Lettre à Christian Binet
Vous vous étonnez sans doute de voir Robert et Raymonde Bidochon nous souhaiter un joyeux anniversaire. Pourquoi ce célèbre couple se retrouve-t-il dans votre revue ? Ma lettre à Christian Binet vous apportera quelques explications sur cette présence incongrue.
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InterCDI, acteur et moteur de la construction de la profession
À travers ce dossier, c’est une plongée dans les archives d’InterCDI qui est proposée, organisée autour d’extraits d’articles, reproduits pour beaucoup dans leur forme initiale, afin de coller au plus près des évolutions de la revue (choix éditoriaux, contenus, mise en forme). La réflexion se situe dans le prolongement des écrits de Marie-Laure Sourdillon pour Les Cahiers de l’ISP en 19991 et de Claude Viry dans Perspectives documentaires en éducation en 20032, article qui développe un volet du texte (p. 9-11) initialement paru dans le « Spécial Technologies au CDI » d’InterCDI de juillet-août 19993.
Nous avons opté pour une entrée chronologique, consacrant un quatre pages à chaque décennie, ce qui est forcément réducteur, au regard de la variété et de la richesse des réflexions qui sont au cœur de la revue. Pour chaque décennie, nous avons procédé à une lecture thématique, autour de grandes questions/problématiques significatives des évolutions en cours, à la fois en termes d’étapes, et de réflexions initiées par des chercheurs et des professionnels, comme autant d’éléments constitutifs de la construction de la profession.
Des options fondatrices du créateur de la revue, Roger Cuchin, aux évolutions ultérieures, en continu, dans un contexte de mutations institutionnelles, techniques, sociales, culturelles…, il s’agit de rendre compte de la manière dont InterCDI a contribué/contribue (en quoi et comment) à cette construction : dans une démarche qui se veut ambitieuse et prospective, attentive à être force de proposition, et de prendre une part active aux débats du moment, conjuguant ouverture, créativité, attention portée à l’humain, et prenant en compte les contextes.
Au-delà du balayage des différents champs de la fonction, sous des rubriques aux intitulés parfois changeants en fonction des décennies*, ce sont des réalités complexes et évolutives que donnent à voir les articles, en lien avec les questions qui agitent la profession, et, plus généralement, l’école et la société : certaines reviennent de manière récurrente, sous de nouveaux habillages, en phase avec les avancées de la réflexion. Sont ainsi convoqués, dans une articulation théorie/pratique, des articles d’auteurs variés, parmi lesquels des contributeurs réguliers (des chercheurs, des praticiens, membres de l’équipe CEDIS ou « fidèles » extérieurs à la rédaction). Bien plus qu’un simple espace d’échanges et de mutualisation de pratiques, c’est un InterCDI moteur de la construction de la profession (v. note 2) qui ressort de cette synthèse ; un espace de réflexion, interrogateur de l’existant (CDI, profession, info-doc, école, technique, social…), croisant articles théoriques, résultats de recherche, notes de lecture, enquêtes, analyse de pratiques et de dispositifs, récits d’expériences…
Professeure documentaliste néotit’ en 2022
Les élèves qui entrent en sixième ont beaucoup de mal à s’habituer à vouvoyer les professeurs et à les appeler « Madame » ou « Monsieur ». Ainsi, les premiers jours, je les reprenais patiemment en leur apprenant à me vouvoyer et à m’appeler par mon nom de famille, comme ils doivent le faire en entrant au collège. Un jeune garçon, débordant d’énergie, avait particulièrement du mal à s’adapter à ces nouvelles règles. Très gentil, ça lui semblait tellement naturel de tutoyer tout le monde. Amusée, je lui rappelais à nouveau : « Nathan, tu sais que tu dois m’appeler “Madame” et me vouvoyer ? »
Déconcerté, il me regarda droit dans les yeux et me répondit : « Ça veut dire quoi “vouvoyer” ? » Et là, je ne pus réprimer un sourire. Effectivement, si on entend à longueur de journée « Il faut nous vouvoyer », mais qu’on ne sait pas ce que ça signifie, ça paraît tout de suite plus compliqué à faire ! Peu convaincu par mon explication, il a essayé de faire un effort, mais aujourd’hui encore il lui arrive de nous tutoyer !
Dès que possible, c’est-à-dire quasiment à chaque heure, je descends en permanence récupérer des élèves qui souhaitent venir au CDI. C’est souvent un moment de frustration pour ceux qui ne sont pas désignés et cela me met régulièrement mal à l’aise de devoir faire un choix. Le CDI possède un nombre de places limité et il y a souvent plus d’élèves qui veulent venir que le nombre de places disponible. Comment départager les élèves, alors qu’ils disent tous vouloir travailler, lire ou faire un exposé ?
Chacun a sa méthode et, pour ma part, j’essaie de mélanger les élèves, en prenant à la fois ceux que je sais calmes et travailleurs et des élèves dont je me doute d’avance que l’occupation principale sera le bavardage ou l’utilisation du pc !
Un jour, un élève a insisté pour venir au CDI. Il vint me chercher juste avant de descendre en permanence en me disant :
« Madame, est-ce que vous pouvez venir nous chercher pendant cette heure ?
– Oui, je descends dans 5 min, lui répondis-je, (le temps que tous les élèves soient rangés et installés en permanence).
– Est-ce que vous pourrez me prendre s’il vous plaît ?
– D’accord, mais va te ranger correctement en permanence. »
La règle veut que les élèves qui ne sont pas rangés en permanence, au moment où je descends pour les récupérer, ne soient pas pris au CDI. Cela évite qu’ils traînent dans les couloirs en prétendant aller au CDI.
Alors que je choisissais les élèves en permanence et que je cédais en prenant plus d’élèves, malgré le quota atteint, car certains élèves me disaient vouloir travailler, ce même garçon qui avait insisté pour venir me regarda avec un air déçu et me dit :
« C’est bon, Madame, je vais retourner en permanence.
– Pourquoi ? Toi qui voulais absolument venir il y a encore quelques minutes !
– Il y a trop de monde au CDI, ça ne va pas être bien. »
Surprise par sa réaction, je l’autorisai d’un signe de tête à retourner en permanence et me fis la réflexion de ne plus déroger au quota que je m’étais fixé. Non seulement, c’est plus facile à gérer pour moi, dès lors qu’il y a un nombre acceptable d’élèves, mais c’est également mieux pour les élèves eux-mêmes. Ils se sentent bien au CDI lorsque celui-ci constitue un environnement calme et propice au travail et à la lecture. Sa réaction me montre que les élèves eux-mêmes en sont conscients et, malgré leur frustration de ne pas être pris quand je viens les chercher, ils savent que lorsqu’ils viendront au CDI, ce sera en petit nombre et dans de bonnes conditions.
L’un des sujets qui me pose problème cette année, c’est bien de comprendre les cas particuliers auxquels j’ai affaire dans mon établissement, comme, par exemple, les élèves ULIS, mais aussi les enfants qui vivent en foyer ou qui sont victimes de violence physique ou morale à la maison. En effet, je n’ai pas reçu de formation pour comprendre ces élèves à besoins particuliers et j’en ressens un manque notable.
Je m’en suis précisément rendu compte au cours d’une discussion avec une amie au sujet d’un problème que je rencontrais avec un de mes élèves. Celui-ci devait rendre plusieurs livres au CDI et, après plusieurs rappels, considérant les livres comme perdus, je lui ai transmis une facture. Connaissant sa situation, je ne m’attendais pas à ce qu’il paie cette facture, mais c’était une manière de lui faire remarquer que son retard allait finir par poser problème. Sa réaction ne fut toutefois pas celle que j’attendais : il me rit au nez en me disant qu’il les rendrait quand Lui l’aurait décidé. Je décrivis davantage cet enfant à mon amie qui travaille dans la protection de l’enfance et elle m’expliqua : « L’enfant dont tu me parles est typiquement un enfant “abandonniste” ; il pense que s’il vit en foyer c’est uniquement de sa faute, pas celle de ses parents ou d’une autre personne, mais spécifiquement la sienne. Et il fera tout pour se mettre dans des situations qui l’accusent, pour se prouver que c’est bien lui le problème. Pour se donner raison. Laisse tomber tes livres, c’est le seul rapport qu’il a su construire avec toi, car c’est le seul rapport qu’il cherche à construire. Il faut que tu trouves le moyen de construire une autre relation avec lui que celle dans laquelle il est en faute. »
Mon approche n’était donc pas la bonne et je me rendis compte que n’ayant aucune expérience, aucune connaissance dans ce domaine, je n’aurais pas su qu’il fallait agir autrement sans cette explication. Il me semble impératif que je me forme à la psychologie de l’enfant et il serait intéressant d’ajouter ce domaine aux formations pour devenir enseignant.
Les « piliers du CDI » sont les élèves qui sont toujours présents, quel que soit le temps qu’il fait dehors, et qui deviennent à tour de rôle mes petit.e.s « assistant.e.s », au point qu’il m’arrive de devoir inventer des tâches à réaliser pour ne pas les décevoir lorsqu’ils viennent au CDI pour « me seconder » !
Un jour, j’aidais une élève à choisir un livre dans le CDI. J’avais missionné trois copines pour ranger les quelques livres qui étaient posés sur mon bureau. L’une d’elle, Inès, vint me voir au bout de quelques minutes, toute fière : « Madame ! J’ai rangé votre bureau ! » m’annonça-t-elle avec un grand sourire ! Je ne pus réprimer une grimace en me disant « oh la la, pourvu que je sache retrouver mes papiers ! » Je lui répondis : « Merci, mais j’espère que je vais savoir retrouver mes affaires ! » Elle rigola et me dit : « Oui oui, ne vous inquiétez pas ! ». Maintenant, je prends l’habitude de ranger très régulièrement mon bureau pour qu’elles n’aient pas l’impression que ce soit le bazar !
Une autre élève, Marion, aime particulièrement remettre les bandes dessinées dans les bacs, une fois que celles-ci sont sorties de quarantaine. Depuis le début de l’année, avec la crise sanitaire actuelle, j’ai organisé sous mon bureau des cartons de quarantaine étiquetés selon le jour où me sont rendus les livres. Ainsi, le jeudi, je remets habituellement les livres du lundi, et ainsi de suite. La petite Marion attend donc patiemment le jeudi matin pour pouvoir ranger les bandes dessinées dans les bacs, en fonction du nom de leur auteur. Cependant, un jour j’ai permis à une autre élève, qui avait une heure de permanence et qui voulait m’aider, de ranger les livres sous mon bureau. Elle les rangea tous sans exception et plus vite que je ne le pensais ! Quelle ne fut pas la déception de Marion à la récréation, lorsqu’elle découvrit que les bandes dessinées avaient déjà été remises dans les bacs ! Mais toute gentille elle me dit : « Ce n’est pas grave, mais la prochaine fois, dites-lui bien qu’elle peut ranger tous les autres livres, mais qu’il faut me laisser les bandes dessinées ». Je culpabilisai. Toutefois, il est difficile de satisfaire tout le monde !
Lors d’une récréation, Sofia vint me retrouver au CDI. Marion était près de moi et me racontait sa matinée. Sofia nous vit et, trop contente, posa son cartable sur le sol en disant : « Marion, Madame, j’ai une surprise pour vous ! ». Marion et moi nous nous regardâmes et fîmes les gros yeux, tout étonnées ! Sofia sortit de son sac deux sucettes et nous les tendit ! Surprise et très contente de ce petit geste je m’exclamai : « Ouah trop bien ! Merci beaucoup ! ».
Je crois bien que j’étais plus contente que la petite Marie, bien que je n’aime pas particulièrement les sucettes !
Depuis le début de l’année, je donne des cours d’éducation aux médias et à l’information à une classe de sixième, le mercredi matin, en demi-groupe. J’alterne en changeant de groupe en fonction des semaines A et B. J’ai pu obtenir cette classe de 6e à l’année pour leur éviter d’avoir une heure de trou annuelle. L’objectif que je me suis fixé est de créer une émission de webradio en remettant sur pied la webradio non utilisée du collège qui se trouve au CDI.
Tandis que je discutais avec un surveillant de mes projets avec cette classe, quel ne fut pas son étonnement lorsqu’il apprit que je donnais des cours ! Je lui expliquais alors mes fonctions et mes missions au sein de l’établissement et les différents projets que je commençais à mettre en place. Il était agréablement surpris de ma polyvalence, mais cela montre que, malheureusement, notre travail au sein de l’établissement n’est pas encore connu de tous nos collègues et le peu de retour que j’ai eu des parents d’élèves me montre, également qu’eux non plus ne savent pas ce que nous enseignons.
Dernièrement, j’ai rendu un petit contrôle de connaissance aux élèves. D’habitude, je les sermonne, car ils n’apprennent pas leurs leçons et ce depuis le début de l’année, mais, cette fois-ci, je préférai encourager leurs efforts. Je remis les devoirs aux élèves et deux d’entre elles, Alice et Louise, étaient plutôt fières, car elles avaient eu tout juste. Adèle, qui n’avait pas validé toutes les compétences, s’étonna d’un air boudeur qu’on puisse avoir tout juste. Je demandai alors aux filles si cela avait été difficile et elles répondirent que non, qu’elles avaient juste appris le cours. J’ajoutais qu’effectivement, il suffisait de passer une heure par semaine à apprendre le cours pour réussir mes devoirs. Je précisai également que Sofia avait, elle aussi, eu quasiment tout juste et, pourtant, elle n’avait révisé qu’une heure avec moi, juste avant le contrôle. Le groupe entier me regarda et Adèle répéta : « Vous êtes en train de dire que Sofia a eu tout juste et qu’elle a juste travaillé une heure avec vous ? ». Je répondis : « Oui, tout à fait. Je lui ai montré une bonne méthode pour apprendre et cela l’aide beaucoup à mémoriser le cours ». « Madame, moi aussi je veux faire une heure avec vous pour avoir tout juste à vos contrôles ! », s’exclama Adèle. D’autres élèves hochèrent la tête et je me fis la réflexion qu’il serait intéressant de mettre cela à exécution : peut-être fallait-il reprendre avec eux leur méthode d’apprentissage ?
Le tutorat que je propose à Sofia s’est installé de lui-même, naturellement. Alors qu’elle s’était assise à côté de moi pour réviser le premier petit contrôle que je leur avais proposé au début de l’année, je l’observais. Elle écrivait soigneusement sur une feuille uniquement les réponses notées dans les trous de sa fiche de cours (fiche à trous que nous remplissons ensemble pendant le cours pour que les élèves aient une trace). J’attendis un moment avant de lui poser des questions sur sa méthode d’apprentissage, mais en voyant qu’elle n’apprenait que ces « réponses » sans qu’il y ait de sens (par exemple, pour la définition d’un média, elle apprenait la définition « un moyen de communication » sans le relier à « un média est »), je finis par l’interrompre. Je lui proposai alors de créer des cartes pour mémoriser son cours, au recto, le terme à définir (un média), au verso, la définition (un moyen de communication, etc.). Prenant l’exercice pour un jeu, Sofia s’y prêta joyeusement (d’autant plus qu’elle a une bonne mémoire, si tant est que ce qu’elle apprend puisse faire sens dans son esprit). Une fois les cartes faites, je l’interrogeai et, toute fière, elle essaya de me donner les bonnes réponses. Cette méthode lui a permis de progresser. Je renouvellerai cette heure de tutorat avec elle l’année prochaine.
Nous avons obtenu la labellisation classe média pour l’an prochain et nous allons créer une classe média en 5e. Plusieurs collègues m’accompagnent dans ce projet : un professeur de technologie, la professeure d’éducation musicale, une enseignante de français et la médiatrice du collège. Les élèves auront une heure en demi-groupe par semaine en atelier et travailleront également sur le projet en classe entière avec leurs enseignants respectifs. Nous souhaitons remettre en marche la web radio du collège et cela nécessitera un petit réaménagement du CDI qui sera fait prochainement. Nous devons encore nous réunir afin de mettre au point un projet commun pour l’année et déterminer le rôle de chacun.
Plusieurs anecdotes me viennent à l’esprit, mais voici celle qui retranscrit le mieux la relation entre les élèves et le livre.
L’année dernière, le quart d’heure lecture a été instauré dans mon collège, mais avec la crise sanitaire, c’est la première année où les collègues essaient véritablement de mettre en place ce projet. Les enseignants sont mitigés quant aux bienfaits du quart d’heure lecture qui est assez difficile à mettre en place et à soutenir tout au long de l’année. Beaucoup d’élèves voient cela comme une contrainte et n’ont pas toujours de livre ou font semblant de le lire lorsqu’ils en ont un. Ils ont également du mal à choisir un livre selon leurs envies, privilégiant le plus petit livre ou le premier livre venu, évitant ainsi une punition potentielle s’ils viennent en classe sans livre.
Pour essayer d’aider les élèves dans leur choix, j’ai organisé pour plusieurs classes une séance au CDI leur permettant de choisir un livre. Pour cela, je leur ai distribué en amont des fiches lecteurs pour connaître leurs goûts et leurs envies. J’ai ensuite recherché dans le CDI les livres correspondant à leurs critères et j’ai organisé des tables de sélections thématiques. En arrivant au CDI, j’expliquai aux élèves les différentes sélections que j’avais faites et j’en profitai pour présenter certains livres. Tout au long de l’heure, les élèves étaient libres de parcourir les différentes tables mais aussi les rayons à la recherche d’un livre qui leur plairait. Ils pouvaient également me demander conseil, ce que firent quelques-uns d’entre eux. Une élève en particulier me demanda Les malheurs de Sophie. Je lui rapportai le livre en question, contente de l’avoir trouvé et alors que je le lui tendais elle me dit : « Je dois lire tout ça ? ». Le livre qu’elle n’avait pas encore en main, certes un peu vieux, faisait moins de deux cents pages. Étonnée, je lui répondis : « Il n’est pas si gros que ça et l’écriture est assez large. Il va se lire plus vite que tu ne penses. » Elle ne le prit pas.
Les élèves ont pour la plupart de grandes difficultés avec la lecture et il m’est arrivé à plusieurs reprises que l’on me fasse cette remarque. Certains d’entre eux lisent quelques pages et me rendent le livre sans l’avoir terminé. Lorsque des élèves que je ne connais pas bien me rendent un livre, je leur demande toujours :
« Est-ce qu’il t’a plu ?
– Oui, me répondent-ils la plupart du temps.
– Tu l’as lu en entier ?
– Presque, mais je ne l’ai pas terminé (le marque page est au début ou à la moitié du livre).
– Pourquoi tu n’es pas allé plus loin si tu as aimé l’histoire ? Veux-tu l’emprunter plus longtemps pour pouvoir le terminer ?
– Non c’est bon, ça m’ennuyait ou “J’ai perdu le fil”. »
L’an prochain, je vais mettre en avant quelques livres audio sur des tablettes pour que les élèves en difficulté puissent entrer dans la lecture différemment. J’aimerais également faire venir une conteuse professionnelle et faire tout un travail autour du conte.
Pour conclure, cette année est passée extrêmement vite ! J’avais plein d’idées de projets et de séances à mettre en place en arrivant au collège en septembre et je m’aperçois que je n’ai pas pu faire la moitié de ce que j’avais programmé. Il me faut également revoir à la baisse mes attentes vis-à-vis des élèves, lorsque je donne des cours d’EMI. J’ai une très bonne équipe dans mon établissement, toujours partante pour les projets. Enfin, je suis en train de réaménager le CDI et de repenser la disposition des livres dans les rayonnages pour les mettre davantage en valeur et attirer un peu plus l’œil des élèves.
Comment je suis devenue une prof doc heureuse et épanouie
C’est de retour à mon emploi dans une société d’export de films où je comblais un ennui passager en me baladant sur Twitter et les internets que j’approfondis mes recherches. J’ai lu avec étonnement et un enthousiasme grandissant un article rédigé par une future collègue dans Rue 89 et ai pris conscience de la potentielle richesse du métier1. Il faut dire que mon passé d’élève ne rendait pas totalement grâce au métier de professeure documentaliste. Dans le collège rural et catholique où je traînais mes faux jeans Levis 501, le CDI, petite salle encombrée et poussiéreuse, était ouvert occasionnellement par la personne qui faisait office de CPE, fan de chantage et d’humiliation. Dans le beau lycée tout neuf où, interne, je traînais mes jeans à patte d’éph’, le magnifique CDI était l’endroit où je découvris que des femmes pouvaient écrire des livres reconnus par la critique et pas vendus uniquement dans les supermarchés (ce n’est pas en cours de français que j’aurais pu le découvrir) et Nancy Huston, Anaïs Nin et Simone de Beauvoir vinrent à moi au hasard des rayons de ce CDI circulaire et lumineux. J’y ratais mes premiers TPE en première et y réussis mes seconds TPE en terminale, en partie grâce aux deux profs-docs plutôt discrètes et passionnées. Cependant, ingrate adolescente allergique à l’autorité, je les évitais le plus possible, en particulier lorsque je divaguais sur internet (déjà) pour aller sur les blogs de mes idoles de l’époque Gustavo Kuerten et Brian Molko alors que c’était INTERDIT ! Je faisais un usage intensif des ressources du lieu mais fuyais comme la peste les deux enseignantes qui représentaient pour moi l’autorité et la bourgeoisie culturelle qui n’étaient pas (encore) mon monde. Quinze ans plus tard, me voyais-je à leur place ? Pas vraiment, mais les échanges avec deux professeures documentalistes rencontrées sur Twitter (dont l’autrice de l’article susmentionné) passionnées par leur métier, qui prirent le temps de répondre à mes questions naïves (« on a les mêmes vacances que les enseignants ? ! ») me firent comprendre que j’étais sur la bonne piste. Travailler dans une bibliothèque, ce lieu qui me faisait systématiquement l’effet d’une faille spatio-temporelle ? Apprendre aux élèves à s’égarer sur internet (oui, je sais, on dit sérendipité en vrai) ? Conseiller des livres sans obliger qui que ce soit à en lire un ? Lutter contre le déterminisme social par la culture, l’information et la littérature ? Faire des commandes de livres plus élevées qu’un demi-smic ? Cela me faisait rêver. Une inconnue subsistait : les élèves. Avais-je envie de travailler avec des enfants/adolescent.es ? Me retrouver avec des tripotées d’élèves potentiellement aussi pénibles que je l’avais été à cet âge m’intimidait.
C’est une formidable conseillère pôle emploi qui me permit de tester mes rêves dans la réalité, et quelle réalité choisit-elle ! Je me retrouvai contractuelle dans un collège rural catholique de 200 élèves, la température du CDI ne dépassa pas les 14 degrés avant mai et je mis deux jours à accéder aux codes pour me connecter à mon poste informatique. Mes nouveaux collègues très attentionnés mais trop humbles me demandèrent avec une réelle compassion, le premier jour, de quoi j’avais été victime dans ma vie passée pour me retrouver avec eux. Mais, dès le début (enfin après avoir caché le crucifix derrière un meuble…), je m’y sentis à ma place, comme jamais je ne l’avais été.
Je me lançais avec passion et maladresse dans des séances d’initiation à la recherche documentaire, accompagnais les obsessions numériques des habitués geeks du lieu, me plongeais dans la littérature jeunesse pour conseiller ces sagas accrocheuses à des élèves addicts, réussis à bulletiner quelques revues (ou plutôt à abîmer la base de données…). J’avais été sélectionnée après un entretien avec le chef d’établissement et je n’étais clairement pas prête pour ce métier. Reine de l’esbroufe en entretien d’embauche, il était quelque peu irresponsable de me lâcher en responsabilité sans formation. La seule compétence info-documentaire que j’avais développée dans ma vie professionnelle antérieure était donc de traîner sur internet. L’apport des collègues assez engagé.es pour partager leurs travaux et questionnements sur divers blogs et listes de diffusion fut décisif dans mon atterrissage en douceur sur le terrain.

Je me rendis aussi compte avec grande surprise que j’adorais travailler avec des collégien.es mais bim ! les résultats du concours me rappelèrent que je ne pourrais pas faire ce travail très longtemps sans me former sérieusement. C’est la même formidable conseillère pôle emploi qui me conseilla la formation de master MEEF et qui me permit par je ne sais quelle manœuvre d’être étudiante et de percevoir l’allocation chômage. Je passai ensuite deux années à l’ESPE où le courage des enseignant.es et le soutien des camarades me permirent d’avoir peu d’échecs à vous raconter sur cette période. Je décidai également de mettre mon esprit râleur dans ma poche, d’adhérer sans recul aux contenus et méthodes d’enseignement, pour pouvoir consacrer mon énergie à l’absorption de savoirs et à l’acquisition de techniques, postures et savoir-faire et réussis le concours cette fois-ci. L’année de stage fut idyllique sur le plan professionnel : j’ai réussi pour la première fois de ma vie à rendre un mémoire sans en avoir honte, mes tutrices ont su recadrer mes pratiques avant que les embrouilles ne pointent le bout de leur nez et mes collègues m’ont transmis les gestes professionnels qui, cerise sur le gâteau, correspondaient à mes valeurs ; rien de drôle à raconter du coup ! Je me retrouvais bonne élève, pour la première fois.
Puis j’ai été lâchée dans le grand bain, dans un lycée, avec deux conseils répétés par mes formatrices que je m’empressai de ne pas écouter. « Il est essentiel d’avoir des relations cordiales avec les agents qui s’occupent de l’entretien du CDI » et « La première année, ne te lance pas dans trop de projets, prends le temps d’observer ».
Pour cette première recommandation, l’échec arriva vite. L’homme de service qui s’occupait du CDI voulait me saluer en me serrant la main, puis en me faisant la bise, puis en me faisant la bise et en me touchant l’épaule et le dos. Je refusai vite cette intimité non consentie, inappropriée et glaçante. Et il devint moins cordial. Chaque passage de balai était notamment l’occasion d’un débranchage en règle de mon poste informatique ; il tenta de m’interdire de déplacer les tables et chaises du CDI, interrompit des séances et déglingua durablement notre bureau. #MeToo n’était pas encore passé par là et je ne pensai même pas à en parler à ma hiérarchie. Cela dura une longue année. Le sexisme ordinaire, c’était cela aussi la découverte du métier sur le terrain. Peut-être qu’un jour, ce genre de comportement ne sera plus toléré dans la fonction publique. J’ai combattu le sexisme que j’ai subi à ma manière, en parlant, en répliquant, en expliquant, en posant des limites, mais toute l’année, cet homme a continué à utiliser son pouvoir pour me nuire. Il a ensuite été absent longtemps, et à son retour, j’ai tout raconté à ma hiérarchie. Mais est-ce moi qui suis en échec ou y a-t-il un problème systémique dans notre société ? De fantastiques personnes prennent maintenant soin du lieu, avec professionnalisme ; nos relations sont très cordiales, j’ai appris qu’éviter le conflit n’était pas toujours constructif.
La deuxième recommandation était de prendre le temps d’observer avant de me lancer ; sage conseil avec le recul, que je m’empressai de ne pas suivre. L’équipe était très dynamique, très volontaire et avait très envie de travailler avec les professeures documentalistes. Pas très sûre de moi, au fond, j’essayais de montrer que je pouvais me rendre utile mais je n’avais pas pris conscience de notre emploi du temps chargé : accueillir toutes les demi-classes des 8 secondes, dispenser 12 h de TPE par semaine et mettre en place de nombreux projets pérennes allaient poser problème. J’avais envie de petits bouts de cours magistraux, et ma collègue non. Je ne l’écoutais pas assez et notre attelage fut quelquefois bancal. Trop critique envers l’aménagement du lieu, je bousculais ses habitudes, encouragée par un chef d’établissement qui pensait que nous mettre en compétition nous rendrait plus performantes. Je me lançais même dans la commande du nouveau mobilier, dès la première année.
Je voulais trop bien faire, être la bonne élève que j’étais à l’ESPÉ alors que j’aurais dû prendre le temps d’observer et de m’adapter, profiter du moindre contrôle de l’institution pour ne pas me précipiter. Par exemple, c’est mieux de connaître un.e collègue et sa réputation avant de s’embarquer pour des séances en coanimation ! Quel cauchemar d’ajuster une évaluation à deux ! Ma posture, autoproclamée chamallow (peu de règles, anéantir les espoirs de rébellion facile en étant gentille jusqu’à l’écœurement) hérissait le poil de certains collègues qui n’avaient pas tout à fait la même posture d’autorité, et je les comprends…
Je me suis formée et j’ai formé à Trello, Piktochart, Canva, Genially, Padlet, Pearltrees, Esidoc, Calameo, Parcoursup, Twitter, Adage, Cned, Eléa, Pix, Viaéduc, Netvibes, Whatsapp, Discord, Framapad, Pronote, Peertube, Dotclear. Cela a été utile, quelquefois. Souvent, pas vraiment.
Je voulais transmettre (ou saupoudrer…) le plus de compétences info-documentaires possible, surévaluant nettement mes capacités de travail d’autant plus limitées que je devins au cours de ces premières années parent de deux jeunes enfants avec un intérêt limité pour le sommeil et illimité pour les otites et autres maladies en « -ite ».
Et puis la réforme du lycée vint tailler dans mon enthousiasme un peu ébouriffant, en supprimant mon plus grand plaisir professionnel : les TPE. C’était pour moi le lieu où nous pouvions à la fois transmettre des compétences, apprendre à connaître les élèves sur un temps long, donner le goût de la recherche et faciliter le travail en groupe en travaillant avec des collègues d’une façon souple. Pouvoir suivre des élèves sur l’année est un luxe pour les profs docs et permet également de créer des relations de confiance avec les élèves qui ensuite font plus souvent appel à nous.
Je pris conscience que des habitudes construites de longue date pouvaient s’écrouler à la suite d’un caprice ministériel, et que l’inertie supposée de l’éducation était un mythe. L’attribution de l’EMI aux enseignant.es d’Histoire-Géo-EMC et de la culture numérique aux enseignant.es de SNT finit de me décourager. C’est comme si ce que nous avions appris à faire à l’ESPÉ devenait caduc. Nous mettre en situation permanente de remise en question pour s’assurer que jamais nous ne serions suffisamment sûr.es de nous pour nous sentir compétent.es me fit l’effet d’une douche froide professionnelle. Je commençai à comprendre pourquoi certain.es collègues étaient aussi ronchons !
L’absence de prime informatique pour les professeures documentalistes acheva de me renfrogner, et je pris conscience que la vision de ce que j’estimais être le cœur de notre métier n’était pas nécessairement partagée en haut lieu. Que peut-être, un jour, je serais rattachée à une collectivité territoriale, soumise aux aléas politiques, ou que mon métier disparaîtrait.
Je décidai donc d’être patiente cette fois, d’observer les conséquences de cette réforme au sein du lycée et mon engagement s’exprima à l’extérieur du lycée, effrayée cependant par le « devoir d’exemplarité ». Puis je changeais de tactique pédagogique : finies les tentatives de massification et d’uniformisation ; je suis alors partie à la recherche d’interstices pour continuer à transmettre ce qui m’animait professionnellement. Il ne fallait surtout pas faire de beaux projets bien brillants récupérés ensuite : mon travail serait bricolé, bancal avec des objectifs plus flous et plus de liberté pour les élèves. Il serait surtout ancré dans mon lycée, inspiré par les façons de faire de collègues plus rodés et inspirants et par les besoins exprimés par les élèves.

Avec un groupe extrêmement motivé d’élèves que j’avais réussi à accrocher, grâce au projet fantastique d’une collègue dans lequel j’avais beaucoup de mal à trouver ma place, mais qui voulait bien de moi quand même, nous avions créé le journal du lycée « Les grenouilles enragées » sur l’ENT. Les contenus étaient plus sages que le titre le prévoyait, mais la liberté d’expression acquise au fur et à mesure est une de mes fiertés professionnelles. Qui penserait qu’un de mes grands plaisirs serait qu’une élève puisse parler du problème de l’hétéro-pénétrativité comme norme de l’éducation sexuelle et affective au lycée ? Qu’on publierait une caricature de Zola en crop top ? Qu’une élève éviterait de justesse le décrochage scolaire pendant le confinement grâce aux liens tissés dans le groupe ? Et que d’autres élèves prendraient la relève ? Qu’elles feraient un reportage époustouflant sur les coulisses de la philharmonie de Paris un dimanche de concert ? Qu’une élève ferait un compte-rendu hilarant du meeting d’un candidat à l’élection présidentielle ? Qu’un autre raconterait ses expériences de désobéissance civile au sein du mouvement climat ? Que des élèves dyslexiques me dicteraient avec entrain des comptes-rendus de matchs de foot ? Et que leurs travaux seraient abondamment lus et commentés !
Ce que je considère comme mes réussites professionnelles, qui rentrent toutefois dans le cadre de nos missions, ont eu lieu dans de nombreux interstices hors des cadres, dans des « bricolages », comme dirait Michel de Certeau (les SIC ont laissé quelques heureuses traces dans mon cerveau). Donc fini les échecs pour cet article, voici mes petites réussites, celles qui me motivent suffisamment pour continuer à bulletiner et à cataloguer alors que j’aime autant cela qu’une douche froide un dimanche pluvieux. Une de mes formatrices nous répétait que notre métier ne consistait pas à appliquer des recettes, des techniques, à copier des séances toutes faites. Ces réussites sont pour beaucoup liées aux hasards et aux rencontres, et j’ai appris peu à peu à lâcher prise.
En voici quelques exemples :
Un élève, aux prises avec des parents très éduqués et racistes, a trouvé de la force dans la lecture de La Place d’Annie Ernaux.
Une collègue a appelé son fils Aliocha après que ma collègue de russe et moi-même lui avions chaudement conseillé le roman d’Henri Troyat.
Grâce au talent de ma collègue, super forte en conception graphique, j’ai réussi à concevoir une affiche pour le spectacle de théâtre dont l’esthétique est presque réjouissante.
Une élève veut que je continue de lui recommander des livres qui lui « retournent le cerveau ».
Des élèves ont appris que toucher les cheveux de leurs camarades sans leur consentement n’était pas uniquement irrespectueux mais pouvait être aussi raciste.
Des élèves en difficulté ont interviewé en autonomie, sans pression, une chercheuse en biologie, pendant leurs vacances.
J’ai assisté émue à la première recherche sur internet d’une élève de sixième.
On a organisé une friperie gratuite pour le festival de l’écologie qui a déringardisé les habits de seconde main, permis à des élèves de milieux modestes d’offrir de jolis habits et accessoires à leur famille, sensibilisé à l’impact de la fast-fashion sur nos conditions écologiques et sociales d’existence et fait prendre conscience aux élèves qui ont organisé l’évènement qu’on pouvait avoir un impact sur notre société avec peu de moyens et beaucoup d’enthousiasme.
J’ai laissé pousser les herbes sauvages sur mes mollets, et ne les cache pas sous des pantalons, pour montrer qu’on peut être professionnelle sans se laisser dominer par les règles de « beauté » en vigueur.
On a fraudé une grande institution culturelle pour que nos élèves puissent rentrer avec des tickets individuels et non scolaires, car cette belle institution n’avait pas répondu à nos nombreuses demandes de devis. Et quand on nous a demandé si on était un groupe scolaire, on a menti, devant nos élèves.
J’ai averti plusieurs élèves du mépris de classe et du racisme qu’il pouvait y avoir dans certaines filières d’études supérieures, puis je les ai suffisamment convaincus qu’ils trouveraient des alliés qu’ils avaient les ressources pour y arriver. Finalement ils ont tenté l’expérience.
De nombreux élèves, un peu fatigués, un peu tristes, un peu en décalage ont trouvé refuge dans notre CDI chamallow.
Bref je suis devenue une heureuse et épanouie dame du CDI. Jusqu’à quand ?
CDI, mon CDI… qu’est-ce qu’on va faire de toi ?
Le CDI. Au départ, il s’agit ni plus ni moins d’une bibliothèque présente dans l’établissement scolaire, au service du livre et du travail individuel. Un lieu sans prétention où le silence est roi, où l’élève vient souvent seul. Rien d’original : il s’agit du modèle qui existait déjà dans les bibliothèques publiques, dont le CDI ne faisait que reprendre les codes.
Cependant, les usagers sont ici des jeunes, des adolescents : un profil déjà bien particulier qui manifestera des usages et des demandes bien spécifiques. Mais surtout, ces derniers demeurent dans l’établissement et vont être, tôt ou tard, confrontés au lieu documentaire. Ainsi, plusieurs générations d’adolescents ont fréquenté durant leur scolarité (de gré ou de force) le CDI et force est de constater, en discutant avec eux, que le lieu ne laisse pas indifférent.
En tant que professeurs documentaliste nous côtoyons quotidiennement des jeunes avec qui nous discutons et échangeons, qui empruntent des livres et fréquentent le lieu avec plaisir parce qu’ils s’y sentent bien. J’irai même plus loin en disant que, pour certains élèves, le CDI représente un espace de liberté, d’épanouissement et même de sécurité.
Pourtant, peu le savent et rares sont ceux qui réalisent à quel point ce lieu est indispensable. Tous les jours, nous sommes entourés d’élèves et de collègues pas forcément au fait de notre travail et de l’importance du CDI tel que nous le percevons en tant que professionnel de l’information-communication et de la documentation. Il s’agit d’un combat quotidien que nous menons pour redonner au lieu tout le respect qu’il mérite et prouver (!) que oui, nous sommes bien des enseignants et des professionnels investis et que nous méritons salaire et respect. Ainsi tout doit être mis sur la table : notre métier, nos fonctions, le lieu et ce qu’il peut apporter à l’élève et à la communauté enseignante. Voilà plusieurs années que l’école se transforme à grande vitesse (notamment via le numérique, maintenant incontournable dans nos pratiques), pense l’autonomie des établissements, réforme les épreuves nationales, renforce l’importance de la laïcité et des valeurs républicaines, du climat scolaire et la lutte contre le harcèlement.
Nul doute que nous avons notre place dans cet avenir et que le CDI a le potentiel pour devenir la plaque tournante de ces priorités. Alors profitons-en et pensons le futur, en commençant par notre propre rôle.
Prof doc, qui es-tu, où es-tu, y es-tu ?
Dystopie : le CDI du futur est-il indissociable du professeur documentaliste ? Rien n’est moins sûr. La France reste le seul pays où existe cette fonction si particulière. Cette double casquette (enseignant et documentaliste), censée être notre point fort, s’est avec le temps retournée contre nous pour devenir un poids dans notre quotidien.
En qualité de professeur, nous n’avons pas le même traitement que nos collègues : pas de prime (informatique, charge de professeur principal), pas d’heures supplémentaires, pas d’agrégation, pas de corps d’inspection spécifique, pas de discipline à part entière.
Cela pose évidemment le problème de la légitimité professionnelle du professeur documentaliste. Dès le départ, le traitement ne joue pas en notre faveur et, malheureusement, implique ces discours clichés que l’on peut entendre sur notre métier.
Quand bien même notre circulaire précise et inscrit noir sur blanc la mission d’enseignement qui nous incombe, cette dernière est conditionnée par notre volonté de faire cours, parfois sur l’insistance des chefs d’établissements, notamment en collège. En l’état, il est donc normal que notre reconnaissance en tant qu’enseignant soit égratignée par comparaison avec nos collègues qui eux ont un programme et des heures inscrites à la DHG. En qualité de documentaliste, ce n’est pas forcément mieux. À ce jour, il n’existe aucune passerelle entre professeur documentaliste et les métiers de bibliothèque.
Nous remplissons les conditions d’accès au concours interne des bibliothèques de la fonction publique d’État et de la fonction publique territoriale (comme n’importe quel enseignant), mais pour le concours interne de bibliothécaire d’État, il n’est pas sûr que nous soyons éligibles. En effet, le site du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche indique :
« Le concours interne est ouvert, aux fonctionnaires et aux agents publics qui justifient au 1er janvier de l’année du concours de quatre années de service public, dont deux années au moins dans un service technique ou une bibliothèque. »
Professeur documentaliste donc, mais ni vraiment professeur ni vraiment documentaliste. Faut-il garder cette double identité ? Faut-il trancher dans le vif et n’avoir qu’une seule casquette ?
À l’heure actuelle, la reconnaissance en tant qu’enseignant ne peut se faire qu’en interne, par l’investissement personnel mais aussi en fonction de l’environnement dans lequel nous évoluons et, notamment, selon les rapports que nous entretenons avec l’équipe éducative et les chefs d’établissement. C’est d’autant plus vrai lorsque nous arrivons en exercice dans un nouvel établissement où parfois, plusieurs années sont nécessaires pour obtenir du crédit auprès des collègues et de la direction.
C’est un sujet sensible dans la profession et, récemment, l’APDEN a sondé les intéressés sur cette question, entre autres sur les heures d’enseignement obligatoire : nous attendons les résultats. Certains pensent que cette sacro-sainte reconnaissance ne viendra que si nous disposons d’un volume horaire inscrit dans la DHG pour enseigner. Mais quid du programme, de la matière, de la formation initiale et continue ? Beaucoup de questions vont se poser ; malgré tout, à partir du moment où nous avons passé le CAPES, il est logique qu’en tant que professeur certifié par un diplôme d’État, nous ayons un devoir d’enseigner régulièrement une matière qui nous est propre et de contribuer activement à l’acquisition de compétences que nous seuls serions à même d’évaluer. Pas de panique : le futur de notre profession est encore lointain ; nous sommes pour le moment les seuls à nous y intéresser !
Sauver le prof doc ou le CDI ?
Revenons au CDI : comment assurer la gestion d’un lieu si nous devions, par exemple, enseigner 18 h chaque semaine ? La réponse est simple : on ne peut pas. À moins d’embaucher davantage de professeur documentaliste et d’aide documentaliste, afin qu’un relais s’instaure et que le CDI puisse rester ouvert avec une grande amplitude horaire. Cependant, difficile de croire que le recrutement de personnel va s’intensifier, sauf si la charge de gestion est attribuée à des vacataires ou à des contractuels sans expérience ni goût particulier de la fonction. Est-ce une bonne chose ? Oui pour l’amplitude d’ouverture, mais quid de l’importance et de la présence d’un professionnel diplômé et dévoué aux élèves ?
Cela dit, une chose est sûre : si les heures d’enseignement peuvent ne pas être dispensées, il est obligatoire d’avoir une personne en charge de la gestion du lieu. La fonction de « documentaliste » continuera donc toujours d’exister tant que le lieu CDI demeurera.
Et ce lieu ne disparaîtra pas : en considérant notre pays et son rapport très intime avec la culture, notamment avec le monde du livre, il semble très improbable que l’établissement du futur ne dispose pas d’un centre de documentation à part entière. Au vu des changements qui attendent l’éducation nationale dans les années à venir, ce dernier va (doit) forcément évoluer, tout en gardant cette fonction de lieu de travail et de lecture avec un accès aux livres qui demeure une volonté forte de l’école républicaine à la française.
S’en tenir à ces seules fonctions semble être tout de même très réducteur. Si l’on prend en compte l’évolution et les changements qui ont eu lieu ces dernières décennies dans le monde des bibliothèques, nul doute que nous allons assister (et cela a déjà commencé dans quelques établissements scolaires) à de grands bouleversements en termes d’usages et de services proposés dans les centres dits de culture et de documentation.
Service, le mot est barbare et heurte l’oreille du professeur documentaliste. Pourtant, à l’image des bibliothèques qui sont progressivement devenues médiathèque, ludothèque, voire cybercafé, il semble que le CDI (pourtant un lieu scolaire) tende vers ce genre d’hybridation. Il y a quelques années, en 2012, on nous parlait du 3C (concept équivalent à celui des Learning center) comme le futur du CDI : un lieu ayant pour but de favoriser l’autonomie des élèves, grâce à la présence d’espaces identifiés et modulables où les ressources seraient accessibles en continu, grâce à une amplitude horaire maximale.
Aujourd’hui, le concept a perdu de l’élan et finalement, on ne parle plus du tout ni des 3C… ni même du CDI. Le mot est absent des textes de réformes, des vademecum et des projets académiques et nationaux. De fait, chaque établissement, selon ses moyens, prend le soin de faire évoluer le CDI comme il le souhaite. Ainsi, pouvons-nous visiter des CDI avec des espaces dédiés à des expositions ou à des travaux d’élèves, d’autres avec des salles infos et de réunions, d’autres avec des espaces ludo-créatifs ; d’autres avec des FAB-LAB (lieu où sont mis à disposition toutes sortes d’outils, notamment des machines pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d’objets), ou d’autres avec uniquement des livres et des ordinateurs. Il est important de préciser que derrière chaque CDI, il y a un professeur documentaliste qui est force de proposition dans son établissement : sa détermination peut faire aboutir à de grands résultats pourvu qu’on accepte de l’écouter.
Soyons optimistes : nous avons cette chance incroyable d’avoir pour responsabilité un lieu particulièrement intéressant et relativement modulable. Nous pouvons nous inspirer des médiathèques, des bibliothèques universitaires ou des centres de documentation à l’étranger pour trouver des idées et les mettre en application.
Dépasser les murs de l’ÉPLE
Le CDI est un lieu indissociable de l’établissement scolaire. Pour le faire évoluer il faut donc mener une veille active pour connaitre et appréhender les avancées et tendances dans le milieu de l’éducation : à nous d’anticiper notre place et le rôle du CDI dans les réformes à venir. Mais il serait tout de même dommage de ne pas regarder ce qu’il se passe dans le monde des bibliothèques. Le CDI du futur, si on observe attentivement ce qu’il se passe dans les médiathèques, sera probablement hybride et élargi dans ses fonctions. Le concept d’hybridation n’est pas nouveau : pour avoir un aperçu de ce que cela veut vraiment dire, prenons l’exemple de la bibliothèque centrale d’Helsinki Oodi, inaugurée en 2018, élue bibliothèque de l’année en 2019 par La Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques. À son sujet, la maire-adjointe de la ville a déclaré : « Ayant contribué à l’alphabétisation de notre nation […] puis à l’épanouissement d’un système éducatif performant, la bibliothèque s’adapte et devient davantage un lieu de socialisation et de création1. »
De nos jours, la quasi-totalité des bibliothèques et médiathèques a adopté un modèle hybride : à la fois un lieu documentaire qui permet un usage solitaire pour son propre travail ou son loisir et un espace social dont le but est de faire rencontrer, réfléchir et interagir à des fins de débat et de création ou tout simplement de socialisation. Entre autres, nous trouvons dans cette fameuse bibliothèque d’Helsinki : une salle de cinéma, des salles pour des réunions associatives, familiales et politiques ; un espace de jeux pour enfants, des ordinateurs et tablettes à disposition, un petit café-restaurant, des salles de repos, un lieu pour faire des impressions 3D, des pièces avec des consoles de jeux vidéo… Et aussi quelques livres.
L’exemple est extrême mais il existe, tout en étant loué pour sa modernité, son architecture et son ambition.

Cependant cela peut prêter à sourire d’imaginer tout ça en établissement scolaire, pour plusieurs raisons.
D’une part, car le CDI est implanté dans un lieu dédié à l’éducation où l’usager est un élève. Quel est l’intérêt de proposer aux élèves des jeux de sociétés et consoles de jeux vidéo au CDI ? Le débat est ouvert. De plus, proposer plus de services veut dire plus de personnel et de plus grands espaces. Les Learning center, 3C ou médiathèques, résolument modernes, ne peuvent exister sans ce travail essentiel d’architecture des lieux, de création d’espaces prédéfinis et modulables, ouverts et aérés afin d’être confortables et accueillants.
Dans le cas des établissements scolaires, les choses sont un peu différentes : comment faire dans des établissements (et ils sont en écrasante majorité) qui ne peuvent ni s’agrandir, ni faire construire, ni même rénover ? Qui va financer tout cela ? Certainement pas l’établissement scolaire où d’année en d’année on constate une baisse des crédits alloués au fonctionnement du CDI. Il n’y a plus que les départements ou les régions pour nous venir en aide, mais il n’est pas rare que dans les cas de demandes de matériels, fournitures et autres mobiliers nos demandes restent lettre morte. Quant à l’extension des bâtiments, cela est possible uniquement pour certains établissements scolaires particulièrement chanceux et bien situés.
Cette question d’hybridation remet donc en cause l’espace même au CDI, qui est modulable, certes, mais dans une certaine mesure seulement. C’était également le point faible du concept de 3C : son existence et son fonctionnement impliquait des espaces à la hauteur des ambitions, mais la réalité est souvent insurmontable.
À titre personnel, le lieu dans lequel j’exerce fait 100 m², dans un lycée urbain où le manque d’espace est une réelle problématique : pas de salles de réunions, pas de foyer ni d’auditorium. Si l’on souhaite proposer une exposition, un coin jeux de société ou de repos il n’y a que le CDI, mais je dois alors obligatoirement le fermer ou en limiter l’accès pour permettre un fonctionnement… relatif. À moins que j’enlève ces livres qui prennent beaucoup de place ? C’est peut-être cela, finalement, le CDI du futur.
Cynique. Mais pas tant que cela au fond : bien sûr que nous sommes d’accord avec l’idée d’agrandir l’espace, de proposer plus de services pour rendre le lieu moderne, agréable et ultra fonctionnel… mais que l’on nous donne les moyens de le faire. Dans la même veine, pas besoin d’être très perspicace pour deviner cette volonté de passer au tout numérique : via le prêt de tablettes, la généralisation des manuels numériques et des bornes wifi, la mise en place de catalogue de e-books pour la lecture en ligne. Toutes ces nouveautés se généralisent dans les établissements scolaires et ça ne risque pas de s’arrêter. L’aspect lecture et prêt d’ouvrages, fonction historique pour tout centre de documentation qui se respecte, perd de sa vigueur et n’est plus considéré comme un atout pour l’élève et l’établissement. Le cynisme, c’est de finalement présenter le grand projet actuel à savoir « La lecture grande cause nationale » et ne pas évoquer une seule fois le CDI et le professeur documentaliste2.
Cet oubli est symptomatique de notre manque de visibilité et de l’indifférence actuelle à l’égard du CDI. Une seule solution : convaincre. Convaincre de notre efficacité en tant que professionnels de l’information et de la documentation, en tant qu’enseignant ; convaincre de l’importance du lieu pour les élèves. En l’absence de directives claires de la part de nos hiérarchies et des gouvernements, nous sommes contraints de repenser le lieu par nous-mêmes, ce qui n’est pas une si mauvaise chose en soi, car nous serons force de proposition.
Hybridation ou cacophonie ?
Nous disions donc, un CDI hybride. Nous pourrions d’ailleurs aller plus loin : aujourd’hui, le lieu bibliothèque a pour ambition d’être ouvert sur le monde, accessible à tous, utile pour tous. L’objectif est de satisfaire les usagers, mais aussi, il faut le dire, d’attirer ceux qui ne sont jamais venus. Et pour cela, il faut séduire en proposant notamment un panel de services où n’importe quel citoyen (ou futur citoyen) peut y trouver son intérêt. Il s’agissait jadis de briser cette image d’austérité et d’élitisme qui collait à la peau du mot « bibliothèque ». Le pari est réussi et maintenant, familles et particuliers trouvent dans la médiathèque bien plus qu’un simple accès aux livres.
Comme je l’ai évoqué au tout début, le grand chantier selon moi pour le CDI est l’amélioration de son image. Nous exerçons dans ce lieu 30 heures par semaine, mais il est parfois difficile, malgré nos efforts, de faire venir et d’attirer certains élèves (et ils sont nombreux à ne jamais venir). Pourtant, je pense que tous les professeurs documentaliste font des efforts pour rendre le lieu agréable, fonctionnel et propice au travail, au calme, à la curiosité intellectuelle. Ces élèves ont-ils une image du CDI comme lieu d’austérité et de « travail forcé » ? Est-ce simplement une méconnaissance du lieu et de son rôle ? Pendant la période de révision du bac cette année, une élève de terminale a toqué à la porte de mon CDI puis m’a demandé avec mille précautions, la tête seulement dépassant de la porte, si elle avait le droit de venir travailler. Je ne l’avais jamais vue en trois ans, pourtant il n’y a que 400 élèves dans mon établissement. Bien évidemment, les élèves ont le droit de ne pas venir au CDI. Mais cela veut dire qu’ils n’y trouvent absolument pas leur intérêt. Voilà qui mérite que l’on mène des enquêtes dans nos établissements pour justement comprendre le pourquoi du comment !
Nous pourrions, pour attirer davantage les élèves au CDI, proposer davantage d’espaces ludiques et sociabilisants. Mais là encore, il y a de quoi débattre : contrairement à une médiathèque, le CDI est implanté dans un établissement scolaire, à destination d’élèves qui sont tout de même là pour travailler. Peut-on travailler ou réviser convenablement dans un lieu où d’autres élèves jouent, discutent, fabriquent, se prélassent ou encore écoutent de la musique ?
Le CDI du futur devra prendre en compte deux paramètres fondamentaux qui peuvent paraître opposés l’un à l’autre : il devra être dédié au travail, à la révision, à l’acquisition de compétences essentielles au parcours scolaire de l’élève, mais aussi à l’amélioration du climat scolaire et à la mise à disposition d’espaces ludiques, créatifs et sociaux. Ce deuxième point reprend l’idée de la bibliothèque troisième lieu : ce concept, apparu dans les années 80, suppose que dans la société actuelle il n’y a pas assez de lieux où se rencontrer en dehors de la maison et du travail. Appliqué aux bibliothèques ou au CDI, le concept sous-entend que le lieu doit favoriser les rencontres informelles, la convivialité, pour se situer au plus près des demandes des usagers, ceci afin de contribuer à créer du lien social et de favoriser le vivre-ensemble. Le concept est attirant, mais encore faut-il (nous l’avons déjà dit) avoir la possibilité logistique de le faire : la contrainte des espaces demeure encore et toujours prégnante ; chaque innovation dans le monde des bibliothèques semble s’orienter vers le crédo « de plus grands espaces pour de multiples usages ». Et quand c’est impossible, que doit-on faire ? Supprimer ou diminuer les espaces existants3 ?

Mais ce n’est pas fini : il est devenu impossible, pour n’importe quel professionnel de l’éducation, de ne pas prendre en compte le contexte grandissant de la transition technologique et du tout numérique. Qu’on le veuille ou non, nous assistons à une multiplication des ressources, des outils et des pratiques exclusivement utilisables via la connexion à Internet ou à un outil numérique. La modernisation de l’école suit son cours et il est impensable qu’un élève sorte du système scolaire sans de solides bases informatiques, compétence indispensable pour tout étudiant, et même tout salarié. Mais n’est-ce justement pas cette frénésie du tout numérique qui nuit aux relations humaines, au vivre ensemble, au partage, à l’ouverture culturelle et humaniste ? Là encore il y de quoi débattre, mais la frénésie des outils numériques n’a de cesse de s’intensifier et concerne maintenant tous les âges. Il n’est pas rare de trouver, comme dans le réseau des médiathèques de Paris, des tablettes numériques à disposition des enfants pour « valoriser l’édition de littérature numérique, favoriser le divertissement et le loisir, développer des ateliers créatifs en lien avec les autres ressources de la médiathèque4 ».
Dans le même temps, on perçoit également la volonté de faire du lieu un exemple en matière d’écologie et de développement durable. Pour rendre ces deux axes compatibles, il va falloir être très inventif. Tout est sur la table et le CDI se transforme et s’adapte en fonction des sensibilités du professeur documentaliste qui généralement a toute latitude pour organiser et penser son lieu de travail. L’un de nos plus grands combats, peu importe notre ancienneté ou le type d’établissement où l’on exerce, est de parvenir à sensibiliser les chefs d’établissements et collègues sur le rôle même du CDI dont le potentiel en termes d’apprentissage et de climat scolaire est parfois sous-estimé. C’est un travail d’équipe, à inscrire dans le projet d’établissement.
Mettre le CDI à la place qu’il mérite
Une grande mission sacrée attend donc le CDI : il va s’ouvrir à tous et imposer ses fonctions et son utilité auprès des élèves et personnels. Il deviendra le lieu référence qui servira de valeur étalon au prestige de l’établissement, comme c’est le cas actuellement pour les médiathèques et leur ville. Et celui ou celle qui aura la responsabilité du lieu devra connaître les élèves ; faire preuve d’empathie et de discernement pour les accompagner dans leur parcours éducatif, culturel et citoyen ; être constamment à l’écoute des nouveautés en terme de pédagogie et d’éducation aux médias ; être force de proposition pour l’amélioration du climat scolaire ; mettre à disposition des ressources et les communiquer à tous ; permettre à l’élève de s’exprimer et encourager, valoriser son implication durant tout son parcours scolaire.
Par un concours de circonstances absolument incroyable, ce professionnel existe déjà. Bien qu’on ne le voie pas toujours.
Le CDI du futur, tant qu’il aura en son sein des professionnels dévoués et formés, continuera toujours de proposer aux élèves un accès au savoir, à la connaissance mais aussi au bien-être et à la sérénité. Le métier évoluera probablement et il est nécessaire que le professeur documentaliste obtienne la reconnaissance qu’il mérite en tant qu’enseignant, car telle est sa mission, avec un volume horaire inscrit dans le marbre et en ayant les mêmes droits que les autres professeurs. Depuis plusieurs années, nous constatons avec effroi la multiplication des fake news, de la désinformation, des problématiques de cyberharcèlement et une confusion générale concernant la liberté d’expression et de la laïcité. Or, nous sommes les plus indiqués pour enseigner l’EMI et les valeurs citoyennes aux élèves. Ne plus former, intervenir dans la classe d’un collègue de manière sporadique, mais enseigner sur la durée. Quant au CDI ? Pourquoi ne pas imaginer un volume horaire de 9 h par semaine, afin que nous ayons la possibilité de gérer le CDI malgré nos heures d’enseignement ? (Comme nous le faisons depuis toujours.) Tout cela est possible. Une fois cette reconnaissance acquise, nous serons enfin considérés non pas comme un « soutien important », une « aide précieuse », un « partenaire indispensable » (des termes condescendants auxquels nous nous sommes malheureusement habitués avec le temps), mais comme une force de décision incontournable et audible auprès de nos hiérarchies, qui nous feront confiance et nous soutiendront lorsque nous déposerons sur leur bureau le projet du nouveau CDI.
Chers élèves, collègues, chefs d’établissements et professionnels de l’éducation : nous sommes prêts à vous proposer le CDI du futur. Faites-nous confiance, écoutez-nous, soutenez-nous, vous ne le regretterez pas !
Témoignages de professeur.e.s documentalistes
La revue InterCDI sous le regard des professeurs documentalistes stagiaires
Cinquante ans, l’âge de la maturité pour la revue InterCDI et l’occasion de se tourner vers l’avenir de la profession. Qui, mieux qu’un professeur documentaliste stagiaire, pourrait nous tendre un miroir du futur en exprimant ses attentes, ses craintes, tout en faisant émerger des problématiques professionnelles prégnantes ? Ses usages de lecture et son rapport à la revue InterCDI sont un levier d’analyse pour éclairer la manière dont les contenus de celle-ci reflètent les évolutions de notre profession et peuvent aider les jeunes stagiaires lors de leur prise de fonctions.
Nous avons mené une enquête durant le mois de janvier 2022 auprès des professeurs documentalistes stagiaires1 en formation initiale dans trois académies2. L’interrogation qui sous-tend cette enquête porte sur l’apport de la revue InterCDI à la prise de fonctions des professeurs documentalistes stagiaires en formation initiale et, en prolongement sur les évolutions du métier, le regard de la jeune génération sur la profession, préfiguré par ses attentes envers la revue.
L’enquête menée permet de dresser un panorama des habitudes de lecture et des usages d’InterCDI chez les professeurs documentalistes stagiaires. L’analyse de leurs réponses dessine par ailleurs leur vision de l’avenir de la profession et la manière dont ils imaginent leur futur CDI d’exercice. Enfin, elle nous révèle leurs attentes quant aux contenus et aux problématiques qu’ils souhaiteraient voir traités dans la revue.
Une lecture régulière de la revue, centrée sur la prise de fonctions
Une revue qui existe depuis 50 ans est-elle encore lue par la relève de la profession ? La réponse est nette : 21 personnes interrogées sur un total de 33 disent lire InterCDI. Quant à la fréquence de lecture, 18 répondants lisent tous les numéros ou a minima 2 à 3 numéros par an (sur 5 numéros annuels au total). Si 14 stagiaires affirment lire la revue seulement quand ils en ont besoin, on voit là qu’une lecture régulière et fidèle prédomine, face à un usage plus utilitaire. Si l’on affine davantage, ressortent différentes utilisations de la revue.

On s’attendrait a priori à ce que les conseils de lecture et d’acquisitions proposés par le Cahier des Livres soient la rubrique privilégiée, comme il nous semble que cela est le cas pour les professeurs documentalistes en poste depuis plus longtemps, même si cela nécessiterait une enquête spécifique sur ce profil de lecteurs. Or, cet usage se fait à la marge, pour seulement 2 stagiaires, la majorité d’entre eux préférant les ressources susceptibles de les accompagner dans leur entrée dans le métier. Ainsi, les exemples de séances pédagogiques et les conseils pour débuter dans la profession sont de loin les plus consultés (12 répondants pour chacun des volets). L’optique de la préparation au concours oriente par ailleurs, pour 7 répondants, la lecture vers les articles d’analyse en Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) et en Sciences de l’Éducation et de la Formation (SEF).
Sur les 7 répondants qui se déclarent non lecteurs, 4 expliquent leur réponse par le fait que la revue est disponible uniquement sur abonnement payant. Mais 2 d’entre eux affirment envisager de prendre cet abonnement et disent pouvoir le consulter dans le CDI de leur établissement de stage : ces réponses-là seraient donc à ajouter au pourcentage global des lecteurs de la revue. Aucun stagiaire interrogé ne remet en cause ici l’intérêt du contenu de la revue, puisque ce sont bien les enjeux financiers de l’abonnement qui semblent décider du non-usage d’InterCDI.
Enfin, cette lecture régulière et axée sur les ressources d’accompagnement à l’entrée dans le métier n’est pas exclusive et se fait de façon complémentaire avec plusieurs autres types de ressources : 13 répondants consultent en effet d’autres périodiques spécialisés en SIC ou en Sciences de l’Éducation, notamment la Revue Française des Sciences de l’Information et de la Communication3, les Cahiers pédagogiques, Médiadoc, et Lecture Jeune ; 12 utilisent les listes de diffusion et les informations circulant entre professeurs documentalistes sur les réseaux sociaux ; enfin, 9 d’entre eux parcourent régulièrement les sites spécialisés et mutualistes, tels que Docpourdocs4 et les blogs tenus par des professeurs documentalistes. On voit donc que les ressources numériques gratuites circulant grâce au partage de contenus sur les listes de diffusion, les blogs ou encore les réseaux sociaux sont tout autant consultées, voire davantage, que les publications scientifiques spécialisées payantes (21 répondants au total).
Il s’agit là d’un changement notable des habitudes de lecture qui témoigne de la prédominance des pratiques participatives chez les professeurs documentalistes stagiaires. En prolongement, on peut donc se demander quelle est la vision de l’avenir de la profession qui émerge chez les personnes interrogées.
Des répondants majoritairement optimistes et fervents défenseurs de la mission pédagogique
L’avenir est envisagé positivement par 15 répondants : 4 d’entre eux affirment tenir leur optimisme de la pluralité des missions et de la liberté pédagogique dont ils disposent qui font la richesse d’un métier singulier dont les particularités permettent, pour 2 répondants, de cultiver une relation heureuse aux élèves. Les bienfaits de la pédagogie de projets pour créer des situations d’apprentissage motivantes et collaborer avec les collègues enseignants de disciplines sont avancés par 3 répondants, de même que 2 autres soulignent les instructions récentes en matière de promotion de la lecture ainsi que les enjeux du métier en termes de culture informationnelle (…) de plus en plus valorisés dans nos sociétés.

Si les répondants se déclarent majoritairement optimistes, et si 2 d’entre eux se sentent membres d’une communauté, d’un groupe soudé basé sur l’entraide et la mutualisation, leurs propos sont teintés parfois de pessimisme : 4 répondants optimistes regrettent le manque de compréhension et de reconnaissance du statut de professeur alors qu’un autre, replace son enthousiasme dans un contexte ministériel peu engageant et une morosité ambiante au sein des métiers de l’enseignement ; 4 répondants regrettent également le manque de compréhension et de reconnaissance du statut de professeur. Les stagiaires interrogés semblent se construire une identité professionnelle en fonction de ce manque de reconnaissance. « Une identité double… et trouble (…) tendue entre une identité enseignante et une identité documentaliste », pour reprendre les mots de Nassira Hedjerassi et de Jean-Michel Bazin (2013, p. 745).
Du côté des pessimistes (6 répondants), trois raisons sont avancées, à commencer par les injonctions contradictoires entre les attentes institutionnelles et sociétales, si l’on considère les enjeux de l’ÉMI face au manque de reconnaissance de leur expertise pédagogique dans ce champ. Les enjeux socio-politiques de l’ÉMI, soulignés de surcroît dans de nombreux rapports6, ne s’accompagnent pas d’une augmentation de leur marge de manœuvre pédagogique et didactique. Certains notent, par exemple, le refus ministériel de leur donner un rôle prépondérant sur la question quand 4 répondants vont même plus loin dans la critique des orientations prises par les politiques publiques éducatives en évoquant l’instrumentalisation des professeurs documentalistes et le double langage de la part de l’institution au travers de discours qui prônent l’adaptation au tout numérique sous couvert de raisons néolibérales.
La faisabilité de la mise en œuvre de l’ÉMI sur le terrain de l’établissement scolaire est également questionnée. Un répondant met en exergue les sous-effectifs, l’ampleur des missions face au manque criant de titulaires et de remplaçants, tandis qu’un autre conteste la logique de suraccumulation des tâches et semble même douter de sa capacité à mener de front l’ensemble des missions qui lui incomberont. Il se trouve selon lui face à l’impossibilité de faire davantage que du bricolage en ÉMI (…) avec un seul poste de professeur documentaliste.
Cependant les difficultés statutaires des professeurs documentalistes sont situées dans un contexte plus global, celui du système éducatif français, marqué par une dégradation des conditions de travail et des conditions de scolarisation des élèves. Les professeurs documentalistes stagiaires occupent une position singulière entre deux mondes, celui de la formation et de la professionnalisation sur le terrain de l’établissement scolaire. Cette position ne les met pas pour autant à l’abri de ce qu’ils considèrent comme un manque de considération institutionnelle.

Qu’ils soient pessimistes ou optimistes, 15 répondants déclarent que parmi les missions dévolues aux professeurs documentalistes, c’est la mission pédagogique qui est la plus à défendre (graphique de droite ci-dessus). Alors que nous nous attendions à une réponse affirmée d’une voix unanime, 6 répondants avancent pourtant que les missions d’ouverture culturelle (5 répondants) et de gestion (1 répondant) sont les plus à défendre. Ces réponses sont remarquables pour deux raisons : d’une part, parce qu’elles émanent de stagiaires qui se déclarent optimistes quant à l’avenir de la profession et d’autre part, parce que les missions de gestion et d’ouverture culturelle n’ont jamais été menacées par les orientations ministérielles. Comment comprendre ces positions ? S’agit-il d’une position d’opposition à l’égard d’une profession trop centrée, selon eux, sur la défense du mandat pédagogique ? S’agit-il d’une réponse en réaction à la défense du mandat pédagogique, visant à rappeler que les missions de gestion et d’ouverture culturelle mériteraient autant d’attention que la mission pédagogique ? Quoi qu’il en soit, ces répondants soulignent manifestement la pluralité des missions qui leur sont dévolues et qu’ils ont bien l’intention d’assumer.
Se projeter dans le futur CDI d’exercice
Comment les répondants se projettent-ils dans leur futur lieu d’exercice ? Comment l’imaginent-ils (position dans l’établissement, agencements intérieurs, espaces, activités qui y sont menées, etc.) ? Et que peut leur apporter la revue InterCDI à ce sujet ?
Le statut de stagiaires les place dans une position transitoire entre un lieu de stage au sein duquel ils se trouvent momentanément en responsabilité partagée avec un tuteur et leur futur lieu d’exercice. Qu’ils soient pessimistes ou optimistes, les réponses s’articulent autour de quatre points :
Un CDI, au centre de l’établissement scolaire
La notion de « centre-central-e » est invoquée par 10 répondants sur 21 pour qualifier ce lieu situé à proximité de la salle des professeurs et de la cour pour attirer les élèves. L’un d’eux élargit même cette dimension en avançant l’idée de tiers-lieu. Quel que soit le terme employé, les répondants décrivent un lieu propice aux échanges et à la construction du parcours scolaire de l’élève. Cette position centrale est également perçue à travers une logique de réseau qui relie le CDI aux autres services de l’établissement dont le service vie scolaire. Des répondants insistent sur la notion d’espace didactisé, de lieu de savoir, de carrefour pédagogique. Des expressions qui traduisent des difficultés rencontrées liées au rattachement institutionnel de l’information-documentation à la vie scolaire7, puisqu’ils expriment leur souhait d’exercer dans une relation bien comprise, connue et acceptée de la communauté éducative. Le CDI qu’ils projettent reflète leur conception d’un métier pluriel dont les missions peuvent être en tension. Cependant, 4 stagiaires refusent de se projeter. Une réaction qui est en opposition avec la vision idéalisée du CDI. Ces réfractaires préfèrent (s’)adapter aux réalités du terrain et du public de (leurs) futur(s) établissement(s) d’exercice.
Un CDI multifonction doté d’espaces modulables pour assumer les missions qui leur sont dévolues
J’aimerais, Je l’aimerais, j’espère que… Ces expressions expriment une vision idéalisée du futur lieu d’exercice. Les considérations des répondants, qui sont essentiellement matérielles, s’expriment à partir de descriptions précises : mobiliers modulables, ordinateurs en nombre suffisant, vidéoprojecteurs, accès à une salle de cours dédiée. Ils se projettent dans un lieu assez grand et adapté aux besoins des usagers. De nombreux qualificatifs sont employés pour désigner ce CDI idéal : facilement accessible, lumineux, ouvert sur l’extérieur, coloré. Dans un second temps, la problématique de la cohabitation des espaces les préoccupe en prévision des différentes activités pédagogiques et culturelles qui y seraient proposées. Espaces de lecture silencieuse (sieste contée, relaxation…), de travail de groupe, de séances pédagogiques, d’éducation aux médias (espace radio, web radio, cinéma…) cohabitent aisément avec des espaces dédiés aux jeux de société ou à la création manuelle. Se confrontent, à travers leurs propos, les réalités issues du terrain de stage avec leurs aspirations à exercer dans un lieu où ils pourront assumer, dans une certaine harmonie, toutes les missions qui leur sont dévolues.
Un CDI innovant et bien doté sur le plan matériel
Contraintes matérielles et contraintes statutaires semblent entremêlées. Les répondants perçoivent leur futur lieu d’exercice par opposition à celui qu’ils occupent actuellement, comme ce professeur stagiaire qui déplore la pauvreté de l’équipement informatique de son lieu de stage et qui espère de tout (son) cœur que l’équipement informatique de son prochain lieu d’exercice sera à la hauteur de ses attentes. Dans leur idéal, le CDI se présente aussi comme un lieu innovant sur le plan pédagogique (un FabLab pour apprendre autrement, une webTv) au sein duquel ils pourront introduire des modalités d’apprentissage alternatives plus ou moins ludiques (club, escape game). Des problématiques budgétaires sont évoquées parce qu’elles conditionnent une offre documentaire riche et multisupport, suscitant l’envie et la curiosité, et enrichie par une veille adaptée aux besoins des collègues. Lorsqu’il s’agit d’imaginer la conception du futur CDI d’exercice, la revue InterCDI constitue un réservoir de ressources, d’inspiration, d’idées, de conseils notamment pour élaborer un premier diagnostic de besoins.
L’information-documentation à l’épreuve de l’ÉMI ?
L’absence d’un mot est aussi significative que sa présence. Seuls 2 répondants conçoivent le CDI comme un lieu dédié à l’information, ouvert sur l’actualité (…) où l’élève trouve les clés de lecture et de tri de l’information. Pourtant 7 répondants sur 21 font référence à une progression des apprentissages en ÉMI pensée sur tous les niveaux avec la communauté éducative. Des contradictions ressortent des propos des répondants au sujet de l’ÉMI. Un pessimiste a une idée bien arrêtée qu’il exprime avec force et fermeté : pas d’ÉMI à l’emploi du temps (à fortiori si le décret n’est pas appliqué)8 pour favoriser plutôt les projets, tandis qu’à contrario, un autre affirme vouloir des séances d’ÉMI régulières. Dans la lignée des prescriptions institutionnelles, un professeur documentaliste stagiaire souhaite, quant à lui, accorder une place essentielle (…) au média scolaire. Ces différentes visions parfois contradictoires mettent en exergue le rapport différencié de chacun à l’information-documentation et à l’ÉMI. Le manque de consolidation épistémologique autour d’un champ disciplinaire de référence apparaît comme la raison principale de ces contradictions.
Les projections des répondants soulèvent la problématique suivante : comment un seul et même lieu, sous la responsabilité le plus souvent d’une seule et même personne, peut-il répondre à autant d’objectifs ? Les propos des stagiaires dessinent en effet un CDI polyvalent qui répond à de multiples attentes et revêt plusieurs fonctions, du lieu de détente au lieu d’apprentissage, du lieu de jeu à celui de la lecture, d’un lieu de travail individuel à celui des travaux de groupe. Cette vision multifonction du CDI n’entrave-t-elle pas celle d’un lieu qui serait identifié également comme le lieu d’exercice d’un enseignant ?
InterCDI au futur : au cœur de la construction d’un commun
Nous avons souhaité ainsi nous projeter dans ce qui pourrait constituer les sommaires à venir, recueillir la parole des professeurs et professeures stagiaires à travers l’expression de leurs attentes générales et spécifiques, percevoir distinctement les préoccupations professionnelles auxquelles la revue devra répondre ou dont elle devra se faire l’écho. Ces dernières questions ciblant précisément des thématiques ont recueilli un taux de réponses de 100 % des participants au sondage.
Ce qui fait une revue, ce sont ses lecteurs. Mais comment la revue InterCDI peut-elle se faire l’écho des préoccupations de ces derniers ? C’est une question qui n’appelle pas de réponses évidentes si l’on en juge par les 3 non-réponses (champ vide) et le « je ne sais pas » exprimés par les répondants. Ces (non-)réponses ne sont pourtant pas anodines. Révèlent-elles les difficultés des répondants à se projeter dans un avenir professionnel incertain ? Qu’ils soient optimistes ou pessimistes, leurs réponses se rejoignent et s’entremêlent autour de trois éléments.
Fournir une banque de données d’idées en donnant la parole aux lecteurs
Se faire l’écho d’une profession suppose de donner la parole aux lecteurs. La revue devrait, tout d’abord, contribuer à la construction d’une culture professionnelle commune en proposant des idées, des témoignages, des comptes rendus d’expériences qui nourrissent les pratiques de terrain. Ainsi, 1 répondant attend des contenus qui activent la créativité de notre profession tandis qu’un autre cherche un espace de réflexions qui reflète autant les réalités de terrain que les débats en cours interrogeant l’avenir du métier. La confrontation de points de vue à travers des regards croisés de chercheurs et de praticiens mais aussi ceux de responsables politiques et syndicaux, ajoute ce répondant, semble un gage de qualité pour une revue qui reflète une profession plurielle. Par ailleurs, 3 répondants suggèrent que la revue accorde plus de place aux lecteurs et à leurs questionnements9 alors qu’un autre pense que les élèves pourraient, eux aussi, y trouver leur place.
Offrir un décryptage de l’actualité et mettre en exergue les préoccupations et revendications de la profession
Les problématiques statutaires, les conditions de travail des professeurs documentalistes et les thématiques sensibles comme la prime informatique devraient faire l’objet de décryptage. Certains répondants suggèrent que des tribunes, des débats, des chroniques et portraits puissent refléter les richesses autant que les difficultés que rencontre la profession. D’autres proposent que ces décryptages portent sur les tweets de profdocs qui sont très actifs sur les réseaux sociaux et, à une échelle plus générale, que la revue puisse proposer des analyses fines des projets de lois en éducation et leurs conséquences sur les enseignants et les élèves. L’idée sous-jacente à ces propositions étant d’élargir l’horizon des lecteurs au-delà de la profession. Une revue professionnelle comme InterCDI s’inscrit effectivement dans un réseau de moyens d’information sur la profession. Elle cohabite avec d’autres revues comme Médiadoc, la revue associative et militante de l’APDEN, avec des sites institutionnels dont SavoirsCDI ainsi que des espaces collaboratifs et de mutualisation qu’offrent les médias sociaux, les listes de diffusion académiques et nationales, les blogs et sites personnels ou associatifs dédiés à la profession à l’instar de Docpourdocs.
Suivre les avancées de la recherche
Les SIC constituent le champ de référence de l’information-documentation. L’intérêt de la revue pour les avancées de la recherche scientifique dans ce champ autant que dans celui des SEF favorise la réflexion sur une épistémologie de l’information-documentation. Ainsi, 1 répondant affirme que les articles des chercheurs lui permettent de se maintenir au niveau.
Les apports de la recherche publiés dans la revue sont mentionnés à 2 reprises pour la démarche réflexive qu’ils permettent d’engager. Et 5 répondants expriment le souhait d’une revue permettant d’allier théorie et pratique, et de suivre les développements de la recherche notamment en information documentation pour réfléchir à une didactisation en lien avec une pédagogie de l’ÉMI.
S’informer pour former aux enjeux actuels de l’ÉMI, préparer la prise de fonctions
Interrogés sur les thèmes qu’ils souhaiteraient voir traités dans la revue, les enseignants stagiaires ont plébiscité des thématiques actuelles d’éducation à l’information et aux médias : les pratiques informationnelles sur les RSN et la protection des données, l’identité numérique, le monde numérique, le jeu vidéo, la parentalité numérique, l’éducation à l’image, le rapport des jeunes à la presse et à l’information d’actualité, les compétences psycho-sociales et le développement de l’esprit critique. Parallèlement, ils souhaitent que la revue leur propose des pistes pour améliorer leur prise de fonctions : l’insertion dans l’équipe pédagogique, la conception de progressions des apprentissages informationnels et de leur évaluation, la mise en œuvre de partenariats, l’accompagnement des parents. Une mention est faite à l’art contemporain comme thématique à traiter.
Ces réponses sont issues d’une projection dans un futur immédiat. Un commentaire le souligne ainsi je débute, j’ai besoin d’être informée dans tous les domaines. Elles soulignent aussi l’importance que revêt pour eux la mission d’enseignement.
Une lecture d’InterCDI régulière, axée sur les articles théoriques et sur les ressources pédagogiques plutôt que sur les critiques littéraires du Cahier des Livres et des attentes envers la revue, tournées essentiellement sur l’accompagnement à la prise de fonctions : les répondants débutent dans le métier et voient à juste titre dans InterCDI une manne d’informations et de conseils à même de les aider dans leur début de carrière. S’ils sont majoritairement optimistes quant à l’avenir de la profession, des inquiétudes percent malgré tout, notamment à propos du manque de reconnaissance de l’institution. Leur CDI idéal serait central, innovant, modulable mais finalement si polyvalent qu’il s’éloignerait presque de sa fonction première de lieu dédié à l’information. En parallèle, les répondants attendent de la revue ce qu’ils retrouvent sur les réseaux sociaux professionnels qu’ils utilisent beaucoup : davantage de participation des lecteurs, de mutualisation de supports pédagogiques et d’agrégation d’idées, notamment en se faisant le relais des professeurs documentalistes actifs sur les blogs et les RSN, mais aussi l’écho des revendications militantes avec des plumes plus pamphlétaires. L’appel est donc lancé ici à de nouveaux contributeurs et la réflexion ouverte pour créer des rubriques inédites. Cinquante ans après sa création, InterCDI entend rester une revue tournée vers l’avenir, à l’écoute de ses lecteurs pour continuer à écrire ensemble les Communs de l’information-documentation.
Ainsi, du Commun au collectif, comme cette répondante l’affirme, la revue permet de ressentir la notion de collectif de la profession car si pour l’instant je suis accompagnée de ma tutrice et mes formatrices, l’année prochaine sera le grand bain en solo.
Le CDI, un espace évolutif
Avant 1945, une bibliothèque de classe et une bibliothèque pour les enseignants étaient éclatées en plusieurs lieux, au sein d’un même établissement scolaire français. Ce n’est qu’à partir des années 1950, avec l’émergence de certains facteurs, dont la diversité des supports et des nouvelles pédagogies, que les ressources documentaires vont être centralisées au sein d’un même espace. De Centre local de documentation (1958), en passant par Service de documentation et d’information (1966), jusqu’au Centre de Documentation et d’Information (1973) que nous connaissons à ce jour, l’histoire des CDI nous montre que chaque étape de leur évolution est étroitement liée à l’environnement informationnel et pédagogique. Aujourd’hui encore, à l’heure de la surinformation et de la pédagogie nouvelle, l’espace CDI ne cesse de s’adapter comme le prouvent les réflexions engagées depuis 2012 pour évoluer vers un Centre de Connaissances et de Culture (CCC). Précisons que les textes récents, dont la nouvelle circulaire de mission des professeurs documentalistes (2017), mentionnent uniquement le CDI. Par contre, concernant la conception architecturale, le terme CCC est utilisé depuis cette époque qu’il s’agisse de rénovations ou de constructions.
Ainsi, les nouvelles pédagogies, mais aussi la professionnalisation par l’instauration du CAPES documentation en 1989 ont participé à repenser l’espace qu’est le Centre de Documentation et d’Information. Des années 1990 à nos jours, cet espace de formation, d’éducation et de ressources rayonne plus intensément à chaque révolution pédagogique sur l’établissement scolaire du secondaire. Comment ces évolutions se sont-elles traduites et se traduiront-elles à l’avenir dans l’architecture des établissements scolaires ? Une contextualisation à travers l’atlas des collèges de Seine-Saint-Denis1 est l’occasion de se saisir de ces évolutions. Une analyse architecturale, réalisée à deux voix, à partir des fiches consultables de cet atlas et de visites de repérage dans des collèges de Seine-Saint-Denis, nous permet également de formuler quelques pistes pour les collèges de demain.
Le CDI, une ligne de force émergente dans l’histoire architecturale des collèges
par Justine Bourgeois, architecte et chargée d’études au CAUE de Seine-Saint-Denis
Depuis la première période de construction industrialisée des collèges, il existe plusieurs générations de CDI, et leur position au sein des établissements a varié d’une décennie à l’autre. Cette transformation (ou évolution) est liée à des objectifs à la fois pédagogiques et architecturaux, à mettre en lien avec les directives de l’Éducation nationale, les attentes pédagogiques et l’ouverture progressive des collèges à d’autres utilisateurs extérieurs (associations culturelles et sportives, parents d’élèves, soutien scolaire, etc.). Dans le département de la Seine-Saint-Denis, la consolidation de la profession de documentaliste dans les années 1975 et le positionnement des CDI dans les programmes-type de construction des collèges traduisent une volonté de lutter contre l’échec scolaire. Tous ces efforts visent à développer « une pédagogie et une vie scolaire rénovée2 » qui favorisent l’apprentissage et l’initiative individuelle, l’objectif étant également d’offrir aux jeunes des outils et des bâtiments adaptés. Le CCC qui a succédé au CDI depuis 2012 est aujourd’hui l’héritier de cette démarche.
Initialement, dans les collèges industrialisés, les fonctions et bâtiments étaient dissociés. Chaque pôle (Direction, Enseignement, CDI, logements de fonction) occupait un bâtiment distinct. Les bâtiments d’enseignement prenaient la forme de barres constituées en façade par la répétition du même élément – long développé dont la répétition des travées identiques, formant un quadrillage orthogonal, ils bénéficiaient d’une double orientation, d’un éclairage naturel des circulations. Le CDI occupait soit un bâtiment indépendant, soit des locaux dans un bâtiment de plain-pied avec la cour de récréation.

Crédits : Sarah Piacentino © Caue 93
Source : Atlas des collèges
Titre : collège République à Bobigny
Chronologie : 1970 : Ministère de l’éducation nationale, Architecte d’adaption : Marius Depont, Entreprise : S.N.C.T. 1990-2002 : Travaux de rénovation, Maîtrise d’œuvre : Direction des Bâtiments Départementaux.
Légende : Le CDI se trouve en rez-de-chaussée des pôles vie scolaire et encadrement pédagogique (à droite). On ne le distingue pas des autres locaux desservis par la cour et le préau.

Titre : collège Jean Moulin à Neuilly-Plaisance.
Chronologie : 1964 : construction du collège des Cahouettes, Maître d’ouvrage : Ministère de l’éducation nationale, architecte et entreprise : inconnu ; 1996 : rénovation lourde du collège Jean Moulin, Maître d’ouvrage : Direction des bâtiments départementaux
Légende : Le CDI était positionné initialement dans un bâtiment indépendant (Bâtiment E) au centre de la cour. Il a bénéficié d’une nouvelle implantation au sein de l’aile d’enseignement principale dans le cadre d’une rénovation lourde du collège.
À la fin des années 1960 et au début des années 1970, l’espace de l’enseignement comme combinaison de salles de classes standardisées devient obsolète et la trame constructive ministérielle est remise en question. De nouvelles instructions pour les programmes et la construction des collèges voient le jour avec le développement physique et psychologique de l’enfant comme cœur de sujet. Les CDI, les salles d’activités d’éveil, physiques et sportives, et pour finir l’ensemble des espaces collectifs deviennent un support de la vie éducative.
Il fallait faire évoluer le bâti des collèges en tenant compte des évolutions pédagogiques et du contenu de l’enseignement. De nouvelles typologies de salles sont incluses dans le programme de construction des collèges : on construit ou on aménage des salles de technologie, on adapte les salles de musique.
À compter de 1985-86, au moment des lois de décentralisation, lorsque les départements prennent en charge la maîtrise d’ouvrage de ces équipements publics, les CDI vont connaître une évolution architecturale, les projets architecturaux de collèges constituant une véritable effervescence dans le département. Le CDI aura une place privilégiée sur le plan spatial au centre de ces équipements scolaires.
On assiste alors à un décloisonnement des fonctions : ce n’est plus la transmission dans la classe qui domine. Le remodelage programmatique vise à renouer le dialogue entre architecture et sociabilité. Le CDI acquiert une nouvelle visibilité dans ces établissements : implantation centrale, effets formels ou plastiques, volumétrie expressive. Sa position est étudiée en liaison avec les trajets des élèves et du personnel enseignant.
Le CDI est conçu comme le pivot entre la vie des élèves et des enseignants : il devient le support d’une nouvelle façon d’enseigner qui rompt avec le cours magistral et qui favorise l’accès au savoir en autonomie. L’architecture cherche à valoriser sa fonction pour le travail en groupe mais aussi pour le repos et la culture personnelle. Son organisation distingue une salle de consultation centralisée et unifiée de petits recoins feutrés propices à la concentration. Sa composition architecturale est guidée par un jeu de couleurs, de matériaux et de lumière.

Crédits : André Lejarre © Département de la Seine-Saint-Denis
Source : Atlas des collèges de Seine-Saint-Denis
Titre : collège Jean-Jaurès à Montfermeil, 1993 Maître d’ouvrage : Département de la Seine-Saint-Denis, Maître d’ouvrage délégué : Sodedat 93, Architectes : Renée Gailhoustet et Pascale Buffard
Légende : Conçu sur deux niveaux, l’étage inférieur de ce CDI est d’accès libre, la mezzanine est réservée à la lecture et aux travaux encadrés par les professeurs. L’espace lumineux est éclairé au nord par une vaste verrière, à l’opposé, une paroi de pavés de verre courbe diffuse une lumière tamisée.
Dans ces deux collèges réalisés la même année (en 1993), le CDI apparaît comme le lieu privilégié au cœur de ces établissements. À Montfermeil tout comme à Rosny-sous-Bois, il est conçu sur deux niveaux, l’étage inférieur est d’accès libre, équipé d’une borne d’accueil et de prêt et d’espaces de rayonnage, la mezzanine est réservée à la lecture individuelle et aux travaux encadrés par les professeurs. Cet espace lumineux est éclairé par des dispositifs d’éclairage variés.

Crédits : Mouna Deghali © Caue 93
Source : Atlas des collèges de Seine-Saint-Denis
Titre : Collège Albert Camus à Rosny-sous-Bois, 1993 : Maître d’ouvrage : Département de la Seine-Saint-Denis, Maître d’ouvrage délégué : Sodedat 93, Architectes : Caroline Charmont et Jean-Patrick Desse
Légende : En belvédère au sommet de l’édifice, le CDI est éclairé par un mur-rideau qui encadre le paysage environnant. Une variété de fenêtres éclaire une zone de lecture collective disposant d’une double hauteur, un espace individuel de lecture est niché en mezzanine tel un observatoire au-dessus de cette salle.
Une part d’utopie a guidé la conception de ces collèges : offrir des espaces se démarquant de ceux des collèges traditionnels souvent marqués par la ligne droite, notamment en mettant en œuvre des formes souples et généreuses, introduire richesse et poésie dans les espaces dédiés à l’enseignement. Dans la pratique, cette intention vient cependant parfois contredire la lisibilité des espaces intérieurs et la nécessité de la surveillance des élèves.
À partir des années 2000, la création de salles informatiques et de technologie vient compléter le dispositif d’apprentissage et répond à une demande forte des équipes pédagogiques. Il s’agit d’exigences répondant à l’évolutivité du contenu des programmes pédagogiques ainsi qu’à celle des méthodes et techniques d’enseignement auxquelles les lieux d’enseignement doivent s’adapter.
La conception de ces établissements intègre cette exigence en prévoyant, par exemple, des salles de cours équipées systématiquement de supports informatiques multimédia, des salles dont la configuration permet à l’enseignant de répondre au mieux aux besoins spécifiques de chaque élève en dépassant le rapport frontal, des salles dont la configuration permet l’accueil de groupes d’élèves à taille modulable (classe entière, travail en groupes et travail autonome), des réseaux techniques capables d’évoluer dans le temps afin d’intégrer de nouveaux besoins.
Crédits : Mouna Deghali © Caue93
Source : Atlas des collèges de Seine-Saint-Denis
Titre : Collège Pasteur à Villemomble, 2006 ; Maître d’ouvrage : Département de la Seine-Saint-Denis, Maître d’ouvrage délégué : Sodedat 93, Architectes : Jean-Christophe Tougeron
Légende : n° 5 : salle de lecture – n° 6 : vue depuis la cour – accueil du CDI au 1er étage et des salles de technologies au 2e étage au sein d’un volume situé au cœur du collège orienté sud-est tourné vers la cour et équipé de protections solaires – n° 7 : accès au CDI et au bureau du psychologue et conseiller d’orientation positionnés au 1er étage le long de l’axe principal de circulation emprunté par les élèves – n° 8 : la salle des professeurs communique avec le CDI par un accès direct (porte et cloison vitrées)
Lové dans un bâtiment cubique sur pilotis situé au centre de la composition, le CDI du collège de Villemomble est éclairé par la façade orientée plein sud unifiée par une série de lames métalliques blanches suspendues au-dessus de la cour. Salles informatiques, de technologie et des professeurs sont regroupées autour du CDI au sein de ce même volume.
Le CDI placé en façade et en partie centrale au sein des collèges tend à se généraliser, en réponse aux schémas organisationnels et aux attentes pédagogiques, afin de mettre en réseau les salles équipées de matériel informatique et en vue de créer des synergies et échanges entre les locaux des professeurs, les bureaux du conseiller d’orientation psychologue (PsyEN) et les ressources du CDI.
Depuis 2012, la conception architecturale des nouveaux collèges, qui privilégie le positionnement du CDI/CCC au centre de la composition et visible depuis les espaces extérieurs, permet de lire les fonctions présentes sur les façades par un jeu contrasté de couleurs et de formes.
Volume en avancée, comme une boîte suspendue, le Centre de Connaissances et de Culture (CCC) bénéficie de vues panoramiques sur le canal de l’Ourcq et sur l’environnement, au collège Anatole France aux Pavillons-sous-Bois.
Revêtements blancs et noirs pour les salles de cours et volume en avancée et souligné d’une couleur rouge vif pour le Centre de Connaissances et de Culture (CCC). Cet espace d’enseignement, d’information et de ressources est un des lieux les plus forts de la vie du collège Gustave Courbet à Pierrefitte-sur-Seine.
Au sein du collège reconstruit Didier Daurat au Bourget, le bâtiment qui abrite le CDI est une pyramide dont le volume intérieur réalisé en béton brut permet une lumière haute, la salle de lecture disposant d’une lumière spécifique et adaptée est dotée d’une terrasse jardin portant des plantations visibles depuis le domaine public.
Le Centre de Connaissances et de Culture (CCC) occupe l’extrémité ouest du premier étage, en belvédère sur le canal, au sein du collège Germaine Tillion à Livry-Gargan.
Les espaces dédiés au Centre de Connaissances et de Culture (CCC) prennent l’angle du collège Jacqueline de Romilly au Blanc-Mesnil, pour marquer l’espace public et appuyer sur la fonction principale du projet.
La volumétrie en creux du Centre de Connaissances et de Culture (CCC) du collège Miriam Makéba à Aubervilliers marque l’entrée par une forte géométrie. Cette partie du bâtiment, plus riche, offre un travail géométrique de facettes qui invite le public à pénétrer dans l’enceinte de l’établissement. Le CCC est une fenêtre urbaine qui ouvre le collège sur la Ville.
Ces espaces considérés comme pièce maîtresse du programme et du parti architectural bénéficient d’un soin particulier. Lumière, transparence et vues sont privilégiées au détriment quelquefois de la fonctionnalité et du confort visuel à l’intérieur de ces espaces où les reflets et surchauffes d’été sont des sujets cruciaux pour les utilisateurs. Ceci induit des contraintes techniques et architecturales relativement complexes à traiter, en termes de protection solaire et de ventilation.
Crédits : © Epicuria Architectes
Source : Atlas des collèges de Seine-Saint-Denis
Titre : Collège Anatole France Aux Pavillons-sous-Bois, 2014
Maître d’ouvrage : SEPIA Partenariat, Promoteur : SOMIFA IDF, Constructeur mandataire : NORD FRANCE CONSTRUCTION, Équipe de maîtrise d’œuvre : EPICURIA ARCHITECTES – BERIM
Légende : n° 9 : salle de lecture – n° 10 : vue depuis la passerelle : en position centrale dans l’axe horizontal de la composition, le CCC bénéficie de vues panoramiques sur le canal de l’Ourcq et sur l’environnement.
Crédits : Aysun Süle © Caue 93
Source : Atlas des collèges de Seine-Saint-Denis
Titre : Collège Gustave Courbet à Pierrefitte-sur-Seine, 2019 : Maître d’ouvrage : Département de la Seine-Saint-Denis, Maîtrise d’œuvre : Atelier d’architecture Manuel R. Da Costa
Légende : n° 11 : salle de lecture – n° 12 : vue depuis la cour et les espaces extérieurs : en exergue une boite suspendue…
Crédits : Mathilde Leclair © Département de la Seine-Saint-Denis
Source : Atlas des collèges de Seine-Saint-Denis
Titre : Collège Didier Daurat au Bourget, 2015 : Maître d’ouvrage : Eiffage pour le Département de la Seine-Saint-Denis, Maîtrise d’œuvre : Atelier Salomon Architectes
Légende : n° 13 – n° 14 – n° 15 : salle de lecture – vues et dispositifs d’éclairage naturel
Crédits : Ameller & Dubois Associés © Département de la Seine-Saint-Denis
Source : Atlas des collèges de Seine-Saint-Denis
Titre : Collège Germaine Tillion à Livry-Gargan, 2018 : Maître d’ouvrage : MAYLIA Partenariat, Promoteur : SOMIFA, Constructeur mandataire : NORD FRANCE CONSTRUCTION, Équipe de maîtrise d’œuvre : Ameller & Dubois Associés
Légende : n° 16 : salle de lecture – n° 17 : vue depuis le parvis extérieur : en belvédère au-dessus de l’entrée principale le CCC bénéficie de vues sur le canal de l’Ourcq et sur l’environnement arboré.

Crédits : Aysun Süle © Caue 93
Source : Atlas des collèges de Seine-Saint-Denis
Titre : Collège Jacqueline de Romilly au Blanc-Mesnil, 2019 : Maître d’ouvrage : Eiffage pour le Département de la Seine-Saint-Denis, Promoteur : SOMIFA IDF, Constructeur mandataire : Agence Lehoux-Phily-Samaha, Équipe de maîtrise d’œuvre : Roger Gilbert, architecte
Crédits : Cédric Lallement © Platane-ilic
Source : Atlas des collèges de Seine-Saint-Denis
Titre : Collège Miriam Makéba à Aubervilliers, 2015 : Maître d’ouvrage : VINCI pour le compte du Département de la Seine-Saint-Denis, Maîtrise d’œuvre : Platane et Ilic architectes
Légende : n° 19 : vue depuis le parvis extérieur – n° 20 : salle de lecture – Sur le pignon sud-ouest, se trouve le Centre de Connaissances et de Culture (CCC) avec sa face vitrée en porte-à-faux sur le parvis et la ville.
Dans le volet fonctionnel du programme type qui guide la construction ou la rénovation des collèges, piloté par le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis et réalisé dans le cadre d’une démarche participative collective mobilisant une diversité d’intervenants, le centre de connaissances et de culture (CCC) est considéré comme un « élément fédérateur » d’une importance centrale au sein des établissements scolaires dont les multiples fonctions sont explicitées. Cet espace, ayant été trop souvent relégué à une position d’arrière-plan, constitue aujourd’hui, face au tsunami d’informations auquel sont confrontés les élèves, un lieu ressource pour l’Éducation aux Médias et à l’Information comme l’illustre le CCC du collège Germaine Tillion à Livry-Gargan, par exemple.
Considéré comme un outil clé où l’élève développe sa capacité d’apprendre à apprendre, la maîtrise d’ouvrage a été amenée à repenser la configuration spatiale de cet espace documentaire dans le cadre de la programmation de nouveaux collèges à construire, à reconstruire ou à rénover. C’est pourquoi, en plus d’en faire une des lignes de force du programme architectural, le Conseil Départemental préconise son emplacement au cœur du collège, au carrefour des grands axes de circulation fréquentés par l’ensemble de la communauté éducative, comme l’explicite Philippe Lapalus, chef de service adjoint – Service de la maîtrise d’ouvrage des collèges, à la Direction de l’Éducation et de la Jeunesse du Département de Seine-Saint-Denis, lors d’un entretien réalisé par le CAUE 93 en avril 2021 : « Le CCC doit être conçu au cœur de l’établissement, facilement accessible depuis la vie scolaire, les locaux des enseignants et les salles d’enseignement, situé sur le chemin naturel des élèves, tout en assurant sa protection vis à vis des nuisances sonores. Le CCC doit être le lieu du collège où l’on aime se rendre. Au-delà de sa position centrale dans l’établissement, le Centre de connaissances et de culture doit disposer d’une conception architecturale permettant la mise en valeur de sa fonction spécifique dans le collège ». Actuellement, le CCC au sein du programme préconise une organisation en plusieurs zones, avec notamment des cellules de travail permettant diverses activités pédagogiques telles que le travail autonome des élèves, le développement du tutorat, la facilitation du travail par petits groupes, etc.
Mais, comme nous l’a montré l’histoire architecturale des CDI et des CCC plus haut, cet espace ne cesse d’évoluer pour s’adapter aux mouvements pédagogiques de chaque époque, contrairement à la salle d’enseignement qui, elle, est restée plus ou moins statique. C’est pourquoi sa position dans l’établissement et sa configuration spatiale sont régulièrement rediscutées, dans le cadre de différentes séances de concertation organisées par le Conseil Départemental de Seine-Saint-Denis pour recueillir les avis et les requêtes auprès des chefs d’établissements, des gestionnaires et des professeurs documentalistes. Ces échanges, organisés à chaque étape du programme, de la conception à la réalisation, visent à répondre au plus près des besoins des usagers. Les objectifs visés par la maîtrise d’ouvrage de ces collèges sont d’améliorer la fonctionnalité et la qualité d’usage dans ces équipements scolaires, d’apporter davantage de continuités visuelles et spatiales entre les pôles et de liens avec la ville. Le fruit de ces échanges a amené les parties prenantes du programme de construction à une remise en question autour de l’emplacement du CCC au sein du collège. Il est envisagé de l’articuler au plus près de la cour de récréation et du pôle Espaces culturels partagés, afin qu’il soit à la fois au service des élèves et des utilisateurs extérieurs.
Comment envisager le CDI/CCC du futur en conciliant les contraintes de surfaces, de sécurité et autres normes liées au programme de construction avec les attentes du professeur documentaliste et des usagers ?
Quelle architecture pour le Centre de documentation de demain ? Questions des professeurs documentalistes à l’attention des architectes et maîtres d’œuvres
par Émilie Guitter, professeure documentaliste, du collège Jean-Baptiste Corot du Raincy (93) et professeure relais aux CAUE de Seine-Saint-Denis et du Val de Marne
À la lecture de cette rétrospective sur la conception architecturale des CDI au fil des décennies, il apparaît clairement que l’objectif essentiel des architectes et maîtres d’œuvre depuis la conception des premiers CDI est d’adapter les exigences architecturales aux missions assignées au CDI et aux professeurs documentalistes, au gré des époques (ou en tout cas, à ce que les architectes perçoivent des missions supposées d’un CDI et du personnel y officiant). Ainsi, les CCC des derniers collèges construits sont en général composés d’une grande salle de lecture avec des rayonnages, d’un espace informatique, ainsi que de plusieurs petites salles annexes. Une question se pose alors : avec un CDI dépourvu d’espace pédagogique dédié, comment le professeur documentaliste en poste peut-il alors transmettre les connaissances et compétences en Éducation aux Médias et à l’Information telles que définies par la circulaire n° 2017-051 du 31 mars 2017 relatives à ses missions ? En effet, l’espace de séances pédagogiques manque souvent à l’appel : un vidéoprojecteur fantôme et des places élèves à inventer. Le professeur documentaliste doit alors se délocaliser dans une salle de cours. Plutôt qu’au CCC du futur, réfléchissons au CDI idéal dans lequel le maître d’œuvre de l’Éducation aux Médias et à l’Information a la responsabilité de transmettre des connaissances, des compétences et un bagage culturel aux élèves. Ce questionnement adressé aux architectes nous conduira à proposer un voyage initiatique dans le Centre de Documentation et d’Information imaginé par les professeurs documentalistes que nous avons pu rencontrer en préparant cet article.
On peut résumer ainsi les missions du professeur documentaliste : pédagogie, gestion, communication, animation. Cependant, mener ces différentes missions au cours d’une journée de huit heures relève du parcours du combattant : mener un projet vidéo avec le CLEMI, animer le club mangas, assister à la réunion d’organisation de la journée portes ouvertes avec la direction, sans oublier les demandes des élèves en continu pour un livre, un EPI, et plus encore.
Pour ce qui est tout d’abord de la position du CDI/CCC dans l’établissement, il s’agit d’un élément stratégique dont le Conseil Départemental connaît l’importance : un repositionnement en rez-de-chaussée avec un accès cour peut favoriser son accessibilité aux collégiens, pendant la pause méridienne notamment ; un positionnement entre la salle des professeurs et la vie scolaire permet des échanges suivis avec les équipes enseignantes, propices aux projets interdisciplinaires. Cette nouvelle préconisation d’implantation privilégie également l’utilisation hors temps scolaire tout en évoquant l’idée d’ouvrir à d’autres publics et utilisateurs extérieurs (parents, associations), comme on peut déjà le voir dans les projets de label Génération 20243 où les infrastructures sportives des établissements scolaires sont prêtées aux associations du territoire.
Pour ce qui est de sa configuration spatiale, privilégier la fonctionnalité et la flexibilité fait partie des préconisations architecturales relatives à ces nouveaux espaces : un grand plan libre à forme simple pour tenir compte des grandes tendances pédagogiques et de l’évolution des techniques d’information et de communication, un mobilier mobile pour s’adapter aux différents usages actuels et/ou à venir ; et côté équipement matériel nécessaire à la mise en œuvre de séances pédagogiques dans des conditions idéales, des places assises en nombre face au tableau, un vidéoprojecteur, ou des ordinateurs à raison de deux élèves par poste, sont un minimum requis à l’heure du numérique pour former les citoyens de demain.
Dans cette préconisation, le Conseil Départemental de Seine-Saint-Denis envisage de mettre une salle d’enseignement à proximité immédiate du CDI/CCC à même d’accueillir une classe entière tout en assurant le lien avec l’espace documentaire. Cette salle pourrait alors servir à plusieurs types d’activités telles que les conseils de classe. Ainsi, la fausse bonne idée des multiples petites salles qui entourent ce lieu s’effacera pour favoriser un espace plus grand, lumineux et plus ouvert. Une observation des pratiques montre qu’une ou deux salles suffisent pour développer un projet webradio, par exemple. En revanche, envisager différents espaces confortables, dédiés à des coins lecture plaisir ou à des jeux de société, serait une manière de préserver un bon climat scolaire. Toutes ces activités se dérouleraient sous l’œil avisé du professeur documentaliste remplissant sa mission pédagogique non loin de la banque de prêt. Cette dernière, idéalement placée, c’est-à-dire en face de l’entrée avec une vision à 360° du CDI, matérialisant la disponibilité et la vigilance du professeur documentaliste.
Le CDI est un lieu central ouvert à tou.te.s et qui garde sa part d’incertitude pour ce qui est de ses évolutions à venir. En partenariat avec le département, entrer dans une démarche design thinking devrait permettre d’envisager un aménagement à l’image de son/ses public(s). Le projet Archiclasse développé par l’Éducation nationale accompagne les collègues dans la définition de l’école de demain avec pour ambition de faciliter et d’anticiper les usages du numérique dans les temps de vie scolaire.
Mathilde 2032, la professeure documentaliste du futur ?
L’année dernière, lors des réunions de bassin, dans son académie de Dijon, ses collègues plus âgées lui ont dit la chance qu’elle avait d’arriver maintenant dans le métier. On discute beaucoup de cette révolution institutionnelle qui, en 2029, deux ans après l’élection présidentielle, a rebattu les cartes. La suppression de l’inspection générale et des inspections académiques, la mise en place de directions d’enseignement avec des personnalités compétentes dans leur domaine, avec des directions académiques… Que de changement, que de progrès, dont Mathilde n’a pas forcément conscience. Ses collègues, elles, ont été particulièrement bousculées dans leurs habitudes, avec un temps nécessaire de transition, quelques craintes aussi, de la colère parfois.
En ce mardi matin de septembre, avant deux séances en troisième au sujet des traces numériques, Mathilde enregistre quelques documents dans le nouveau logiciel documentaire développé conjointement par le ministère de la Culture et le ministère de l’Enseignement, à destination de l’ensemble des établissements publics. L’outil en ligne PubliDocs est adapté selon la structure, et Mathilde, en scannant simplement le code-barre de chaque document, voit les notices et les exemplaires se créer automatiquement à partir d’une base nationale gérée par la Bibliothèque nationale de France. En relation avec la direction numérique de chaque académie, qui ne s’occupe que de mettre en place les outils et environnements techniques nécessaires aux enseignants, chaque académie dispose d’un data center, financé par l’État, qui permet de mettre à disposition de tous les établissements l’outil PubliDocs, relié à la base documentaire globale, le tout gratuitement à tout niveau pour les professeurs documentalistes notamment. Au début, c’était difficile pour beaucoup d’abandonner le principe de créer les notices, mais les collègues s’y sont fait, d’autant qu’on a toujours la main pour créer son propre résumé.
Mathilde a commencé à explorer les opportunités de ce petit data center académique et les options pédagogiques qui s’offrent à elle. Ainsi dispose-t-elle d’un nombre illimité de bases de données, d’espace numérique, afin d’installer, si besoin, les logiciels en ligne agréés par la Direction du numérique éducatif. Elle a appris que l’arrivée progressive de promoteurs du libre dans les arcanes ministériels avait permis, lentement mais sûrement, d’arriver à cette solution. Elle prévoit ainsi cette année de développer un serveur spécifique à l’établissement pour l’hébergement et le contrôle de vidéos produites avec ou par des élèves, avec une gestion avancée et automatisée du droit à l’image afin de régler la publication et son arrêt dans le temps, par exemple. De même, souhaite-t-elle, si elle en trouve le temps, continuer les sessions de radio en directe, qu’avait initiées son prédécesseur, via un outil de diffusion déjà installé et prêt sur cette plateforme.
Le catalogue commence à être large, après deux années difficiles pour étudier au niveau national chaque application candidate ainsi que les conditions de la pérennité des autorisations, tant les moyens de piratage de données progressent aussi vite que les moyens de leur sécurité. Mathilde n’est pas au fait de ces questions techniques, mais elle sait qu’elle peut compter sur son collègue Mathieu, en service à temps plein dans le collège, pour gérer l’ensemble du parc informatique, administratif et pédagogique, en support également, une journée par semaine, pour faire le tour des écoles maternelles et élémentaires. Il n’est pas particulièrement au fait des logiciels éducatifs, initialement, mais il commence à se familiariser avec les besoins bien particuliers des enseignants, il est arrivé en même temps que Mathilde dans l’établissement.
Il n’a d’ailleurs pas vraiment beaucoup de temps pour découvrir tout cela, avec, pour le collège, tout de même la gestion d’une salle informatique et de trois charriots d’ordinateurs portables, le tout sous Ubuntu 32.10. avec un système d’exploitation et un nombre de machines en adéquation avec le cahier des charges national d’équipement. Mathieu vient souvent dans les classes pour épauler les enseignants, à la demande.
Mathilde garde encore à portée de mains ses cours de préparation au Capes en information-documentation, en particulier sur des aspects info-documentaires qui ont trait à la programmation, à la gestion des données, à leur organisation, à l’utilisation des langages d’affichage du Web. Alors qu’elle venait d’une filière littéraire et qu’elle gardait l’image de professeurs documentalistes qui enseignaient la recherche d’information et les médias d’actualité, elle a découvert, lors de ces formations, que le métier comprenait aussi logiquement un champ important de compétences numériques, qu’elle a bien compris qu’il fallait maîtriser pour une transmission a minima de compétences à ses élèves. Elle a vu, en préparant l’écrit, que les enseignements avaient évolué dans les années 2010, avec une tendance à l’enseignement de l’informatique, au détriment de la culture de l’information et des médias, puis que les réformes de 2029 avaient rétabli un équilibre entre les différentes spécialités. L’institution, à l’écoute du terrain, avait pu constater que la « Culture technique du numérique », discipline qui a changé plusieurs fois de nom, ne tenait pas suffisamment la route pour ce qui concernait justement les pratiques de recherche ou l’usage des médias. Elle a pris goût à ce sujet ; elle voit bien que ce n’est pas le cas de tous ses camarades de formation.
Ce qui est agréable et réaliste avec la refonte institutionnelle de l’Enseignement, c’est que les nouvelles équipes académiques, spécialisées, sont à même de développer des outils travaillés sur le terrain, dans les classes, qui permettent des enseignements associés aux nouvelles technologies, sans que les professeurs documentalistes, notamment, soient des experts. Ainsi, dans les académies de Lyon et de Normandie, qui œuvrent de concert, on travaille autour de simulations de réseaux sociaux, de moteurs de recherche, de catalogues documentaires, afin d’apprendre aux élèves, en activité, la face cachée, le fonctionnement technique de ces outils, et ainsi de mieux en découvrir les enjeux et ce qu’ils supposent comme questionnements. Ce peut être frustrant pour certains souhaitant se spécialiser dans ce type de travail, Mathilde s’en rend compte, par exemple, il faut être de l’académie de Bordeaux ou de Limoges pour travailler sur des projets de lecture à ampleur nationale. Mais il semble tout de même que la profession apprécie dans son ensemble cette organisation, selon la dernière enquête de l’Apden dont Mathilde vient de prendre connaissance.
Elle a d’ailleurs ouvert ce matin un onglet dans son navigateur pour adhérer à cette association professionnelle, particulièrement active dans son académie et dont ses responsables d’enseignement académiques ne lui ont dit que du bien. C’est tôt pour elle, dans sa carrière, de s’engager dedans, mais elle a l’impression que c’est important déjà de s’y intéresser. C’est dans cette même logique qu’elle prévoit dans la semaine d’adhérer, pour la première fois, à un syndicat. Elle hésite entre les deux seuls qui n’ont pas freiné des deux fers devant la réforme ; les deux seuls qui l’accompagnent pour faire évoluer la profession. Elle essaie de trouver le temps de voir les différences entre les deux, ce n’est pas si simple en pleine rentrée mais elle ne veut pas oublier ce sujet, comme ce fut le cas l’année passée. Elle sait qu’ils ne sont pas toujours parfaits, mais que, sans eux, elle n’aurait pas de bibliothécaire scolaire pour l’aider et développer ses différents projets culturels, que, sans eux, elle ne pourrait pas comptabiliser ses heures d’enseignement comme telles.
Mais pour l’heure, elle tient à vérifier sur l’outil collaboratif du collège comment sont développées les compétences en Culture de l’information et des médias que ses collègues, selon leur progression, ont indiquées de manière indicative sur l’environnement numérique de travail. Depuis que celui-ci est développé uniformément au niveau national, par des équipes académiques dédiées, hébergé comme les autres logiciels dans le data center de chaque rectorat, les outils pratiques se multiplient, pensés par et pour le terrain, avec une vraie ergonomie. De cela aussi les collègues lui ont parlé l’année dernière, du bonheur de professeurs d’autres disciplines qui ne rechignent plus, comme ce pouvait être le cas auparavant, à utiliser les outils numériques pour mieux s’organiser. Cela permet ainsi à Mathilde (elle regardera l’outil à chaque trimestre) de constater que cette culture reste peu développée dans les autres disciplines, mais qu’elle peut tout de même parfois s’appuyer sur ce que font les autres, et le mentionner aux élèves. Le cahier des charges pour le nombre d’heures prend en compte ces autres enseignements, ainsi que la collaboration parfois. Pour l’instant, elle a du mal à faire sa place à ce sujet, mais elle ne perd pas espoir, et malgré tout elle a beaucoup de latitude pour gérer la plupart des apprentissages seule.
La prochaine réunion de bassin, juste après les vacances d’automne, sera justement consacrée à l’organisation d’une progression à l’année pour la Culture de l’information et des médias, avec un travail préalable de prospection par les deux animatrices du groupe, sur les réseaux en ligne notamment. Si les grands-parents utilisent encore beaucoup les listes de diffusion par courriel, si les parents utilisent toujours les groupes Facebook, de son côté Mathilde, en tant que petite-fille dans le métier, ne jure que par LetShare, réseau d’un nouveau genre créé en 2031. Mélange de l’existant, le réseau détonne par sa capacité à tout agglomérer, avec des flux personnalisés, des messageries synchrones et asynchrones, des murs différents selon chaque centre d’intérêt que l’on définit, sous forme de modules que l’on affiche comme on le souhaite, avec une interaction, des liens, entre chaque module, des entrées par groupes de travail, par individus, de manière plus ou moins automatisée, selon ce qu’on souhaite. Certes, il faut s’asseoir sur le contrôle de ses données personnelles, la formation à leur maîtrise n’en est que plus essentielle, mais sur tous les plans, Mathilde estime que c’est l’idéal. Le risque, plus important que lorsqu’elle utilisait Whastapp et Facebook associés, c’est de se retrouver nez à nez sur le réseau avec des élèves, tant les cloisons sont minces avec ce nouvel outil, qui automatise trop, au goût de tous, les relations « intelligentes » entre utilisateurs.
Malgré une politique gouvernementale de promotion pour la sobriété numérique, force est de constater que les enfants ont le smartphone greffé au corps. Ce n’est pas obligatoire mais l’essentiel des établissements a pris la même décision que celui de Mathilde, en tout cas en collège, brouiller le réseau 4G mais permettre une connexion par Wi-Fi, avec un filtrage alors dans cette connexion. Les personnels enregistrent leur smartphone dans un registre, qui leur permet de ne pas être concerné par ce filtrage, de même que sur leurs ordinateurs de bureau. C’est ce qui leur permet d’être respectés en tant qu’adultes responsables, mais aussi de présenter en classe des documents qui ne sont pas aisément accessibles aux élèves. Ainsi les réseaux sociaux sont proscrits sur le réseau Wi-Fi, les soucis sont malheureusement trop nombreux pour les laisser libres d’accès dans le cadre de l’école, mais ils peuvent être étudiés en classe.
Elle a hâte, d’ailleurs, de commencer sa séquence sur les traces numériques ; elle a repris la veille les simulations à présenter aux élèves, elle a vérifié la pertinence des documents de travail qu’elle compte leur remettre, elle a relu quelques fiches du Wikinotions hébergé sur le site du ministère de l’Enseignement et géré par l’équipe académique de l’académie de Toulouse. Elle se sent à la fois prête et anxieuse, elle en est encore à ses débuts, parfois impressionnée par les élèves. Elle se sent prête, mais craint déjà les questions pièges d’adolescents qui pratiquent beaucoup, qui en savent parfois aussi beaucoup, à leur manière, par petites touches.
Elle doit participer jeudi à une visioconférence, depuis son collège, avec trois collègues des deux collèges les plus proches, sur ce sujet des connaissances des élèves en la matière et sur ce qu’on peut en faire dans le cadre de séquences pédagogiques. Cela durera deux heures, c’est la première fois qu’elle participe à un tel événement national, avec les dernières recherches de la réputée et expérimentée Anne Le Deuff, et surtout un discours préliminaire du directeur national de l’information-documentation, Olivier Cordier, qu’elle a lu déjà sans trop savoir à quoi il ressemble.
Mathilde a d’un coup un grand sourire qui se dessine sur son visage, capté par une élève de sixième là devant elle en étude. Elle exprime sa satisfaction devant la tâche professionnelle qui l’attend, devant ces perspectives. Elle s’éloigne ainsi de ce rêve étrange qu’elle a fait la nuit dernière : elle se réveillait alors un matin de 2022 et se retrouvait arriver dans son collège, à devoir organiser la distribution des manuels scolaires, à batailler pour trouver les heures afin de proposer des animations pédagogiques, à patienter depuis trois jours avant de voir se débloquer l’accès à un site web à visualiser avec les élèves… Un cauchemar qu’elle repousse maintenant symboliquement d’un geste de la main.
