Colette

Ressources, partenaires, projets

Colette l’écrivaine. Colette la star des nuits parisiennes. Colette la femme entravée, la femme libérée. Colette la Bourguignonne…
Originaire de Saint-Sauveur-en-Puisaye, dans l’Yonne, Colette n’a jamais perdu son accent, son attachement pour sa terre natale, qu’elle a si souvent et si brillamment évoqué dans son œuvre. En cette année 2023, où l’on fête les 150 ans de sa naissance, les hommages sont nombreux dans la région, mais également sur tout le territoire, tant Colette a marqué, et marque encore, la vie culturelle française.
De ses origines bourguignonnes, Colette gardera toute sa vie un attachement viscéral à la nature, aux animaux, à la vie rurale. Nombre de ses romans décriront une campagne riche, fertile, propice à une vie en communion avec la nature. Car c’est une campagne rêvée que Colette nous décrit, avec sa plume si riche, si nuancée. Et si sensuelle… Car ce sont les sens que Colette va exalter tout au long de ses textes. Une sensualité liée à la nature, aux éléments, et au corps… Car Colette la Bourguignonne, qui ne peut vivre sans ses chats, est aussi Colette la Parisienne, qui dansa quasiment nue sur scène, et scandalisa le Tout-Paris par son audace.
Tout au long de sa vie, Colette émaillera ses récits de touches autobiographiques. Son affection pour sa mère, féministe et athée, son enfance, que l’on devine derrière le personnage de Claudine, ses amours, ses envies, ses chats…
En cette année de commémoration, expositions, animations et différentes parutions rendent hommage à l’artiste. À Besançon, Colette est partout, à la gare ou encore sur les tramways. À Saint-Sauveur en Puisaye, le musée et la maison Colette entretiennent son souvenir et son héritage artistique. À Granville, une exposition décortique son roman Le blé en herbe.
Une année de célébrations pour une écrivaine à la personnalité complexe, attachante, qui fit parfois scandale, et qui a laissé une empreinte indélébile dans la vie culturelle française.
Une femme qui ose, qui défie, qui affronte. Une artiste.

 

MUSÉES / EXPOSITIONS

Maison de Colette, Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne)
Pour comprendre Colette, sa vie et son œuvre, la Maison de Colette, à Saint-Sauveur-en-Puisaye, est incontournable. C’est dans cette maison que va se construire durant son enfance tout ce qui fera de Colette ce qu’elle est. Son amour pour la nature, son goût pour la liberté, l’audace et la création artistique. De nombreuses expositions, conférences et animations sont à découvrir dans cette maison-musée, à l’ambiance agréable, au cœur d’une Bourgogne vallonnée. La Bourgogne fait partie intégrante de la vie de Colette. On peut la sentir, la respirer à travers son œuvre. Une étape dans sa maison natale est donc indispensable. Le lieu abrite les archives Colette, gérées par le Centre d’Études Colette.
www.maisondecolette.fr

 

Musée Colette, Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne).
Non loin de la maison natale de Colette, le musée propose une découverte de la vie et de l’œuvre de l’autrice grâce à une série d’installations artistiques permettant une approche sensorielle. Il est également possible d’y découvrir une partie des meubles de l’appartement parisien de Colette, au Palais-Royal. Des expositions autour de Colette y sont régulièrement organisées, elles sont réalisées par le Centre d’études Colette.
http://www.musee-colette.com/
En 2023, exposition Devenir Colette, Centre d’Etudes Colette, Département de l’Yonne :
https://www.facebook.com/museecolette89?locale=fr_FR

Maison de Colette, Besançon (Doubs)
De 1900 à 1905, Colette passa plusieurs séjours à Besançon, dans une charmante maison située dans le quartier des Montboucons. Cette bâtisse fut acquise par son mari Willy, avec les revenus générés par la série des Claudine. Colette y appréciait tout particulièrement le verger entourant la maison. Celle-ci n’est ouverte qu’à certaines occasions. Un projet de Maison des écrivains est actuellement en cours de réflexion. La maison est restée « dans son jus », et c’est un véritable voyage dans le temps qui attend le visiteur lorsqu’il pousse les portes de la maison de l’artiste. Un endroit « à fort potentiel », dont il faudra suivre les évolutions futures.

Non loin de la gare Viotte (Besançon), c’est un grand visage de Colette qui accueille le visiteur à la descente du train. Réalisée en résine blanche, haute de près de quatre mètres, l’oeuvre ne laisse pas le passant indifférent. Elle est signée Nathalie Talec, cheffe d’atelier aux Beaux-Arts de Paris. L’artiste a collaboré plusieurs fois avec le FRAC de Franche-Comté et le musée des Beaux-Arts de Besançon.

Musée d’Art Moderne Richard Anacréon, Granville (Manche). Exposition Colette, le blé en herbe (2023). Cette exposition plonge le visiteur dans le roman Le blé en herbe, en mettant en lumière le scandale lié à sa parution, les liens avec Chéri et l’adaptation cinématographique de Claude Autant-Lara en 1953.
www.ville-granville.fr/a-voir-a-faire-a-granville/vie-culturelle-et-artistique/musee-dart-moderne-richard-anacreon/

DANS LES PROGRAMMES

Lycée

Français, première générale et techno­logique
Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle : Colette, Sido suivi de Les Vrilles de la vigne / parcours : la célébration du monde.
Bulletin Officiel n° 5, du 4 février 2021.
www.education.gouv.fr/bo/21/Hebdo5/MENE2036974N.htm

HLP, première générale
Les représentations du monde : l’homme et l’animal ; « La relation à l’animal constitue un révélateur de la place que l’homme s’attribue dans la nature et dans le monde, avec de fortes implications philosophiques, éthiques et pratiques. »
Bulletin Officiel spécial n° 8 du 25 juillet 2019.

Histoire, première
Thème 3 : La Troisième République avant 1914 : un régime politique, un empire colonial – Chapitre 2. Permanences et mutations de la société française jusqu’en 1914. L’évolution de la place des femmes.
Bulletin officiel spécial n° 1 du 22 janvier 2019

Collège

Français, Culture littéraire et artistique, cycle 3
Vivre des aventures : un roman d’aventures […] dont le personnage principal est un enfant ou un animal.
BOEN n°31 du 30 juillet 2020 et le BOEN n°25 du 22 juin 2023
https://eduscol.education.fr/document/50990/download

Histoire, cycle 4, classe de 4e
Thème 3 : Société, culture et politique dans la France du XIXe siècle.
« Conditions féminines dans une société en mutation »
Bulletin officiel spécial n° 11 du 26 novembre 2015

Histoire-Géographie, cycle 4, classe de 3e
Thème 3 : Français et Françaises dans une République repensée.
« Dans la seconde moitié du XXe siècle, la société française connaît des transformations décisives : place des femmes »
Bulletin officiel spécial n° 11 du 26 novembre 2015

PISTES PÉDAGOGIQUES

Donner le goût de lire : en classe de 6e, les Dialogues de bêtes sont toujours très appréciés par les élèves. Ils pourront, par exemple, être étudiés parallèlement à une série de lectures autour des animaux : Les fables de La Fontaine ou Contes du chat perché de Marcel Aymé, par exemple.

Colette sera bien entendu un élément incontournable d’une recherche documentaire sur le féminisme et son évolution historique. Son rôle dans la vie culturelle parisienne pourra également être abordé dans l’histoire du début du XXe siècle, en particulier celle de l’entre-deux-guerres.

Une approche interdisciplinaire peut relier entre eux les thèmes de l’écriture de Colette, de son attachement pour les animaux, et son amour de la nature. Un travail reliant lettres, SVT ou encore arts plastiques pourra mettre en lumière les différents aspects de la vie et de l’œuvre de Colette. La Maison de Colette sera à ce titre un support très intéressant.

Parcours culturel sur les pas de Colette : la découverte de la Maison de Colette pourra également s’élargir à d’autres sites du département de l’Yonne, comme la vieille Ville d’Auxerre, le château de Guédelon ou le Conservatoire des Arts de la forge.

Le site Gallica permettra des recherches documentaires iconographiques, afin de mettre en lumière, par exemple, la grande diversité des créations artistiques de Colette. Cette multiplicité d’activité pourra être mise en forme à l’aide de de cartes mentales ou de nuages de mots.

Un travail d’analyse d’image autour des affiches des adaptations filmiques des œuvres de Colette est également envisageable.

 

ARTICLES

Colette, tout feu, tout femme ! Lire, le magazine littéraire, Les classiques, hors-série, T.12, février 2023.
Le magazine retrace ici la vie de Colette selon trois axes : « Portrait d’une féministe tout-à-tout », « Sido, la mère partie » et « Une icône sans tabou ».

Colette. Le tourbillon de la vie. Le Monde, hors-série : une vie, une œuvre, n° 55, janvier 2023.
Ce numéro hors-série du Monde propose une sélection d’écrits de Colette, dont quelques lettres inédites, ainsi que des témoignages et des textes d’auteurs contemporains. Il met en particulier l’accent sur la profondeur de l’œuvre de Colette, alors qu’elle fut longtemps considérée comme une romancière aux textes légers et quelque peu frivoles.

Panique, Delphine. Pas si sage… Topo n° 004, 03/2017, p.104-113.
Un numéro qui évoque le premier roman de Colette et ses débuts d’autrice.

Daveau, Hélène. Gabrielle Colette : le jour où elle s’est fait couper les cheveux. Je Bouquine n° 467, 01/2023, p.18-22.
Dans les années 1920, la coupe à la garçonne a fait fureur. Se couper les cheveux était alors vécu comme une libération pour les femmes. Colette illustre ici cet épisode bien moins anecdotique qu’il n’y paraît.

FILMOGRAPHIE

De nombreux films et pièces de théâtre filmées autour de Colette et de son œuvre ont été réalisés, la société des amis de Colette en offre un recensement : https://www.amisdecolette.fr/ressources/filmographie/

FICTIONS

Poitou-Weber, Gérard. Colette, l’immobile vagabonde. 1985 (version DVD : Doriane films, 2004).
Feuilleton en quatre parties avec Clémentine Amouroux (Colette jeune), Macha Meryl (Colette âgée). 350 minutes.

Trintignant, Nadine. Colette, femme libre. Gaumont Columbia Tristar Home Vidéo, 2004.
Feuilleton en deux parties « librement inspiré de la vie de Madame Colette ».
Première partie : La femme trahie, 100 minutes.
Seconde partie : La femme vengée, 100 minutes.
Westmoreland, Wash. Colette. Studio Canal, 2019. 1 h 52 mn.
Biopic américano-britannique avec Keira Knightley (dans le rôle de Colette), Dominic West (dans celui de Willy) et Denise Gough (dans celui de Missy).

DOCUMENTAIRES

Bellon, Yannick. Colette. Les Films Jacqueline Jacoupy, 1952. Court-métrage : 29 mn.
Avec Colette, Maurice Goudeket, Pauline Tissandier et Jean Cocteau. Scénario de Colette.
Assise dans son appartement du Palais-Royal, Colette revit ses souvenirs. Fascinant.

Denjean, Cécile. Colette l’insoumise. Arte, 2017. 54 mn.
Grâce à de nombreuses ressources iconographiques, la réalisatrice brosse le portrait d’une Colette complexe, libre, parfois exubérante, et toujours tellement attachante.
https://www.arte.tv/fr/videos/079398-000-A/colette-l-insoumise

RADIO

Garrigou-Lagrange, Mathieu. Colette, affirmer sa liberté. France Culture : émission La Compagnie des œuvres, 2017, 4 épisodes d’environ 58 mn. 1 : Je veux faire ce que je veux ; 2 : Il faut voir et non inventer ; 3 : Romancière mais moraliste ; 4 : La jouissance féminine. Quatre grands axes sont ici proposés : la vie libre de Colette, sa volonté de naturalisme, une romancière au jugement parfois sévère et la jouissance féminine.
www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-colette

Kristeva, Julia. De l’écriture au féminin : Colette selon Julia Kristeva. France Culture. 2003, 5 épisodes d’environ 29 mn. 1 : Colette est un écrivain de goût dont on attend qu’elle éveille le goût de ceux qui n’osent pas avoir de goût ; 2 : Les Vrilles de la vigne signent l’entrée de Colette dans le Panthéon des Lettres françaises ; 3 : Colette ou la chair du monde ; 4 : L’Enfant et les sortilèges, une méditation psychanalytique de Colette sur la relation mère-enfant ; 5 : Le couple, la guerre et le féminisme selon Colette. Dans cette série, Julia Kristeva analyse ici la vie et l’œuvre de Colette sous différents angles : la relation mère-enfant, le féminisme, son rapport au couple, à l’amour, à l’écriture…
www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-de-l-ecriture-au-feminin-colette-selon-julia-kristeva

Compagnon, Antoine. Un été avec Colette. France Inter, 2021, chaque épisode dure 4 minutes.
Sous la forme d’un « feuilleton » régulier d’Antoine Compagnon, c’est un voyage au coeur de la vie et de l’œuvre de Colette qui est ici présenté. Si les thèmes « classiques » sont abordés, telles sa sexualité ou sa vie dans le music-hall, d’autres aspects moins connus sont développés. Une émission s’attarde sur son père Jules, dont on parle rarement, et une autre sur les liens de Colette avec la musique.
www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/un-ete-avec-colette

RESSOURCES EN LIGNE 

La Société des amis de Colette (site incontournable) propose de découvrir l’œuvre de Colette dans le cadre d’une préparation au bac. Sido et Les vrilles de la vigne figurent au programme de français de série générale et technologique, dans un parcours « La célébration du monde ». Une sélection de photographies anciennes, des vidéos, une bibliographie permettent une approche historique et littéraire.
www.amisdecolette.fr/colette-au-bac/

https://www.amisdecolette.fr/

 

Febvre, Cécile ; Zemmour, David. Conférence sur Sido et Les vrilles de la vigne (en ligne). Académie d’aix-Marseille. 2023, 47 mn.
www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_11104940/fr/3-conferences-sur-les-nouvelles-oeuvres-au-programme-en-premiere-roman

Gallica propose un choix de documents variés : photographies, articles de magazines des années 1910 et 1920, ainsi que le catalogue de l’exposition proposée par la BnF en 1973.
www. gallica.bnf.fr/conseils/content/colette

 

Colette – Domaine public via Wikimedia Commons

 

 

Rencontre avec un auteur de bande dessinée atypique : Benoit Vidal

Deux classes du lycée Washington-Touchard du Mans (3e PrépaPro et 2de Pro) participant au prix BD Une Case en Plus ont travaillé autour du titre Gaston en Normandie et posent leurs questions à l’auteur, Benoit Vidal (cf. annexe 1). Ce titre retenu dans la sélection du prix 2022-2023 présente un réel intérêt pédagogique par son contenu comme par sa forme. En effet, outre qu’il aborde la question de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale en croisant des souvenirs de témoins directs, avec des allers-retours passé/présent, il propose une mise en récit originale, alliant roman-photo et bande dessinée. 

 

Un parcours atypique

Pourquoi et comment avez-vous décidé d’être auteur ?

J’ai publié Gaston en Normandie en mai 2022, chez FLBLB. J’avais publié, chez le même éditeur, Pauline à Paris qui est sorti en 2015. Et j’ai aussi coscénarisé une autre bande dessinée, plus traditionnelle, qui est publiée chez Glénat1. Entre mes deux albums, j’ai fait un documentaire en bande dessinée chez un autre éditeur2.
Mais auteur, ce n’est pas mon métier principal. Je suis enseignant-chercheur. J’ai été prof en lycée, j’ai passé une thèse de doctorat et j’ai un poste de maître de conférences à l’université. J’ai donc plusieurs casquettes : enseignant, chercheur et auteur de roman-photo ou de roman graphique. Quand on est enseignant-chercheur, on publie des articles de recherche ou des manuels scolaires. J’ai donc publié beaucoup de choses !
Alors, pourquoi ai-je décidé de devenir auteur, et précisément auteur de roman graphique ? Eh bien, parce que cela me faisait plaisir ! Parce que j’en avais envie, ce n’était pas une contrainte. J’avais déjà un métier et des revenus par ailleurs.

Comment avez-vous eu envie de faire de la bande dessinée ?

Quand j’avais votre âge, je lisais beaucoup de bandes dessinées. Au collège, on faisait des fanzines. À l’origine, ça veut dire magazines de fans. Ce sont de petites revues qu’on réalise soi-même, qui ne sont pas faites de façon professionnelle, qui ne sont pas éditées. Demain, vous prenez une feuille A3, vous la pliez, et vous faites des articles et des dessins que vous réalisez vous-mêmes. Vous en faites cinquante exemplaires que vous distribuez autour de vous ou même que vous vendez. Il y en a plein qui existent ainsi partout, des millions ! Moi, j’ai fait cela avec des copains quand j’étais collégien, puis lycéen et aussi étudiant à la fac. Raconter des histoires, c’est quelque chose qui me tenait vraiment à cœur. Quand j’étais ado, mon rêve, c’était de devenir auteur de bande dessinée.

La découverte du roman-photo

Couverture du magazine FLBLB, n° 14, 2003.

Il y a autre chose d’important dont je voudrais vous parler, c’est de ma relation à ma grand-mère Joséphine. Quand j’ai eu 22/23 ans, j’ai commencé à enregistrer mes grand-mères avec un enregistreur et des cassettes. Je les faisais parler : comment elles avaient vécu leur enfance, leurs parents, leurs grands-parents, des histoires personnelles et familiales. Et puis, un jour, à Angoulême, dans les années 2000, je tombe sur des jeunes qui avaient créé un magazine intitulé FLBLB, un nom imprononçable ! (Ils venaient de l’école des Beaux-Arts de Poitiers et ils créeront ensuite les éditions FLBLB.).
Vous voyez là le numéro 14 qui n’est composé que de romans-photos. Moi, je ne connaissais pas trop le roman-photo. J’en avais lu dans Fluide Glacial, un journal de BD humoristique important à l’époque, qui publiait toujours deux pages de roman-photo dont l’auteur était Léandri. Je savais que le roman-photo existait mais je ne connaissais pas vraiment. Vous voyez cette image ? Deux pigeons qui discutent. C’est simple : on a une photo de pigeons, on met des bulles et on les fait parler. C’est ça, la magie de la bande dessinée ! Vous pouvez faire parler n’importe qui, n’importe quoi, même des objets ! C’est une construction mentale. On dit que la bande dessinée, c’est un art séquentiel. On ne voit pas l’image bouger, les images sont fixes. C’est le cerveau qui reconstruit, et on imagine ce qui s’est passé entre les deux images.
Je découvre dans ce fameux magazine FLBLB n° 14 un récit qui se proclame roman photobiographique (remarquez le jeu de mot), une sorte d’autobiographie réalisée par Grégory Jarry. Je n’avais jamais vu cela, je trouvais ça très étrange. Entre temps, je comprends que FLBLB fait de la bande dessinée et que ce numéro 14 n’était qu’un numéro spécial sur le roman-photo. J’étais déçu ! Mais ensuite, voilà un autre livre de FLBLB qui m’a donné le déclic. Il s’intitule Les Maquisards du Poirier. C’est un livre qui a été réalisé avec les enfants d’une école primaire et des auteurs de FLBLB. Le projet, c’était que les enfants aillent voir les personnes âgées de leur village, les fassent parler de leur vie et de comment elles avaient vécu la Seconde Guerre mondiale. Ils les ont enregistrées et photographiées. Ils ont mis les textes dans les bulles. Ce n’était pas très sophistiqué comme procédé et les photos ne sont pas très jolies ! Je me suis dit alors : « J’aime bien la BD, j’aurais bien aimé en faire, mais bon, je ne suis pas dessinateur et c’est un rêve qui ne s’est pas réalisé. Cette histoire en photos me donne des idées ».

Couverture de Les maquisards du Poirier. Grégory Jarry. FLBLB, 2007.

Une démarche personnelle

J’avais les histoires enregistrées de ma grand-mère et je me suis dit : « Je vais faire la même chose. Je vais la prendre en photo et mettre ce qu’elle me raconte dans des bulles. ». C’est comme ça que j’ai commencé à faire mes premières pages ! La première histoire faisait trois pages. Des amis m’ont dit : « Ah ! tu devrais en faire d’autres. ». Je les ai publiées sur un blog3. À la fin, j’ai réalisé quatre-vingts pages. Puis je les ai autoéditées : j’ai imprimé trois cents exemplaires de ce livre (Le débarquement et le platane) que j’ai vendu autour de moi, à ma famille et mes amis. L’année d’après, je retourne à Angoulême et je montre tout ça à FLBLB. Ils ne sont pas intéressés, mais ils m’encouragent à continuer et à revenir les voir ! Progressivement, dans mon travail, je me suis mis à ajouter des images d’archives pour illustrer ce que racontait la personne, procédé que vous avez remarqué dans Gaston en Normandie. Ça, c’est nouveau, je crois que je suis la seule personne au monde à faire ça ! C’est comme un documentaire que vous voyez à la télévision ; vous avez une personne interviewée et vous voyez des images, des extraits de films en rapport avec son propos. C’est la même chose, mais sur papier ! Voilà comment je suis devenu auteur de bande dessinée.

Pourquoi enregistrez-vous votre famille ?

Pour une raison principale qui peut être partagée par tous : connaître un peu mieux sa famille, savoir comment on vivait autrefois. Mais tout le monde ne va pas jusqu’à enregistrer. C’est dommage, car quand les gens partent, disparaissent, on se dit « mince, je ne me rappelle pas très bien ce que telle personne m’avait dit ». J’ai donc voulu garder une trace de la mémoire familiale avec des enregistrements. Et c’est comme ça que j’ai appris à poser des questions. Quand on pose une question, il faut savoir ensuite se taire. Ce n’est pas facile de se taire ! Écouter, laisser des blancs, jusqu’à ce que la personne aille au bout de ce qu’elle veut dire ou reparte sur autre chose. Au début, je posais trop de questions et je coupais la parole !

 

Roman-photo ou bande dessinée ?

La bande dessinée mêle dessins et textes, alors que vous, à la place des dessins, ce sont des photos. Est-ce que c’est original comme procédé ?

Le Journal illustré, n° 36, 4 septembre 1886, p. 284-285.

En fait, le roman-photo, ce n’est pas très original ! Voici un exemple de roman-photo qui date de 1896. C’est un reportage photographique : Paul Nadar va interroger Chevreul, un académicien qui avait 100 ans, comme ma grand-mère ! On y voit même Félix Nadar, pris en photo par son propre fils. Vous voyez ce genre existe depuis longtemps mais il ne s’est pas développé !
Dans les années 60-70, il y a eu beaucoup de romans-photos, c’était alors un genre très particulier, publié dans les magazines féminins, souvent des romances à l’eau de rose, cantonné à un style très particulier. C’est passé de mode dans les années 80 bien que le magazine Nous Deux existe toujours. C’est un des plus grands tirages de la presse française. Donc, en fait, ce n’est pas si original comme moyen d’expression !
Mais moi, je raconte une histoire avec une succession d’images de natures différentes. Quelle que soit la nature des images, pour faire un roman graphique, il faut que les images conduisent la narration.

Comment avez-vous procédé pour trouver les photos illustrant Gaston en Normandie ?

J’ai utilisé beaucoup de photos d’archives pour Pauline à Paris. Pour Gaston en Normandie, c’est plus ciblé comme thème. Donc, j’ai surtout utilisé les collections des services des armées américaine et anglaise. Certaines sont libres de droit mais on doit quand même les référencer. J’ai aussi utilisé des photos militaires allemandes. Je cherche sur Internet. Parfois, ce sont des photos d’anciens magazines que je scanne. Sur le site Photosnormandie4, des images ont été mises à disposition pour que les gens identifient éventuellement des personnes ou fassent des commentaires. J’ai découvert comme cela des photos où j’ai retrouvé mon grand-père !
Pour le reste, je prends des photos, j’ai acheté un appareil avec un grand angle. Au départ, je cadrais de trop près ma grand-mère et après, je ne savais pas où mettre ma bulle ! Du coup, j’ai par la suite fait des photos en grand angle, ce qui me permet après de zoomer comme j’en ai envie ! La qualité est suffisamment bonne, car les cases ne sont pas très grandes. Je prends ainsi les parties qui m’intéressent ! Par exemple, quand mon père est en short, je ne trouve pas cela élégant, alors je m’arrange pour le cacher ! Quand je photographie mon père, je ne fais pas de belles photos car ce n’est pas le plus important, c’est le témoignage qui est important. Je ne suis pas photographe ; je collecte la mémoire et je raconte des histoires. En bande dessinée, le beau dessin détourne souvent de l’histoire, il faut que le dessin soit au service de la narration. C’est la même chose ici avec la photo.

Comment procédez-vous après ?

Une fois le texte enregistré, il faut le retranscrire et c’est très long ! Parmi les photos, j’essaie de prendre l’expression qui correspond le mieux à ce que dit mon père. Quand j’ai pris cette photo-là de Gaston, croyez-vous que ce soit le texte qu’il disait ? Pas forcément et même probablement pas ! C’est vrai que c’est une forme de manipulation… Une fois que c’est retranscrit et que j’ai sélectionné les photos, je fais un montage. On peut utiliser un logiciel professionnel comme In design. Moi j’utilise Scribus qui est gratuit et qui me suffit pour organiser mes images et mon texte.

Gaston en Normandie, p. 62, case 4 – Droits de reproduction réservés © B. Vidal et FLBLB

Le rapport à l’intimité familiale

Pourquoi avoir choisi le Débarque­ment comme thème central ?

Je ne l’ai pas vraiment choisi… Mais un peu quand même ! Parmi les souvenirs de ma grand-mère, le Débarquement était un des moments les plus forts pour elle, mais aussi parce que la petite histoire (l’histoire familiale) croise la grande Histoire (celle qu’on apprend dans les livres d’école). Sur le Débarquement, quand j’étais ado, j’en ai vu des photos, des films et lu des bandes dessinées ! C’était un sujet très souvent traité. Et voilà que ma grand-mère me racontait des choses que j’avais vues au cinéma ! D’ailleurs, au départ, les premières histoires que j’ai faites sur mon blog, c’était autour du Débarquement. Je pensais que ça plairait aux gens parce que c’est un sujet dont ils ont déjà entendu parler et qui pourrait les toucher. Si je n’avais fait que collecter des témoignages du Débarquement, cela aurait pu intéresser les historiens mais qui d’autre ? Je pense qu’il faut ajouter des choses plus personnelles. C’est ce que je fais dans Gaston en Normandie : je veux parler de ma relation avec ma grand-mère et de la façon dont j’interprète ce qu’elle me raconte. Et j’en viens à parler de choses plus personnelles et plus intimes.

Gaston en Normandie, p. 15 – Droits de reproduction réservés © B. Vidal et FLBLB

Votre père a-t-il été traumatisé par la guerre ?

Quand on l’entend raconter, on n’a pas l’impression qu’il ait été traumatisé. On a l’impression d’un souvenir extraordinaire pour lui. Après, cela ne veut pas dire qu’il n’a pas eu de très grandes peurs ou des angoisses. Dans le livre, vous avez vu que dans ma famille, à Bayeux, personne n’est mort et rien n’a été détruit. À Caen, dans les villes autour, vous avez vu combien les gens ont souffert de la guerre : des morts, des blessés, des maisons détruites. Alors évidemment au moment même, quand on le vit, on ne sait de quoi sera fait demain et si on va s’en sortir. Et effectivement, avant que le front ne se déplace, pendant plusieurs mois, il va y avoir des combats dans la région. Ma grand-mère était très angoissée, elle avait quarante-cinq ans, quatre enfants et elle était enceinte. Tous les jours, avec son mari, ils avaient peur. Mon père raconte tout ça avec un certain recul, comme un enfant qui a vécu un moment extraordinaire. Mais il faut comprendre qu’il est né en 36 et il a trois ou quatre ans quand la guerre débute. Il n’a pas de souvenir d’avant la guerre.
Toute son enfance, entre trois et sept ans, s’est déroulée sous l’occupation militaire allemande. Il n’y avait pas de jouets, pas de cinéma et pas de télévision. Interdiction d’écouter la radio. La nourriture était rationnée, on produisait des biens qui ne servaient alors qu’à l’armée ou à l’économie allemande. Je n’ai aucune photo de mes grands-parents à cette époque car il était quasiment impossible de trouver des pellicules photos dans les magasins. Donc, mon père, enfant, n’a jamais connu le monde sans guerre. Tout d’un coup, du jour au lendemain, le 7 juin au matin, les Anglais rentrent dans Bayeux. Il n’y a pas eu de bataille dans la ville. Les gens sont heureux. Mon père ne voit que cette joie. Même s’il va aussi voir les blessés arriver des villes avoisinantes, il voit surtout de très jeunes soldats – dix-sept ou dix-huit ans – qui arrivent avec des motos, des chewing-gums et du chocolat que mon père n’a jamais mangé ! Il apprend à démonter des mitraillettes… Mais je pense qu’il est partagé entre deux extrêmes car il sait aussi que beaucoup de gens ont souffert.

Du côté de l’édition de bande dessinée

Avez-vous été aidé ou avez-vous fait ce livre tout seul ?

J’ai envie de dire, oui, je l’ai tout fait tout seul… Mais en fait on ne fait pas tout, tout seul ! Je me suis fait relire par des proches, des gens de ma famille et en fonction de ces retours-là, j’ai beaucoup modifié. Une chose que je n’ai pas faite, c’est la couverture ! C’est l’éditeur qui l’a réalisée ainsi que les pages ouvrant les chapitres. FLBLB est une petite entreprise qui publie une dizaine de livres par an, ils sont quatre salariés. Un des salariés est infographiste : il sait faire des couvertures, des photomontages. C’est lui qui a réalisé cette couverture pour Gaston en Normandie. On décide ensemble : je lui propose des choses et lui aussi. On a hésité entre plusieurs couvertures. Sur celle-là, vous avez vu, il reprend une photo de l’album, la colorise tout en la recadrant pour cacher la tête du général de Gaulle, c’est un parti pris original et je la trouve très réussie.

Combien d’exemplaires avez-vous vendu de Gaston en Normandie ?

En tant qu’auteur, je ne suis pas au fait tous les jours des ventes. Je dois demander à mon éditeur et lui aussi, il a toujours une marge d’erreur. Les livres sont chez les libraires mais peuvent être en stock. C’est donc le diffuseur qui donne les chiffres. Tous les ans, je reçois un relevé qui me dit combien j’ai vendu de livres. C’est à partir de cela que sont calculés mes droits d’auteur. L’an dernier, les ventes de Pauline à Paris avaient dépassé les 2000 exemplaires. On doit être autour de 2300 aujourd’hui. Pour Gaston en Normandie, entre 1000 et 2000. Mais il faut savoir que, dans le monde de l’édition, c’est généralement au cours de la première année de publication que les ventes sont élevées. Récemment, j’ai reçu un prix intitulé Cases d’Histoire. Je peux espérer que ça augmentera les ventes !

Combien gagne un auteur pour chaque livre vendu ?

Ce livre-là est vendu 20 euros. Ce n’est pas cher par rapport à une bande dessinée en couleur, de 160 pages, qui va coûter plutôt 25 ou 30 euros. Un manga, de format plus réduit, en noir et blanc, c’est entre 6 et 7 euros. Un album traditionnel cartonné, c’est plutôt 12-13 euros. L’auteur va avoir environ 10 % des 20 euros, c’est-à-dire entre 1 et 2 euros. S’il vend 1000 livres, combien gagne l’auteur ? Entre 1000 et 2000 euros. Si vous y avez travaillé pendant un mois, ça va ! Mais si vous avez travaillé pendant 5 ans… Vous comprenez que pour gagner beaucoup, eh bien, il faut beaucoup vendre ! C’est le cas de quelques titres comme Astérix ou Thorgal qui sont vendus à des dizaines, voire centaines de milliers d’exemplaires. On ne gagne pas d’argent en fonction de son travail, mais en fonction du succès de son livre. Un tout petit nombre d’auteurs gagne beaucoup d’argent et de très nombreux autres ne gagnent pas leur vie comme auteurs et font un autre métier en parallèle. Pour vivre honorablement, il faut pouvoir vendre 20 000 exemplaires par an. Or, vendre 5000 exemplaires, c’est déjà beaucoup. C’est déjà un succès éditorial mais c’est à peine suffisant pour en vivre ! Il n’y a que 200 ou 300 auteurs de bande dessinée en France et en Belgique qui peuvent vivre de ce métier et ils ne représentent que 5% des auteurs de bande dessinée. L’immense majorité n’en vit pas, ils ont donc un métier à côté qui leur permet de vivre et éventuellement de continuer la bande dessinée.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour publier cette bande dessinée ?

J’ai rencontré des difficultés de plusieurs ordres. J’ai fait huit versions différentes de cette histoire – dont une fin différente que vous pouvez lire sur mon blog5. J’ai envoyé la quatrième version à FLBLB. Comme Pauline à Paris a bien marché – c’est le roman-photo qui se vend le mieux chez cet éditeur – je savais que j’avais de fortes chances qu’ils acceptent de publier ce livre. C’est déjà bien d’avoir un éditeur ! Il y avait aussi des contraintes techniques. J’ai utilisé de nombreuses images : les miennes mais aussi 500 à 1000 images d’archives que j’ai prises ailleurs. Sont-elles libres de droit ? Ai-je le droit de les utiliser ? Il a fallu que j’effectue les recherches et cela m’a pris plusieurs mois. Une autre contrainte très forte : vais-je oser enregistrer mon père ? Le photographier ? Car je sais qu’il n’aime pas être photographié.

De tous vos livres, quel est votre préféré ?

Je les aime tous ! J’avais de très bons retours sur Pauline à Paris alors j’avais peur de ne pas avoir le même retour positif sur Gaston en Normandie… J’avais peur de lasser, mais les retours sont très bons, en fait !

Avez-vous des projets ?

J’en ai, mais c’est un peu vague. J’y réfléchis ! Je n’ai rien commencé. Je suis dans une phase où je m’interroge…

 

 

 

Annexe 1

Déroulé pédagogique
Gaston en Normandie

L’objectif global de cette étude de Gaston en Normandie s’inscrit dans le dispositif Une Case en Plus dont le but est d’appréhender la richesse de la bande dessinée et ce, sous toutes ses facettes : en tant qu’objet éditorial, objet de savoirs, source de plaisirs de lectures et surtout en tant que langage spécifique. Proposer une étude approfondie d’une bande dessinée en classe, c’est envisager un travail sur la bande dessinée et non pas seulement avec la bande dessinée.

Cette séquence autour de l’album Gaston en Normandie a été conçue et réalisée en co-animation avec une professeure de lettres-histoire du lycée professionnel, pour une classe de 3e PrépaPro, composée de 16 élèves, globalement faibles lecteurs et peu accoutumés à la lecture de bande dessinée, et pour une classe de 2de Pro.

Dans le cadre du projet Une Case en Plus, les élèves ont bénéficié de plusieurs séances autour de la bande dessinée où ils ont manipulé des albums. Ils ont été ainsi amenés à identifier les différents acteurs d’une bande dessinée et à décrypter des images (rallye bd, énigmes/jeux autour des albums de la sélection). Ils n’ont pas lu Gaston en Normandie avant la première séance. Ils rencontrent l’auteur en cours d’année, à l’issue des quatre premières séances.

1. Découverte de l’album Gaston en Normandie

À partir d’un questionnaire proposant une analyse minutieuse de la couverture (image et paratexte) et de la 4e de couverture (photomontage, résumé), complété par une visite sur le site de l’éditeur, les élèves découvrent l’auteur Benoit Vidal et l’éditeur FLBLB puis émettent des hypothèses autour de l’album. La lecture guidée de la page 27 leur permet d’affiner les intentions de l’auteur (croiser les souvenirs de Joséphine et Gaston autour du Débarquement) et de préciser les liens familiaux entre les trois personnes.

Objectif : amener les élèves à réaliser que Gaston en Normandie est une bande dessinée basée sur la collecte de témoignages familiaux et une bande dessinée sur le Débarquement en Normandie.

2. Prendre conscience des spécificités de ce récit : entre bande dessinée et reportage-photo

En analysant les planches 44 et 45, les élèves sont amenés à préciser la nature des images présentes dans ces deux planches : photos venant de sources diverses (photos personnelles, photos de guerre, reproduction de peintures, de tapisseries, d’illustrations populaires ou savantes…). Ayant accès à la liste des sources iconographiques citées par l’auteur, ils prennent conscience de la richesse et de la diversité des photomontages et de la nécessité légale de la citation des sources à laquelle est confronté l’auteur.

Objectif : amener les élèves à comprendre la distinction entre roman-photo et bande dessinée, réaliser que ce titre qui emprunte aux deux genres compose une œuvre hybride et singulière.

3. Le Débarquement à travers Gaston en Normandie

À partir d’un questionnaire autour des pages 14, 18, 31-32, 55 et 85, les élèves confrontent les témoignages de Gaston et Joséphine aux événements historiques (les bombardements et le Débarquement en Normandie).

Objectif : comprendre le contexte historique des témoignages mis en scène par Benoît Vidal.

4. Les civils dans la guerre à travers Gaston en Normandie

À partir d’un questionnaire autour des pages 15-17, 30, 32-33, 38-39, 40-41, 22-23, 46-54 et 77-83, les élèves travaillent sur le thème Les civils dans la guerre, selon trois axes proposés par l’album : Partir ou rester ?, Soigner et accueillir, Les enfants dans la guerre.

Objectif : comprendre l’importance historique des témoignages tout en prenant conscience de leur subjectivité, de la différence entre témoignage et histoire.

5. Rencontre avec l’auteur

Préparation de la rencontre avec l’auteur : mot d’accueil adressé par deux élèves à l’auteur, organisation des questions par thèmes et ordre des questions. Organisation d’un goûter de fin de rencontre. Lors de la rencontre, prise de notes par une des classes.

Objectif : marquer un temps fort avec la rencontre physique de l’auteur, mieux appréhender les enjeux et les choix narratifs et graphiques de l’auteur, valoriser le travail collectif mené en classe.

6. Création graphique

Chaque élève compose une planche à « la manière de Benoit Vidal » à l’aide du logiciel BDnF1.
Thème imposé : raconter un souvenir d’enfance en utilisant des images de natures et d’origines diverses.
Contraintes : sur une planche de 9 cases de taille régulière, l’élève auteur se mettra en scène (trois photos au moins du présent), les autres images peuvent être des photographies personnelles de leur enfance ou, au choix, créées, trouvées, détournées (mais libres de droit). Les élèves devront présenter la liste des références iconographiques de leur planche.

Objectifs : en créant une narration en images basée sur la photographie ou l’illustration, prendre conscience du procédé du roman-photo et du langage spécifique de cette narration. S’initier à un outil numérique spécialisé. Être sensibilisé aux droits à l’image.

Toutes les séances (questionnaire/correction) ci-dessus sont téléchargeables via le site Le Dock (http://ledockbd.blogspot.com) qui mutualise les séances réalisées dans le cadre Une Case en Plus.

 

1. BDnF : outil de création numérique gratuit mis au point par la BnF permettant de créer des récits mêlant textes et images. https://bdnf.bnf.

 

 

Les premières fois

La question sexuelle n’est pas neuve dans la littérature jeunesse. Déjà Perrault mettait sur papier des contes destinés aux enfants et truffés de morales bien peu voilées sur la question. Et la métaphore de la bagatelle est en effet courante dans les contes, les comptines et les chansons. Au regard de ce bagage culturel historique, la littérature jeunesse d’aujourd’hui peut paraître à première vue fort chaste. La version actuellement en vigueur de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, adoptée en 2011, comporte encore une dimension moralisatrice, mais elle ne cible plus aujourd’hui que les contenus spécifiquement pornographiques, ayant évacué la notion de « débauche ». C’est peut-être ce qui explique que le XXe siècle ait été une période de publications plutôt lisses sur ce sujet, du moins dans les ouvrages « grand public ». Le thème par excellence de la littérature jeunesse étant le récit initiatique, la question de la découverte du sexe ne pouvait être passée totalement sous silence, c’est pourquoi nous nous interrogerons dans ce Thèmalire sur la place qu’occupe la première expérience sexuelle dans les récits, lorsqu’elle n’est pas d’ailleurs au centre de l’histoire. S’agit-il d’utiliser les publications jeunesse pour sensibiliser les adolescents à un enjeu de santé et de société ? Est-ce un tabou qui se lève sur une étape de l’accomplissement vers l’âge adulte, et qui prend peu à peu sa place dans un domaine littéraire qui gagne en liberté ? Ou encore, admettons-nous aujourd’hui l’érotisme dans les genres destinés à la jeunesse ? Et pourquoi pas les trois ? 

La première fois, un prétexte littéraire à la sensibilisation ?

La littérature de jeunesse conserve à travers le temps une entrée pédagogique, voire un peu moraliste, véhiculée par Perrault en son temps. Aussi, les premiers romans qu’on peut trouver, les plus référencés, les plus souvent mis en évidence dans nos CDI, sont souvent des récits de faits de société, qui traitent plus des conséquences possibles que du moment vécu.

Ainsi, dans le roman Soixante-douze heures, de Marie-Sophie Vermot, la première fois de l’héroïne Irène n’existe qu’en flash-back. Son histoire, c’est celle qui a suivi cette première fois, le rapport sexuel constitue l’élément déclencheur, pas le récit. Et Irène nous raconte ainsi son accouchement sous X, à 17 ans. On retrouve le même thème dramatique dans le court roman de Jo Witek, Trop tôt : une belle et intense expérience amoureuse au bord d’une plage, racontée dans les premiers chapitres, est suivie d’une lourde décision à prendre : avorter ou pas ?
Si la première fois n’y est pas du tout tabou, ces deux romans ont comme point commun de ne pas la mettre au cœur du récit : elle est le point de départ d’un récit ultérieur, qui se centre sur les conséquences plus que sur le moment vécu. Cette première fois reste d’abord le déclencheur d’une situation dramatique : la grossesse, l’avortement, ou encore l’abandon.
Ces questions sont bien sûr importantes dans la construction d’un rapport responsable au sexe, et traitées avec bienveillance et absence de jugement dans les deux ouvrages cités, mais la question du passage à l’âge adulte est ici un prétexte à la sensibilisation, à de la prévention. C’est souvent la raison pour laquelle ces ouvrages sont mis en avant les premiers : ils racontent, très bien et avec un regard doux, des moments difficiles, des choix, une réalité dont on aimerait que tous nos jeunes prennent conscience. En contrepartie, on peut avoir la sensation en lisant Soixante-douze heures que la première fois ne vaut pas vraiment comme un acte qui serait déjà une expérience en soi. Comme si l’important n’arrivait qu’après…
Le roman de Jo Witek, Trop tôt, s’attarde un peu plus longtemps sur l’expérience de la première fois, sur l’acte lui-même et les heures qui le suivent. La jeune Pia, quinze ans, raconte sa rencontre avec Nathan, leur escapade de nuit sur la plage, le plaisir des baisers et des caresses : « C’est ainsi que je me souviens de cette première nuit d’amour et c’est pourquoi je ne la regretterai jamais ». Elle raconte aussi la gêne du petit matin, le retour au quotidien, l’envie de revoir le garçon, son refus à lui et l’humiliation de ce rejet. Puis, très vite, l’histoire se centre sur cet « après », sur ces conséquences dramatiques qui suivent l’abandon au plaisir.

De l’ellipse au détour d’une page…

On l’a dit, la première fois, quelle que soit l’expérience dont il s’agit, est le principe même du récit initiatique. De nombreux romans réalistes, racontant des parcours d’adolescents, voient leur personnage principal se confronter à cette question. Sans être au cœur de l’histoire, il s’agit d’une étape indéniable. Si elle est souvent traitée par l’ellipse, l’évocation, le souvenir, la métaphore, elle existe cependant, ainsi que les questionnements qui s’y rattachent.

Dans sa saga Comment bien rater ses vacances, Anne Percin raconte le quotidien de Maxime, un adolescent de 17 ans, et son évolution : le jeune homme, accro aux réseaux sociaux, à ses amis et à la musique, va devoir s’occuper de sa grand-mère hospitalisée et survivre seul ; puis, il découvre l’amour et le travail en équipe avec son groupe de rock… Le deuxième volet de la saga, Comment bien gérer sa love story, met l’accent sur sa relation naissante avec Natacha. Lorsque Maxime a l’occasion de passer pour la première fois la nuit chez sa petite amie, il raconte ses premiers moments de sensualité et de désir. Le roman est raconté à la première personne, et Maxime entretient pendant tout le récit une forte connivence avec son lecteur, agrémentée de clins d’œil, de notes de bas de page truffées de private jokes et de souvenirs communs établis au fur et à mesure de la lecture. Sa première fois est donc traitée par une belle ellipse, qui lui permet de mettre en avant sa pudeur et l’intimité du moment vécu avec une bonne dose d’humour et d’autodérision.

Le roman de Bertrand Jullien-Nogarède aborde cette étape de façon beaucoup plus sérieuse dans La première fois que j’ai été deux. Ce roman sentimental raconte la rencontre de Karen, une jeune adolescente désabusée des relations amoureuses, avec Tom Darcy, un jeune anglais qui lui fait découvrir l’amour. Ce roman très introspectif nous emmène dans leur voyage à Londres dans la famille de Tom, et s’attarde sur leurs échanges et discussions autour de l’amour et de leur avenir. Loin d’une relation charnelle et sensuelle, les deux héros sont plutôt portés sur le sentiment et l’intellect. Pour Karen, la première fois se passera dans un hôtel, “comme dans un rêve”… et il n’en sera très vite plus question !

Parmi les récits qui mentionnent cette étape de la première fois, certains sont notables pour avoir raconté une première fois… ratée. C’est le cas dans Geneviève, le quatrième tome de la saga Quatre sœurs de Malika Ferdjoukh. Dans cette fresque familiale dépeignant les déboires de cinq sœurs orphelines, chaque tome s’attache plus particulièrement à l’une des sœurs, héroïne éponyme du volume. Geneviève est le quatrième tome : la jeune fille est la deuxième de la fratrie, âgée de 16 ans, réservée et dévouée à sa famille. Donc, lorsqu’elle rencontre Vigo, le bad boy par excellence, son côté raisonnable est un peu bousculé. Après une soirée en amoureux catastrophique, Vigo toque à sa fenêtre et la rejoint dans sa chambre. Rien ne se passe comme dans son imagination : elle porte son tee-shirt le plus vieux et le plus moche, le chat est caché sous la couverture, le lit est dans une commode ancienne étroite et grinçante, le préservatif tombe derrière le matelas, une chauve-souris rentre dans la chambre, et ils sont finalement interrompus par Charlie, l’aînée des sœurs, avant même d’avoir commencé. Malika Ferdjoukh réussit pourtant à montrer dans leur maladresse la sensualité du moment, le désir qu’ils ont l’un pour l’autre. Partie remise, mais un premier contact avec le sexe qui leur donne l’envie d’y revenir.

Notre feu, publié en 2021 par Alexandre Chardin, commence également sur une première fois ratée, mais pour d’autres raisons. Là où celle de Geneviève échoue en raison du contexte et de la maladresse, c’est le stress de la performance qui gâche le premier rapport de Colin. Le roman débute sur l’angoisse numéro un des garçons confrontés à leurs débuts sexuels : l’éjaculation précoce, l’incapacité à aller au bout de l’acte, l’humiliation de ne pas avoir réussi et le rejet de la fille. Colin, sportif de haut niveau, part le lendemain de cette expérience ratée loin de sa petite amie, en vacances avec sa famille. Ces vacances auront leur lot de premières fois, et parmi elles la rencontre avec une jeune fille qui ne lui plaît pas plus que cela, mais qui finira par le séduire grâce à d’autres atouts. D’un roman initiatique au synopsis somme toute assez banal, Alexandre Chardin réalise finalement une œuvre jeunesse qui fait l’éloge de la séduction. Comment Colin se laisse-t-il charmer par Ada, au point d’en tomber follement amoureux ? Comment arrive-t-il avec elle à laisser le désir opérer sans faire de l’acte d’amour une épreuve à réussir ? Ce n’est pas uniquement la première fois de Colin qui nous est racontée, c’est sa première fois partagée avec l’autre. Notre feu s’inscrit dans un mouvement plus moderne de la littérature jeunesse, où le sexe passe d’une étape du développement de l’adolescent à un thème central de la littérature.

… À un thème éditorial

S’agit-il d’une libération des mœurs concernant la jeunesse ? Est-ce une réaction à l’accès de plus en plus facile à la pornographie ? À la présence de moins en moins censurée des scènes de sexe dans les films et séries pour ados ? Au succès des fanfictions et des autopublications de romances érotiques comme 50 nuances de Grey ? Toujours est-il qu’aujourd’hui, la littérature érotique pour les jeunes a fait son entrée dans les librairies, et qu’une réelle demande éditoriale, concernant les œuvres jeunesse qui s’emparent d’érotisme, existe.
Au-delà des textes aussi controversés que le roman de E. L. James, les auteurs se sont emparés du sujet avec des ouvrages qui ont toute leur place dans un CDI. Au contraire, ils se sont attachés à prouver qu’on peut parler d’érotisme aux adolescents sans faire l’apologie de la soumission ou du masochisme.

L’éditeur anglo-saxon Andersen Press a par exemple commandé en 2010 à l’auteur Keith Gray un recueil de nouvelles, paru sous le titre original Losing it, et traduit en français sous le titre La première fois. Le titre original est explicite : toutes les nouvelles sont centrées autour de la virginité, de la manière de la perdre et des représentations qui y sont liées : pourquoi la perdre ? Quelle sera mon image, ma réputation auprès des autres si je l’ai encore ou au contraire si je ne l’ai plus ? Est abordée également la question épineuse de la religion, de la tradition, de l’époque, et donc du tabou dans le cercle familial ou amical. Séducteur ou traînée ? Libre d’être attiré.e par le même sexe ou pas ? Le premier rapport étant au centre de chaque récit, chaque auteur aborde un non-dit, une peur, ou une représentation à déconstruire.

Une anthologie sur le même thème, française cette fois, a été publiée par les éditions Eyrolles. 16 nuances de premières fois : le titre souhaite sans aucun doute prendre le contre-pied de 50 nuances de Grey. La première fois est ici abordée dans un sens un peu élargi : première fois que ça a été bien, première fois avec un autre garçon, est-ce qu’entre filles ça compte, même sans pénétration ? Ce recueil coordonné par Manu Causse et Séverine Vidal apporte cependant une variation inattendue sur le thème, avec des récits situés dans un univers fantastique ou d’anticipation qui décalent le propos.

On retrouve toutes les angoisses de l’adolescent liées à sa première expérience sexuelle dans le roman américain de Cameron Lund, La toute première fois. Keely, seule vierge de son petit groupe d’amies, rencontre un garçon qui lui plait mais a terriblement peur de paraître inexpérimentée. Elle choisit de désacraliser ce moment en demandant à son meilleur ami et tombeur de réputation d’être son premier et de lui apprendre. Elle se questionne sur la différence entre désir et sentiment, l’importance de la confiance dans le partenaire, la complexité des relations amoureuses, amicales et sexuelles.

On voit qu’un tournant a été franchi dans la définition des publications destinées à la jeunesse en observant l’augmentation des ouvrages récents qui font la part belle au thème du sexe. L’éditeur Thierry Magnier a créé en 2019 une collection entièrement consacrée à la question sexuelle chez les adolescents, intitulée L’ardeur. Les trois mots qui accompagnent le nom de la collection montrent le choix éditorial : « lire, oser, fantasmer ». Il ne s’agit pas uniquement de traiter d’un fait de société, d’une étape du développement, mais aussi d’aborder le sexe par l’imaginaire, l’érotisme et la découverte. Parmi les dix titres de la collection, nous en avons retenu trois dans notre bibliographie. Dans Touche-moi, de Susie Morgenstern, Rose raconte sa vie d’adolescente albinos, qui rêve des garçons alors qu’ils n’osent pas l’approcher. Elle confronte ses fantasmes à la réalité, se demandant à partir de quand le sexe devient une obsession, se questionne sur l’image du sexe qu’elle se construit avec la pornographie. La question du handicap est également présente dans le roman de Camille Emmanuelle, Le goût du baiser. Aurore est une jeune fille qui a perdu le goût et l’odorat dans un accident. Ce récit aborde de manière surprenante le complexe, avec un handicap qui ne se voit pas, mais qui crée une réelle angoisse chez l’adolescente : est-ce que je sens mauvais ? Comment m’en rendre compte ? Elle fait apparaître une autre dimension de la sensualité en mettant à l’honneur l’importance des cinq sens dans la relation intime. Enfin, toujours dans cette collection, Les premiers plans de Rémi Giordano pose la question du coming out, de la découverte du sexe pour un jeune homosexuel qui se cherche et se pose des questions bien spécifiques : serai-je actif ou passif ? Est-ce important ? Est-ce qu’on peut changer après ? Une collection à découvrir et à intégrer à vos rayonnages de lycée, car les auteurs n’y mâchent pas leurs mots.
Nous pouvons terminer ce panorama avec un ouvrage qui fait un peu figure d’OVNI, D’or et d’Oreillers de Flore Vesco. Réécriture de contes de fée, ce roman reprend leurs versions non édulcorées pour les enfants et multiplie les références à ces différentes histoires, de Barbe Bleue à Cendrillon en passant par Le Monde de Narnia. Ainsi, lorsque notre princesse au petit pois passe quelques nuits chez son prétendant, elle découvre son corps, la masturbation, le plaisir de voir l’autre et de se laisser voir, bref, elle découvre le désir, le corps et la séduction.

Le sexe et sa découverte ont bel et bien toute leur place dans la littérature jeunesse aujourd’hui, et les choix de lectures et de films des adolescents témoignent d’une vraie demande sur ce thème. Il est difficile de faire l’impasse sur cette étape signifiante du développement de l’adolescent dans des récits souvent initiatiques. Le roman est également un outil majeur de sensibilisation, d’information, notamment émotionnelle : il permet de découvrir comment d’autres ont vécu ce moment, y compris dans l’imaginaire et d’avoir un espace de questionnement et de tâtonnement. Mais c’est aussi un vrai sujet littéraire complexe qui comporte ses propres codes, ceux de l’érotisme, du fantasme, et qui n’est plus réservé aux adultes.

 

Le cerveau en question(s)

Nous avons choisi dans ce dossier d’InterCDI d’interroger la place des neurosciences au CDI ainsi que le rôle du professeur documentaliste dans les projets qui y font référence, projets portés par des équipes de collègues motivés. Que nous apprennent les résultats des recherches récentes dans ce domaine ? Quels sont les apports potentiels des neurosciences aux pratiques de classe ? Autant de questions auxquelles il n’est pas envisageable d’apporter de réponses définitives car, comme le souligne Edouard Gentaz, professeur de psychologie du développement à l’université de Genève et directeur de recherche à l’institut des sciences biologiques du CNRS dans l’ouvrage Les neurosciences à l’école : leur véritable apport1, les études sur les neurosciences sont relativement récentes et encore très discutées, notamment en raison d’un manque d’études significatives. Il rappelle également que les neurosciences ne sauraient expliquer à elles seules des phénomènes aussi complexes que l’apprentissage et l’enseignement. Il importe d’observer l’environnement de l’individu et de s’appuyer sur différentes disciplines : « Pour un enseignant, il est important de prendre conscience que lorsque l’élève apprend quelque chose, il “sculpte” son cerveau et, dans certains cas, peut “recycler” de nouvelles zones cérébrales. Les compétences sont beaucoup plus modulables que ce que l’on pensait. […] Mais les recherches en neurosciences à elles seules ne peuvent guider les pratiques pédagogiques. Elles doivent être associées aux autres disciplines, comme celles issues de la psychologie scientifique » (Gentaz, 2022, p. 27).

Dans un premier temps, nous essaierons de comprendre les mécanismes de la pensée en jeu dans l’évaluation de l’information. L’adhésion à certaines infox ou théories du complot est-elle principalement une affaire de cerveau ? Quelle est la part du contexte socio-culturel et de l’environnement informationnel ? Pour éviter de tomber dans les « mythes cognitifs », Raphaël Heredia propose, avec Désinformation une histoire de cerveau vraiment ? de faire la part des apports respectifs de différents champs, dont certains sont délaissés (sociologie du numérique, sciences de l’information, sciences de l’éducation) quand d’autres sont largement invoqués (neurosciences, psychologie cognitive ou sociale). L’approche est compréhensive, il s’agit dans tous les cas de mettre à distance une vision de l’ÉMI comme « une histoire de gens qui pensent mal, à remettre sur le droit chemin cérébral ».
C’est dans le cadre d’une réflexion générale sur les pratiques pédagogiques que Manon Lefebvre convoque les neurosciences : non comme un outil proposant des méthodes universelles à appliquer pour améliorer les apprentissages, mais dans une logique d’expérimentation et d’adaptation des pratiques, rapportée ici plus particulièrement à l’ÉMI et centrée sur le processus de mémorisation. Certains « allants de soi » sont questionnés, et des pistes suggérées, en appui sur les résultats de recherches récentes ; la nécessaire prise en compte du contexte, et le rôle primordial de l’enseignant à ce niveau sont rappelés avec insistance. Dans la continuité de sa réflexion, Marine Brochard-Castex propose un exemple concret, dans un contexte de cours bimensuel, mettant à l’épreuve du terrain certaines des pistes préconisées.

Dans un second temps, nous nous pencherons sur des expérimentations pédagogiques lancées dans plusieurs académies, qui ont pour objectif la création d’un contexte éducatif favorable aux apprentissages et à la gestion des émotions. Virginie Breyton relate ainsi le déploiement dans l’académie de Versailles d’un dispositif soutenu par la CARDIE2, visant à développer les compétences psychosociales des élèves, et plus précisément, leur bien-être. Elle donne à voir comment les professeurs documentalistes peuvent s’impliquer et contribuer à l’acquisition par les élèves d’une meilleure connaissance des « mécanismes » du cerveau et de leurs capacités cognitives, émotionnelles et sociales. Les pratiques ludiques et créatives occupent une place de choix dans ce processus, ce que met également en avant Anne-Valérie Mille-Franc dans l’académie de Montpellier, laquelle propose dans un article des pistes et des outils pour travailler différemment avec les élèves. Toutes les deux soulignent l’importance d’une formation solide et s’interrogent sur la manière dont le professeur documentaliste peut contribuer à l’instauration d’un climat serein, propice à l’épanouissement des élèves.
Avec la création d’un groupe « zèbres » (terme inventé par Jeanne Siaud-Facchin, psychologue clinicienne et psychothérapeute), Louise Daubigny propose une expérience singulière d’accueil en CDI d’élèves à Haut Potentiel (des élèves « à besoins éducatifs particuliers »). Ici aussi, l’auteure invite à dépasser certaines idées reçues, et interroge le rôle du professeur documentaliste. La démarche de projet et les activités sollicitant imagination et créativité sont mises en avant. Le CDI peut être « une bulle d’air » pour ces élèves, selon ses mots. Enfin, Stéphanie Druesne, professeure d’EPS et formatrice académique en yoga, invite à faire un pas de côté avec la pratique du yoga : au-delà du projet présenté, appuyé par l’académie d’Orléans3, et à destination d’élèves mineurs isolés allophones, c’est de la relation corps/esprit que traite l’article, et des effets bénéfiques que peut avoir le yoga sur le cerveau ; apprendre à accueillir et à maîtriser ses émotions permet d’apaiser les tensions physiques et mentales et favorise la concentration ; vivre les mots – et les savoirs – via des mouvements et des postures participe au processus de mémorisation, l’élève se préparant ainsi pour de nouveaux apprentissages.

Désinformation : une histoire de cerveau, vraiment ?

La mode des biais cognitifs dans l’esprit critique

Pour agir dans un environnement, nous mobilisons des approximations intuitives et rapides, dénommées heuristiques. Mais dans certaines situations, celles-ci génèrent des distorsions qui ne seraient pas la réponse optimale, en fonction de nos a priori ou des informations à notre disposition : des déviations qui entraîneraient des erreurs de jugement ou de raisonnement. Dans ce cas on parlera de biais cognitifs. La vulgarisation sur ce sujet est très prisée dans la presse et dans le monde de l’entreprise pour expliquer nos décisions. De même que le gène ou le neurone sont parfois présentés précipitamment comme des déterminants de nos comportements (neurone de la violence, gène de l’infidélité, etc.) chez des intermédiaires médiatiques ou culturels (Lemerle, 2013), le biais cognitif est lui aussi sollicité comme la clé explicative de nos comportements. L’enseignement n’échappe pas à cette conception qui permet de créer des expériences attrayantes qui permettraient de comprendre ces raccourcis que pourraient exploiter les mentalistes (pour le divertissement) et certaines pratiques plus manipulatoires (charlatan, publicité). L’auteur de ces lignes a lui-même mis en place des activités sur ce thème pour aborder l’esprit critique. On trouvera aisément des activités qui énonceraient les biais qui expliquent les adhésions et croyances (« les 5 biais qui expliquent l’inaction climatique », « les biais cognitifs qui expliquent l’attrait aux infox sur la crise sanitaire », « apprendre à déjouer ses biais »). Mais en lisant la littérature scientifique sur ce sujet, on se rend compte que tout cela occulte des causes contextuelles qui expliquent la mésinformation : par exemple, un manque d’informations cohérentes pendant une crise sanitaire, ou des médias poussés au sensationnalisme et à la course au clic (Griessinger & Moukheiber, 2020).

Tout d’abord ces biais recouvrent des choses très disparates. Chacun d’eux relève d’expérimentations précises, opérées dans des conditions bien particulières où l’on tente d’isoler des variables : plaquer un artefact de laboratoire dans une salle de classe est problématique, car celle-ci est un environnement multifactoriel qui ne place pas les élèves dans les conditions d’une expérience. Peut-être certaines de leurs réponses ou erreurs sont liées à des biais cognitifs, mais ce n’est pas toujours le cas et c’est rarement la cause unique. Ajoutons que certains biais se voient modérés : par exemple, l’existence de l’effet Dunning-Kruger (les moins compétents dans un domaine surestimeraient leurs compétences) est remise en question dans certaines recherches (ou dépendante d’éléments culturels). Mais il est parfois utilisé pour discréditer la parole d’autrui.

D’autre part, différents modèles ont été proposés pour expliquer l’existence des biais cognitifs et ils font l’objet de controverses (Hjejj & Vilks, 2023). La théorie populaire du système1 (intuitif, rapide, économe) et du système2 (analytique, plus lent) de Daniel Kahneman et Amos Tvertsky a souvent été vue comme une manière d’expliquer que le raisonnement analytique est moins source d’erreurs, ce que récuse le chercheur en psychologie cognitive Hugo Mercier : «Il n’existe aucune preuve expérimentale suggérant l’existence systématique d’un lien entre le fait de se montrer moins enclin à l’analyse – mise en branle par le système 2 – et une acceptation plus fréquente des croyances douteuses (…). Le lien supposé entre une pensée analytique et l’adhésion à des croyances douteuses n’a rien de systématique. On a tendance à associer athéisme et pensée analytique mais ce n’est pas le cas partout. Au Japon, par exemple, il existe une corrélation entre le fait de croire au paranormal et un usage plus fréquent de la pensée analytique » (Mercier, 2022. p. 73-74). De fait, un raisonnement moins rapide, moins intuitif (pour reprendre l’opposition système1/2) ne sera pas le gage de davantage de rationalité (on peut être motivé à raisonner afin de rechercher des informations qui vont dans le sens d’une conclusion à laquelle on veut croire).

Autre objection : ces biais s’observent dans un cadre où l’on attend une déviation par rapport à une réponse attendue, normée. Mais au quotidien, il n’y a pas toujours une bonne solution qui serait LA réponse rationnelle. Sur certaines questions de société, il ne suffit pas de démêler le vrai du faux : selon les valeurs, les contextes, les savoirs impliqués, on n’arrivera pas aux mêmes solutions ; ainsi, avoir un avis négatif sur le glyphosate ou les OGM (exemples souvent pris pour supposer un manque de rationalité) ne peut se réduire à un biais. Sans entrer dans le débat, que votre auteur serait bien incapable de trancher, on objectera que cette question n’est pas purement technique, mais socio-scientifique : elle touche plusieurs champs d’expertise, pose des questions complexes, dépend de choix de société, nécessite de nombreuses connaissances et des retours d’expériences locales. En débattre, permet de faire émerger des questionnements de manière collective et d’explorer différentes dimensions (Pallares, 2019).

D’autres modèles comme la rationalité écologique expliquent que nos heuristiques rapides peuvent donner lieu à des décisions « ok » (Gigerenzer, 2009).  Intuition et raison n’y sont pas opposées. D’autres chercheurs diront que cette binarité entre deux systèmes est obsolète (Melnikoff & Bargh, 2018) ou que l’on peut relier les différents modèles (Samuels & al, 2002). À croire que les biais cognitifs seraient des mécanismes à déconstruire pour arriver à une supposée neutralité et mieux s’informer, on risque d’essentialiser des pratiques informationnelles problématiques par ce seul prisme, sans comprendre les contextes et les raisons propres à chacun.e. On peut voir les biais comme des déviations mais aussi comme des « moyens de » (Table ronde, Moukheiber, 2022) : dans de nombreux contextes, ces heuristiques sont utiles, opératoires et permettent de stabiliser l’incomplétude de notre environnement informationnel (on ne peut pas accéder à toutes les données dans une situation). Prenons l’exemple du biais de confirmation (tendance à sélectionner les informations qui confortent nos a priori) : s’il peut nous empêcher de nous confronter à des informations contradictoires, il peut aussi nous aider à trouver des arguments pour défendre un point de vue, nous créer une bulle saine en ligne, poser un curseur de vigilance face à une information contradictoire quand on a une base solide sur un sujet (Mercier, 2019).

La tâche de Wason : Quatre cartes présentent un chiffre sur une face et une lettre sur l’autre. Seules les 4 faces ci-dessus sont visibles. Quelle(s) carte(s) devront être retournées pour que cette règle soit juste : Si une carte a un D sur une face, alors elle porte un 5 sur l’autre face. Beaucoup choisissent D et 5, alors qu’il s’agit de D et 7. Ce casse-tête est censé identifier un biais. Seulement le même exercice dans un contexte plus concret (identifier des personnes en âge de boire), donne moins d’erreurs. D’autre part, on estime que la réussite dépend de la compréhension linguistique de l’énoncé.
Image : wikimedia commons

Déjouer les biais en éducation ? Fausse bonne idée ?

Qu’en disent les sciences de l’éducation ? Les auteurs et autrices d’une synthèse des recherches sur l’éducation à l’esprit critique se sont penchés sur les liens entre esprit critique et biais cognitifs (EPhiScience, 2021). Ils concluent qu’une « éducation à l’esprit critique ne peut se limiter à une approche visant à éliminer ce qui semble être faux. Le piège serait alors de considérer qu’une pensée purgée de tous ses biais correspondrait nécessairement à de l’esprit critique ». D’autre part, le texte souligne que les études sont parfois contradictoires, en se basant sur les expériences menées sur les biais pouvant affecter la prise de décision dans le milieu médical : certaines concluent que le travail sur le biais cognitif pourrait améliorer l’action des médecins mais d’autres notent que cela pourrait altérer la confiance en soi et le jugement, en cas de situation d’incertitude ou d’urgence. Certaines études de ce champ médical suggèrent qu’il est parfois plus pertinent de viser à combler un manque de connaissances dans le domaine concerné que de demander aux individus d’essayer de contrôler et réduire leurs biais. Cette conclusion pourrait être transposée au milieu éducatif de façon plus générale : il n’est pas forcément pertinent de considérer l’adhésion à une infox comme émanant avant tout de biais si l’individu dont il est question connaît peu le sujet et n’a donc pas les connaissances pour repérer des éléments suspects. Une autre piste évoquée dans la synthèse, serait de mettre en place des outils pratiques pour minimiser l’impact de biais dans nos prises de décisions (check-list, mémos, logiciels collaboratifs). On peut s’en inspirer pour réfléchir à des outils qui nous aideraient dans notre environnement informationnel et nos usages en ligne de manière similaire.

En résumé, identifier des biais peut avoir un sens pour améliorer des pratiques dans des contextes précis telle qu’une prise de décision clinique, mais a-t-on le recul pour appliquer cela à des phénomènes disparates de mésinformation ? De l’avis de Charlotte Barbier, qui a participé à cette synthèse, l’articulation entre recherches en éducation et recherches sur les biais n’est pas encore très claire et il est difficile de tirer des conclusions sur l’intérêt pour les enseignants d’enseigner les biais cognitifs à des élèves (Table ronde, Barbier, 2022). Dans ce cadre, si les biais peuvent fournir des pistes réflexives sur soi, favoriser la métacognition, d’autres éléments sont cruciaux : capacités d’argumentation, connaissance épistémique du sujet, dispositions. En évaluation critique de l’information, des travaux permettent de réfléchir aux heuristiques mis en œuvre par les adolescents (Sahut, 2017) : ce peut être un levier pour prendre en compte leurs usages et les aider à les améliorer. Dans des pratiques informationnelles collectives, au sein de dispositifs sociotechniques, de modèles économiques et d’infomédiaires, on ne peut tout réduire à une histoire de débiaisage individuel afin de tout vérifier par soi-même : on réfléchit aussi aux sources ou personnes de confiance sur lesquelles s’appuyer. On pourra aussi se centrer sur d’autres types de biais : porter un regard critique sur les biais racistes ou de sexe/genre en histoire des sciences ou dans les œuvres de fiction, les biais statistiques en mathématiques et SES, les biais idéologiques dans des discours médiatiques en ÉMI.

Ces instincts et ces mécanismes qu’il faudrait dompter

Une biologisation de la mésinformation se retrouve encore en formation : des concepts obsolètes, comme le cerveau triunique (un cerveau reptilien, siège des instincts primaires, un cerveau limbique, siège des émotions, un néocortex, siège du raisonnement) pour expliquer le partage instinctif d’une information, sont vivaces. Le cerveau reptilien a pu être «une ressource symbolique pour quiconque désirait imputer le déplorable état du monde aux défauts innés de la nature humaine ou simplement évoquer de manière expressive les pulsions qui nous gouvernent» (Lemerle, 2021) : une théorie vite tombée en désuétude dans son propre champ disciplinaire, mais réutilisée dans le champ médiatique pour expliquer certains comportements qui font l’actualité. Une autre idée, qui renforce des comportements archaïques inadaptés au monde actuel, issue de la psychologie évolutionniste, un courant très controversé (Richardson, 2010) mais qui a été très prisé dans la vulgarisation de l’esprit critique, énonce que le cerveau réagirait trop vite car il doit surinterpréter les dangers pour survivre en des temps ancestraux. Dans cette perspective de course à la lutte contre les infox, on peut vite donner l’image d’une entité rationnelle qui a pour but de dompter une entité archaïque. (L’inventeur de la théorie reptilienne, Paul MacLean, parlait de devoir «tenir en laisse ce reptile»). Ces explications biologiques et organiques pour justifier des comportements sociaux (mésinformation, pulsions, réactions émotives) font le bonheur de publicitaires ou d’entreprises managériales qui s’accommodent bien de l’économie de l’attention et des explications simples pour expliquer des actions jugées irrationnelles.

Si les neurosciences ont pu être une plus-value pour l’élève (comprendre sa mémoire, rythmer son apprentissage), on note des mésusages fréquents, à l’instar des biais : l’imagerie a pu être dévoyée pour favoriser des méconceptions dans des cadres scolaires et la formation : cerveau gauche-cerveau droit, effets des écrans sur le cerveau, localisme exagéré de fonctions à certaines zones cérébrales (voir le documentaire Arte Suis-je mon cerveau ? avec Albert Moukheiber) ou à certains neurotransmetteurs (Cobb, 2021). Il suffit d’observer le nombre de publications qui expliquent l’appétence à certaines pratiques en ligne par le prisme de la dopamine. Cette vision a des répercussions qui peuvent avoir une incidence sur nos pratiques pédagogiques : penser que les réseaux génèrent des shoots de dopamine et grignotent l’attention est caricatural, voire méprisant vis-à-vis des jeunes.

Dompter des biais, intuitions et émotions qui court-circuiteraient notre raisonnement va souvent de pair avec des oppositions intuition/raisonnement ou émotion/rationalité qui correspondent peu aux savoirs tels qu’ils se font. De nombreux exemples de l’histoire des sciences, comme du quotidien, montrent comment l’intuition et l’émotion peuvent être vectrices de connaissance. « Aucun moment ne se passe au neutre dans des parcours complexes où une personne interagit avec autrui, opère dans des lieux amènes ou hostiles, s’approprie de multiples outils, passe des heures dans des activités exigeantes avec une pluralité d’interlocuteurs. (…) Le travailleur intellectuel est aussi un être de chair et de sang qui éprouve des émotions dans son travail ou encore, en renversant la perspective, que son travail, tout scientifique qu’il est, se fait aussi dans l’émotion » (Waquet, 2022). Ce serait d’ailleurs une vision quelque peu désincarnée d’assimiler les connaissances et les sciences « à un point de vue neutre et situé au-dessus des passions et des intuitions, penser que la science parle au-dessus de la mêlée, du point de vue de Sirius, (…) qu’elle est ventriloque et parle comme Dieu » (Pestre, 2010).

Il est alors intéressant d’évoquer des épisodes de « découverte » scientifique pour entrevoir la manière dont s’est réellement construit un savoir (le débat autour de la génération spontanée entre Pasteur et Pouchet, par exemple). D’autres pratiques pédagogiques intègrent l’émotion : en histoire, dans le traitement de certaines actualités, on prend appui sur les émotions dans des situations argumentatives sur des sujets « chauds », « plutôt que de les faire taire ». On travaille, « plutôt qu’à esquiver les émotions, à les utiliser pour relancer l’apprentissage du raisonnement en histoire » (Sorsana & Tartas, 2018).

La porosité aux fake news : des infox sur les infox ? 

La vision de personnes perméables aux fake news est loin d’être partagée. Pour certains auteurs il y a plutôt une vigilance épistémique qui marche bien mais qui active des mécanismes de vigilance dans un environnement informationnel où nous sommes face à des informations contradictoires, disparates, où nous ne connaissons pas toujours les intentions et motivations des auteurs (Mercier, 2022). D’autres données suggèrent un ensemble d’idées reçues tenaces : Manon Berriche et Sacha Altay, dans leur recherche sur la désinformation et la réception d’informations médiatiques, énoncent plusieurs items contre-intuitifs : le faux ne circule pas plus vite que le vrai ; les fake news représentent une partie beaucoup moins importante que ce que l’on pense par rapport à l’ensemble des contenus ; partager n’est pas adhérer ; la création de fake news est l’œuvre d’un faible pourcentage de personnes (Berriche & Altay, 2021). Ironie du sort, deux expériences récentes laissent penser que les récits alarmistes concernant la désinformation puisent dans notre tendance à voir les autres comme crédules (Acerbi & Altay, 2022).
D’autre part, la focale de la chasse aux infox peut gommer d’autres éléments en ligne sur lesquels exercer sa pensée critique : contexte idéologique, effets de rhétorique, intentions, biais racistes/sexistes dans les discours ou dans les algorithmes, choix des arguments mis en avant, etc. Nous avons déjà énoncé par ailleurs le risque de réduire à un biais ou frapper d’irrationalité celui qui n’aurait pas le « bon » avis (qui dépend notamment de notre rapport de connaissance ou de proximité avec le sujet) dans l’espoir d’une neutralité d’apparat qu’il faudrait atteindre. Enfin, on peut questionner une éducation qui serait « contre » les infox, si elle ne s’accompagne pas d’une alternative convaincante (qu’est-ce qu’une bonne information ? quel récit est plus pertinent ?). Cela peut permettre de poser d’autres questions : qui profite de la désinformation, qui diffuse et pourquoi il/elle le fait, pourquoi est-ce qu’on y adhère ? Quelles sont les valeurs véhiculées par l’information ?

Le partage par un élève d’une théorie du complot peut-il se réduire à un biais ? A-t-il des connaissances sur le sujet ? Avait-il des compétences pour appréhender la structure de l’information en ligne ? A-t-il les capacités argumentatives pour un regard critique sur les éléments du discours ? Pour quelle raison partage-t-il ? Pour choquer, faire rire, exprimer une colère, par flemme, adhérer à une communauté ?
Image : Flat_earth. Wikimedia commons

Des enjeux socio-contextuels et collectifs

L’illusion d’une boîte à outils pour que chacun.e fasse ses propres recherches, fait l’impasse sur des processus collectifs (comme la nécessité d’identifier des sources de confiance et d’expertise) : équiper l’élève d’outils individuels n’est pas un gage de non-mésinformation quand le savoir se construit collectivement. Il s’agit de comprendre que l’attrait aux infox ne se réduit pas à une histoire de cerveau à outiller, mais est lié à des enjeux de société et de vie démocratique. On peut questionner les biais de raisonnement qui seraient à la base de croyances douteuses : mais comment détricoter l’adhésion des élèves à des vérités alternatives sans considérer le vécu ou les raisons d’adhérer ? La méfiance s’explique aussi par des vécus oppressants tels qu’on en trouve dans l’histoire scientifique : essais cliniques infructueux non signalés, manque de pédagogie, scandales pharmaceutiques, rapport sexiste ou raciste en médecine (Chamayou, 2013). L’adhésion au complotisme peut s’expliquer par une colère, l’oppression d’une communauté, telle Tuskegee aux USA, où la méfiance à l’égard de la médecine s’explique par des expérimentations médicales impropres sur les Afro-Américains (Fassin, 2020). Il serait malvenu de dire à ces personnes qu’elles sont « biaisées », quand leur crainte de la médecine a des racines historiques. Des chercheurs étudiant le complotisme à l’heure du numérique estiment qu’on peut « se départir des approches paranoïdes ou psychologisantes qui tendent à rejeter, sans autre forme de procès, l’étude des théories du complot dans le champ des déviances psychopathologiques ou des sciences cognitives et qui interdisent de les envisager comme un fait social et politique en-soi » (Giry, 2017). Voir la viralité d’un faux complot comme une preuve de crédulité ne prend pas en compte les dynamiques de diffusion actuelles et de ceux pour qui la vérité importe peu, tant que cela sert leur penchant idéologique. Des éléments socio-culturels, historiques permettront donc d’appréhender la mésinformation avec davantage de finesse. La psychologie cognitive émet elle-même des réserves sur le lien entre biais cognitifs et adhésion conspirationniste : ne sont-ils que des corrélations ? Sont-ils la cause de la méfiance ou la conséquence ? Sont-ils liés à des stratégies pour peser politiquement ? (Dieguez & Delouvee, 2021). D’autre part, cette discipline ne se centre pas que sur l’individuel : les chercheurs en sociologie du numérique et en technologies de la communication, Henri Boullier, Baptiste Kotras et Ignacio Stiles, rappellent que souvent « les explications psychologiques sont opérationnalisées comme un mélange de deux grands groupes de facteurs : individuels (tels que la confiance, l’ouverture à l’expérience, l’agréabilité, le niveau d’éducation, le narcissisme et l’autoritarisme, entre autres) et environnementaux (tels que les événements sociétaux pénibles, les conflits de groupe et les questions de pouvoir, etc.) », même si ces enquêtes sous forme de listes d’items sont accusées de manquer de nuances méthodologiques, en ne montrant pas la diversité des raisons d’adhérer à ces récits, ni les aspects sociotechniques actuels (Boullier & al., 2021). Les trois chercheurs, pour éviter un jugement péjoratif, préfèrent parler de « déviances informationnelles ».

Il est possible de proposer des activités pédagogiques qui intègrent ce questionnement sur la réception et l’impact socio-culturel des infox. La brochure belge de Media-Animation, 5 approches pour une éducation critique aux médias propose une approche sociale basée sur ces questions, dans une perspective quasi sociologique : questionner les dynamiques sociales dans la prolifération d’une information, les systèmes de production de ces informations et les modèles économiques ou idéologiques qui peuvent les générer. D’autres activités basées sur l’argumentation, le débat entre pairs et les capacités à s’appuyer sur des sources de confiance peuvent aider à sortir d’une vision centrée sur le fait de former des cerveaux qui « pensent par eux-mêmes » (ce qui peut très bien mener à se mésinformer ou adhérer à des thèses complotistes). Une boîte à outils critique, une tête bien faite avec une logique implacable et un contrôle de nos biais, ne remplaceront pas une expertise du sujet. Enfin, il est possible de questionner des phénomènes de désinformation dans un cadre d’enquête. On peut engager les élèves dans un cadre informationnel sur des sujets de société, à la manière d’activités qui intègrent la pensée critique et l’enquête sociologique, tels que l’ouvrage de cycle 3 Apprendre aux élèves à décrypter la société (Lecardonnel & al., 2022) les présente.

Sortir du biais des biais ?

Si comprendre les mécanismes cognitifs nous permet d’appréhender les usages problématiques d’Internet, les techniques de captation des interfaces (dark pattern), les modalités d’apprentissage, la métacognition ou le traitement de l’information (heuristiques de recherche, travaux sur la charge cognitive, etc.), on ne peut traiter l’infox sans « comprendre comment des objets techniques, tels que des algorithmes, des plateformes logicielles, des dispositifs de communication ou des codes informatiques, permettent la formation et la circulation de ce type de contenu » (Boullier, 2021). Les travaux centrés sur l’évaluation de l’information et les évolutions sociotechniques, prennent en compte ces dimensions : Monica Macedo-Rouet rappelle que sur écran, notamment avec les spécificités de la recherche hypertextuelle et le design des résultats des moteurs de recherche, les élèves pratiquent des formes de lecture et ont des difficultés spécifiques : les identifier permet d’améliorer leurs capacités de compréhension et d’évaluation des informations en ligne (Macedo-Rouet, 2022).

Il s’agit aussi, en tant qu’enseignant, d’éviter un discours qui serait essentialisant et monocausal, qui discréditerait la pensée d’autrui à base de biais de crédulité, sans avoir accès à son vécu, ses raisons et ses espaces de sociabilité. Nous tentons d’appréhender des sujets qui évoluent, des éléments qui touchent à la psyché et au bien-être des élèves. De même que partager une information n’est pas forcément y croire, les usages divers des pratiques informationnelles ne se réduisent pas à des défauts de « factualité » ou de cognition. Une information vraie peut être non pertinente, liée à une idéologie ou une intention particulière, véhiculer des représentations, des stéréotypes qui se questionnent, mettre en avant des faits ou des données plutôt que d’autres. Il s’agit de questionner une vision de l’ÉMI comme une histoire de gens qui pensent mal, à remettre sur le droit chemin cérébral.

Je remercie Charlotte Barbier pour sa relecture de certaines parties.

 

 

Comprendre le processus de mémorisation à l’aide des neurosciences

Lorsque j’étais enfant, j’avais du mal à apprendre mes leçons. J’avais l’habitude, pour mémoriser un texte, de le relire, de l’écrire plusieurs fois et de marcher en rond dans ma chambre en le récitant, jusqu’à le connaître par cœur. Nous avons tous essayé de nombreuses techniques pour apprendre nos leçons plus rapidement et facilement mais ça n’a jamais été facile. Si j’avais compris comment fonctionne le cerveau, j’aurais pris davantage goût à l’apprentissage et évité bien des larmes de frustration. Aujourd’hui, ce sont mes élèves qui sont confrontés aux mêmes problèmes. Certains ne prennent pas la peine d’apprendre leurs leçons, certes, mais d’autres essaient sans vraiment y parvenir car ils n’ont pas les clés pour le faire. Personne ne leur a appris à apprendre.
En intégrant les neurosciences à l’enseignement nous pouvons les aider à apprendre plus efficacement. Les méthodes prônées par les neurosciences ne sont pas miraculeuses, mais elles peuvent contribuer à leur faire gagner du temps et surtout à leur faire prendre davantage plaisir à apprendre quand ils en verront les résultats concrets dans leur parcours scolaire. Sur le long terme, cela pourrait éviter de nombreuses difficultés scolaires ou même diminuer le décrochage. Une fois bien en main, ces techniques seront une aide non négligeable dans leurs études.

En tant que professeure documentaliste, n’ayant pas de programme à suivre à la lettre, il est possible de consacrer quelques séances à travailler ce sujet en début d’année : le fonctionnement du cerveau et plus précisément de la mémoire ainsi que les méthodes à mettre en place pour mieux s’organiser et être moins stressé.

L’objet de cet article est de présenter certaines des méthodes qui peuvent être mises en place dans le cadre de l’Éducation aux médias et à l’information (ÉMI), en combinant consolidation de connaissances et usage de l’outil numérique (compétence TICE). Pour cela, je m’appuie sur différentes lectures, notamment un ouvrage récent écrit par un collectif de scientifiques qui fait le point sur la question Les neurosciences cognitives dans la classe. Guide pour expérimenter et adapter ses pratiques pédagogiques (ESF Sciences humaines, 2018). Différentes propositions d’adaptation en classe et/ou au CDI sont faites tout au long de l’article, inspirées de mes propres expériences en tant qu’étudiante, puis enseignante, et croisées avec ces lectures.

Qu’est-ce que les neurosciences cognitives ?

« Les neurosciences cognitives désignent une discipline scientifique et un domaine de recherche qui ont pour objectif d’identifier et de comprendre le rôle des mécanismes cérébraux impliqués dans les différents domaines de la cognition (perception, langage, mémoire, raisonnement, apprentissage, émotions, fonctions exécutives, motricité, etc.). » (Berthier, Borst, Desnos & Guilleray, 2018, p. 18). Pour cela, elles utilisent plusieurs techniques comme les techniques d’imagerie cérébrale telles que l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), l’électroencéphalographie (EEG) et la magnétoencéphalographie (MEG), ainsi que des études comportementales et des tests psychologiques pour étudier les processus mentaux.
Les neurosciences sont utilisées dans de nombreux domaines comme l’éducation, la médecine, la psychologie, l’informatique (l’intelligence artificielle par exemple) et les sciences sociales. Elles ont par ailleurs fait d’énormes progrès dans le domaine de l’éducation durant les dernières décennies. Elles permettent de mieux comprendre les processus universels qui sous-tendent l’apprentissage, notamment dans les champs de la mémorisation, de la compréhension, de la mobilisation de l’attention, de l’implication dans les pédagogies actives et de la place pertinente du numérique dans les apprentissages (Berthier & al., 2018, p. 11). Ce domaine scientifique basé sur la recherche en neuroscience se subdivise en plusieurs sous-domaines en fonction de la thématique principale. Ainsi on appellera neuroéducation ou neuropédagogie celle qui s’intéresse à l’éducation et plus précisément à la psychologie de l’éducation, aux apprentissages et au développement des élèves. Elle permet par exemple de comprendre les mécanismes du cerveau qui permettent de lire, d’écrire, de compter, de raisonner ou encore de respecter autrui.
Les neurosciences cognitives peuvent permettre aux enseignants de développer des pratiques pédagogiques plus efficaces en se fondant sur les résultats des recherches scientifiques. Connaissant mieux le fonctionnement du cerveau humain, nous aurons davantage de clés en main pour pouvoir accompagner les élèves dans leurs apprentissages. Cela aura beaucoup d’impact non seulement sur leurs difficultés, mais aussi sur leur bien-être à l’école et donc sur le climat scolaire.
L’un des domaines de prédilection de la neuropédagogie est la mémorisation qui sous-tend l’ensemble de notre vécu. Non seulement la mémoire est la base de nos connaissances, de nos acquis, mais c’est aussi ce qui nous construit en tant qu’individu. Il est donc fondamental de savoir comment elle fonctionne, de connaître ses règles, afin de pouvoir construire des séances pédagogiques plus adaptées. Je vais me centrer sur ce domaine et présenter des techniques qu’il est possible de mettre en place en cours. Ces techniques peuvent paraître chronophages au début, mais c’est sans doute un gain de temps et de bien-être sur le long terme.

Comment fonctionne la mémoire ?

Comme indiqué ci-dessus, la mémoire est l’une des clés de l’apprentissage, elle peut être un levier sur lequel les enseignants peuvent s’appuyer pour améliorer la réussite des élèves. S’il est important de connaître son fonctionnement pour comprendre le rôle des techniques et des méthodes qu’il est possible de mettre en place, il l’est aussi d’être vigilant face aux neuromythes1 qui circulent au sujet du cerveau et de son fonctionnement.

Une mémoire, des mémoires ?

En premier lieu, il faut savoir que la mémoire se compose de cinq systèmes interconnectés, impliquant des réseaux neuronaux distincts, et que ces différents réseaux neuronaux sont impliqués dans de multiples formes de mémorisation (INSERM, 2019). Ainsi, nous ne pouvons pas dire que nous avons « une bonne ou une mauvaise mémoire », ni que « l’on perd la mémoire » car plusieurs systèmes de mémorisation s’entremêlent dans le cerveau. On peut distinguer : la mémoire de travail (au cœur du réseau), la mémoire sémantique, la mémoire épisodique, la mémoire procédurale et la mémoire perceptive qui renvoie aux différentes modalités sensorielles (INSERM, 2019).
Les systèmes de mémoire sollicités dépendent de ce que nous sommes en train de faire ou d’apprendre. Par exemple, nous n’utilisons pas la même mémoire ni la même partie du cerveau lorsque nous apprenons des tables de multiplication ou lorsque nous recevons des stimuli perceptifs. Chaque type de mémoire se distingue par la durée de rétention des informations, que ce soit quelques secondes, des années, ou encore toute la vie, ainsi que par la qualité des informations que le cerveau doit retenir.
En deuxième lieu, la mémoire n’est pas simplement une unité de stockage, elle est active. Mémoriser quelque chose enclenche plusieurs processus cognitifs qui permettent de stocker une information, de l’oublier, de la consolider, de se la rappeler.
En troisième lieu, chaque type de mémoire est logé dans une certaine partie du cerveau. Par exemple, les cortex sensoriels visuels, auditifs ou moteurs sont commandés par le cortex préfrontal (partie avant du cerveau). La mémoire procédurale, non déclarative se trouve dans le cervelet (partie arrière du crâne) et le striatum (centre du cerveau). Tandis que la mémoire déclarative est localisée dans le cortex préfrontal et dans l’hippocampe.

Figure 1 – Zones du cerveau impliquées dans la mémoire
© Inserm, F. Koulikoff

Enfin, chaque information n’est pas stockée par un seul neurone mais par un réseau de neurones. Il ne se passe pas un instant, au cours des activités quotidiennes, sans que nous ne mobilisions une de ces mémoires (Berthier & al., 2018, p. 121).

L’oubli, un processus naturel important pour la mémoire

Lorsque nous parlons de mémoire, il ne faut pas mettre de côté un élément important qui lui permet de fonctionner : l’oubli. Souvent perçu comme négatif, l’oubli est un processus naturel et nécessaire du cerveau et de la mémoire. Sans l’oubli, le cerveau serait surchargé d’informations inutiles et il serait difficile de se souvenir des choses importantes. Plusieurs facteurs peuvent être à l’origine de l’oubli, tels que des interférences avec d’autres informations, une absence de consolidation ou encore la répression de souvenirs douloureux (Mansuy, 2005).
Cependant, l’oubli peut être minimisé en utilisant des stratégies de mémorisation efficaces pour renforcer la consolidation de la mémoire. Il n’est pas un ennemi de la mémoire, mais plutôt un allié qui permet de se concentrer sur les informations essentielles et de mieux les retenir.

La mémoire de travail et l’importance de regrouper les informations de manière pertinente

La mémoire de travail est celle qui permet de retenir un bon nombre d’informations de natures différentes (verbales, imagées, auditives, buts à atteindre, etc.) pendant quelques dizaines de secondes. La distraction et les perturbations extérieures peuvent facilement interférer avec cette mémoire. Sa capacité est limitée à environ sept informations qui peuvent être maintenues et manipulées en même temps (INSERM, 2019). Il s’agit de l’empan mnésique2.

Il est toutefois possible de regrouper les informations à apprendre de manière pertinente afin d’augmenter la quantité d’informations manipulables simultanément ; et il est préférable d’apprendre aux élèves des stratégies pour regrouper de manière pertinente les informations à mobiliser plutôt que de chercher à augmenter leur empan mnésique ; celui-ci s’accroît de toute façon naturellement avec l’âge. Des études ont montré que l’entraînement intensif pour augmenter cet empan n’a pas d’effet significatif sur la rétention des cours (Berthier & al., 2018, p. 126-127).

Le rôle crucial de la répétition et de la remobilisation des connaissances

Si l’oubli est un processus naturel pour le cerveau, il varie en fonction de certains facteurs tels que le stress, le manque de sommeil, la complexité des choses à mémoriser. Pour contrecarrer l’oubli, il est indispensable que l’élève étudie la même notion à plusieurs reprises, ce qui lui permettra de la retenir durablement. Les moments de rappel sont essentiels, mais ils ne doivent être ni trop rapprochés ni trop éloignés dans le temps. L’intervalle entre les moments de réactivation est stratégique, car si les répétitions s’enchaînent trop, cela supprime l’activité cérébrale utile à l’apprentissage. C’est ce que montrent Martin Riopel et Sophie Olivia McMullin dans l’article Effets d’espacement et de répétition en contexte scolaire (2021, p. 13-19), en appui sur les résultats de recherches récentes :
« […] il a été observé qu’espacer les répétitions favorisait l’implication de la mémoire à long terme (Bradley et al., 2015). Concrètement, espacer amène à devoir récupérer en mémoire à long terme ce qui a été vu ou fait précédemment en réactivant les réseaux de neurones impliqués dans l’apprentissage en cours (Ibid.). La récupération en mémoire, cette réactivation des réseaux neuronaux liés à un apprentissage, favorise ainsi la consolidation des apprentissages (Nelson et al., 2013). » (Riopel & McMullin, 2021, p. 14.)
Martin Riopel et Sophie Olivia McMullin distinguent l’espacement régulier et l’espacement progressif. L’espacement progressif consiste à commencer par des espacements courts entre les réactivations et à allonger progressivement les temps d’espacement à mesure que l’on se rapproche de l’évaluation finale. Bien que l’effet final sur la performance ne soit pas significativement différent lorsqu’on compare l’espacement régulier et l’espacement progressif, ils remarquent que « l’effet sur la performance minimale est significatif et peut avoir un impact sur la motivation à plus long terme » (Ibid., p. 16). Aussi, suggèrent-ils de « privilégier l’espacement progressif » (cf. page suivante « le rythme expansé »).
Il revient cependant à chaque enseignant d’expérimenter et de trouver le bon équilibre pour savoir quel espacement est le plus propice pour organiser les réactivations des notions vues avec les élèves.

Comment faciliter la mémorisation ?

L’importance des tests

Il est crucial de tester continuellement ses connaissances pour faciliter la mémorisation. Cela ne se résume pas au traditionnel contrôle de connaissances qui peut être perçu négativement par les élèves. Les tests sont ici un outil au service des apprentissages, et un levier très puissant pour la rétention et la consolidation en mémoire. Ils sont l’occasion pour les élèves de recevoir des informations métacognitives sur la qualité de leur apprentissage, ce qui leur permet de cibler les informations à consolider. De plus, les évaluations formatrices3
ont un effet positif sur la concentration des élèves.
Ainsi plutôt que de simplement inviter les élèves à relire le cours, il est recommandé de tester régulièrement leurs acquis, pendant les séances, à des intervalles courts (toutes les vingt minutes par exemple) car la relecture seule ne garantit pas la compréhension et la mémorisation des informations.

L’importance des feedbacks immédiats

Les feedbacks immédiats sont essentiels pour aider les élèves à comprendre leurs erreurs et leur éviter de les refaire. Quand le cerveau de l’élève commet une erreur, il le détecte implicitement. Cette détection implicite ne se fait pas uniquement au niveau du signal électrique cérébral mais aussi par le ressenti subjectif de l’élève. Aussi est-il important de fournir un feedback immédiat, pour que l’élève puisse remettre en question son résultat. « L’enjeu est […] de capitaliser sur ce ressenti de l’erreur et le doute qu’il engendre en explicitant l’erreur par un feedback immédiat. » (Berthier & al., 2018, p. 132). En effet, le cerveau fonctionne en détectant les régularités et anticipe souvent des informations.

Les techniques de mémorisation et d’apprentissage actif

• La répétition à rythme expansé

La mémorisation par reprises à rythme expansé est utilisée pour consolider l’apprentissage de savoirs déclaratifs (notions, concepts, définitions, propriétés). Elle consiste à réactiver l’apprentissage d’une notion plusieurs fois mais avec des intervalles de plus en plus grands dans le temps. Le principe est de rappeler la notion au moment où elle risque d’être oubliée, puis au fur et à mesure qu’elle est maîtrisée, à étendre la durée entre chaque rappel. Le rythme expansé se fonde sur l’hypothèse de la courbe de l’oubli du philosophe allemand et père de la psychologie expérimentale Hermann Ebbinghaus.

Figure 2 – Image FunMooc sur les sciences cognitives
Courbe de l’oubli d’Hermann Ebbinghaus

La courbe de l’oubli porte sur le déclin de rétention de la mémoire dans le temps : si une information n’a pas vocation à être conservée, elle est peu à peu oubliée au fil du temps. Hermann Ebbinghaus n’a testé cette hypothèse que sur lui-même mais il pensait fortement que ses résultats pouvaient être universels. Comme le schéma le montre, si les nouvelles connaissances ne sont pas réactivées dans les jours ou les semaines qui suivent le moment où elles ont été apprises, elles vont être vite oubliées. Il convient cependant d’être vigilant quant à cette hypothèse, car certains paramètres n’ont pas été pris en compte durant l’expérimentation : notamment le moment de la journée où les informations sont apprises, les conditions de l’apprentissage, ou certains éléments relatifs au sujet lui-même (âge, vécu, fatigue…) ; par ailleurs, le dernier écart d’intervalle pris en compte entre deux réactivations n’est que de 31 jours ; enfin Hermann Ebbinghauss n’a pas utilisé de témoin, contrairement à la méthodologie scientifique actuelle4.
Au-delà de ces réserves, deux principes sont mis en évidence : une information qui n’est pas remobilisée est vite oubliée et espacer la pratique selon un rythme expansé peut permettre au sujet de mieux retenir et réactiver un savoir à chaque fois qu’il y est exposé.

• La sélection des essentiels et le calendrier de reprises 

Pour mettre en œuvre le rythme expansé, l’équipe pédagogique peut se fonder sur la méthode Leitner et mettre en place un calendrier de reprises, sous la forme d’un planning annuel organisant la réactivation des « essentiels » à connaître par les élèves. Le calendrier peut être facilement créé sur un tableur en déterminant à l’avance le nombre de semaines de cours, et le nombre de chapitres à étudier. À chaque cours, l’enseignant sait ainsi quelles sont les nouvelles notions à étudier mais aussi quelles notions d’anciens chapitres sont à réactiver lors du cours.
En amont, l’enseignant aura déterminé les connaissances clés (mots-clés, définitions, concepts et notions, points de méthodes) que les élèves doivent acquérir durant l’année scolaire (les élèves ne sont pas en mesure de déterminer eux-mêmes ce qui est essentiel ou non). On peut envisager que ces savoirs soient l’objet d’une fiche Les essentiels à connaître, et/ou écrits au tableau à un endroit spécifique, en début de séquence.

Par exemple, pour un cours introductif aux médias, les essentiels à connaître seront les définitions de « média », d’« information », de « rumeur », d’« opinion », etc., et les divers types de médias (journaux, radio, télévision, réseaux sociaux…).

Ces éléments dit « essentiels » sont à prendre en compte dès la création du calendrier de reprises, et à signaler aux élèves au fur et à mesure durant les cours pour qu’ils se concentrent sur ces éléments. Il est préférable pour eux de maîtriser les notions fondamentales plutôt que de chercher à connaître l’ensemble des cours dans chaque discipline (ce qui est impossible).
Dans l’exemple de calendrier ci-dessous (figure 3), la première colonne liste les différents chapitres qui vont être étudiés durant l’année, et la première ligne mentionne le nombre de semaines disponibles pour les étudier. Pour chaque chapitre, les semaines où les savoirs vont être enseignés apparaissent en noir, et celles où les connaissances seront réactivées sont en vert. Il n’y a pas de loi qui permette de déterminer les écarts avec précision, de réactivation en réactivation : sur la figure 3, l’intervalle est de l’ordre S2 + 2, puis S3 + 3, etc. ; plus souvent, l’intervalle est doublé : une semaine, puis deux, quatre, huit, etc. Pour plus de précisions, on peut se référer à la fiche pédagogique Calendrier de reprises, sur sciences-cognitives.fr5.

Figure 3 – Calendrier de reprises – Sciences cognitives, fiches pédagogiques

La méthode Leitner, créée dans les années 1970 par le journaliste scientifique allemand Sebastian Leitner, propose un système de classement et de mémorisation des connaissances par répétition espacée, en appui sur un ensemble de cartes et de boîtes (figure 4). Elle est performante pour apprendre du vocabulaire, des définitions, des dates et bien d’autres informations. Le classement des cartes de révision s’effectue en fonction de l’apprentissage de l’élève.

Figure 4 – Image provenant de Wikipédia6

Par exemple, si la définition à apprendre est celle de « média », la personne qui crée les cartes (l’élève ou l’enseignant) écrit au recto de la carte : « Un média est… », et au verso tout ou partie de la réponse. Il peut y avoir une seule carte recto-verso, ou plusieurs cartes lorsque la définition est complexe :
Carte n° 1 : « Un média est… », réponse au dos de la carte : « un moyen de communication » ;
Carte n° 2 : « Que diffuse un média ? », réponse : « des informations » ;
Carte n° 3 « À qui s’adresse un média ? », réponse : « à un large public », et ainsi de suite.
Lorsque l’élève donne une réponse juste à la question du bac n° 1, la carte peut être placée dans le bac n° 2 qui sera étudié un peu plus tard. S’il donne une mauvaise réponse, la carte reste – ou revient – dans le bac n° 1 pour être révisée le lendemain, et ainsi de suite.
Selon cette méthode, basée sur le principe de « répétition expansée », les cartes sont révisées de moins en moins souvent au fur et à mesure que les savoirs sont mémorisés par l’élève. Le fait que les cartes soient mises dans des paquets et des boîtes différentes permet d’organiser facilement les révisions avant oubli, l’enseignant et les élèves peuvent savoir visuellement quel est le paquet à réviser.

• Le cahier de réactivation

Un cahier de réactivation (papier ou numérique) peut également être utilisé comme outil support à la réactivation collective de notions essentielles dans les disciplines. Il permet de créer un rituel propice aux apprentissages et de renforcer l’interdisciplinarité (Berthier & al., 2018, p. 191-193). Dans l’esprit du dispositif, chaque classe dispose d’un cahier de réactivation qui passe de cours en cours, porté par un élève responsable (les délégués par exemple). Les réactivations sont faites sur un temps court (quelques minutes), en début d’heure. Chaque professeur peut ainsi, au démarrage du cours, interroger les élèves sur quelques notions (3 maximum), même si celles-ci ne relèvent pas de sa discipline. Les élèves répondent collectivement à la question posée à l’aide d’une ardoise ou d’un cahier de brouillon, ou bien l’enseignant désigne au hasard un élève pour y répondre. À la fin de chaque cours, l’enseignant ajoute dans le cahier quelques questions relatives à sa discipline et leurs réponses en inscrivant la date à laquelle il les a ajoutées et les dates auxquelles les notions doivent être réactivées.

La méthode Feynman, la compréhension au service de la mémorisation

La compréhension est un élément clé de la mémorisation. Si un élève comprend une notion, il la retiendra avec plus de facilité. L’une des meilleures façons de savoir si une notion est maîtrisée, c’est de demander à l’élève de l’expliquer de manière simple, avec ses propres mots. Il est possible d’utiliser la technique d’enseignement et d’apprentissage de Richard Feynman7, physicien américain et prix Nobel de physique en 1965. Cette technique permet de mettre en évidence ce que l’élève sait et ce qui n’est pas encore acquis car pas encore compris. La première étape consiste pour l’élève à écrire tout ce qu’il sait sur la question ou la notion qu’il est en train d’apprendre sur une feuille blanche. Les informations données doivent être suffisamment claires pour être comprises par un élève plus jeune. En faisant cela, il peut repérer assez vite ses lacunes et les faiblesses de son explication. L’étape suivante consiste à faire des recherches complémentaires, relire son cours, et/ou demander des explications ou des exemples au professeur. L’élève retourne ensuite à sa feuille blanche pour ajouter les informations qui manquent. L’opération doit être renouvelée jusqu’à ce que le résultat soit satisfaisant. Il reste ensuite à l’élève, pour éprouver ses connaissances, à expliquer la notion à quelqu’un qui ne la connaît pas. Si la personne comprend, c’est que lui-même l’a suffisamment comprise pour pouvoir l’expliquer correctement. Cette technique peut faire l’objet d’exercices en classe, entre élèves. Cela participe d’un apprentissage actif, exigeant en temps, mais efficace.

À titre d’exemple, nous pouvons imaginer une séance de réactivation en ÉMI à la fin d’une séquence sur l’introduction aux médias. En amont, le professeur documentaliste a sélectionné plusieurs notions importantes à connaître comme : « média », « information », « source », « droit d’auteur », etc. Il note ces différentes notions au tableau, avec pour consigne : « Sur une feuille blanche, essayez de définir ces notions vues en cours. Donnez une définition et un exemple pour chacune d’elle ». Les élèves ont une dizaine de minutes pour se remémorer leurs connaissances. Ensuite, ils se répartissent en groupe de trois ou quatre et travaillent sur la notion qu’ils maîtrisent le moins. Une fois en groupe, ils essaient de partager leurs connaissances sur la notion et notent les éléments sur une nouvelle feuille blanche. Le professeur documentaliste passe dans chaque groupe pour les aider et voir leur avancée. Après l’étape de mise en commun, les élèves ont le droit de chercher dans leur cours pour trouver les éléments qui manquent et les ajouter sur la feuille. Une fois le travail terminé, chaque groupe passe au tableau pour expliquer la notion au reste de la classe. S’il manque des éléments, toute la classe peut être sollicitée pour faire des ajouts. Le professeur peut ainsi vérifier que les notions sont bien comprises par chaque élève. Quand tous les groupes sont passés, il est possible de demander à la classe de relier les notions et concepts entre eux. Par exemple qu’est-ce qui relie les médias à l’information, etc. On peut imaginer la création d’une mind map (carte mentale) au tableau.

Sur quels outils s’appuyer pour mettre en place ces techniques de mémorisation ?

Anki, un logiciel de création de cartes

Le logiciel Anki (https://apps.ankiweb.net/) s’appuie sur la méthode Leitner ainsi que sur un algorithme SM2 créé à la fin des années 1980. Il permet de créer des paquets de cartes ou decks. Chaque paquet correspond à un stock de cartes appelées aussi flashcards. Il est possible de créer des cartes simples question/réponse, mais aussi des textes à trou, d’insérer des images, des sons ou des formules mathématiques ; les enseignants peuvent envoyer des paquets de cartes aux élèves via Pronote. Anki peut être utilisé sur les tablettes ou les ordinateurs de l’établissement mais aussi sur les téléphones portables (les élèves peuvent réviser sur le trajet école-maison).
Les cartes apparaissent à l’écran sous deux formes : soit le recto apparaît seul, soit il apparaît avec la réponse (verso). L’élève peut ainsi s’interroger puis vérifier la réponse. Le logiciel se fonde sur la courbe de l’oubli d’Hermann Ebbinghaus. L’algorithme permet de présenter les cartes à réviser au moment où l’élève est sur le point d’oublier ; et permet donc à l’élève de réviser plus souvent les cartes les moins connues et moins souvent les cartes déjà sues.

Par exemple, à la question « Quelle est la définition d’un média ? », après un temps de réflexion, l’élève peut afficher la réponse « un moyen de communication ». Pour passer à la question suivante, il doit choisir l’un des boutons proposés en bas de l’écran : « encore », « correct », « facile » en fonction de la difficulté qu’il a eue à trouver la réponse.
En fonction du bouton choisi, la question réapparaîtra ultérieurement dans un délai calculé par l’algorithme et selon les lois statistiques de l’oubli. L’intervalle de rappel peut varier entre quelques minutes, plusieurs jours, des mois et même des années. Ces intervalles sont recalculés à chaque interrogation et dépendent de l’élève.

Parmi les logiciels de carte mémoire existants, Anki n’a certes pas un design fait pour séduire les élèves, mais c’est un logiciel performant qui permet l’individualisation des apprentissages. Il existe plusieurs versions : Ankiweb (accessible directement sur Internet), la version logiciel (qui peut fonctionner sans Internet) et l’application Anki qui peut être téléchargée sur les smartphones ou les tablettes des élèves (version la plus agréable en terme d’expérience utilisateur). C’est un outil entièrement gratuit.

Duolingo et Memrise

D’autres sites ou applications comme Duolingo (https://fr.duolingo.com) ou Memrise (https://www.memrise.com/fr/) peuvent être utilisés, notamment pour la compréhension et l’apprentissage des langues. Memrise, moins connu du grand public, est un outil efficace pour la mémorisation à long terme.
Une fois inscrit sur le site ou sur l’application, l’enseignant peut soit créer son propre cours, soit demander aux élèves de s’inscrire à un cours déjà présent sur le site (certains cours sont très bien faits comme ceux pour l’apprentissage des verbes irréguliers par exemple). En créant un cours, l’enseignant peut intégrer des images et des sons, voire de courts extraits vidéos. Là encore, l’algorithme qui sous-tend tout l’apprentissage permet de réviser chaque jour les éléments déjà vus mais sur le point d’être oubliés.
Les élèves peuvent ainsi apprendre à leur rythme et se lancer des petits défis de révision rapide. Le site est plutôt ludique pour l’utilisateur mais sa version gratuite contient de plus en plus de publicités. L’application peut être un atout pour les élèves qui souhaitent réviser régulièrement et à tout moment sur leur téléphone portable. Si ce site a été pensé en premier lieu pour les langues, il est tout à fait possible de créer des cours de révision en ÉMI et d’y inscrire les élèves pour des réactivations de notions en classe.

Les logiciels de tests en ligne

Enfin, pour des tests rapides permettant de consolider les apprentissages, plusieurs outils sont disponibles : notamment Kahoot (https://kahoot.com/fr), Quizlet (https://quizlet.com/fr-fr) ou encore Wooclap (https://www.wooclap.com/fr) qui permettent de créer des quizz rapidement et surtout d’avoir un retour immédiat sur les réponses des élèves. L’avantage des supports numériques est qu’ils ne nécessitent pas de correction et que les résultats peuvent être récupérés.
Wooclap par exemple est un outil intéressant pour dynamiser les cours d’éducation aux médias et à l’information. Chaque élève, doté d’une tablette, peut suivre la présentation qui est au tableau. À un moment donné du cours, choisi en amont dans la présentation, des questions vont s’afficher sur leur tablette. Ils disposent d’un certain temps (30 secondes ou 1 minute) pour y répondre. Cela permet de savoir si les élèves ont bien compris les notions et, dans le cas de réponses non satisfaisantes, de leur réexpliquer directement. Les élèves apprécient ce mode de fonctionnement car les questions ne sont pas des questions pièges, mais juste une vérification de la compréhension. Ils apprécient de trouver rapidement les bonnes réponses, le cours est dynamique, ce qui semble les encourager.

Conclusion

En utilisant dans leur pratique pédagogique des techniques basées sur la remobilisation des connaissances et la compréhension active, en mobilisant certaines méthodes issues des neurosciences, les professeurs documentalistes, comme tout enseignant, peuvent contribuer à consolider les apprentissages des élèves. Enseigner les techniques de mémorisation peut être un levier dans cette perspective.
Mais c’est aussi un défi : cela exige un investissement initial important en matière de préparation et de formation, et des ajustements en continu lors de l’introduction de techniques et d’outils nouveaux (cours à adapter, stratégies à élaborer, temps supplémentaire à prévoir). Des obstacles, tels que les contraintes de ressources ou les résistances institutionnelles peuvent aussi entraver la mise en œuvre de pratiques qui bousculent l’existant des formations.
Au-delà de ces difficultés, cependant, et des efforts supplémentaires à déployer, ces changements sont porteurs d’une nouvelle dynamique pour les pratiques : les bénéfices potentiels concernent autant l’enrichissement de l’expérience éducative que l’amélioration des apprentissages des élèves à long terme. Et ils plaident pour un rapprochement fécond entre l’enseignement et la recherche : les enseignants peuvent trouver là matière à information sur les avancées scientifiques, et à enrichir leurs pratiques, et en retour faire bénéficier les chercheurs de remontées du terrain, en prise avec les conditions réelles d’enseignement, attentives à ce qui est possible, compte tenu des besoins des élèves en situation. C’est cette idée que met en avant le projet des cogni’classes proposé par le collectif Sciences cognitives (sciences-cognitives.fr) : les classes y sont présentées comme une adaptation de la pédagogie pour le mieux apprendre et le mieux-être de tous, avec des déclinaisons différentes suivant les contextes.

 

 

Utiliser les neurosciences pour favoriser la mémorisation des élèves dans un contexte de cours bimensuel

Comme beaucoup d’enseignant·es documentalistes, j’ai les classes de 6e à l’emploi du temps, en demi-groupe, toutes les deux semaines. Je ne m’intéresserai pas ici au contenu de notre progression, mais plutôt à nos conditions d’enseignement et plus particulièrement à leurs modalités. Alors que nos collègues « de disciplines » voient les élèves régulièrement, et au pire des cas sur une périodicité hebdomadaire, nous sommes quant à nous confronté·es à une périodicité très faible, bimensuelle, voire encore plus faible quand des vacances scolaires ou une formation s’intercalent. Appliquant les conseils reçus lors de ma formation initiale dans l’enseignement, je ménageais un temps en début d’heure pour rappeler le contenu de l’heure précédente, mais je finissais souvent par donner toutes les réponses face à des élèves amorphes, ce qui était autant insatisfaisant qu’inutile. Comment faire dans ces conditions pour que les élèves réussissent à mémoriser le contenu des cours, et le réinvestissent rapidement au début du cours suivant ?

Où la courbe d’Ebbinghaus permet de comprendre les mécanismes de l’oubli

En 2017, mon équipe pédagogique s’est intéressée aux neurosciences et nous avons pu bénéficier de formations en établissement et d’un accompagnement de la CARDIE. En formation, on nous a présenté un schéma qui m’a soudainement fait comprendre beaucoup de choses : la « courbe de l’oubli » ! Cette courbe, basée sur les travaux d’Hermann Ebbinghaus de 1885, montre la capacité de rétention d’informations en fonction du temps qui passe.

La courbe d’Ebbinghaus. La consolidation mémorielle (s. d.). Sciences cognitives. Consulté le 20 avril 2023
https://sciences-cognitives.fr/wp-content/uploads/2020/10/AFSC-Fiches-Theoriques-La-consolidation-memorielle.pdf

On y voit deux axes : celui du temps et celui de la capacité à retrouver une information apprise. En effet, toute information acquise est amenée à s’oublier progressivement, c’est le fonctionnement normal de l’oubli. Au bout de 24 h, on considère qu’on n’aura retenu que 25 % des apprentissages, et ce taux diminue encore au fil des semaines. C’est exactement ce qui se passe avec notre groupe d’élèves, qui revient au bout de deux semaines avec un très faible souvenir de la leçon précédente. Cependant, le levier d’action réside dans la seconde courbe, en haut de la figure : si l’on revoit l’information après le premier apprentissage, le cerveau va la considérer comme utile et la retenir. Plus on revoit une information, et plus elle sera considérée comme utile et mémorisée1. C’est sur cette courbe que l’on va s’appuyer pour parler de métacognition aux élèves et leur donner des outils pour mémoriser les contenus travaillés en classe.

Où l’on rend les élèves acteurs de leurs apprentissages

Les élèves sont en général assez friands des éléments qu’on peut leur donner sur le fonctionnement de leur cerveau. En début d’année, on va ainsi pouvoir leur parler de la difficulté à mémoriser que l’on rencontrera dans le contexte des cours, puisqu’on ne se verra que toutes les deux semaines. Il faut ensuite déconstruire l’idée commune qu’on peut mémoriser après un seul apprentissage. Une image utilisée fréquemment dans les formations en neurosciences est celle des pas dans la neige : la première fois que l’on marche dans son jardin pour aller au fond de celui-ci, dans la neige, il n’y a pas de chemin, il est laborieux d’y aller. C’est le cas de notre premier apprentissage. Plus on réemprunte ce chemin, plus les traces de pas vont se superposer, plus le chemin sera large et aisé. C’est ce qui se passe dans le cerveau, quand on renforce des connexions neuronales. L’accès à l’information sera plus rapide et plus aisé. Donner ces clés aux élèves, leur parler de métacognition, c’est les rendre acteurs de leurs apprentissages et les aider à mettre en place, de manière autonome, des stratégies d’apprentissage.

Où l’on revoit nos objectifs notionnels

Pour mémoriser à long terme une information, il faut donc y revenir, la reprendre, la réactiver régulièrement. On parlera alors d’apprentissage distribué dans le temps, par opposition à un apprentissage massé, où une notion n’est vue qu’une fois. Pour entrer dans un apprentissage distribué, il faut commencer par se questionner, en tant qu’enseignant·e : parmi le contenu de mon heure de cours, que puis-je considérer comme essentiel ? Quels éléments est-il important que les élèves aient absolument mémorisés ? Il faut réussir à identifier ces essentiels2, ceux qui seront nécessaires pour aborder la suite de la progression pédagogique et qui devront être mémorisés sur un temps long. Il faut alors se défaire de l’envie, illusoire, que les élèves retiennent tout. L’acquisition solide de quelques connaissances sera préférable, à long terme, à l’oubli de beaucoup de notions. À partir de ces essentiels, on pourra mettre en place des techniques pour reprendre les notions, au sein du cours, puis dans l’intervalle entre deux séances.

Où l’on propose des outils de mémorisation aux élèves

Pendant la séance, on va tenter au maximum de permettre aux élèves de reprendre les notions abordées. Diverses techniques sont envisageables, des plus évidentes (interroger plusieurs élèves successivement ou après quelques minutes, faire reformuler par un élève un énoncé…) aux plus complexes. Ainsi, plutôt que de faire recopier un mot aux élèves à partir de la trace écrite au tableau, je transforme ce travail de copie en reprise de notion : j’écris alors le mot au tableau, puis j’indique aux élèves qu’ils auront à l’écrire dans quelques minutes sur leur feuille ; je leur demande de le mémoriser, de se le répéter, de fermer les yeux et de se le répéter encore ; j’efface alors le tableau, je prends le temps de distribuer les feuilles, et l’élève recopie le mot qui n’est plus au tableau au bon endroit. Avec cette activité, l’élève commence à mémoriser l’information, et repère qu’elle est signalée comme essentielle. Bien sûr, ces activités sont bien plus chronophages qu’une simple copie au tableau, aussi faut-il en user avec mesure.

Après ces reprises en classe, il faut songer à permettre aux élèves de mémoriser les essentiels avant la séance suivante. Au début de ma pratique pédagogique, j’annonçais fièrement à mes classes que je ne leur donnerais jamais de devoirs à faire à la maison. Maintenant, je leur annonce tout aussi fièrement qu’il y aura toujours des devoirs à faire à la maison, mais des devoirs très brefs, un QCM de trois questions au maximum, et que j’attends d’eux qu’il soit systématiquement fait.

J’avais d’abord conçu ces QCM, proposés grâce à l’outil Pronote, comme des outils facultatifs pour retenir les notions. Cependant, lors de la séance suivante, je constatais que le résultat restait le même : des élèves qui me regardaient passivement sans savoir répondre à la réactivation de début d’heure. Les années suivantes, j’ai rendu ces QCM obligatoires : je contrôle que chaque élève a répondu aux questions, et j’évalue en fin de période leur assiduité dans le socle commun de connaissances (item D2.1 du cycle 3 : Se constituer des outils de travail personnel et mettre en place des stratégies pour comprendre et apprendre). En complément de ces QCM, qui ne peuvent se faire qu’une fois, je propose des activités construites avec le site https://learningapps.org/ qui reprennent les mêmes questions, et que l’élève pourra refaire ou faire avant de se tester sur le QCM.

Une fois qu’il est convenu qu’il y aura un QCM, on peut, au moment où l’on aborde la notion essentielle en classe, la signaler comme étant l’une des réponses du QCM. Les élèves se montrent souvent assez surpris qu’on leur donne les réponses : de toute évidence, l’évaluation ou l’exercice reste dans l’opinion commune un piège mis en place par l’enseignant·e, et non un outil d’évaluation, de progrès et d’apprentissage. Parler de métacognition aux élèves, leur donner les clés pour apprendre, c’est aussi se positionner comme accompagnateur de l’apprentissage et non plus en censeur : c’est autant de gagné pour dédramatiser l’erreur et éviter le stress.

Où l’on reprend sereinement les notions essentielles

En début de séance, on va ensuite pouvoir ritualiser un temps de réactivation. Cette introduction à la séance va prendre la forme de quelques questions. Celles-ci doivent reprendre celles du QCM préparé par les élèves. Une fois l’année bien avancée, je reprends également des notions abordées antérieurement, toujours selon le mécanisme mis en avant par la courbe d’Ebbinghaus. Cette ritualisation doit mettre tous les élèves en situation d’engagement actif, et on ne peut pas se contenter d’interroger oralement quelques élèves. Pour cela, il y a plusieurs possibilités, de la plus
numérique (avec l’application Plickers, qui permet de tester rapidement les élèves3), à la plus classique qui est celle d’une ardoise, et que j’utilise personnellement. Pour favoriser la coopération, je laisse les élèves travailler en îlots, le fait de reformuler à un·e camarade étant encore une excellente manière de reprendre une notion. Je permets aux élèves de chercher les solutions dans leurs fiches, même s’il serait souhaitable de ne pas y recourir. Encore une fois, chercher la solution est une manière de reprendre une notion. Le plus souvent, il n’est pas nécessaire de corriger ces questions car les élèves ont tous restitué les réponses. On peut alors commencer la séance.

Rituel de début de séance : les questions de réactivation sont affichées au tableau, avec un temps limité. Les élèves cherchent les réponses et complètent leur ardoise.

Je propose encore un temps de réactivation juste avant une évaluation : les élèves sont invité·es à s’auto-positionner individuellement sur les compétences qui seront mobilisées sur un petit tableau (je sais / je ne sais pas / je ne suis pas sûr·e). On forme ensuite des groupes d’entraide, avec à charge pour les élèves confiant·es de débloquer les autres en quelques minutes, en expliquant, utilisant les leçons, se déplaçant, prenant des exemples… L’intérêt de ce temps a pour objectif de réactiver les notions, évidemment, mais surtout de mettre l’élève en confiance et de faire diminuer les hormones de stress. En effet, libérées en trop grande quantité, ces hormones bloquent l’accès aux connaissances stockées dans le cortex.

Avant l’évaluation : un élève complète son auto-positionnement

Depuis que j’ai mis en place ces rituels de classe, j’ai certes perdu du temps, car comme je l’ai dit, ces moments sont chronophages. Mais j’en ai également gagné beaucoup, car je travaille désormais avec des élèves plus engagé·es dans la construction de leurs apprentissages, et qui mémorisent sur un plus long terme les notions abordées. Ces changements se constatent surtout sur la rapidité de mise au travail en début de séance.

Où l’on peut encore aller plus loin

Sur le plan de ma seule progression, les résultats pourraient être probablement encore meilleurs en planifiant davantage les ré-apprentissages des élèves. En effet, je ne peux pas savoir à quelle date les élèves ont répondu au QCM proposé sur Pronote. Le risque est qu’il ait été fait la veille, avec un effet de bachotage (qu’on appelle apprentissage massé) au détriment de l’apprentissage distribué que j’essaie de mettre en place avec les activités Learningapps et le QCM.

Dans mon établissement, j’ai la chance d’avoir une petite équipe de collègues qui s’est intéressée à cette question de la mémorisation par les neurosciences. Les professeur·es principaux·ales sont un petit nombre à avoir mis en place des « cahiers de réactivation ». Ces cahiers permettent de noter à chaque heure une question (et sa réponse), qui correspondent aux essentiels. On y fait également figurer la date où la notion a été vue. Plusieurs colonnes, à j+1, j+7, j+30, j+60 permettent de réactiver ces essentiels de manière expansée4. Ce cahier forme, au cours de l’année, un répertoire des essentiels de la classe, une sorte de mémoire commune des apprentissages de l’année, que partagent élèves et équipe enseignante.

Pour conclure, on voit que le fonctionnement de la mémorisation mis en évidence par les neurosciences, ainsi que les différents travaux de recherche sur l’emploi des sciences cognitives au service de la pédagogie nous offrent plusieurs leviers pour aider les élèves à mieux apprendre et à devenir acteurs de leurs apprentissages. Ces outils ou ces techniques sont pour certains intégrables à notre pratique quotidienne sans demander de trop grands aménagements. C’est encore l’occasion d’envisager des innovations en équipe, afin de tisser des liens entre les enseignements et de mettre en valeur les savoirs. Plus simplement, c’est une manière efficiente de faire évoluer sa pédagogie au service de la réussite des élèves.

Cahier de réactivation d’une classe de 6e

 

 

Cultiver le bien-être des jeunes par le développement des compétences psychosociales

Pour Catherine Gueguen, pédiatre : « La mise en œuvre de ces compétences psychosociales est une vraie révolution éducative. Grâce à l’acquisition de ces compétences, l’enfant et l’adolescent progressent sur tous les plans : personnel, social et intellectuel. Ils s’épanouissent, savent avoir des relations satisfaisantes et améliorent leur réussite scolaire et ceci, même s’ils viennent de milieux très défavorisés, ce qui est un élément essentiel1 ». L’objectif est de donner des outils au jeune pour grandir heureux, épanoui et résilient. Car, s’il n’a pas toujours la main pour choisir les situations, il peut en revanche être outillé pour ne pas les subir et décider comment y répondre. Il est alors essentiel que l’approche ne soit pas que théorique, mais que l’élève expérimente les concepts dans une approche « tête, cœur, corps ».

Dès lors on peut s’interroger sur le rôle spécifique que peut avoir le professeur documentaliste, dans le développement des CPS. Nous reviendrons sur la définition de ces compétences puis sur le cadre institutionnel dans lequel le professeur documentaliste peut intervenir, enfin nous proposerons un éventail d’actions possibles et de ressources disponibles.

Compétences Psychosociales (CPS) de quoi parle-t-on ?

De nombreux termes désignent les Compétences Psychosociales (CPS) : life skills, soft skills, compétences sociales et émotionnelles ou socio-émotionnelles… Elles ont pour caractéristiques communes de désigner des compétences qui peuvent être enseignées et renforcées toute la vie. Elles concernent à la fois le rapport à soi et aux autres.
C’est dans les années 1990, que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit la notion de CPS dans un document consacré au développement de ces compétences en milieu scolaire : « La capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental, en adaptant un comportement approprié et positif, à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement2 ».

Depuis, d’autres définitions ont été proposées. J’ai choisi de présenter la plus récente, issue d’un rapport de Santé publique France publié en 2022 : « Les compétences psychosociales : état des connaissances scientifiques et théoriques3 ». Il propose un cadre de référence théorique s’appuyant sur l’état des connaissances actuelles, réalisé avec l’appui d’un comité de spécialistes scientifiques. Il sera complété par la suite, par des guides et des supports pratiques. Ce document définit les CPS comme « un ensemble cohérent et interrelié de capacités psychologiques (cognitives, émotionnelles et sociales), impliquant des connaissances, des processus intrapsychiques et des comportements spécifiques, qui permettent d’augmenter l’autonomisation et le pouvoir d’agir, de maintenir un état de bien-être psychique, de favoriser un fonctionnement individuel optimal et de développer des interactions constructives ».

Ce rapport identifie dix compétences et propose de les regrouper en trois catégories : compétences cognitives, émotionnelles et sociales, synthétisées dans ce schéma. Cette classification est particulièrement utile, car elle permet d’organiser les thématiques d’intervention autour des CPS.

Quels points d’appui dans les textes officiels ?

Voici un récolement de ceux-ci, non exhaustif, j’ai volontairement choisi les extraits les plus récents et signifiants :

• À la rentrée 2016, le nouveau Socle commun de connaissances et de compétences fait apparaître les CPS, en les rattachant au domaine 3 « La formation de la personne et du citoyen » : « l’élève exprime ses sentiments et ses émotions en utilisant un vocabulaire précis /…/ confiance en sa capacité de réussir et à progresser /…/ résoudre les conflits sans agressivité », « l’élève est capable de faire preuve d’empathie et de bienveillance ». Ce domaine 3 est également en lien avec deux parcours éducatifs : le parcours citoyen de l’élève et le parcours éducatif de santé.

• Le guide d’accompagnement pour la mise en œuvre du Parcours éducatif de santé (2016) indique que « le développement des compétences psychosociales des élèves /…/ est un levier pour la prévention et l’accompagnement du développement d’individus responsables et libres. C’est pourquoi le renforcement de ces compétences peut rentrer dans le cadre du parcours éducatif de santé4 ». Ce guide propose d’ailleurs en annexe un tableau de synthèse très intéressant, mettant en parallèle les CPS et les compétences du socle, renforçant ainsi l’aspect transdisciplinaire des interventions autour des CPS.

• Ces sources trouvent aussi écho avec le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat de l’éducation5, qui rappelle le rôle de l’ensemble de la communauté éducative « au service de la réussite de tous les élèves ». Les items 3 et 6 sont de précieux points d’appui : Item 3 – Connaître les élèves et les processus d’apprentissage : « Connaître les concepts fondamentaux de la psychologie de l’enfant, de l’adolescent et du jeune adulte. Connaître les processus et les mécanismes d’apprentissage, en prenant en compte les apports de la recherche. Tenir compte des dimensions cognitive, affective et relationnelle de l’enseignement et de l’action éducative. ». Dans l’item 6 – Agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques : « Apporter sa contribution à la mise en œuvre des éducations transversales, notamment l’éducation à la santé, l’éducation à la citoyenneté […] Contribuer à assurer le bien-être […] des élèves. »

• Naturellement, notre circulaire de mission nous invite à nous investir dans la mise en œuvre des parcours et à contribuer à l’éducation citoyenne de l’élève6.

• Enfin, le 19 août 2022, le gouvernement a diffusé une instruction interministérielle relative à « La stratégie nationale multisectorielle de développement des compétences psychosociales chez les enfants et les jeunes – 2022-2037 ».

Par ailleurs, le 30 mars 2023, est paru au Bulletin officiel un texte pour déployer des expérimentations autour des compétences socio-comportementales dans l’enseignement et la formation professionnels7.

Sur le plan local, les projets académiques peuvent aussi être de précieux points d’appui. Ainsi, le projet du Rectorat de Versailles, pour la période 2021-2024, met l’accent sur trois piliers : apprendre, s’épanouir, se transformer. L’objectif 2 invite à « un travail spécifique sur les compétences sociales et comportementales qui jouent un rôle central dans la capacité à apprendre et, plus encore, dans la réussite professionnelle. L’académie met donc résolument l’accent sur le développement de compétences comme l’estime de soi, la coopération, la persévérance, l’autonomie dans et hors la classe. Elle encourage les démarches pédagogiques qui les valorisent8 ».

Contribuer à l’enseignement des CPS et favoriser leur développement

Le rapport de Santé publique France, cité plus haut, invite à des enseignements spécifiques, formels ou informels des CPS, afin « d’accroître le bien-être psychologique, d’améliorer le fonctionnement individuel et relationnel, de construire des relations saines et positives, d’adopter des comportements favorables à la santé et de réduire les comportements à risque. […] Elles sont aussi associées à l’amélioration du climat scolaire, la réussite scolaire ».
Proposer un programme explicite autour des CPS peut surprendre et pourtant cela existe depuis de nombreuses années aux États-Unis, au Québec, au Royaume-Uni, en Belgique … C’est d’ailleurs en découvrant un reportage sur l’un de ces programmes, mené dans un collège allemand, que l’idée m’est venue d’explorer ce sujet et de me former9.

Les connaissances scientifiques montrent que pour qu’un cycle d’intervention autour des CPS puisse avoir des effets à court et long terme, il doit s’inscrire dans la durée et comporter plusieurs séances sur plusieurs années (avec un minimum de 20 h/an)10. La progression doit être structurée, à la fois au sein des différentes séances de la séquence, mais aussi au sein du cycle. Par sa spécificité d’intervention, le professeur documentaliste peut être force de proposition pour élaborer une progression pédagogique sur plusieurs années.

Avant de commencer ces séquences, il faut co-construire un ensemble de règles afin de créer une dynamique de groupe positive. Le respect de l’autre est le principe de base, chacun doit également se sentir libre de se tromper, de se questionner, d’exprimer sa pensée, ses émotions… L’écoute active est également indispensable, tout comme le respect du rythme de chacun. Il est essentiel, pour faire preuve d’empathie, d’être dans l’écoute, l’accueil et le non-jugement, tant de la part de l’adulte que des jeunes entre eux.

Il s’agit ensuite de créer une routine, une structure qui peut, par exemple, être la suivante :
1 – Météo des émotions
2 – Réactivation des séances précédentes
3 – Brainstorming sur la CPS travaillée
4 – Expérimentation par une activité ludique
ou créative
5 – Rétroaction, partage

Les séances de groupe durent en général 55 min. Afin de rendre visible qu’il s’agit d’un temps particulier, le cadre peut évoluer : soit en sortant de la salle de classe pour un autre lieu, comme le CDI, soit en proposant de s’asseoir sur des tapis de sol, ou encore sur des ballons …

Zoom sur une expérimentation : Programme Optimiste Personnalisé (POP)

Dans l’ensemble scolaire où j’exerce, je fais partie des enseignants qui mènent depuis quelques années des expérimentations de séances explicites autour des compétences psychosociales. Nous sommes plusieurs à nous être formés en psychopédagogie, d’autres en yoga dans l’éducation, en pensée visuelle, en gestion mentale ou encore en communication bienveillante. À la rentrée 2022, sous l’impulsion du chef d’établissement, une équipe d’enseignants volontaires s’est créée, coordonnée par une professeure de lettres. Ensemble, nous avons conçu un Programme Optimiste Personnalisé (POP). Ce projet est soutenu par la Cellule Académique Recherche Développement Innovation (CARDIE) et nous venons de le référencer sur le portail de l’innovation et de l’expérimentation pédagogiques : Innovathèque11.

Depuis septembre ce programme est proposé chaque semaine dans deux classes pilotes de 6e et une de 2de, les créneaux sont inscrits à l’emploi du temps. Les séances ayant lieu en demi-groupe, les 6e ont une séance POP tous les 15 jours et les 2de une séance par mois. L’objectif est de participer au bien-être des élèves en développant leurs compétences psychosociales. La programmation des séances s’organise autour de trois axes : connaissance de soi, apprendre à apprendre et gestion des émotions. Ils collent donc aux trois thématiques de Santé publique France citées plus haut. C’est dans les ateliers destinés aux collégiens que j’interviens. Voici le programme des ateliers qui ont été menés en 6e cette année :
• Comment je me sens ?
• Je bouge donc j’apprends !
• Qu’est-ce qui se passe dans ma tête ?
• Ma peur et moi
• Mes rêves
• La roue des émotions
• Communication bienveillante
• Plein la tête ! (Émissivité / réceptivité)
• Cultiver la joie !
• Dire merci ! (Gratitude)
À chaque séance, une synthèse est distribuée aux élèves, afin de garder une trace dans leur lutin des concepts et outils découverts.

Sketchnote de la séance « Comment je me sens ? »

Concrètement, que fait-on dans une séance ?
Exemple : « Cultiver la joie ! »

Accueil : Météo des émotions

Activité 1 : Mes sources de joie
Construction de la cocotte ci-contre + jeu en binôme

Activité 2 : Brainstorming :
Comprendre et nommer la joie

• Toutes les émotions sont utiles (il n’y a pas d’émotion négative ou positive, mais une émotion agréable ou désagréable)
• Joie : une boussole nous oriente vers ce qui nous fait du bien ou nous indique que nos besoins sont satisfaits
• Vocabulaire de la joie : différentes intensités

Activité 3 : La joie … ça fait quoi ?

Dessiner les contours de sa main sur une feuille (activité individuelle) :
Paume : décrire la situation
Pouce : sensations physiques ressenties
Index : pensées qui nous ont habité
Majeur : paroles qu’on a prononcées
Annulaire : gestes et comportements
Auriculaire : nom de l’émotion
Partage : Quand une émotion nous traverse, notre corps réagit, nos pensées s’activent et entraînent des réactions expressives et comportementales.
Comment reconnaître la joie ? quels signes dans notre corps ? notre tête ? notre cœur ?

POP est aussi décliné à la carte dans d’autres classes : du primaire au lycée, pour des interventions ponctuelles ou sur plusieurs séances, à la demande des enseignants. Enfin, une soirée a été organisée avec les familles des classes pilotes afin que les jeunes puissent partager leurs vécus.
Autre possibilité pour le professeur documentaliste pour cultiver les CPS : proposer des ateliers sur la pause méridienne. C’est la solution retenue par plusieurs collègues. Certes, ce format ne touche que les élèves volontaires, mais c’est une façon de commencer à semer des graines sur ces habiletés, de susciter la curiosité chez des collègues, afin d’envisager un cadre d’intervention plus large dans un deuxième temps. C’est d’ailleurs parce que j’ai été inspirée par l’expérience et l’ouvrage de Mathilde Bernos, professeure documentaliste, que je propose cette année un club « Respiration Créative », avec pour objectif d’utiliser la créativité pour cultiver les CPS.

Dans le cadre de sa mission d’ouverture culturelle, le professeur documentaliste peut également prendre appui sur des semaines thématiques, comme la « Semaine du bonheur à l’école », pour proposer différentes interventions. Cette opération a été lancée en 2020 par le laboratoire BONHEURS de Cergy université et a lieu autour du 20 mars. Un livret est diffusé à cette occasion, proposant de nombreuses idées d’activités autour de cinq thèmes : connaissance de soi ; conscience des émotions ; réguler ses émotions ; relations constructives : savoir s’affirmer ; développer des attitudes et comportements prosociaux.

Enfin, pour favoriser l’acquisition des CPS, le professeur documentaliste peut proposer au CDI un fonds spécifique avec une sélection de ressources documentaires, de fictions, mais aussi des jeux de société. Idéalement, un rayonnage est clairement identifié, avec des ressources présentées ou expérimentées préalablement afin de susciter la curiosité. Une sélection d’audios de relaxation et de ressources pour accueillir ses émotions peut être publiée sur le portail e-sidoc.
Concernant l’organisation spatiale dans le CDI, commun aux collégiens et lycéens, nous disposons de deux petites salles vitrées que nous avons appelées « bulles ». Elles peuvent accueillir quatre élèves maximum pour la réalisation d’un travail de groupe, la pratique d’un jeu de société ou pour un temps calme. On peut aussi installer dans le CDI ou dans une petite salle attenante des assises différentes comme des poufs, des ballons ou des tapis de sol permettant de s’adapter au besoin du moment de l’élève. Pour cultiver le bien-être, il est possible de mettre à disposition des coloriages comme des mandalas pour la concentration, des casques antibruit pour faciliter la reconnexion à soi, des balles anti-stress, un bocal de citations positives…

Pour conclure, les CPS sont des habiletés qui se développent au gré des expériences vécues, pour mieux vivre avec soi et avec les autres. Elles vont soutenir le pouvoir d’agir des jeunes et leur bien-être dans toutes ses dimensions : physique, physiologique, social et émotionnel. Elles vont bien sûr avoir un impact positif sur le climat scolaire en favorisant des interactions sociales positives. Pour Laure Reynaud, co-fondatrice de Scholavie « un élève qui sait gérer son stress, maitriser ses émotions, qui se montre créatif, ouvert d’esprit et curieux, est un élève plus actif, engagé dans son apprentissage et dans sa relation à l’autre. C’est aussi un élève qui réussit mieux ». Dès lors, on peut dire que l’apprentissage des CPS est aussi important que l’apprentissage des savoirs académiques, dont elles contribuent d’ailleurs à l’acquisition. Les CPS sont transversales, car elles dépassent le champ des disciplines, mais aussi car elles sont mobilisables dans différentes situations. Le professeur documentaliste, par son rôle singulier au sein d’un établissement, a toute sa place dans le développement des compétences psychosociales. Par sa relative liberté d’intervention, il peut insuffler des projets sur ces thématiques, avec des modalités de mise en œuvre et de partenariats au sein de la communauté éducative très variées. En tant qu’enseignant, il peut intervenir dans le cadre des compétences communes à tous les professeurs mais également dans le champ spécifique de ses différentes missions : en proposant une programmation de séances sur le temps long autour des CPS, en recourant à des pratiques diversifiées d’enseignement et de communication – brainstorming, sketchnoting, cartes mentales, jeux – notamment, en initiant des projets d’ouverture culturelle, en développant un fonds spécifique, ou encore en créant un environnement éducatif favorable au développement des compétences psychosociales des élèves.

 

 

 

Apprendre en conscience et en confiance au CDI avec les neurosciences

Cet article se propose, dans un premier temps, de faire le point sur les grands apports des neurosciences cognitives, puis de témoigner, dans un second temps, du changement de pratiques qu’elles impliquent pour la professeure documentaliste que je suis.
Pour y voir plus clair, commençons par un tour d’horizon des dernières découvertes. Si elles balaient certains neuromythes, elles confirment aussi ce que Freinet, Piaget, Montessori, Jonask avaient déjà mis en évidence en leur temps.

Neurosciences cognitives : les essentiels

De quoi parle-t-on ?

Les neurosciences cognitives s’intéressent aux grandes fonctions mentales comme la perception, la mémoire, le raisonnement, le langage, les émotions, la motricité, la communication. Elles ont pour but l’étude des propriétés de ces fonctions mentales, des mécanismes psychologiques qui les sous-tendent, et des mécanismes biologiques qui les rendent possibles.

Notre cerveau : un immense réseau de connexions

Le cerveau est un dispositif complexe de traitement de l’information : filtrage, focalisation de l’attention sur certaines données, mise en forme, combinaison selon des modalités et stratégies mentales (dites heuristiques) diverses : association, analogie, induction, abduction.
Il est structuré dès la naissance et ses différentes aires sont activées très tôt.
Le neurone est l’unité de traitement de l’information. Le nombre total de neurones dans l’encéphale est de l’ordre de 100 milliards pour un organe pesant 1,3 à 1,4 kg.
Les neurones communiquent entre eux par signaux électriques, appelés influx nerveux. Ces derniers émettent des connexions avec d’autres neurones par l’intermédiaire de terminaisons, les synapses. Chaque neurone établit environ 10 000 contacts avec d’autres cellules nerveuses.

Plastique et fantastique !

La neuroimagerie a permis de mettre en évidence un phénomène important : la plasticité cérébrale.
Elle repose sur trois composantes :

– La plasticité synaptique
L’apprentissage correspond au renforcement de l’activité synaptique entre deux neurones. Stimulés, les synapses se renforcent, non stimulés, ils disparaissent. Le nombre de voisins connectés d’un neurone peut être multiplié par 10, par 100, de 1000 à 100 000 par les expériences vécues ou l’entraînement.
Jean-Pierre Changeux et Stanislas Dehaene ont démontré que lors de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, un circuit neuro-culturel inédit se forme : l’action de l’école modifie la configuration cérébrale.

– La plasticité neuronale
Si le stock définitif de neurones est à peu près constitué à la naissance, de nouveaux neurones vont naître uniquement dans certaines zones du cerveau comme l’hippocampe, mais en nombre limité.

– La plasticité des zones du cerveau
La surface de certaines zones cérébrales peut être augmentée en fonction de certaines activités.
Ainsi, la macrostructure du cerveau humain est la même pour tous, sans distinction de genre, l’apprentissage modifie la configuration du cerveau de l’apprenant et cela tout au long de sa vie. Chaque apprenant peut créer des connexions nouvelles et améliorer ses capacités cognitives même si cela devient plus difficile avec l’âge. La « spécialisation » légendaire des esprits viendrait plutôt du temps que nous consacrons, ou pas, aux apprentissages concernés (Dehaene, 2013).
Ainsi, l’idée que nous n’utilisons que 10 % des capacités de notre cerveau ou que les garçons sont naturellement meilleurs en mathématiques est totalement erronée.

Il n’y a pas de mauvaise mémoire !

Mnésis est un modèle néostructural intersystémique de la mémoire humaine, proposé par les psychologues Francis Eustache et Béatrice Desgranges en 2003. Il établit qu’il existe 5 familles de mémoire.

Les cinq familles de mémoire

Ces différentes formes de mémoire sont complémentaires, elles participent toutes en système à l’exécution des tâches cognitives.
La mémoire de travail, mémoire à court terme, a une importance particulière : elle retient temporairement les informations et les manipule pour les tâches cognitives telles que l’apprentissage, le raisonnement et la compréhension (Baddeley, 1993). Mais sa capacité est limitée par l’empan mnésique : elle ne peut travailler qu’avec 5 à 9 items, au-delà elle est en surcharge cognitive. L’hétérogénéité des élèves et donc de leurs acquis explique que, face à la même tâche ou leçon à mémoriser, certains seront en surcharge cognitive. Le vocabulaire est d’ailleurs l’un des premiers facteurs de surcharge cognitive, plus particulièrement chez les élèves issus de milieux défavorisés. La compréhension ne dépend pas d’un degré d’intelligence préexistant mais plutôt de la capacité à stocker, rappeler et mettre en lien par analogie une série d’informations et procédures, disponibles en mémoire et transférables.

Quatre fameux piliers

Le laboratoire Neurospin, dirigé par Stanislas Dehaene, est un centre de recherche pour l’innovation en imagerie cérébrale situé sur le site du CEA Paris-Saclay. Ses travaux ont mis en évidence quatre piliers pour l’apprentissage : l’attention, le retour sur l’erreur, l’engagement actif, la consolidation mnésique (passage de la mémoire à court terme vers la mémoire à long terme).

1 – L’attention ou contrôle exécutif
L’attention, d’une importance capitale, agit comme un filtre : elle laisse donc passer beaucoup d’informations. Très fragile, elle cède facilement aux distracteurs. Comme l’indique Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche à l’INSERM spécialiste de l’attention, elle se travaille et se développe. Cela commence par une prise de conscience des moments où nous devons être attentifs et à quoi nous devons l’être.
En effet, contrairement à certains neuromythes, on ne peut en aucun cas être multitâche sauf dans le cas d’une procédure automatisée (je peux conduire en récitant un texte, faire du vélo en pensant à la déclaration d’amour que je souhaite faire…).
Pour favoriser l’attention, il est important de poser un cadre sécurisant : les travaux de Daniel Favre et de Francis Eustache ont montré que l’état émotionnel des adolescents est indissociable de leurs apprentissages et peuvent totalement les parasiter.
Selon JP Lachaux, les distractions (sonores, visuelles…) doivent être évitées, les différents canaux sensoriels sollicités. Par exemple on écrira les points essentiels à retenir d’une séance sur un tableau blanc en même temps que l’on énoncera ceux-ci à voix haute. Le tableau doit rester clair, lisible, éviter les surcharges. Chaque fois que cela est possible, on essaiera d’ancrer les apprentissages dans le concret par des exemples. On veillera également à éviter les doubles tâches et à privilégier un enseignement fractionné plutôt que massif.
La chercheuse américaine Adele Diamond a également identifié des activités favorisant l’attention : les jeux, y compris certains jeux vidéos, les sports aérobie, les entraînements moteurs sur le modèle de ceux de Montessori, la pratique d’un instrument de musique, le yoga, la méditation.

2 – L’engagement actif
Rien de tel pour mémoriser de nouvelles connaissances que de s’interroger, émettre des hypothèses, faire des expériences pour essayer de vraiment comprendre de quoi on parle. L’auto-évaluation et les pédagogies actives favorisent donc les apprentissages.
On privilégiera donc les tests de questionnement, le mise en forme (schémas, cartes mentales…), tout ce qui peut éviter à notre cerveau d’être passif (simple relecture d’un cours).

3 – Le retour sur l’erreur
Notre cerveau n’apprend que s’il reçoit des signaux d’erreur qui lui indiquent que son modèle interne doit être rectifié. L’erreur est donc non seulement normale, mais indispensable à l’apprentissage. Le retour sur l’erreur doit être le plus proche possible de l’erreur dans le temps afin de permettre au cerveau de formuler une nouvelle hypothèse.

4 – La consolidation des apprentissages et l’importance du sommeil pour l’optimisation de la mémoire
Nous avons défini plus haut l’empan mnésique : afin de libérer de la mémoire de travail pour se mobiliser sur de nouvelles tâches, il faut que les informations passent dans la mémoire à long terme, que ce soit en mémoire sémantique (exemple : sens des mots) ou en mémoire procédurale (exemple : lecture). Les travaux du psychologue allemand Hermann Ebbinghaus qui publia en 1885 la Courbe de l’oubli expliquent le phénomène suivant : lorsqu’une information est emmagasinée depuis peu, pour éviter son oubli, il faut la réactiver assez rapidement. Lorsque le cerveau recherche la notion en mémoire, la trace de cette recherche se stabilise dans le cerveau, la connexion à cette information devient plus rapide et se fixe. Ensuite on peut espacer les rappels de cette notion avec des intervalles de plus en plus grands afin qu’elle passe en mémoire à long terme. Plus récemment le chercheur cognitiviste américain Steve Masson a démontré que, non ravivée, la trace mnésique finit par disparaître.

Vive la sieste !

Autre élément indispensable à la mémorisation : le sommeil et en particulier la sieste. Le sommeil fait partie de notre algorithme d’apprentissage et permet la consolidation. Des périodes de sommeil, même courtes, favorisent les apprentissages. Si la sieste disparaît de l’école après l’école maternelle, on peut imaginer de courts moments de mise au calme des esprits avec des applications telles que Petit bambou ou tout simplement des moments de silence…

Réfléchir c’est résister

Le contrôle de la pensée suppose de trouver un équilibre entre deux systèmes de pensée : le système 1, système de mécanisme automatique rapide et intuitif, prédictif, qui conduit souvent à des erreurs ; le système 2, algorithmique, qui fait appel à la réflexion, à la logique (Kahneman, 2012). Olivier Houdé, directeur du Laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant (La PsyDé) avance l’idée de l’existence d’un troisième système : le système de résistance cognitive (inhibition). Celui-ci permet la pensée réfléchie. Il est nécessaire à la résolution de problèmes complexes ainsi qu’à la pensée critique que nous tentons de développer chez nos élèves.

Olivier Houdé propose d’entraîner les élèves à travailler leur système de résistance en leur apprenant à déjouer les biais cognitifs. Il donne notamment l’exemple d’un biais courant en mathématiques : Sylvie a 25 billes, elle en a 5 de plus que Paul. Combien Paul a-t-il de billes ? Beaucoup d’enfants répondront 25 à cause du biais « + = addition ». Cette résistance cognitive passe par un apprentissage de l’inhibition avec alerte sur le risque d’erreur. La plateforme « Léa » propose également de nombreux entraînements de ce type.

Shootons nos élèves à la dopamine !

Mis en évidence dans les années 50 par les travaux de Skinner, le circuit de la récompense qui permet la production de dopamine (hormone du plaisir et du bien-être) a donné lieu à des recherches sur la motivation. Pour qu’un élève retrouve le chemin de la motivation, il faut activer son circuit de la récompense qui le conduira, par anticipation de l’activation de ce circuit, à être motivé pour une tâche. Une motivation intrinsèque qui n’est possible que si la tâche à accomplir est atteignable, c’est-à-dire ni trop facile ni trop difficile. Le travail en ceintures proposé en son temps par Houry dans le cadre des pédagogies coopératives repose d’ailleurs sur ce principe d’individualisation des rythmes et des objectifs.

Connaître et comprendre son cerveau

L’apprentissage du fonctionnement de son cerveau par l’apprenant, c’est-à-dire la métacognition, la réflexion et le retour réflexif sur son apprentissage, est indispensable.
Comme le précise Stanislas Dehaene au micro de Laure Adler dans son émission l’Heure Bleue en novembre 2021, ces découvertes ne constituent nullement des recettes miracles ou exclusives mais représentent plutôt des fondamentaux sur lesquels s’appuyer dans la construction de scenarii pédagogiques.
De nombreux groupes de recherche s’appuyant sur les sciences cognitives ont déjà vu le jour : dans le premier degré, les groupes GFA, (Groupes de formation action) qui travaillent en partenariat avec le laboratoire d’Olivier Houdé, dans le secondaire le dispositif Léa ; les Cogniclasses pilotées par Jean-Luc Berthier, ancien enseignant et chef d’établissement, devenu spécialiste des neurosciences cognitives.
Tous ces groupes et laboratoires de recherche encouragent la métacognition : il s’agit de former les élèves au fonctionnement de leur cerveau en apprentissage.

Comment intégrer ces pistes dans nos pratiques ?

Professeure documentaliste au collège Irène Joliot Curie à Aigues-Mortes, j’ai été formée aux neurosciences cognitives dès 2011, j’ai intégré ensuite un cercle d’études dédié de 2017 à 2019. J’ai alors ressenti le besoin et le désir d’enrichir ma pratique puis de repenser l’espace CDI à la lumière des apports des neurosciences. Les formations suivies m’ont permis de franchir certains pas dans le changement de mes pratiques alors que j’hésitais jusque-là. Disons qu’elles m’ont offert une légitimité.

Poursuivre sur la voie de la pédagogie de projets et de la pédagogie active

Les formations que j’ai suivies ont montré que la pédagogie de projet, dans laquelle nous, professeurs documentalistes, sommes très souvent engagés, favorise les apprentissages : fractionnement de ceux-ci, objectifs à court et long terme, développement de compétences pour une production finale, travail en îlots, développement de plan d’action, carnet de bord, mise en activité de l’élève… J’ai donc poursuivi mon engagement dans des projets.
J’ai retravaillé plusieurs de mes séances pour les ludiciser, proposer un travail en ceintures, rendre les élèves plus autonomes et acteurs, en essayant de mobiliser leur attention.

Ludicisation et travail par ceintures en sixième

J’ai par exemple remplacé la traditionnelle (et parfois rébarbative) séance de visite du CDI par un escape game. Enfermés dans le CDI par un groupuscule malveillant tentant de détruire la connaissance et d’emprisonner les lecteurs, les élèves, par îlots, doivent résoudre trois énigmes successives conduisant à la découverte de trois mots. Ces mots permettent de construire une formule qui sera échangée contre la clé du CDI. Le contexte du jeu avec environnement sonore a été conçu sur un genially.
Chaque équipe se connecte, visionne le genially et découvre sa première énigme (un parcours par équipe pour éviter que les équipes se retrouvent toutes au même endroit). Première étape pour chaque équipe : trouver son carnet de bord et distribuer les rôles. Les cotes des romans ou documentaires deviennent des codes à déchiffrer (des panneaux expliquant la construction des cotes ont été installés au CDI pour faciliter l’autonomie de élèves), des mots sont à trouver sur la quatrième de couverture ou sur une page indiquée. Chaque parcours suppose de comprendre la signalétique du CDI et d’en découvrir les différents espaces.

Copie d’écran : découverte de la feuille de route sur genially

Au sein de chaque îlot, chaque élève a un rôle précis : scribe, maître du temps, maître des émotions. Chaque équipe a droit à deux jokers. Pour résoudre les énigmes, il est important de se contrôler, de réfléchir et de résister, donc d’être attentif. La séance suivante est consacrée à un debriefing avec rappel des notions vues, des connaissances et compétences acquises.

Par ailleurs, la séquence d’initiation à e-sidoc repose sur le travail en ceintures, adapté pour chaque classe de sixième à un projet dans lequel la classe est impliquée. Chaque ceinture oblige à une navigation dans e-sidoc et l’élève doit répondre à des questions. Le niveau de difficulté augmente avec les ceintures.
Les élèves ayant validé une ceinture peuvent passer à la ceinture suivante ou devenir tuteur et aider un camarade. Les élèves travaillant en autonomie, je dispose de plus de temps pour accompagner les plus fragiles.

Développer l’esprit critique en classe de troisième

Dans le cadre d’un travail sur l’esprit critique en classe de 3e avec des collègues de SVT et de français, nous avons développé une séance sur les biais cognitifs afin de travailler l’inhibition mise en évidence par Olivier Houdé. Nous nous sommes inspirés pour cette séance du travail de l’association Cortecs, pour l’autodéfense intellectuelle.
Les élèves doivent associer une affirmation repérée sur un article ou un site à un biais cognitif couramment utilisé :

Exemple 1
« Je veux un bon climat ! Et nous allons en avoir un ! »
Citation de Donald Trump le 17 octobre 2018
Biais : L’illusion de contrôle
Méthode : tendance des humains à surestimer leur capacité à contrôler et à influencer les événements.

Exemple 2
« Ivar Giaever et Kary Mullis, sont climatosceptiques et ils ont obtenu le prix Nobel, c’est bien que le changement climatique est une imposture ! »
Biais : l’argument d’autorité
Méthode : Invoquer une personnalité faisant, ou semblant faire, autorité dans le domaine concerné.

Exemple 3
« Si 35 % des Français* se déclarent climatosceptiques ça prouve que le débat sur le changement climatique n’est pas terminé. »
*sondage publié en 2013 par le Commissariat général au développement durable à partir des données du baromètre d’opinion sur l’énergie et le climat en 2013
Biais : l’appel à la popularité
Méthode : Invoquer le grand nombre de personnes qui adhèrent à une idée.

Favoriser la métacognition

Avec deux collègues de SVT nous avons développé deux séances consacrées à la métacognition, proposées aux classes de sixième en amont des premières heures de « devoirs faits ». Elles reposent sur des apports théoriques, des tests et des vidéos de sensibilisation. Dans ce cadre, nous leur présentions des vidéos de sensibilisation à l’attention disponibles sur Youtube.
Whodonnut : https://www.youtube.com/watch?v=ubNF9QNEQLA
Gorilles : https://www.youtube.com/watch?v=vJG698U2Mvo

Nous utilisons également le test de Stroop.
Dans le cadre de « devoirs faits » toujours, les élèves disposent d’outils très simples sous forme de fiches de questionnement quintilien pour faciliter leur mémorisation. Ils rédigent des questions sur leurs cours ainsi que les réponses puis s’autotestent ou se testent entre pairs (des tableaux blancs et des feutres ont été mis à disposition s’ils le souhaitent).

Test de Stroop

Un espace et des ressources adaptées

Le fonds physique et numérique du CDI a été enrichi afin de faciliter la métacognition l’objectif étant, à terme, d’en faire un tiers lieu facilitateur d’apprentissages.
J’ai d’abord constitué un fonds dédié à la métacognition en direction des élèves, constitué des ouvrages suivants :
Houdé, Olivier, Borst, Grégoire, Laurent, Mathilde. Mon cerveau, Nathan, 2021
Borst, Grégoire., Cassoti, Mathieu. C’est (pas) moi, c’est mon cerveau. Un livre pour comprendre enfin ce qui se passe dans ta tête. Nathan, 2019.
Lachaux, Jean-Philippe. Les petites bulles de l’attention : se concentrer dans un monde de distractions. Odile Jacob, 2016.
Pasquinelli, Ellena. (2015). Mon cerveau, ce héros, Mythes et réalités. Le Pommier, 2015.

Parallèlement, je m’appuie sur un fonds numérique avec des sites dédiés tels que :
Sciences cognitives : des enjeux multiples pour l’humain [en ligne]. Les Savanturiers, 2019 [consulté le 10/03/2023]. 1 vidéo : 2 min 41 s. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=EjZKwKoppLs&list=PLyIiAQ7OL4c0NpTiEcuTwvorUFrq8U5Po&index=4
Savoir apprendre, la catégorisation [en ligne]. Les fondamentaux, 2021 [consulté le 10/03/2023]. 1 vidéo : 2 min 03 s. Disponible à l’adresse : https://lesfondamentaux.reseau-canope.fr/video/francais/orthographe/savoir-apprendre/savoir-apprendre-la-categorisation

Très utiles pour le testing, j’utilise et je propose à mes collègues divers outils numériques.
Parmi eux, Plickers, qui permet de sonder une classe ou un groupe d’apprenants sans que ces derniers soient équipés d’ordinateurs, tablettes ou smartphones. Les questions s’affichent au tableau, les élèves répondent sous forme de QR code imprimés…
Pour fabriquer des QCM, j’utilise Kahoot, application en ligne compatible RGPD, ou encore Quizlet ou Socrative qui proposent des modes ludiques assez prisés des élèves, notamment le mode « race » de Socrative grâce auquel on visualise l’avancée des équipes (sous forme de fusées) en temps réel.

Exemple de question dans un quizz kahoot en sixième

Il existe d’autres outils parmi lesquels :
Quizinière. Cet outil, proposé par Canopé, propose de nombreuses activités et facilite la différenciation pédagogique : textes à trous, QCM, dessins, enregistrements audios, vidéos, formules mathématiques, etc. Avantage notable : sa conformité au Règlement général sur la protection des données.
La plateforme Wooflash, rubriques « mes cours », propose des flashcards et autres outils de testing.
Anki, une application téléchargeable d’autotesting qui permet aux élèves de créer des paquets de questions puis de s’autotester selon des reprises expansées ; il s’adresse plutôt au niveau lycée.

Un aménagement du CDI repensé

Deux tableaux blancs avec feutres de couleur (malheureusement sans roulettes ce qui m’oblige à les porter régulièrement pour les déplacer) ont été installés : les élèves peuvent les utiliser en binômes ou en équipe pour résoudre des problèmes, des exercices, réviser un cours, se tester sur du vocabulaire. Ils sont très friands de cette modalité.
Les élèves peuvent travailler au choix sur de petites tables basses dont j’ai fait l’acquisition, allongés sur une estrade, à une table classique, assis par terre…
À la rentrée prochaine, le CDI va être équipé d’assises mobiles au sol, de quatre chaises de travail à roulettes et d’un paravent pour s’isoler ou isoler un groupe.

Offrir un cadre sécurisant et apaisé

L’accueil au CDI a été ritualisé : j’accueille chaque début d’heure les élèves devant l’entrée du CDI en les saluant individuellement, ils rentrent par groupe de cinq, nous faisons l’appel, puis chacun m’explique brièvement son projet du jour au CDI. Ce sas permet une décompression et facilite l’entrée dans le lieu, l’apprentissage de ses règles, le respect de son cadre.
Mes séances débutent et se terminent souvent par une météo du groupe.
Un espace zen a été créé, proposant fidgets, coussins à piquots, balles souples, ou encore coloriages et roue des émotions. Il sera enrichi prochainement par un fat boy et des coussins.
Pour favoriser des moments de détente, il n’est pas rare que mes séances pédagogiques débutent par un peu de relaxation, avec ou sans musique en m’aidant parfois de l’application Petit Bambou.
De la même façon, une heure du conte bimensuelle a été instaurée sur la pause méridienne : les élèves peuvent s’allonger, se déchausser, amener leur coussin ou plaid en attendant que la commande arrive, et même, s’endormir…

Apprendre avec le jeu

M’appuyant sur l’expérience de collègues, une formation dédiée et le catalogue Canopé, j’ai développé une ludothèque adaptée. Les jeux sont autorisés, sur la pause méridienne uniquement pour l’instant, mais je pense expérimenter à la rentrée prochaine l’ouverture d’autres créneaux horaires.
On trouvera dans ce tableau quelques jeux pouvant être utilisés mais cette liste est loin d’être exhaustive ou prescriptive.


L’objectif de ces aménagements est de permettre d’offrir à chacun la possibilité de trouver une modalité et des ressources facilitant son entrée, sa progression et son autonomie dans les apprentissages.
Ainsi les neurosciences cognitives apportent un éclairage nouveau sur les apprentissages. Les pistes issues des travaux de nombreux chercheurs peuvent baliser notre propre chemin de recherche pédagogique et nourrir notre réflexion sur l’aménagement de nos centres de ressources en constante mutation. Elles apportent des clés pour la formation à l’esprit critique et l’économie de l’attention, au cœur de notre métier. De nouveaux champs d’investigation sont déjà ouverts parmi lesquels les compétences psychosociales, qui, elles aussi, pourraient nous amener à repenser les CDI dans un futur proche.

 

Un groupe Zèbres pour les élèves à Haut Potentiel

Les élèves à haut potentiel, des élèves à besoins éducatifs particuliers

Un élève à haut potentiel intellectuel n’est pas forcément un élève brillant scolairement, mais un enfant qui se caractérise par un fonctionnement cognitif particulier. Il pense autrement, ses processus d’apprentissage, de compréhension, ainsi que sa sensibilité sont particuliers.

Une diversité de profils

Aucun terme ne rend compte d’une manière satisfaisante des particularités de ces élèves. « Surdoué » laisse entendre une capacité hors norme (alors qu’un enfant HPI n’est pas forcément brillant en tout). « Génie » est évidemment encore plus connoté, notamment sur le plan historique, et est à écarter. « Précoce » ou « Intellectuellement Précoce » implique une avance par rapport à l’âge réel de l’enfant, et il existe effectivement souvent un décalage ; mais un enfant précoce deviendra adulte, or cette sensation de décalage subsiste à l’âge adulte. Gifted (doué) ou Talented  (talentueux) utilisés aux États-Unis et au Canada impliquent la notion de don, de talent inné qu’il faudrait à tout prix développer pour en faire quelque chose. L’expression « HPI » est souvent utilisée et a été popularisée par une série télévisée, au risque peut-être d’en faire une caricature.

« Zèbre » est le terme inventé par Jeanne Siaud-Facchin (2008), psychologue clinicienne et psychothérapeute, pour définir les « singularités » de ces personnes, et c’est celui que nous avons privilégié pour nommer un groupe de parole créé au sein du collège. Les élèves eux-mêmes n’apprécient pas toujours ce qualificatif animal et en ont inventé un nouveau : le groupe « Quetzalcoatl », dieu serpent à plumes des Aztèques, qui selon eux signifie le mieux leurs centres d’intérêt communs pour la mythologie, l’histoire ancienne, les animaux et les dinosaures. C’est tout dire de la curiosité et de la vivacité d’esprit de ces élèves…
Les personnes à haut potentiel se caractérisent par un score aux échelles psychométriques très supérieur à la moyenne (QI > 130 alors que la moyenne est à 100) et par une pensée en arborescence (une idée en entraîne plusieurs autres, alors que la plupart des gens fonctionnent de manière linéaire). Concrètement, leur cerveau fonctionne plus rapidement et plus efficacement. Ils comprennent vite, ont un sens critique très développé, un raisonnement pertinent, surprennent parfois par leurs connaissances. Aucune liste ne peut prétendre définir parfaitement cette population, puisque ce sont des personnes au profil hétérogène, mais certaines caractéristiques semblent revenir d’un sujet à l’autre (Revol, Poulin & Perrodin, 2015). Les HPI sont curieux, sensibles à l’injustice, aiment faire plusieurs choses à la fois, passer rapidement d’une activité à une autre ; ils ont souvent des centres d’intérêt très forts (et variables), des passions ciblées qu’ils ont du mal à partager avec les autres, une mémoire exceptionnelle, une énergie débordante.

Le haut potentiel peut être couplé avec une hypersensibilité, d’autant plus difficile à gérer que le traitement cognitif prend chez eux le pas sur le ressenti émotionnel (Brasseur & Cuche, 2021) : un événement mineur peut alors déclencher un cataclysme émotionnel (pleurs, cris, crise de colère, crise d’angoisse…). Ils ressentent souvent les émotions des autres (hyper empathie). Ce sont aussi leurs cinq sens qui sont exacerbés et leur font ressentir les sons, les couleurs, les odeurs, de façon plus intense (l’enfant qui n’aime pas la vinaigrette en sent l’odeur depuis l’étage de la maison…). Leurs réactions à ces stimuli sont parfois jugées excessives par l’entourage non HP, alors qu’ils ne les maîtrisent pas.

Toutes ces informations et ces sensations extrêmes arrivent dans le cerveau sans toujours être filtrées correctement : c’est ce que l’on appelle le « déficit d’inhibition latente » (le cerveau peine à hiérarchiser et à faire le tri) qui donne au zèbre l’impression épuisante d’en avoir « plein la tête », de ne jamais pouvoir mettre le cerveau en pause (d’où des insomnies fréquentes)… et de poser à l’adulte des tas de questions cruciales au moment où il faudrait dormir, telles que « pourquoi les escargots n’avancent jamais à reculons ? » (question d’une enfant de 2 ans et demi).

Les HPI ont une mémoire surprenante… pour les domaines qui les intéressent ! Des données anodines pour les autres, des souvenirs lointains sont parfaitement nets, alors qu’apprendre les tables de multiplication (ou tout autre sujet pour lequel ils ne perçoivent pas d’intérêt immédiat) peut être un véritable problème. Il y a souvent un enjeu émotionnel derrière l’apprentissage (faire plaisir à un enseignant qu’on aime beaucoup). En revanche, ce qui n’a pas de sens pour l’élève zèbre, ce qui paraît sans but, sans utilité immédiate, est très difficilement mémorisable. Or, si les connaissances qui présentent un intérêt immédiat sont enregistrées directement sans méthode d’apprentissage particulière, cela peut poser problème dans les études supérieures, quand il devient nécessaire d’être plus rigoureux.

Ceux que l’on appelle les « zèbres » se sentent souvent en décalage par rapport au groupe, sans pouvoir expliquer pourquoi. Ils ont le sentiment d’être incompris par leurs pairs, d’être des « extraterrestres » selon leurs mots, de ne pas parler la même langue. Cela peut parfois provoquer un rejet de la part des autres qui perçoivent la personne HPI comme différente, bizarre, avec pour conséquences possibles l’isolement et un risque accru de harcèlement.

Quelques idées reçues à dépasser

Pour autant, HPI ne signifie pas systématiquement réussite scolaire : avoir un QI supérieur à la moyenne ne signifie pas tout savoir et tout maîtriser ; on estime même qu’un surdoué sur trois est en échec scolaire (chiffre qui doit être nuancé car les enfants interrogés sont ceux qui viennent consulter, autrement dit ceux qui ne vont pas bien). Les élèves HPI peuvent avoir du mal à entrer dans les apprentissages, parce qu’ils arrivent intuitivement au résultat sans être capables de l’expliquer, se découragent, se désintéressent du scolaire, ou même, pour une part importante d’entre eux, parce qu’ils souffrent de dyslexie. Ce serait un non-sens de dire, par exemple, « Je ne crois pas qu’il soit surdoué car dans mon cours il a de mauvais résultats » ou « Il n’est pas si bon que ça ». À l’inverse, un très bon élève n’est pas forcément synonyme de surdoué.

Une autre idée reçue est qu’un élève HPI s’en sortira toujours bien et n’a pas besoin de soutien. C’est faux ! Les HPI peuvent éprouver anxiété, mésestime de soi, voire être dans le décrochage scolaire. Leur cursus scolaire doit parfois être aménagé, pour leur permettre de s’épanouir et de réussir leur scolarité. Ces élèves peuvent parfois être perçus comme provocateurs, insolents, parce qu’ils discutent les règles qui ne leur semblent pas justes ou remettent en cause le savoir du professeur, font preuve d’une logique imparable ou ont un sens de l’humour mal perçu par l’enseignant. Ils peuvent ainsi avoir un rapport conflictuel avec l’autorité, surtout quand ils ont perdu confiance et estiment que cette autorité est infondée. Ils peuvent être dissipés et perturbateurs quand ils ne comprennent pas l’intérêt du travail scolaire. Enfin, ces élèves ont parfois du mal à comprendre les consignes, qu’ils interprètent littéralement : récemment, à l’occasion de la cérémonie de remise des diplômes du brevet, le chef d’établissement a demandé aux élèves de lever la main pour signaler dans quel lycée ils étaient à présent scolarisés. J’ai alors vu un ancien élève qui, à la question du principal, « Il est où le lycée en forêt ? » a pointé la direction du lycée au lieu de lever la main pour se signaler comme ses camarades…

Par ailleurs, ces élèves peuvent s’imposer à eux-mêmes une grande pression en ce qui concerne leurs résultats scolaires, ce qui peut conduire à une déception démesurée quand ils n’atteignent pas les objectifs qu’ils se sont donnés. L’échec est vu comme humiliant et destructeur, l’erreur comme une preuve de manque d’intelligence, qui risque de décevoir. La croyance fausse qu’être intelligent signifie réussir sans travailler, ce que l’élève HP réalise d’abord sans peine étant donné sa grande mémoire et sa bonne compréhension, risque de l’empêcher de « s’y mettre » quand cela devient nécessaire. Ne pas être conforme à l’attente (qu’il s’imagine être celle) de sa famille, de ses enseignants, peut générer une grande dévalorisation et une mésestime de soi. D’où un perfectionnisme excessif, ou au contraire une absence de prise de risque pour éviter d’être déçu et de décevoir. La pression qu’ils s’imposent à eux-mêmes pour faire les choses parfaitement les conduit parfois à saborder leur travail, tout comme l’ennui, la difficulté à se concentrer sur une seule chose et l’éparpillement. À quoi bon faire les exercices si la leçon est bien comprise ? Pourquoi rendre un devoir qui ne constitue aucun challenge pour eux ?

Comment les repérer alors ?

Seul un psychologue peut proposer une identification à l’aide du test WISC-IV (voir lexique). Mais il existe une grille disponible en ligne sur le site Éduscol (cf. bibliographie) qui peut aider les enseignants à repérer ces élèves en fonction de critères liés aux capacités de compréhension, à la curiosité et aux connaissances, à la créativité et aux interrelations. L’inventaire d’identification des enfants précoces de Jean-Charles Terrassier, disponible en ligne, permet également de repérer ces élèves avec un système de points qui permet de faire l’hypothèse de la précocité. Une association parentale (ANPEIP : Association Nationale Pour les Enfants Intellectuellement Précoces ; AFEP : Association Française pour les Enfants à Haut Potentiel) peut être sollicitée pour présenter à l’équipe pédagogique les caractéristiques et particularités des élèves à haut potentiel intellectuel. Attention, les filles sont souvent moins faciles à repérer car elles sont généralement scolaires, s’adaptent, sont moins dans le rejet et la colère explosive. Elles rentrent en définitive plus facilement dans le moule. Par ailleurs, ces élèves développent parfois un « faux self », une fausse image d’eux-mêmes qui leur permet de passer inaperçu et de donner l’impression de s’intégrer… au détriment de leur véritable personnalité. Enfin, inutile de poser la question directement à l’intéressé car les zèbres, enfants ou adultes, développent souvent un « sentiment d’imposture » qui leur fait nier leurs capacités et trouver des « excuses » extérieures à leurs réussites.

Tout cela vous rappelle quelque chose ? C’est normal, pour plusieurs raisons. On estime (voir Éduscol) que l’on trouve en moyenne un à deux élèves à haut potentiel par classe, et nous avons forcément eu affaire à certains d’entre eux. De plus, certaines des caractéristiques des HPI énoncées plus haut sont également des qualités requises pour exercer le métier de professeur documentaliste. De là à supposer que notre profession est particulièrement riche en adultes HPI ? Hypothèse envisageable – même si à notre connaissance aucune étude n’a été menée sur le sujet : curiosité dans tous les domaines, empathie qui pousse à s’intéresser aux autres et à leur venir en aide, goût pour les projets, la nouveauté, les défis intellectuels, esprit multitâches et pluridisciplinaire, appétence pour les activités créatives, goût pour les livres et l’informatique, énergie débordante… Ce sont là autant de caractéristiques que l’on retrouve chez les personnes à haut potentiel, et qui peuvent trouver une mise en application évidente dans le métier de professeur documentaliste.

Enfin, le quotient intellectuel est en grande partie génétique, même s’il peut également être influencé par l’environnement, et des adultes HPI ont de fortes probabilités d’avoir des enfants HPI (Brasseur & Cuche, 2021, chapitre 2). C’est d’ailleurs souvent en tentant d’aider leurs enfants à résoudre des problématiques liées à leur haut potentiel que les parents se découvrent un QI également supérieur à la norme.
Vous vous reconnaissez dans ces caractéristiques ? Pas de panique, toute une littérature existe sur le sujet (voir bibliographie) pour vous venir en aide et vous éclairer. Vous n’êtes pas concerné ? Cela ne vous empêchera pas d’être un professeur documentaliste de qualité, et de lire ces quelques pistes pour bien accueillir les enfants à haut potentiel au CDI.

Quel accueil au CDI pour les élèves à Haut Potentiel ?

Si les élèves HPI sont au nombre de un à deux par classe en moyenne, cela limite fortement les probabilités pour qu’ils retrouvent un camarade HPI dans leur classe, sauf volonté particulière de l’équipe pédagogique de repérer et de réunir ces élèves. Isolés, ces enfants différents risquent de peiner à s’intégrer, voire dans des cas extrêmes de souffrir de harcèlement. Dans tous les cas, ils risquent de trouver inconfortable leur sentiment d’être à part, unique. C’est pourquoi, dans le collège, un « groupe zèbres » a été mis en place, à l’initiative de quelques enseignants1. Il se réunit tous les mois au CDI pour fournir un espace de parole à ces élèves.

La création d’un groupe Zèbres : mise en œuvre et principes

Ce groupe a été créé dans l’intention de favoriser l’intégration de ces élèves et de leur permettre de se sentir enfin « normaux » et reconnus dans leur différence, de discuter avec d’autres sans devoir se dissimuler derrière un « faux self », de mieux comprendre leur propre fonctionnement. Le groupe s’est tellement accru au fil des ans que les trois enseignantes à l’origine du projet (enseignante de chinois, CPE et professeure documentaliste) ont pris la décision en 2021 de le diviser en deux : « petits zèbres » (6e-5e) et « grands zèbres » (4e-3e). Chaque réunion commence par un « Quoi de neuf ? » qui permet aux élèves de raconter un événement qui les a marqués personnellement pendant le mois. Nous leur demandons de verbaliser leurs émotions : est-ce que cela les a rendus tristes, anxieux, heureux, fiers ? Il s’agit d’accueillir leurs émotions, sans les juger, et d’analyser objectivement la situation. Les autres réagissent, conseillent, aident à mettre des mots sur les ressentis, proposent des liens avec leurs propres expériences. Un « bâton de parole » contribue à canaliser la discussion qui est vite foisonnante et deviendrait sans cela totalement inaudible. Nous ne sommes pas trop de trois adultes pour encadrer la dizaine d’élèves (ou plus) concernés.

Eleanore – 5e

Un problème s’est rapidement posé l’année de la mise en place du groupe : qui choisir pour en faire partie ? Le groupe doit rester gérable et à effectif raisonnable pour fonctionner, alors que les élèves non-HPI sont curieux de ce « club zèbres » qui permet aux membres d’être dispensé de cours pendant les réunions (avec rattrapage obligatoire, ce qui est rarement un problème pour ces élèves) et souvent désireux d’en faire partie. Les élèves concernés n’ont pas forcément bénéficié d’un test de QI à l’extérieur ou par la psy-EN, mais ils présentent la plupart des caractéristiques de la grille (Éduscol) de repérage et éprouvent des difficultés qui peuvent être liées au haut potentiel. Certains noms sont proposés par les familles, par les enseignants de la classe, ou encore par les enseignants de primaire au moment du passage en 6e. Il ne s’agit pas de diagnostiquer (ils ne sont pas malades), de se substituer à un thérapeute ou à un professionnel de la psychologie, mais de contribuer à identifier ces élèves qui font partie des « élèves à besoins éducatifs particuliers » (circulaire n° 2014-068 du 20-5-2014), et qui demandent à ce titre à être accompagnés, toujours avec l’accord des parents et en lien avec l’équipe éducative.

Armand – 6e

Une démarche de projet, des activités sollicitant imagination et créativité

Les réunions du groupe zèbres sont l’occasion pour ces élèves de présenter aux autres des exposés sur leurs passions s’ils le souhaitent (jeux vidéo, animaux, astronomie…). Des débats sont organisés : débats « mouvants » avec un carton « oui » ou « non » qui rassemblent les élèves du même avis, mais qui peuvent changer de « camp » au fil de la discussion ; questionnement autour des « philo-fables » de Michel Piquemal (2008) qui permettent de s’interroger ensemble sur des sujets comme la vérité, le bien et le mal, ou le jugement des autres.

Enfin, l’un des objectifs du dispositif est également d’aider ces élèves à s’intégrer parmi les autres. Nous leur proposons donc chaque année de mener à bien un projet ayant des répercussions sur l’établissement entier, pour leur permettre de se mettre en valeur : réalisation d’une vidéo montrant avec humour les spécificités des élèves « zèbres » (ce n’est pas un animal, ce n’est pas un génie qui sait tout, ce n’est pas quelqu’un qui réussit tout sans peine…), présentée à l’ensemble des classes ; mise en place d’un « concours des talents » où chaque élève du groupe a pris en charge une thématique de son choix (dessin, échecs, cuisine) pour en faire la promotion, aider à la mise en place des inscriptions, choisir la récompense et les modalités du concours, superviser le déroulement ; participation à une émission de radio locale pour présenter les élèves à haut potentiel ; réalisation et mise en place d’un escape game à destination d’un autre groupe d’élèves. Tous ces événements permettent aux élèves zèbres de se sentir bien dans l’établissement, avec leurs spécificités. De nombreuses ressources existent pour guider les activités proposées à ces élèves, qui ont pour point commun d’encourager la créativité et l’imagination, tout en développant l’estime de soi, l’apaisement et la communication non violente (Guy, 2019). Le dossier Éduscol propose notamment un enrichissement des parcours et la valorisation des talents. Une bibliothèque concernant les élèves à besoins particuliers (haut potentiel mais aussi TDAH, troubles du spectre autistique, dyslexiques…) peut être proposée en ce sens en salle des professeurs.

D’une manière plus générale, les élèves zèbres peuvent être des appuis précieux au CDI car, outre le fait qu’ils apprécient souvent la lecture, ils font généralement preuve de créativité, d’imagination et débordent d’idées : on peut compter sur eux pour participer aux clubs, aux ateliers, à des concours, réorganiser l’affichage du CDI, mettre en place des projets, ou encore participer à la politique d’acquisition dans les domaines qui les passionnent. Le CDI peut être une bulle d’air pour ces élèves, à condition que le professeur documentaliste soit occasionnellement prêt à discuter de « schiste carbonifère » avec un passionné de fossiles, ou des dieux imprononçables de la mythologie nordique avec un autre.

Or, ce qui est un atout au CDI peut parfois être un handicap en cours : lors d’un contrôle, on demande souvent aux élèves de restituer le cours et de répondre aux questions pour vérifier leurs connaissances, pas de faire preuve d’originalité. Les tâches de restitution simple et de répétition peuvent être fastidieuses pour un cerveau qui a compris et enregistré l’information du premier coup : un approfondissement et un enrichissement des parcours sont alors envisageables. On peut par exemple demander à ces élèves d’approfondir le cours par un exposé, qui peut prendre plusieurs formes (affiche, diaporama, mais aussi maquette ou autre réalisation) ou de créer eux-mêmes de nouveaux exercices pour les autres (plutôt que de faire d’autres exercices du même type pour « passer le temps »). L’apprentissage par projet, l’utilisation de la carte mentale, sont des outils qui fonctionnent. L’exposé sous forme orale ou écrite permet aux élèves de réaliser des recherches supplémentaires, et de synthétiser, ce qui n’est pas forcément évident pour eux.

Je me rappelle d’un élève «zèbre» à qui j’avais demandé de réaliser une affiche expliquant les principes de base de l’héraldique, qui serait exposée lors d’une journée médiévale au collège. Cet élève s’est passionné pour son sujet au point de connaître des termes de description très pointus (« contre-fascé », « gironné », « parti mi-coupé » …), il est reparti ravi du CDI, mais n’a jamais réalisé l’affiche. Le risque pour le haut potentiel est évidemment de se laisser entraîner par sa passion, jusqu’au hors-sujet. Ce qui serait difficilement réalisable sur un temps de cours classique est largement admissible dans l’espace du CDI, qui invite aussi à se perdre dans les rayonnages, pour apprendre, rêver ou laisser parler sa créativité.

Gabrielle – CE2