Lundi, 9h45. Lucas, un petit garçon de 6e, entre dans le CDI en larmes : « Monsieur, Enzo m’a dit que je ressemblais à une carotte… ». Bon, OK, on commence fort la semaine. Moi qui pensais naïvement que la rousseur n’était plus un sujet de moquerie depuis belle lurette, je m’aperçois que certains préjugés ont la vie dure… Je tente d’en savoir plus. «Ben, Enzo, il dit que je sens mauvais, et qu’on dirait que je suis tombé dans un pot de peinture… ». Euh, oui… Ben on va aller lui parler à Enzo, hein ? Et puis tu sais quoi, Lucas, moi je rêve d’avoir des cheveux comme les tiens !
Cliché, vous avez dit cliché ?
Sorcières, traîtres, femmes fatales ou souffre-douleur… les croyances populaires, les textes, puis les médias et les réseaux sociaux, associent régulièrement la rousseur à certains clichés tenaces, dont beaucoup de nos élèves souffrent. À l’image de la blonde idiote, ou du brun ténébreux, rousses et roux se voient régulièrement catalogués par une série de préjugés.
Longtemps, la rousseur a fait peur, associée à l’idée du mal, du feu, voire de l’enfer… Dans son roman Sorcière blanche, Anne-Marie Desplat-Duc brosse le portrait d’une jeune femme qui va peu à peu découvrir qu’elle possède des dons étranges. Agathe de Préaut-Aubeterre est née dans une prison de Rennes à la fin du xviie siècle. Contrainte de suivre sa mère aux Caraïbes, Agathe est initiée aux secrets de la nature, aux pouvoirs des plantes. Mais la jeune femme marche sur des œufs : sa rousseur et ses connaissances lui font courir bien des dangers… Il lui faudra se battre pour en faire des atouts, et trouver sa place dans une société qui n’est pas franchement prête à l’accepter.
Ces craintes associées à la rousseur ont la vie dure. Et se sont transformées petit à petit en méfiance, en moqueries, voire en dégoût. Parfois jusqu’au rejet et la violence. Dans le roman Signe distinctif roux, d’Anouk Bloch-Henry, Harold en fait chaque jour l’amère expérience. Il a probablement entendu à peu près tout le catalogue des insultes et des moqueries sur la couleur de ses cheveux. Des blagues, bien entendu, de très bon goût, dont ses camarades usent et abusent parfois sans véritablement en saisir la portée. D’autres attaques se font plus violentes, et, porté par les réseaux sociaux, c’est un véritable hallali qui s’orchestre peu à peu. Si les groupes se contentent au départ d’insultes groupées, très rapidement la situation dégénère, et c’est l’escalade de la violence. Heureusement, Harold pourra compter sur ses amis pour lutter. Abordant le thème du harcèlement et de la négation de la différence, ce roman met le doigt sur les comportements des adolescents lorsqu’ils sont portés par le groupe, dans l’excitation du moment. Un roman fort. Les moqueries, Mylène en a également beaucoup souffert dans le roman M comme…3 de Yaël Hassan. Si son passage à l’école primaire a été plutôt tranquille, les choses se gâtent au collège : les insultes se font plus fréquentes, et même les meilleures amies de Mylène finissent par lui tourner le dos. Mais Mylène a une idée. Elle propose aux adultes de son collège de mettre en place un système de médiation pour améliorer les choses. En devenant médiatrice, elle découvrira qu’il n’est pas simple de gérer les conflits, mais qu’il suffit souvent d’un peu de calme et de communication pour améliorer les choses. Chaque chapitre de ce roman s’ouvre sur un mot commençant par la lettre M : un fil directeur de lecture qui rend l’accès au texte particulièrement agréable.
Cette violence monte d’un cran dans le roman Le Monophone, d’Elisabeth Zöller. Sur la place d’une ville vient de s’installer un étrange gramophone géant. Appelé le «monophone», gardé par un groupe de personnes caractérisés par des chemises noires, il diffuse une musique qui rend les gens mystérieusement heureux. Peu de temps après son installation, le premier ordre arrive : toutes les personnes qui ont des taches de rousseur doivent se présenter près du monophone, et partent pour une destination inconnue qui leur est présentée comme un privilège. Puis ce sont les rousses et les roux qui sont appelés, suivis par les myopes… Mais personne ne revient, et l’angoisse et le doute commencent à gagner la population. Les chemises noires sont de plus en plus violents. Des groupes se créent, on tente d’embrigader les enfants et les adolescents; peu à peu, la résistance s’installe… Dans ce roman dont l’allusion au nazisme est à peine voilée, les habitants d’une paisible ville découvrent peu à peu l’horreur cachée derrière de belles paroles. Quand une simple différence de couleur de cheveux peut mener au pire. Un récit glaçant.
Rebelle(s) ?
La rousseur est souvent associée à l’idée de caractère fort, indépendant, voire de meneur. On pensera bien entendu immédiatement à Zora la rousse, qui a enchanté nos après-midi au début des années 1980 (je vous parle d’un temps…). Mais qui se rappelle qu’avant d’être une série télévisée, Zora la rousse est un roman de Kurt Held ? On suit dans ce roman les aventures de cette jeune fille « meneuse de bandes », en Croatie, sur la côté dalmate. Un groupe d’orphelins qui vivent comme ils le peuvent dans une forteresse, et passent une partie de leur temps à jouer des tours aux habitants qui les considèrent comme des sauvages… Une histoire inspirée de personnages réels, que Kurt Held avait rencontrés lors d’un voyage en Croatie en 1941. En version française, le roman parut tout d’abord en 1959 sous le titre Zora la rouquine, puis en 1980 sous le titre Zora la rousse et sa bande, aux éditions L’école des loisirs. La chevelure flamboyante de Zora semble être un écho à son caractère. Elle mène sa troupe de main de maître. Et comme le dit l’inoubliable générique : « Zora rebelle, Zora l’espoir t’appelle, toi la sauvageonne au coeur pur ». Un ouvrage désormais épuisé. Une réédition, l’école des loisirs ?
Boby également a des allures de jeune caïd dans le roman Mado m’a dit, de Christophe Leon. La description qu’en fait l’auteur est sans équivoque : «Petit. Teigneux. Le poil roux. Le genou cagneux. Les cheveux hirsutes. Des dents plantées de travers.» Entre son physique et son histoire – il est «né Souzixe» –, Toby semble devoir attirer les moqueries. Mais son charisme et sa couleur de cheveux le rendent également mystérieux, attirant, et toutes les filles du collège en sont folles. Aussi, lorsqu’il croise la route de Mado, une vieille dame hors du commun, leurs destins semblent croisés. Tous deux ont subi le rejet, les railleries. Une étonnante amitié commence entre ces deux personnages que tout semblait pourtant opposer au départ. Un roman choc, coup de poing. Une ambiance parfois pesante, oppressante, à l’image des tourments que vivent Boby et Mado.
La rousseur comme atout !
Mais si les clichés ont la vie dure, la rousseur semble prendre une revanche bien méritée. Dans le très bel album La Couronne, illustré par Annelise Heurtier, sur un texte d’Andrea Alemanno, Lou découvre à ses dépens ce qu’être rousse peut vouloir dire. Lors d’un cours de danse, une nouvelle élève, à la blondeur éblouissante, est totalement choquée qu’une jeune fille rousse puisse faire partie du spectacle de danse. Sa rousseur pourrait gâcher l’harmonie colorée des tutus et des chignons ! Bouleversée, la jeune fille se coupe les cheveux. Mais lors d’un spectacle à l’opéra, Lou est subjuguée par la danseuse étoile. Une danseuse magnifique, qui reçoit une salve d’applaudissements, et dont la longue chevelure rousse se dévoile à la fin du spectacle… Lou comprend alors que ses cheveux peuvent être un indéniable atout. Un album magnifique, dans lequel les personnages baignent dans une ambiance colorée riche en couleurs, dans des camaïeux d’orange, de rouge et de brun.
Car la rousseur est également associée à la créativité, l’originalité, la puissance. Des qualités plebiscitées dans nos sociétés modernes, et que de nombreuses œuvres de littérature jeunesse mettent en avant. Dans l’album Thomas la magicien, de Sébastien Perez et Clément Lefèvre, le jeune Thomas a reçu un héritage pas forcément simple à porter : il s’appelle Thomas Edison. Pour lui, il n’y a aucun doute : il sera aussi créatif et inventif que son illustre prédécesseur ! Mais tout ne se passe pas comme prévu. À l’école, Thomas est différent. Mais sa rousseur ne semble pas un problème. Au contraire, elle entretient son image de savant surdoué et étourdi. D’inventions farfelues en situations gênantes, Thomas finira par découvrir son véritable talent… Cet album, de grand format, est un régal de lecture. Les couleurs chatoyantes, la douceur du trait créent une ambiance feutrée, riche et chaude, qu’il est difficile de quitter.
La Couronne, Annelise Heurtier
Deux incontournables
Impossible, bien entendu, de ne pas mentionner le petit Poil de carotte, de Jules Renard. Et nous avons choisi aujourd’hui une bande dessinée inspirée du roman autobiographique. Poil de carotte, de Lemoine, Cécile et Mariacristina Federico, relate l’histoire de ce jeune garçon, souffre-douleur de sa mère, et que son père ne comprenait guère. Mis de côté pour sa rousseur, c’est à lui qu’échoient la plupart des corvées. Dans un camaïeu de brun et d’orangé, cette belle bande-dessinée propose un agréable moment de lecture, et permet une découverte différente de ce personnage.
Coup de coeur final pour le documentaire Être(s) roux, regards croisés sur une singularité, aux éditions Goater. Ce bel ouvrage propose de nombreux témoignages, nous permettant de découvrir comment jeunes et moins jeunes ont vécu et vivent aujourd’hui leur rousseur. La rousseur dans l’art, dans les réseaux sociaux, dans l’Histoire… Une approche très intéressante, richement documentée et illustrée font de ce livre un ouvrage indispensable dans nos rayons.
C’est à Grenoble, du 22 au 24 mars, que le 11e congrès des professeur.e.s documentalistes de l’Éducation nationale organisé par l’A.P.D.E.N. s’est tenu, sur le thème : « la publication sur le web, un objet pédagogique et didactique ». L’occasion de conférences, tables rondes et ateliers qui ont vu des interventions riches de la part d’acteurs variés, offrant aux congressistes une réflexion porteuse pour alimenter notre pratique professionnelle. Comme à chaque opus, les actes du congrès publieront sur le site dédié l’intégralité des interventions. En attendant, Timothée Mucchiutti, qui s’est fait l’envoyé spécial d’Intercdi, nous livre sa synthèse, sous forme de sketchnote !
Entrée au sein du comité de rédaction d’InterCDI en 1990, Véronique Delarue a partagé, avec enthousiasme et à longueur de numéros, ses réflexions sur l’évolution de notre mission et ses prises de position pour la défense de notre métier. C’est à ce titre qu’en 2010 elle a été élue à la tête de l’association à la suite de José Frances et qu’elle signait son premier éditorial :
« Responsable et engagée ». Une profession de foi qu’elle n’a jamais démentie et que nous continuerons à défendre. Portée par de nouvelles fonctions, elle n’a pas souhaité renouveler son mandat. Gabriel Giacomotto a pris le relais en avril 2019, bien déterminé à poursuivre le travail de ses prédécesseurs.
Nous tenons à rendre hommage à Véronique pour toutes ces années où elle a incarné notre revue et s’est battue avec passion pour la reconnaissance de la spécificité de notre identité professionnelle. Dans cette période où, chacun le sait, la presse subit de fortes tempêtes, elle a su tenir la barre d’une main ferme et maintenir le bateau à flot. C’est en partie grâce à elle si nous sommes une des seules revues pédagogiques de l’Éducation nationale rescapée de cette lame de fond qui a balayé quasiment toutes les autres.
Nous la remercions chaleureusement pour ces années de passion, d’exigence et de sacrifices personnels et sommes fiers de vous présenter ce dernier numéro réalisé sous sa direction.
Partie pour un nouveau périple et de nouvelles aventures nous lui souhaitons bonne route. Nous garderons le cap…
À la rentrée littéraire 2018, vous publiez votre premier roman Ça raconte Sarah, aux Éditions de Minuit.
Vous obtenez très rapidement le Prix des libraires de Nancy-Le Point, le Prix Envoyé par La Poste, le prix du Style, le prix du Roman des étudiants Télérama-France Culture, enfin vous restez la seule femme parmi les cinq derniers candidats pour le prix Goncourt. Comment avez-vous vécu ce tourbillon de récompenses et de reconnaissance ?
J’ai vécu tout cela petit à petit, jour après jour, en allant de surprise en surprise. Il se trouve que je ne pensais pas voir ce roman édité un jour, alors sa publication a été la première et immense surprise, puis l’accueil critique qui lui a été réservé, dans l’été, m’a profondément émue. J’ai été plus que stupéfaite d’apprendre qu’il était sélectionné sur les grandes listes des prix d’automne (le prix Goncourt, le prix Médicis, le prix Décembre…) et enfin les rencontres avec les différents publics, dans les librairies et ailleurs, n’ont fait que continuer à me surprendre, et à me ravir !
Depuis quand écrivez-vous ?
Pensiez-vous un jour être éditée ?
J’écris depuis mon entrée en sixième où j’ai eu un professeur de français formidable qui m’a donné envie d’écrire, et j’écris de manière quasi quotidienne depuis l’adolescence. Je ne pensais pas un jour être éditée, vivant l’écriture comme une activité intime et secrète. Jusqu’au jour où j’ai décidé d’envoyer mon manuscrit, car j’allais avoir trente ans et je voulais savoir si je pouvais poursuivre ce rêve d’être écrivain ou s’il fallait que je change de projet.
Quelle relation avez-vous eue avec votre éditeur/éditrice aux Éditions de Minuit ? Avez-vous retravaillé votre texte, quels changements cela a-t-il produit ?
Mon éditrice, Irène Lindon, qui dirige les Éditions de Minuit, n’a pas souhaité beaucoup toucher le texte. Elle m’a demandé de retravailler un peu la deuxième partie, mais elle l’a pris pratiquement tel quel dans l’ensemble.
Depuis la parution de votre roman, vous sillonnez la France à la rencontre de vos lecteurs, mais avez-vous eu des retours de vos collègues ou de vos élèves ?
Mes collègues sont divisés par rapport à la publication de ce roman. Certains l’ont lu et m’ont dit tout le bien qu’ils en pensaient, d’autres l’ont lu mais ne parviennent pas à m’en parler et puis d’autres refusent tout simplement de le lire… c’est normal et cela ne m’atteint pas plus que ça. C’est un texte qui divise et c’est très bien qu’il ne fasse pas l’unanimité ! Quant à mes élèves, j’ai un petit groupe de fans en terminale L. Ce sont des élèves que j’aime beaucoup et qui sont venus me faire dédicacer leurs exemplaires, me parler du processus d’écriture, etc. Je suis très touchée, cela dit, par l’accueil des collègues des autres établissements, certains ayant mis Ça raconte Sarah en lecture intégrale pour le bac, me faisant venir pour intervenir dans leurs classes… et puis avec la rencontre, dans toute la France, de centaines de lycéens dans le cadre du prix Goncourt des lycéens. C’était des moments magiques et inoubliables.
Depuis quand êtes-vous professeure documentaliste ? Pourquoi avoir choisi ce métier ?
Cela fait six ans que je suis professeure documentaliste. J’ai choisi ce métier car c’était une évidence pour moi que d’évoluer au milieu des livres tout en m’ouvrant à d’autres domaines comme le numérique et l’information. J’aime beaucoup la relation aux élèves que notre statut induit, elle me plaît infiniment. Et, depuis quatre ans, je mène des PEAC assez importants. Ce sont des projets interdisciplinaires qui concernent trois classes et trois disciplines différentes. Mon rôle est d’inventer et de concevoir les projets, de trouver une institution culturelle capable de prendre en charge cette action dans son accueil des publics, de trouver les collègues motivés pour travailler dessus toute une année à mes côtés, de trouver les subventions nécessaires et l’institution culturelle qui pourra être notre partenaire, d’organiser les réunions entre les différents acteurs du projet, d’organiser les sorties (visite de musée, visite à la Maison de la radio), et d’organiser les ateliers artistiques évidemment. Chaque année, le PEAC donne lieu à l’édition d’un livre que je supervise. Mon rôle est donc de maquetter ou d’assister le maquettage du projet, mais aussi d’être en lien avec une imprimerie. C’est passionnant car ce sont des projets qui brassent un certain nombre de corps de métier et qui ouvrent des horizons inédits.
Pouvez-vous nous présenter votre projet de cette année : Et partout où j’irai je serai étranger
Pour l’année 2018-2019, nous avons travaillé autour de la question de l’exil avec une professeure d’histoire-géographie, une professeure de lettres et une professeure d’arts plastiques, en lien avec le Musée National de l’Histoire de l’Immigration (MNHI) qui se trouve au Palais de la Porte Dorée à Paris.
Trois classes (deux classes de 2de et une classe de 1re) sont allées voir l’exposition temporaire au MNHI intitulée Persona grata comme amorce au projet pour lancer des réflexions autour des questions de l’exil, de l’hospitalité, etc. Une classe de 1re a ensuite travaillé avec un écrivain, Arno Bertina, lors d’ateliers d’écriture ayant lieu au musée. Ils ont produit des textes de fiction selon trois consignes données par l’auteur. Une classe de 2de a travaillé avec deux documentaristes d’Arte Radio lors d’ateliers radio au lycée puis au musée, produisant plusieurs capsules sonores et plusieurs fictions radiophoniques. Enfin, une classe de 2de a travaillé de manière plastique avec un plasticien, Princia Itoua, et une illustratrice, Magali Attiogbé lors de deux journées de workshops intensifs.
L’ensemble de ces travaux (textes, sons, œuvres plastiques) font l’objet d’une exposition conçue et réalisée par les élèves des trois classes (du choix du titre, en passant par l’affiche, la création des cartels, l’écriture des textes de présentation, etc.) et accrochée in situ pendant une semaine dans les murs du musée. L’exposition s’intitule Et partout où j’irai je serai étranger. Le catalogue de l’exposition, regroupant la totalité des travaux des élèves, sera offert à chacun d’entre eux lors du vernissage.
Après cet événement, qui signe la clôture du projet, il me reste encore à rédiger des rapports détaillés pour chaque institution nous ayant subventionnés (la région et le département, principalement).
Dans votre roman, la narratrice se présente comme professeure mais ne précise pas qu’elle est documentaliste, la seule allusion est une scène où elle couvre des livres, pourquoi ce parti pris ?
Je ne voulais pas tellement que ça soit important dans le roman, il n’y a rien de bien important si ce n’est la passion entre les deux personnages.
On retrouve la précision de la professeure documentaliste dans de courts paragraphes informatifs qui parcourent votre roman : la définition des mots passion ou latence, l’origine du nom de la ville des Lilas, les Quatre saisons de Vivaldi, Mon manège à moi d’Edith Piaf, quelle est leur fonction ?
Ces paragraphes d’écriture que j’appelle, pour moi-même, objective, ont plusieurs fonctions. La première est d’aérer le récit, qui est dense et intense, de ménager des pauses dans la passion fulgurante qui prend les personnages et qui entraîne le lecteur dans un tourbillon. Mais ils ont aussi une fonction plus particulière : la narratrice, bouleversée par cette histoire d’amour qu’elle n’attendait pas, a souvent l’impression que ce qu’elle vit est sur-réel, à côté du réel. Plonger dans l’encyclopédie, y chercher des choses très concrètes ayant toujours rapport avec ce qu’elle vit, lui permet de reprendre pied, de toucher du doigt la réalité de ce qui lui arrive. Enfin, chaque définition est écrite de manière à faire sens, car, dès lors qu’on est amoureux, le réel a tendance à parler, à être composé de signes qui montrent une route, un chemin. Aucun de ces paragraphes d’écriture objective n’a été écrit par hasard, tout y est pensé pour faire écho à des choses qu’ont vécues ou que vont vivre les protagonistes.
Quand trouvez-vous le temps d’écrire ?
Avez-vous besoin de conditions particulières ?
En me levant très tôt, de cinq heures à sept heures du matin, qui est l’heure du réveil de ma petite fille que j’élève seule. Ou pendant les vacances scolaires, qui sont un des avantages de notre métier (rires). J’ai besoin de silence et de solitude. Je suis quelqu’un de très solitaire, dans le fond. Et si je ne me trouve pas chez moi, alors c’est encore mieux !
À la lecture, on sent votre plaisir d’écrire, en utilisant des mots rares : des yeux malachite, ou de poétiques allitérations : une étole à étoiles.
Écrire c’est que du plaisir (comme on dit maintenant) ?
Ohlala non, c’est aussi, pour ma part, une activité très éprouvante, qui me demande beaucoup d’énergie et de courage. Il y a une grande jubilation, c’est vrai, quand on avance bien, qu’on trouve une bonne phrase ou l’adjectif parfait… mais la plupart du temps c’est un travail ingrat qui ne fait pas que du bien !
Sarah est violoniste, la musique, dans la première partie est omniprésente, l’est-elle également dans votre vie ? Vous accompagne-t-elle dans votre écriture ?
Comme je vous le disais, il me faut plutôt un silence parfait pour parvenir à écrire dans de bonnes conditions. Mais, dans tout le reste de ma vie, la musique est primordiale et m’accompagne très souvent. J’aime en écouter, j’aime en voir sur scène, et, plus jeune, j’ai beaucoup aimé en jouer aussi.
La seconde partie de votre roman se déroule à Trieste, où séjourna James Joyce, pourquoi cette ville ?
C’est une ville où j’ai eu un immense choc esthétique lorsque je m’y suis rendue, un peu par hasard, seule, pendant deux jours, il y a quelques années. C’est une ville à l’atmosphère toute particulière, où j’ai le sentiment qu’on peut vraiment s’inventer une nouvelle existence. Tout est permis, à Trieste. Toutes les langues sont parlées dans les rues, l’italien, le français, le slovène, l’allemand… Il y a une place où une synagogue fait face à une église, il y a la mer absolument superbe dans le port autrichien et la même mer, magnifique, vue depuis le port naval désaffecté et tout pourri ; on peut rester dans la vieille ville somptueuse ou se perdre dans les ruelles de la colline qui grimpe au-dessus de la ville. Et puis il y a ce vent fou qui souffle dans les rues, et l’esprit des poètes que j’aime qui flotte sur la ville, Umberto Saba, Rilke, Joyce et puis mon cher Franck Venaille, qui m’a donné envie d’y aller.
On croise beaucoup d’écrivains tout au long de votre roman : Annie Ernaux, Aragon, Shakespeare ; mais celui qui accompagne la narratrice c’est Hervé Guibert, que représente-t-il pour vous ?
Hervé Guibert est une figure tutélaire pour moi, un gentil fantôme qui me quitte rarement. Pour l’écriture de ce livre, il m’a accompagné à sa façon, et notamment parce qu’il a écrit Fou de Vincent dans lequel il y a cette phrase que je me répétais comme un mantra pendant l’écriture de mon roman : « Qu’est-ce que c’était ? Une passion ? Un amour ? Une obsession érotique ? Ou une de mes inventions ? »
Vous pratiquez également la photographie, vous réalisez des courts-métrages, ces moyens d’expression sont-ils complémentaires de votre écriture ?
Oui, je crois que je ne peux pas me contenter des mots, qu’il me faut les images aussi. Je tiens un journal photographique en couleurs et un autre en noir et blanc. J’aime beaucoup m’essayer au cinéma aussi, j’ai fait quelques petits courts-métrages pour m’amuser mais j’y ai mis beaucoup de cœur.
À propos de cinéma, vous citez Domicile conjugal de Truffaut, est-ce parce que Claude Jade y est violoniste comme votre héroïne ou par affection pour le cinéaste ?
J’aime le cinéma de Truffaut et notamment le cycle des Doinel, et ce film précisément fait sens dans le récit au moment où il est cité, il fait écho avec ce que vivent les deux amoureuses. Il était important pour moi de glisser des références dans le roman pour donner envie à la lectrice ou au lecteur de poursuivre ensuite la lecture en allant écouter des musiques, lire des livres, voir des films, aller au musée… que mon roman s’inscrive à côté d’autres, qu’il soit entouré par des œuvres talismans.
Dans quelle mesure Ça raconte Sarah, cela raconte un peu Pauline ?
Il y a beaucoup de moi entre ces pages, oui, mais je crois que c’est toujours un peu le cas lorsqu’on crée quelque chose. Il y aura probablement encore un bout de moi dans mon prochain roman, qui sera pourtant, c’est sûr, radicalement différent de celui-ci !
« Alors c’est comme ça ? La vie peut s’arrêter, l’amour peut mourir, et ce monde peut continuer, juste à côté, dans le même temps, dans le même espace, à étinceler de beauté ? »
Espace contributif de réflexion portant sur les communs numériques qui pourraient être mis au service
de l’intérêt général, suite au colloque NEC organisé par la Mission Société Numérique, La MedNum et l’association Ping, les 13 et 14 septembre 2018 à Nantes. La synthèse consultable en ligne s’articule autour de quatre thématiques : #Inclusion apprendre le numérique, s’insérer grâce au numérique ; # Données : ouvrir et protéger les données, réconcilier les injonctions contradictoires ; #Lieux : concevoir les lieux hybrides où s’incarne l’utilité sociale du numérique ; #Communs : écrire un cadre facilitant la création et l’utilisation des communs du numérique.
https://societenumerique.gouv.fr/wp-content/uploads/2019/01/NEC_V_0801_web3.pdf
Electro à la Cité de la musique
L’exposition Electro de Krafwerk à Daft punk à la Philharmonie de Paris du 9 avril au 11 août 2019 explore l’histoire de la musique électronique : machines, genres ou styles musicaux ; ses relations avec la science-fiction : utopies, dystopies ; causes défendues : lutte contre le racisme, l’homophobie. La salle des machines retrace l’évolution des instruments électroniques : musique électroacoustique, synthétiseurs analogiques et samplers. Les principaux musiciens du genre sont présents : Krafwerk (The robots 1978, Computer love, 1981) Daft Punk (Technologic, 2005), Jean-Michel Jarre (Oxygène, 1976). Ambiance sonore et visuelle garantie. Catalogue de l’exposition disponible sur le site (Catalogue, éd. Textuel, 256 p., 45 €). https://philharmoniedeparis.fr/fr/expo-electro
Les grands discours
La première saison de la série documentaire diffusée par Arte sur l’histoire des grands discours est accessible via une plateforme en ligne spécialement dédiée. Le site rassemble, entre autres textes, « No Pasarán » de Dolores Ibárruri, « Let Europe arise ! » de Winston Churchill et « I have a dream » de Martin Luther King. La deuxième saison est disponible sur le site d’Arte.
http://lesgrandsdiscours.arte.tv/fr/
Robots à la cité des sciences
La nouvelle exposition permanente Robots de la Cité des sciences et de l’industrie à Paris nous questionne : «Qu’est-ce qu’un robot exactement ?» Selon le commissaire de l’exposition, Vincent Blech, «L’objectif c’est de démythifier les robots». L’exposition se compose de six parties : Robot, pas robot ?; Dessine-moi un robot; Au labo les robots !; Vivre avec les robots ?; Le salon robotique; TROBO, installation artistique.
www.cite-sciences.fr/fr/au-programme/expos-permanentes/expos-permanentes-dexplora/robots/lexposition/
Lecture numérique
Babelio sur smartphone
L’application de Babelio est disponible depuis janvier 2019 sur Android et IOS. Elle permet de gérer sa bibliothèque, de trouver des informations sur un livre en scannant le code-barres, de découvrir les lectures de ses amis et de consulter les critiques d’un ouvrage. À terme, il sera possible de faire des critiques via l’application. À destination des grands lecteurs, l’appli a été téléchargée plus de 4 000 fois en janvier 2019.
L’OVNI, application littérature
Sept œuvres courtes sont proposées chaque mois au lecteur dans un catalogue d’une trentaine d’éditeurs francophones. Frédéric Martin, de la maison d’édition Le Tripode, est à l’origine du projet qui est soutenu par la région IDF, la Métropole de Rennes, le Salon du livre de Paris, le Pass culture et les Librairies indépendantes. L’application est gratuite pendant la phase de test jusqu’en octobre 2019. Après cette date, l’offre sera hebdomadaire et payante. https://lovni.com/
La Traviata en BD sur Insta
Sur le compte d’Arte concert sur Instagram, une adaptation de la Traviata de Verdi en anime de 30 épisodes est parue en mars 2019. La voix de Violetta dans l’opéra Instraviata est chantée par la soprano Elsa Dreisig, révélation artiste lyrique aux Victoires de la musique classique 2016. Cette adaptation modernisée et inédite de la Traviata a été produite dans l’objectif de toucher le jeune public par les réseaux sociaux.
Youbox chez SFR et Free
Les deux opérateurs ont intégré dans leurs abonnements la lecture numérique en streaming via Youbox. Gratuit selon l’abonnement (jusqu’au 31/01/2020 chez Free, 30/06/2019 chez SFR), le catalogue de l’application Youbox One offre de très nombreux livres (Romans, BD, documentaires…) avec possibilité de lecture hors connexion pendant 30 jours. Sur Android et IOS, il suffit d’utiliser les identifiants SFR ou Free sur l’application après l’avoir téléchargée sur l’App store ou Google Play.
Base de données
Art Institute of Chicago
Le musée met à disposition gratuitement l’accès à plus de 52 000 œuvres de son catalogue. Toutes les images sont sous licence Creative Commons Zero (CC0). La recherche des œuvres s’effectue via de nombreux filtres, parmi lesquels : auteurs, références et thématiques. En cas de réutilisation des contenus, le musée exige qu’une légende soit inscrite selon le modèle suivant : Artiste. Titre, Date. Art Institute of Chicago. www.artic.edu/
Charlie Chaplin Archive
Les archives professionnelles et personnelles de Charlie Chaplin ont été numérisées par la Fondation Cinémathèque de Bologne. D’une grande diversité et très bien préservées, elles regorgent de documents tels des scénarios, des photographies, des lettres, des poèmes, des dessins, des magazines, des bandes dessinées… Options de recherche : mode simple ou avancé avec de nombreux filtres. Plateforme uniquement en anglais ou italien. www.charliechaplinarchive.org/en
Fiabilité de l’information
Data Science vs Fake
Série de films d’animation de 3 min. qui tournent autour des idées reçues ou des fausses informations en les confrontant à des données chiffrées. Produits par Universcience, France TV Éducation et l’IRD, ces films, dont voici quelques titres, sont diffusés sur la plateforme d’Arte : C’est la fin du pétrole, On ne meurt plus du sida aujourd’hui, Les éoliennes et la mortalité des oiseaux, Le cancer est la première cause de mortalité, On voit la Muraille de Chine de la lune, Les garçons sont meilleurs en science…
www.arte.tv/fr/videos/RC-016740/data-science-vs-fake/
Droit et données personnelles
Données personnelles de l’éducation nationale
Dans un cadre pédagogique, le ministère de l’éducation nationale, des établissements scolaires et des professeurs utilisent les outils des GAFAM. Toutes les données collectées par les géants du numérique peuvent être traitées par des algorithmes, lesquels permettent de reconstituer des identités grâce aux traces laissées par les internautes. Dans le RGPD, les données scolaires ne sont pas des données sensibles. On attend avec impatience «le code de conduite» sur les responsabilités dans le traitement des données personnelles scolaires annoncé par le ministre de l’éducation nationale en août 2018.
RGPD : les épinglés de la CNIL
Depuis l’entrée en vigueur du Règlement Général pour la Protection des Données le 25 mai 2018, de nombreuses entreprises ont reçu une amende administrative. Pour éviter les condamnations, les sociétés s’étaient pourtant préparées en nommant des délégués à la protection des données. La CNIL a sanctionné entre autres Google LLC (50 millions d’euros), Uber (400 000 euros) et Bouygues Telecom (250 000 euros). Selon la CNIL, une prise de conscience des clients et des entreprises sur la nécessité de protéger les données personnelles s’est opérée depuis le RGPD.
Directive sur le droit d’auteur
Après trois années de négociations, le Parlement européen a adopté la directive controversée sur le droit d’auteur le 26 mars 2019. Cette directive prend en compte l’ère du numérique : la liberté d’expression et la juste rémunération des auteurs, c’est pourquoi les œuvres mises à disposition sur les plateformes des GAFAM sont désormais soumises au paiement de droits d’auteur.
Bug de la messagerie d’état, Tchap
L’application de discussion ultra sécurisée «Made in France» destinée aux services gouvernementaux ambitionne de remplacer Telegram ou WhatsApp, vulnérables aux espions. Hélas, dès son lancement le 17 avril 2019, une faille a été repérée… mais aussitôt corrigée. Tchap est hébergée sur des serveurs en France et est intégralement chiffrée. Cela suffira-t-il ?
Technologie
Panneau solaire du futur
La chercheuse Olga Malinkiewicz de l’Institut des sciences moléculaires de Valence en Espagne a mis au point un panneau solaire souple en utilisant la pérovskite. Cette matière atomique abondante naturellement dans le sol et facilement reproductible en laboratoire, a été travaillée pour la première fois à froid pour créer des cellules photovoltaïques. Grâce à cette nouvelle technique, la production à grande échelle de panneaux photovoltaïques est devenue possible, après plusieurs années de test. Dès 2019, 40 000 m ? de panneaux sortiront d’une usine polonaise.
Prix Turing 2018 : Yann LeCun
Pour ses travaux sur le Deep Learning (apprentissage profond), le chercheur français a reçu le prestigieux prix Turing qui récompense les personnes dont les contributions sont considérées d’une importance majeure pour les sciences informatiques. Diplômé de l’ESIEE Paris, Yann LeCun est actuellement directeur du laboratoire d’intelligence artificielle de Facebook et professeur à l’université de New York.
Radio numérique terrestre
La radiodiffusion numérique ou DAB+ (digital audio broadcast) devrait selon le CSA couvrir 70% du territoire d’ici 2020. La plupart des radios FM ont participé à l’appel d’offre en 2018 et ont obtenu un ou plusieurs canaux. Les nouveaux postes radios sont, en principe, compatibles avec la DAB+. Il faut néanmoins s’en assurer car, récemment, seuls les postes haut de gamme l’étaient réellement. Le détail de la couverture est accessible sur le site officiel du DAB+. À terme, la FM devrait disparaître comme en Suisse ou en Norvège.
No future…
Les robots des géants du livre numérique
L’autopublication et la numérisation des livres en masse sur les plateformes de Google, Apple, Amazon, Kobo et Wattpad, servent à alimenter les IA de ces éditeurs afin que celles-ci puissent créer leurs propres histoires. Volontairement ou involontairement, les auteurs aident les futurs robots auteurs qui seront leurs concurrents de demain.
Le web : 30 ans après sa création
En 1989, l’informaticien britannique Tim Berners-Lee crée le moyen de consulter la base de données du CERN (laboratoire de physique nucléaire européen) grâce à des liens hypertextes. Il vient de jeter les bases du réseau internet qui sera ouvert au monde entier en 1993. Dès la fin des années 90, les premiers mastodontes numériques apparaissent jusqu’à devenir omniprésents sur la toile de nos jours (GAFAM). D’espace universel, où chacun peut gratuitement et librement accéder à des ressources, le web est devenu un immense marché aux lois dictées par le capitalisme numérique dans lequel nos moindres gestes sont épiés puis commercialisés.
Il faut rappeler que les littératures de l’imaginaire éditées « en littérature adulte » peinent toujours à être reconnues par les médias classiques qui ne leur accordent que peu de place. La France est très attachée à sa littérature classique, dite « blanche », favorisée par l’école et le monde universitaire : les littératures de l’imaginaire ont été longtemps définies d’ailleurs comme une paralittérature. Aussi, en mars 2017, une pétition voit le jour à l’initiative d’éditeurs, auteurs, traducteurs et libraires, lançant un « Appel à la mobilisation des acteurs de l’imaginaire ». Ce manifeste de défense de ces littératures s’est prolongé par la création du « Mois de l’imaginaire » en octobre. Ces actions, inédites pour ce genre littéraire, ont été suivies par un état des lieux et une réflexion lors d’États Généraux de l’Imaginaire tenus lors du festival des Utopiales début novembre 2017 à Nantes. Un an plus tard est né l’Observatoire de l’Imaginaire1 qui va continuer à dresser un état de l’imaginaire en France et encourager les initiatives pour le soutenir dans la presse ou en librairie.
Ce manque de reconnaissance est toutefois à nuancer en ce qui concerne la littérature de jeunesse. Il semblerait que la situation soit un peu différente. En effet, la parution du cycle Harry Potter à l’aube des années 2000 est maintenant reconnue comme un tournant dans l’histoire éditoriale des littératures de l’imaginaire : un véritable phénomène sociologique et économique qui a ébranlé le monde de l’édition jeunesse, notamment en lui donnant de la visibilité, et qui a permis d’atténuer les frontières avec la littérature adulte. On mesure aujourd’hui, vingt ans après la parution du premier tome, son impact dans le milieu éditorial et sur le lectorat. Il est encore aujourd’hui le titre le plus vendu en France. Depuis, les littératures de l’imaginaire sont devenues le genre le plus plébiscité par les jeunes et le plus édité en littérature de jeunesse. Elles ont acquis une certaine légitimité, sont reconnues comme genre à part entière et tiennent une place de choix auprès des lecteurs et dans la culture médiatique. On peut citer désormais des œuvres repères, identifier des auteurs, établir des filiations, tracer une histoire. Depuis une quinzaine d’années, le milieu universitaire s’y intéresse, notamment Anne Besson qui en a fait sa spécificité après avoir soutenu sa thèse en 2001, mais aussi Laurent Bazin, Matthieu Letourneux, Christiane Connan-Pintado, Gilles Béhotéguy entre autres.
Caractéristiques de l’évolution des genres de l’imaginaire en littérature de jeunesse depuis 20 ans
L’influence anglo-saxonne
Plus décomplexées car non considérées comme mauvais genres, les littératures de l’imaginaire anglo-saxonnes ont toujours offert une production foisonnante et innovante. Certaines parutions ont été déterminantes et leur succès auprès des lecteurs a bousculé le monde de l’édition.
On peut noter un premier bouleversement dans les années 1990 avec le succès de la collection Chair de poule (traduction de Goosebumps). Dès 1992, les jeunes américains découvrent avec plaisir ces textes fantastiques de R. L. Stine, où la peur est associée au jeu. Publiée en France chez Bayard Poche en 1995, cette série d’ouvrages met en scène des enfants ou adolescents qui doivent faire face à des phénomènes étranges. Le plébiscite des jeunes pour ce genre est un premier coup de semonce envers les médiateurs et les éditeurs français. Le goût pour cette littérature populaire qui privilégie la distraction et qui s’éloigne des prescriptions de l’institution scolaire va modifier petit à petit le regard des adultes. À l’époque, les romans miroirs priment ; la plupart des collections pour adolescents proposent des fictions privilégiant une approche réaliste de la vie quotidienne et une qualité littéraire. La collection Chair de poule au format stéréotypé confirme le retour des séries, en retrait à l’époque. On assiste alors à une production de masse où le marketing prend une place prépondérante.
Un deuxième événement éditorial va avoir des répercussions encore plus importantes et provoquer un tournant décisif. C’est bien sûr le succès, en 1998, du premier tome d’Harry Potter, « cette lame de fond », comme le décrit Anne Besson, qui a bousculé un certain nombre de principes :
– un livre issu de la paralittérature est numéro un des ventes ;
– une longueur inhabituelle du roman, qui pourtant n’effraie pas les jeunes lecteurs ;
– un livre qui plaît aux jeunes ET aux adultes ;
– un grand format (16 x 24 cm) peu fréquent à l’époque dans l’édition pour la jeunesse qui privilégie plutôt le format poche ;
– la promotion de chaque tome, véritables événements internationaux et commerciaux ;
– le vedettariat de son auteur JK Rowling ;
– la mise en avant de la notion de cycle ;
– le lien avec les adaptations cinématographiques.
La trilogie À la croisée des mondes de Philippe Pullman confirmera l’émergence de ces ensembles romanesques, véritables locomotives pour tous les genres de l’imaginaire. Ils vont ouvrir la voie à une production importante, en plaçant les adolescents au centre des intrigues, dans des parcours initiatiques jonchés d’épreuves qui les mèneront à l’âge adulte.
Puis, deux œuvres connaissent un succès remarqué à la fin du XXe siècle : Twilight de Stephenie Meyer, tétralogie parue entre 2005 et 2008, fusion entre le roman fantastique et le roman sentimental qui renouvelle le mythe du vampire ; et Hunger Games de Suzanne Collins en 2008 qui développe une branche de la science-fiction : la dystopie. Ces deux cycles marquent également l’émergence d’une nouvelle catégorie de lecteurs : les jeunes adultes.
Notion de cycle
Aujourd’hui, on assiste à une systématisation de la littérature d’évasion en littérature de jeunesse sous forme d’ensembles romanesques appelés cycles. Selon Anne Besson, un cycle est constitué de plusieurs tomes conçus comme un tout, avec un personnage récurrent qui évolue. Il existe donc une évolution chronologique, un fil de l’histoire qui fait le lien entre les tomes, contrairement à la série où l’intrigue est différente à chaque volume. Dans Le Club des Cinq ou Le Clan des Sept, on retrouve les mêmes personnages – ils ont le même âge, leur situation a peu évolué – seule l’histoire à laquelle ils sont confrontés change. Ce format à épisodes plaît aux plus jeunes car la redondance est un socle nécessaire dans la construction de leur personnalité. La série allie donc le besoin de répétition des jeunes lecteurs au plaisir de la variation. Avec la parution d’Harry Potter, ces deux notions vont se mêler : chaque tome représente une année à Poudlard, on retrouve les mêmes personnages et rituels, formant un tout autonome. Mais les héros grandissent à chaque tome et doivent faire face à des épreuves de plus en plus difficiles. L’innovation la plus importante est sans doute d’avoir accordé le rythme de parution des livres à l’évolution physique des personnages (et des lecteurs ?).
Aujourd’hui, le cycle est la forme la plus répandue dans les romans de l’imaginaire pour adolescents car il paraît en adéquation avec ce passage de l’enfance à l’âge adulte, et accompagne le processus de maturation des adolescents et leur recherche d’identité.
Renouvellement des codes / Transgénéricité / Hybridation
Le roman de l’imaginaire en littérature de jeunesse se caractérise par un art du brassage et un mélange des genres. Cet affranchissement des frontières génériques permet alors à de nombreux éléments, communs à d’autres genres et traditions littéraires, de se croiser : le conte, la nouvelle, le roman historique, d’aventures, le genre fantastique, la fantasy, la science-fiction. Ces combinaisons donnent alors naissance à de nouveaux sous-genres (bit-lit, urban fantasy, steampunk). Ce métissage est sans doute la plus grande particularité du roman de l’imaginaire pour la jeunesse aujourd’hui. Les frontières sont de plus en plus fluctuantes et poreuses, et le roman de l’imaginaire pour la jeunesse devient un genre protéiforme. Les motifs, les personnages traditionnels des contes ou de la mythologie ont été modifiés, retravaillés et adaptés au monde moderne. Il est parfois difficile de classer ces romans dans tel ou tel genre. D’ailleurs, les collections autrefois étiquetées « SF » ou « fantastique » ont disparu pour se fondre dans une catégorie plus large : « les mondes imaginaires ».
Culture médiatique
Le livre est aujourd’hui un produit intégré dans un espace culturel globalisé. Il existe un va-et-vient systématique entre les différents objets culturels : le succès d’un livre incite à la réalisation d’un film ou vice-versa, la sortie d’un film redynamise les ventes des ouvrages. Il existerait donc une porosité entre les langages des différents médias, chacun apportant une spécificité aux autres. On peut définir ce passage d’une forme à une autre par le terme de crossmedia : une même fiction est déclinée simultanément sur plusieurs supports. Ce lien culturel ou système croisé entre audiovisuel et livre se révèle indispensable pour les adolescents. Ils naviguent entre tous ces médias, des livres aux films, aux séries télévisées, en passant par les jeux vidéo et internet. Pour eux, le livre est un objet culturel intégré dans d’autres usages.
Un nouveau public : les jeunes adultes (ou Young Adults)
Cette évolution est aussi due à un renouvellement du public ou à une colonisation d’un nouveau public : celui des grands adolescents ou jeunes adultes. Aujourd’hui, le temps de l’adolescence s’est étendu et est devenu un état qui se prolongerait jusqu’à 25-30 ans, et ce sont les genres de l’imaginaire qui ont permis l’émergence de ce nouveau segment éditorial. On peut alors parler de « littérature passerelle » entre les adolescents et les adultes. Nous assistons depuis quelques années au phénomène de la double exploitation d’un texte en rayon adulte et jeunesse. Un titre publié d’abord dans des maisons d’édition pour la jeunesse va l’être par la suite dans une édition pour adultes (et vice-versa d’ailleurs).
Les opportunités commerciales offertes par l’apparition de ce public ont modifié les stratégies éditoriales. Aujourd’hui, ce segment a remplacé la collection. Les éditeurs font le choix aujourd’hui, non plus de classer les romans par genre, mais par catégorie d’âge ou par format.
Changement des pratiques et des préférences de lecture des jeunes
Depuis le succès des romans de l’imaginaire dans les années 2000, les préférences de lecture des jeunes ont évolué. Pour Laurent Bazin2, avec le plébiscite de ces romans par les jeunes s’est opéré un basculement d’une prescription verticale (l’adulte propose) à une prescription horizontale (la communauté de pairs s’impose). En effet, il a mis en évidence l’émancipation des adolescents vis-à-vis d’une littérature patrimoniale, jusque-là légitime. La transmission culturelle ne se fait plus par les médiateurs culturels mais par le biais des réseaux sociaux, des groupes d’amis ou des communautés de lecture. Il parle alors de passage d’une culture de « pères » à une culture de « pairs ». Les adolescents se construisent une culture parallèle, en rupture avec celle connue jusqu’ici.
Une représentation de l’imaginaire d’aujourd’hui
L’explosion des romans de l’imaginaire au XXIe siècle correspond à une évolution des représentations de l’imaginaire. On peut considérer ces œuvres plutôt comme des produits commerciaux, mais il est indéniable d’y voir un reflet de la pensée d’aujourd’hui. Le point commun entre tous les romans de l’imaginaire, c’est le thème de la pluralité des mondes : univers virtuels, voyages entre les mondes, mondes idéaux (utopies), mondes apocalyptiques (dystopies), passé revisité (uchronies). Ce regain de popularité peut s’expliquer entre autres raisons par l’éclatement des certitudes au XXe siècle qui a provoqué chez les jeunes générations un engouement pour le virtuel, refuge contre l’opacité du réel et l’angoisse d’une société en perte de repères. La construction même de ces récits (enchâssés, polyphoniques), la fusion des temps qu’ils proposent accentuent la perte des repères et permettent de lutter contre l’immédiateté du présent.
Aussi, ces romans représentent-ils moins des phénomènes de mode que des réponses littéraires à un contexte politique troublé.
Le fonds BB ou une histoire de la littérature de jeunesse
Profitant d’un congé de formation après vingt ans d’exercice en tant que professeur documentaliste, je me suis inscrite au Master 2 professionnel Parcours Littérature pour la Jeunesse (dispensé à distance par l’Université du Mans). Dans ce cadre, j’ai eu l’opportunité d’effectuer un stage au secteur Patrimoine de la Bibliothèque municipale de Nantes et de découvrir le fonds Bermond Boquié. Véritable caverne d’Ali Baba pour une passionnée de littérature de jeunesse, ce fonds conserve de vrais trésors et témoigne de l’Histoire de la littérature pour enfants et adolescents.
Historique du fonds BB
Ce fonds spécialisé porte le nom de ses deux donateurs, Monique Bermond et Roger Boquié qui ont œuvré à la promotion de la littérature de jeunesse francophone comme critiques littéraires et producteurs d’émissions radio sur France Culture (Allô, allô, ici jeunesse en 1962 et Le livre : ouverture sur la vie en 1970). En 1999, ils font don à la ville de Nantes de 24 000 livres, enregistrements sonores et montages audiovisuels représentatifs de l’édition jeunesse depuis 1960.
Le Centre d’Information sur la Littérature Enfantine qui existait au sein de la bibliothèque municipale de Nantes depuis 1977 est alors rebaptisé Centre Bermond-Boquié, puis devient le Fonds Bermond-Boquié en 2014, et intègre le service Patrimoine à la médiathèque Jacques Demy. Aujourd’hui, Françoise Chaigneau et Claire Fruchard ont en charge ce fonds patrimonial et ont pour mission de le conserver, de l’enrichir et de le valoriser. Regroupant plus de 57 000 ouvrages, il est divisé en deux parties, l’une concerne la donation, l’autre est consacrée aux documents acquis grâce aux dons reçus notamment par des écoles en début des années 2000, aux services de presse des éditeurs et à des acquisitions.
La politique de conservation
Les ouvrages sont classés par ordre d’arrivée et par format couvrant plus de 700 mètres linéaires. Ils sont répartis selon 7 formats différents : les livres grand format de + de 35 cm ; de 25 à 35 cm (albums et documentaires) ; de 19 à 25 cm ; moins de 19 cm ; les formats « bâtards » ; les formats audio ; grand format à l’italienne.
Ce classement permet notamment de voir l’évolution des formats et des collections au cours des dernières décennies et de dresser des panoramas à partir des ouvrages du fonds.
Au niveau des formats, on peut faire plusieurs constats : « Dans la donation Bermond-Boquié (1960 à 1998), les livres grand format de plus de 35 cm étaient très peu nombreux (environ une cinquantaine), aujourd’hui nous en avons environ 400 », précise Françoise Chaigneau. Les albums grand format reviennent sur le devant de la scène ces dernières années avec de nombreuses publications pour les petits et les plus grands.
« À partir de 1998, le rayonnage des livres au format de 19 à 25 cm s’est considérablement développé, alors qu’auparavant celui des livres au format poche augmentait le plus rapidement ». En effet, moins onéreux, ce format couvrait l’ensemble des parutions pour les adolescents. Il a été détrôné par la sortie chez Gallimard Jeunesse d’Harry Potter en 1998. Le succès de cette saga auprès des jeunes a obligé les éditeurs à modifier leurs stratégies éditoriales. Progressivement, depuis les années 2000, les éditeurs lancent leur propre collection grand format dans un marché très porteur. Françoise Chaigneau ajoute : « les séries se sont alors multipliées, notamment dans les romans pour ado alors que nous avons moins de romans pour les plus jeunes. Nous nous limitons dans les séries aux trois premiers tomes. Nous sommes obligés, les magasins ne sont pas extensibles, il faut penser à la place… ».
La politique d’acquisition
L’enrichissement du fonds s’effectue donc d’une part par les livres envoyés par les services de presse des éditeurs et par des acquisitions. Douze revues professionnelles spécialisées en littérature de jeunesse sont dépouillées systématiquement. « Nous achetons en priorité les livres « coups de cœur » qui ne sont pas envoyés par le service de presse. Puis une partie de notre budget est dédiée aux livres anciens. Nous enrichissons le fonds en acquérant notamment des livres antérieurs à la donation, avant 1960 (134 par exemple sont antérieurs à 1900). Nous orientons nos achats notamment sur des albums illustrés et également en fonction de nos projets d’animations. Ces dernières années nous nous sommes procuré des abécédaires et nous les présentons aux scolaires lors de nos ateliers patrimoniaux ».
Mise en valeur du fonds
Ce fonds accessible à tout public est consultable à l’espace Patrimoine à la médiathèque Jacques Demy et s’adresse à tous ceux qui s’intéressent à la littérature de jeunesse : professionnels du livre et autres passionnés ou nostalgiques des lectures de leur enfance.
Cet espace de consultation permet d’avoir accès à des ouvrages de référence sur la littérature de jeunesse (l’Histoire, les contes, l’illustration, etc.), et aux revues professionnelles.
Les actions culturelles
Afin de valoriser ce fonds, des animations sont organisées en direction de différents publics. « Auprès du public adulte, une fois par an nous présentons les nouveaux titres les plus « remarquables » que la bibliothèque a acquis, patrimoines adulte et jeunesse confondus. Auprès des plus jeunes, nous proposons l’animation « Lecture d’hier et d’aujourd’hui » : trois à quatre fois par an, une comédienne vient lire des extraits de romans ou d’albums devenus des classiques. Le Petit Nicolas a eu beaucoup de succès ainsi que les romans de Roald Dahl et prochainement nous présenterons des albums de Sendak. Nous animons également des formations autour de l’Histoire du livre pour la jeunesse, destinés à des enseignants ou des professionnels du livre, par exemple sur les albums petite enfance (0-3 ans), ou en proposant des outils pour accompagner des élèves en difficulté de lecture.
Pour les jeunes des établissements scolaires de l’académie de Nantes, nous animons des ateliers patrimoniaux. L’atelier « À la découverte des abécédaires », nous donne l’occasion de mettre en valeur un florilège de livres de différentes époques. Les livres les plus anciens sont numérisés, nous les présentons sur tablette et nous montrons également des livres d’artistes plus récents. Sur le site de bibliothèque, à la rubrique Patrimoine, les lecteurs peuvent découvrir quelques titres qui sont numérisés au fil des présentations que nous faisons. Et enfin, nous exposons au sein de la médiathèque des livres issus des collections du fonds BB en lien avec des thèmes d’actualité (Printemps des poètes, Noël.) ».
La base de données LIVRJEUN
La bibliothèque municipale administre une base de données liée au fonds Bermond-Boquié. Elle travaille en partenariat avec l’association Nantes Livres Jeunes (association née à la suite de la donation qui a pour ambition de promouvoir la production éditoriale pour la jeunesse, dans la continuité du travail des deux critiques). Celle-ci anime des comités de lecture constitués de professionnels de la lecture qui chroniquent les livres reçus et enrichissent ainsi le site LIVRJEUN. Aujourd’hui, elle recense plus de 30 000 fiches critiques d’ouvrages pour la jeunesse.
Les projets
Une exposition sur les albums du Père Castor de 1931 à 1967 aura lieu à la médiathèque de décembre 2019 à fin février 2020 à partir des collections du fonds Bermond-Boquié. Entrés au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2018, ces ouvrages ont joué un grand rôle dans la démocratisation de la lecture en France. Paul Faucher, fondateur de cette collection enfantine en collaboration avec sa femme, l’écrivain tchèque Lida Durdikova, a fait appel à plusieurs illustrateurs venant des pays de l’Est influencés par différents mouvements artistiques dont le constructivisme russe.
INFOS PRATIQUES
Fonds Bermond-Boquié
Bibliothèque municipale de Nantes, Médiathèque Jacques Demy, Espace Patrimoine 24 quai de la Fosse
www.bm.nantes.fr
InterCDI a interrogé sur leurs parcours des collègues professeurs documentalistes du bout du monde : Hélène Charlet en poste au lycée Louis Massignon d’Abu Dhabi ; Nina Da Rocha-Huard en poste au lycée Blaise Pascal d’Abidjan ; Paule Maillet en poste au lycée François Mitterrand de Brasilia ; Mathilde Vendé, en poste à La Paz puis au lycée Eugène Delacroix d’Athènes ; et Aline Royer, en poste au lycée Français de Lomé.
Depuis combien de temps occupez-vous ce poste ?
Hélène Charlet : septembre 2014. Nina Da Rocha-Huard : 1 an. Paule Maillet : 1 an Mathilde Vendé : 1 an à La Paz et depuis 2 ans à Athènes. Aline Royer : septembre 2017.
Pourquoi avoir choisi un poste à l’étranger ? Comment avez-vous choisi le pays ?
H.C. : J’avais envie de partir à l’étranger depuis quelque temps, dans le cadre d’un projet de couple et de famille. Des vacances aux Émirats en 2013 nous ont fait aimer le pays, et regarder s’il y avait des postes en documentation ; par chance un poste a été créé à Abu Dhabi en janvier 2014 et je l’ai eu ! Toute la famille a suivi (3 enfants). C’est un pays surprenant, loin des clichés qu’on en a depuis la France, et qu’on a choisi pour la sécurité qu’il apporte aux enfants, le multiculturalisme, la tolérance de tous les modes de vie. N.D.R-H. : Parce que j’aime rompre la monotonie, changer de vie, recommencer. C’est une chance que de pouvoir vivre ailleurs et découvrir des choses qu’on ignore. J’évolue au fil de ces changements, je me sens enrichie chaque fois davantage. Je n’ai pas particulièrement choisi ce pays, mon objectif était de ne pas être en France. J’ai postulé à différents endroits et je suis allée là où j’ai été prise. P.M. : J’habitais déjà à Brasilia. M.V. : C’est un projet que j’ai toujours eu. J’avais envie d’expérimenter d’autres contextes et habitudes de travail. J’ai ciblé les pays qui m’attiraient. A.R. : J’ai toujours eu envie de travailler à l’étranger, et c’est en partie parce que cette possibilité existait dans l’Éducation Nationale que j’ai passé le Capes. Le Togo n’était pas mon premier choix. J’avais postulé sans succès pour le Chili, la Grèce, le Portugal et d’autres pays mais c’est l’envie de partir qui l’a emporté sur le choix de la destination.
Comment avez-vous obtenu ce poste,
sur quels critères de recrutement, avec quel statut ? H.C. : Procédure classique de recrutement sur le site de l’AEFE pour un poste de professeur résident. J’ai déposé un dossier et j’ai été appelée en mars pour dire que j’étais classée première sur la liste ; 15 jours plus tard on me confirmait que si mon détachement était accepté, le poste était pour moi. J’ai, par la suite, su que mon dossier avait retenu l’attention car en France je travaillais avec un partenariat avec le Louvre Lens ; et comme un Louvre s’apprêtait à ouvrir à Abu Dhabi, cet aspect de mon CV a paru correspondre aux attentes du proviseur. N.D.R-H. : Il fallait être titulaire du MEN. J’ai un statut de détachée directe ce qui signifie que je suis employée par une entreprise privée avec un contrat de résidente. Je ne bénéficie plus de la sécurité sociale et je ne suis pas obligée de cotiser pour la retraite. Cependant, je cotise auprès de la CFE (Caisse des Français à l’Étranger), la MGEN est toujours ma mutuelle et je verse une cotisation pour mes droits à la retraite. Je garde aussi le bénéfice de l’évolution de carrière. P.M. : J’étais responsable de communication à mi-temps ; une documentaliste à mi-temps est partie en retraite, j’ai postulé en interne. Je venais du monde de la culture. Je suis en contrat local.
M.V. : J’ai candidaté lors de la campagne de recrutement pour les postes de résidents dans le réseau AEFE. Elle a lieu chaque année en janvier. Concernant les critères, chaque établissement a sa propre grille mais les personnes qui ont des liens avec le pays d’accueil sont prioritaires. Il est recommandé d’avoir des certifications complémentaires. Pour ma part, j’ai un diplôme de FLE. La connaissance de la langue du pays d’accueil est un plus. A.R. : J’ai postulé 3 années de suite, sur une dizaine de postes à chaque fois, avant d’obtenir celui-ci avec le statut de résident. Il y a peu de postes de résidents vacants en documentation. Il n’y en a aucun avec le statut d’expatrié. J’ai axé ma lettre de motivation sur mes capacités d’adaptation (j’ai travaillé dans 6 établissements différents, du petit collège rural au lycée de plus de 2000 élèves) et sur mon double profil FLE-documentation (je suis titulaire de la certification FLE-FLS et j’ai exercé deux années en tant que professeur de FLE dans une UPE2A avant de partir). Le Lycée Français de Lomé a accepté ma candidature en mai 2017 mais le Rectorat de Montpellier a fait des difficultés pour accepter mon détachement. J’ai attendu mi-juillet pour avoir la certitude que je pouvais partir.
Hélène Charlet
Le fait d’être expatriée a-t-il eu des répercussions sur votre salaire ?
H.C. : Oui, mais pas celles attendues ! Le salaire paraît énorme sur le bulletin mais les loyers sont très très chers à Abu Dhabi (plus de 2 500 € par mois pour un appartement avec 1 chambre) et les frais de scolarité également (lycée payant même pour les enfants de profs, à près de 10 000 € par an). Je ne gagne pas d’argent en vivant ici, mais plutôt une expérience de vie, une richesse culturelle, une ouverture qui sont précieuses. N.D.R-H. : Oui, le salaire est plus élevé parce que l’on touche une indemnité de vie locale. Cependant, les loyers du pays dans lequel je vis ainsi que les produits de la vie quotidienne sont plus chers qu’en France si on fait le choix de conserver un certain confort. P.M. : Non, je suis en contrat local. M.V. : Je touche l’ISVL (Indemnité spécifique de vie locale, propre au statut de résident dans le réseau AEFE) en plus de mon salaire France. Lorsque j’étais en contrat local en Amérique latine, je touchais 1 100 dollars par mois (un peu plus de 900 €). A.R. : Pour les résidents, le salaire est majoré en fonction d’une indemnité de coût de la vie locale qui varie selon le pays. Le coût de la vie est bien moins élevé au Togo qu’en France mais actuellement, je gagne environ 500 € de plus que si j’étais documentaliste en France. Mon salaire est versé en euros sur mon compte français, ce qui pose un certain nombre de difficultés pour avoir des liquidités sur place. On touche également une prime d’installation qui compense le premier billet d’avion et les frais d’installation. Mon salaire mensuel est 45 fois supérieur au SMIG togolais, ça frôle l’indécence. Dans mon établissement, il y a des expatriés qui touchent jusqu’à trois fois leur salaire français, les résidents qui comme moi touchent un salaire français majoré, les enseignants français ou togolais qui sont recrutés en contrat local qui touchent environ la moitié, et enfin les agents de maîtrise et les agents d’exécution dont le salaire peut descendre très bas (pas plus de 100 € par mois). De telles disparités ne peuvent pas être sans conséquence sur l’atmosphère de travail et les relations entre collègues.
Comment s’est passée votre installation dans le pays ? Vous a-t-on aidé ?
H.C. : Difficile, car les lourdeurs administratives sont nombreuses aux Émirats et surtout, le CAPES n’est pas reconnu comme diplôme. Donc pour un poste de documentaliste il a été très long et compliqué de faire comprendre aux autorités que c’est un statut de professeur. J’ai commencé ma carrière à Abu Dhabi en étant enregistrée à un statut de femme de ménage… Le lycée a toutefois des personnels dédiés à ces démarches et à l’installation dans le pays, qui aident et conseillent. N.D.R-H. : Cela n’a pas été simple surtout pour trouver un logement qui soit à la fois abordable et qui nous convienne. Trouver une voiture a aussi été difficile… ici, il y a pas mal d’arnaques (faux agents immobiliers, prix très élevés selon l’image que l’on se fait de vous…). Obtenir une carte de résident a été ma plus mauvaise expérience comme tout ce qui relève de l’administration d’ailleurs (attentes interminables, paiement de bakchich, personnes de mauvaise foi…).
L’établissement m’a versé une prime pour m’aider à m’installer et nous aide en nous offrant quelques nuits d’hôtel lorsqu’on arrive. Un chauffeur est aussi venu nous chercher à l’aéroport très tard dans la nuit, c’est très appréciable. Généralement, si l’on fait face à un problème, la hiérarchie est à l’écoute et essaie de nous aider, mais ce sont surtout les collègues déjà intégrés qui m’ont accompagnée et conseillée. P.M. : J’étais déjà installée. M.V. : En Bolivie : beaucoup d’aide de la part des collègues. Un juriste, payé par l’établissement, nous a accompagnés dans les procédures pour obtenir le visa de travail. En Grèce : pas besoin de visa de travail en tant que résident. Les collègues et l’administration du lycée nous ont aidés dans les démarches administratives auprès de l’administration grecque. A.R. : Quand on connaît rapidement son affectation, on peut facilement entrer en contact avec des collègues sur place, avoir des tuyaux pour s’installer, voire récupérer la maison de quelqu’un qui s’en va. Dans mon cas, mon détachement n’a été validé par le Rectorat que le 11 juillet. Tout le monde était déjà parti en vacances. Je suis donc arrivée fin août avec mes deux valises et aucun contact. J’ai passé un mois et demi dans une location saisonnière avant de trouver une maison à louer. J’ai découvert un marché de l’immobilier très différent de ce que je connaissais. Il n’y a pas d’agences immobilières à proprement parler, mais des démarcheurs qui font visiter les maisons moyennant une commission. On ne rencontre le propriétaire qu’au moment de la signature du contrat. Il faut souvent verser trois mois de caution et six mois de loyer dès la remise des clés, autant dire une valise de FCFA.
Par contre, le lycée nous accompagne dans nos démarches pour l’obtention d’une carte de séjour et heureusement, car c’est un parcours du combattant !
Quel est le public de votre établissement ?
H.C. : Public très varié en termes de nationalités (moins de 50% de Français, beaucoup de Libanais, Marocains, Algériens…) mais aussi de mixité sociale : enfants des soldats de la base militaire d’Abu Dhabi aussi bien que de diplomates. Mais globalement un point commun : beaucoup d’enfants qui ont vécu toute leur vie ou presque à l’étranger, donc habitués au multiculturalisme, à la tolérance des religions et des cultures. 98% de réussite au bac, pas de gros problèmes de discipline. N.D.R-H. : Des enfants socialement privilégiés, issus de familles illustres dans le pays ; des enfants d’expatriés français mais aussi d’autres pays P.M. : Enfants de diplomate ou de fonctionnaires internationaux expatriés ou enfants de brésiliens de classe sociale haute. M.V. : 1 700 élèves de la petite section à la Terminale. Il y a deux sections : section française (maternelle, élémentaire et secondaire. 1 300 élèves) et section hellénique (système grec avec un apprentissage approfondi du français. Secondaire, 400 élèves). La plupart des élèves sont grecs (engouement traditionnel pour la culture française) mais il y a aussi des enfants d’expatriés français et étrangers (enfants de diplomates notamment). A.R. : C’est un public d’enfants en grande majorité togolais, issus des classes aisées. Il y a aussi beaucoup d’enfants des pays africains limitrophes, d’autres issus des communautés fortement implantées au Togo : les Libanais et les Chinois. Il y a un à deux enfants d’expatriés français par classe.
Êtes-vous plusieurs professeurs documentalistes ?
H.C. : Non, j’ai une assistante documentaliste à temps plein. N.D.R-H. : Nous sommes trois mais je suis la seule détachée. Mes deux collègues sont natifs du pays et employés sous contrat local. Ils font plus d’heures et sont bien moins payés. P.M. : Nous sommes 3 mi-temps et nous nous partageons la BCD (400 élèves) et le CDI (300 élèves). M.V. : Oui, une prof doc pour la section française, un doc pour la section hellénique. A.R. : Le Lycée français de Lomé accueille les élèves de la très petite section à la Terminale, soit environ 1 000 élèves. Une bibliothécaire s’occupe de la BCD. Je m’occupe du CDI du collège et du lycée, où je suis secondée par un attaché documentaliste à mi-temps.
Comment travaillez-vous avec les autres professeurs ?
H.C. : Il a fallu une année, voire deux, pour mettre en place des choses car le poste n’avait jamais été occupé par un « vrai » documentaliste et mes propositions venaient déstabiliser certaines habitudes. Désormais c’est un vrai partenariat complet et riche, énormément de projets culturels dans lequel le CDI est toujours impliqué, comme lieu de ressources, lieu d’enseignement, et on fait appel à mes compétences pour encadrer les élèves, proposer des activités, donner des cours… N.D.R-H. : Cela se passe comme en France. P.M. : Plusieurs activités en partenariat : incitation à la lecture, éducation aux médias, philosophie… M.V. : Collaboration similaire à celle pratiquée en France. En Bolivie, les modalités de travail étaient complètement différentes car je m’occupais de la BCD en primaire. Les professeurs des écoles avaient des attentes très précises (passages hebdomadaires des classes pour emprunter des livres). Je proposais de petites animations et j’ai pu impulser un peu de recherche documentaire en CM1-CM2. A.R. : Pas de différence sur ce point avec les établissements en France. Il y a des collègues demandeurs ou réceptifs aux propositions pédagogiques, d’autres pas du tout.
Quelle est la singularité de votre CDI ? En quoi est-il adapté au pays ?
H.C. : Il est très grand, très bien doté en matériel et en moyens… je n’ai jamais connu ça en France ! Commun au collège et au lycée, ce qui est parfois difficile à gérer notamment au niveau des règles de fréquentation qui sont plus adaptées aux collégiens qu’aux lycéens. Le fonds est adapté au fait que ce soit un pays musulman et que le ministère local de l’Éducation contrôle ce qui est proposé à la lecture. Beaucoup d’ouvrages en anglais et en arabe, langues dominantes du pays (et même dans la cour de récréation). P.M. : C’est le lieu central de l’école, l’espace accueille tous les élèves de deux ans et demi à 18 ans. C’est un grand espace, clair et agréable. Les adultes (parents, responsables, professeurs…) viennent aussi emprunter des livres pour leur usage personnel, le CDI fait aussi office de bibliothèque grand public pour les emprunts. M.V. : Le CDI est commun aux deux sections. Nous abritons donc un fonds francophone et un fonds hellénophone, ainsi qu’un important fonds anglophone, le lycée proposant l’option internationale britannique (OIB). Beaucoup de nos élèves maîtrisent couramment l’anglais. Pour le fonds hellénophone, nous utilisons un logiciel de catalogage grec (lien sur e-sidoc). La signalétique est bilingue français-grec. A.R. : Il y a beaucoup de singularités ! La plus importante pour moi est l’accueil simultané de collégiens et de lycéens. Il faut aménager un espace et proposer des règles adaptées à des élèves de 11 à 19 ans, acceptées par tous.
Ensuite, bien qu’issus de familles très à l’aise financièrement, nos élèves ont accès à peu de ressources en dehors du lycée. L’Internet mobile est bien développé mais rares sont ceux qui ont un accès à Internet avec un débit correct sur un ordinateur. Les rares librairies sont très mal achalandées et les livres y sont chers. Le CDI est donc indispensable pour le travail scolaire, mais c’est aussi une bouffée d’air pour les élèves, qui dévorent tous les livres mis à leur disposition. Nous battons tous les records de prêts ! Ces conditions particulières orientent la politique d’acquisition. Je n’hésite pas à acheter beaucoup de mangas et de romans jeunesse, car je sais que les élèves ne les trouveront pas ailleurs.
Autre contrainte, l’humidité pendant la saison des pluies ou la poussière en période d’harmattan font que les livres s’abîment très vite et qu’il faut renouveler souvent le fonds.
Faute d’approvisionnement local, les commandes se font une fois par an, en mars, et arrivent par bateau en container pendant l’été. C’est une forte contrainte, à laquelle j’ai eu du mal à m’adapter. J’ai ainsi passé un an en poste avant de recevoir mes premières commandes. C’est difficile d’être réactif en fonction des projets et des envies des élèves. Quand un élève me demande la suite de son manga préféré, je dois toujours lui répondre qu’il devra attendre jusqu’à la rentrée prochaine. Par contre, l’achat du mobilier se fait sur place : tous les meubles du CDI sont en teck. Dessinés par la précédente documentaliste, ils ont été fabriqués par un menuisier du quartier.
Mathilde Vendé
Avez-vous des projets spécifiques ?
H.C. : Oui beaucoup ! un peu long de tout lister… Localement c’est avec le Louvre Abu Dhabi que j’essaie de développer le plus gros partenariat. Le fait d’être un lycée de l’étranger permet aussi d’attirer des « têtes d’affiche » comme Florence Aubenas qui vient en avril 2019. Je coordonne sa venue et son séjour aux Émirats. N.D.R-H. : Le niveau des élèves étant élevé, on peut voir les choses en grand. P.M. : Un club média. M.V. : Chaque année, un important projet vidéo autour du Festival du Film Francophone d’Athènes, en partenariat avec l’Institut Français. Depuis l’année dernière, projet littéraire avec les premières L. A.R. : Je participe cette année à une APP, action pédagogique pilote, qui vise à transformer le journal lycéen qui existe depuis quelques années en webradio (LA VOIX DU LYCÉEN). C’est un beau projet, emmené par une équipe d’élèves très motivés.
Ce projet permet de donner de la visibilité à d’autres plus modestes. Les échanges du club manga sont désormais enregistrés sous la forme d’une émission, Instant Manga, qui est diffusée sur la webradio.
Comment avez-vous « acclimaté » votre pédagogie ?
H.C. : Je fais de l’Éducation aux médias comme j’en faisais déjà en France. Pas de différence notable de pédagogie avec la France je pense. N.D.R-H. : Lorsque le niveau des élèves est élevé, c’est plus simple. P.M. : Nous nous adaptons au travail des professeurs, la pédagogie est très française. Nous avons cependant un fonds important en langue du pays (portugais). M.V. : En Bolivie, j’ai beaucoup observé les collègues dans leurs classes pour voir quoi proposer aux petits. En Grèce, plus simple car c’est le même cadre qu’en France. Avec les 6e, lors des séances de présentation du CDI, je suis amenée à jongler entre les deux langues pour expliquer les classements des deux fonds. A.R. : Comme je l’ai dit précédemment, c’est plus au niveau des acquisitions et des règles de fonctionnement que je me suis adaptée. Ce qui est sûr, c’est que le climat scolaire est ici très apaisé. Les élèves sont calmes, très respectueux. Il est très rare que nous ayons à lever la voix et encore plus à prononcer une sanction. C’est plutôt au retour que je devrais « réacclimater » ma pédagogie !
La politique locale a-t-elle des incidences sur le lycée ou le CDI ?
H.C. : Oui il y a des cours d’arabe et d’éducation islamique pour les musulmans, pendant le Ramadan on change les horaires de cours, les élèves peuvent venir voilées… tout cela se passe dans un climat très serein et de tolérance, d’acceptation des façons de vivre de chacun. A.R. : Quand je suis arrivée en septembre 2017, la situation au Togo était très tendue. Il y avait des manifestations réclamant le départ du président plusieurs fois par semaine. Ces jours-là, l’ambassade envoyait aux ressortissants français des consignes de sécurité du type « évitez les déplacements et les rassemblements ». Pourtant, même au plus fort des troubles le lycée n’a jamais été fermé. Nous venions travailler, mais n’avions que très peu d’élèves.
De manière générale, la politique locale est taboue au lycée. Nous avons pour consigne de ne pas l’aborder dans le journal scolaire. Quand nous avons voulu signer un partenariat avec une radio locale, le proviseur s’est inquiété du positionnement de cette antenne. Travailler avec une radio connue pour son opposition au régime en place aurait été impossible.
Quelles sont les difficultés matérielles que vous rencontrez (commande de livres, abonnements, mobilier…) ?
H.C. : Une seule librairie francophone pour tous les Émirats, donc frustration de ne pouvoir feuilleter et avoir des partenariats avec des libraires. Les délais de livraison font qu’il est parfois difficile d’être réactif quand on a besoin d’un livre en urgence. Des colis qui peuvent rester bloqués en douane… le système postal ici n’est pas très au point. N.D.R-H. : Les commandes, ça reste un point noir. Les délais de livraison sont longs, les marchandises peuvent rester bloquées au port, on ne reçoit pas tout, pas en même temps. Sur place, on ne trouve pas tout ce dont on aurait besoin, on est contraint de commander en France et de prendre notre mal en patience quand ça n’est pas refusé car au final trop onéreux…
Nous n’avons pas beaucoup de librairies, peu de choix dans les BD et même, en général. Il est impossible de satisfaire un besoin ou une demande dans des délais raisonnables. Pour pallier cela, nous avons acquis des liseuses et une tablette (pour lire les BD). P.M. : Les livres qui viennent de France sont très chers (frais de port et de douane), nous ne faisons qu’une seule acquisition par an. Les magazines arrivent toujours avec un délai notoire. M.V. : En Bolivie, tout était commandé en France. Il fallait donc anticiper plusieurs mois à l’avance (rétroplanning calculé en fonction des arrivées des bateaux au Chili !). En Grèce, c’est beaucoup plus simple, il y a plusieurs librairies francophones avec lesquelles nous travaillons. Pour les abonnements, nous passons par Unipresse. Pour les fournitures et le mobilier, nous commandons au maximum en Grèce (il nous arrive de faire fabriquer) mais nous nous approvisionnons également en France.
Quelles sont les obligations que vous n’auriez pas en France ?
H.C. : Les hymnes chaque matin, l’engagement de promouvoir une bonne image de la France, le respect des règles locales. P.M. : Le prêt des manuels scolaire pour tout le secondaire et le prêt de série de livres étudiés en classe pour le primaire et le secondaire. Cela prend beaucoup de temps et de place. M.V. : Il ne s’agit pas d’obligations à proprement parler mais nous sommes parfois amenés à venir au lycée le week-end pour des projets spécifiques ou des événements. A.R. : Lors de notre recrutement en tant que résident, nous recevons une lettre de mission dans laquelle l’AEFE insiste fortement sur notre devoir de réserve. Nous ne devons pas afficher publiquement notre avis sur la politique locale. Nous devons prendre garde à ne pas diffuser une image négative de la France par nos propos, par notre tenue ou nos activités.
Êtes-vous obligée de revenir travailler en France, au bout d’un certain nombre d’années ?
H.C. : Contrat de 3 ans renouvelables sur demande et avec accord de la direction, de l’AEFE et de l’académie d’origine. Une nouvelle circulaire a laissé entendre récemment que les affectations à l’étranger seraient désormais limitées dans le temps. À suivre… N.D.R-H. : Tant que je reste dans ce pays, non ; à moins que le renouvellement de mon détachement me soit refusé. Par contre, cette année, de nouvelles dispositions ont été prises pour les nouveaux contrats. Celles-ci limitent le nombre d’années passées à l’étranger. P.M. : Non car je suis en contrat local. M.V. : Difficile à dire actuellement mais c’est probable. L’AEFE fait l’objet d’un projet de réforme qui sera présenté d’ici peu au gouvernement. Une circulaire est déjà parue. Elle fait état d’un changement du statut de résident : le droit au détachement sera désormais limité à 6 ans (2 x 3 ans). A.R. : J’ai signé pour trois ans, avec la possibilité de renouveler mon détachement autant de fois que souhaité. Nous avons ici des collègues résidents qui sont installés depuis une quinzaine d’années. Cependant les règles sont en train de changer et il semblerait que l’on soit désormais obligé de rentrer au bout de 6 ans.
Nina Da Rocha-Huard
Quels liens avez-vous avec les autres documentalistes du pays ou de la région ?
H.C. : Essentiellement par mail. Beaucoup de turn-over, de personnes affectées là pour un an, sans qualification, sans formation. Peu de projets communs ou de moyens de se voir P.M. : Grâce aux formations nous nous connaissons et sommes en contact par divers moyens, en l’occurrence mail et WhatsApp. Nous nous rendons beaucoup service, cela est très précieux. M.V. : Au sein de l’établissement, nous travaillons étroitement avec la collègue qui s’occupe de la BCD. Nous sommes en lien avec l’équipe de la médiathèque de l’Institut Français et l’équipe de la Bibliothèque Nationale. A.R. : Le Lycée Français de Lomé est le seul établissement conventionné AEFE au Togo. Il y a des établissements privés qui suivent le programme français qui se mettent à ouvrir des bibliothèques avec un personnel dédié, en s’inspirant du fonctionnement des CDI et des missions des professeurs documentalistes. Il n’y a pas à ma connaissance d’autre professeur documentaliste titulaire du CAPES dans la sous-région. Je crois que la plus proche se trouve au Gabon. Autant dire que les réunions de bassin où nous pouvions échanger sur des problématiques communes me manquent et que les échanges par mail ou whatsapp avec les anciennes collègues en poste en France sont bienvenus !
Avez-vous accès à des formations ?
H.C. : Oui, formations organisées par l’AEFE dans la zone. Mais peu de choses en documentation, parfois peu adaptées à la réalité du terrain, et pas beaucoup de places donc pas sûre de les obtenir. Quelques formations organisées par l’Institut français ou l’Alliance française. N.D.R-H. : Oui, elles peuvent être internes à l’établissement ou être organisées dans la zone géographique et nous permettre ainsi de découvrir d’autres pays et établissements. P.M. : Oui de la DGESCO et de l’AEFE. Nous sommes gâtés. M.V. : Oui, stages de formation continue organisés par l’AEFE dans chaque zone et formations internes au sein des établissements. A.R. : L’AEFE propose un plan de formation mais ces deux dernières années, il n’y avait rien de spécifiquement dédié aux professeurs documentalistes dans la sous-région. J’ai cependant été retenue pour un stage en FLE qui aura lieu à Lomé, car je suis en charge des élèves allophones du lycée. Ceci est différent pour les professeurs des autres disciplines qui partent régulièrement dans les pays voisins pour des regroupements et qui à leur retour proposent des restitutions de stage.
Si c’était à refaire ?
H.C. : Sans hésiter ! N.D.R-H. : Je le referai P.M. : Oui, toujours ! M.V. : Mille fois oui !!! A.R. : C’est une expérience très riche professionnellement. Je ne pense pas retrouver en France un tel enthousiasme de la part des élèves, qui se pressent pour participer à toutes les activités proposées. Le CDI ne désemplit pas et pourtant il y règne toujours une ambiance sereine. Il y a aussi une forte émulation entre collègues enseignants, tous sont motivés et dynamiques. En contrepartie, le travail prend beaucoup de place et on vit dans un milieu très fermé, un peu étouffant. Si je demande ma réintégration, ce ne sera pas pour les conditions de travail – même si les disparités de statuts et de salaires sont pour moi le gros point noir du lycée français – mais parce que le contexte local, entre tensions politiques, pollution, circulation chaotique et climat caniculaire, est éprouvant, et parce que l’automne et le printemps me manquent !
Alors que l’on s’apprête à célébrer les 50 ans des premiers pas de l’Homme sur la lune (le 21 juillet 1969 par Neil Amstrong), c’est l’occasion de s’intéresser à cet astre, un sujet très riche qui offre des pistes de travail aussi bien en sciences qu’en arts, en Histoire ou en littérature. Objet d’attirance et de fascination depuis l’aube de l’humanité, voici une tentative de cartographier sous ses multiples facettes ce territoire fertile en ressources, où l’information documentation mais aussi l’Éducation aux Médias et à l’Information ont une place majeure à tenir.
Dans toutes les cultures, à toutes les époques de l’humanité, nous observons avec crainte ou curiosité cet objet céleste, à la fois si proche de nous et pourtant inabordable, qui rythme nos nuits comme le soleil rythme nos jours. De nombreuses histoires mythologiques ont pour sujet la reine de la nuit. On lui associe un dieu ou une déesse, on lui rend un culte. Ainsi, chez les Grecs, la lune était représentée par trois déesses selon ses phases : Artémis pour la lune croissante, Séléné pour la pleine lune et Hécate pour la lune noire, incarnant respectivement la naissance, la maturité et la mort. On retrouve le culte de la lune chez les Phéniciens (Astarté), les Sumériens (Sin) ou encore chez les Inuits (Igaluk), ou les Japonais, les Égyptiens…
D’élément naturel déifié, la lune est devenue progressivement objet littéraire, et les récits de voyages imaginaires vers ce corps céleste, mais aussi les contes philosophiques, les poèmes, les romans fantastiques, etc., se sont multipliés : Cyrano de Bergerac, Camille Flammarion, Edgar Allan Poe, Verlaine, Alexandre Dumas, H.G Wells, Baudelaire, Jules Verne, Hergé… pour ne citer que les plus célèbres.
Ce rêve a été, siècle après siècle, alimenté par les découvertes scientifiques successives : Thalès, 600 ans avant J.-C. s’interrogeait déjà sur sa luminosité. Ptolémée publia un catalogue d’étoiles au IIe siècle, un inventaire poursuivi encore aujourd’hui. Puis Copernic bouleversa la science en mettant le soleil au centre de notre système. Autre astronome de génie, Galilée perfectionna la longue-vue pour étudier la lune, et démontra – au péril de sa vie – que celle-ci était un satellite de la Terre, et que cette dernière tournait autour du soleil immobile. La liste est trop longue pour que l’on puisse citer tous les hommes et femmes ayant observé la lune, travaillé sur ce sujet et participé à cette aventure extraordinaire qui a mené les hommes jusqu’à ce fameux 21 juillet 1969 et ce « bond de géant pour l‘humanité ».
Mais peut-être est-ce l’inverse, la littérature et la poésie qui sont au fondement de la curiosité scientifique. Ainsi, on raconte que la lecture du roman De la Terre à la Lune de Jules Verne par un jeune savant russe du nom de Constantin Tsiolkovski (1857-1935) le marqua si fort qu’il se passionna pour l’astronautique : ses travaux furent à l’origine de la première fusée lancée en 1926 ! Et combien de vocations ont-elles été déclenchées par la lecture des célèbres aventures de Tintin : Objectif Lune et On a marché sur la Lune de Hergé ?
Objet de fascination universelle, la lune multiplie à l’envi les possibles imaginaires, artistiques, scientifiques et techniques, mais pas seulement : la philosophie (les limites de l’Homme, la satire de la société à travers les contes et les utopies) ou la politique et l’Histoire (de la Guerre froide à la « Guerre des Étoiles » de Reagan) peuvent s’inviter elles aussi à ce banquet sous le signe de Séléné.
De la Terre à la Lune, Jules Verne
Pistes pédagogiques
La thématique de la lune est idéale pour la construction d’un projet en interdisciplinarité tant elle est riche.
• Avec les professeurs de Français, d’arts plastiques ou de sciences, on pourra envisager un travail sur les caractéristiques de la lune : distance, aspect, rythme calendaire, influence sur la nature.
En information documentation, on proposera la recherche de textes et la réalisation d’une anthologie littéraire ou poétique (sur support numérique, par exemple) qui pourra s’accompagner de réalisations plastiques, de cartographies imaginaires ou de portraits d’habitants de la lune…
• On pourra aussi construire un projet autour de l’œuvre de Jules Verne, en y associant les Lettres, les sciences et les arts plastiques : on proposera un travail sur les illustrations de l’œuvre de J. Verne et une comparaison avec des images de la réalité (notamment des illustrations des fusées mais aussi des caractéristiques de la lune). Une activité qui pourra se réaliser à partir d’autres récits de voyages vers la Lune en littérature ou au cinéma (voir encadré Ressources).
• D’autres pistes sont possibles autour des mythologies avec un travail de recherche documentaire.
• En 3e et au lycée, l’aspect politique de la conquête spatiale (Guerre froide, propagande) donne une ouverture intéressante sur l’EMI avec les controverses liées à la conquête spatiale (de la théorie selon laquelle l’homme n’a jamais marché sur la lune au faux selfie de Thomas Pesquet dans l‘espace).
Repères pédagogiques
Collège
6e – EIST : le système solaire.
6e – Français : les mythologies.
5e – Physique-Chimie : la lumière (optique) ; les phases de la Lune
Cycle 4 – Français : se chercher, se construire ; Le voyage et l’aventure : pourquoi aller vers l’inconnu (utopies, romans d’anticipation des xviie et xixe s., bandes dessinées, films, etc.).
4e – Français : regarder le monde, inventer des mondes (récits fantastiques) / Agir sur le monde (Informer, s’informer, déformer ?)
3e – Français : Progrès et rêves scientifiques – explorer l’inconnu
3e – Histoire : thème 2, le monde depuis 1945. Un monde bipolaire au temps de la Guerre
3e – Mathématique : trigonométrie.
Enseignement transversal de l’EMI au collège comme au lycée : construction de l’information (recherches documentaires, étude des controverses, fiabilité des sources, etc.).
Lycée général et technique
Histoire : la guerre au xxe siècle (Guerre froide, relations internationales).
2de – Physique-chimie / SVT : l’univers, le système solaire / la terre dans l’univers (mesures et représentation, géométrie dans l’espace…).
1re techno – Français : éducation aux médias
1re, Tle S – Mathématique : trigonométrie, géométrie dans l’espace, angles.
Lycée professionnel
2de – Français : les médias disent-ils la vérité ?
1re – Français : du côté de l’imaginaire (registre fantastique) / l’Homme face aux avancées scientifiques et techniques : enthousiasmes et interrogations.
Tle – Histoire : les États-Unis et le monde.
Au Grand Palais, à Paris, La Lune, du voyage réel aux voyages imaginaires, du 3 avril 2019 au 22 juillet 2019 https://www.grandpalais.fr/fr/evenement/la-lune [consulté le 30/03/19]
« LUNE : ÉPISODE II » : nouvelle exposition dès le 20 avril 2019 à la cité de l’espace, Toulouse. https://www.cite-espace.com/communiques-presse/2019-annee-lune/ [consulté le 30/03/19]
Au Palais de la découverte à Paris, visiter les salles permanentes d’astronomie et d’astrophysique http://www.palais-decouverte.fr/fr/au-programme/expositions-permanentes/toutes-les-salles/salles-dastronomie-et-dastrophysique/visite-libre/ [consulté le 30/03/19]
Au musée des Confluences, à Lyon, l’exposition permanente : Origine, les récits du monde avec une présentation des outils d’observation des astres, une maquette du Spoutnik 2, etc. www.museedesconfluences.fr/fr/node/351 [consulté le 03/04/19]
Expositions virtuelles
Ciel et terre – BNF – 1999
http://expositions.bnf.fr/ciel/index2.htm [consulté le 30/03/2019]
Astronomie : Ces instruments qui ont permis de comprendre l’univers – le CNAM
https://artsandculture.google.com/exhibit/6gJCYv6jIzbsIA [consulté le 30/03/2019]
Le Voyage dans la lune, Georges Mélies, 1902 : fiche pédagogique sur France TV.fr (2018)
https://education.francetv.fr/matiere/arts-visuels/quatrieme/article/le-voyage-dans-la-lune-de-melies-film-cle-d-une-oeuvre-prolifique [consulté le 30/03/19]
Dossier d’accompagnement pédagogique autour du documentaire de William Karel Opération Lune.
www.ac-strasbourg.fr/fileadmin/pedagogie
/clemi/semaine_de_la_presse/DAP_Ope__ration_Lune_Clemi_Strasbourg.2018__1_.pdf [consulté le 30/03/19]
Critique et analyse du documentaire de Théo Kamecke Moonwalk One, par Benjamin Genissel, photographe et réalisateur, auteur de « le blog documentaire »
http://leblogdocumentaire.fr/2014/12/10/moonwalk-one-le-documentaire-de-theo-kamecke-en-dvd [consulté le 30/03/19]
Analyse du film : « Moonwalk One, 1972 : la propagande mise à nu » par Jean-Jacques Delfour, professeur agrégé de philosophie https://blog.culture31.com/2014/09/10/moonwalk-one-1972-la-propagande-mise-a-nu/ [consulté le 30/03/19]
Faux selfie de Thomas Pesquet
www.clemi.fr/fr/ressources/nos-ressources-pedagogiques/ressources-pedagogiques/laffaire-du-faux-selfie-de-thomas-pesquet.html [consulté le 30/03/19]
Outils
Animation : les phases de la Lune
www.pccl.fr/physique_chimie_college_lycee/cinquieme/optique/phases_lune.htm [consulté le 30/03/19]
Affiches
Expositions de l’Association Française d’Astronomie (AFA) : Ciel, miroir des cultures ; Reflets du ciel ; Mémoires d’autres mondes
www.afastronomie.fr/expositions [consultéle 30/03/19]
La fabrique des programmes scolaires est une affaire de va-et-vient entre deux entités du Ministère de l’Éducation nationale : le Conseil Supérieur des programmes (CSP), chargé de constituer des groupes d’expert.e.s qui rédigent des projets de programmes, et la DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire), signataire finale des textes avant parution au Journal Officiel. Le calendrier extrêmement dense imposé par le Ministère de l’Éducation nationale n’a pas été sans conséquence sur la consultation et l’analyse proposée par l’A.P.D.E.N. Retour sur dix-huit mois de marathon.
Le 14 février 2018, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, annonce une réforme du baccalauréat et du lycée général et technologique et saisit le CSP le 28 février pour l’élaboration des nouveaux programmes et des nouvelles modalités d’évaluation des élèves. En amont, dès le printemps 2018, les syndicats et organisations professionnelles, dont l’A.P.D.E.N., sont auditionnés afin de faire un point sur les programmes existants et les perspectives que pourraient ouvrir les programmes à venir. En juin 2018, une délégation composée de membres du Bureau national et de représentants du GRCDI est reçue par Mme Ayada, présidente du CSP1. Par la suite, les groupes d’expert.e.s (GEPP) remettent leurs travaux au CSP entre septembre et octobre 2018. Les projets de programmes pour les niveaux seconde et première sont examinés par le CSP, puis soumis par la DGESCO à une consultation nationale. L’A.P.D.E.N. est alors sollicitée : selon un calendrier très contraint, le Bureau national y répond sous la forme d’une contribution écrite2. L’association y estime que les projets présentés organisent un transfert inadmissible et incompréhensible des contenus spécifiques de l’information-documentation vers les disciplines instituées, et n’admettent parallèlement qu’un rôle facultatif et auxiliaire des professeur.e.s documentalistes dans les champs couverts par l’EMI, sans jamais asseoir pleinement leur mission d’enseignement. D’autre part, ils sont également loin de donner aux professeur.e.s documentalistes toute leur place dans le champ du développement de la culture et de l’éducation artistique et culturelle, et omettent bien trop souvent de positionner le CDI comme « lieu de formation, de lecture, de culture et d’accès à l’information », principal espace de ressources dont disposent les élèves pour les situations et apprentissages envisagés.
Force est de constater que ces objections n’ont pas été entendues. Le constat est amer à la lecture des programmes définitifs, qui ont bien peu évolué par rapport à la version précédente. Les modalités d’élaboration institutionnelles n’ont pas permis de penser sereinement les contenus, dans un contexte où le Bureau national déplore toujours le refus de l’IGEN de mettre en place un groupe de travail sur les contenus d’un enseignement en information-documentation3, pourtant institué par la circulaire de missions.
Quid du lieu CDI ?
De manière générale, le rôle du CDI est à peine évoqué dans les programmes, alors même qu’il constitue le premier, voire le seul centre de ressources accessible pour les lycéens, et que les situations pédagogiques dans lesquelles il devrait être mobilisé sont par ailleurs nombreuses. Au-delà de ces « oublis » incompréhensibles, lorsque ce « lieu de formation, de lecture, de culture et d’accès à l’information » essentiel est effectivement inscrit, c’est souvent d’une façon qui évacue totalement le rôle et la responsabilité du.de la professeur.e documentaliste. Le programme de l’enseignement de spécialité d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques prévoit que les élèves aient « l’opportunité de réaliser des fiches de lecture sur des ouvrages relatifs aux thèmes étudiés et d’élaborer des projets qui les invitent à se documenter (…) ». L’évocation des ressources du CDI aurait ici été pertinente. Il en va d’ailleurs de même pour la spécialité humanités, littérature et philosophie. Quant au programme de mathématiques, il désigne le CDI comme un lieu où les élèves peuvent avoir un accès aux logiciels spécifiques dans l’établissement, à l’équivalence d’une simple salle informatique.
Enfin, le programme de langues vivantes cite le CDI en lui substituant une terminologie impropre ne relevant d’aucune disposition réglementaire : « certains scénarios peuvent faire l’objet d’une diffusion dans le cadre du lycée par l’intermédiaire du journal et/ou de la radio, du Centre de connaissances et de culture (3C, anciennement CDI), de l’Environnement numérique de travail (ENT), du site internet de l’établissement ». La circulaire de missions des professeur.e.s documentalistes4 entérinant pourtant sans ambiguïté le terme CDI, cette mention ne peut que laisser perplexe…
Quelle place pour l’ouverture culturelle ?
La mission du.de la professeur.e documentaliste en matière d’éducation culturelle et de développement de la lecture est souvent éludée, alors que notre circulaire de missions nous enjoint à contribuer à « l’éducation culturelle, sociale et citoyenne de l’élève » et à développer « l’intérêt pour la lecture ». Or la place du.de la professeur.e documentaliste dans les programmes littéraires et artistiques est très marginale. Dans la mesure où une majorité des programmes relevant du PEAC présente de surcroît des propositions intégrant tout à la fois les approches culturelle et documentaire, avec la mise en œuvre de supports de collecte, de production et d’organisation d’une documentation personnelle par les élèves, de type portfolio ou carnet de bord, cette lacune est doublement incompréhensible.
Dans le domaine de la littérature et du développement de la lecture
Le programme de français de seconde incite à développer le « plaisir de la littérature », et à favoriser « une pratique intensive de toutes les formes, scolaires et personnelles, de la lecture littéraire ». Absente du projet de programmes, la mention explicite de la collaboration avec le.la professeur.e documentaliste sur cette question a été ajoutée dans la version définitive : « La participation à des actions autour de la lecture, en lien avec les professeurs documentalistes, est favorisée ». La mise en valeur et l’exploitation du fonds du centre de ressources ne sont, en revanche, pas évoquées.
Le programme de langues vivantes encourage dès la classe de seconde « la lecture suivie en dehors de la classe », l’élève devant « lire pour son plaisir de façon très autonome ». Le programme de la spécialité littérature, langue et culture étrangère insiste également sur le goût de la lecture en langue vivante. Mais il n’est, là non plus, pas question de travail en lien avec le.la professeur.e documentaliste, qui peut pourtant mettre en place une valorisation du fonds linguistique, et notamment des périodiques en langues étrangères.
Dans le domaine de l’éducation culturelle et artistique
L’absence du.de la professeur.e documentaliste est encore plus criante dans le domaine de l’éducation culturelle et artistique. Seuls les programmes des enseignements optionnels d’histoire des arts de seconde et première évoquent son rôle dans le chapitre « Situations et repères pour l’enseignement » : « Avec l’aide des professeurs documentalistes, les élèves sont invités à exploiter les ressources documentaires disponibles, en particulier celles offertes par les technologies de l’information et de la communication. Ils sont initiés à l’identification, à la critique et à la hiérarchisation des sources documentaires. » Le CDI est, quant à lui, cité dans les programmes de théâtre en seconde et première, au chapitre sur les « Compétences méthodologiques » : « L’élève est capable : de mener une recherche documentaire au CDI ou sur Internet » pour la seconde, et « L’élève est capable de mener une recherche documentaire au CDI ou sur internet, et de la présenter de manière organisée, sous la forme de son choix, à la classe » en première.
Quelle place pour les savoirs info-documentaires ?
L’injonction à « form[er] tous les élèves à l’information documentation et contribu[er] à leur formation en matière d’éducation aux médias et à l’information » est donnée aux professeur.e.s documentalistes à travers deux textes de cadrage : le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation et la circulaire de missions. L’action pédagogique des professeur.e.s documentalistes y trouve un appui et une justification institutionnels. L’A.P.D.E.N., lors de la consultation du CSP en octobre 2018, avait mis en avant cette mission pédagogique à laquelle le ministère fixe pour objectifs de « conforter l’acquisition par chaque élève de la culture de l’information nécessaire à la vie en société et à la compréhension du monde, de développer l’autonomie et l’esprit critique de l’élève dans sa recherche et sa production documentaires et informationnelles et de développer des notions complexes au sein de parcours de formation spécifiques ».5
Les programmes du nouveau lycée général et technologique apportent-ils les éléments épistémologiques et les leviers pédagogiques et institutionnels nécessaires à la mise en œuvre effective de la formation de tous les élèves ?
L’esprit critique : esprit, es-tu là ?
De l’incantation magique à la formation effective des élèves
Tous les programmes de seconde insistent, en préambule, sur la nécessité de développer l’esprit critique de nos élèves. Ainsi, par exemple, l’enseignement du français vise à « approfondir et exercer le jugement et l’esprit critique des élèves (…) » ; l’EMC « contribue à forger leur sens critique et à adopter un comportement éthique » ; en EPS, l’élève « accroît ses capacités de raisonnement et son esprit critique ». Cette question sociale et civique intéresse, parmi tou.te.s ses collègues, le.la professeur.e documentaliste, qui problématise ce sujet sous l’angle de l’accès à l’information et de la confrontation de la source.
Dans un effet de balancier inverse, le questionnement de la source a été abandonné dans la version finale du programme d’histoire en seconde ; il est toutefois maintenu dans le programme d’EMC, qui y accorde une réelle importance. Les compétences en jeu, du point de vue de la culture de l’information et des médias, ne sont pas explicitées dans les attendus disciplinaires. Il est donc permis de voir dans cette formule totémique une nouvelle occasion manquée d’asseoir l’apport pédagogique des professeur.e.s documentalistes, dans leur champ spécifique de l’information-documentation comme dans la dimension transversale de formation à la citoyenneté. Quand la société appelle de plus en plus fortement à faire le tri dans l’information accessible en questionnant les infox, ce constat se révèle tristement ironique. La crainte est forte de rester sur une conception procédurale, modélisante (mettre au point la « recette » pour déjouer le complotisme et la désinformation), sans faire le pont avec ce qui doit, selon nous, impérativement précéder et chapeauter la formation de l’élève : travailler sur la source, la production et la diffusion de l’information, sous les aspects technique, juridique, social, économique, le tout dans une logique de progression impliquant un contact régulier, tout au long du parcours de l’élève, avec des productions informationnelles et médiatiques variées. Il s’agit bien là du cœur de notre mission pédagogique : la culture de l’information et des médias.
Dans la continuité de cette réflexion, nous pouvons nous interroger sur le devenir effectif, au lycée, de l’EMI qui, jusqu’alors présente uniquement dans les programmes d’EMC datant de 2015, fait son entrée officielle dans les programmes. Les concepteurs de ces derniers entérinent l’intégration de l’EMI dans la sphère de l’EMC : « L’éducation aux médias et à l’information, la formation du jugement ainsi que l’enseignement laïque des faits religieux entrent également dans son périmètre ». Si nombre de compétences relevant de l’EMI sont disséminées dans les programmes, cette « éducation à » est au final peu citée en tant que telle. On la retrouve dans les programmes de seconde de français, langues vivantes, SVT et management et gestion (enseignement optionnel) ; en première, elle n’est citée qu’en langues vivantes et SVT. La place de l’EMI n’est donc pas prépondérante dans les programmes du nouveau lycée. Si la contextualisation institutionnelle et les contenus afférents sont lisibles et compréhensibles pour les professeur.e.s documentalistes, qu’en sera-t-il des collègues des autres disciplines, mais également des chef.fe.s d’établissement ? Quelle place occupera l’EMI dans les formations que les académies mettront en place pour accompagner la réforme du lycée ? L’expérience du collège permet de poser le constat du peu d’engagement des collègues des autres disciplines dans cet enseignement transversal, ou a minima, de leur engagement à géométrie très variable en fonction des établissements, qui ne présage pas d’un meilleur avenir au lycée.
Des savoirs présents en creux : vers un transfert de nos compétences pédagogiques ?
Les savoirs adossés aux sciences de l’information et de la communication, champ scientifique de référence des professeur.e.s documentalistes, présentent de nombreuses occurrences, sans jamais être associés à la préconisation d’un co-enseignement articulant l’épistémologie de la discipline-support, et celle, spécifique, de l’information-documentation, cette dernière faisant de plus l’objet de nombreuses confusions avec l’EMI. De même, de nombreuses compétences et situations pédagogiques relevant de la recherche, de l’exploitation (sélection et évaluation), de la production et de la communication d’informations sont disséminées dans les programmes de disciplines aux épistémologies diverses, sans que soit mentionné le rattachement au champ d’expertise des professeur.e.s documentalistes, sans que soit même mentionnée la nécessaire collaboration avec ces dernier.e.s. Et, lorsque c’est le cas, la terminologie pour la définir cantonne in fine le.la professeur.e documentaliste à une posture d’accompagnement ou d’aide, par nature facultative. Ces constats s’appliquent également aux occurrences de l’EMI présentes dans les programmes, qui ne font apparaître la responsabilité et le rôle du.de la professeur.e documentaliste qu’en termes d’éventualité ou de possibilité, voire même l’omettent purement et simplement.
Des programmes qui intègrent l’enseignement de contenus de l’information-documentation… sans le.la professeur.e documentaliste
La lecture du préambule du programme d’EMC de seconde et première ne peut que nous interroger sur la prise en compte de notre rôle auprès des élèves : « Dans sa contribution à la construction du jugement, l’enseignement moral et civique permet la réflexion sur les sources utilisées (textes écrits, cartes, images, œuvres picturales, mises en scène théâtrales et chorégraphiques, productions cinématographiques, musiques et chansons, etc.), sur leur constitution comme document, sur leurs usages culturels, médiatiques et sociaux. L’enseignement moral et civique initie les élèves à la recherche documentaire et à ses méthodes (…) ». Qui donc permet « la réflexion sur les sources », qui « initie les élèves à la recherche documentaire… » ? La formulation est pour le moins équivoque. Nous identifions là des objectifs qui entrent dans le champ d’expertise des professeur.e.s documentalistes sans que nous y soyons explicitement nommé.e.s, et le texte porte immanquablement à interprétation : doit-on comprendre qu’étant dans son champ d’expertise, le.la professeur.e documentaliste est désigné.e pour cette « initiation » ou estime-t-on que tout.e professeur.e du secondaire prenant en charge l’EMC est en capacité de former les élèves dans ces domaines ?
Dans le programme de seconde en SVT, la réponse est claire : « les professeurs de SVT contribuent à l’éducation des élèves aux médias et à l’information par un travail régulier d’approche critique des informations » ; « une formation scientifique développe les compétences d’analyse critique pour permettre aux élèves de vérifier les sources d’information et leur légitimité, puis de distinguer les informations fiables. Ces démarches sont particulièrement importantes en SVT, qui font souvent l’objet de publications « pseudo-scientifiques », voire idéologiques ». Notons que ni le.la professeur.e documentaliste ni le CDI ne sont cités dans ce texte. De nombreuses compétences info-documentaires y sont pourtant attendues : « recenser, extraire, organiser et exploiter des informations à partir de documents en citant ses sources, à des fins de connaissance et pas seulement d’information », « conduire une recherche d’informations sur internet en lien avec une question ou un problème scientifique, en choisissant des mots-clés pertinents, et en évaluant la fiabilité des sources et la validité des résultats », etc.
Le programme de physique-chimie est plus économe en notions info-documentaires, mais précise tout de même en préambule qu’une des compétences développées dans le cadre de la démarche scientifique est de « rechercher et organiser l’information en lien avec la problématique étudiée ».
Le cas le plus emblématique de cet axe est en effet celui de l’enseignement obligatoire nouvellement créé en seconde, sciences numériques et technologie (SNT). Il s’agit là d’un enseignement ayant vocation à être pris en charge par tout.e enseignant.e, et non pas d’une nouvelle discipline. Difficile néanmoins de ne pas relever, dans le contexte de l’annonce toute récente de la création d’un CAPES, puis d’une agrégation d’informatique, une orientation éminemment axée sur l’aspect informatique du numérique, prémisse de l’enseignement de spécialité numérique et sciences informatiques (NSI). Cependant, une grande part du contenu de cet enseignement fait appel à une contextualisation de l’usage du numérique dans la société, de son impact sur les humains, en mobilisant des compétences ou des notions en information-documentation, déjà travaillées par les professeur.e.s documentalistes dans d’autres contextes pédagogiques. Ainsi le chapitre consacré aux réseaux sociaux recouvre-t-il en partie le champ du chapitre « Enjeux moraux et civiques de la société de l’information » abordé en EMC en classe de première, qui était l’occasion de nombreuses situations d’apprentissage investies par les professeur.e.s documentalistes. Le deuxième chapitre annuel porte quant à lui sur la question du web, du moteur de recherche et de son incidence sur l’accès à l’information. Le lien est ici parfaitement clair avec le cœur épistémologique de l’information-documentation, à tel point que des notions professionnelles telles que l’indexation et le SIGB en tant que base de données sont convoquées dans le programme. Tous les autres chapitres, en ce qu’ils appellent à placer l’élève dans une posture de recul critique vis-à-vis du numérique et de son impact sur la société, peuvent être une porte d’entrée pour que le.la professeur.e documentaliste construise des situations d’apprentissage propices au développement d’une culture de l’information et des médias par les élèves.
En première, le thème 4 la spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques, « S’informer : un regard critique sur les sources et modes de communication », représente une autre occasion importante, pour le.la professeur.e documentaliste, de développer des apprentissages info-documentaires avec les élèves. Il n’est hélas fait aucune mention d’une possible collaboration, alors même que le double objectif de ce thème est de permettre aux élèves de « saisir les enjeux de l’information » et de les amener à « réfléchir sur leur propre manière de s’informer, dans la continuité de l’éducation aux médias et à l’information », en s’appuyant sur « une culture relative aux médias ».
Des programmes qui intègrent l’EMI en omettant le rôle du.de la professeur.e documentaliste dans son enseignement, ou en le limitant à une aide méthodologique facultative.
C’est le cas notamment du programme de Langues vivantes, qui fait mention d’une « éventuelle aide des professeurs documentalistes » concernant l’usage du numérique et une « éducation appropriée aux médias ».
Des savoirs explicités, des collaborations encouragées : pain maigre de ces nouveaux programmes
Les rares mentions de collaborations possibles entre les enseignant.e.s de discipline et les professeur.e.s documentalistes se basent sur des situations pédagogiques de recherche d’information. Il y est à chaque fois question de collaboration, et non de co-enseignement. Il semble que les notions et compétences ressortant de la culture de l’information et des médias, acception plus large que la simple démarche de recherche, ne sont pas liées, dans l’esprit des concepteurs de programmes et de l’institution, au plein exercice de notre mission pédagogique. Ce diagnostic illustre pour l’association un chantier revendicatif essentiel qui n’a rien de nouveau, cheval de bataille pour dépasser cette représentation de notre métier restrictive basée essentiellement sur du procédural.
La spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques vise la compétence « Se documenter : l’écoute active en cours doit être complétée par l’acquisition de cette compétence fondamentale pour la réussite dans le supérieur. En classe de première, le travail de documentation est guidé par le(s) professeur(s) de la spécialité et le professeur documentaliste, qui accompagne méthodiquement l’élève dans sa recherche de sources ou d’information, y compris sur internet ».
Le texte du programme de français propose quelques formulations enjoignant à la collaboration avec le.la professeur.e documentaliste qui dépassent le lexique de la possibilité et de l’auxiliaire. Ainsi, parmi les finalités visées, notons « amener [les élèves] à adopter une attitude autonome et responsable, notamment en matière de recherche d’information et de documentation, en coopération avec le professeur documentaliste » ; dans l’objet d’étude « Le roman et le récit du xviiie siècle au xxie siècle » : « [l’enseignant de français] favorise le travail interdisciplinaire, par exemple avec les professeurs documentalistes ». Enfin, l’objet d’étude en classe de seconde « La littérature d’idées et la presse du xixe siècle au xxie siècle » fait le lien avec l’EMI, cette thématique étant déjà abordée en classe de quatrième. Regrettons cependant que la collaboration avec le.la professeur.e documentaliste ne soit pas ici mentionnée.
Dans l’attente des programmes de la classe de terminale, notamment au sujet du grand oral, il apparaît que de nombreuses pistes pédagogiques peuvent s’ouvrir devant nous, à défaut de références explicites aux contenus de l’information-documentation ou aux possibilités de collaboration avec nos collègues enseignant.e.s d’autres disciplines. Se pose toujours, à l’orée de ce nouveau temps institutionnel, la question matérielle : comment concilier engagement pédagogique, gestion du lieu, gestion du fonds documentaire, ouverture culturelle, en l’absence de moyens humains ? Pourrons-nous réellement enseigner à tou.te.s les élèves alors que, déjà en nombre insuffisant, le nombre de postes au CAPES est en forte diminution ? Aucune volonté politique ne semble, une fois de plus, prendre en considération le rôle de notre profession. Alors que la création du CAPES de documentation célèbre ses trente ans, l’A.P.D.E.N. n’est, malheureusement, pas au bout de ses efforts pour faire valoir les revendications de ses membres.
Le site Dyspraxitheca a pour but d’aider les élèves dyspraxiques (6 à 16 ans) en mettant en ligne de nombreuses ressources à destination des élèves et des professeurs. Leçons, exercices, fiches pratiques et ebooks sont accessibles gratuitement sur la plateforme après inscription. Soutenu par le programme erasmus+, Dyspraxitheca est multilingue (anglais, français, grec, portugais, italien).
https://www.dyspraxiatheca.eu/fr/
Education à la santé
La Ligue nationale contre le cancer a conçu le site Lig’Up pour la prévention et l’éducation à la santé des jeunes. Deux interfaces disponibles :
“Junior” qui propose une recherche par thème (Activité physique, Addiction, Alimentation, Bien-être, Environnement, Soleil) et support (Article, BD, Infographie, Jeu, Livret, Clap Santé, Vidéo).
“Communauté éducative” qui donne accès à des dossiers pédagogiques thématiques, des outils pour préparer des séquences, des exemples d’actions auxquelles il est possible de participer, des comités départementaux pour aider à l’animation des activités. L’inscription des enseignants est nécessaire au préalable.
https://lig-up.net/
Edition numérique
Un livre dans le tiroir par Kobo
Après le lancement du livre audio au printemps 2018, Rakuten Kobo diffuse depuis le 12 mars 2019 des émissions en podcast sur l’actualité littéraire et sur les auteurs autoédités sur sa plateforme Writing Life. Ces émissions intitulées Un livre dans le tiroir, disponibles sur Soundcloud, peuvent se dérouler lors d’événements auxquels la société Rakuten participe tel que le Salon du livre de Paris.
Wattpad se lance dans l’édition
L’application mobile collaborative de publication de récits mis en ligne sous forme de feuilleton vient de franchir le pas en annonçant la publication d’ouvrages entiers dès l’automne 2019. Principalement constitués de fanfictions, de romances et d’ouvrages fantastiques, les romans publiés seront, dans un premier temps, uniquement en anglais. Enfin, un logiciel basé sur le Deeplearning repèrera les histoires les plus prometteuses.
Piratage sur le web
Piratage de livres numériques
Selon l’Office de la propriété intellectuelle de Grande Bretagne, 17% des ebooks détenus par les consommateurs sont piratés, soit environ 4 millions d’ouvrages. Les raisons avancées par les lecteurs pour justifier ce choix sont très diverses : le coût, le fait que l’on ne possède rien de concret et que les auteurs ne perçoivent pas de droits sur les livres d’occasion, le désir de partage avec d’autres lecteurs, la prélecture sélective. Pour la Society of Authors « L’éducation, c’est la réglementation, c’est la clé ».
Etude Hadopi sur les sites pirates
Les plateformes illégales de biens culturels numériques n’ont cessé d’augmenter depuis l’étude de 2012. Une nouvelle étude “L’écosystème illicite de biens culturels dématérialisés. Les modèles techniques et économiques des sites ou service illégaux de streaming et de téléchargement de biens culturels” a été commandée à la société de conseil EY (Ernst & Young Advisory) et rendue publique en janvier 2019. Il en ressort que, dans le secteur du livre, les sites pirates proposent essentiellement des mangas et les consommateurs ont une préférence pour le téléchargement direct. Lien sur l’étude :
Objets connectés
Libre circulation des Drones aux USA
Actuellement, en France et aux Etats-Unis, une autorisation préalable pour chaque vol de drone est obligatoire. Le gouvernement fédéral américain vient de rendre public un dossier sur les vols de routine à très basse altitude de drones commerciaux au dessus des zones urbaines. Selon Elaine Chao, secrétaire d’Etat aux transports, le ciel américain sera ouvert avec une autorisation unique pour les vols réguliers de drones, à partir de 2020. Amazon, Google, Fedex, Uber et CNN, déjà présents dans l’espace aérien, attendaient avec impatience cette décision.
Les innovations techniques de l’année 2018 :
Tout d’abord l’arrivée du smartphone pliable qui se faisait attendre depuis plusieurs années et dont le prix est assez élevé et la robustesse peu convaincante. Les vidéoprojecteurs 4K, lesquels deviennent abordables pour le grand public grâce à la technologie de vibration de miroir. Les écrans des smartphones sans bord dont l’intérêt est très discutable. Les enceintes connectées dont l’efficacité n’est pas avérée en langue française.
Robots…
Demain, les robots auteurs
Les chercheurs de l’association OpenAI sont spécialisés dans le développement des intelligences artificielles pour la rédaction de textes littéraires ou journalistiques. La machine GPT-2, alimentée avec suffisamment de données, est capable de rédiger un article sur un sujet ou d’écrire la suite d’un roman. Afin que les résultats ne soient pas utilisés pour diffuser de fausses informations, seule une version restreinte de GPT-2 a été communiquée au public.
Les robots journalistes
Il existe dans la presse américaine des quake-bot qui rédigent des articles sur les résultats sportifs, le bulletin météo et même sur les tremblements de terre (Los Angeles Times). En France, Le Monde a utilisé un programme similaire afin de publier une page sur le résultat des élections pour chaque municipalité en 2015.