoteurs du libre dans les arcanes ministériels avait permis, lentement mais sûrement, d’arriver à cette solution. Elle prévoit ainsi cette année de développer un serveur spécifique à l’établissement pour l’hébergement et le contrôle de vidéos produites avec ou par des élèves, avec une gestion avancée et automatisée du droit à l’image afin de régler la publication et son arrêt dans le temps, par exemple. De même, souhaite-t-elle, si elle en trouve le temps, continuer les sessions de radio en directe, qu’avait initiées son prédécesseur, via un outil de diffusion déjà installé et prêt sur cette plateforme.

Le catalogue commence à être large, après deux années difficiles pour étudier au niveau national chaque application candidate ainsi que les conditions de la pérennité des autorisations, tant les moyens de piratage de données progressent aussi vite que les moyens de leur sécurité. Mathilde n’est pas au fait de ces questions techniques, mais elle sait qu’elle peut compter sur son collègue Mathieu, en service à temps plein dans le collège, pour gérer l’ensemble du parc informatique, administratif et pédagogique, en support également, une journée par semaine, pour faire le tour des écoles maternelles et élémentaires. Il n’est pas particulièrement au fait des logiciels éducatifs, initialement, mais il commence à se familiariser avec les besoins bien particuliers des enseignants, il est arrivé en même temps que Mathilde dans l’établissement.

Il n’a d’ailleurs pas vraiment beaucoup de temps pour découvrir tout cela, avec, pour le collège, tout de même la gestion d’une salle informatique et de trois charriots d’ordinateurs portables, le tout sous Ubuntu 32.10. avec un système d’exploitation et un nombre de machines en adéquation avec le cahier des charges national d’équipement. Mathieu vient souvent dans les classes pour épauler les enseignants, à la demande.

Mathilde garde encore à portée de mains ses cours de préparation au Capes en information-documentation, en particulier sur des aspects info-documentaires qui ont trait à la programmation, à la gestion des données, à leur organisation, à l’utilisation des langages d’affichage du Web. Alors qu’elle venait d’une filière littéraire et qu’elle gardait l’image de professeurs documentalistes qui enseignaient la recherche d’information et les médias d’actualité, elle a découvert, lors de ces formations, que le métier comprenait aussi logiquement un champ important de compétences numériques, qu’elle a bien compris qu’il fallait maîtriser pour une transmission a minima de compétences à ses élèves. Elle a vu, en préparant l’écrit, que les enseignements avaient évolué dans les années 2010, avec une tendance à l’enseignement de l’informatique, au détriment de la culture de l’information et des médias, puis que les réformes de 2029 avaient rétabli un équilibre entre les différentes spécialités. L’institution, à l’écoute du terrain, avait pu constater que la « Culture technique du numérique », discipline qui a changé plusieurs fois de nom, ne tenait pas suffisamment la route pour ce qui concernait justement les pratiques de recherche ou l’usage des médias. Elle a pris goût à ce sujet ; elle voit bien que ce n’est pas le cas de tous ses camarades de formation.
Ce qui est agréable et réaliste avec la refonte institutionnelle de l’Enseignement, c’est que les nouvelles équipes académiques, spécialisées, sont à même de développer des outils travaillés sur le terrain, dans les classes, qui permettent des enseignements associés aux nouvelles technologies, sans que les professeurs documentalistes, notamment, soient des experts. Ainsi, dans les académies de Lyon et de Normandie, qui œuvrent de concert, on travaille autour de simulations de réseaux sociaux, de moteurs de recherche, de catalogues documentaires, afin d’apprendre aux élèves, en activité, la face cachée, le fonctionnement technique de ces outils, et ainsi de mieux en découvrir les enjeux et ce qu’ils supposent comme questionnements. Ce peut être frustrant pour certains souhaitant se spécialiser dans ce type de travail, Mathilde s’en rend compte, par exemple, il faut être de l’académie de Bordeaux ou de Limoges pour travailler sur des projets de lecture à ampleur nationale. Mais il semble tout de même que la profession apprécie dans son ensemble cette organisation, selon la dernière enquête de l’Apden dont Mathilde vient de prendre connaissance.

Elle a d’ailleurs ouvert ce matin un onglet dans son navigateur pour adhérer à cette association professionnelle, particulièrement active dans son académie et dont ses responsables d’enseignement académiques ne lui ont dit que du bien. C’est tôt pour elle, dans sa carrière, de s’engager dedans, mais elle a l’impression que c’est important déjà de s’y intéresser. C’est dans cette même logique qu’elle prévoit dans la semaine d’adhérer, pour la première fois, à un syndicat. Elle hésite entre les deux seuls qui n’ont pas freiné des deux fers devant la réforme ; les deux seuls qui l’accompagnent pour faire évoluer la profession. Elle essaie de trouver le temps de voir les différences entre les deux, ce n’est pas si simple en pleine rentrée mais elle ne veut pas oublier ce sujet, comme ce fut le cas l’année passée. Elle sait qu’ils ne sont pas toujours parfaits, mais que, sans eux, elle n’aurait pas de bibliothécaire scolaire pour l’aider et développer ses différents projets culturels, que, sans eux, elle ne pourrait pas comptabiliser ses heures d’enseignement comme telles.

Mais pour l’heure, elle tient à vérifier sur l’outil collaboratif du collège comment sont développées les compétences en Culture de l’information et des médias que ses collègues, selon leur progression, ont indiquées de manière indicative sur l’environnement numérique de travail. Depuis que celui-ci est développé uniformément au niveau national, par des équipes académiques dédiées, hébergé comme les autres logiciels dans le data center de chaque rectorat, les outils pratiques se multiplient, pensés par et pour le terrain, avec une vraie ergonomie. De cela aussi les collègues lui ont parlé l’année dernière, du bonheur de professeurs d’autres disciplines qui ne rechignent plus, comme ce pouvait être le cas auparavant, à utiliser les outils numériques pour mieux s’organiser. Cela permet ainsi à Mathilde (elle regardera l’outil à chaque trimestre) de constater que cette culture reste peu développée dans les autres disciplines, mais qu’elle peut tout de même parfois s’appuyer sur ce que font les autres, et le mentionner aux élèves. Le cahier des charges pour le nombre d’heures prend en compte ces autres enseignements, ainsi que la collaboration parfois. Pour l’instant, elle a du mal à faire sa place à ce sujet, mais elle ne perd pas espoir, et malgré tout elle a beaucoup de latitude pour gérer la plupart des apprentissages seule.

La prochaine réunion de bassin, juste après les vacances d’automne, sera justement consacrée à l’organisation d’une progression à l’année pour la Culture de l’information et des médias, avec un travail préalable de prospection par les deux animatrices du groupe, sur les réseaux en ligne notamment. Si les grands-parents utilisent encore beaucoup les listes de diffusion par courriel, si les parents utilisent toujours les groupes Facebook, de son côté Mathilde, en tant que petite-fille dans le métier, ne jure que par LetShare, réseau d’un nouveau genre créé en 2031. Mélange de l’existant, le réseau détonne par sa capacité à tout agglomérer, avec des flux personnalisés, des messageries synchrones et asynchrones, des murs différents selon chaque centre d’intérêt que l’on définit, sous forme de modules que l’on affiche comme on le souhaite, avec une interaction, des liens, entre chaque module, des entrées par groupes de travail, par individus, de manière plus ou moins automatisée, selon ce qu’on souhaite. Certes, il faut s’asseoir sur le contrôle de ses données personnelles, la formation à leur maîtrise n’en est que plus essentielle, mais sur tous les plans, Mathilde estime que c’est l’idéal. Le risque, plus important que lorsqu’elle utilisait Whastapp et Facebook associés, c’est de se retrouver nez à nez sur le réseau avec des élèves, tant les cloisons sont minces avec ce nouvel outil, qui automatise trop, au goût de tous, les relations « intelligentes » entre utilisateurs.

Malgré une politique gouvernementale de promotion pour la sobriété numérique, force est de constater que les enfants ont le smartphone greffé au corps. Ce n’est pas obligatoire mais l’essentiel des établissements a pris la même décision que celui de Mathilde, en tout cas en collège, brouiller le réseau 4G mais permettre une connexion par Wi-Fi, avec un filtrage alors dans cette connexion. Les personnels enregistrent leur smartphone dans un registre, qui leur permet de ne pas être concerné par ce filtrage, de même que sur leurs ordinateurs de bureau. C’est ce qui leur permet d’être respectés en tant qu’adultes responsables, mais aussi de présenter en classe des documents qui ne sont pas aisément accessibles aux élèves. Ainsi les réseaux sociaux sont proscrits sur le réseau Wi-Fi, les soucis sont malheureusement trop nombreux pour les laisser libres d’accès dans le cadre de l’école, mais ils peuvent être étudiés en classe.

Elle a hâte, d’ailleurs, de commencer sa séquence sur les traces numériques ; elle a repris la veille les simulations à présenter aux élèves, elle a vérifié la pertinence des documents de travail qu’elle compte leur remettre, elle a relu quelques fiches du Wikinotions hébergé sur le site du ministère de l’Enseignement et géré par l’équipe académique de l’académie de Toulouse. Elle se sent à la fois prête et anxieuse, elle en est encore à ses débuts, parfois impressionnée par les élèves. Elle se sent prête, mais craint déjà les questions pièges d’adolescents qui pratiquent beaucoup, qui en savent parfois aussi beaucoup, à leur manière, par petites touches.

Elle doit participer jeudi à une visioconférence, depuis son collège, avec trois collègues des deux collèges les plus proches, sur ce sujet des connaissances des élèves en la matière et sur ce qu’on peut en faire dans le cadre de séquences pédagogiques. Cela durera deux heures, c’est la première fois qu’elle participe à un tel événement national, avec les dernières recherches de la réputée et expérimentée Anne Le Deuff, et surtout un discours préliminaire du directeur national de l’information-documentation, Olivier Cordier, qu’elle a lu déjà sans trop savoir à quoi il ressemble.

Mathilde a d’un coup un grand sourire qui se dessine sur son visage, capté par une élève de sixième là devant elle en étude. Elle exprime sa satisfaction devant la tâche professionnelle qui l’attend, devant ces perspectives. Elle s’éloigne ainsi de ce rêve étrange qu’elle a fait la nuit dernière : elle se réveillait alors un matin de 2022 et se retrouvait arriver dans son collège, à devoir organiser la distribution des manuels scolaires, à batailler pour trouver les heures afin de proposer des animations pédagogiques, à patienter depuis trois jours avant de voir se débloquer l’accès à un site web à visualiser avec les élèves… Un cauchemar qu’elle repousse maintenant symboliquement d’un geste de la main.

Bibliothèque de Tianjin en Chine – Créative Commons CC0 1.0

 

Le CDI, un espace de réduction des inégalités ?

Au printemps 2020, la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid19 a mis en lumière les inégalités d’accès à la culture, à l’informatique et à l’information rencontrées par les jeunes, lesquelles sont liées, entre autres, aux origines sociales des élèves. Cette situation n’est cependant pas nouvelle, comme les rapports de conclusion des enquêtes PISA menées par l’OCDE l’ont régulièrement pointée aux professionnels de l’éducation depuis les années 2000. Ainsi pouvait-on lire en 2015 dans leurs conclusions : « plus on vient d’un milieu défavorisé en France, moins on a de chances de réussir » (OCDE, 2015)1. À la rentrée 2021, le ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports inscrit cette lutte contre les inégalités dans la circulaire de rentrée, la présentant comme un des quatre grands axes de l’année 2021-2022, et désignant l’école comme « un lieu où chacun a sa place, en donnant plus à ceux qui ont moins pour assurer l’égalité des chances […] en parachevant la transformation de l’École inclusive »2. Cependant, à aucun moment, ni le lieu CDI ni l’action de l’enseignant·e documentaliste n’apparaissent dans la circulaire de rentrée parmi les différents moyens matériels et humains à disposition pour contribuer à cette égalité des chances.
Or, l’action de l’enseignant·e documentaliste semble particulièrement importante dans sa dimension sociale : d’abord parce que le lieu CDI est, au sein du service public d’éducation, un espace porteur de valeurs d’égalité, ensuite en raison de l’implication de l’enseignant·e documentaliste en tant que gestionnaire d’un centre de ressources, et enfin du fait de son rôle dans la diffusion de ces valeurs à l’ensemble de la communauté éducative.
En appui à une réflexion sur ces questions, je propose ici quelques suggestions, basées sur mon expérience professionnelle en milieu rural défavorisé, qui visent à réduire les inégalités. Dans quelle mesure et en quoi les missions d’accueil et la mise à disposition des ressources en CDI peuvent-elles contribuer à cet objectif ?

Le CDI, un espace égalitaire ?

Au cœur de l’établissement, service public d’enseignement, le CDI est un centre d’information accessible chaque jour, à des horaires compatibles avec les activités du public scolaire, et pleinement intégré dans un espace fréquenté quotidiennement par les adolescent·es. C’est un lieu qui met ses ressources à disposition sans formulaire d’inscription, et gratuitement. Par rapport aux médiathèques municipales urbaines, ce sont autant de freins levés : pas besoin de consentement parental ni de frais d’adhésion, pas d’amendes liées aux retards, pas de justificatif de domicile, pas de problème de carte oubliée, pas d’horaires incompatibles ou de déplacements à ajouter au quotidien. Par rapport aux bibliothèques rurales, la plus-value est encore plus importante : les déplacements des adolescent·es y sont souvent intercommunaux et soumis au bon vouloir d’adultes disponibles alors que l’amplitude horaire d’ouverture est plus restreinte qu’en ville. Le fonds des bibliothèques rurales, qui s’adresse à un large public, est généraliste ; les personnels sont encore souvent des bénévoles, lesquels n’ont pas toujours reçu de formation particulière à la littérature jeunesse ou aux problématiques de l’information-documentation ; les budgets peuvent être aléatoires et pas forcément consacrés à des acquisitions destinées aux adolescent·es.
Au-delà de l’inégalité d’accès matériel au lieu de culture, le CDI pallie aussi les inégalités sociales. En effet, comme le constate Sébastien Goudeau, maître de conférences en psychologie sociale : « Les élèves des classes moyennes et favorisées arrivent à l’école avec une familiarité plus grande vis-à-vis des attendus et savoirs scolaires que celle des élèves de classes populaires. Par exemple, les premiers fréquentent davantage les bibliothèques, les musées et pratiquent plus d’activités extrascolaires. Ces pratiques favorisent le développement de connaissances et de compétences qui s’avèrent très utiles pour la réussite scolaire » (Goudeau, 2020). La présence du CDI dans les murs de l’établissement gagne ainsi à se penser comme une complémentarité, si ce n’est une compensation de cet accès aux médiathèques que l’on sait plus compliqué, moins aisé, voire inexistant, chez les élèves les plus défavorisé·es ou éloigné·es géographiquement des lieux de culture. C’est une porte de moins à franchir pour les hésitant·es.

Comment adopter une pratique qui favorise l’égalité ?

Le CDI est donc, déjà en lui-même, un formidable terreau d’égalité, et si, par sa seule existence, il incarne des valeurs égalitaires (mixité sociale, accessibilité universelle), il appartient ensuite à l’enseignant·e documentaliste d’orienter en ce sens sa pratique professionnelle et tout d’abord de lutter contre l’image élitiste qui pourrait encore être associée au lieu en l’ouvrant à la multiplicité des publics et des usages qui y trouvent légitimement leur place. Contrairement aux salles de classe ou à la permanence qui apparaît comme un repli obligatoire sur le temps libéré en collège, le CDI est souvent le seul espace de l’établissement où l’élève peut choisir de venir ou non. À nous de faire en sorte que chaque élève connaisse son existence, les activités qu’on peut y mener et les multiples raisons d’y venir.
Cette réflexion se mène au sein de l’établissement, en l’adaptant à la particularité de chaque EPLE, de chaque CDI, pour faire du centre de ressources un espace où les élèves se sentent bien, dont le fonctionnement leur est familier, et un outil dont ils se saisissent. En effet, « il ne suffit pas qu’une offre soit présente à proximité, gratuite et physiquement accessible pour qu’elle soit connue, reconnue et utilisée » (Rabot, 2015), nous devons veiller à ce que chacun·e se sente légitime au CDI.
La question de son ouverture, que ce soit dans son amplitude horaire ou dans ses modalités, semble primordiale. Dans les établissements, le CDI est souvent ouvert en parallèle des heures de permanence, pour des usages différents mais complémentaires : recherche, travail en groupe ou en autonomie, utilisation de l’informatique, lecture, ou simplement attirance pour le lieu… Rendre la venue du public légitime, c’est ne pas hiérarchiser les motifs de présence ; c’est ne pas demander de comptes aux élèves qui fréquentent le lieu à propos de ce qu’ils·elles y font ; et du côté de l’enseignant·e documentaliste, c’est oublier un peu les indicateurs de performance. Il semble, de même, contreproductif de conditionner un usage, souvent considéré comme plus attractif, à un autre qui semblerait plus rébarbatif (du type « tu peux utiliser les ordinateurs à condition d’avoir lu auparavant pendant 15 minutes »).
Face à un public adolescent, souvent versatile et pas forcément capable d’anticipation, il peut être intéressant de lever au maximum les freins à la fréquentation du lieu. Questionnons ses modalités d’accès : les inscriptions préalables, les passages préalables par la vie scolaire avant accès, les venues pour une durée minimum… visent-elles une optimisation de sa fréquentation par les élèves ou une optimisation de l’organisation de l’enseignant·e ? Sans négliger les pratiques de l’établissement, avec ses contraintes matérielles ou structurelles, l’objectif doit rester de favoriser la venue des élèves en privilégiant un fonctionnement qui leur soit adapté. Par exemple, sur la question du temps, même si le collège impose un temps-cadre d’une heure sur les temps scolaires, pour des raisons de responsabilité, le temps périscolaire de la pause méridienne peut sans doute faire l’objet d’un usage plus libre. L’ouverture en flux continu le midi n’est pas forcément synonyme d’un va-et-vient désorganisé et peut répondre aux différents besoins des adolescent·es : ainsi, l’un·e qui a prévu juste de venir chercher un ami·e, peut finir happé·e par une lecture, l’autre qui pense avoir besoin d’un temps long pour finir un travail informatique, peut en fait libérer une place plus tôt que prévu. L’objectif de 100% des élèves venu·es au moins une fois dans l’année au CDI est atteignable !
En collège, l’amplitude horaire est réduite par rapport au temps total d’ouverture de l’établissement du fait du temps de présence de l’enseignant·e documentaliste (sur la base d’un temps plein de 30 h en établissement). Elle peut donc être maximisée sur les autres temps, par un travail conjoint avec d’autres personnels, que ce soit dans le cadre d’un projet global avec l’équipe de vie scolaire, ou par l’inclusion d’une ou plusieurs missions de service civique au CDI.
Penser le CDI, notamment son organisation, par le prisme de la réduction des inégalités, amène à se poser des questions : en menant ce club pour quelques élèves, est-ce que je ne pénalise pas le plus grand nombre ? Il ne s’agit surtout pas de réduire l’offre pédagogique en prônant une ouverture à tout prix, abandonnant toute exigence. Mais bien de réfléchir à comment la démultiplier : est-ce que ce club ne pourrait pas trouver place dans une salle annexe, tandis que le CDI serait ouvert par un autre adulte, en charge d’accueillir d’autres élèves ? Ou inversement, si le CDI doit être fermé pour accueillir une activité, est-ce qu’une salle de lecture annexe ne pourrait pas être proposée, en salle de permanence ou au foyer ?
Cette préoccupation d’égalité doit rester au cœur des actions de l’enseignant·e documentaliste. Le CDI est parfois le seul lieu de l’établissement offrant un accès autonome à un équipement informatique pour les élèves. Quelles pratiques peut-on alors autoriser ? Faut-il restreindre l’usage de l’ordinateur à des travaux scolaires ou bien peut-on envisager éventuellement, sur des temps restreints, des accès plus libres ?
Le Cadre de Référence des Compétences Numériques (plus connu sous le nom de « plateforme Pix ») évalue désormais de nombreuses compétences pour les 3e et Tle, dont on ne peut pas imaginer qu’elles soient toutes traitées dans le cadre scolaire. À quel moment l’élève pourrait-il s’entraîner à paramétrer la confidentialité d’une publication sur un réseau social ? De la même manière, le matériel d’impression du CDI peut-il être mis à disposition des élèves ? Dans quelle mesure ou pour quels usages ? Ces questions méritent d’être traitées dans la politique numérique de l’établissement, qui est indissociable des usages informatiques du CDI.

Et si on repensait l’accès aux ressources ?

Dans cette volonté d’inclusion des publics les plus éloignés des lieux de culture, la question de l’accès aux collections du fonds papier ne peut être laissée de côté. Les réflexions dans le domaine se font actuellement de plus en plus fréquentes dans les espaces d’échanges professionnels (listes de diffusion, groupes sur les réseaux sociaux), notamment autour d’une classification Dewey simplifiée ou vers les modèles commerciaux booktsore model (Beudon, 2016). Elles visent souvent à rendre le fonds attrayant et à favoriser les emprunts. Envisager cela sous l’angle de la réduction des inégalités sociales et culturelles ne peut qu’enrichir la réflexion et orienter la prise de décision.
En 2008, Soizic Jouin, dans un article du Bulletin des Bibliothèques de France étudiait la mise en place de classements thématiques dans différentes médiathèques, à partir d’un postulat de base : « Il est évident que plus les modes d’accès sont complexes, plus ils excluent. David Parmentier le dit très bien :  ’On va d’autant plus chercher directement en rayon, sans recourir aux bibliothécaires ou aux fichiers, qu’on est mal classé socialement et scolairement. Une politique de rayon est nécessaire si on veut élargir la base sociale des utilisateurs de la bibliothèque » (Jouin, 2008 ; Parmentier, 1985). La lecture de ces expériences est inspirante. Le fonds fiction peut lui aussi être entièrement remodelé autour d’un classement thématique. Si cela n’influe pas particulièrement sur le nombre de prêts, selon mon expérience du moins, c’est un accès aux romans qui est bien plus intuitif et logique pour des collégien·nes. Ce reclassement thématique permet par exemple de créer un rayon de récits brefs, à destination de petit·es lecteurs·rices ; le rayon peut être rattaché par son appellation au dispositif Silence, on lit ! et donc viser autant les faibles lecteurs·rices que celles et ceux qui répondent à une injonction scolaire, cherchant un récit qui peut être lu en peu de temps.
Cette politique de rayons peut aussi prendre diverses autres formes, dans la perspective d’une réduction des inégalités : mettre à disposition des récits sans parole (album, BD, manga…) pour des élèves dont le français est encore faible, acquérir des livres audio pour les élèves empêché·es de lire ou désireux·ses d’autres formes d’entrée dans le récit, intégrer des documentaires ou fictions mis en page pour les élèves dyslexiques, animer des temps de lecture orale… De nombreux leviers sont à disposition de l’enseignant·e documentaliste.
Pour finir sur ce point, réfléchir avec les élèves aux acquisitions est autant une façon de combler les attentes du public adolescent qu’une manière de reconnaître une légitimité à leurs différentes portes d’entrées dans la lecture et de favoriser la construction d’une culture générale. On voit actuellement Maurice Leblanc revenir à la mode à la suite d’une adaptation dans une série produite par Netflix. Le chemin est détourné, mais suivons-le ! C’est par ces ponts que le lien entre école et maison se renforce, sans jugement de valeur.

Diffuser ces pratiques au-delà des murs du CDI

Réduire les inégalités culturelles et sociales, accueillir les élèves éloigné·es des codes des lieux culturels, inclure des documents palliant les différentes situations de handicap, rendre accessible les usages et les œuvres, renforcer le sentiment de légitimité… nous voilà bien dans un projet éducatif à forte dimension sociale qui gagne à s’ouvrir à des partenaires, dans une démarche de co-construction.
Tout d’abord parce que tout cela ne peut se faire sans les autres acteurs de l’établissement. L’équipe de vie scolaire est indissociable de toutes les problématiques liées aux temps périscolaires, ce qui peut aller jusqu’à une harmonisation des pratiques et attentes. L’adjoint·e gestionnaire est forcément concerné·e par tous les achats effectués ou projetés : demandes de matériels adaptés (scanner portables à destination d’élèves dys-, casques pour l’écoute de livres audio…) ; conseils sur la meilleure manière de financer les acquisitions, par exemple en utilisant des lignes budgétaires affectées aux ressources numériques, souvent sous-employées (les livres-audio peuvent relever de cette catégorie). La concertation avec les enseignant·es enfin est indispensable pour envisager des acquisitions bien en amont des temps d’études programmés en classe, que ce soit dans les domaines littéraires ou sur des sujets d’étude disciplinaire.
Les partenaires extérieurs ont également leur rôle à jouer, qu’il s’agisse de partenaires institutionnels comme les collectivités de rattachement, du réseau de médiathèques du territoire, ou d’associations agréées. Les Bibliothèques Sonores des Donneurs de voix peuvent ainsi contribuer à mettre à disposition des élèves empêché·es de lire des enregistrements audio de fictions, voire les enregistrer à la demande de l’établissement quand il s’agit d’œuvres qui ne sont pas encore dans leur catalogue. Ces partenariats, noués dans l’optique de réduire les inégalités, enrichiront le projet d’établissement.
Enfin, il ne faut pas hésiter à formaliser cette ambition de réduction des inégalités auprès de l’ensemble des usagers. Elèves, mais aussi parents, tous et toutes sont concerné·es par cette dynamique. La connaissance de leurs attentes et de leurs besoins est essentielle pour aller plus loin dans la mise à disposition d’outils, de temps, d’accompagnement, de ressources. Que ce soit par des questionnaires ou par des échanges informels, ce lien est à rechercher. Les soirées portes ouvertes peuvent par exemple être l’occasion de dons d’ouvrages sortis de l’inventaire aux familles ; il n’est pas rare alors d’entendre des échanges se nouer, entre parents, entre parents et enfants, autour de ces livres, ou de romans, lus autrefois par des parents qui revoient leur adolescence à travers des premières de couverture d’autres générations.

Conclusion

Si aucune de ces actions n’est révolutionnaire, et si aucune n’a de sens considérée isolément, elles peuvent facilement converger au service d’une dynamique de réduction des inégalités au sein du CDI. Prendre conscience de la nature égalitaire du lieu, l’amplifier par des réflexions sur nos pratiques professionnelles, faire connaître ces actions aux différents partenaires… Toutes ces dimensions font du CDI et de l’enseignant·e documentaliste des acteur·rice central·ux dont l’établissement ne peut se priver pour atteindre les objectifs de réduction des inégalités énoncés dans la circulaire de rentrée. Dans cet article, je me suis centrée sur la spécificité du métier d’enseignant·e documentaliste en tant que pilote d’un centre de ressources. Cependant, l’action pédagogique, comme pour chaque enseignant·e de discipline, constitue pour lui·elle un levier de premier ordre au service de cet objectif de réduction des inégalités.
De manière plus globale enfin, favoriser la réussite d’un tel projet, lui donner une cohérence d’ensemble, organiser les différentes actions de manière structurée, compte tenu des objectifs de chaque établissement, passe par la formalisation de tous ces éléments : dans la politique documentaire, tout d’abord, mais aussi dans le projet d’établissement.
Et pourquoi alors ne pas lui donner sa place dans le projet d’Éducation au Développement Durable. En effet, l’EDD ne se réduit pas à sa dimension écologique et aux actions que l’on peut mener pour la protection de l’environnement. Les différentes facettes du développement durable s’incarnent dans les 17 ODD (Objectifs de Développement Durable) définis par les Nations Unies en 2012. Sur le plan international, la France s’est engagée sur la mise en œuvre de ces 17 ODD à l’horizon 2030, dans un plan appelé « Agenda 20303 ». Parmi ceux-ci, l’objectif 10 s’intitule justement « Réduction des inégalités ». À nous de montrer en quoi notre action y contribue déjà au quotidien.

 

Une expérimentation dans le cadre des TraAM documentation : « La bulle du CDI »

Le TraAM documentation 2017-2018

Le thème du TraAM documentation pour l’année scolaire 2017-2018 était « repenser l’espace existant du CDI pour mieux répondre aux besoins des usagers face aux évolutions des pratiques culturelles, informationnelles et pédagogiques » avec cette problématique : « Comment repenser l’espace existant du CDI pour répondre aux besoins des usagers (élèves, professeurs, personnels) ? » 2 La réflexion était axée sur le CDI comme lieu de créativité, la question des 3C, les espaces participatifs au CDI, le Fablab, le CDI tiers lieu, le CDI « virtuel », le design thinking. Je me suis rapidement positionnée du côté du CDI tiers lieu, lieu de créativité et participatif.

La mise en place du projet

Cette expérimentation est née d’un constat fait depuis quelques années dans le CDI où j’exerce : beaucoup d’élèves viennent au CDI sans projet précis, pour attendre l’heure de cours suivante ; ne sachant souvent que faire, ils cherchent un endroit plus calme que la salle d’étude (selon leurs dires). Il n’existe aucun espace de type foyer au collège pour décompresser. Certains colorient, dessinent. J’avais déjà proposé des coloriages anti-stress mais j’avais dans l’idée de créer un environnement plus agréable pour s’adonner à ce genre d’activité avec un sentiment de participation et d’appropriation de la part des élèves. Le TraAM m’a aidée à formaliser cette idée. Je suis partie de la définition du tiers lieu donnée par Mathilde Servet en référence à la thèse de Ray Oldenburg « le tiers-lieu est un espace physique répondant aux besoins d’une communauté présente en ce lieu. Chaque tiers-lieu aura donc une personnalité qui lui est propre et directement rattachée à son endroit d’implantation. L’ambiance du troisième lieu est généralement joyeuse, vivante, marquée par la curiosité, l’ouverture et le respect de l’autre propice à un échange. Il permet de rompre la solitude ou de contrer l’ennui. Leur environnement est marqué par la simplicité, mettant les gens à l’aise, les invitant à s’approprier le lieu facilement. Ils offrent un cadre confortable et douillet, dans lequel les individus ont envie de séjourner plus longuement, un lieu d’habitués. La convivialité y règne et rapproche leur atmosphère de celle du foyer. Le troisième lieu est véritablement composé par ses usagers qui lui donnent sa richesse »3. Le tiers lieu dans un environnement scolaire peut être aménagé pour l’accueil de petits groupes d’élèves qui peuvent travailler ensemble ou non. J’ai donc créé cet espace dans un environnement sympathique avec un sentiment d’appropriation de la part des élèves.

Les objectifs

Nous avons défini des objectifs précis de départ  : diversifier les activités du CDI, laisser s’exprimer la créativité des élèves, leur donner plus d’autonomie, leur permettre de participer plus activement à la construction et à l’organisation de l’espace, éviter de se disperser dans les activités dans l’espace travail du CDI, dédier certaines activités à cet espace et favoriser les apprentissages numériques sur tablettes. Ces activités ne font pas pour l’instant l’objet d’une progression identifiée mais font intervenir des compétences transversales reprises dans la synthèse inter-académique4 intitulée « valorisation des compétences au sein des tiers lieux ».

Dans quel espace du CDI ?

Le CDI du collège Paul Cézanne est doté de trois salles de travail vitrées et c’est une chance. L’une d’elles a une trop petite surface pour un travail en groupe et jusqu’à maintenant sa destination était peu définie. Cette salle donne sur un patio intérieur accessible. J’ai donc procédé à la réorganisation et à la décoration de cette petite salle avec l’aide des élèves. Nous avons utilisé le matériel à notre disposition au CDI : des chauffeuses, des tables et décoré les murs avec des affiches, des dessins et des mots dispersés (penser, rêver, créer…) pour égayer l’ensemble. Nous avons installé du matériel de dessin, des coloriages, des jeux, des livres et un poste de musique (photos n° 1, 2, 3).
Dans cet espace les élèves peuvent réaliser des créations artistiques (dessins, coloriages…) ou des créations numériques (tablettes), se servir des livres jeux à disposition (labyrinthes, livres « cherche et trouve », jeux de maths, illusions d’optique, énigmes…), résoudre des casse-têtes, faire des jeux (tangram, questions/réponses), utiliser les tablettes, écouter de la musique douce (relaxation). Ils sont informés lorsqu’ils viennent au CDI de la possibilité de s’installer dans la salle, sous réserve de l’adoption d’un comportement acceptable et avec un maximum de sept en même temps. J’ai dû aussi rédiger un règlement spécifique à cet espace (règlement bulle, figure 4).

Figure 4

 

Des tablettes au CDI

J’ai toujours pensé cet espace en liaison aussi avec le numérique et il a fallu faire l’acquisition de tablettes. Elles ont été mises en service après les vacances d’hiver et sans accès au wifi : j’ai donc dû mettre en place une organisation ; j’ai décidé de donner des destinations d’utilisation à chaque tablette, au nombre de 5, pour simplifier le téléchargement des applications (que je fais chez moi avec une mise à jour régulière) grâce à l’achat de 5 étuis de couleurs différentes. Ainsi les élèves ont la possibilité d’utiliser :
Une tablette pour réviser (noire) : réviser différentes matières par niveaux, pour le DNB…
Une tablette pour créer (verte) : dessiner, colorier, apprendre à dessiner, créer des bandes dessinées…
Une tablette pour réfléchir (bleu ciel) : jeux de réflexion, devinettes, quizz…
Une tablette pour se cultiver (bleu foncé) : lire des livres numériques, jeux de culture générale…
Une tablette pour jouer (rouge) : jeux d’échecs, cartes…
Les élèves en accès libre au CDI demandent l’autorisation de prendre une tablette et s’inscrivent, s’engageant à respecter la charte informatique du collège et la charte d’utilisation des tablettes au CDI que j’ai aussi créée pour la circonstance. Comme il s’agit de tablettes Android, pour télécharger les applications dans le Playstore j’utilise le compte Gmail du CDI.

Choix du nom «la bulle du CDI»

Donner un nom à l’espace était primordial. « Être dans une bulle » veut dire se replier sur soi pour éviter le stress créé par les autres ou l’environnement direct, s’enfermer. En oubliant ce sens négatif d’enfermement, j’ai pensé, en attribuant ce nom, que les élèves pourront aller dans cette salle vitrée (comme un aquarium) parce qu’ils recherchent le calme, veulent être protégés et se retrouver éventuellement avec d’autres qu’ils connaissent ou non et peut-être ainsi faire de nouvelles connaissances. « Être comme un poisson dans l’eau », se sentir bien dans cet espace, tout simplement.

Et le budget…

La première difficulté a été l’achat des cinq tablettes. J’ai donc monté un projet «Des tablettes au CDI» et je l’ai soumis au chef d’établissement qui a tout de suite donné son accord. J’ai choisi des tablettes basiques mais suffisantes pour l’utilisation que nous allions en faire. Ensuite il fallait équiper l’espace. J’ai réuni tous les documents du CDI susceptibles d’intéresser les élèves dans ce cadre : livres d’illusions d’optiques, d’énigmes, de magie, livres de dessin… J’ai aussi réuni du matériel pour dessiner, récupéré des boîtes et tiroirs pour ranger et décorer. Ensuite j’ai consacré une partie du budget du CDI à l’achat de matériel pour cette salle : jeux, livres d’énigmes et de devinettes… Mais la dépense était minime et correspondait à une réaffectation du budget, le CDI ayant déjà un fonds intéressant.
Pour animer l’espace, tous les lundis je propose aussi une énigme à résoudre. Elle est affichée au tableau dans la salle, et ils peuvent répondre avec des bulletins à me remettre. Il s’agit soit de devinettes, soit de problèmes de maths simples, soit de rébus… J’affiche le résultat le vendredi à 12h et les noms des gagnants. Ils ont droit à une petite récompense. Certains élèves ont pris l’habitude de venir pour répondre à ces énigmes, y compris des élèves de 3ème. Cela a permis à beaucoup de découvrir l’espace. Pour les créations artistiques je propose un thème différent chaque mois. Ils peuvent ainsi décorer l’espace avec leurs dessins ou créations sur ce thème (fête, métiers, gourmandise…).

Bilan de l’expérimentation

La mise en place des tablettes a vite été un succès. Les élèves les ont utilisées régulièrement sauf la tablette noire « pour réviser » ; je vais devoir réfléchir à sa modification pour la rendre plus attractive. Ils les utilisent toujours dans la salle, le plus souvent confortablement installés dans les chauffeuses. À certaines «heures de pointe», souvent au moment de la demi-pension, je suis obligée de gérer les priorités.
J’ai interrogé les élèves qui fréquentent régulièrement cet espace sur ce qu’ils apprécient et aiment y faire et ils ont répondu : être au calme et profiter du côté confortable et lumineux, s’adonner à des activités proposées différentes de celles qu’ils ont l’habitude de faire au CDI, écouter de la musique calmement, faire des jeux à plusieurs, dessiner, utiliser les tablettes. J’espère prolonger ce travail sur la valorisation de cet espace en y associant les enseignants qui désirent proposer aux élèves des moments de lecture calme par exemple. Je souhaite également développer le côté créatif avec la mise en place d’un club où les élèves pourraient réaliser des escape games ou faire de la vidéo sur des thèmes précis. Participer aux TraAM est une expérience enrichissante. J’espère aussi obtenir enfin l’autorisation d’utiliser le Wifi au CDI pour connecter les tablettes et optimiser leur utilisation.
S’engager dans les TraAM permet de se remettre réellement en question, d’innover, de réfléchir à ses pratiques et je recommande vivement l’expérience dans une carrière d’enseignant. Les échanges sont enrichissants, impulsent des projets bénéfiques pour nous et surtout pour nos élèves. Le bilan complet des TraAM documentation pour l’académie de Nice est visible à cette adresse : https://www.pedagogie.ac-nice.fr/docazur/index.php/traam/traam-documentation/1513-traam-documentation-2017-2018-synthese-de-l-academie-de-nice.

 

 

 

Un salon de thé vintage au CDI

Un espace d’histoire et de souvenirs

Le CDI du collège Jean Macé ne m’était pas inconnu. De taille réduite, il offre un espace agréable, chaleureux et propice à la convivialité. Et surtout rempli de souvenirs. En me plaçant légèrement à gauche du pilier central, je me retrouve à mon ancienne place du cours de français. Donc pour moi, entrer au CDI équivaut à un voyage direct en 1985 ! Et il ne m’en faut jamais beaucoup pour que l’ambiance devienne réalité… D’autant que le travail avait déjà commencé dans mon ancien collège : j’y avais récupéré, pour le CDI, des tables en formica vintage à souhait, quelques chaises du même acabit et deux ou trois babioles pour créer un petit espace rétro. Le projet n’a donc pas mis longtemps à germer : le CDI du collège Jean Macé sera vintage ! Une bonne partie du collège datant des années 50-60, l’idée semblait cohérente.
L’idée chemin faisant, je me rappelai avoir également créé, dans mes jeunes années, un petit salon de thé au CDI. Et si on renouvelait l’expérience ?

Tout commence par un mail

Avant toute chose, il s’agissait de prendre contact avec mon futur chef d’établissement. Arriver comme une fleur et demander directement à transformer le CDI en brocante vintage aurait pu paraître quelque peu déplacé et précipité… mais l’idée était tentante de proposer un espace qui pouvait fonctionner dès la rentrée. Il ne m’a donc pas fallu longtemps pour effectuer la demande officielle. La réponse a été immédiate : « Vous avez carte blanche ».
Alors là, temps d’arrêt. Les idées se bousculent dans mon esprit. La principale ne me connaît pas encore, et pense peut-être que je vais arriver avec deux ou trois tasses à fleurs. C’est ignorer ma boulimie de chines en tous genres, et mon goût immodéré pour l’accumulation. Mon ancien chef d’établissement ne lui a sans doute encore rien dit sur mon « léger » grain de folie et mes projets plus farfelus les uns que les autres ! Un défilé de mode des profs ou une vente de courges au CDI, c’est pourtant assez classique, non ? N’empêche qu’avec ce feu vert, il ne m’a pas fallu longtemps pour prendre possession des lieux…

Le temps de l’installation

Pour le chineur que je suis commence alors une folle épopée. Courir les brocantes, les ressourceries, les greniers, les vide-greniers. Transformer sa terrasse en atelier de nettoyage et de désinfection en tous genres. Aménager son allée principale en ruelle napolitaine en accrochant linges et peluches pour le séchage. Et tout emporter au fur et à mesure au collège, en prenant soin de ne pas oublier la date fatidique de fermeture des lieux pour les vacances. Pour un peu, je les aurais oubliées, celles-là !
Au fur et à mesure, le salon de thé vintage s’installe. Les tables en formica prennent place, prêtes à accueillir les élèves quelques semaines plus tard. La vaisselle en plastique est de sortie, les jeux de société vintage ornent les étagères, et le plafond devient mon terrain de jeu favori pour y accrocher des compositions savantes d’abat-jour bien ringards et de globes orange d’une autre époque.
Au fur et à mesure, ce petit monde prend vie, et c’est toute une ambiance qui est ainsi créée. Bientôt, il ne reste plus qu’une seule chose… attendre la rentrée !

Et la rentrée arrive

Dès les premiers jours de la rentrée, la surprise est totale, et beaucoup d’élèves sont désarçonnés. À leur entrée dans le CDI, Casimir accueille les « visiteurs ». Il deviendra très vite la mascotte du lieu, devenant la véritable idole des enfants. On peut s’asseoir sur des fauteuils ornés de napperons au crochet, comme chez mamie ! Allez, pour le plaisir, un petit florilège des remarques entendues :
« Pourquoi y’a des lampes de chevet au plafond ? » ; « On dirait trop chez ma grand-mère ! » ; « Oh, M’sieur, c’est trop ringard chez vous ! » ; « Mais c’est quoi ça ? » en montrant l’électrophone…
Il faut dire que du casque à bigoudis au ventilateur en plastique, beaucoup d’objets ont de quoi déconcerter nos petites têtes blondes ! Quelques explications s’imposent.

Le temps des pourquoi ?

Passée la surprise, il s’agissait de commencer le travail de fond en expliquant aux élèves les véritables raisons de la mise en place de ce décor. Tout d’abord, le vintage, c’est tendance ! On ne dit plus « vieille ou vieux », on dit vintage. C’est tout de suite moins stressant… Le décalé, le ringard, le old school sont à la mode, et les magasins de déco sortent des nouvelles collections s’inspirant des différents courants décoratifs des années 60 et 70. Et puis, dans le souci d’une démarche d’Éducation au développement durable, il paraissait important d’insister sur le côté Récup, sur la deuxième vie donnée aux objets après un passage par la case déchetterie.
Et le CDI, eh bien, c’est un endroit dans lequel on vient se détendre, lire, et parfois se couper du reste du collège. Lorsqu’on en a assez du bruit, de l’agitation, des cours, pourquoi ne pas venir se détendre chez mémé ? En arrivant au CDI, on y trouve la chaleur d’un mobilier vintage, dans lequel chaque objet semble nous parler. On s’installe confortablement dans un fauteuil, à côté d’une peluche réconfortante, véritables madeleines de Proust… Et on sirote un bon thé, bien entendu.

« Du thé ? Nan mais, du vrai ? »

Eh bien oui, au CDI on ne se contente pas de jouer à la dînette. Le salon de thé sert… du thé ! À condition néanmoins d’en respecter les règles : le calme est nécessaire et le salon de thé est réservé aux lecteurs et à ceux qui souhaitent réviser en silence.
Au début de chaque heure, le rituel est le même : pour accéder au salon de thé, on dépose ses affaires à l’entrée, l’idée étant d’oublier l’univers du scolaire pour plonger dans une autre ambiance. Un élève volontaire se charge ensuite de prendre les commandes et de préparer les gobelets. Le reste sera effectué par les professeurs documentalistes.
Force est de constater que le calme de ce lieu est apprécié et que les élèves jouent le jeu. Il n’est pas rare de voir des grands costauds de 3e plongés dans un livre, en train de siroter une tisane citron-miel !

Et pour les professeurs documentalistes ?

Je vous entends penser depuis mon ordinateur : « Mais ça prend un temps fou, non ? ! ». Finalement, avec un minimum d’organisation et d’aide des élèves, ça ne prend pas tant de temps que ça. Il faut dire toutefois que nous sommes deux cette année au CDI, ce qui offre de la liberté pour ce type d’actions. Et puis le bénéfice en termes d’incitation à la lecture vaut vraiment le coup.
Lieu de socialisation, d’apprentissage des règles de vie en société, le salon de thé est un lieu beaucoup plus pédagogique qu’il n’y paraît au premier abord. Les enfants apprennent à s’y comporter « comme des grands », dans un vrai salon de thé. Sans musique d’ambiance assourdissante. Dans le calme et la lecture. Et puis, ils y découvrent de nouvelles saveurs : thé vert, noir, rooïbos, tisane… une éducation au goût, et au choix. Ce qui est proposé, c’est une autre façon d’apprendre, dans un espace-temps différent.
Un voyage dans le temps, dans les saveurs, dans les livres… Un bonheur de chaque instant.