Le CDI. Au départ, il s’agit ni plus ni moins d’une bibliothèque présente dans l’établissement scolaire, au service du livre et du travail individuel. Un lieu sans prétention où le silence est roi, où l’élève vient souvent seul. Rien d’original : il s’agit du modèle qui existait déjà dans les bibliothèques publiques, dont le CDI ne faisait que reprendre les codes.
Cependant, les usagers sont ici des jeunes, des adolescents : un profil déjà bien particulier qui manifestera des usages et des demandes bien spécifiques. Mais surtout, ces derniers demeurent dans l’établissement et vont être, tôt ou tard, confrontés au lieu documentaire. Ainsi, plusieurs générations d’adolescents ont fréquenté durant leur scolarité (de gré ou de force) le CDI et force est de constater, en discutant avec eux, que le lieu ne laisse pas indifférent.
En tant que professeurs documentaliste nous côtoyons quotidiennement des jeunes avec qui nous discutons et échangeons, qui empruntent des livres et fréquentent le lieu avec plaisir parce qu’ils s’y sentent bien. J’irai même plus loin en disant que, pour certains élèves, le CDI représente un espace de liberté, d’épanouissement et même de sécurité.
Pourtant, peu le savent et rares sont ceux qui réalisent à quel point ce lieu est indispensable. Tous les jours, nous sommes entourés d’élèves et de collègues pas forcément au fait de notre travail et de l’importance du CDI tel que nous le percevons en tant que professionnel de l’information-communication et de la documentation. Il s’agit d’un combat quotidien que nous menons pour redonner au lieu tout le respect qu’il mérite et prouver (!) que oui, nous sommes bien des enseignants et des professionnels investis et que nous méritons salaire et respect. Ainsi tout doit être mis sur la table : notre métier, nos fonctions, le lieu et ce qu’il peut apporter à l’élève et à la communauté enseignante. Voilà plusieurs années que l’école se transforme à grande vitesse (notamment via le numérique, maintenant incontournable dans nos pratiques), pense l’autonomie des établissements, réforme les épreuves nationales, renforce l’importance de la laïcité et des valeurs républicaines, du climat scolaire et la lutte contre le harcèlement.
Nul doute que nous avons notre place dans cet avenir et que le CDI a le potentiel pour devenir la plaque tournante de ces priorités. Alors profitons-en et pensons le futur, en commençant par notre propre rôle.
Prof doc, qui es-tu, où es-tu, y es-tu ?
Dystopie : le CDI du futur est-il indissociable du professeur documentaliste ? Rien n’est moins sûr. La France reste le seul pays où existe cette fonction si particulière. Cette double casquette (enseignant et documentaliste), censée être notre point fort, s’est avec le temps retournée contre nous pour devenir un poids dans notre quotidien.
En qualité de professeur, nous n’avons pas le même traitement que nos collègues : pas de prime (informatique, charge de professeur principal), pas d’heures supplémentaires, pas d’agrégation, pas de corps d’inspection spécifique, pas de discipline à part entière.
Cela pose évidemment le problème de la légitimité professionnelle du professeur documentaliste. Dès le départ, le traitement ne joue pas en notre faveur et, malheureusement, implique ces discours clichés que l’on peut entendre sur notre métier.
Quand bien même notre circulaire précise et inscrit noir sur blanc la mission d’enseignement qui nous incombe, cette dernière est conditionnée par notre volonté de faire cours, parfois sur l’insistance des chefs d’établissements, notamment en collège. En l’état, il est donc normal que notre reconnaissance en tant qu’enseignant soit égratignée par comparaison avec nos collègues qui eux ont un programme et des heures inscrites à la DHG. En qualité de documentaliste, ce n’est pas forcément mieux. À ce jour, il n’existe aucune passerelle entre professeur documentaliste et les métiers de bibliothèque.
Nous remplissons les conditions d’accès au concours interne des bibliothèques de la fonction publique d’État et de la fonction publique territoriale (comme n’importe quel enseignant), mais pour le concours interne de bibliothécaire d’État, il n’est pas sûr que nous soyons éligibles. En effet, le site du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche indique :
« Le concours interne est ouvert, aux fonctionnaires et aux agents publics qui justifient au 1er janvier de l’année du concours de quatre années de service public, dont deux années au moins dans un service technique ou une bibliothèque. »
Professeur documentaliste donc, mais ni vraiment professeur ni vraiment documentaliste. Faut-il garder cette double identité ? Faut-il trancher dans le vif et n’avoir qu’une seule casquette ?
À l’heure actuelle, la reconnaissance en tant qu’enseignant ne peut se faire qu’en interne, par l’investissement personnel mais aussi en fonction de l’environnement dans lequel nous évoluons et, notamment, selon les rapports que nous entretenons avec l’équipe éducative et les chefs d’établissement. C’est d’autant plus vrai lorsque nous arrivons en exercice dans un nouvel établissement où parfois, plusieurs années sont nécessaires pour obtenir du crédit auprès des collègues et de la direction.
C’est un sujet sensible dans la profession et, récemment, l’APDEN a sondé les intéressés sur cette question, entre autres sur les heures d’enseignement obligatoire : nous attendons les résultats. Certains pensent que cette sacro-sainte reconnaissance ne viendra que si nous disposons d’un volume horaire inscrit dans la DHG pour enseigner. Mais quid du programme, de la matière, de la formation initiale et continue ? Beaucoup de questions vont se poser ; malgré tout, à partir du moment où nous avons passé le CAPES, il est logique qu’en tant que professeur certifié par un diplôme d’État, nous ayons un devoir d’enseigner régulièrement une matière qui nous est propre et de contribuer activement à l’acquisition de compétences que nous seuls serions à même d’évaluer. Pas de panique : le futur de notre profession est encore lointain ; nous sommes pour le moment les seuls à nous y intéresser !
Sauver le prof doc ou le CDI ?
Revenons au CDI : comment assurer la gestion d’un lieu si nous devions, par exemple, enseigner 18 h chaque semaine ? La réponse est simple : on ne peut pas. À moins d’embaucher davantage de professeur documentaliste et d’aide documentaliste, afin qu’un relais s’instaure et que le CDI puisse rester ouvert avec une grande amplitude horaire. Cependant, difficile de croire que le recrutement de personnel va s’intensifier, sauf si la charge de gestion est attribuée à des vacataires ou à des contractuels sans expérience ni goût particulier de la fonction. Est-ce une bonne chose ? Oui pour l’amplitude d’ouverture, mais quid de l’importance et de la présence d’un professionnel diplômé et dévoué aux élèves ?
Cela dit, une chose est sûre : si les heures d’enseignement peuvent ne pas être dispensées, il est obligatoire d’avoir une personne en charge de la gestion du lieu. La fonction de « documentaliste » continuera donc toujours d’exister tant que le lieu CDI demeurera.
Et ce lieu ne disparaîtra pas : en considérant notre pays et son rapport très intime avec la culture, notamment avec le monde du livre, il semble très improbable que l’établissement du futur ne dispose pas d’un centre de documentation à part entière. Au vu des changements qui attendent l’éducation nationale dans les années à venir, ce dernier va (doit) forcément évoluer, tout en gardant cette fonction de lieu de travail et de lecture avec un accès aux livres qui demeure une volonté forte de l’école républicaine à la française.
S’en tenir à ces seules fonctions semble être tout de même très réducteur. Si l’on prend en compte l’évolution et les changements qui ont eu lieu ces dernières décennies dans le monde des bibliothèques, nul doute que nous allons assister (et cela a déjà commencé dans quelques établissements scolaires) à de grands bouleversements en termes d’usages et de services proposés dans les centres dits de culture et de documentation.
Service, le mot est barbare et heurte l’oreille du professeur documentaliste. Pourtant, à l’image des bibliothèques qui sont progressivement devenues médiathèque, ludothèque, voire cybercafé, il semble que le CDI (pourtant un lieu scolaire) tende vers ce genre d’hybridation. Il y a quelques années, en 2012, on nous parlait du 3C (concept équivalent à celui des Learning center) comme le futur du CDI : un lieu ayant pour but de favoriser l’autonomie des élèves, grâce à la présence d’espaces identifiés et modulables où les ressources seraient accessibles en continu, grâce à une amplitude horaire maximale.
Aujourd’hui, le concept a perdu de l’élan et finalement, on ne parle plus du tout ni des 3C… ni même du CDI. Le mot est absent des textes de réformes, des vademecum et des projets académiques et nationaux. De fait, chaque établissement, selon ses moyens, prend le soin de faire évoluer le CDI comme il le souhaite. Ainsi, pouvons-nous visiter des CDI avec des espaces dédiés à des expositions ou à des travaux d’élèves, d’autres avec des salles infos et de réunions, d’autres avec des espaces ludo-créatifs ; d’autres avec des FAB-LAB (lieu où sont mis à disposition toutes sortes d’outils, notamment des machines pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d’objets), ou d’autres avec uniquement des livres et des ordinateurs. Il est important de préciser que derrière chaque CDI, il y a un professeur documentaliste qui est force de proposition dans son établissement : sa détermination peut faire aboutir à de grands résultats pourvu qu’on accepte de l’écouter.
Soyons optimistes : nous avons cette chance incroyable d’avoir pour responsabilité un lieu particulièrement intéressant et relativement modulable. Nous pouvons nous inspirer des médiathèques, des bibliothèques universitaires ou des centres de documentation à l’étranger pour trouver des idées et les mettre en application.
Dépasser les murs de l’ÉPLE
Le CDI est un lieu indissociable de l’établissement scolaire. Pour le faire évoluer il faut donc mener une veille active pour connaitre et appréhender les avancées et tendances dans le milieu de l’éducation : à nous d’anticiper notre place et le rôle du CDI dans les réformes à venir. Mais il serait tout de même dommage de ne pas regarder ce qu’il se passe dans le monde des bibliothèques. Le CDI du futur, si on observe attentivement ce qu’il se passe dans les médiathèques, sera probablement hybride et élargi dans ses fonctions. Le concept d’hybridation n’est pas nouveau : pour avoir un aperçu de ce que cela veut vraiment dire, prenons l’exemple de la bibliothèque centrale d’Helsinki Oodi, inaugurée en 2018, élue bibliothèque de l’année en 2019 par La Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques. À son sujet, la maire-adjointe de la ville a déclaré : « Ayant contribué à l’alphabétisation de notre nation […] puis à l’épanouissement d’un système éducatif performant, la bibliothèque s’adapte et devient davantage un lieu de socialisation et de création1. »
De nos jours, la quasi-totalité des bibliothèques et médiathèques a adopté un modèle hybride : à la fois un lieu documentaire qui permet un usage solitaire pour son propre travail ou son loisir et un espace social dont le but est de faire rencontrer, réfléchir et interagir à des fins de débat et de création ou tout simplement de socialisation. Entre autres, nous trouvons dans cette fameuse bibliothèque d’Helsinki : une salle de cinéma, des salles pour des réunions associatives, familiales et politiques ; un espace de jeux pour enfants, des ordinateurs et tablettes à disposition, un petit café-restaurant, des salles de repos, un lieu pour faire des impressions 3D, des pièces avec des consoles de jeux vidéo… Et aussi quelques livres.
L’exemple est extrême mais il existe, tout en étant loué pour sa modernité, son architecture et son ambition.
Cependant cela peut prêter à sourire d’imaginer tout ça en établissement scolaire, pour plusieurs raisons.
D’une part, car le CDI est implanté dans un lieu dédié à l’éducation où l’usager est un élève. Quel est l’intérêt de proposer aux élèves des jeux de sociétés et consoles de jeux vidéo au CDI ? Le débat est ouvert. De plus, proposer plus de services veut dire plus de personnel et de plus grands espaces. Les Learning center, 3C ou médiathèques, résolument modernes, ne peuvent exister sans ce travail essentiel d’architecture des lieux, de création d’espaces prédéfinis et modulables, ouverts et aérés afin d’être confortables et accueillants.
Dans le cas des établissements scolaires, les choses sont un peu différentes : comment faire dans des établissements (et ils sont en écrasante majorité) qui ne peuvent ni s’agrandir, ni faire construire, ni même rénover ? Qui va financer tout cela ? Certainement pas l’établissement scolaire où d’année en d’année on constate une baisse des crédits alloués au fonctionnement du CDI. Il n’y a plus que les départements ou les régions pour nous venir en aide, mais il n’est pas rare que dans les cas de demandes de matériels, fournitures et autres mobiliers nos demandes restent lettre morte. Quant à l’extension des bâtiments, cela est possible uniquement pour certains établissements scolaires particulièrement chanceux et bien situés.
Cette question d’hybridation remet donc en cause l’espace même au CDI, qui est modulable, certes, mais dans une certaine mesure seulement. C’était également le point faible du concept de 3C : son existence et son fonctionnement impliquait des espaces à la hauteur des ambitions, mais la réalité est souvent insurmontable.
À titre personnel, le lieu dans lequel j’exerce fait 100 m², dans un lycée urbain où le manque d’espace est une réelle problématique : pas de salles de réunions, pas de foyer ni d’auditorium. Si l’on souhaite proposer une exposition, un coin jeux de société ou de repos il n’y a que le CDI, mais je dois alors obligatoirement le fermer ou en limiter l’accès pour permettre un fonctionnement… relatif. À moins que j’enlève ces livres qui prennent beaucoup de place ? C’est peut-être cela, finalement, le CDI du futur.
Cynique. Mais pas tant que cela au fond : bien sûr que nous sommes d’accord avec l’idée d’agrandir l’espace, de proposer plus de services pour rendre le lieu moderne, agréable et ultra fonctionnel… mais que l’on nous donne les moyens de le faire. Dans la même veine, pas besoin d’être très perspicace pour deviner cette volonté de passer au tout numérique : via le prêt de tablettes, la généralisation des manuels numériques et des bornes wifi, la mise en place de catalogue de e-books pour la lecture en ligne. Toutes ces nouveautés se généralisent dans les établissements scolaires et ça ne risque pas de s’arrêter. L’aspect lecture et prêt d’ouvrages, fonction historique pour tout centre de documentation qui se respecte, perd de sa vigueur et n’est plus considéré comme un atout pour l’élève et l’établissement. Le cynisme, c’est de finalement présenter le grand projet actuel à savoir « La lecture grande cause nationale » et ne pas évoquer une seule fois le CDI et le professeur documentaliste2.
Cet oubli est symptomatique de notre manque de visibilité et de l’indifférence actuelle à l’égard du CDI. Une seule solution : convaincre. Convaincre de notre efficacité en tant que professionnels de l’information et de la documentation, en tant qu’enseignant ; convaincre de l’importance du lieu pour les élèves. En l’absence de directives claires de la part de nos hiérarchies et des gouvernements, nous sommes contraints de repenser le lieu par nous-mêmes, ce qui n’est pas une si mauvaise chose en soi, car nous serons force de proposition.
Hybridation ou cacophonie ?
Nous disions donc, un CDI hybride. Nous pourrions d’ailleurs aller plus loin : aujourd’hui, le lieu bibliothèque a pour ambition d’être ouvert sur le monde, accessible à tous, utile pour tous. L’objectif est de satisfaire les usagers, mais aussi, il faut le dire, d’attirer ceux qui ne sont jamais venus. Et pour cela, il faut séduire en proposant notamment un panel de services où n’importe quel citoyen (ou futur citoyen) peut y trouver son intérêt. Il s’agissait jadis de briser cette image d’austérité et d’élitisme qui collait à la peau du mot « bibliothèque ». Le pari est réussi et maintenant, familles et particuliers trouvent dans la médiathèque bien plus qu’un simple accès aux livres.
Comme je l’ai évoqué au tout début, le grand chantier selon moi pour le CDI est l’amélioration de son image. Nous exerçons dans ce lieu 30 heures par semaine, mais il est parfois difficile, malgré nos efforts, de faire venir et d’attirer certains élèves (et ils sont nombreux à ne jamais venir). Pourtant, je pense que tous les professeurs documentaliste font des efforts pour rendre le lieu agréable, fonctionnel et propice au travail, au calme, à la curiosité intellectuelle. Ces élèves ont-ils une image du CDI comme lieu d’austérité et de « travail forcé » ? Est-ce simplement une méconnaissance du lieu et de son rôle ? Pendant la période de révision du bac cette année, une élève de terminale a toqué à la porte de mon CDI puis m’a demandé avec mille précautions, la tête seulement dépassant de la porte, si elle avait le droit de venir travailler. Je ne l’avais jamais vue en trois ans, pourtant il n’y a que 400 élèves dans mon établissement. Bien évidemment, les élèves ont le droit de ne pas venir au CDI. Mais cela veut dire qu’ils n’y trouvent absolument pas leur intérêt. Voilà qui mérite que l’on mène des enquêtes dans nos établissements pour justement comprendre le pourquoi du comment !
Nous pourrions, pour attirer davantage les élèves au CDI, proposer davantage d’espaces ludiques et sociabilisants. Mais là encore, il y a de quoi débattre : contrairement à une médiathèque, le CDI est implanté dans un établissement scolaire, à destination d’élèves qui sont tout de même là pour travailler. Peut-on travailler ou réviser convenablement dans un lieu où d’autres élèves jouent, discutent, fabriquent, se prélassent ou encore écoutent de la musique ?
Le CDI du futur devra prendre en compte deux paramètres fondamentaux qui peuvent paraître opposés l’un à l’autre : il devra être dédié au travail, à la révision, à l’acquisition de compétences essentielles au parcours scolaire de l’élève, mais aussi à l’amélioration du climat scolaire et à la mise à disposition d’espaces ludiques, créatifs et sociaux. Ce deuxième point reprend l’idée de la bibliothèque troisième lieu : ce concept, apparu dans les années 80, suppose que dans la société actuelle il n’y a pas assez de lieux où se rencontrer en dehors de la maison et du travail. Appliqué aux bibliothèques ou au CDI, le concept sous-entend que le lieu doit favoriser les rencontres informelles, la convivialité, pour se situer au plus près des demandes des usagers, ceci afin de contribuer à créer du lien social et de favoriser le vivre-ensemble. Le concept est attirant, mais encore faut-il (nous l’avons déjà dit) avoir la possibilité logistique de le faire : la contrainte des espaces demeure encore et toujours prégnante ; chaque innovation dans le monde des bibliothèques semble s’orienter vers le crédo « de plus grands espaces pour de multiples usages ». Et quand c’est impossible, que doit-on faire ? Supprimer ou diminuer les espaces existants3 ?
Mais ce n’est pas fini : il est devenu impossible, pour n’importe quel professionnel de l’éducation, de ne pas prendre en compte le contexte grandissant de la transition technologique et du tout numérique. Qu’on le veuille ou non, nous assistons à une multiplication des ressources, des outils et des pratiques exclusivement utilisables via la connexion à Internet ou à un outil numérique. La modernisation de l’école suit son cours et il est impensable qu’un élève sorte du système scolaire sans de solides bases informatiques, compétence indispensable pour tout étudiant, et même tout salarié. Mais n’est-ce justement pas cette frénésie du tout numérique qui nuit aux relations humaines, au vivre ensemble, au partage, à l’ouverture culturelle et humaniste ? Là encore il y de quoi débattre, mais la frénésie des outils numériques n’a de cesse de s’intensifier et concerne maintenant tous les âges. Il n’est pas rare de trouver, comme dans le réseau des médiathèques de Paris, des tablettes numériques à disposition des enfants pour « valoriser l’édition de littérature numérique, favoriser le divertissement et le loisir, développer des ateliers créatifs en lien avec les autres ressources de la médiathèque4 ».
Dans le même temps, on perçoit également la volonté de faire du lieu un exemple en matière d’écologie et de développement durable. Pour rendre ces deux axes compatibles, il va falloir être très inventif. Tout est sur la table et le CDI se transforme et s’adapte en fonction des sensibilités du professeur documentaliste qui généralement a toute latitude pour organiser et penser son lieu de travail. L’un de nos plus grands combats, peu importe notre ancienneté ou le type d’établissement où l’on exerce, est de parvenir à sensibiliser les chefs d’établissements et collègues sur le rôle même du CDI dont le potentiel en termes d’apprentissage et de climat scolaire est parfois sous-estimé. C’est un travail d’équipe, à inscrire dans le projet d’établissement.
Mettre le CDI à la place qu’il mérite
Une grande mission sacrée attend donc le CDI : il va s’ouvrir à tous et imposer ses fonctions et son utilité auprès des élèves et personnels. Il deviendra le lieu référence qui servira de valeur étalon au prestige de l’établissement, comme c’est le cas actuellement pour les médiathèques et leur ville. Et celui ou celle qui aura la responsabilité du lieu devra connaître les élèves ; faire preuve d’empathie et de discernement pour les accompagner dans leur parcours éducatif, culturel et citoyen ; être constamment à l’écoute des nouveautés en terme de pédagogie et d’éducation aux médias ; être force de proposition pour l’amélioration du climat scolaire ; mettre à disposition des ressources et les communiquer à tous ; permettre à l’élève de s’exprimer et encourager, valoriser son implication durant tout son parcours scolaire.
Par un concours de circonstances absolument incroyable, ce professionnel existe déjà. Bien qu’on ne le voie pas toujours.
Le CDI du futur, tant qu’il aura en son sein des professionnels dévoués et formés, continuera toujours de proposer aux élèves un accès au savoir, à la connaissance mais aussi au bien-être et à la sérénité. Le métier évoluera probablement et il est nécessaire que le professeur documentaliste obtienne la reconnaissance qu’il mérite en tant qu’enseignant, car telle est sa mission, avec un volume horaire inscrit dans le marbre et en ayant les mêmes droits que les autres professeurs. Depuis plusieurs années, nous constatons avec effroi la multiplication des fake news, de la désinformation, des problématiques de cyberharcèlement et une confusion générale concernant la liberté d’expression et de la laïcité. Or, nous sommes les plus indiqués pour enseigner l’EMI et les valeurs citoyennes aux élèves. Ne plus former, intervenir dans la classe d’un collègue de manière sporadique, mais enseigner sur la durée. Quant au CDI ? Pourquoi ne pas imaginer un volume horaire de 9 h par semaine, afin que nous ayons la possibilité de gérer le CDI malgré nos heures d’enseignement ? (Comme nous le faisons depuis toujours.) Tout cela est possible. Une fois cette reconnaissance acquise, nous serons enfin considérés non pas comme un « soutien important », une « aide précieuse », un « partenaire indispensable » (des termes condescendants auxquels nous nous sommes malheureusement habitués avec le temps), mais comme une force de décision incontournable et audible auprès de nos hiérarchies, qui nous feront confiance et nous soutiendront lorsque nous déposerons sur leur bureau le projet du nouveau CDI.
Chers élèves, collègues, chefs d’établissements et professionnels de l’éducation : nous sommes prêts à vous proposer le CDI du futur. Faites-nous confiance, écoutez-nous, soutenez-nous, vous ne le regretterez pas !