Nouveaux programmes du lycée : où sont les profs docs ?

Des programmes au goût doux amer

La fabrique des programmes scolaires est une affaire de va-et-vient entre deux entités du Ministère de l’Éducation nationale : le Conseil Supérieur des programmes (CSP), chargé de constituer des groupes d’expert.e.s qui rédigent des projets de programmes, et la DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire), signataire finale des textes avant parution au Journal Officiel. Le calendrier extrêmement dense imposé par le Ministère de l’Éducation nationale n’a pas été sans conséquence sur la consultation et l’analyse proposée par l’A.P.D.E.N. Retour sur dix-huit mois de marathon.
Le 14 février 2018, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, annonce une réforme du baccalauréat et du lycée général et technologique et saisit le CSP le 28 février pour l’élaboration des nouveaux programmes et des nouvelles modalités d’évaluation des élèves. En amont, dès le printemps 2018, les syndicats et organisations professionnelles, dont l’A.P.D.E.N., sont auditionnés afin de faire un point sur les programmes existants et les perspectives que pourraient ouvrir les programmes à venir. En juin 2018, une délégation composée de membres du Bureau national et de représentants du GRCDI est reçue par Mme Ayada, présidente du CSP1. Par la suite, les groupes d’expert.e.s (GEPP) remettent leurs travaux au CSP entre septembre et octobre 2018. Les projets de programmes pour les niveaux seconde et première sont examinés par le CSP, puis soumis par la DGESCO à une consultation nationale. L’A.P.D.E.N. est alors sollicitée : selon un calendrier très contraint, le Bureau national y répond sous la forme d’une contribution écrite2. L’association y estime que les projets présentés organisent un transfert inadmissible et incompréhensible des contenus spécifiques de l’information-documentation vers les disciplines instituées, et n’admettent parallèlement qu’un rôle facultatif et auxiliaire des professeur.e.s documentalistes dans les champs couverts par l’EMI, sans jamais asseoir pleinement leur mission d’enseignement. D’autre part, ils sont également loin de donner aux professeur.e.s documentalistes toute leur place dans le champ du développement de la culture et de l’éducation artistique et culturelle, et omettent bien trop souvent de positionner le CDI comme « lieu de formation, de lecture, de culture et d’accès à l’information », principal espace de ressources dont disposent les élèves pour les situations et apprentissages envisagés.
Force est de constater que ces objections n’ont pas été entendues. Le constat est amer à la lecture des programmes définitifs, qui ont bien peu évolué par rapport à la version précédente. Les modalités d’élaboration institutionnelles n’ont pas permis de penser sereinement les contenus, dans un contexte où le Bureau national déplore toujours le refus de l’IGEN de mettre en place un groupe de travail sur les contenus d’un enseignement en information-documentation3, pourtant institué par la circulaire de missions.

Quid du lieu CDI ?

De manière générale, le rôle du CDI est à peine évoqué dans les programmes, alors même qu’il constitue le premier, voire le seul centre de ressources accessible pour les lycéens, et que les situations pédagogiques dans lesquelles il devrait être mobilisé sont par ailleurs nombreuses. Au-delà de ces « oublis » incompréhensibles, lorsque ce « lieu de formation, de lecture, de culture et d’accès à l’information » essentiel est effectivement inscrit, c’est souvent d’une façon qui évacue totalement le rôle et la responsabilité du.de la professeur.e documentaliste. Le programme de l’enseignement de spécialité d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques prévoit que les élèves aient « l’opportunité de réaliser des fiches de lecture sur des ouvrages relatifs aux thèmes étudiés et d’élaborer des projets qui les invitent à se documenter (…) ». L’évocation des ressources du CDI aurait ici été pertinente. Il en va d’ailleurs de même pour la spécialité humanités, littérature et philosophie. Quant au programme de mathématiques, il désigne le CDI comme un lieu où les élèves peuvent avoir un accès aux logiciels spécifiques dans l’établissement, à l’équivalence d’une simple salle informatique.
Enfin, le programme de langues vivantes cite le CDI en lui substituant une terminologie impropre ne relevant d’aucune disposition réglementaire : « certains scénarios peuvent faire l’objet d’une diffusion dans le cadre du lycée par l’intermédiaire du journal et/ou de la radio, du Centre de connaissances et de culture (3C, anciennement CDI), de l’Environnement numérique de travail (ENT), du site internet de l’établissement ». La circulaire de missions des professeur.e.s documentalistes4 entérinant pourtant sans ambiguïté le terme CDI, cette mention ne peut que laisser perplexe…

Quelle place pour l’ouverture culturelle ?

La mission du.de la professeur.e documentaliste en matière d’éducation culturelle et de développement de la lecture est souvent éludée, alors que notre circulaire de missions nous enjoint à contribuer à « l’éducation culturelle, sociale et citoyenne de l’élève » et à développer « l’intérêt pour la lecture ». Or la place du.de la professeur.e documentaliste dans les programmes littéraires et artistiques est très marginale. Dans la mesure où une majorité des programmes relevant du PEAC présente de surcroît des propositions intégrant tout à la fois les approches culturelle et documentaire, avec la mise en œuvre de supports de collecte, de production et d’organisation d’une documentation personnelle par les élèves, de type portfolio ou carnet de bord, cette lacune est doublement incompréhensible.

Dans le domaine de la littérature et du développement de la lecture

Le programme de français de seconde incite à développer le « plaisir de la littérature », et à favoriser « une pratique intensive de toutes les formes, scolaires et personnelles, de la lecture littéraire ». Absente du projet de programmes, la mention explicite de la collaboration avec le.la professeur.e documentaliste sur cette question a été ajoutée dans la version définitive : « La participation à des actions autour de la lecture, en lien avec les professeurs documentalistes, est favorisée ». La mise en valeur et l’exploitation du fonds du centre de ressources ne sont, en revanche, pas évoquées.
Le programme de langues vivantes encourage dès la classe de seconde « la lecture suivie en dehors de la classe », l’élève devant « lire pour son plaisir de façon très autonome ». Le programme de la spécialité littérature, langue et culture étrangère insiste également sur le goût de la lecture en langue vivante. Mais il n’est, là non plus, pas question de travail en lien avec le.la professeur.e documentaliste, qui peut pourtant mettre en place une valorisation du fonds linguistique, et notamment des périodiques en langues étrangères.

Dans le domaine de l’éducation culturelle et artistique

L’absence du.de la professeur.e documentaliste est encore plus criante dans le domaine de l’éducation culturelle et artistique. Seuls les programmes des enseignements optionnels d’histoire des arts de seconde et première évoquent son rôle dans le chapitre « Situations et repères pour l’enseignement » : « Avec l’aide des professeurs documentalistes, les élèves sont invités à exploiter les ressources documentaires disponibles, en particulier celles offertes par les technologies de l’information et de la communication. Ils sont initiés à l’identification, à la critique et à la hiérarchisation des sources documentaires. » Le CDI est, quant à lui, cité dans les programmes de théâtre en seconde et première, au chapitre sur les « Compétences méthodologiques » : « L’élève est capable : de mener une recherche documentaire au CDI ou sur Internet » pour la seconde, et « L’élève est capable de mener une recherche documentaire au CDI ou sur internet, et de la présenter de manière organisée, sous la forme de son choix, à la classe » en première.

Quelle place pour les savoirs info-documentaires ?

L’injonction à « form[er] tous les élèves à l’information documentation et contribu[er] à leur formation en matière d’éducation aux médias et à l’information » est donnée aux professeur.e.s documentalistes à travers deux textes de cadrage : le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation et la circulaire de missions. L’action pédagogique des professeur.e.s documentalistes y trouve un appui et une justification institutionnels. L’A.P.D.E.N., lors de la consultation du CSP en octobre 2018, avait mis en avant cette mission pédagogique à laquelle le ministère fixe pour objectifs de « conforter l’acquisition par chaque élève de la culture de l’information nécessaire à la vie en société et à la compréhension du monde, de développer l’autonomie et l’esprit critique de l’élève dans sa recherche et sa production documentaires et informationnelles et de développer des notions complexes au sein de parcours de formation spécifiques ».5
Les programmes du nouveau lycée général et technologique apportent-ils les éléments épistémologiques et les leviers pédagogiques et institutionnels nécessaires à la mise en œuvre effective de la formation de tous les élèves ?

L’esprit critique : esprit, es-tu là ?
De l’incantation magique à la formation effective des élèves

Tous les programmes de seconde insistent, en préambule, sur la nécessité de développer l’esprit critique de nos élèves. Ainsi, par exemple, l’enseignement du français vise à « approfondir et exercer le jugement et l’esprit critique des élèves (…) » ; l’EMC « contribue à forger leur sens critique et à adopter un comportement éthique » ; en EPS, l’élève « accroît ses capacités de raisonnement et son esprit critique ». Cette question sociale et civique intéresse, parmi tou.te.s ses collègues, le.la professeur.e documentaliste, qui problématise ce sujet sous l’angle de l’accès à l’information et de la confrontation de la source.
Dans un effet de balancier inverse, le questionnement de la source a été abandonné dans la version finale du programme d’histoire en seconde ; il est toutefois maintenu dans le programme d’EMC, qui y accorde une réelle importance. Les compétences en jeu, du point de vue de la culture de l’information et des médias, ne sont pas explicitées dans les attendus disciplinaires. Il est donc permis de voir dans cette formule totémique une nouvelle occasion manquée d’asseoir l’apport pédagogique des professeur.e.s documentalistes, dans leur champ spécifique de l’information-documentation comme dans la dimension transversale de formation à la citoyenneté. Quand la société appelle de plus en plus fortement à faire le tri dans l’information accessible en questionnant les infox, ce constat se révèle tristement ironique. La crainte est forte de rester sur une conception procédurale, modélisante (mettre au point la « recette » pour déjouer le complotisme et la désinformation), sans faire le pont avec ce qui doit, selon nous, impérativement précéder et chapeauter la formation de l’élève : travailler sur la source, la production et la diffusion de l’information, sous les aspects technique, juridique, social, économique, le tout dans une logique de progression impliquant un contact régulier, tout au long du parcours de l’élève, avec des productions informationnelles et médiatiques variées. Il s’agit bien là du cœur de notre mission pédagogique : la culture de l’information et des médias.
Dans la continuité de cette réflexion, nous pouvons nous interroger sur le devenir effectif, au lycée, de l’EMI qui, jusqu’alors présente uniquement dans les programmes d’EMC datant de 2015, fait son entrée officielle dans les programmes. Les concepteurs de ces derniers entérinent l’intégration de l’EMI dans la sphère de l’EMC : « L’éducation aux médias et à l’information, la formation du jugement ainsi que l’enseignement laïque des faits religieux entrent également dans son périmètre ». Si nombre de compétences relevant de l’EMI sont disséminées dans les programmes, cette « éducation à » est au final peu citée en tant que telle. On la retrouve dans les programmes de seconde de français, langues vivantes, SVT et management et gestion (enseignement optionnel) ; en première, elle n’est citée qu’en langues vivantes et SVT. La place de l’EMI n’est donc pas prépondérante dans les programmes du nouveau lycée. Si la contextualisation institutionnelle et les contenus afférents sont lisibles et compréhensibles pour les professeur.e.s documentalistes, qu’en sera-t-il des collègues des autres disciplines, mais également des chef.fe.s d’établissement ? Quelle place occupera l’EMI dans les formations que les académies mettront en place pour accompagner la réforme du lycée ? L’expérience du collège permet de poser le constat du peu d’engagement des collègues des autres disciplines dans cet enseignement transversal, ou a minima, de leur engagement à géométrie très variable en fonction des établissements, qui ne présage pas d’un meilleur avenir au lycée.

Des savoirs présents en creux : vers un transfert de nos compétences pédagogiques ?

Les savoirs adossés aux sciences de l’information et de la communication, champ scientifique de référence des professeur.e.s documentalistes, présentent de nombreuses occurrences, sans jamais être associés à la préconisation d’un co-enseignement articulant l’épistémologie de la discipline-support, et celle, spécifique, de l’information-documentation, cette dernière faisant de plus l’objet de nombreuses confusions avec l’EMI. De même, de nombreuses compétences et situations pédagogiques relevant de la recherche, de l’exploitation (sélection et évaluation), de la production et de la communication d’informations sont disséminées dans les programmes de disciplines aux épistémologies diverses, sans que soit mentionné le rattachement au champ d’expertise des professeur.e.s documentalistes, sans que soit même mentionnée la nécessaire collaboration avec ces dernier.e.s. Et, lorsque c’est le cas, la terminologie pour la définir cantonne in fine le.la professeur.e documentaliste à une posture d’accompagnement ou d’aide, par nature facultative. Ces constats s’appliquent également aux occurrences de l’EMI présentes dans les programmes, qui ne font apparaître la responsabilité et le rôle du.de la professeur.e documentaliste qu’en termes d’éventualité ou de possibilité, voire même l’omettent purement et simplement.

Des programmes qui intègrent l’enseignement de contenus de l’information-documentation… sans le.la professeur.e documentaliste

La lecture du préambule du programme d’EMC de seconde et première ne peut que nous interroger sur la prise en compte de notre rôle auprès des élèves : « Dans sa contribution à la construction du jugement, l’enseignement moral et civique permet la réflexion sur les sources utilisées (textes écrits, cartes, images, œuvres picturales, mises en scène théâtrales et chorégraphiques, productions cinématographiques, musiques et chansons, etc.), sur leur constitution comme document, sur leurs usages culturels, médiatiques et sociaux. L’enseignement moral et civique initie les élèves à la recherche documentaire et à ses méthodes (…) ». Qui donc permet « la réflexion sur les sources », qui « initie les élèves à la recherche documentaire… » ? La formulation est pour le moins équivoque. Nous identifions là des objectifs qui entrent dans le champ d’expertise des professeur.e.s documentalistes sans que nous y soyons explicitement nommé.e.s, et le texte porte immanquablement à interprétation : doit-on comprendre qu’étant dans son champ d’expertise, le.la professeur.e documentaliste est désigné.e pour cette « initiation » ou estime-t-on que tout.e professeur.e du secondaire prenant en charge l’EMC est en capacité de former les élèves dans ces domaines ?
Dans le programme de seconde en SVT, la réponse est claire : « les professeurs de SVT contribuent à l’éducation des élèves aux médias et à l’information par un travail régulier d’approche critique des informations » ; « une formation scientifique développe les compétences d’analyse critique pour permettre aux élèves de vérifier les sources d’information et leur légitimité, puis de distinguer les informations fiables. Ces démarches sont particulièrement importantes en SVT, qui font souvent l’objet de publications « pseudo-scientifiques », voire idéologiques ». Notons que ni le.la professeur.e documentaliste ni le CDI ne sont cités dans ce texte. De nombreuses compétences info-documentaires y sont pourtant attendues : « recenser, extraire, organiser et exploiter des informations à partir de documents en citant ses sources, à des fins de connaissance et pas seulement d’information », « conduire une recherche d’informations sur internet en lien avec une question ou un problème scientifique, en choisissant des mots-clés pertinents, et en évaluant la fiabilité des sources et la validité des résultats », etc.
Le programme de physique-chimie est plus économe en notions info-documentaires, mais précise tout de même en préambule qu’une des compétences développées dans le cadre de la démarche scientifique est de « rechercher et organiser l’information en lien avec la problématique étudiée ».
Le cas le plus emblématique de cet axe est en effet celui de l’enseignement obligatoire nouvellement créé en seconde, sciences numériques et technologie (SNT). Il s’agit là d’un enseignement ayant vocation à être pris en charge par tout.e enseignant.e, et non pas d’une nouvelle discipline. Difficile néanmoins de ne pas relever, dans le contexte de l’annonce toute récente de la création d’un CAPES, puis d’une agrégation d’informatique, une orientation éminemment axée sur l’aspect informatique du numérique, prémisse de l’enseignement de spécialité numérique et sciences informatiques (NSI). Cependant, une grande part du contenu de cet enseignement fait appel à une contextualisation de l’usage du numérique dans la société, de son impact sur les humains, en mobilisant des compétences ou des notions en information-documentation, déjà travaillées par les professeur.e.s documentalistes dans d’autres contextes pédagogiques. Ainsi le chapitre consacré aux réseaux sociaux recouvre-t-il en partie le champ du chapitre « Enjeux moraux et civiques de la société de l’information » abordé en EMC en classe de première, qui était l’occasion de nombreuses situations d’apprentissage investies par les professeur.e.s documentalistes. Le deuxième chapitre annuel porte quant à lui sur la question du web, du moteur de recherche et de son incidence sur l’accès à l’information. Le lien est ici parfaitement clair avec le cœur épistémologique de l’information-documentation, à tel point que des notions professionnelles telles que l’indexation et le SIGB en tant que base de données sont convoquées dans le programme. Tous les autres chapitres, en ce qu’ils appellent à placer l’élève dans une posture de recul critique vis-à-vis du numérique et de son impact sur la société, peuvent être une porte d’entrée pour que le.la professeur.e documentaliste construise des situations d’apprentissage propices au développement d’une culture de l’information et des médias par les élèves.
En première, le thème 4 la spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques, « S’informer : un regard critique sur les sources et modes de communication », représente une autre occasion importante, pour le.la professeur.e documentaliste, de développer des apprentissages info-documentaires avec les élèves. Il n’est hélas fait aucune mention d’une possible collaboration, alors même que le double objectif de ce thème est de permettre aux élèves de « saisir les enjeux de l’information » et de les amener à « réfléchir sur leur propre manière de s’informer, dans la continuité de l’éducation aux médias et à l’information », en s’appuyant sur « une culture relative aux médias ».

Des programmes qui intègrent l’EMI en omettant le rôle du.de la professeur.e documentaliste dans son enseignement, ou en le limitant à une aide méthodologique facultative.

C’est le cas notamment du programme de Langues vivantes, qui fait mention d’une « éventuelle aide des professeurs documentalistes » concernant l’usage du numérique et une « éducation appropriée aux médias ».

Des savoirs explicités, des collaborations encouragées : pain maigre de ces nouveaux programmes

Les rares mentions de collaborations possibles entre les enseignant.e.s de discipline et les professeur.e.s documentalistes se basent sur des situations pédagogiques de recherche d’information. Il y est à chaque fois question de collaboration, et non de co-enseignement. Il semble que les notions et compétences ressortant de la culture de l’information et des médias, acception plus large que la simple démarche de recherche, ne sont pas liées, dans l’esprit des concepteurs de programmes et de l’institution, au plein exercice de notre mission pédagogique. Ce diagnostic illustre pour l’association un chantier revendicatif essentiel qui n’a rien de nouveau, cheval de bataille pour dépasser cette représentation de notre métier restrictive basée essentiellement sur du procédural.
La spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques vise la compétence « Se documenter : l’écoute active en cours doit être complétée par l’acquisition de cette compétence fondamentale pour la réussite dans le supérieur. En classe de première, le travail de documentation est guidé par le(s) professeur(s) de la spécialité et le professeur documentaliste, qui accompagne méthodiquement l’élève dans sa recherche de sources ou d’information, y compris sur internet ».
Le texte du programme de français propose quelques formulations enjoignant à la collaboration avec le.la professeur.e documentaliste qui dépassent le lexique de la possibilité et de l’auxiliaire. Ainsi, parmi les finalités visées, notons « amener [les élèves] à adopter une attitude autonome et responsable, notamment en matière de recherche d’information et de documentation, en coopération avec le professeur documentaliste » ; dans l’objet d’étude « Le roman et le récit du xviiie siècle au xxie siècle » : « [l’enseignant de français] favorise le travail interdisciplinaire, par exemple avec les professeurs documentalistes ». Enfin, l’objet d’étude en classe de seconde « La littérature d’idées et la presse du xixe siècle au xxie siècle » fait le lien avec l’EMI, cette thématique étant déjà abordée en classe de quatrième. Regrettons cependant que la collaboration avec le.la professeur.e documentaliste ne soit pas ici mentionnée.
Dans l’attente des programmes de la classe de terminale, notamment au sujet du grand oral, il apparaît que de nombreuses pistes pédagogiques peuvent s’ouvrir devant nous, à défaut de références explicites aux contenus de l’information-documentation ou aux possibilités de collaboration avec nos collègues enseignant.e.s d’autres disciplines. Se pose toujours, à l’orée de ce nouveau temps institutionnel, la question matérielle : comment concilier engagement pédagogique, gestion du lieu, gestion du fonds documentaire, ouverture culturelle, en l’absence de moyens humains ? Pourrons-nous réellement enseigner à tou.te.s les élèves alors que, déjà en nombre insuffisant, le nombre de postes au CAPES est en forte diminution ? Aucune volonté politique ne semble, une fois de plus, prendre en considération le rôle de notre profession. Alors que la création du CAPES de documentation célèbre ses trente ans, l’A.P.D.E.N. n’est, malheureusement, pas au bout de ses efforts pour faire valoir les revendications de ses membres.

 

 

Veille numérique 2019 spéciale

Education : Santé et handicap

Dyspraxie à l’école

Le site Dyspraxitheca a pour but d’aider les élèves dyspraxiques (6 à 16 ans) en mettant en ligne de nombreuses ressources à destination des élèves et des professeurs. Leçons, exercices, fiches pratiques et ebooks sont accessibles gratuitement sur la plateforme après inscription. Soutenu par le programme erasmus+, Dyspraxitheca est multilingue (anglais, français, grec, portugais, italien).
https://www.dyspraxiatheca.eu/fr/

Education à la santé

La Ligue nationale contre le cancer a conçu le site Lig’Up pour la prévention et l’éducation à la santé des jeunes. Deux interfaces disponibles :
“Junior” qui propose une recherche par thème (Activité physique, Addiction, Alimentation, Bien-être, Environnement, Soleil) et support (Article, BD, Infographie, Jeu, Livret, Clap Santé, Vidéo).
“Communauté éducative” qui donne accès à des dossiers pédagogiques thématiques, des outils pour préparer des séquences, des exemples d’actions auxquelles il est possible de participer, des comités départementaux pour aider à l’animation des activités. L’inscription des enseignants est nécessaire au préalable.
https://lig-up.net/

Edition numérique

Un livre dans le tiroir par Kobo

Après le lancement du livre audio au printemps 2018, Rakuten Kobo diffuse depuis le 12 mars 2019 des émissions en podcast sur l’actualité littéraire et sur les auteurs autoédités sur sa plateforme Writing Life. Ces émissions intitulées Un livre dans le tiroir, disponibles sur Soundcloud, peuvent se dérouler lors d’événements auxquels la société Rakuten participe tel que le Salon du livre de Paris.

Wattpad se lance dans l’édition

L’application mobile collaborative de publication de récits mis en ligne sous forme de feuilleton vient de franchir le pas en annonçant la publication d’ouvrages entiers dès l’automne 2019. Principalement constitués de fanfictions, de romances et d’ouvrages fantastiques, les romans publiés seront, dans un premier temps, uniquement en anglais. Enfin, un logiciel basé sur le Deeplearning repèrera les histoires les plus prometteuses.

Piratage sur le web

Piratage de livres numériques

Selon l’Office de la propriété intellectuelle de Grande Bretagne, 17% des ebooks détenus par les consommateurs sont piratés, soit environ 4 millions d’ouvrages. Les raisons avancées par les lecteurs pour justifier ce choix sont très diverses : le coût, le fait que l’on ne possède rien de concret et que les auteurs ne perçoivent pas de droits sur les livres d’occasion, le désir de partage avec d’autres lecteurs, la prélecture sélective. Pour la Society of Authors « L’éducation, c’est la réglementation, c’est la clé ».

Etude Hadopi sur les sites pirates

Les plateformes illégales de biens culturels numériques n’ont cessé d’augmenter depuis l’étude de 2012. Une nouvelle étude “L’écosystème illicite de biens culturels dématérialisés. Les modèles techniques et économiques des sites ou service illégaux de streaming et de téléchargement de biens culturels” a été commandée à la société de conseil EY (Ernst & Young Advisory) et rendue publique en janvier 2019. Il en ressort que, dans le secteur du livre, les sites pirates proposent essentiellement des mangas et les consommateurs ont une préférence pour le téléchargement direct. Lien sur l’étude :

Objets connectés

Libre circulation des Drones aux USA

Actuellement, en France et aux Etats-Unis, une autorisation préalable pour chaque vol de drone est obligatoire. Le gouvernement fédéral américain vient de rendre public un dossier sur les vols de routine à très basse altitude de drones commerciaux au dessus des zones urbaines. Selon Elaine Chao, secrétaire d’Etat aux transports, le ciel américain sera ouvert avec une autorisation unique pour les vols réguliers de drones, à partir de 2020. Amazon, Google, Fedex, Uber et CNN, déjà présents dans l’espace aérien, attendaient avec impatience cette décision.

Les innovations techniques de l’année 2018 :

Tout d’abord l’arrivée du smartphone pliable qui se faisait attendre depuis plusieurs années et dont le prix est assez élevé et la robustesse peu convaincante. Les vidéoprojecteurs 4K, lesquels deviennent abordables pour le grand public grâce à la technologie de vibration de miroir. Les écrans des smartphones sans bord dont l’intérêt est très discutable. Les enceintes connectées dont l’efficacité n’est pas avérée en langue française.

 

Robots…

Demain, les robots auteurs

Les chercheurs de l’association OpenAI sont spécialisés dans le développement des intelligences artificielles pour la rédaction de textes littéraires ou journalistiques. La machine GPT-2, alimentée avec suffisamment de données, est capable de rédiger un article sur un sujet ou d’écrire la suite d’un roman. Afin que les résultats ne soient pas utilisés pour diffuser de fausses informations, seule une version restreinte de GPT-2 a été communiquée au public.

Les robots journalistes

Il existe dans la presse américaine des quake-bot qui rédigent des articles sur les résultats sportifs, le bulletin météo et même sur les tremblements de terre (Los Angeles Times). En France, Le Monde a utilisé un programme similaire afin de publier une page sur le résultat des élections pour chaque municipalité en 2015.

 

 

Des livres et vous

Il suffit de relire sa collection d’Intercdi pour mesurer combien la richesse du métier de professeur documentaliste réside dans sa diversité, sa pratique protéiforme, en perpétuelle adaptation. C’est, pour chaque lieu, une terre à modeler de son empreinte et l’on observe, selon chacun, la pousse de fleurs extrêmement variées ! Si l’on devait pourtant relever un point commun qui nous relie, tous, sans exception, rien ne serait plus aisé : l’amour du livre et l’envie, impérieuse, de sa transmission. Il suffit pour s’en rendre compte de suivre vos publications, que ce soit dans nos articles, sur vos blogs, les listes de modération, les réseaux sociaux… Votre créativité au service de l’accès à la lecture, aux documents, au fonds, est inépuisable ! Cet accès passe bien entendu avant tout, d’un point de vue pratique et tangible, par la gestion du lieu CDI.
C’est pourquoi, dans ce numéro, Intercdi a souhaité (ré)interroger ce qui pourrait apparaître comme la base immuable de notre pratique du métier : les notions de classement et de classification. Parce que si des règles largement admises existent pour structurer cette partie « gestionnaire », il semble toujours intéressant de se repencher sur leur motivation, voire de questionner leur pertinence à l’égard de l’évolution du métier, de la société. Dans son article « La retraite de Melvil », Nora Nagi-Amelin se fait ainsi la porte-parole de celles et ceux d’entre vous qui ont fait le choix de s’affranchir de la classique alternative « CDU ou Dewey », en expliquant sa décision d’opter pour un « classement par centre d’intérêt », plus communément connu sous l’expression anglaise Bookstore model puisqu’il s’inspire des techniques plus intuitives des libraires. Une prise de position forte, issue d’une réflexion aboutie qui permet à chacun, en accord ou en désaccord, peu importe, de se ressaisir de ses propres choix en pleine conscience !
Les diverses contributions de ce numéro vous permettront d’alimenter cette réflexion. Florie Delacroix nous propose à la fois sa note de lecture sur le livre d’Alberto Manguel, La Bibliothèque, la nuit, une Fiche Intercdi comparant les différents modes de classements et de classifications, et enfin une Ouverture culturelle sur les bibliothèques, réelles ou imaginaires. De quoi vous donner des clés pour affiner, en toute conscience, votre pratique professionnelle !
Les autres articles se chargeront de lui ouvrir des perspectives : le Thèmalire d’Hélène Zaremba invite ainsi à repenser la place des documentaires à l’ère d’Internet, le « Voyage en allophonie » de Corinne Paris nous montre comment la lecture se fait naturellement levier d’intégration, et « le cas Sikoryak » exploré par Agnès Deyzieux révèle comment le procédé littéraire, ici en bande dessinée, permet une plus grande compréhension du monde.

En un mot comme en mille :
lisez et faites lire ! Lire c’est vivre !

L’évolution de la recherche d’informations, de la « retrouvabilité » à la prédictibilité

Le type d’informations requises évolue. Ainsi, pendant des siècles, c’est le besoin d’accumuler qui prédomine avec la nécessité de ne plus perdre des savoirs anciens que les aléas de l’Histoire ont pu faire disparaître. Une logique qui bien sûr se retrouve souvent en porte-à-faux avec le dogme privilégiant la sélection des textes officiels. La « retrouvabilité » de l’information repose ainsi sur la nécessité d’une conservation des savoirs. Les compilateurs craignent des âges obscurs qui verraient la disparition des savoirs anciens et le temps passé à les redécouvrir. Cette logique est aussi celle de la célébration d’une Antiquité jugée supérieure, dont on déplore les textes perdus. Cependant, le passé est souvent chargé d’erreurs, notamment avec ces idola ou fausses connaissances anciennes dont il convient de se départir. C’est la prise de conscience progressive qu’il reste encore des savoirs à acquérir, et que, par conséquent, des domaines d’étude sont en construction et donc incomplets. Ces positions nouvelles émergent peu à peu, et notamment à partir de la Renaissance où les tabulae (tables des matières) s’accompagnent d’une volonté d’organiser les connaissances qui vont aboutir au projet encyclopédique de Diderot et d’Alembert et aux logiques classificatoires qui visent à ordonner les savoirs ainsi que les documents.

Invenire : du besoin de rechercher ce que l’on connaît déjà au besoin de trouver du nouveau

« On a vu que la notion d’inventio change avec Bacon : de recherche de ce que l’on savait déjà, elle se transforme en découverte de ce qu’on ne savait pas encore. Mais à ce compte, fouiller dans le répertoire du savoir revient à mettre sens dessus dessous un immense magasin dont on ne connaît pas encore l’extension, et à y chercher quelque chose non seulement pour l’utiliser pour ce qu’il est, mais aussi pour se livrer, d’une certaine manière, à une opération de bricolage et trouver de nouvelles possibilités de fusion, de rapport, d’emboîtement entre des choses qui, initialement ne présentaient aucun rapport de réciprocité. » (Eco, 2010, p. 65)
Dès lors, invenire désigne de plus en plus le fait de trouver quelque chose de nouveau, notamment une nouvelle relation, plutôt que de simplement retrouver l’information. En effet, jusque-là, c’était le besoin de la retrouver le plus rapidement possible qui dominait avec le statim invenire de la période médiévale, qui va notamment s’appuyer sur les tabulae et sur les index. L’importance de pouvoir retrouver l’information implique des dispositifs spécifiques. Il est possible de citer ici les travaux qui permettent notamment l’amélioration de la structure de la page du manuscrit, avec Hugues de Saint-Victor : ce dernier amorce un travail qui consiste à produire des manuscrits en tant qu’outils qui permettent une lecture studieuse. Son ouvrage, le Didalisco de studium legendi, a été notamment bien analysé par Ivan Illich.
Cette volonté de retrouvabilité de l’information va se manifester dans le besoin de disposer d’outils de recherche rapide, notamment au sein d’ouvrages régulièrement consultés et qui font figure de miroir de connaissances de l’époque. C’est le cas de la constitution d’index comme celui réalisé par l’équipe de moines de Jean Hautfuney sur le Speculum historiale de Vincent de Beauvais. Peu à peu l’essor de nouvelles logiques d’étude vont de pair avec la nécessité de mieux organiser les savoirs et les lieux de savoir.

De l’invenire à l’a-venir

L’évolution de la recherche d’information s’est faite petit à petit vers une anticipation du besoin d’information via des démarches de veille qui permettent de récupérer de l’information et de la catégoriser selon des caractéristiques précises au désir d’anticiper à l’avance quel sera le besoin d’information lui-même… parfois avant même qu’il ne soit exprimé !
Le processus d’automatisation couplé à des logiques prédictives permet d’envisager de nouvelles potentialités. On peut désormais imaginer des systèmes d’information qui vous donneraient des éléments du type « vous pourriez avoir besoin de ce document » ou « vous pourriez avoir besoin d’analyser cette thématique pour laquelle le système a déjà repéré plusieurs informations ». Pour que cela fonctionne, il faut confier au système un maximum de données. C’est en partie de cette manière que fonctionnent les moteurs de recherche qui, en tentant d’ajouter des critères, proposent une personnalisation des résultats en fonction de notre localisation, des requêtes précédentes et parfois en fonction des relations sociales déclarées. Si un de vos amis a consulté tel site ou s’il est le créateur de la ressource ou d’un signalement, cela peut s’avérer un signe positif à prendre en compte. Sur Google Scholar par exemple, un chercheur se voit mentionner les articles que le chercheur a lui-même cités.
Le réseau affinitaire s’étend le plus souvent par des systèmes de similarité ou simplement de co-occurrences. Si vous avez acheté tel produit, le système vous propose des produits qui sont le plus souvent achetés en même temps par d’autres clients, même chose pour les emprunts à la bibliothèque. Cette logique est associée aux produits consultés, mis de côté, sur des listes d’achats futurs, potentiels ou désirés. C’est justement la tension entre le like et le want, entre le fait d’aimer quelque chose et le désir d’achat. Amazon a développé toute une logistique sophistiquée qui permet d’anticiper les achats futurs de ses clients réguliers. Si parfois l’exagération consiste à faire croire que le panier d’achats existe déjà, il s’agit surtout d’un système de gestion de stocks afin que le produit soit prêt à être expédié en cas d’achat.
Au niveau informationnel, il s’agit de vous envoyer des informations ou des documents sans que vous n’ayez fait de suggestions particulières. Au début, on constate surtout des envois informationnels de type météo ou informations généralistes, mais l’objectif à terme est d’affiner cette perspective avec des propositions de plus en plus personnalisées grâce à des outils comme des agents intelligents évolués. Ce n’est donc plus de la sérendipité mais une anticipation informationnelle qui réside sur des systèmes automatisés et qui minimise les interventions humaines pour tenter de se rapprocher des habitudes de requêtes et de consultations.

Des systèmes qui supposent une maîtrise

Ces systèmes souvent exagérément qualifiés d’intelligence artificielle ou de système de deep learning fonctionnent sur l’agrégation de données avec des traitements statistiques et des méthodes de classification qui mêlent traitement automatique du langage et microtâches humaines pour tenter de fournir une information sélectionnée et personnalisée.
Cependant, au lieu d’assurer une information de qualité, ces systèmes peuvent également renforcer les effets de bulles de filtre et on finit par obtenir assurément l’information que l’on désire… à savoir celle qui conforte notre opinion, ce qui aboutit à un résultat inverse de celui désiré ! Au lieu de produire une augmentation par l’apport d’informations nouvelles qui pourraient se transformer en un savoir renouvelé, il s’agit surtout d’une réduction des capacités de réflexion. Les systèmes dits d’intelligence artificielle ont dès lors plus de chance de se nourrir de bêtise collective que d’intelligence collective s’il n’est pas possible pour l’individu de comprendre a minima comment fonctionne le dispositif afin de pouvoir le « hacker », c’est-à-dire d’en tirer véritablement la quintessence.
C’est la logique première des théories de l’augmentation qui recherchent des moyens pour aider l’homme à être plus performant dans son travail intellectuel. La mise à disposition de tels outils à des non-professionnels de l’information non formés aboutit non pas à une démocratisation, mais à une nouvelle forme de manipulation de l’esprit.
Une nouvelle fois, l’accès aux Lumières des lettrés du digital suppose un effort, une sortie hors de l’état de minorité à la fois technique et intellectuelle dans laquelle peuvent nous mener de tels systèmes, car l’individu se montre capable de les utiliser de manière intuitive via des interfaces aisées ou quasiment invisibles, mais incapables de pleinement les comprendre. Or, l’effort suppose une capacité à paramétrer le dispositif et à en comprendre les présupposés et les limites. Kant dirait que nos directeurs de conscience sont aussi humains que techniques désormais.
Si on comprend l’intérêt pour un chercheur ou un spécialiste d’un domaine, voire pour une organisation, de pouvoir anticiper des besoins informationnels précis et stratégiques, l’individu risque de produire un enfermement informationnel du même niveau que le spectateur de TF1 qui ne regarde plus que Jean-Pierre Pernaut.
Plusieurs pistes techniques peuvent être évoquées : celle du hasard (random), c’est-à-dire le signalement de ressources en dehors des sphères informationnelles traditionnellement consultées. Mais cela ne garantit en aucun cas son intelligibilité et sa lisibilité pour un individu qui peut en trouver le contenu trop difficile, ou trop en désaccord avec ses propres opinions.
Il est aussi possible d’envisager la piste de l’index ou de l’annuaire humain qui consisterait à valoriser les ressources dites fiables et à pénaliser les plus hasardeuses. Si ces systèmes sont en déclin depuis la disparition successive des annuaires de Yahoo et de Dmoz, un retour à la médiation humaine pose évidemment la question de la légitimité des référenceurs. Les pistes Decodex impulsées par Le Monde restent opportunes, mais nécessitent des logiques qui mêlent expertises et contre-pouvoirs sous peine de censure. C’est aussi le rappel que les signets sociaux furent un temps une piste opportune que les moteurs de recherche ont négligée ou ont tenté de réduire à un traitement statistique des likes et des plus.
Si ces systèmes de médiation humaine peuvent être critiqués, ils semblent plus souhaitables que ceux qui consistent à valoriser les contenus dits populaires qui émanent sur les réseaux sociaux, fonctionnant bien souvent sur le registre de l’émotion plutôt que sur celui de la raison.
Il reste bien évidemment l’enjeu essentiel de la formation à ces systèmes informationnels, ce qui signifie que l’éducation aux médias et à l’information est clairement une éducation aux dispositifs et à la question du medium.
Finalement, la question de la prédictibilité repose en grande partie sur l’étude de ce que l’on sait déjà, de la constitution de modèles ou patterns qu’on applique à une situation donnée, si bien que paradoxalement on finit toujours par rechercher ce que l’on savait déjà… alors qu’on espère toujours obtenir du nouveau. Or, le nouveau réside souvent dans ce qui est justement difficile à identifier. Le système idéal est alors celui qui détecte la petite fenêtre vers d’autres possibles, un monde de Was ist das ?

Un art du filtrage

Pour cela, il faut développer un art du filtrage comme le recommandait Umberto Eco*, qui consiste à opérer des sélections et donc à créer de l’oubli dans les dispositifs sous peine de ne plus pouvoir avoir l’esprit clair, car il y a trop d’éléments à mobiliser, un peu comme ces personnes qui possèdent une mémoire tellement importante qu’ils finissent par oublier, car ils ne parviennent plus à distinguer l’important dans la masse d’informations.
Alors que les outils mobilisés paraissent des instruments de mémoire puisqu’ils font le choix de tout collecter pour y greffer des patterns, il faut au contraire retrouver le moyen de produire de l’oubli de façon consciente plutôt que de déléguer cette opération. Paradoxalement, les outils finissent par faire oublier le coupable de l’histoire, l’auteur lui-même des sélections et des choix, lequel finit par oublier qu’il tourne en rond dans le même univers informationnel par sa propre incapacité à en sortir alors qu’il finira par accuser le système lui-même. Le système produit des narrateurs qui en oublient leur propre histoire. Or, il s’agit de devenir des Don Isidro Parodi, du nom du héros des nouvelles de Borges et de Casarès (publié sous le pseudonyme de H. Bustos Domecq) qui parvient à démêler le vrai du faux et à trouver les éléments essentiels dans des histoires pleines de détails dont il est impossible de percevoir quels sont ceux qui font sens à la fin :
« Don Isidro Parodi, de l’intérieur d’une prison, sans cesse à l’écoute des récits et des rapports de personnages extravagants et fort peu dignes de foi, finit toujours par venir à bout de l’énigme et s’il y parvient, c’est parce qu’il a considéré comme pertinente une certaine donnée dont parlait le récit. Si bien qu’à la fin, le lecteur est tenté de se demander pourquoi il n’a pas aussi gagné la partie, étant donné qu’il avait en main les mêmes cartes qu’Isidro Parodi. La malice de Borges tient au fait que les détails qui s’accumulent dans le récit sont très nombreux, et tous également emphatisés (où tous racontés à un degré zéro de l’emphase) ; il n’y avait donc aucune raison pour que le lecteur dût mémoriser le détail A plutôt que le détail B. De fait, il n’y a aucune raison non plus pour que le détail A dût être relevé comme pertinent par Don Isidro. Don Isidro est un monstre, et plus encore que Funes, car non seulement il n’oublie rien, mais à l’intérieur du flux mémoriel qui l’obsède, il parvient à faire ressortir l’unique chose qui compte en vue de la solution. Le texte borgésien, en faisant le récit d’un personnage qui se rappelle tout, nous parle en effet méta-narrativement d’un lecteur qui ne se rappelle rien, et d’un texte qui fait tout pour le pousser à oublier. » (Eco ; idem, p. 137)
Alors qu’il est tentant de penser que nous sommes entrés dans des périodes dystopiques qui puisent dans les nouvelles et séries de science-fiction avec des entités artificielles qui pourraient nous dominer, il est plus raisonnable de penser que nous ne sommes pas vraiment sortis des univers à la Borges, ce qui oblige à plus de modestie et à la nécessité de trouver un équilibre dans des labyrinthes informationnels et documentaires dont nous ne parvenons jamais à pleinement saisir la signification.

 

Voyage en « allophonie »

Eva, Analyn, Chang, Jasmine, Youssef, entrent en coup de vent dans le cdi, me disent les uns après les autres – souvent de manière tonitruante ! – « Bonjour Madame ! » et s’affalent sur les sièges, après avoir déposé leurs cartables à l’entrée. Certains vont chercher des poufs, d’autres s’éloignent vers les rayonnages pour jeter un coup d’œil, d’autres encore feuillettent les magazines. Les élèves d’UPE2A2 prennent chaque semaine possession du lieu. Ils s’y sentent à l’aise, grâce à la mise en place d’un rendez-vous hebdomadaire, intitulé « Club de Lecture ». Tous les jeudis, à la même heure, le CDI leur est réservé, quoiqu’il arrive. Cela leur permet dès les premières semaines de l’année d’avoir des repères, et nous savons combien ces enfants venus du monde entier, dans des conditions parfois difficiles, et ne maîtrisant pas ou peu la langue et la culture françaises, ainsi que les codes de l’école, en ont besoin. Ce rendez-vous est aussi pour eux une pause dans leur emploi du temps de collégiens, coincés derrière une table, faisant pendant de longues heures des efforts de concentration pour apprendre le français.
Dans ce lieu qui ne ressemble pas à une salle de classe, malgré la présence de quelques tables et de chaises, les élèves se sentent bien. En attendant que l’activité du jour se mette en place, ils bavardent gaiement. Des mots dans toutes les langues fusent, les échanges vont bon train. Cette année, nous avons des enfants de 18 nationalités (un record !) : chinoise, philippine, malienne, ghanéenne, algérienne, colombienne, russe, australienne, serbe, roumaine… Des petits groupes se forment, il y a des éclats de rire et il faut ramener le calme pour enfin démarrer le club lecture. On se met en cercle, on fait quelques rappels au règlement (enlever son bonnet, jeter son chewing-gum) et la séance peut commencer.

Dans le bain linguistique

Chaque semaine, je lis à voix haute une fiction choisie dans le fonds. Ce sont généralement des albums3, avec de belles illustrations, des albums pop-up qui soulèvent toujours l’admiration, des contes traditionnels ou encore des mythes. Par le biais de ces lectures, l’objectif est bien sûr de les plonger dans un bain linguistique, de leur donner des références culturelles et de leur faire fréquenter le plus possible les livres et le CDI.
Parfois, je lis d’une traite l’histoire, mais le plus souvent, je lis page à page, et même phrase à phrase, selon la difficulté du vocabulaire, ou en tenant compte du degré d’attention de mes auditeurs. Quand les chuchotements se multiplient, quand les yeux papillonnent dans l’espace, il est temps de faire une pause et de les faire participer : généralement, je leur demande ce qu’ils ont compris du passage que je viens de lire, ou encore je leur explique un mot ou une expression ; on s’attarde à chaque page sur l’illustration pour la décrire. Parfois, cela peut donner lieu à des comparaisons avec des artistes, et je vais chercher sur les étagères des monographies de peintres dont les illustrateurs se sont inspirés. Ma collègue de Français Langue étrangère (FLE) prend souvent la relève, mime une expression, explique, écrit le mot au tableau.
Quand l’agitation est trop grande, nous faisons jouer la scène par quelques élèves, ce qui provoque souvent de grands éclats de rire. Dans tous les cas, ce rendez-vous lecture doit rester un plaisir, nous ne leur demandons pas de noter le vocabulaire, nous ne faisons pas d’exercices sur l’album, nous ne les forçons pas à participer, et si certains en profitent pour faire la sieste (ce qui arrive presque à chaque fois !), nous ne les réveillons pas ! Bien sûr, l’attention demandée est parfois trop grande et la séance lecture est écourtée. Le temps restant sert aux élèves à déambuler (ou pas) dans le CDI pour emprunter des livres ou des revues.
Cette année, pour la première fois, j’ai tenté la lecture de Kamishibaï4 (« théâtre de papier » en japonais), via un petit théâtre en bois mobile appelé butaï. Le butaï comme le kamishibaï sont une tradition japonaise : des conteurs se rendent de marché en marché, de places publiques en fêtes pour narrer leurs histoires. Le kamishibaï est une histoire présentée sous forme de panneaux illustrés que l’on fait glisser les uns après les autres devant les spectateurs, tout en lisant le texte écrit au dos des panneaux. Le butaï s’apparente beaucoup dans sa forme au théâtre de marionnettes.
Cette lecture théâtralisée a eu beaucoup de succès auprès des élèves allophones, malgré les difficultés de compréhension. Leur attention est restée soutenue tout le temps de l’histoire contée (« Le Petit poisson d’or », conte traditionnel russe de Pouchkine).
Cette expérimentation avait un double objectif : d’une part, rendre la séance de fin d’année, avant les vacances de noël, un peu plus festive. D’autre part, leur présenter cette tradition car nous allons les faire participer à un concours de Kamishibaï5 plurilingue en 2019 : lors de séances supplémentaires au CDI, ils auront à construire une histoire en faisant appel à plusieurs langues (au minimum quatre en plus du Français) et à l’illustrer sous forme de panneaux de kamishibaï. Un projet qui va nous prendre plusieurs heures et qui va permettre le travail de multiples compétences fondamentales : comprendre, s’exprimer, argumenter à l’oral, écrire et lire, percevoir la logique interne de la langue française et des autres langues, s’exprimer à travers des activités artistiques, rechercher et traiter les informations. Mais aussi des compétences sociales et citoyennes : développer l’attention, l’écoute ; développer la confiance en soi ; coopérer avec ses pairs et mutualiser ses connaissances ; cultiver la prise de recul et le vivre-ensemble ; percevoir les différences et ressemblances culturelles et linguistiques ; appréhender la diversité avec curiosité et respect, etc.
Avec les UPE2A (excusez l’acronyme !), j’utilise aussi les albums sans texte. C’est l’occasion pour les élèves de construire à plusieurs une histoire à partir des seules images. Cela fait deux années de suite que je travaille avec eux sur l’album Loup noir d’Antoine Guilloppé, un ouvrage sans texte – mais pas sans histoire – en deux couleurs (le noir et le blanc). Aux élèves de se mettre d’accord sur le récit plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord, de donner un prénom au héros (ici un jeune garçon). Pendant qu’ils bâtissent le récit, je prends des notes. Une fois l’histoire achevée collectivement, je la lis en tournant les pages de l’album. D’autres activités peuvent être mises en place dans le prolongement : remettre les images de l’histoire dans l’ordre, coller les phrases de l’histoire sous ces images, traduire dans leur langue maternelle le récit construit, dessiner son propre « loup noir » à l’encre de Chine ou au crayon noir. Ces deux dernières activités ont donné lieu l’année dernière à une très belle exposition au CDI des différentes versions de Loup Noir en cyrillique, portugais, tagalog6, etc.

Pour une meilleure inclusion

Car présenter les réalisations des élèves allophones au CDI est aussi un vecteur important d’intégration dans l’établissement scolaire et une grande source de motivation et de fierté pour eux. Dès que l’occasion se présente, je déploie mes grilles pour accrocher dessins, textes et piquer la curiosité des autres élèves qui découvrent des langues inconnues, des mots inconnus, des écritures différentes… La semaine citoyenne de notre établissement nous donne aussi la possibilité de favoriser leur inclusion. L’année dernière, nous avons travaillé avec eux à la création d’un kit de découverte de leur pays d’origine : nous avons construit un certain nombre de jeux autour de la géographie de leur pays, de leur langue maternelle, de l’écriture que nous avons ensuite proposés aux autres collégiens pendant une journée. Voulez-vous apprendre à dire bonjour en Coréen ? À votre avis, quelle est la capitale des Philippines ? Et si vous écriviez en Ourdou7 ? Une initiation qui a provoqué de nombreux échanges entre les élèves, des éclats de rire (essayez un peu de parler en Chinois !) et un grand sentiment de fierté de la part de ces jeunes qui se sentent souvent invisibles – ou invisibilisés – dans une communauté de plus de 600 personnes francophones.
Toutes les activités permettant de valoriser la culture, la langue et le pays de ces élèves, sont bienvenues. À titre d’exemple, et dans le cadre de l’Éducation aux Médias et à l’Information, nous avons créé il y a deux ans un « jeu des 11 familles ». Nous avons déterminé en commun sept items pouvant décrire leur pays (drapeau, monnaie, monument emblématique, capitale, animal, etc.) et ils ont fait une recherche d’images libres de droit sur Internet puis ont construit leurs cartes de jeu (nom du pays, illustration, nom de l’illustration) avec
OpenOffice. Ces séances ont permis de travailler un certain nombre de compétences EMI, autour de la recherche documentaire (notions d’internet, de navigateur, de moteur de recherche, d’images libres de droits, etc.) Ils ont ensuite rédigé des affiches présentant leur jeu des 11 familles et invitant la communauté à venir y jouer au CDI. Pendant plusieurs semaines, le jeu de cartes, plastifié, a été mis à libre disposition au CDI et a rencontré beaucoup de succès auprès des collégiens. Cette année, ce sont les autoportraits des élèves et leurs portraits chinois qui ont décoré le CDI pendant trois semaines et suscité la curiosité et l’intérêt des personnes passant dans le lieu. Il est à noter qu’il est aisé de travailler avec les élèves allophones car le fait qu’ils n’aient qu’un professeur permet de planifier des séances très facilement. De plus, ce sont, pour la plupart, des élèves très motivés, avides d’apprendre et d’avancer. Des élèves curieux et qui ont envie de partager et d’échanger.
Quant à nos missions, elles nous accordent une grande liberté d’action : nous pouvons ainsi aussi bien intervenir en lecture, en EMI ou encore en EMC (Enseignement moral et civique) ou sur l’orientation professionnelle, et ce, de manière très interactive. Et notre espace de travail, convivial et chaleureux, facilite leur bien-être et nous donne la possibilité de mettre en avant leurs travaux pour une meilleure intégration au sein de l’établissement. Et c’est avec bonheur que je vois ces élèves, sortis du dispositif UPE2A (qui dure un an), revenir avec plaisir au CDI, en autonomie, certains devenant même des piliers du lieu.

 

 

 

La retraite de Melvil

Fin 1851, la modeste et pieuse famille Dewey voit naître Melville Louis Kossuth. C’est vers l’âge de 23 ans, alors qu’il est assistant bibliothécaire, que ce dernier a l’idée de créer une classification. Mais cette idée ne prend forme qu’après une enquête minutieuse. En effet, pour faire aboutir son projet, Melvil visite plusieurs bibliothèques américaines et examine minutieusement les systèmes de classement existants. Alors seulement, il crée sa propre classification non sans l’avoir teintée d’idéologie et l’avoir agrémentée d’un vocabulaire spécifique, celui avec lequel nous sommes désormais familiers : classes, divisions, sections…
Depuis lors, tout bibliothécaire ou professeur documentaliste digne de ce nom connaît la classification décimale de Dewey, et nombreux sont ceux qui l’utilisent quotidiennement. Ainsi, lorsque nous indexons, rangeons ou cherchons un livre en rayon, nous faisons appel à ce système de classement.
Cette classification, miracle de logique et d’organisation de la pensée et des savoirs, a très peu évolué. Certes, nous avons vu disparaître les indications de taille et le book numberi, mais plus nous avançons dans le temps, plus nous ressentons un décalage entre le monde de Melvil Dewey et le nôtre.
Comme le souligne Anne Lehmans en prenant l’exemple de l’environnement et du développement durable, nous observons une « inadaptation de la logique classificatoire si elle est coupée de l’interaction sociale ». De son côté, la médiathèque départementale du Rhône propose l’ajout de nouveaux indices tenant compte de « l’évolution de la société, de l’émergence de nouveaux concepts, de l’apparition de nouveaux termes, [mais surtout] des usages observés en bibliothèques ».
Bien sûr, nul ne nie la nécessité d’adapter la CDD, comme nous la nommons entre pairs ; ainsi cette année célèbre-t-elle la 23e édition de notre Bible professionnelle. 23 éditions en 150 ans. À 23 reprises, des experts se sont donc penchés sur le cas Dewey, l’ont ausculté et ont posé leur diagnostic : il y a des lacunes. Notre société évolue et il faut impérativement que notre système de classement favori suive cette évolution. Certes, c’est indéniable, mais cette succession de mises à jour est-elle réellement une solution à l’obsolescence non-programmée de notre outil ?
Imaginons… lorsqu’un enfant grandit, il change de garde-robe. En effet, les vêtements devenant trop petits, il lui en faut de nouveaux, dans la taille supérieure. Mais nous ne nous contentons pas de ce seul changement de gabarit, nous adaptons également les tenues à l’âge de l’enfant et ce tout au long de la vie. Le bébé devenant enfant, nous ne lui imposons plus de bavoirs, grenouillères et autres barboteuses car ils ne sont plus intrinsèquement adaptés. Concernant la Dewey, pour le moment, nous nous contentons de prendre des tailles supérieures, mais le temps n’est-il pas venu de songer à une tout autre garde-robe ? En effet, nous sommes peut-être à la veille d’un changement complet du contenu de notre dressing et il faut peut-être enfin admettre que nous sommes devenus trop grands pour poursuivre avec ce costume que nous endossons depuis tant d’années.
Cette petite métaphore humoristique a le mérite de pointer du doigt ce qui ne va pas, ce qui pose problème, parfois inconsciemment, à tant de professeurs documentalistes, qui le démontrent en s’interpellant sur les réseaux sociaux :
« - Quelqu’un peut-il me dire si tel indice est cohérent avec tel ouvrage ?
– 7 chiffres pour un indice, ça vous paraît correct ?
– Je ne sais pas où classer ce livre… quel indice Dewey me conseillez-vous ?… »
Quel professionnel de la documentation ou de la bibliothéconomie ne s’est pas trituré les méninges pour attribuer la bonne cote à un livre ? Et son choix fait, lequel n’a pas été envahi par le doute, hésitant encore entre plusieurs indices ?
Quant aux élèves, le fossé est plus grand encore, et s’ils ne sont guère assaillis par le doute, ils le sont souvent par la perplexité : où se trouvent les livres sur la mythologie ? Quid des ouvrages sur les énergies nouvelles ? Mais pourquoi les réseaux sociaux sont-ils en 000 ?
Autant de questions qui font émerger l’idéologie d’une classification intellectuellement galvanisante mais désormais en décalage avec notre temps et notre public.

Dans le CDI où j’exerce, le verdict est tombé tel un couperet : il faut passer à autre chose, et abandonner Monsieur Dewey. Lorsque je les ai interrogés, équipe éducative, élèves et Direction n’ont pas hésité une seconde à l’idée d’innover et d’opter pour un nouveau plan de classement. À cette occasion, j’ai compris que tous désapprouvaient silencieusement le système de classement du CDI. L’une des raisons de ce constat est que le système de classification de Dewey, en plus de s’éloigner des savoirs de notre monde, n’est pas instantanément lisible et ce quelle que soit la signalisation adoptée. Nous, professionnels, sommes indispensables à l’explicitation de ce système. Demandez à un non initié ce que 944.5 signifie lorsqu’il est apposé au dos d’un livre et vous verrez la plus parfaite illustration de l’incompréhension dans ses yeux. En septembre, demandez à un élève de 6e de vous trouver un ouvrage sur Zeus en moins de 20 secondes dans votre petit CDI et vous modifierez très vite votre unité de temps. C’est un fait, l’issue du combat Google vs Dewey est inéluctable.
Armée de ces constats, je me suis donc prêtée au jeu de l’observation des clients de mes librairies préférées, grandes et petites, indépendantes ou pas. Pourquoi cette observation ? Parce que, en ces lieux, la plupart du temps, notre cœur de cible alias les ados, trouvent souvent d’eux-mêmes les livres qui les intéressent, qu’il s’agisse de documentaires ou de fiction. Je me suis également aperçue que lorsqu’ils demandent l’aide du libraire, c’est fréquemment parce qu’ils ne dénichent pas la collection réclamée par un enseignant (généralement absente des rayons). Mon questionnement a alors été le suivant ; pourquoi un jeune est-il moins perdu dans une librairie que dans un CDI ? Pourquoi est-il plus autonome dans le premier lieu ? La réponse est en fait sous nos yeux, ou du moins dans son invisibilité car il n’y a pas de cote sur les livres du commerce, ni d’ailleurs sur les sites de vente en ligne. D’une part, le facing, les affiches et autres têtes de gondoles aident à se repérer, et rien ne nous empêche d’adopter ces techniques. D’autre part, poursuivant mon analyse, j’ai observé de plus près le système de classement de mes fournisseurs, ce qui m’a poussée à effectuer quelques recherches, et c’est de cette façon que j’ai découvert le Bookstore Model ou modèle des libraires que j’ai aussitôt proposé aux usagers. Cette proposition d’expérimentation a rencontré un vif succès puisque les élèves ont arboré la mine réjouie des soirs de Noël, les enseignants ont tous laissé échapper un soupir de soulagement et la Direction s’est empressée de m’octroyer son aval. Quant à mes pairs, ils ont manifesté un réel intérêt pour ce nouveau système de classement. Néanmoins, parmi ces derniers, certains ont paru désarçonnés, et d’autres intéressés mais quelque peu effrayés. Abandonner la Dewey peut sembler inconcevable car elle occupe une grande part de notre exercice mais aussi de notre formation. Elle est intégrée dans les logiciels documentaires, elle fait l’objet d’affiches commercialisées, bref elle est notre spécificité. Pourtant, je me souviens d’un formateur qui affirmait, lors de la préparation au CAPES, que la cote, donc l’indice Dewey, n’était que l’adresse du document. En ce cas, si l’on pousse son raisonnement jusqu’à l’extrême, un document sur la médecine qui serait coté en 940, serait aisément retrouvé par quiconque effectuerait une recherche sur le portail documentaire. Par contre, ce même document serait perdu pour celui qui se rendrait directement dans les rayons pour en extraire l’objet de sa convoitise. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agit de favoriser l’accès au document à la fois via la recherche informatisée mais aussi via la sérendipité. Or c’est exactement ce que permet le Bookstore Model.
Je me suis donc lancée dans la modification de mon plan de classement : réindexer les documents, changer les cotes et modifier les notices dans BCDI, SIGB que j’utilise pour gérer mon fonds. Là, j’ai rencontré quelques résistances… En effet, il m’a fallu adapter le champ « cote » pour pouvoir saisir mes nouveaux indices car il ne permettait pas un contenu suffisamment long pour que je parvienne à mes fins. Après quelques tâtonnements, j’y suis arrivée. La marguerite, quant à elle, ne peut être modifiée. De même, sur E-Sidoc, le butinage dans les rayons documentaires se fait impérativement selon les indices de la Dewey sans aucune possibilité de personnalisation…
Il y a donc une « dictature » de la Dewey sur nos outils de travail, car c’est ainsi que, depuis la naissance de notre profession, nous abordons l’indexation : Dewey ou (éventuellement) CDU, point d’autre choix. Qu’à cela ne tienne, à nous de faire bouger les choses pour le bien-être et l’autonomie de nos usagers.
Un autre sujet de frilosité quant à l’adoption du Bookstore Model a été le passage au lycée où, inéluctablement les élèves seront confrontés à la CDD. Il est légitime de s’interroger sur l’adaptation des usagers qui n’auront jamais croisé Melvil Dewey avant leur passage en seconde, mais est-ce un vrai problème ? Tout d’abord, chacun de nous sait pertinemment que lorsqu’ils entrent au lycée, nos collégiens semblent avoir subi un lavage de cerveau puisqu’à les écouter aucun d’entre eux n’a jamais appris à retrouver un document dans un CDI. Les professeurs documentalistes de lycées se voient alors contraints de réactiver, voire réinitialiser, leurs connaissances en matière de Dewey. Pour les élèves qui auraient définitivement intégré le fonctionnement d’un lieu de ressources documentaires et qui seraient donc en terrain connu dès lors qu’ils croisent une cote, ce ne me semble pas être un frein que d’avoir jusque-là été confronté à une autre classification que la Dewey. L’essentiel réside dans le fait d’avoir assimilé le fonctionnement d’un système de classement, quel qu’il soit. Certaines bibliothèques spécialisées ont ainsi adopté leur propre système de classement, et parfois même leur propre thésaurus sans que cela soit rédhibitoire pour les nouveaux usagers. Comme pour le Bookstore Model, il suffit alors de s’adapter. D’ailleurs, les clients des librairies ne semblent pas totalement désorientés dans les médiathèques. Comme à la Fnac ou chez leur petit libraire, nous les voyons rechercher la signalisation et très vite s’orienter vers le bon rayon. En ce qui concerne mes élèves, le Bookstore Model va être l’occasion d’approfondir la liaison collège-lycée mais aussi le partenariat avec notre médiathèque de quartier. Comme pour toute expérimentation, ce sera l’occasion de démontrer les points communs et les différences entre diverses classifications. Enfin, gageons que la découverte de la Dewey à l’entrée en seconde, alors que l’usager est plus mature et plus à même d’aborder un système complexe d’organisation du savoir, permettra d’aborder ce nouvel apprentissage de façon plus sereine qu’à 10 ans.
Une autre spécificité du Bookstore Model est qu’il ne nécessite pas de médiateur, il est d’emblée lisible et c’est là une caractéristique digne d’intérêt. Le système que nous avons choisi d’adopter dans mon établissement se veut en effet le plus accessible possible. Il se constitue de 9 Domaines associés à des sous-domaines, chaque domaine s’est vu attribuer un pictogramme et chaque pictogramme a sa propre couleur. De plus les pictogrammes et les couleurs sont en lien direct avec ceux qui ont été choisis pour la fiction. Un documentaire historique et un roman historique se verront ainsi attribuer le même pictogramme, à cette différence près que le documentaire sera noir sur fond marron et que la fiction sera en marron sur fond blanc.
S’il est perfectible, ce nouveau système de classement entraîne d’ores et déjà une autonomie accrue des emprunteurs. Je suis beaucoup moins interpellée pour trouver les ouvrages en rayons et je trouve moins de livres mal rangés. De plus les pictogrammes permettent de repérer très vite les documents « égarés ». Evidemment ce nouveau système est amené à évoluer encore, il n’est pas figé, mais les premières conclusions de cette expérimentation sont exclusivement positives : autonomie, facilitation du butinage, lisibilité, facilité d’appréhension… et satisfaction affichée des usagers, jeunes et adultes.

Alors oui, tout réindexer et tout re-coter est un travail de longue haleine, mais c’est aussi intellectuellement très exaltant. Il n’est pas simple de se dire que, après tant d’années, il faut se défaire d’un outil qui a pourtant fait ses preuves pour lui en préférer un autre qui se veut plus adapté, plus ergonomique et c’est pourtant ce qui arrive dans bon nombre de professions : le/la secrétaire a mis sa machine à écrire au placard pour lui préférer l’ordinateur, le/la caisssier(e) a délaissé ses petites étiquettes de prix orange pour les remplacer par les codes-barres ; alors nous, professeurs documentalistes qui avons adopté à la fois l’ordinateur et les codes-barres, ayons le courage et l’enthousiasme d’aborder un nouveau virage dans notre profession : rangeons notre précieux petit livre rouge et commençons un nouveau chapitre.

 

Le Bookstore Model, modèle des libraires ou classement par centre d’intérêt : philosophie et mode d’emploi

Le Bookstore Model est un plan de classement utilisé par les libraires. Très intuitif, il ne nécessite aucune cotation. De simples panonceaux indiquent les grandes thématiques tandis que des chevalets, sur les tablettes des rayonnages, les subdivisent :
Exemple : Loisirs ▶ Cuisine ▶ Chocolat.
C’est donc un système de classement en langage naturel ne nécessitant ni formation ni document médiateur conséquent tel que la Classification Décimale de Dewey ou la Classification Décimale Universelle. En outre, ce système offre une adaptabilité selon la spécialisation des lieux de vente. Le classement sera différent dans un lieu généraliste et dans un lieu spécialisé, où l’on choisira de développer telle ou telle thématique selon le fonds proposé par la librairie. Selon que l’on entre dans une librairie plus ou moins spécialisée trouverons-nous pour la seule thématique de la cuisine un développement totalement différent :
Loisirs ▶ Cuisine
ou Loisirs ▶ Cuisine ▶ Dessert
ou Loisirs ▶ Cuisine ▶ Dessert ▶ Chocolat
ou Loisirs ▶ Cuisine ▶ Dessert ▶ Chocolat ▶ Chocolat blanc

La raison d’être du Bookstore Model est que l’objectif principal des libraires est de vendre leurs ouvrages sans avoir à effectuer de traitement du document. Ils ont le besoin impérieux de faire en sorte que les clients puissent retrouver aisément le titre qu’ils recherchent, avec ou sans l’aide d’un vendeur, ou qu’ils soient attirés par un ouvrage qu’ils ne recherchaient pas. Ceci est rendu possible car le Bookstore Model et le « Facing » (présentation de face pour que le client voie la première de couverture et non pas le dos du livre) facilitent l’autonomie mais aussi la sérendipité, deux comportements très appréciés des professeurs documentalistes.

Adapté aux bibliothèques ou aux CDI, le modèle des libraires s’est affiné par l’ajout de cotes et par l’utilisation d’un document médiateur : un simple plan de classement de moins de 10 pages. Dans le cas qui nous intéresse, nous avons en outre fait le choix d’apposer une étiquette avec un pictogramme représentant la thématique générale de l’ouvrage, ce qui offre plusieurs avantages :
1. il permet un repérage visuel rapide du rayon,
2. il évite les cotes trop longues,
3. il facilite le rangement,
4. il permet, dans certains cas, une association avec le rayon Fiction.
Le plan de classement* quant à lui est inspiré de celui de la bibliothèque intercommunale de Pau, dont nous n’avons retenu que l’onglet « Benjamin », comprenant 8 sous domaines, lesquels ont eux aussi été partiellement reformulés pour le fonds d’un CDI de collège (pour l’exemple qui nous intéresse). Comme pour la création d’un thésaurus, la consigne est de limiter l’ajout de nouveaux items mais, selon les lieux, tels ou tels domaines seront plus développés. Ainsi, le collège où j’exerce dispose d’un fonds important en Arts, il a donc été décidé d’ajouter le nom de l’artiste à la cote pour les ouvrages consacrés à la peinture :
Art ▶ Peinture ▶ A. Warhol

Le principe du Bookstore Model est également d’évoluer avec son temps. C’est pourquoi la thématique « Nature ▶ Protection de l’environnement » a suscité l’ajout de nouvelles subdivisions telle que « Écologie » ou « Pollution ».
À chacun(e) de rédiger son propre plan de classement selon son fonds, son public ou encore les projets de l’établissement.
Enfin, d’un point de vue matériel, chaque centre d’intérêt occupe une seule travée et, de même, chaque sous-thème, dans la mesure du possible, commence et finit sur une seule étagère.

Passer de la CDU ou de la Dewey au Bookstore Model est une entreprise certes très chronophage mais aussi très galvanisante. En effet, il ne faut pas seulement refaire les cotes, il faut aussi revoir sa façon d’appréhender les documents, rectifier la mise en place dans les rayons, modifier les notices de la base documentaire et refaire la signalétique. Ce sont là autant de tâches qui sont l’occasion de procéder à un désherbage, tout en appréhendant l’indexation avec un œil neuf, bien plus proche des usagers.
Le Bookstore Model est réellement adapté au public scolaire car il adopte une philosophie visant à considérer le fonds documentaire non pas avec un regard de professionnel du livre mais avec celui d’un usager. Le regard professionnel reste essentiel, il vise à adapter son plan de classement au raisonnement des usagers : où l’élève cherchera-t-il ce livre ? Dans quel objectif ouvrira-t-il ce document ? Pourquoi ce documentaire peut-il susciter l’intérêt ? Autant de questions dont les réponses définiront l’emplacement de l’ouvrage.

Les documentaires jeunesse à l’ère d’Internet

La production éditoriale reste pléthorique, et dans tous les domaines de la non-fiction : animaux, sport, cuisine, société, etc. Je ne vous ferai pas l’affront de vous présenter des documentaires autour des thématiques au programme, notamment en classe de 6e ou 5e (oui les ouvrages sur l’Égypte ancienne ou la mythologie, c’est vous que je regarde), qui sont de toute façon largement achetés, rachetés, réédités et empruntés.
Toutefois, les usages et les centres d’intérêt des élèves évoluent, et c’est pourquoi je vous propose quelques pistes pour adapter votre politique documentaire. Loin d’être exhaustive, cette sélection de titres et/ou collections susceptibles de faire renouer les élèves avec les documentaires, est fondée sur la problématique suivante : si tout est disponible sur le web, les livres mis à disposition doivent impérativement offrir une « plus-value » par rapport à l’informatique.

Loisirs, recherches personnelles

Certains types de documentaires sont empruntés et consultés par les élèves avec toujours le même succès, notamment parce qu’il est difficile de trouver facilement l’équivalent sur le web.

Les Guiness books et apparentés

On peut bien entendu trouver des sites internet avec des records, des photos extraordinaires, mais il faudra fouiller un peu, et les ordinateurs du CDI sont rarement dédiés à cet usage. Les Guiness Book et autres remplissent très bien cette fonction de traînailler en cherchant quand même à s’amuser. Ce genre d’ouvrages, un peu fourre-tout, joue sur l’effet waouh1 : on les regarde pour être émerveillés ou horrifiés par des records improbables. Outre le Guiness des Records mis à jour chaque année, vous avez la série Terramania, Recordmania, Anatomia, etc. Ces ouvrages présentent sous la forme moderne d’infographie différents records : on retrouve la multitude d’infos rapides à picorer, le grand format. Parus depuis 2012 chez Gallimard, la série des Oh ! Le corps humain, L’espace, les dinosaures, rencontre également un franc succès.

Les livres à réalité augmentée

Depuis quelques années, les maisons d’édition se lancent dans un autre type d’ouvrages waouh : les livres à réalité augmentée, qui proposent, après installation de l’application sur tablette ou smartphone, de flasher des QRcodes ou des logos et ainsi lancer une vidéo ou faire appaître l’animal en 3D sur la page. Ce type d’ouvrages, essentiellement gadget, permet toutefois de dépoussiérer un peu le documentaire, et montrer que papier et numérique ne sont pas nécessairement opposés. À voir ensuite avec vos moyens techniques et la politique de votre établissement concernant le téléphone portable2. Glénat a ainsi lancé Les Prédateurs en réalité augmentée, L’Univers en réalité augmentée, Fleurus a lancé la collection Voir avec un drone, qui amusera plutôt les plus jeunes.

Adolescence, puberté, sexualité

Aucun. e prof doc de collège ne me contredira : le rayon adolescence (souvent en 305.23 et suivants) est régulièrement retrouvé sens dessus dessous, et c’est de là que résonnent souvent les gloussements à la récréation. Dans un collège, où la moitié de la population est en train de subir des transformations physiques, psychologiques et hormonales comme jamais elle n’en aura plus en un temps aussi court, quoi de plus normal ? D’autant plus que ces sujets ne peuvent pas faire l’objet d’une recherche sur Internet : d’une part il est hors de question que qui que ce soit voit qu’ils ou elles ont tapé « taille sexe normal » ou « règles enceinte » dans un moteur de recherche, d’autre part car il est fort probable d’un filtre bloque les recherches contenant des mots-clés liés à la sexualité, afin d’éviter les mauvaises surprises. C’est là que le travail des profs-docs est important : adieu donc ces horribles Dico des filles3 ou autres et place aux nouvelles collections. On peut ainsi citer la collection qui remplace les anciens Oxygène et Hydrogène chez La Martinière Jeunesse, intitulée Plus d’oxygène : on y trouve des titres tels que Tout sur le zizi, Planète filles (écrit par Moka), Love mode d’emploi, Questions intimes rien que pour les filles, etc. Les autrices venues du monde du blog arrivent également dans les CDI grâce à des ouvrages francs et drôles tels que Les Règles, quelle aventure, d’Elise Thiébaut et Mirion Malle. Paru en 2014, l’excellent Est-ce que ça arrive à tout le monde ? avait réussi le pari de montrer des vrais corps d’ados en photos sans susciter la gêne grâce à des trouvailles photographiques. Citons enfin la collection Adulte, mais pas trop, de la maison d’édition suisse Limonade, écrite par Stéphane Clerget et illustrée par Soledad Bravi, qui propose des titres assez réussis comme Bien vivre ta première relation sexuelle… si tu es une fille, ou Comment être gay et heureux, lesbienne et sereine.

Les émotions

Accueillir ses émotions, les exprimer qu’on soit une fille ou un garçon est une thématique qui est de plus en plus souvent traitée : elle est désormais au programme de la maternelle, et fait l’objet de séquences pédagogiques. Pour les ados, vous avez des ouvrages tels que Comment faire de ton hypersensibilité une force, chez Limonade, Deviens ton ami(e), la confiance en soi, mode d’emploi, chez Amaterra, Le Superguide pour enfin oser être soi, chez La Martinière Jeunesse, ou sur un mode plus humoristique, Transforme-toi, de Claudine Desmarteau, chez Flammarion Jeunesse.

Visées pédagogiques

Les ouvrages que nous allons voir maintenant sont des ouvrages qui seront sans doute consultés moins spontanément : ils auront donc besoin de votre aide ! Je vous propose quelques pistes, mais ensuite libre à vous d’adapter ces propositions, suivant votre sensibilité et votre public. L’idée est de présenter aux élèves des livres avec une vraie valeur ajoutée.

Les livres engagés

Au collège, les élèves commencent à découvrir la notion d’engagement : prendre parti pour une idée, la défendre, la confronter à d’autres. Internet est une vaste agora, mais il est plus facile d’y trouver du pugilat qu’une réflexion nuancée. Certains éditeurs ont une ligne éditoriale forte, à laquelle on n’est pas obligé d’adhérer, mais qui permet de montrer aux élèves comment on défend une idée. Les éditions La ville brûle, au discours ancré très à gauche, ont sorti des albums tels que On n’est pas des moutons, On n’est pas des poupées, et pour les plus grands Pourquoi les pauvres sont-ils de plus en plus pauvres et les riches de plus en riches, des sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, ou Liberté d’expression, a-t-on le droit de tout dire ? de Daniel Schneidermann. La maison d’édition Talents Hauts a à son catalogue des ouvrages (certes de fiction) qui traitent des discriminations et du sexisme en particulier.

Éducation aux médias et à l’information

L’EMI faisant partie des missions des profs-docs, il semble évident qu’une partie du fonds soit consacrée à cette thématique. Il sera ici question des ouvrages pour les élèves, pas du fonds professionnel. Les maisons d’édition suivent l’air du temps, et la plupart proposent des ouvrages consacrés à l’information, les infox, les théories du complot. On notera que certains titres recoupent la notion d’information et la notion d’engagement, comme pour l’ouvrage cité plus haut A-t-on le droit de tout dire ? où la question de l’accès et l’information, sa diffusion et surtout son interprétation prennent un tour politique. Aux éditions Le Calicot, on trouve Croire ou pas aux complots, de Philippe Godard, un petit opus qui adopte une position d’écoute face aux complotistes, afin d’essayer de réactiver leur sens critique. Du même auteur, illustré par Marion Montaigne, on a La Toile et toi, chez Gulf Stream Éditeur.
On trouvera aussi pléthore de titres autour des l’usage des écrans : Touche pas à ma vie privée !,
Découvre qui te surveille et comment t’en protéger chez Albin Michel Jeunesse, Guide de survie pour accros aux écrans, de Serge Tisseron chez Nathan, ou Tous connectés de Mathilde Giad chez La Martinière Jeunesse.

Beaux-arts

On mettra dans cette catégorie les ouvrages sur l’art, l’Histoire des arts, mais également tous les livres à système (pop-up, filtres, etc.) qui font basculer le livre quasiment dans la catégorie du bel objet. Les éditions Palette… ont un catalogue remarquable, avec des reproductions de grande qualité et des explications claires et complètes. Pour le collège, voire le lycée, la série Art et… est très réussie, notamment Art et la politique, Art et jeux vidéo, Art et musique ; mais également la collection Création contemporaine. Actes Sud Junior développe également son catalogue de livres d’arts pour les ados, avec des ouvrages au format allongé, écrit par Céline Delavaux : La Vie en Typo et La Vie en couleurs. Livres d’art pour la forme mais presque aussi pour le fonds, les magnifiques ouvrages Humanissime et Illuminature du collectif Carnovsky émerveilleront les élèves.

Le sujet est inépuisable, et cette sélection, loin de toute tentative d’exhaustivité, n’a pour objectif que de vous proposer des pistes pour une politique documentaire qui puisse venir concurrencer le réflexe numérique.

 

La Bibliothèque, la nuit

Dans cet essai érudit et foisonnant, le collectionneur passionné de livres qu’est Alberto Manguel interroge les représentations collectives, culturelles, mais aussi celles de sa propre subjectivité à l’aune de sa bibliothèque personnelle, de ces lieux de connaissance que sont les bibliothèques. Traducteur, éditeur, critique littéraire et essayiste dont la problématique principale est centrée sur les livres et la lecture, cet écrivain d’origine argentine a été dans sa jeunesse lecteur pour Borges. Il a voyagé dans de multiples pays, a pris la nationalité canadienne, puis a vécu en France près de Poitiers où il avait installé sa bibliothèque riche de quelques 30 000 livres1 avant de devoir tout récemment déménager. Si sa quête au cœur des livres le conduit à se questionner sur le monde lui-même, c’est qu’il invoque à chaque page nombre de références littéraires, artistiques, et historiques en un perpétuel va-et-vient entre son expérience de lecteur et ses rencontres avec des bibliothèques réelles, mythiques ou imaginaires.

L’ordonnancement du monde

« La bibliothèque est un espace clos, un univers autonome dont les règles prétendent remplacer ou traduire celles de l’univers informe du dehors ». Détentrice d’une masse de connaissances, la bibliothèque se pose comme un lieu d’ordre qui entend donner du sens au désordre du monde en proposant une organisation particulière du savoir. « Pendant la journée, la bibliothèque est un royaume d’ordre. (…) La structure du lieu est visible : un labyrinthe de lignes droites, où l’on n’est pas censé se perdre mais trouver ; une pièce divisée en suivant un ordre apparemment logique de classification ; une géographie qui obéit à une table des matières prédéterminée et à une hiérarchie mémorable d’alphabets et de nombres. »
On voit ici le paradoxe de la métaphore du labyrinthe, image fréquemment utilisée pour évoquer les bibliothèques, l’enjeu pour les professeurs documentalistes, comme pour les bibliothécaires, étant de faire de cette impression labyrinthique un lieu simple et intuitif où chacun peut trouver l’information dont il a besoin. Si cet ordonnancement du monde est évident en journée, Manguel lui oppose une vision quasi fantasmagorique de sa bibliothèque personnelle la nuit. Il s’y libère des contraintes quotidiennes, de la logique et de la classification. C’est le royaume du butinage, de la sérendipité : un livre en appelle un autre, par association d’idées. « Si le matin, la bibliothèque suggère un reflet de l’ordre sévère et raisonnablement délibéré du monde, la bibliothèque la nuit, semble se réjouir de son désordre fondamental et joyeux ». Manguel rapproche ces expériences différentes des deux profils de lecteurs évoqués par Virginia Woolf : celui qui aime s’instruire et celui qui aime lire. Pour Manguel, le jour est propice à la concentration et à l’étude, la nuit à la lecture plaisir et à l’imagination.

La volonté d’une bibliothèque de rassembler en un même lieu toute « notre expérience indirecte du monde », d’harmoniser nos connaissances et notre imagination, et de grouper l’information, est incarnée par les deux mythes suivants : la Tour de Babel et la Bibliothèque d’Alexandrie. Arrêtons-nous un moment sur cette dernière, image mythique et hautement symbolique s’il en est, de toute bibliothèque.
La bibliothèque d’Alexandrie est la première à avoir pour ambition de rassembler de façon exhaustive tous les livres du monde (sous forme de rouleaux de papyrus). Ce « rêve d’un ordre universel », repris aujourd’hui par la volonté d’infini du Web, entend donner une place à chaque rouleau et enregistrer de façon systématique toutes les informations selon le classement thématique inventé par les bibliothécaires alexandrins. Chaque rouleau qui arrive est copié et c’est cette copie qui est conservée dans la bibliothèque. Si la postérité a gardé la mémoire des raisons d’être de la bibliothèque, elle n’a en revanche quasiment rien conservé de l’apparence et de l’agencement des lieux. On sait que la salle principale baptisée Museion (« maison des Muses ») ornée de l’inscription « le lieu du traitement de l’âme », comporte des étagères (bibliothekai, étymologie du mot bibliothèque) avec des casiers pour ranger les rouleaux. Il y existe également des salles de travail et une salle de repas pour les savants. « La Bibliothèque qui se voulait dépositaire de la mémoire du monde n’a pas pu sauvegarder pour nous son propre souvenir. »
Une des raisons d’être de la Bibliothèque d’Alexandrie est la quête d’immortalité des Égyptiens : par la conservation des histoires qui prouvent et donnent du sens à leurs existences, ils s’assurent un présent continuel. Ce sont en effet les lecteurs qui donnent une nouvelle vie à des livres appartenant pourtant au passé : « La lecture est un rituel de renaissance ».
La deuxième injonction liée à la Bibliothèque d’Alexandrie est, comme on l’a dit, l’enregistrement exhaustif du savoir. Toute une communauté de savants (à l’instar d’Euclide ou Archimède) est logée à proximité de la Bibliothèque pour rédiger des œuvres critiques, des gloses, des commentaires sur les rouleaux qui y sont conservés, selon la règle édictée au IIe s. av. J.-C. : « Le texte le plus récent remplace tous les précédents puisqu’il est censé les contenir. » Le principe du palimpseste littéraire joue ici à plein.
Enfin, elle constitue un lieu de mémoire et en cela, représente une volonté politique : rassembler des œuvres grecques permet de prouver la supériorité de la culture égyptienne, en démontrant l’influence de l’Égypte sur la culture grecque. Alexandrie résonne pour finir comme un avertissement sur la fragilité et le caractère éphémère de cette conservation des traces : tout peut un jour être détruit…
Par opposition à cette volonté d’ordonnancement du monde, le mythe de la Tour de Babel témoigne quant à lui de la fin de l’unicité de la société, la dispersion des langues et la perte de sens qui en découle. C’est bien tout le contraire qui se joue à Alexandrie, symbole d’une quête universelle : la mise en commun et la conservation exhaustive des connaissances en un même lieu.

D’autre part, l’organisation interne d’une bibliothèque représente un ordre, un système de classement2, quel qu’il soit. Celui-ci peut être plus ou moins fantaisiste, à l’instar des 12 modes de classement édictés par Georges Pérec dans Penser / Classer. On peut en effet imaginer pour sa bibliothèque personnelle un classement purement esthétique, par taille, pour que les dos des livres soient parfaitement alignés en hauteur. Ou encore un classement purement pragmatique, regroupant les livres les plus utilisés, les plus lus, à l’image de la bibliothèque de Pline Le Jeune. Mais une bibliothèque publique, en s’adressant au plus grand monde, doit établir un code compris de tous et prédéterminé, qui conditionne son agencement global. Or, si « l’ordre engendre l’ordre », on peut aussi plonger dans des catégories et des sous-catégories multiples, dans une arborescence fractale infinie, comme nous le dit si bien Alberto Manguel :
« Sitôt établie, une catégorie en suggère ou en impose d’autres, si bien qu’aucune méthode de catalogage, sur étagères ou sur papier, n’est jamais close. Si je décide d’un certain nombre de sujets, chacun de ceux-ci exigera une classification à l’intérieur de sa classification. À un certain degré de rangement, par fatigue, ennui ou découragement, j’arrêterai la progression géométrique. Mais la possibilité de continuer est toujours là. Il n’existe pas de catégories ultimes dans une bibliothèque. »
On voit bien, par exemple avec l’arborescence de la classification Dewey, qu’il est possible d’ajouter sans fin des sous-catégories, d’affiner les thèmes au plus précis possible. La dérive serait qu’il y ait des cotes tellement précises qu’elles seraient uniques pour chaque livre…
Le revers de tout classement est qu’il est forcément arbitraire. S’il permet de « délimiter l’illimité » des connaissances, il propose toujours une certaine vision du monde. C’est une des principales critiques qui est adressée à la Dewey, mais cette objection est valable pour toutes les classifications. Manguel en donne plusieurs exemples : le fait de classer une œuvre dans la catégorie « Roman policier » oriente d’emblée le lecteur en lui donnant des clés de lecture particulières. Le classement utilisé dans la bibliothèque impériale de Chine, divisé en quatre grandes catégories (Histoire – Philosophie – Littérature – Textes canoniques) était ensuite rangé en fonction de la rime du dernier mot du titre, ce qui créait des centaines de combinaisons. On peut également trouver dans les bibliothèques chinoises médiévales une structure pyramidale, qui représente la hiérarchie sociale, les écrits de l’Empereur étant placés en premier.
Ces différents classements ne sont donc jamais neutres, même lorsqu’ils utilisent l’ordre alphabétique, puisque ce dernier génère des juxtapositions et des associations d’idées entre des livres fort dissemblables qui sont tout aussi arbitraires que les autres classements.
Le premier à utiliser le classement alphabétique est le bibliothécaire d’Alexandrie, Callimaque. Il établit un catalogue en 120 volumes des principaux auteurs grecs de la bibliothèque, en les classant selon des pinakes (ou « tables ») qui mélangent genres et thèmes : épopée, poésie lyrique, tragédie, comédie, philosophie, médecine, rhétorique, droit, et une dernière catégorie Divers qui est un vaste fourre-tout ! À l’intérieur de ces catégories, les auteurs sont ensuite classés par ordre alphabétique avec des notes biographiques et une bibliographie réalisées par Callimaque. Ce système de classement alphabétique se retrouve plus tard dans les bibliothèques du monde arabe, mais il n’y a en revanche aucune uniformité au Moyen Âge pour mettre de l’ordre dans l’œuvre d’un même auteur : par titre, par ordre chronologique, par sujet, selon les bibliothèques.
« Si une bibliothèque est un miroir de l’Univers, alors le catalogue est le miroir de ce miroir. » Les premières formes de classements thématiques apparaissent à l’époque médiévale, selon le témoignage d’Avicenne qui se rend dans la bibliothèque du Sultan de Boukhara. « Chaque pièce y était consacrée à une science en particulier » où le bibliothécaire est « le gardien de la mémoire vivante des livres ». Ainsi, Avicenne peut y consulter les livres et « reconnaître la position de chacun d’eux dans la catégorie scientifique appropriée ». Les divisions thématiques s’associent donc au classement alphabétique dans le Moyen-Âge arabo-musulman.
Mais « une bibliothèque est une entité en perpétuel accroissement » et si une catégorie contient trop de livres, elle devient inutile. L’idée est donc venue d’utiliser « l’univers illimité des nombres » plutôt que celui, fini et restreint des lettres de l’alphabet. C’est ainsi que l’américain Melvil Dewey, en 1873, conçoit le principe d’utiliser des décimales « pour numéroter une classification de toute la connaissance humaine imprimée ». Chaque division peut ainsi se rediviser en sous-thèmes à l’infini, en arborescence. Les dix grandes classes du savoir proposées par Dewey, selon un classement par sujet en fonction du contenu des livres, correspondent bien entendu à un contexte politique et culturel particulier. L’idéologie sous-jacente y est celle d’une supériorité de la « race » anglo-saxonne, d’une culture américaine dominante. On est là bien loin d’une forme d’universalité dans la grille de lecture et de compréhension du monde qui est proposée, et c’est pourtant cette classification qui sera adoptée partout dans le monde grâce à sa simplicité et son côté pratique. « À tout ce que l’on peut concevoir, on peut attribuer un nombre, et l’on peut donc contenir dans l’infinie combinaison de dix chiffres l’infinité de l’univers. »

Inversement, « pour Umberto Eco, une bibliothèque doit avoir le côté imprévisible d’un marché aux puces. » Elle peut être le royaume du hasard, malgré l’ordre qui y règne. En effet, tout classement entraîne des rassemblements de livres farfelus, mystérieux, étonnants, tissant ainsi des similitudes secrètes, des liens mentaux et des paysages imaginaires que les vagabondages des lecteurs dans les rayons dessinent, au gré de leurs envies et de leur subjectivité. La succession des lectures, selon les choix et la chronologie dans lesquelles elles sont effectuées, colore tel ou tel livre de souvenirs et des réminiscences des précédentes lectures. « Chacun des livres est un kaléidoscope qui se modifie sans cesse : chaque nouvelle lecture lui apporte un nouveau tour, un nouveau schéma ».
Dans le cas d’une collection privée, c’est aussi bien entendu un reflet de la personnalité de son propriétaire. « Toute bibliothèque est une autobiographie » Mais comment lier un principe d’organisation logique et rationnelle et la combinaison aléatoire et personnelle issue des expériences de lecture ? C’est ce dilemme qu’a tenté de résoudre le critique d’art et écrivain Aby Warburg dans sa bibliothèque personnelle dès 1909. La « Bibliothèque Warburg de Science de la culture » dédiée à la déesse grecque de la mémoire Mnémosyne, est constituée de rayonnages elliptiques, puisque chaque livre renvoie forcément à un autre titre dans cette vision cyclique de la bibliothèque. Elle est selon le philosophe Cassirer « un catalogue de problèmes ». En effet, les sujets sont juxtaposés selon des associations d’idées libres, comme la philosophie mêlée à l’astrologie, l’Art regroupé avec la Religion et la littérature, la théologie, la poésie associées à l’histoire de l’Art… Warburg cherche aussi à y appliquer la « règle du bon voisin » : le livre que l’on connaît bien côtoie peut-être sans qu’on le sache un livre inconnu au titre un peu obscur mais qui renferme exactement l’information dont on a besoin. Les livres ainsi regroupés sont l’expression de « la pensée de l’humanité sous tous ses aspects, constants et changeants ». Il reprend donc en permanence le classement, y change l’ordre des livres sans cesse, au gré des liens qui se tissent dans son esprit. C’est là toute la limite de la bibliothèque de Warburg qui donne une représentation de la complexité de sa pensée mais est incompréhensible de l’extérieur pour tout autre que lui-même. Manguel, en visitant sa reconstitution au Warburg Institute à Londres, est pris de vertige et de stupeur face au labyrinthe des rayonnages et à l’absence totale de repères dans cette bibliothèque complexe et infiniment personnalisée.

Un lieu fini qui entend contenir l’infini

Si l’utopie qui sous-tend les grandes bibliothèques est de rassembler tous les livres du monde au même endroit, le lieu bibliothèque en lui-même n’est pas infini dans sa spatialité et présente des contraintes matérielles bien réelles. L’emplacement d’un livre, son inscription dans un certain espace de la bibliothèque lui donne déjà et a priori une certaine définition, un sens, si arbitraire soit-il, en fonction du mode de classement choisi. L’ordre adopté peut également être en partie conditionné par l’agencement de l’espace et les contraintes du lieu. Manguel multiplie ainsi les exemples d’architectures et de dispositifs permettant de contenir le plus de livres possible dans une bibliothèque : étagères suspendues, échelles immenses, rayons rotatifs à 4 côtés etc. Il dit pourtant aussi en préambule que la disposition la plus optimale des livres dans un rayon serait de les disposer à hauteur de bras et d’œil, donc jamais au ras du sol ni trop en hauteur, pour en faciliter l’accès, chose qui arrive très peu souvent en raison du gaspillage de place.
L’éternel problème est bien entendu ici la conservation des documents et leur stockage. Si la numérisation peut être une solution pour gagner de la place, elle s’avère problématique sur le long terme en raison de la difficile pérennité des formats informatiques. Le papier se conserve finalement beaucoup mieux et plus longtemps qu’un support numérique trop dépendant des évolutions technologiques. Manguel soutient donc la double conservation imprimée et numérique dans une bibliothèque, dans une complémentarité des supports.
Il déploie ensuite à travers plusieurs références historiques l’image de la bibliothèque en perpétuel agrandissement, ce qui pose nécessairement problème dans un lieu qui n’est lui pas infini. Ainsi, Gabriel Naudé, en 1627, dans son « Advis pour dresser une bibliothèque », montre bien que l’intérêt d’une bibliothèque est d’y trouver ce que l’on cherche. Or, étant une collection forcément incomplète et en perpétuel renouvellement, c’est là tâche impossible que de contenir tous les documents nécessaires à tous.
C’est le même objectif qui régit l’Encyclopédie de Diderot : les volumes représentent en quelque sorte à eux seuls l’équivalent du contenu d’une bibliothèque entière. L’idée est bien de « rassembler les connaissances éparses sur la surface de la Terre », de créer une « encyclopédie sanctuaire » qui se suffit à elle-même (article « Encyclopédie » dans l’Encyclopédie). Diderot déclare également que « cet ouvrage pourrait tenir lieu de bibliothèque dans tous les genres à un homme du monde ; et dans tous les genres excepté le sien, à un savant de profession ». Le classement interne à L’Encyclopédie est alphabétique, mais les liaisons entre les sujets sont visibles par des renvois en fin d’article. Ces liens qui tissent un arbre de la connaissance humaine sont d’ailleurs souvent étonnants et révélateurs du contexte historique et philosophique des Lumières. Par exemple, en fin d’article sur l’anthropophagie, on trouve un renvoi vers « Eucharistie – Communion – Autel » !
L’utopie qui est au cœur de l’Encyclopédie de Diderot devrait permettre de clore l’expansion infinie des bibliothèques. C’est également l’idée qui sous-tend le Web et sa volonté d’exhaustivité. À l’instar des deux personnages de Flaubert, Bouvard et Pécuchet qui se sont donné pour mission de lire tous les livres du monde, les bibliothèques ne font que « se déployer et enfler jusqu’au jour inconcevable où elles contiendront tous les volumes jamais écrits sur tous les sujets imaginables ». C’est également la métaphore présente dans la bibliothèque de Babel de Borges, celle d’une bibliothèque illimitée contenant tous les livres possibles, où le personnage se rend compte que sa quête est redondante et impossible. En effet, « l’encyclopédie mondiale, la bibliothèque universelle existe, et c’est le monde même. »
Par ailleurs, l’agencement des livres dans une pièce détermine l’univers mental, l’atmosphère et la relation qui se créent entre le lecteur et les ouvrages. Michel Melot, alors directeur de la BPI, le dit fort bien : « Tout bibliothécaire est toujours un peu architecte. Il bâtit sa collection comme un ensemble à travers lequel le lecteur doit circuler, se reconnaître, vivre ». La perception du lieu ne sera pas la même dans une bibliothèque compartimentée en sections, avec une hiérarchisation des sujets, ou dans une salle ronde, à l’agencement circulaire, où chaque livre peut être vu comme le premier. Si notre bibliothèque personnelle correspond à nos habitudes de lecture individuelles, le plan d’une bibliothèque publique reflète un certain mode de classement et la tentative de résolution du dilemme entre liberté de circuler et espace de concentration. Ainsi, que ce soit dans la salle Labrouste de la BNF ou dans la salle de lecture de la British Library, on retrouve cette volonté d’allier intimité et volume, grandeur et isolement. De même, la bibliothèque Laurentienne de Florence, dessinée par Michel-Ange, rappelle au lecteur la relation entre le monde et le livre avec des espaces qui évoquent la forme des pages. Le nombre d’or, symbole de la perfection et de l’idéal du beau, y est utilisé dans les proportions de la salle de lecture, illustrant par là même l’ordonnancement des connaissances, alors que l’escalier d’accès à la salle, dynamique, à trois chemins incurvés, semble dire quant à lui qu’aucun ordre ne peut réellement contenir et englober la connaissance humaine. C’est bien ce double paradoxe qui est perpétuellement au cœur de l’architecture de toute bibliothèque.

Lieux à la fois ouverts et clos, les bibliothèques, tout comme les CDI, doivent répondre à des injonctions contradictoires : comment favoriser le travail et la concentration dans un espace où la libre circulation est prioritaire pour trouver le bon document ? C’est la différence que pointe Manguel entre bibliothèque et cabinet de travail. Ce dernier est comme une tanière, où il trouve les livres qui lui sont les plus nécessaires, des « extensions de lui-même », de « vieilles connaissances ». « Si ma bibliothèque raconte l’histoire de ma vie, c’est mon cabinet de travail qui témoigne de mon identité ». Cet espace intime peut être englobé par la bibliothèque, mais doit dans tous les cas être propice « à l’introspection et à la réflexion, être un lieu où penser ».
On y recherche ce que Sénèque appelle l’Euthymia (tranquillitas en latin), c’est-à-dire le « bien-être de l’âme », un lieu qui favorise la mémoire, le travail dans un isolement sans distraction. Comment procurer à nos élèves cette euthymia que Manguel appelle de ses vœux dans son cabinet de travail ? L’informatique peut dans certains cas recréer une forme de bulle d’isolement, mais être également un vecteur infini de déconcentration… Salles de travail, box, tables isolées, îlots etc., sont autant de possibilités d’agencement pour combiner concentration et ouverture dans un espace restreint.

Un symbole politique, culturel et mémoriel

En tant qu’espace regroupant savoir et écrit, la bibliothèque se place au centre des enjeux de pouvoirs, tant politique que culturel. Le livre, associé à un certain prestige social, assure une forme de légitimité du savoir, conservé dans les bibliothèques. Ce n’est évidemment pas anodin si nombre de personnages politiques, monarques, dirigeants, se font représenter avec une bibliothèque en arrière-plan. L’écrit est aussi une manière de laisser une trace, il assure une forme d’immortalité. Si des mécènes financent des bibliothèques, c’est pour associer leurs noms à des lieux de culture et en obtenir un certain rayonnement. Manguel cite ici l’exemple d’Andrew Carnegie, riche industriel américain, qui au XIXe siècle, a permis l’ouverture d’un réseau de 2500 bibliothèques publiques partout aux États-Unis. Vues par ses détracteurs comme une forme de contrôle social, ces bibliothèques ont néanmoins permis au plus grand nombre d’accéder aux livres et à la lecture gratuitement.
Le fonds documentaire d’une bibliothèque peut par ailleurs, être analysé en creux, en fonction de tous les livres qui n’y sont pas. Tout choix implique des renoncements, des exclusions, des oubliés, des absents. Les livres sont révélateurs et signifiants par leur seule présence ou absence. La censure, selon le régime politique et le contexte historique, peut jouer à plein dans une bibliothèque : les écrits peuvent être éminemment subversifs et jugés scandaleux, « dégénérés » pour les Nazis, « bourgeois » pour les Staliniens, etc. Détruire les livres d’un peuple est un moyen de détruire son identité, sa culture et sa mémoire. Dans toute guerre nous dit Manguel, l’envahisseur commence par brûler la bibliothèque du peuple conquis pour imposer son autorité.
Dans des circonstances moins dramatiques et de façon plus pragmatique, la constitution d’un fonds documentaire répond à une ligne directrice et à des orientations particulières. Ainsi, « toute bibliothèque évoque son double interdit ou oublié : une bibliothèque invisible mais impressionnante, composée de livres qui, pour des raisons conventionnelles de qualité, de sujets ou même de volume, ont été jugés indignes de survivre sous ce toit en particulier. »
Les titres rassemblés dans une bibliothèque peuvent être un moyen collectif de définir l’identité d’une société, d’un pays, d’une culture. En ce sens, il semble logique que la constitution d’une bibliothèque relève de l’État. C’est Pétrarque le premier qui envisage la dimension publique et étatique de la bibliothèque, en 1362. L’Italie est d’ailleurs dotée de 6 bibliothèques nationales. En Angleterre, en revanche, le processus prend beaucoup plus de temps et ce n’est qu’au XVIIIe siècle que naît la British Library, associée au British Museum. En parallèle du Copyright Act de 1842, qui permet à la bibliothèque de recevoir le dépôt légal de tous les livres imprimés dans le pays, une politique volontariste est mise en place, chapeautée par le bibliothécaire Antonio Panizzi. Ce « tissu de livres » doit être « la place forte de l’identité politique et culturelle britannique ». La bibliothèque devient « le portrait de l’âme nationale », une « vitrine de la Nation ». Elle doit représenter tous les aspects de la pensée et de la vie quotidienne au Royaume-Uni.
Manguel donne également comme exemple la restauration et la reconstruction de la bibliothèque nationale du Liban, qui fait figure de projet unificateur entre une mosaïque de cultures, de religions et de langues. « Il se peut que, de par sa nature kaléidoscopique, n’importe quelle bibliothèque, si personnelle soit-elle, offre à qui l’explore un reflet de ce qu’il cherche, une fascinante lueur d’intuition de ce que nous sommes en tant que lecteur. » Elle permet de donner « une compréhension de la façon dont un pays pense et s’organise, comment il divise et catalogue le monde. » La bibliothèque devient ainsi « un miroir au défi vertigineux des multiples identités du pays et des temps. »
D’autre part, l’écrit dont les bibliothèques sont les détentrices a bien sûr valeur de trace, de mémoire d’une culture et d’une civilisation. Si les étudiants de mai 68 criaient entre autres, « ici on ne cite pas », pour revendiquer une pensée originale et inédite, « citer » c’est en réalité utiliser la bibliothèque ; c’est se référer au passé pour écrire le présent ; c’est s’inscrire dans la longue chaîne de l’histoire de la pensée. La bibliothèque a une mission de mémoire, mémoire de la connaissance accumulée, mais aussi mémoire des victimes, des injustices, des horreurs commises dans le passé en tant que lieu de conservation des témoignages. Par opposition, la bibliothèque du vainqueur ne gardera trace que de l’histoire officielle, celle du pouvoir en place. Même lorsque des livres ont été détruits ou ont disparu, il paraît important, nous dit Manguel, de documenter leur absence, de relater l’histoire de la bibliothèque, avec ses pertes, ses manques, pour garder paradoxalement, une mémoire de l’oubli.
Que l’on considère le livre comme un objet familier qui nous fait nous sentir un peu chez nous, ou au contraire comme l’incarnation même de l’altérité, comme une terre étrangère, la bibliothèque peut dans les deux cas, être vue comme ce qui « renferme une vérité plus vaste que celle du temps et du lieu où l’on vit ». Elle rassemble ce qui est dispersé dans l’espace et dans le temps. « Le passé est une étagère remplie de livres ouverte à tous », source infinie d’inspiration et de réappropriation affirme Sir Thomas Browne. L’esprit humain s’incarne à travers les livres et assure ainsi la continuité de l’histoire de la pensée au fil des siècles. Le passé peut ainsi être considéré comme une bibliothèque infinie : « en lui gît notre espoir d’un futur supportable » conclut Manguel.

En 2018 à Beyrouth, réouverture de la Bibliothèque nationale du Liban, 42 ans après sa fermeture, au cœur de la guerre civile © D. R.

En conclusion de ce passionnant essai, Manguel, citant en exergue Chalamov, nous dit : « Les livres sont ce que nous possédons de meilleur dans la vie, ils sont notre immortalité ». Là encore, l’idée de mémoire et de postérité est au centre des enjeux de conservation de la pensée et de la connaissance humaine assurée par les bibliothèques, qu’elles soient imprimées ou numériques. Manguel compare la bibliothèque d’Alexandrie, ce symbole mythique de l’omniscience, avec la Toile et son ambition d’omniprésence. La « tangible intangibilité » du Web propose une nouvelle vision de l’infini. Mais que l’on parcoure une bibliothèque publique, sa propre collection de livres, ou les dédales des bibliothèques numérisées, le désir de remise en ordre du monde y est factice. L’ordonnancement proposé par le classement des informations dans un fonds documentaire quel qu’il soit entend mettre du sens dans le hasard et le désordre du monde, mais ne peut au final qu’offrir « une image négociable du monde réel ». Les bibliothèques représentent donc bien autant de tentatives de créer une identité culturelle, de conserver la mémoire et l’histoire d’un peuple, de classer les savoirs en catégories pensables et compréhensibles de tous, de perpétuer et d’assouvir les besoins de fiction et d’imaginaire des lecteurs. Pour Manguel, citant Pénélope Fitzgerald dans La Fleur bleue, « si un roman commence par une découverte, il doit se terminer par une recherche ». Ici, l’histoire de la bibliothèque de Manguel se clôt sur la recherche d’une consolation…

 

À José Francès

 

 

Le PREAC BD d’Angoulême

Depuis l’année scolaire 2002-2003, Angoulême accueille un Pôle de Ressources en Éducation Artistique et Culturelle bande dessinée, ou PREAC BD. Chaque année, en prélude au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, se tient un séminaire qui propose d’explorer le potentiel pédagogique du 9e Art pris dans toute sa diversité. Co-organisée par l’Atelier Canopé 16 – La Couronne, la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image, le Festival international de la Bande Dessinée, et la DAAC du Rectorat de Poitiers, cette formation gratuite est ouverte à tous les enseignants – premier et second degrés –, de toutes les disciplines, ainsi qu’aux bibliothécaires et aux médiateurs culturels au sens large. Elle poursuit plusieurs objectifs :
– conforter la présence du 9e art et son usage dans la pédagogie au sein des établissements scolaires ;
– apporter des ressources documentaires aux enseignants ;
– accompagner les projets dans les établissements et réfléchir aux enjeux de la bande dessinée dans le parcours des élèves.

Céline Buyse, stagiaire, professeur d’Histoire Géographie de Lycée y trouve une grande richesse pour sa pratique professionnelle :
« Participer à ce séminaire, c’est d’abord venir me nourrir en venant écouter des spécialistes, sur des sujets pointus et qui nous présentent des tours d’horizon aussi exhaustifs que passionnants sur un thème donné. (…)
C’est aussi l’occasion de me pencher sur des genres vers lesquels je n’irai pas spontanément, comme le manga, qui m’était une culture totalement étrangère, ou presque. Cela nous permet à nous Occidentaux – et à nous, professeurs d’Histoire – de nous rappeler qu’il n’y a pas une seule lecture des événements, et que certaines planches d’auteurs japonais, coréens ou autres, peuvent offrir des points de vue et des grilles d’analyse très intéressants à présenter à nos élèves, lors de TD, ou même pour illustrer un cours. »
L’organisation et l’animation du séminaire sont assurées depuis 2009 par Laurent Lessous qui a succédé à Didier Quella-Guyot. En 18 éditions, ces deux critiques du 9e Art ont réussi, en s’appuyant sur des thématiques renouvelées chaque année, à proposer une large gamme d’approches d’un médium longtemps méprisé dans le monde de l’éducation. Pourtant, ils ont montré que tous les genres, des plus populaires – thriller, humour ou science-fiction – à ceux proposant une réflexion plus poussée à leurs lecteurs – récits historiques, de reportage ou à visée citoyenne – peuvent être abordés de manière pédagogique.
Les séminaires sont aussi l’occasion de rencontrer des auteurs reconnus lors de tables-rondes animées. Lewis Trondheim, Joann Sfar, Etienne Davodeau, Kris, Edmond Baudouin, Zeina Abirached, Emmanuel Guibert, Florence Cestac, Jean Dytar, Derf Backderf, Antonio Altarriba, Thierry Murat, Bruno Loth et beaucoup d’autres ont été invités à discuter avec les stagiaires pour expliciter leur travail d’auteur.
Céline Buyse se souvient notamment de « David Prudhomme et Jean Dytar qui (les) avaient régalé d’une présentation fleuve de leurs travaux respectifs avec des photos de planches en cours de travail, de techniques pour raconter une histoire dans un lieu finalement unique – la grande salle de La Vision de Bacchus, en maquette ! ou de leurs sources d’inspiration (tableaux, statuettes, etc.). Comprendre le cheminement de leur travail, le temps long de l’écriture du scénario, de la mise en page, les problèmes éthiques ou parfois liés au droit d’auteur dans le cas d’adaptation de romans en bande dessinée, permet d’avoir une vision beaucoup plus globale et d’appréhender aussi différemment les choses. »
Cette formation gratuite, ouverte à tous, connaît un succès grandissant. Claire Richet, professeur documentaliste en Lycée professionnel, est une fidèle de ce rendez-vous annuel qu’elle qualifie volontiers de « bonheur renouvelé », et même de « chance dans un contexte de formation continue peu varié ».
Pour que tous les stagiaires puissent participer efficacement aux ateliers de pratique, une sélection a été mise en place. Les organisateurs limitent ainsi à une centaine le nombre de stagiaires. Pour concourir au prochain séminaire en janvier 2020, sur le thème de la bande dessinée d’aventure, il faudra vous inscrire et envoyer une lettre de motivation à l’automne 2019. Un lien de préinscription devrait être mis en place à cette période sur le site Canopé 16.

Appel à contribution : Faites vos jeux

Espace de loisir, de divertissement, de libre disposition du temps, le jeu peut sembler incompatible avec l’exigence d’effort, de concentration et de rigueur qu’imposent les apprentissages scolaires. Pourtant, depuis quelques années, il regagne son droit de cité dans les établissements où la transversalité des disciplines, et des apprentissages, est de plus en plus sollicitée et valorisée. Nul besoin d’une veille professionnelle approfondie pour s’en rendre compte ! Serious games, club énigmes, ludothèque, escape games… exploitant toutes les facettes de son dé, le ludique s’installe officiellement au sein de nos CDI, qui pour autant ne se confondent pas avec le Foyer.
Intercdi a ainsi choisi de consacrer son prochain dossier thématique de rentrée à cette enthousiasmante question : le jeu au CDI ! Quelle place ? Quelle forme ? Quels jeux ? Quels objectifs ? C’est avec impatience que nous attendons vos contributions :

Faites vos jeux, rien ne va plus !

Pour une préparation optimale du numéro 280-281 (septembre-octobre), n’hésitez pas à contacter la rédaction au plus tôt : intercdi.articles@gmail.com