Le sommeil

INSTITUTIONS / ASSOCIATIONS

L’Institut National du Sommeil et de la Vigilance, Paris : il regroupe des professionnels de santé et des patients qui œuvrent pour une communication et une prévention sur le sommeil, pour que ce dernier soit reconnu comme un facteur essentiel de santé. On retrouve sur son site des informations, des conseils et les dates importantes en lien avec le sommeil :
https://institut-sommeil-vigilance.org/
Rapport : Sommeil un carnet pour mieux comprendre :
https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Sommeil_un_carnet_pour_mieux_comprendre.pdf

Conseil scientifique de l’Éducation Nationale : Synthèse de mars 2022 : Mieux dormir pour mieux apprendre :
https://www.reseau-canope.fr/fileadmin/user_upload/Projets/conseil_scientifique_education_nationale/CSEN_Synthese_Mieux_dormir_pour_mieux_apprendre_WEB.pdf

Les centres du sommeil : « Ils sont dédiés à l’exploration du sommeil et de ses pathologies. Ils permettent de réaliser des examens poussés. » Adresses par régions :
https://institut-sommeil-vigilance.org/ou-consulter-reseau-sommeil-france/

Le Centre d’Investigation et de Recherche sur le Sommeil, Lausanne : il étudie et traite les différentes formes de troubles du sommeil. Il propose des consultations et investit dans la recherche pluridisciplinaire sur les troubles du sommeil.
https://www.chuv.ch/fr/sommeil/cirs-home

Le Centre Interdisciplinaire du Sommeil, Paris : prise en charge de tous les types de troubles du sommeil par des médecins, des psychologues, des techniciens du sommeil…
https://cisparis.net/

Réseau Morphée, Association, Garches : « réseau de santé consacré à la prise en charge des troubles chroniques du sommeil ».
https://reseau-morphee.fr/

Sommeil et santé, Boulogne Billancourt : association pour s’informer sur les troubles du sommeil : sommeil normal, risques du sommeil, insomnie, vigilance, ronflement, somnolence, troubles du sommeil chez l’enfant. Possibilité de tester son sommeil.
http://www.sommeilsante.asso.fr/

EXPOSITIONS – JOURNÉES

Les 5 sens – le sommeil : pour collégiens et lycéens. Prêtée par le Centre sciences situé en Centre-Val de Loire (80 € l’adhésion annuelle pour 4 expositions par an). Dix panneaux.
https://www.centre-sciences.org/ressources/les-5-sens-le-sommeil

Le fonctionnement du sommeil : exposition réalisée par l’espace santé jeunes de la ville de Neuilly-sur-Seine. Douze panneaux. Fonctionnement du sommeil, les règles d’hygiène, différents troubles.
https://sommeilenfant.reseau-morphee.fr/exposition-le-fonctionnement-du-sommeil/

Sommeil de rêve : Dix panneaux. Exposition proposée par Double hélice. Cette exposition, payante, est principalement empruntée par les collectivités où elle est visible gratuitement.
https://www.double-helice.fr/fr/expositions/sante/e/sommeil-de-reve.html
Elle est disponible en PDF sous son ancien nom Précieux sommeil (seul le graphisme est différent) à cette adresse :
http://www.pls-amiens.fr/Ressources-pedagogiques/Expositions/Precieux-Sommeil

La journée mondiale du sommeil : le 3e vendredi du mois de mars. Programme chaque année en France sur le site journeedusommeil.org. Pour sensibiliser le public aux questions importantes liées au sommeil (santé, éducation…).
http://journeedusommeil.org/

PISTES PÉDAGOGIQUES

S’emparer de la journée mondiale du sommeil pour proposer des projets ou des activités autour du sommeil : faire réaliser une plaquette d’information à destination des autres élèves ; participer à la mise en place des stands de prévention (dans la cour, dans le hall) avec l’infirmier-ère, les professeurs de SVT…

Organiser des ateliers siestes flash sur le temps du midi rappelant les techniques pour s’endormir sereinement.
Emprunter une exposition et l’installer dans un endroit stratégique de l’établissement et inviter les professeurs à l’exploiter avec leurs classes.

Réflexion sur l’importance du sommeil, en classe, avec le professeur de SVT. Partir du fait que des élèves s’endorment parfois en plein cours ou au CDI. Faire prendre conscience aux élèves de la qualité de leurs nuits par un questionnaire type Kahoot, tout en soumettant des solutions pour améliorer le sommeil de nos adolescents.

EMI/SVT : distinguer croyance, opinion et connaissance scientifique par l’analyse d’articles scientifiques en s’inspirant de l’activité de classe proposée par la fondation La main à la pâte :
https://synapses-lamap.org/2021/05/25/activite-de-classe-le-temps-du-sommeil-cycles-3-4/

Proposer des activités de détente, propices à la mise en place du sommeil, que les élèves pourraient réinvestir le soir chez eux : musique douce, temps de lecture, relaxation, yoga….

Recherches documentaires sur les différentes coutumes pour bien dormir dans le monde (les différents types de couchage, la sieste…).

Intervention de la Maison des adolescents ou d’une autre association pour, notamment, mettre en évidence le lien entre le manque de sommeil et l’addiction aux écrans.

Faire venir une compagnie pour présenter une pièce de théâtre participative, afin de mettre en évidence l’importance d’un sommeil de qualité.

DANS LES PROGRAMMES

La santé des élèves : programme quinquennal de prévention et d’éducation : «la promotion des comportements favorables à la santé notamment en matière de nutrition, d’activité physique, d’exposition solaire, de qualité du sommeil.»
Circulaire n° 2003-210 du 1er décembre 2003
BO n° 46 du 11 décembre 2003
https://www.education.gouv.fr/bo/2003/46/MENE0302706C.htm

Collège

SVT, cycle 4
Thème : Le corps humain et la santé. Activité cérébrale et hygiène de vie. Sommeil et mémorisation/apprentissage :
https://eduscol.education.fr/document/17449/download
BOEN n° 31 du 30 juillet 2020
Sur Éduscol, de nombreux documents autour de la relation entre sommeil et santé :
https://eduscol.education.fr/document/17446/download
https://eduscol.education.fr/document/17443/download
https://eduscol.education.fr/document/17440/download

Lycée

ST2S : sciences et technologies de la santé et du social
Baccalauréat 2021 : « partie 2 : développement s’appuyant sur un dossier documentaire sommeil et santé. »
https://www.sujetdebac.fr/annales-pdf/2021/st2s-spe-sciences-sanitaires-sociales-2021-metropole-remplacement-sujet-officiel.pdf
Sciences et techniques sanitaires et sociales, terminale, Concours général des lycées, 2017 : « Sommeil et santé des jeunes. »
https://eduscol.education.fr/document/8732/download

SVT, enseignement de spécialité, Terminale
Thème 3 – Le corps humain et la santé. « Comportements et stress : vers une vision intégrée de l’organisme ; l’organisme débordé dans ses capacités d’adaptation : pratiques favorisant le sommeil, le contrôle de la respiration et la détente musculaire permettant une meilleure gestion du stress […]. »
BO spécial n° 8 du 25 juillet 2019

Enseignement optionnel d’EPS, 2de, 1re, Terminale
Activité physique, sportive, artistique et santé : « l’étude du surentraînement, de la nutrition, de l’hygiène, du sommeil et de la récupération. »
https://eduscol.education.fr/document/25318/download
BO n° 25 du 24 juin 2021

OpenClipart-Vectors de Pixabay CC

Articles de presse

Articles de presse collège

Le sommeil et ses secrets. Journal des enfants n° 1753, 22/10/2020, p. 8-10

Blancard, Laure. Allez hop, au dodo ! Okapi n° 1105, 01/02/2020, p. 10-15

Blancard, Laure. La marmotte en mode pause. Okapi n° 1125, 01/01/2021, p. 9

Chevalier, Aurore. Pourquoi dormons-nous les yeux fermés ? Science & vie junior n° 374, 11/2020, p. 68

Déchamps, Sonia. Fais de beaux rêves ! Le Monde des ados n° 470, 17/03/2021, p. 15-21

Gélot, Hélène. Dans la tête des rêveurs lucides. Science & vie junior n° 381, 06/2021, p. 20-24

Gillot, Marion. Le dodo et ses secrets. Le Monde des ados n° 453, 27/05/2020, p. 40-41

Leroux, Hugo. Le manque de sommeil perturbe la chimie du corps. Science & vie junior n° 377, 02/2021, p. 72

Martelle, Nicolas. Les pouvoirs de la Lune. Géo Ado n° 205, 03/2020, p. 38-39

Mérat, Marie-Catherine. Un cauchemar peut-il vous tuer ? Science & vie junior n° 355, 04/2019, p. 80-83.

Articles de presse lycée

Le manque de sommeil altère le cerveau des ados. Inserm, 8 mars 2017 : article sur les conséquences du manque de sommeil sur le cerveau des adolescents :
https://presse.inserm.fr/le-manque-de-sommeil-altere-le-cerveau-des-ados/27478/

Sciences et avenir. Hors-série n° 203 sur le sommeil, 10/2020, p.10-21

Sciences humaines n° 336 sur le sommeil, 05/2021, p. 30-49

Cinq questions pour gérer les troubles du sommeil. Sciences et avenir n° 884, 10/2020, p. 84-86

Dans la fabrique des rêves. Courrier international n° 1634, 24/02/2022, p. 26-31. Dossier de presse internationale consacré au regain dintérêt pour l’analyse et le contrôle des rêves.

Pourquoi sommes-nous si fatigués ? Philosophie Magazine n° 134, 11/2019, p. 45-65, encart 1-15

Albandea, Hugo. Pourquoi dormons-nous moins ? Sciences humaines n° 315, 06/2019, p. 12

Ekirch, A., Roger. La révolution du sommeil. L’Histoire n° 488, 10/2021, p.70-74. Étude historique de la place du sommeil dans la société occidentale.

Le Nestour, Claire. Les clés du sommeil. Phosphore n° 545, 01/01/2023, p. 28-35

Morin, Hervé. Sur les traces des bêtes sauvages. 2/6, La frégate, marathonienne insomniaque et noctambule. Le Monde n° 22 883, 08/08/2018, p. 26. Présentation des recherches effectuées sur la frégate du Pacifique afin de décrypter, entre autres, le sommeil de l’oiseau en vol.

Sender, Elena. Les 7 clés de l’apprentissage. Sciences et avenir n° 896, 10/2021, p. 34-40

DOCUMENTS AUDIOS

Chansons

Barbara. Le sommeil. Philips, 1968. 3’08

Corneille. Manque de sommeil. Musicor, 2019. 4’52

Couture, Charlélie. Même pas sommeil. Rue bleue, 2019. 2’47

Daho, Étienne. Le grand sommeil. Virgin, 1984. 4’20

Davies Ray, The Pretenders. I Go to Sleep. Pye Records, 1980. 2’42

Daya. Insomnia. Universal Music, 2019. 3’

Dutronc, Jacques. Il est 5 heures. Vogue, 1968. 2’55

Hoshi. Sommeil levant. Jo and co, 2020. 3’03

Stromae. Sommeil. Universal, 2013. 3’39

The Beatles. I’m Only Sleeping. Capitol, 1966. 2’57

Vincent, Cléa. Nuits sans sommeil. Midnight special records, 2019. 2’51

White, Jack. I guess I should go to sleep. Third Man Records, 2012. 2’37

Wright, Chely, Walker, Clay. I Can’t Sleep. RCA Nashville, 2004. 4’2

Podcasts

Imbert, Christophe ; Ameisen, Jean-Claude. À la recherche des mystères du sommeil. Série : épisode 1 : 52 mn. ; Épisodes 2 et 3 : 54 mn. France inter, janvier 2022.
1- https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/sur-les-epaules-de-darwin/sur-les-epaules-de-darwin-du-samedi-08-janvier-2022-2638336
2- https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/sur-les-epaules-de-darwin/sur-les-
epaules-de-darwin-du-samedi-15-janvier-2022-
2596383
3- https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/sur-les-epaules-de-darwin/sur-les-epaules-de-darwin-du-samedi-22-janvier-2022-5657588

Bellanger, Anthony. Voyager pour dormir : l’essor du tourisme du sommeil. France inter, vendredi 14 octobre 2022. 2 mn.
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-d-anthony-bellanger/histoires-du-monde-du-vendredi-14-octobre-2022-5352739

Dolat, Béline. Notre sommeil, entre l’intime et le politique. France culture, samedi 12 mars 2022. 28 mn.
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-vie-mode-d-emploi/notre-sommeil-entre-l-intime-et-le-politique-8860750

Erner, Guillaume. L’insomnie, l’échec du sommeil. France culture, dimanche 19 décembre 2021. 15 mn.
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/superfail/l-insomnie-l-echec-du-sommeil-1149124

Mosna-Savoye, Géraldine. Ce serait pas l’heure de la sieste ? France culture, lundi 3 octobre 2022. 58 mn.
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sans-oser-le-demander/ce-serait-pas-l-heure-de-la-sieste-5574139

N’Diaye, Aïda ; Nadjar, Vanessa. Quels sens donner à nos rêves ? Épisode 3 de la série : Que valent nos interprétations ? France culture, mercredi 28 décembre 2022. 59 mn.
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/avec-philosophie/quel-sens-donner-a-nos-reves-3321915

FILMOGRAPHIE

Documentaires

Jochum, Anne. Il était une fois le sommeil. Préparons demain, 2022. 52 min. Est principalement évoquée dans ce film la nécessité de dormir pour bien grandir.

C’est toujours pas sorcier : le sommeil, essentiel à la nuit. France.tv, disponible jusqu’au 01/03/2024. 26’24.
https://www.france.tv/france-4/c-est-toujours-pas-sorcier/saison-3/2536703-le-sommeil-essentiel-a-la-vie.html

Plateforme Lumni : en entrant le mot clé « sommeil », de nombreuses courtes vidéos niveaux collège et lycée. Quelques exemples : Peut-on rattraper son manque de sommeil ? Le sommeil, l’ami de la mémoire, Le sommeil, guide pratique ou encore Le sommeil des animaux.


Fictions

Andersen, Brad. The machinist. Paramount classics, 2005. 1 h 42

Gondry, Michel. La science des rêves. Gaumont Columbia Tristar Films, 2016. 1 h 45

Hernandez, Gustavo. No dormiras. Eurozoom, 2018. 1 h 46. Thriller psychologique. En privant ses comédiens de sommeil, Alma, qui mène la compagnie théâtrale, pense qu’ils vont donner le meilleur d’eux-mêmes.

Lellouche, Gilles, Aurouet, Tristan. Narco. Mars distribution, 2004. 1 h 45

Nolan, Christopher. Insomnia. Warner Bros, 2002. 1 h 56

REPRÉSENTATIONS ARTISTIQUES

Tableaux

Boucher, François. Le sommeil des Amours. 1739, Musée du Louvre (Paris)

Cima, Giovanni Battista. Le sommeil d’Endymion. 1501, Galerie Nationale (Parme)

Courbet, Gustave. Les demoiselles des bords de Seine. 1857, Petit Palais (Paris)

Courbet, Gustave. Les demoiselles des bords de Seine. 1857, © Petit Palais / Roger-Viollet

Dali, Salvador. Le sommeil. 1937. Collection privée

Rousseau, Henri. Le rêve. 1910, Museum of Modern Art (New York)

Gauguin, Paul. La sieste. 1893, Metropolitan Museum of art (New York)

Van Gogh, Vincent. La méridienne. 1890, Musée d’Orsay (Paris)

Sculptures

Foyatier, Denis. La sieste. 1848, Musée du Louvre (Paris)

Houdon, Jean Antoine. Le sommeil. 18e siècle, Musée du Louvre (¨Paris)

Messerschmidt, Franz-Xaver. Homme qui baille. 1780

Mueck, Ron. Mask II. 2001

Performances et installations

La performance de Sebastian Errazuriz, New York parcourue par les bâillements de l’artiste.

Les performances de Virgile Novarina sur le sommeil, thème central de l’artiste.

Kraft, Ursula. Nymphalis antopia. 2007

Sorin, Pierrick. Les réveils. 1988. Centre Pompidou

Turc, Philippe. La sieste. 2012

JEUX DE SOCIÉTÉ

Ausloos, David. Dreamscape. Sylex. 2019. 30 min.
À partir de 12 ans, 1 à 4 joueurs. But du jeu : en 6 tours, récolter des éclats de rêve pour les assembler en paysages et gagner des points de sommeil.

Darsaklis, Chris. When I dream. Repos production. 2017. Moins de 30 min.
À partir de 8 ans, 4 à 10 joueurs. But du jeu : tenter de se souvenir de ses rêves en incarnant un rêveur.

 

 

La photographie

« Je me suis intéressé à la photographie non en prenant ou en voyant des photos mais en lisant à ce sujet », telle est l’introduction du livre de John Berger, Comprendre une photographie. Nous aimerions savoir pourquoi partout, on se prend en photo, on se met en scène, on collectionne des images. L’homme cherche depuis les débuts de la photographie à laisser une trace, à partager sa présence au monde. La photographie est devenue une écriture populaire, quotidienne : je vis donc je photographie. Chaque cliché est mis en ligne, partagé, liké, retweeté, commenté puis détourné parfois. La photographie a une vie qui échappe à son propriétaire. Le numérique a multiplié la fabrication des images, les a rendues librement accessibles et a enrichi notre univers documentaire. Il ne faudrait pas attendre d’atteindre la saturation, c’est-à-dire le point de rupture où nous ne pourrions plus avoir assez d’attention pour les regarder. Ainsi, dans ce thèmalire, nous allons proposer une sélection de romans qui définissent la photographie, réinterrogent son histoire, son utilisation… Nous allons rendre hommage au geste photographique : cadrer, arrêter de respirer, appuyer : c’est dans la boîte ; la chambre claire de Barthes, rappeler son essence, la photographie, c’est, donc : « ça a été ». Enfin, nous allons nous attarder à regarder ces images singulières que sont les photographies, à la fois support d’informations et œuvres d’art. Les photographies nous ouvrent au monde alors perdons du temps à les contempler, à scruter le moindre détail, à nous interroger. Chaque image est une histoire dont il faut percer le mystère. C’est pourquoi, dès le plus jeune âge, éduquons le regard, admirons des collections d’images choisies et lisons ensemble des livres portant sur la photographie.

Jeux et je photographiques

« Aujourd’hui la photographie est présente partout, au-delà des salles de classe ». Susan Meiselas adresse son livre Eyes open : 23 idées photographiques pour enfants curieux aux enseignants et aux élèves. C’est une démarche commencée dès 1974, alors qu’elle n’a que 26 ans, avec le projet « apprendre à regarder ». Ce livre, publié en 2021 pour ses 73 ans, en est un des aboutissements. C’est une invitation à découvrir le monde. Selon elle, le photographier permet de l’explorer. Susan Meiselas n’hésite pas à s’adresser au lecteur et l’invite à regarder ce qui se cache derrière tout ce que l’on voit. Cet ouvrage est aussi selon ses mots un « voyage photographique » à parcourir au fil de ses envies, sans suivre la discipline des pages. Ce sont des enfants qui photographient : le pareil, le « pas pareil », le cadre en l’encadrant, la lumière, le mouvement, les animaux qui les entourent, la nature pour l’observer mieux, leur quartier, leur maison, les personnes de leur entourage, leur famille, eux-mêmes, en revisitant le passé de leurs ancêtres, en inventant aussi des paysages imaginaires ou en s’immisçant dans une œuvre d’art. Le livre est ponctué de citations d’autres photographes célèbres comme celle de Zoé Léonard pour qui l’important est « de former un cadre autour de quelque chose, de le voir à notre manière ». À la fin de la lecture de ce livre qui s’égrène au fil de nos projets photographiques avec les élèves ou nos enfants, vous aussi vous vous prêterez à l’exercice de l’alphabétographie et aurez envie de créer votre propre alphabet à partir d’objets, de lignes et de formes qui rappellent les lettres. La consigne de Susan : « Trouve-les en ville ou à la campagne, dans les ombres, ou dessine-les grâce au cadrage de ton appareil photo ». Photographions le monde pour mieux le voir.

C’est le chemin qu’a aussi emprunté Anita Conti (1899-1997), première océanographe dont l’incroyable destin est raconté dans un roman-doc science aux éditions Bayard Jeunesse. Cette photographe a voué toute sa vie à raconter la vie des pêcheurs tout en s’inquiétant du gaspillage à bord des bateaux. En 1930, âgée de 31 ans, journaliste, photographe et relieuse d’art, Anita Conti est une exception car les femmes n’ont pas alors les mêmes droits que les hommes. Jusqu’à 88 ans, elle prendra des photos sur les chalutiers avant de continuer à témoigner en écrivant dans des livres ou en élevant sa voix dans des conférences. À travers la photographie, elle témoigne des dommages causés par la pêche industrielle et n’aura de cesse de défendre et de protéger les ressources marines.
Être une femme photographe dans un milieu exclusivement masculin dans les années 50 est audacieux. Nous le découvrons aussi dans le roman pour adolescents Au nom de Catherine, qui est la suite du roman La guerre de Catherine, écrit par l’auteure Julia Billet. Fiction inspirée de la vie de sa mère, juive, déplacée dans la maison des enfants de Sèvres qui, ensuite, a été tisserande et dont l’atelier était situé à côté de celui de Max Ernst, à la Ruche, la cité d’artistes. C’est ce passé qui offre le matériel littéraire nécessaire à l’autrice. Elle écrit au sujet de son personnage : Catherine « s’est glissée dans cette période de l’histoire avec son appareil photo mais aussi avec ses questions ». L’héroïne, première femme photographe dans une rédaction, doit réaliser, au début du roman, le portrait de Simone de Beauvoir et découvre à travers elle le féminisme. Elle part ensuite trois mois en Amérique et déplore le racisme. À travers les reportages de Catherine, les techniques photographiques sont évoquées : pour l’anecdote, elle hésite avant son départ entre son Rollei-flex et un Leica. Ce roman nous rappelle qu’il est important de connaître l’histoire de la photographie pour mieux comprendre son impact et évaluer sa portée.

La petite ou grande histoire de la photographie

Vincent Burgeon retrace la grande histoire de la photographie en bande dessinée dans son ouvrage Photographix. Le professeur Photyx nous propose d’être notre guide à travers ces deux siècles qui ont préparé cette révolution par l’image. Le professeur est un photon, une énergie constitutive de la lumière qui prend le pari de nous expliquer comment fonctionne notre œil puis documente l’invention de la photographie. Née en 1839, la photographie est le fruit de siècles de recherches, d’inventions, d’expérimentations par de nombreux scientifiques tel Isaac Newton qui fait l’expérience de la décomposition de la lumière naturelle en couleur distincte et de sa recomposition ; d’artistes comme le peintre Vermeer de Delft qui a utilisé un montage de type camera obscura ; de chimistes, citons Elizabeth Fulhame qui étudie l’action de la lumière sur différents sels d’argent au XVIIIe siècle ; d’intellectuels… A-t-elle été finalement inventée par Daguerre ? L’essor de la photographie entre 1851 et 1900 hisse cette invention au rang d’art. C’est plus qu’une science et plus qu’une technique. Les années suivantes le confirment, la photographie vient documenter le réel, le matériel est plus facile à déplacer, la photographie devient « l’équipement standard des expéditions ». Après 75 ans de noir et blanc, la couleur apparait et donne à mieux voir le monde. « Chaque nouvelle technique offre des avancées sociétales : la photographie, à l’instar de la peinture et de la littérature, […], en se féminisant ouvre la voie à l’émancipation des femmes (Frances Benjamin Johnston, Lucia Moholy, Tina Modotti, Germaine Krull, Anne Brigman, Imogen Cunningham, Margaret Bourkhe-White) ». Elle fait également apparaître des limites éthiques. Ainsi, l’image photographique peut également servir à tromper les hommes quand son message est manipulé. Ce cinquième chapitre est une ressource pertinente pour travailler la Seconde Guerre mondiale avec nos élèves. Aujourd’hui art majeur, la photographie est à la portée de tous. L’auteur tient à relever qu’une infinité de choses reste à photographier et à voir. En effet, aujourd’hui des photos sont créées par une intelligence artificielle, sans appareil photo ni intervention humaine, mais à partir de l’analyse de photographies existantes. À ce sujet, nous ne vous conseillons que trop de regarder la vidéo intitulée : « L’œuvre et l’intelligence artificielle », dans l’émission Le dessous des images, diffusée sur Arte, le 21 novembre 2022.

Pour approfondir nos connaissances sur l’histoire de la photographie, l’ouvrage qui fait foi demeure celui de Walter Benjamin, écrit en 1931, Petite histoire de la photographie, republié par l’éditeur Payot, en 2019, dans une nouvelle version enrichie d’un second essai : Une photo d’enfance. C’est une réflexion qui reste actuelle. L’apparition de la photographie bouleverse le rapport à l’œuvre d’art via la reproduction et l’accès au plus grand public. C’est en parlant des photographies d’Eugène Atget que Walter Benjamin donne une définition de ce qu’il nomme l’aura, « unique apparition d’un lointain, si proche soit-il », notion qu’il est intéressant d’interroger avec les élèves. Dans son deuxième essai, Une photo d’enfance, Walter Benjamin livre ses réflexions, ses émotions sur la photographie de Kafka, enfant, intitulée « Un portrait d’enfant1 ». Tout spectateur est touché par la tristesse du regard de l’enfant, habillé dans des vêtements tissés de fil d’or et de soie, trop petits pour lui, tenant à la main un chapeau trop grand. Walter Benjamin avoue y revivre son enfance. Cette photographie a été réalisée en studio mais beaucoup de photographes vont très vite choisir d’en sortir pour parcourir le monde et nous en rendre compte.

Témoigner du monde et ouvrir nos yeux

Plusieurs bandes dessinées ont choisi de présenter l’œuvre de photographes célèbres, telle que celle de Stanley Greene dont le sous-titre est une vie à vif. Le lecteur est projeté dans les guerres du XXe siècle. La lecture est enrichie par des photographies et un entretien. Des pellicules photos sont reproduites et l’on découvre la sélection du photojournaliste Stanley Greene (1949-2017), tantôt entourée de rouge ou de gommette bleue. Stanley Greene s’est approché au plus près de la mort pour faire vivre ses collections d’images, dit-il, « comme témoignage infime de l’immensité de la douleur ». Il a également couvert en 2005 les dommages causés par l’ouragan Katrina, à la Nouvelle Orléans. Le photographe est, selon lui, un messager qui doit éclairer les endroits les plus sombres du globe.

Nous pouvons également découvrir le photographe Robert Capa dans la BD CAPA, l’étoile filante, écrite par Florent Silloray. Ce dernier choisit de commencer son histoire en 1954, année de la mort de Robert Capa. L’auteur nous offre un portrait plus intime de ce photojournaliste rendu célèbre par le cliché Mort d’un soldat républicain2, publié en 1936, dans le magazine Vu puis rachetée par Life. Capa meurt alors qu’il couvre la guerre d’Indochine. Retenons aussi de lui sa célèbre citation : « Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près ».

Enfin, Hélène Kérillis et Laurent Simon, dans Tic ! Tac ! nous permettent de nous intéresser au « pêcheur d’images », comme se nommait lui-même Robert Doisneau, photographe populaire français (1912-1994) et à l’une de ses plus célèbres photographies le Cadran scolaire qui date de 19563.

D’autres bandes dessinées nous font revivre des moments importants de notre histoire à travers les yeux d’un photographe à Mauthausen ou dans la région du Dust Bowl, le bassin de poussières des États-Unis, dans Jour de sable. Aimée de Jongh met en scène John Clark, un photoreporter de 22 ans, engagé par la Farm Security Administration, l’organisme chargé d’aider les fermiers victimes de la Grande Dépression. L’auteur a bénéficié d’une bourse néerlandaise des Lettres pour son voyage de recherches aux États-Unis, retranscrit sur le site www.aimeedejongh.com, qui permet de comprendre combien la photographie est un matériau riche pour raconter l’Histoire et des histoires.

Enfin, plus récemment, c’est Sylvain Prudhomme qui, dans Photomatons, revisite « l’instant décisif », expression attribuée à Henri Cartier-Bresson et qui désigne le moment où tous les éléments d’une même scène sont en parfaite harmonie. L’écrivain ouvre son livre par cette citation du photographe belge Harry Gruyaert : « C’est comme à la chasse ou à la pêche : il faut essayer d’avoir de la chance ». Sur une page, à partir du 28 février 2020 à 8 h 56, l’auteur trace un rectangle de la taille d’une photo d’identité et l’habite de mots dessinant la photographie de son « après confinement ». Et tous les jours, il retracera un rectangle qu’il noircira de mots pour tenter de fixer chaque jour et révéler une minute de sa vie. Son journal autobiographique s’écrit ainsi jusqu’au 4 janvier 2021 à 12h22 et offre un contre-champ au quotidien. Dans ce livre, aucune photographie en image, juste le cadre d’un portrait écrit, un exercice intéressant à proposer aux élèves.
Ceci soulève une question : la photographie illustre-t-elle les mots qui ne se disent pas ou les maux du monde ? A-t-elle le pouvoir de nous permettre de bien voir ?

Du bon usage de la photographie…

Dans la pièce de théâtre, inspirée d’un fait réel, Michelle doit-on t’en vouloir pour avoir fait un selfie à Auschwitz, une jeune adolescente en voyage scolaire va être critiquée par ses camarades pour avoir osé prendre une photo dans le camp de la mort. Sur les réseaux, les messages déferlent et prennent parti contre elle. L’auteur Sylvain Levey transpose l’histoire de Breanna Mitchell, jeune adolescente américaine qui, en juin 2014, postait une image d’elle prise dans le camp d’Auschwitz sur Twitter. Un geste irréfléchi qui a entrainé une vague de propos violents. Plutôt que de blâmer une pratique, l’auteur souhaite mettre l’accent sur la place de la photographie dans notre société.

Un autre bon usage de la photographie peut être mis en avant : la proposition à un auteur, faite par les éditions Thierry Magnier, d’écrire une fiction à partir d’une série d’images prises par un photographe qu’il ne connait pas. Née en 2007, la collection Photoroman compte aujourd’hui 17 titres et offre un regard nouveau sur des clichés revisités comme La porte rouge coécrit par Valentine Goby pour les textes et Hortense Vinet pour les photographies. Cette fiction à lire par les collégiens et les lycéens conte l’histoire d’une adolescente qui prend la décision de ne plus sortir de chez elle, puisqu’elle ne peut pas se promener en mini-jupe sans se faire insulter et qui ne sortira donc que pour voir si une canette continue de tomber au pied de son immeuble jour après jour, au coucher du soleil.

Changeons de regard, lisons de la photographie !

La photographie est l’autobiographie des hommes qui décident de figer un instant décisif dans leur vie. La photographie est aussi une invitation au voyage, alors si vous nourrissez l’envie de visiter les villages méditerranéens, feuilletez le livre de Raymond Depardon Communes, qui offre 80 photos prises à la chambre argentique dans l’arrière-pays, en Occitanie. Raymond Depardon a conduit ce projet pendant le confinement ; il a décidé d’aller prendre en photo les 280 villages menacés par l’exploitation du gaz de schiste et dont les habitants s’étaient soulevés contre le permis de Nant4, ayant ainsi pu préserver leur territoire.

La photographie peut nous faire réaliser qu’il est temps de protéger la nature et de resserrer les relations avec les animaux, de renouer les liens entre les hommes en lisant le catalogue de la magnifique exposition Amazônia de Sébastiao Salgago pour « grandir en humanité ». Selon Stanley Greene, « une bonne photo, était une image intelligente qui montrait de l’humanité ».

Faire entrer ces références sur les rayonnages de nos CDI, c’est faire grandir le regard des élèves qui nous sont confiés et Christian Bobin l’écrivait déjà : « avec le regard simple, revient la force pure ».

 

 

 

Dans un royaume lointain d’Amina Richard

Comment est né ce livre et comment s’est passée la recherche d’un éditeur ?

Ce livre est inspiré de ma propre histoire. J’avais déjà écrit plusieurs nouvelles mais jamais de roman vraiment abouti. J’en ai écrit des petits paragraphes, des morceaux de textes épars. Je suis repartie de ces petits bouts. L’envie d’écrire était là depuis longtemps, mais je suis arrivée à un moment de ma vie personnelle où j’ai eu davantage de temps à consacrer à l’écriture et je me suis lancée. J’ai mis, relectures comprises, environ deux ans : une première version écrite au bout d’un an, puis plusieurs mois d’ajustements et de corrections.
Pour la petite histoire, j’ai été mise en contact avec un agent, relativement reconnu dans le métier. C’est par lui que je suis passée pour être éditée. C’est une pratique courante dans le monde anglo-saxon, et qui se développe de plus en plus en France, depuis peu dans le milieu éditorial. Les grosses maisons d’édition se retrouvent à faire beaucoup d’administratif et de marketing et l’apport de manuscrits finalisés proposés par un agent commence à être accepté.

Y a-t-il eu des modifications demandées par les éditions Stock ?

Assez peu finalement, car le texte était déjà très abouti. L’éditeur m’a seulement suggéré de faire réapparaître une nouvelle fois le personnage de la mère, j’ai trouvé qu’il avait raison, j’ai donc ajouté une scène vers la fin de l’ouvrage.

Qu’est-ce que la sortie du livre a changé dans ton quotidien ? Comment est-il accueilli par les lecteurs ?

Je fais de nombreuses rencontres dans des librairies, un peu partout en France. J’ai commencé dès le mois de mai dernier, avant la sortie du livre, et j’enchaîne de façon intensive depuis septembre, quasiment chaque week-end, à la demande des libraires, qui soutiennent bien le roman. Le roman a été présenté dans un article de la revue Page des Libraires, ce qui l’a bien mis en valeur lors de sa sortie. Je vais également dans les différents salons du livre, à la rencontre des lecteurs, en dédicace. Mes lecteurs n’ont pas de profil type : de l’adolescente attirée par le style graphique de la couverture, aux personnes qui connaissent bien l’Afrique. C’est assez étonnant ! Certains sont décontenancés par le style d’écriture, l’emploi de la 2e personne du singulier au début, mais relèvent souvent que les personnages sont très fouillés et qu’ils se sont identifiés à eux.

Peut-on dire qu’il s’agit d’une autobiographie ?

Le roman est inspiré de mon histoire, c’est vrai, mais le but n’était pas de raconter ma propre vie. C’était surtout d’écrire une œuvre littéraire et c’est ce matériau-là qui était disponible. Mon objectif premier était de produire un écrit littéraire et non une autobiographie, le fait que ce soit inspiré de faits réels est secondaire à mes yeux.

Pourquoi ce choix de l’absence de points ? Les virgules, omniprésentes, créent une écriture ample et rythmée. Comment l’as-tu travaillée ?

Les points sont présents seulement dans les dialogues et les citations, sinon je les ai volontairement supprimés. Je souhaitais que l’on soit pleinement dans le ressenti du personnage, à hauteur de son regard et dans sa respiration, que l’on puisse appréhender toute la violence qu’elle exprime au début. Les questions d’identité et de quête du père ne sont jamais finies, d’où le fait de ne pas mettre de points finaux. C’est une contrainte que j’aime bien, puisque les phrases sont écrites de manière à enfler, enfler, puis terminer par une chute, telle une vague qui monte. La syntaxe fait que l’on sent la structure de la phrase, mais enlever les points permet d’être davantage immergé dans le flux de pensée, pleinement dans la respiration du personnage. J’ai essayé malgré tout que ce soit fluide, en évitant la lourdeur des trop longues phrases. J’ai adapté la syntaxe à cette forme d’écriture particulière pour ne pas perdre le lecteur. J’avais déjà écrit quelques nouvelles de cette manière, je n’étais pas sûre que cette forme passe sur toute la longueur d’un roman. Le fait d’entrecouper de dialogues, d’extraits de contes permet de casser un peu cet effet de roulement, de ménager des pauses.

As-tu beaucoup retravaillé le texte ?

La trame du roman a été fixée dès le début, car je voulais adopter la structure d’un conte, avec un ordre chronologique : la situation initiale, la rencontre avec le père, etc.

Je retravaille beaucoup chaque paragraphe : je relis, je coupe, je réécris par paragraphe. Il y a eu trois versions du texte, je n’ai jamais rien enlevé, en revanche j’ai ajouté des choses à chaque fois. À aucun moment je n’ai changé toute la structure.

Les scènes de racisme ordinaires pendant l’enfance sont glaçantes. Souhaitais-tu dénoncer le racisme ou est-ce simplement la situation initiale de ton récit ?

Les scènes de racisme de l’enfance sont exacerbées par le fait de ne raconter que celles-ci. J’ai eu une enfance heureuse sinon. Je ne voulais pas faire un acte militant, ni dénoncer spécialement le racisme de façon générale, mais surtout que l’on soit à l’intérieur de cette petite fille, de son ressenti, de la violence qu’elle ressent et de la colère qui l’agite. Je l’ai écrit de façon heurtante, avec un ton tranchant, c’est ce que je voulais : que l’on ressente de l’intérieur, à hauteur du regard de l’enfant, cette violence. Il y a une opposition entre le ton ironique utilisé et la candeur des attentes de la petite fille. C’est la friction entre les deux qui engendre de la violence. L’utilisation de la 2e personne du singulier permet au lecteur d’être très concerné mais elle permet aussi de créer une grande distance analytique. Je voulais être dans la sphère du ressenti et non de l’intellect, du jugement ou de la dénonciation.

Tous les « Blancs » sont plus ou moins renvoyés dos à dos, même les enseignants qui sont montrés comme dégoulinants de bonne volonté. Est-ce toujours le cas selon toi ? Es-tu encore confrontée à ce genre de situations ?

C’est un texte qui a été construit dès le début pour donner à vivre cette violence. La violence sociale et raciale est toujours présente dans notre société. Je suis très intéressée par les luttes sur ce thème, mais ce n’est pas là-dessus que j’ai voulu écrire. Beaucoup de lecteurs me disent qu’ils se sentent concernés, d’un côté comme de l’autre. Pour moi, le racisme est indissociable de la question sociale. Je l’ai très peu subi personnellement, évoluant dans des milieux sociaux relativement privilégiés.

« La vie de chacun est un conte, que l’on peut déchiffrer comme un rêve. On a tous nos différences à porter, nos deuils à faire, une quête d’identité à mener. »

Cette quête du père que tu décris, puis la création de liens dans une fratrie peut parler à beaucoup de lecteurs différents, même dans un autre contexte, tout comme la question plus générale de l’identité. En as-tu eu conscience lors de l’écriture ? As-tu essayé de renforcer l’universalité de tes personnages ?

J’ai essayé de tendre vers l’universel, d’où le recours au conte. La vie de chacun est un conte, que l’on peut déchiffrer comme un rêve. On a tous des parcours comme ça. On a tous nos différences à porter, nos deuils à faire, les violences que l’on reçoit. Là, il se trouve que c’est le père, mais on a tous une quête d’identité à mener. Je voulais également montrer à chaque fois l’opposition entre les images d’Épinal que le personnage peut avoir sur l’Afrique, car elle a été élevée en France, et la réalité. Il y a toute une série d’oppositions et de dualités qui émergent : enfant/adulte ; Noirs/Blancs ; réalité/fantasme. Le père est à l’opposé des représentations stéréotypées du bon Noir jovial qu’on peut avoir, il a une personnalité austère, un niveau social élevé, cela génère de l’étonnement face à la réalité qui ne correspond pas aux clichés des Français sur les Africains. L’inversion des classes sociales entre la narratrice française et sa famille africaine fait partie de ce décalage entre stéréotypes attendus et réalité rencontrée.

Comment t’est venue l’idée de personnifier ton identité africaine sous les traits de ce personnage de petite fille, Ndiolé ?

Elle est venue assez vite, dans une première version elle était présente, puis je l’ai développée par la suite. J’avais l’idée dès la première page de rendre hommage à toute la littérature enfantine, j’ai passé mon enfance à écouter des histoires et on m’en racontait beaucoup. J’avais les albums du Père Castor, j’écoutais Le Petit Prince en vinyle. C’est dans toute cette littérature, à travers ces contes et leur langue, que la petite fille trouve son identité et se construit. C’était très important d’avoir ce personnage d’enfant qui est dans ses lectures-là et c’est par là que se fait la construction de sa personnalité.

On a tous « un enfant intérieur », même si c’est une expression que je n’aime pas beaucoup, popularisée dans le domaine du développement personnel, sans qu’on sache très bien ce qu’elle recouvre. Certains lecteurs me disent : « Oh moi, mon enfant intérieur aurait été copain avec le tien ». D’autres le sentent au contraire très éloignés du leur. Ndiolé, la petite fille imaginaire, représente en tout cas cette enfance qui continue obstinément à vivre en nous, pour le meilleur et pour le pire !

Y a-t-il un passage auquel tu es particulièrement attachée dans ton livre ?

Redevenir le souverain de sa propre vie : c’est l’idée importante du roman. Par l’écriture ou la création artistique, on peut aller se situer dans un royaume où l’on redevient vivant et l’on peut réécrire sa propre histoire. Le royaume du titre, je l’ai choisi car il est vraiment polysémique : ça peut être l’Afrique, l’enfance, le royaume des cieux, il y a aussi une interrogation sur un au-delà de l’identité. Il y a, par exemple, pas mal de passages au bord de la mer : l’idée est que, quand on est devant la mer, on est dans une forme d’expérience humaine qui va bien au-delà de toute identité, que l’on soit un homme préhistorique ou une femme du XXIe siècle. Le royaume du titre peut être aussi celui de l’écriture. La quête de l’identité est ultimement une quête de soi, universelle, tous les êtres humains font comme ils le peuvent avec elle.

Quel a été ton parcours professionnel ?

J’ai fait plusieurs métiers, j’ai passé le Capes à 40 ans. Avant, j’étais directrice éditoriale dans la communication. À l’origine, j’ai une maîtrise de Lettres, puis un DESS à l’INTD, l’Institut National des Techniques Documentaires. Ma situation familiale a fait que j’avais besoin d’un emploi proche de chez moi et avec des horaires fixes. J’avais envie d’être dans un rapport différent d’enseignement avec les élèves, dans une relation différente.

Dans le livre, tu vas de bibliothèques en bibliothèques au Sénégal ; quel était ton métier à ce moment-là ?

En deuxième année d’IUFM quand j’ai passé le Capes, on a eu l’occasion de faire un séjour à l’étranger pour observer un autre système scolaire et d’autres centres de documentation. Je voulais aussi que le livre soit physiquement tangible dans le roman, à travers la présence des bibliothèques. Le livre raconte une réappropriation de soi par l’écriture et la lecture, celles de l’enfance, du goût de la langue développé par la lecture. La dimension de l’écriture et du livre est importante, notamment à travers des extraits de contes, c’est ce qui nourrit le personnage.

Quelle professeure documentaliste es-tu en trois mots ?

Très heureuse en lycée ! J’ai passé 10 ans en collège REP à Nîmes, c’était passionnant et avec une équipe géniale, mais j’en suis sortie épuisée. Je préfère la relation aux élèves lycéens, qui sont plus autonomes. J’aime la diversité de ce métier : les résidences d’artistes, les concours d’écriture ou d’éloquence, la Nuit de la Lecture, etc. Il n’y a pas deux CDI identiques, ça dépend de l’établissement mais aussi des désirs du professeur documentaliste, on a toute latitude pour proposer tout ce qui nous fait plaisir. J’aime beaucoup cette liberté et cette autonomie. Le rapport avec des élèves « grands » me plaît : toutes les semaines je travaille sur les ateliers de préparation à Sciences Po Paris, avec des élèves motivés et volontaires, sur le dessin de presse, sur la revue de presse, etc., c’est passionnant d’échanger avec eux. L’année dernière nous avions un projet avec les sections STMG, où ils faisaient une simulation du fonctionnement des institutions européennes avec plusieurs lycées différents, ils devaient notamment amender des textes de lois. C’est un âge charnière où ils sont en prise avec l’actualité et la réalité contemporaine, ils deviennent de futurs citoyens et de jeunes adultes qui s’intègrent dans la société. Cet âge-là me va bien, j’aime cette forme d’accompagnement. On fait aussi tout cela en collège mais de façon différente.

L’incipit du roman est une magnifique ode à la lecture à haute voix, au plaisir enfantin mais aussi universel d’écouter des histoires. Quelle lectrice étais-tu, enfant ? As-tu des conseils en littérature jeunesse ?

J’ai beaucoup écouté de contes et de classiques, Peau d’âne, Tom Sawyer aussi, puis j’ai lu toutes les séries jeunesse de l’époque, Le Club des Cinq, L’étalon noir, etc.
Au CDI, j’essaie d’avoir une palette très large de lectures pour tous les profils d’élèves. On a réfléchi par exemple à l’achat de la série de dark romance à la mode, Captive de Sarah Rivens. Finalement, on l’a achetée car c’est déjà un plaisir de lecture. C’est toujours des arbitrages entre ce que les élèves attendent et ce que l’on a envie de leur faire découvrir et cela fait l’objet de discussions riches avec ma collègue. Par ailleurs, une classe de 2de vient de participer cette année au Goncourt des Lycéens : plusieurs ont réussi à lire les 15 romans, chacun s’est investi à la hauteur de ses possibilités. Même ceux qui ont un peu moins lu ont participé à des débats assez riches . Les amener à de telles lectures de littérature contemporaine est un bel objectif ! Avant de commencer, je me disais que c’était énorme et presque impossible de leur faire lire autant de livres en si peu de temps, mais finalement c’était très stimulant. Ils ont rencontré 9 auteurs, sur une journée, lors d’un regroupement de plusieurs lycées, avec des lectures d’extraits par les élèves et des échanges entre auteurs et lycéens.

Pourrais-tu nous citer trois livres marquants dans ta vie de lectrice ?

Un de mes premiers chocs de lecture en 2de, c’était Le roi des Aulnes de Michel Tournier, j’avais été marquée par le foisonnement de l’imaginaire. Je pourrais citer Julien Gracq également, car j’ai fait porter ma maîtrise de Lettres sur ses romans, mais ses ouvrages critiques m’ont aussi beaucoup intéressée : Préférences, Lettrines, En lisant en écrivant, dont les réminiscences ont marqué mon écriture, encore actuellement. J’ai plein de titres en tête de littérature contemporaine surtout depuis que je suis en lycée où je me suis remise à en lire de façon plus conséquente : Certaines n’avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka ; Ce qu’il faut de nuit de Laurent Petitmangin ; Règne animal de Jean-Baptiste Del Amo ; Nom de Constance Debré.

As-tu d’autres projets à venir ?

Je reste sur l’écriture, c’est vraiment la forme d’expression artistique que j’ai choisie. Je me remettrai à ma table et à ma discipline d’écriture quotidienne dès que j’aurai terminé ma série de rencontres en librairie, en 2023.

 

Appel à contribution : Neurosciences/Neuromythes

Appel à contribution pour le dossier de septembre/octobre 2023

 

Nous envisageons de réaliser un dossier sur le thème des neurosciences/neuromythes, en lien avec les questions de formation et l’EMI. Nous recherchons des retours d’expérience(s) de professeur.e.s documentalistes ayant mis en oeuvre des séances mobilisant les neurosciences. Voici quelques mots clés en lien avec cette thématique : métacognition, cogni’classes, biais cognitifs/fake news, mémorisation, attention, motivation, bibliothérapie, gestion des émotions (méditation, confiance en soi…).

 

 

Date limite d’envoi des propositions de contribution

16 avril 2023

 

Pour une préparation optimale du numéro, n’hésitez pas à contacter la rédaction au plus tôt

 intercdi.articles@gmail.com

Merci Annette

Nous dédions ce numéro d’InterCDI à Annette Béguin-Verbrugge, compagne de route fidèle de la revue, décédée le 13 décembre dernier.

Professeure en SIC à l’Université Lille 3, chercheure au sein du Laboratoire GERiiCO, Annette s’est beaucoup investie dans la vie de la revue : membre assidue du comité de rédaction, force de proposition attentive à préserver les liens terrain-recherche, élément moteur de l’aventure éphémère InterBCD et auteure régulière, partageant volontiers les résultats de ses recherches, en dialogue avec d’autres chercheurs pionniers de l’information-documentation, ce dont témoigne notamment le numéro anniversaire des 50 ans de la revue paru en décembre dernier.

Parions qu’Annette apprécierait ce nouveau numéro dans lequel plusieurs articles entrent en résonance avec ses centres d’intérêt, présentant des expériences originales, donnant à voir le dynamisme des réflexions en cours, autour de problématiques qui agitent tant la profession que le monde de la recherche aujourd’hui.

Ainsi en est-il de l’article sur l’arpentage littéraire, signé Jérôme Grondin et Béatrice Robert. La pratique de l’arpentage, issue de la culture ouvrière de la fin du XIXe siècle, diffusée ensuite par les associations d’éducation populaire, a pour but de s’approprier une œuvre « pour se construire une culture commune ». La méthode de lecture est dynamique et « augmentée » : le livre est découpé/déchiré en autant de parties que de lecteurs et lu collectivement. La lisibilité des documents s’y trouve interrogée, dans la ligne des nombreux écrits d’Annette sur la lecture, en lien avec les régimes de matérialité (documentaire, graphique, textuelle…) et la manière dont ces matérialités sont prises en compte dans les apprentissages à l’école (Béguin, 2006, 2010).

Autre article stimulant, celui de Jessica Tillard qui fait écho à des publications d’Annette sur l’espace bibliothèque et ses reconfigurations, interrogeant le rapport au savoir et son devenir dans un monde en mutation. L’article reprend les résultats d’une recherche initiée par l’auteure dans le cadre de son mémoire de Master MEEF. Il croise étude de dessins représentant le CDI et le professeur documentaliste, vus par des élèves de 6e nouvellement arrivés dans l’établissement, et réflexion plus générale sur la notion d’espace, notamment l’espace-bibliothèque en tant qu’espace de savoir avec ses objets, ses pratiques, ses acteurs. L’auteure esquisse quelques pistes pour des investigations futures, invitant à poursuivre le questionnement sur le devenir de la bibliothèque/CDI, et l’évolution de la médiation pédagogique en période d’incertitude institutionnelle. « La bibliothèque est le reflet de la manière dont le savoir est ré-envisagé dans nos sociétés ; comment à travers les institutions que sont les bibliothèques, il s’imprime et s’exprime.» (Béguin, 2018).

Autre article, à l’initiative de Kaltoum Mahmoudi, dont les travaux s’inscrivent dans la mouvance de l’École de Lille (Annette a dirigé son mémoire de master), un article sur la plateforme Adage, en dialogue avec Silvana Bonura, référente culture du bassin de Lille centre. La présentation de la plateforme, de sa logique, des valeurs qu’elle promeut (visibilité, partage, mutualisation, équité) et des compétences nécessaires à sa maîtrise est l’occasion pour les auteures d’interroger le processus même de plateformisation : un processus qui n’est pas neutre, mais porteur des idéaux ancrés dans l’imaginaire de l’institution, transmetteur de messages idéologiques via le design des dispositifs, valorisant l’instrumentation technique au détriment des médiations, humaine et pédagogique.

Ces constats soulèvent, de manière toujours plus accrue, la problématique d’un continuum de savoirs, d’un « curriculum info-documentaire », gage de la construction, pour chaque élève, d’une culture informationnelle (Béguin & Kovacs, 2011). Un sujet cher à Annette, notre collègue et amie.

Merci Annette de nous avoir fait le cadeau d’une pensée féconde, stimulante, toujours en mouvement. Sincèrement.

« Madame vous êtes ouverte ? » ou Comment des élèves de 6e se représentent leur CDI et leur professeur·e documentaliste

Les élèves de 6e qui arrivent en début d’année au collège ont-ils déjà une idée de ce qu’est un CDI et un·e professeur·e documentaliste ? La question a été explorée en étudiant leurs représentations sociales à travers leurs dessins du CDI1 et du·de la professeur·e documentaliste : en tout, 248 dessins ont été réalisés en septembre, puis décembre 2018, par 66 élèves de deux classes de 6e d’un collège privé sous contrat du 6e arrondissement de Paris. Ils ont ensuite été analysés à l’aide de la méthodologie de l’analyse de contenu. 

Le travail présenté ici est issu du mémoire de Master 2 MEEF de validation du CAFEP de documentation, soutenu en mai 2019. La question de départ prenait appui sur le souvenir d’un CDI de lycée fréquenté il y a quelques années : un lieu plutôt évité, un endroit assimilé à de la punition, où le bruit était totalement prohibé, avec une « dame du CDI » peu aimable. En tant que professeure documentaliste, nous inscrivant dans l’orientation de la circulaire de missions de 20172, nous souhaitions questionner nos propres représentations et celles des élèves, pour tenter de mieux nous adapter à leurs besoins. L’approche s’est faite à partir de dessins, réalisés par des élèves fraîchement arrivés en 6e (10-12 ans), issus de l’école primaire du groupe scolaire ou des écoles primaires du sud parisien. Le milieu socio-professionnel des élèves du collège est composé globalement de cadres supérieurs et professions libérales. Le CDI de l’établissement est géré par deux professeures documentalistes. Il est ouvert tant aux collégiens qu’aux lycéens avec un accueil toute la semaine sauf le mercredi après-midi.

Pour initier la recherche, nous avons d’abord posé des hypothèses :
1. les élèves ont une représentation du CDI influencée par les images des séries télé, les romans, les légendes urbaines, une représentation que l’on pourrait qualifier de « vieillotte », correspondant à une image négative ;
2. les élèves associent le professeur documentaliste et le centre de documentation ;
3. l’aménagement de l’espace et les représentations ont une forte influence sur les apprentissages, le CDI comme espace spécifique de savoirs au sein du lieu scolaire revêt pour les élèves des significations conscientes et inconscientes, et le lieu aménagé et habité par les élèves participe à la structuration de leur rapport au savoir.

Le travail a ensuite consisté à repérer des éléments permettant d’approcher les représentations des élèves concernant le lieu CDI et son responsable à l’aide de l’analyse de contenu ; et plus précisément à mettre en évidence les éléments se dégageant de ces représentations (noyau structurel, éléments périphériques), de manière à nous permettre de valider ou non les hypothèses émises.

Le dessin

Choisir le dessin comme support d’analyse permet de révéler un certain nombre d’éléments qui ne seraient peut-être pas apparus à l’aide d’un médium faisant appel à l’écrit ou à oral. Un avantage du dessin réside dans l’absence de questions construites en fonction d’idées préétablies, ce qui laisse une totale liberté au dessinateur. Le dessin permet ainsi, à condition de travailler avec une consigne cadrante mais ouverte, de faire émerger des messages originaux. Étant donné son caractère spontané, il parle du vécu personnel de l’enfant (le langage graphique et le langage verbal ne reposent pas sur le même canal perceptif), il restitue la « vision intérieure, immatérielle, d’un instant de la vie, non pas tel qu’il est ou a été réellement, mais tel que le sujet dessinant l’a saisi personnellement » (Royer, 1995, p. 44). Le dessin est aussi une façon de mettre les élèves en activité rapidement, sans évaluation et de façon ludique.

L’analyse de contenu

L’analyse de contenu s’organise en trois étapes.

La première, la préanalyse, va orienter l’analyse en opérant des choix dans les documents à analyser, en permettant la formulation d’hypothèses, d’objectifs et le repérage d’indicateurs destinés à l’interprétation finale.
La deuxième étape consiste à relever les différents éléments présents dans les dessins, de façon systématique et rigoureuse afin d’en faire des unités comparables : les unités d’enregistrement ou indices (mot, thème, objet ou référent, personnage, événement, etc.) et leurs indicateurs, ainsi que les unités de contexte3. Par exemple, pour l’indice objet bibliothèques, sept indicateurs ont pu être relevés : présence/absence, longueur des linéaires4, degré de remplissage, surface dans la feuille, position dans la page, éventuelle particularité, présence/absence de livres ; et 31 pour l’indice professeur documentaliste.
L’étape suivante consiste en la création de catégories, composées de plusieurs indices : les catégories ne doivent être ni trop générales ni trop proches ; et elles doivent mettre l’accent sur un aspect de la réalité et posséder quatre qualités (exhaustivité, exclusivité, objectivité, pertinence). Pour notre étude, des catégories ont été identifiées et une grille spécifique élaborée à partir de la littérature (Royer, 1995 ; Moles & Keintz, détaillé par Mucchielli, 1977) afin de prendre en compte la particularité du médium dessin.

Une fois ces catégories élaborées et vérifiées, chaque dessin est analysé minutieusement, et les éléments reportés dans un tableau, à partir duquel des analyses quantitatives sont réalisées pour mettre en évidence ou non certaines caractéristiques saillantes.

La dernière étape consiste en l’interprétation des résultats. Pour cela, l’analyse de contenu utilise l’inférence, un type d’interprétation contrôlée, qui permet l’induction à partir de faits.

Les représentations sociales

L’exploration des représentations sociales est un travail qui s’appuie sur des notions issues de la sociologie. Leurs caractéristiques sont d’être partagées par plusieurs individus et d’être très résistantes. L’individu se représente les choses à partir de ce qu’il sait et il va donc interpréter le monde à partir d’un savoir déjà acquis et à partir de ce qu’il imagine, de ses désirs, de ses peurs, de ses conflits, etc.
C’est la notion retravaillée par Serge Moscovici (1961), dans une perspective psychosociale, qui est utilisée dans le cadre de ce travail, soit un système de valeurs et de pratiques relatif à des objets ou des dimensions du milieu social. Jean-Claude Abric (1994) détaille la notion avec, en premier lieu, un élément fondamental, appelé noyau central qui détermine la signification et l’organisation de la représentation ; ce noyau est composé d’opinions, de croyances, d’informations, faisant consensus dans le groupe porteur de la représentation. Il est relié au contexte historique, sociologique et idéologique, en lien avec les valeurs et les normes. Le noyau central est partagé et stable. Dans un deuxième temps viennent les éléments périphériques, qui sont liés au contexte, à l’environnement immédiat, à l’individu, son histoire et son vécu.

Le CDI : des meubles, des tables, de l’ordre

Les analyses ont ainsi mis en évidence un grand nombre de données. Sont présentées ici celles qui permettent d’approcher les représentations des élèves et donc de mieux les comprendre.

Les dessins des élèves qui n’ont pas encore fréquenté le CDI de l’établissement au moment du recueil des données (20 dessins) sont révélateurs d’un premier noyau dur concernant le CDI : une bibliothèque (meuble). En effet, 19 dessins sur 20 figurent des étagères avec des livres, 13 montrent des meubles pour s’asseoir, 13 des ordinateurs en libre-service et 3 des êtres humains. Rapporté à l’ensemble des dessins représentant le CDI, ce constat est confirmé : 85 % ne représentent aucun professeur, 82 % aucun élève, 77 % ni professeur ni élève. L’absence d’être humain ne peut que questionner… Enfin, 7 % ne représentent pas de bibliothèque : après vérification, il semble que ceci peut être expliqué par l’absence de BCD5 dans l’école primaire fréquentée auparavant par l’élève (Illustrations A). Pour ce qui est de l’élément livres, 30 % des dessins de CDI représentent des bibliothèques sans livres, ce qui fait du livre un élément périphérique de la représentation. Parmi les 40 % de dessins faisant état de titres sur le dos des livres – et qui sont lisibles – on peut noter un attrait pour les BD et les fictions, mais peu de livres « documentaires ». Entre l’espace à disposition contenant des meubles pour ranger des livres, et le contenu réel de ces livres, on ne peut que s’interroger sur le lien fait par les élèves entre CDI et savoir.
Le CDI est-il pour autant envisagé par certains élèves uniquement comme un lieu de détente ? L’absence d’éléments faisant référence au silence pourrait le laisser penser. En effet, les dessins mentionnant des signes en ce sens, comme les mots « chut » ou « silence », ne représentent que 3,5 % de l’ensemble, ce qui tendrait à montrer que l’absence de bruit ne semble pas être un élément central de la représentation.
Sur l’ensemble des dessins représentant des élèves (45), la plupart lisent des livres (14), en général assis, d’autres font la queue à la banque d’accueil (2), entrent dans le CDI (2) ou cherchent un livre (1). Quelques-uns, relativement peu nombreux, utilisent les ordinateurs (4). Certains dessins montrent une interaction entre l’élève et le professeur documentaliste (4). Enfin, d’autres présentent des élèves debout, sans activité particulière (17). Peut-on pour autant en déduire que le CDI est assimilé uniquement à un lieu de lecture et d’emprunt ? Et non à un lieu où travailler sur place ? Les éléments tirés de l’analyse ne permettent pas de dégager une représentation univoque mais plutôt de soulever des questions.

A 1
A 2
A 3

Sur l’ensemble des dessins de CDI, 83 % représentent du mobilier : des tables de tailles et de formes variées et des sièges de tous types : des chaises classiques (23 dessins), des fauteuils (9), des banquettes (12) et des canapés (6), mais aussi des tabourets (8), des poufs (2) ou des chaises de bureau (6), etc. Soit en moyenne 4,3 sièges par dessin. Cependant, 34 % des dessins de CDI ne représentent aucun type de siège. Il ressort ainsi de l’analyse que l’item table peut être inclus dans le noyau de représentation, ce qui correspond d’ailleurs aux résultats de Isabelle Fabre et Hélène Veyrac dans leur étude de 2008 à partir de dessins d’élèves, tandis que l’item siège est un élément périphérique.
Pour ce qui est de l’objet ordinateur enfin, les choses sont nuancées. Sur les 124 dessins de CDI, 90 représentent un ordinateur (73 %), ce qui semble signifier que les élèves associent aisément CDI et ordinateurs. Seuls 27 % ne présentent pas d’ordinateurs, ce qui conduit à considérer l’ordinateur comme un élément satellite dans la représentation du CDI.

Le CDI est aussi, à en croire certains dessins, vu comme le lieu de l’imagination, des idées, de la nourriture de l’esprit et de l’élévation. Deux dessins mettent sur la piste de cette interprétation : une bibliothèque, des livres et… un gâteau ! (Illustration B). La proximité entre livre et nourriture est rare et ce qui vient à l’esprit, en première lecture, est le lien à la nourriture spirituelle, à la façon dont la connaissance « alimente » l’esprit par exemple.

B

Autre exemple relatif au CDI comme lieu de savoir : quatre dessins du CDI affichent une échelle posée contre les bibliothèques. Or, le CDI de l’établissement ne comporte pas d’échelle. Sur ces quatre dessins, trois ont pour auteur des élèves qui sont déjà venus au CDI, et qui avaient une bibliothèque scolaire dans leur école primaire. L’échelle symbolise l’élévation, l’élévation graduelle, mais aussi le rapport entre le ciel et la terre et finalement l’ascension spirituelle. Le dessin qui évoque cela le plus fortement est le C, qui représente le CDI comme une échelle. Il mériterait à lui seul une interprétation détaillée tellement les symboles sont forts. Il faut cependant relever que l’échelle est un élément souvent présent dans les films et les séries quand il est question de bibliothèques. Se retrouve ici l’assimilation CDI/Bibliothèque.
Quelques dessins, très peu nombreux (9 %), représentent des luminaires (lampes de bureau, plafonniers). Ce qui nous a conduite à questionner l’absence/présence de fenêtres. Sur 248 dessins, pas un seul ne fait état de fenêtre : pas de rayons de soleil, pas de ciel. Ce qui peut paraître étrange, même en décembre, étant donné les deux très grandes baies vitrées qui font entrer une lumière abondante dans le CDI. La fenêtre, c’est la réception de ce qui vient de l’extérieur et ce qui permet de voir l’intérieur depuis l’extérieur (les yeux sont les fenêtres de l’âme), c’est le passage de la lumière. Dans les dessins, le CDI ne reçoit rien de l’extérieur, et l’extérieur ne peut rien voir de cet espace, comme un espace clos, qui, peut-être, se suffirait à lui-même. Un seul dessin évoque l’extérieur, qui fait figure d’exception, avec son « CDI échelle » qui monte vers le ciel et ses oiseaux, à moins que les nuages n’évoquent la pensée de l’élève et les rêves (Illustration C). Le CDI serait-il un lieu qui n’a pas besoin d’éclairage venant de l’extérieur ? Ou bien un lieu qui porte en lui-même sa propre lumière, c’est-à-dire le savoir ?
Globalement les dessins présentent des lieux « rangés ». Parmi les dessins représentant des bibliothèques « remplies », 54 dessins de CDI (sur 56) font apparaître des livres « rangés », soit 96,5 %, ce qui est très élevé, et 10 dessins de professeur documentaliste (sur 12) montrent des livres rangés, soit 83 %. Il semble que dans l’esprit des élèves, le CDI est un lieu où les livres sont rangés, et que cet aspect relève du noyau central de la représentation. Néanmoins, ni les dessins de septembre ni ceux de décembre ne montrent d’espaces identifiés en tant que tels (espace collège, espace lycée, espace lecture, espace presse, etc.). Ceci alors qu’une séance pédagogique a eu lieu sur ce thème précis. Il faut mentionner à ce propos que le CDI, à l’époque de ce travail, ne proposait pas de signalétique particulière pour les espaces, ni pour les ouvrages. Quant à la classification Dewey, vue en séance pédagogique, elle est totalement absente des dessins du CDI, et à doses homéopathiques dans deux dessins de professeur documentaliste. Ce qui tend à montrer que l’élément rangement, bien qu’intégré par les élèves, n’est pas encore clairement identifié ni structuré, malgré des séances pédagogiques dédiées.

C

Des éléments de l’ordre de la règle, de la contrainte, ou encore de la surveillance ont pu être également repérés dans les dessins. Sur certains nous pouvons trouver par exemple de grands yeux sur les écrans d’ordinateur (Illustration D 63.12a) qui semblent observer ce qui se passe, et sur l’un d’eux un portique qui sonne (« bip bip bip »). Deux élèves ont dessiné la caméra de l’ordinateur, un autre un panneau signalétique avec un téléphone portable barré et un œil qui observe. Certains dessins enfin font référence à des cellules ou à des grilles de prison (grands traits verticaux et horizontaux barrant toute la feuille, comme une grande grille), ou encore à une boîte, avec ses murs dessinés (Illustration D 61.24a), sensation d’enfermement, représentant un lieu complètement clos, ou symbolisant la tristesse avec un ordinateur qui pleure (Illustration D 61.38a). Ces éléments de l’ordre de l’enfermement ou de la surveillance peuvent alerter sur des perceptions négatives du lieu et inviter à un travail d’ouverture de manière à permettre aux élèves de vivre ces espaces de manière moins contrainte et plus sereine.

D 63.12a
D 61.24a
D 61.38a

Ainsi, quand les dessins mettent en valeur les aspects positifs du CDI, la majorité montre du mobilier : tables, chaises, bibliothèques vues de haut, sans vraiment montrer l’activité de travailler, étudier, lire, etc. On peut alors se demander dans quelle mesure le CDI est un lieu que les élèves envisagent d’habiter au sens de « pratiquer un lieu géographique » (Stock, 2004)6. Ceci est d’autant plus questionnant que 85 % des dessins ne représentent aucun adulte dans le CDI. Cela paraît étonnant et pose la question de la perception du lieu par les élèves. Si le professeur documentaliste est souvent assimilé à son lieu (« Madame CDI », « Madame, vous êtes ouverte ? »), la réciproque ne semblerait donc pas vraie : le lieu n’est pas forcément associé au professeur documentaliste. De plus, aucun indice ne permet de penser que les personnes dessinées représentent d’autres personnes (professeurs, parents, personnel d’encadrement) : cet endroit semble donc strictement réservé au professeur documentaliste et aux élèves, quand ils sont présents.

Le professeur documentaliste : souriant mais inconnu

Le professeur documentaliste est un professionnel singulier. Il est le gardien d’un lieu chargé d’affect et de savoirs, et revêt à ce titre un caractère mystérieux. Ses principales qualités sont l’aide et le sourire. L’élément pédagogique, quant à lui, demeure inconnu et intrinsèquement relié au fonds documentaire qu’il gère. Le noyau central de la représentation semble renvoyer à la qualité sourire, accompagnement, femme et à ses éléments périphériques bienveillance/tristesse, relation avec l’élève, intellectuel. (Illustrations E)

E 1
E 2
E 3
E 4
E 5
E 6

 

Un des constats les plus évidents à la lecture des dessins est la présence de sourires sur les visages des professeurs documentalistes : plus de 74 % des visages sont souriants, que ce soit dans les dessins de septembre ou dans ceux de décembre. À l’évidence, le professeur documentaliste est quelqu’un de souriant dans l’esprit des élèves, et la palette des sourires est large : petit sourire, sourire figé, sourire avec dents visibles (ou non), sourire large, sourire franc. Ceci est toutefois à nuancer. Les regards ont également été étudiés dans l’intention de noter la sensation ressentie à la vue du regard de la personne dessinée. Les données relatives à l’ensemble des dessins montrent un équilibre presque parfait entre un professeur bienveillant, présent, voire malicieux (45 %), et un professeur plutôt triste, absent, voire méchant (43 %)7.
Pour ce qui est des paroles ou des mots notés pour décrire le professeur documentaliste (40 % des dessins), une majorité est de l’ordre de l’accueil (10) et de l’accompagnement vers le livre (montrer, renseigner, gérer les emprunts, expliquer) (31), et seulement 4 de l’ordre de l’interdiction.
Autre constat : sur l’ensemble des dessins de professeurs documentalistes, seuls 25 représentent le professeur et l’élève ensemble (soit 20 %), ce qui est peu. La relation professeur-documentaliste se trouve alors questionnée, elle semble n’être qu’un élément périphérique de la représentation.
Enfin, beaucoup de professeurs dessinés ont des lunettes. Les lunettes, c’est ce qui permet de mieux voir, qui corrige une déficience. C’est aussi le lot de ceux qui lisent beaucoup, des « intellos ». Peut-on alors dire que, dans le milieu scolaire, porter des lunettes peut être assimilé à la fonction « d’intello » ? Ce qui ressort de l’analyse des données, c’est une constante dans le port de lunettes entre les dessins de septembre et de décembre. Plus d’un tiers des professeurs documentalistes se voient affublés de lunettes (39 % des dessins). Et nous-même en portons, ainsi que notre collègue. Le professeur documentaliste serait alors pour un tiers des élèves quelqu’un qui lit beaucoup. La qualité intellectuel pourrait ainsi être un élément périphérique.
Si l’on observe à présent les coiffures des professeurs documentalistes, on remarque une réelle évolution entre les dessins de septembre et de décembre : une quasi disparition du chignon (de 27 % à 7 %) et de coupes carrées (de 26 % à 5 %), et une nette augmentation des coupes courtes (de 3 % à 24 %) et de cheveux détachés (de 38 % à 59 %). L’influence des deux professeures documentalistes du CDI qui ont chacune une coupe assez courte semble ici importante. Cela aurait tendance à illustrer l’influence des enseignants sur l’évolution des représentations des élèves. Mais cela semble aussi révéler la permanence du cliché de la bibliothécaire à jupe et chignon des films ou romans, encore très souvent représentée.

Dans l’ensemble des dessins de septembre, sur les 72 représentant des professeurs documentalistes, 55,5 % peuvent être identifiés comme des femmes et 22 % comme des hommes8. En décembre, le ratio passe à 68 % de femmes et 6 % d’hommes. Notons l’augmentation de la part des femmes entre septembre et décembre et la part stable des professeurs documentalistes non genrés. Ce qui apparaît nettement est la prégnance des femmes représentées dans les dessins. Même si cela a pu être largement influencé par le genre des professeures documentalistes de l’établissement, ceci correspond aussi, à peu de choses près, aux chiffres de l’ONISEP (80 % de femmes dans la profession), et semble être un élément du noyau central de la représentation des élèves.

Enfin, les livres sont moins représentés dans les dessins des professeurs documentalistes (46 %) que dans ceux du CDI (87 %). Cette part moindre montre que le livre semble ne pas faire partie du noyau de la représentation du professeur documentaliste par les élèves, mais plutôt être un élément gravitationnel. Au total, 25 % des dessins de professeur documentaliste ne représentent ni livres, ni documents, ni ordinateur en décembre. Ce qui fait 43 dessins représentant un « objet » symbolique de la connaissance, 16 n’en représentant aucun. Ce sont ces derniers qui questionnent : qu’est-ce que cela signifie pour un élève ? Positif ? Négatif ? Doit-on s’en attrister ? Ou plutôt s’en réjouir ? Un professeur de maths doit-il avoir une règle ou une calculatrice pour être un professeur de maths ? Cette absence d’objet référentiel renseigne-t-elle sur une forme de méconnaissance du professeur documentaliste et donc sur ce qui fait aussi la difficulté du positionnement professionnel ? (Illustration F)

F

Concernant la posture corporelle des professeurs documentalistes représentés, la majorité des dessins (75 %) les montrent sans activité particulière. En septembre, les 25 % de dessins restants les présentent en train de désigner des livres (56 %), porter des livres (6 %), ranger des livres (6 %), donner des livres (13 %) ou d’utiliser un ordinateur (6 %). Ce n’est qu’en décembre que des dessins (14 %) les montrent en posture d’enseignement. Ce qui tend à montrer qu’en début d’année la composante enseignante du métier ne fait pas du tout partie de la représentation des élèves, et que celle-ci est largement influencée par la mise en œuvre (ou non) de séances pédagogiques.

Conclusion

Tenter d’analyser les représentations sociales d’élèves qui arrivent en 6e, et qui n’ont, à priori, jamais fréquenté un CDI ou un professeur documentaliste, pourrait sembler inutile. Or, les analyses ont permis de repérer des éléments qui constituent un état des lieux de ce que les élèves apportent avec eux lorsqu’ils pénètrent pour la première fois dans le CDI de leur collège.

L’exploration, systématique et méticuleuse, des dessins a ainsi mis au jour certains éléments qui pourraient faire partie du noyau central de la représentation des élèves.
Pour le CDI, ce sont le meuble bibliothèque, la table, le rangement, avec en éléments périphériques le livre, le siège, et l’ordinateur. Certains éléments, en revanche, qu’il aurait été logique de trouver ne ressortent pas de l’analyse, comme la présence humaine, la signalétique, le silence, le travail.
Pour le professeur documentaliste, ce sont le sourire, l’aide/accompagnement, la femme, avec, pour éléments périphériques, autant la bienveillance que la tristesse, la relation à l’élève, le caractère intellectuel. Ce qui est à noter est la très faible présence d’éléments en lien avec l’information-documentation et la quasi absence de références à l’Éducation aux médias et à l’information.

Quant à notre regard de stagiaire dans sa deuxième année d’exercice, enthousiasmée par ce métier, il a évolué. Le CDI n’est finalement pas le temple du silence ou de l’ennui ; le professeur documentaliste n’est pas un être focalisé sur le silence et l’absence de mouvement. Tout est très vivant et presque joyeux pour les élèves et nous nous en réjouissons. Nos propres représentations ont été bousculées par ce mémoire. Les différents espaces ont, depuis, fait l’objet d’une reconfiguration, favorisant une meilleure identification. Notre posture aussi a changé : plus en lien avec les élèves, moins axée sur le respect du silence, et davantage dans l’accompagnement sur les aspects info documentaires.

Bien entendu, les éléments mis en exergue ne sont ni exhaustifs ni généralisables : l’étude prend place dans un lieu et un temps donnés et il est très possible que le contexte de réalisation des dessins ait influé sur certaines données. Mais ces données peuvent déjà apporter des éléments de réponses aux hypothèses formulées en amont. Les représentations semblent influencées par les images de séries télé et les romans, sans que cela soit toujours de façon négative. Pour ce qui est de l’amalgame fait entre le lieu CDI et le professeur documentaliste, la faible présence de professeurs documentalistes dans les dessins des CDI tendrait à monter que, à l’inverse de l’association « professeur documentaliste = CDI », un CDI n’est pas forcément attaché à un professeur documentaliste. Enfin, l’absence d’identification des différents espaces dans les dessins de décembre, alors qu’une séance pédagogique a porté sur ce thème, permet de mesurer le poids des représentations, et met en évidence l’importance de l’aménagement du lieu dans l’accès au savoir.

Pour aller plus loin, il serait pertinent de réitérer l’exercice dans d’autres établissements en tous points différents pour comparer les résultats et proposer des analyses plus générales. D’autres pistes seraient aussi à explorer pour poursuivre ce travail : par exemple, analyser les dessins sous l’angle de la consommation ; demander aux élèves de dessiner leur CDI idéal ; chercher à savoir si les élèves font la différence entre une bibliothèque et un CDI. Enfin, pour compléter l’analyse, il serait très intéressant de faire dessiner tous les niveaux de la 6e à la Terminale, des parents, d’autres professeurs et d’autres professeurs documentalistes.

Quoi qu’il en soit, l’analyse a permis de mettre au jour un aspect fondamental de la représentation du CDI, le meuble bibliothèque. Comment alors concilier cela avec les Centres de Connaissance et de Culture impulsés par le Ministère, dans lequel le livre n’a plus la même place ? Cela pourrait-il créer un vide ? Un manque ? L’élève s’attend-il encore à trouver un lieu avec des livres aujourd’hui ? Il semblerait…
Un autre point saillant des représentations des élèves est le caractère accueillant du professeur documentaliste. Si l’on met en parallèle l’absence d’éléments concernant l’information ou les médias, ce travail permet de souligner la difficulté structurelle du métier : un professeur sans discipline, un professeur non identifié comme tel par les élèves. C’est ici sa légitimité qui est questionnée et surtout l’influence que ce manque de reconnaissance peut avoir sur la structuration des connaissances de l’élève.

 

« Adage », vous avez dit « Adage » ?

Adage est une plateforme numérique dédiée à l’Éducation artistique et culturelle (ÉAC) qui se constitue progressivement en une porte d’entrée pour tout enseignant du premier et du second degrés désireux de mener des projets artistiques et culturels, de les recenser et de bénéficier de financements au moyen de campagnes d’appels à projets ou d’offres pass Culture collectives1. Après le déploiement de Pix, Parcoursup, Pronote et des ENT, Adage ne vient que confirmer le phénomène de plateformisation de l’éducation et l’injonction faite aux enseignants de « se mettre » au numérique. Comprendre le fonctionnement de ces plateformes et maîtriser leurs contenus avant de bénéficier de leurs potentiels exigent des efforts, des compétences et du temps. Dédiée à la culture, Adage est accessible via Eduline par tous les enseignants. Pour en savoir plus sur cette plateforme et ses implications sur le terrain de l’établissement scolaire, nous nous sommes entretenue avec la référente culture coordonnatrice du dispositif dans son académie. Silvana Bonura nous livre ici sa vision d’Adage et des enjeux que cette plateforme soulève pour les enseignants.

Depuis 2019, tu es référente culture de bassin. L’arrivée des plateformes numériques dans le champ éducatif facilite et complexifie à la fois la tâche des enseignants d’autant plus qu’elles se constituent en une porte d’entrée incontournable. Cette injonction à passer au numérique se traduit par un enchevêtrement de dispositifs qui, selon moi, crée une sorte de brouillage sur le terrain de l’établissement scolaire. Avant de te demander en quoi consiste ta fonction de référente culture de bassin, pourrais-tu préciser l’origine de cette « nouvelle » plateforme d’accès à la culture nommée Adage ?

Réponse : La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 rend obligatoire le parcours d’éducation artistique et culturelle de l’école au lycée (PÉAC) dont l’objectif est de « […] favoriser un égal accès de tous les jeunes à l’art et à la culture2 ». Cette loi inscrit quatre parcours éducatifs obligatoires : le Parcours Avenir, le Parcours Citoyen, le Parcours Santé et le Parcours d’Éducation Artistique et Culturelle3. Depuis 2019, Adage est l’objet d’une expérimentation dans notre académie par quelques établissements scolaires dont le mien, jusqu’à sa généralisation en 2021. À l’époque en 2019, il n’y avait sur Adage que la partie recensement des enseignements, des projets et actions en ÉAC. Ensuite, en 2020, l’onglet « monter son projet » est apparu pour les campagnes d’appel à financement et des projets bien précis (Jeunes en librairie, Printemps des poètes, Invitation au voyage, Atelier de pratique artistique et culturelle, etc.). Depuis janvier 2022, des offres pass Culture collectives ou établissements proposées par les structures culturelles pour les collèges et lycées sont disponibles sur Adage. En deux ans, plusieurs fonctionnalités ont donc été ajoutées sur Adage.

La notion de « parcours » n’est pas anodine. Elle suppose une trajectoire unique, pour l’élève. Une responsabilité plus grande pèse sur les enseignants qui se doivent désormais d’amener l’élève du début à la fin du « parcours ». Quelle est l’origine de cette politique culturelle en faveur du pass Culture ? Cette question mérite d’être posée puisque cette politique induit l’arrivée de dispositifs numériques sur le terrain de l’établissement scolaire.

R : Fournir un crédit culture pour tous les jeunes de 18 ans est une décision politique qui figurait déjà dans le programme de campagne du président Macron en 2017. L’idée était de permettre aux jeunes d’accéder gratuitement à la culture. Depuis mai 2021, le pass Culture individuel concerne tous les jeunes de 18 ans, et depuis janvier 2022, tous les jeunes scolarisés en collèges ou en lycées entre 15 et 17 ans. Quant au pass Culture collectif ou établissement, il concerne les élèves de la 4e à la terminale depuis janvier 2022. Ces établissements scolaires reçoivent un crédit virtuel en fonction du nombre d’élèves. C’est une politique conjointe Ministères de la culture/Éducation nationale. Il y a une volonté forte de l’État de faciliter l’accès à la culture par la « généralisation4 » de l’ÉAC. Le pass Culture s’inscrit dans le cadre du 100 % PÉAC. Il y a derrière ce dispositif un souci d’équité et d’égalité d’accès à la culture pour tous les élèves. Adage répond à la volonté d’uniformiser et de rendre visible les actions culturelles à l’échelle d’un établissement et d’un district, puis du département et d’une académie. Le recensement des actions culturelles sur la plateforme permet cette visibilité.

En quoi cette plateforme change-t-elle la donne pour les professeurs documentalistes selon toi ?

R : Au niveau des établissements scolaires, ce qui change c’est d’avoir un crédit assez conséquent par établissement pour financer des projets, des ateliers et des sorties artistiques et culturelles. Nous passons en direct avec les structures culturelles, ce qui signifie qu’il n’y a plus de bons de commande et de factures à demander. Le chef d’établissement valide ensuite tous les projets pass Culture sur Adage. Ce qui change pour nous, et ce qui est fastidieux aussi, c’est de comprendre la plateforme en entrant dans le bon onglet : choisir « offre pass Culture », trouver une offre qui convienne à son projet ou en créer une en partenariat avec une structure culturelle, par exemple. L’arrivée d’Adage n’est pas sans poser de questions au sein des établissements scolaires. Qui est rédacteur des offres pass Culture ? Qui se charge de préserver ces offres sur Adage ? Qui se charge de recenser les actions pour en tirer un bilan ? Le référent culture ou le professeur de la classe ? Ou tout autre personnel à l’initiative de l’action culturelle ? Si c’est le référent culture qui se charge de recenser toutes les actions sur Adage, il faut expliquer cette « nouvelle » tâche aux chefs d’établissements ainsi que la charge de travail supplémentaire qu’elle induit afin d’obtenir au moins une IMP « référent culture » complète. Et s’il y a deux référents, comme c’est le cas dans mon établissement, alors deux IMP complètes5. La tâche de référent culture est précisée dans une lettre de mission. À partir du moment où l’on accepte la mission, il faut discuter aussi la question de la rémunération. Adage permet un recensement synthétique des actions culturelles de nos établissements. En tant que référente culture, j’effectuais déjà ce travail avant Adage, sur un tableur, pour faire le bilan culturel à présenter en fin d’année au Conseil d’administration (CA). Adage me permet maintenant d’avoir un recensement uniforme et des statistiques par niveau et par partenaire culturel. Adage offre enfin la possibilité d’éditer des attestations individuelles de PÉAC pour chaque élève et de valoriser les parcours (onglet « Suivi des élèves » dans Adage). L’objectif du PÉAC reste l’équité pour tous les élèves.

Si l’objectif du PÉAC reste l’équité pour tous, ne s’agit-il pas d’un idéal plutôt que d’un véritable objectif atteignable ? Tous les élèves d’un établissement scolaire ne sont pas logés à la même enseigne puisque les apprentis et les étudiants, dans les lycées, ainsi que les élèves de 6e et de 5e, dans les collèges, ne bénéficient pas de l’offre pass Culture. En outre, est-ce que les membres de la direction d’un établissement scolaire valident les offres culturelles en tenant compte de ce principe d’équité ?

R : Adage, c’est justement un outil qui aide à la visibilité des activités des classes de la 4e à la terminale et permet de tendre vers l’équité puisque tous les élèves ont une somme allouée de manière équitable. Mon rôle est d’accompagner les référents culture et les collègues, y compris les chefs d’établissement qui me demanderaient des conseils concrets d’utilisation d’Adage.

Justement, tu es référente culture coordon­natrice de bassin pour la culture. En quoi consiste ta mission ?

R : Au départ cette fonction de coordonnatrice n’était pas uniquement pour Adage, mais pour chercher de nouveaux partenaires, de nouvelles structures culturelles, faire remonter les besoins culturels et réfléchir à la mise en place d’une politique culturelle en partenariat avec la DAAC6. Depuis deux ans, date de son arrivée, Adage a pris beaucoup de place. J’ai été nommée par la DAAC en 2019. Je suis le relai des référents culture en établissements scolaires. Ma mission complète celle des formateurs de la DAAC : réfléchir aux offres culturelles d’un territoire, anticiper les besoins de formations culturelles, connaître de nouveaux domaines ou de nouveaux lieux de culture, réfléchir aux appels à projets et aux financements de la DAAC. Je suis chargée de répondre aux mails, aux appels téléphoniques, aux interrogations des collègues face à Adage et au pass Culture. J’essaye de les former au mieux à ces dispositifs. Pour assumer cette fonction, il faut être référent culture de son propre établissement scolaire. Je suis rémunérée une IMP pleine par an environ.

Comment les enseignants recoivent-ils ces nouvelles directives sur le terrain, ce « passage obligé » par Adage ? Quels échos en as-tu en tant que référente culture coordonnatrice de bassin ?

R : Cela varie. De l’indifférence ou du rejet quant au recensement des actions sur Adage. J’entends les collègues dire : « encore un nouvel outil, on nous demande trop de compte, outils de flicage, je n’ai pas le temps de recenser, pas payé pour…». Adage pose également la question des compétences numériques car la plateforme est complexe. Il faut un temps pour la comprendre. Ce qui remonte du terrain, ce sont les problèmes techniques pour valider des offres pass culture, comprendre les différents onglets d’Adage ou le référencement d’une structure culturelle partenaire avec laquelle les professeurs documentalistes ont l’habitude de travailler par exemple. Certaines structures partenaires sont refusées dans Adage. Certains enseignants ont la volonté de comprendre cette plateforme et voir comment on peut en tirer profit pour la mission de référent culture : pour faire des bilans, des statistiques, pour acquérir une compétence supplémentaire, observer concrètement les actions culturelles dans l’établissement grâce à un outil visible par tous les personnels. C’est aussi ce que permet Adage. Si on ne s’y intéresse pas, on sera vite dépassés par ces plateformes. Si l’on ne sait pas qu’il y a de l’argent pour la culture, ni comment aller sur Adage et l’utiliser, comment pourra t-on monter des projets culturels ou des sorties à l’avenir ?

À qui donne-t-on les droits d’accès sur Adage ?

R : Il y a un accès administrateur pour les chefs d’établissement et un accès rédacteur. Tout le monde peut être rédacteur qu’il soit référent culture ou pas. Cela se décide dans chaque établissement. Enfin, il y a un accès lecteur pour tous les autres.

Qu’est-ce qu’Adage et pass Culture changent pour les professeurs documentalistes, selon toi ? Quelles sont les évolutions que tu ressens ?

R : Le risque est que la gestion du pass Culture et le recensement des actions reposent uniquement sur les professeurs documentalistes référents culture pour des raisons entendues chez certains collègues et personnels de direction : les professeurs documentalistes ont l’habitude et le temps de rédiger des bilans, de répondre à des appels à projets, de créer des partenariats culturels, de planifier et réserver des sorties, de faire de la gestion culturelle en quelque sorte ! Face au risque pour le professeur documentaliste référent culture de devenir « gestionnaire et prestataire de sorties et actions culturelles » de l’établissement, il y a quand même des avantages. Adage peut-être un levier pour les professeurs documentalistes désireux de s’investir dans le domaine culturel avec de vrais outils à disposition pour être reconnus dans ce domaine en tant qu’experts et interlocuteurs privilégiés. Des collègues aiment travailler dans ce domaine et font des formations pass Culture aux élèves et aux collègues enseignants. Ils développent une politique culturelle de l’établissement concrète, présentée aux conseils pédagogiques et/ou au CA.

 

Si la plateforme Adage promeut des valeurs de visibilité, de partage, de mutualisation et d’équité dans le cadre de la mise en place d’une éducation artistique et culturelle pour tous les élèves, elle impose également l’évaluation et le recensement des projets et permet de « voir ce qui se passe » dans les établissements scolaires. Les travaux scientifiques menés par des chercheurs, notamment en Sciences de l’information et de la communication7, ont montré l’absence de neutralité qui préside à la conception des plateformes numériques ainsi que les messages idéologiques qui émanent de leur design, des contenus et des idéaux qu’elles incarnent ancrés dans l’imaginaire de l’institution scolaire. Qu’il s’agisse de l’ÉAC ou de l’ÉMI, la logique de plateformisation accompagne l’injonction institutionnelle à mettre le numérique au cœur des usages et des pratiques professionnels et pédagogiques des enseignants. Une logique qui présente cependant le risque de détourner les enseignants de ces plateformes en raison des exigences que leur maîtrise impose (temps, compétences, efforts…) avec pour conséquence de renforcer les inégalités socio-culturelles plutôt que de les réduire. Chronophage, la maîtrise des plateformes numériques reconfigure les pratiques professionnelles des enseignants : combien de temps passé à comprendre les rouages et les logiques des plateformes au détriment des médiations humaines et pédagogiques à l’égard des élèves ?

 

 

 

 

Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information de Mônica Macedo-Rouet

C’est une lecture plutôt rare et très rafraîchissante en matière professionnelle, que propose Mônica Macedo-Rouet avec Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information. Professeure des universités en Psychologie, la chercheuse est déjà connue dans le domaine info-documentaire, de par son travail souvent à la croisée entre Psychologie, Sciences de l’éducation et de la formation (SEF) et Sciences de l’information et de la communication (SIC). C’est dans le cadre de ce triptyque que s’inscrit l’ouvrage, qui convoque les recherches menées sur la question de l’évaluation de l’information dans ces trois disciplines, afin d’en faire une synthèse. Et ce ne sont pas seulement des états des lieux qui sont proposés, mais un travail de bilan et de perspectives.

Saluons comme il se doit l’intérêt des éditions normandes C&F, dirigées par Hervé Le Crosnier, pour les questions d’information, de documentation, avec, au-delà d’écrits nombreux sur l’histoire de l’informatique et le paysage numérique contemporain, plusieurs ouvrages relatifs à des sujets importants pour les professeurs documentalistes. On rappellera ainsi la publication des travaux d’Anne Cordier sur le rapport des adolescents à la recherche d’information (2015), ou de Marion Carbillet et d’Hélène Mulot sur les communs dans l’éducation (2019).

Pour discuter d’évaluation de l’information, Mônica Macedo-Rouet contextualise d’abord son propos, nous offrant un point de vue large sur la notion. En appui sur différentes études menées depuis plus de vingt ans, elle interroge la lecture sur écran, en comparaison avec la lecture sur papier. Ce qui l’amène à préciser et à définir plusieurs notions, comme celles de texte, d’hypertexte et d’hypermédia, directement liées à la lecture sur écran. C’est aussi l’occasion de traiter de la structure du document, de la structure du texte, rappelant à l’occasion que cette notion suppose des apprentissages, dès l’enseignement élémentaire, et ce, afin de favoriser chez les enfants le repérage de l’organisation des textes, notamment des ouvrages documentaires. L’auteure montre aussi toutes les limites de la lecture sur écran, et les difficultés qu’elle peut poser : du fait d’une lecture hypertextuelle parfois complexe, de logiques éditoriales qui ne sont pas toujours pertinentes pour une lecture efficace, et d’une lenteur et d’une superficialité qui semblent intrinsèques à ce mode de lecture. Il n’en ressort cependant pas l’idée d’abandonner l’écran, ce serait aller contre les usages et les pratiques. Il s’agit plutôt d’insister sur le fait que ce n’est pas un sujet à prendre à la légère, à la fois dans le domaine de l’édition où des efforts sont à faire, et dans le domaine de l’enseignement pour cerner ce qui peut et doit être mis en œuvre en matière pédagogique. L’auteure insiste également sur le besoin d’éviter une simple transposition, du document imprimé au document numérique, qui relève de deux modes différents de concevoir le document.

C’est avec un même souci de synthèse que sont abordés les processus de recherche et d’évaluation, dans un contexte d’augmentation du nombre de sites web et du nombre d’utilisateurs d’Internet (avec aujourd’hui près de deux milliards de sites pour quatre milliards d’internautes potentiels). Un tel paysage informationnel suppose des compétences de recherche, avec alors, pour les enfants, des difficultés de méthode et de connaissance que rappelle l’auteure. Une piste pour dépasser ces difficultés est de maîtriser l’ensemble des étapes que compte une recherche d’information : par exemple les huit étapes du modèle TRACE, proposé par Jean-François Rouet en 2006, qui peut être un outil intéressant dans le cadre d’un travail pédagogique avec les élèves. La recherche est d’autant plus complexe que l’évaluation de la pertinence des sources apparaît, selon les études citées, particulièrement difficile pour les jeunes (des pistes possibles pour améliorer les pratiques sont données). L’évaluation de la qualité et de la crédibilité des sources est également étudiée, avec un regard particulier sur le contexte scolaire : il en ressort que les élèves ne sont pas indifférents à la question de l’évaluation, qui demande une mise en œuvre différenciée, selon les consignes données et les difficultés rencontrées. Là encore l’auteure s’attache à pointer ce qui pose problème, afin de proposer des solutions pédagogiques, mettant en avant à l’occasion des pistes de recherche non encore exploitées. Parmi les problèmes et/ou les obstacles relevés, on peut citer par exemple, en fin de primaire et début de collège en particulier, l’intérêt pour l’affichage des pages plutôt que pour la connaissance des sources, ou encore la difficulté à détecter les biais commerciaux et les conflits d’intérêts sur le web. Cela suppose des apprentissages, relatifs à la navigation web, au repérage d’informations, à la connaissance des questions techniques liées aux bases de données, au fonctionnement des moteurs de recherche, à l’évaluation des sources et à tout ce que cette notion recouvre (pertinence, fiabilité, autorité, typologie, etc.).

L’auteure ne s’arrête pas à des préjugés, il n’est pas question de dire que les élèves savent tout faire parce qu’ils ont été bercés par le numérique ou qu’ils ne savent rien faire parce qu’ils n’ont que des usages superficiels. Non, il s’agit de regarder précisément les pratiques, d’en étudier les subtilités pour en tirer des pistes pédagogiques : par exemple, en contexte scolaire, expliciter les étapes de la recherche et de l’évaluation. Les élèves peuvent avoir envie d’évaluer les sources, encore faut-il qu’on leur explique comment faire, et qu’on leur apprenne à le faire. Ce n’est pas une démarche spontanée pour eux, des compétences sont nécessaires qui sont mises en exergue dans l’ouvrage : l’identification de l’auteur, l’évaluation de son niveau de compétence, ses intentions, les éventuels conflits d’intérêt. Ces savoirs et savoir-faire permettent notamment d’aider à repérer les fausses informations, auxquelles sont réservées quelques pages.

Un chapitre est consacré à l’éducation, côté terrain : il est d’autant plus décevant que les chapitres précédents sont riches. Sans doute faut-il voir là le fait que les études relatives à ces apprentissages sont rares. L’auteure elle-même insiste sur la nécessité de commencer par analyser les dispositifs de formation dans le domaine. La limite du propos tient notamment dans le plaidoyer, présent dès le titre de l’ouvrage, « pour une éducation à l’évaluation de l’information ». On ne parle pas d’apprentissages, d’enseignement, mais bien d’une « éducation à », un domaine particulièrement flou, dont la transversalité cache mal des projets très ponctuels, non systématiques, qui s’appuient sur des « bonnes volontés », autant de limites que l’auteure n’aborde pas. Il manque une observation des pratiques réelles, aussi la proposition de cette nouvelle « éducation à », sans mention de pratiques et dispositifs, peut laisser dubitatif. Une autre limite de cet ouvrage, un écrit scientifique, toujours dans le même chapitre, est de voir l’Éducation aux médias et à l’information (EMI) englober l’éducation aux médias, la maîtrise et les cultures de l’information, ainsi que la culture de l’informatique. Cela crée une confusion entre la Media and information literacy (MIL) et l’EMI telle qu’institutionnalisée en France : en effet, telle que définie dans les programmes en France, l’EMI n’intègre pas la culture informatique dans son entier, des enseignements spécifiques existent en Technologie et en Sciences numériques et technologie (SNT). De même la prise en mains de l’EMI en France par le CLEMI, sujet d’un anachronisme dans l’ouvrage, peut amener selon certains points de vue à minorer l’importance de la maîtrise de l’information dans son ensemble, dans les documents institutionnels. De ces problématiques françaises, il n’est nullement question dans l’ouvrage, ce qui ne contribue pas à la clarté du propos. Ainsi, alors que la revue de la littérature portant sur les recherches est intéressante, le mélange effectué entre domaines scientifiques et dispositifs politiques ou éducatifs peut poser problème. En outre, l’apport des professionnels est peu envisagé. Si par exemple est cité le référentiel de compétences de 1997 de la FADBEN, devenue APDEN, ainsi que les travaux du GRCDI (2010-2012), rien n’est dit des travaux qui ont donné lieu au Wikinotions Info-Doc (2010) ou à la proposition de curriculum info-documentaire (2013).

Ainsi, si l’ouvrage est riche en études scientifiques sur la lecture de l’information, sur la recherche et l’évaluation de l’information, avec des pistes intéressantes pour construire des séances et des progressions, les propositions plus politiques, elles, manquent sans doute de diversité, elles restreignent les possibles. L’engagement pour un dispositif spécifique, dans un ouvrage de ce type, de niveau universitaire, conduit à minorer d’autres voies ou à les ignorer. L’auteure fait la prouesse de ne citer qu’une fois les professeurs documentalistes, sans discuter de leurs apports ou de ce qu’on peut envisager pour l’avenir des apprentissages qu’ils peuvent mettre en œuvre. Quand des disciplines sont invoquées pour des expérimentations, le domaine de l’information-documentation n’apparaît pas, que ce soit seul ou même dans le cadre de dispositifs en collaboration. Et alors que des études citées montrent l’importance d’une expertise, une étude récente est mentionnée qui « montre la faisabilité d’un tel programme au sein des disciplines, sans bouleverser complètement la structure actuelle et sans demander des moyens très importants ». Après des réflexions pédagogiques, sur la nécessité d’un travail didactique, avec des pistes intéressantes pour avancer, ce sont des propositions « clé en main » qui sont faites, dans la voie typique des « éducations à ».

Malgré ses limites, compte tenu de la perspective politique que prend l’ouvrage, on peut cependant souhaiter que tout professeur documentaliste le lise, pour prendre connaissance des voies pédagogiques que l’auteure met en avant, études à l’appui : explicitation des démarches de recherche et d’évaluation, séances spécifiques sur la notion de pertinence, mise en place de processus d’évaluation relatifs à la crédibilité et la qualité de pages, avec identification et évaluation des auteurs, catégorisation des différents types de sites web, etc. Cette synthèse est aussi une promesse de nouvelles recherches, pour mieux encore mesurer les capacités d’apprentissage des élèves dans le domaine, et les méthodes les plus efficaces. Ces travaux et ces pistes valent-elles la création d’une nouvelle « éducation à » ? Rien n’est moins sûr.

 

Macedo-Rouet, Mônica. Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information. Caen : C&F Éditions, 2022. 244 p. Préface d’Alexandre Serres. 

 

Veille numérique 2023 N°1

Éducation

Jeu égalité femmes/hommes dans l’ESS

À destination des enseignants, L’ESPER (L’Économie Sociale Partenaire de l’École de la République) et l’Économie Sociale et Solidaire France ont élaboré un jeu de cartes vrai/faux sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’économie sociale et solidaire et, plus largement, dans le monde professionnel. Le jeu peut être utilisé pour lancer des débats entre élèves. Il existe quatre types de carte : constat, métier, transition, pouvoir. Les cartes sont librement téléchargeables (PDF) et imprimables.
https://lesper.fr/ressourcess/vrai-faux-egalite-femmes-hommes-dans-le-monde-professionnel-et-dans-less/

Le Dictionnaire Électronique des Synonymes du CRISCO

Le Centre de recherche inter-langues sur la signification en contexte a mis à jour son portail du dictionnaire des synonymes. En plus des synonymes proposés, le CRISCO donne la possibilité d’accéder à une définition très détaillée de l’unité lexicale en nous redirigeant vers le portail du CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales) qui comprend, entre autres, le TLFi (Trésor de la langue française informatisé). Le portail lexical du CNRTL propose aussi la synonymie, l’antonymie, la proxémie ou encore l’étymologie.
https://crisco4.unicaen.fr/des/

Tutoriels Canopé-Pix

Pix et le réseau Canopé ont conçu des tutoriels vidéo à destination des enseignants sur les compétences numériques. Quatre domaines sont abordés : 1/ Utiliser le numérique pour agir et se former dans son environnement professionnel ; 2/ Sélectionner, créer et gérer des ressources ; 3/ Concevoir, scénariser, mettre en œuvre et évaluer des situations d’enseignement-apprentissage ; 4/ Inclure et rendre accessible, différencier et engager les apprenants. Chaque vidéo dure environ 5 minutes.
https://tutos.pix.fr/edu/

Lecture numérique

L’édition passe au méta-livre

NBE éditions a publié le premier méta-livre en automne 2022 ! Ce livre, Cellule 381, disponible en librairie, comprend des parties de texte cryptées qui peuvent être débloquées en achetant des NFT créées par une Intelligence artificielle de la société Selas AI. La raison invoquée par l’éditeur, pour justifier ce choix, est que l’autrice, qui raconte son histoire d’escort girl, ne souhaitait pas que certaines parties de sa vie soient librement accessibles. Les tarifs des 39 NFT se situaient entre 0,06 ETH (72 €) et 0,3 ETH (360 €) depuis novembre 2022. P.-S. : ETH = cryptomonnaie Ethereum.

Base de données

Label culture libre

Wikimédia a lancé fin 2022 un label pour les institutions culturelles qui soutiennent la culture du libre. L’objectif est de valoriser les démarches collaboratives vers de l’open content (œuvre dont la diffusion et la modification sont libres) des musées, médiathèques et centres d’archives. Les partenaires de ce label sont Creative Commons, Club Innovation & Culture CLIC France et inno3. La création de ce label fait suite au rapport sur l’open content dans les institutions culturelles (Wikimédia France et agence Phare) et à l’évolution des usages des internautes.

Contre-archivage du patrimoine numérique

La reprise brutale du réseau social Twitter par un milliardaire pose la question de l’archivage des données des réseaux sociaux. En cas de faillite ou de rachat, les données peuvent disparaître. Les réseaux sociaux sont des sources primordiales pour comprendre une époque. En plus de l’archivage par les institutions (Library of Congress, Internet Archives), les chercheurs et archivistes proposent le contre-archivage décentralisé et collaboratif des médias sociaux.

Écologie

Flight tracking vs Elon Musk

Chantre de la liberté d’expression, selon des critères très personnels, Elon Musk a bloqué les comptes twitter automatisés qui géolocalisent les jets privés des milliardaires. @elonjet, le plus célèbre compte de flight tracking, créé par l’étudiant Jack Sweeney, a bien entendu été suspendu. Utilisé par les militants écologistes pour dénoncer la pollution aérienne, le flight tracking était, à l’origine, destiné aux passionnés d’aviation.

Carte Climate Trace GES

La carte interactive de Climate Trace géolocalise les plus gros émetteurs de CO2 de la planète. Ce groupement d’ONG et de chercheurs s’appuie sur les données publiques, 11 100 capteurs et 300 satellites, pour identifier et quantifier les émissions. En France métropolitaine, 359 activités polluantes ont été répertoriées et la palme du plus gros émetteur de gaz à effet de serre revient au Groupe ArcelorMittal. Il suffit de zoomer sur la carte pour identifier les pollueurs, puis de cliquer dessus pour consulter le détail.
https://climatetrace.org/map/

Réseaux sociaux

Twitter blue payant

Depuis février 2023, les usagers français de Twitter peuvent, en déboursant 9,60 € par mois, faire apparaître leurs tweets en priorité et réduire de 50 % le nombre de publicités sur leur compte. En sus, ils obtiennent le macaron bleu du Compte certifié comme les personnalités (VIP). À la suite des licenciements massifs d’Elon Musk, il semblerait que les comptes certifiés soient peu vérifiés, selon un journaliste du Washington Post.

#BookTok

Le phénomène Booktok rassemble les internautes qui évoquent et mettent en scène leurs lectures sur Tiktok, le réseau social en vogue chez les moins de 30 ans. Le mot-clé #BookTok agrège quotidiennement des milliers de nouvelles vidéos sur les livres. Les Maisons d’édition s’intéressent de plus en plus à ce moyen de communication, en accompagnant leurs auteurs sur ce réseau. La spontanéité et la créativité des utilisateurs va être remplacée par le marketing et la publicité des éditeurs pour augmenter leur chiffre d’affaires.

Technologie

ChatGPT vs Playground

Ces deux IA conversationnelles sont développées sur la base de l’outil GPT-3 de l’entreprise californienne OpenAI. Playground, lancé en 2019, a été le premier outil dévoilé par OpenAI (à cette époque, une association à but non lucratif). Playground est principalement destiné aux développeurs ou férus d’IA alors que ChatGPT, lancé en 2022, s’adresse au grand public. ChatGPT est programmé pour s’en tenir aux faits ou à des histoires inventées très “encadrées” afin d’éviter les dérives (biais et tabous) alors que Playground est paramétrable et prend en compte le fantastique, voire l’impossible, si on le lui demande. https://platform.openai.com/

ChatGPT vs Playground (texte écrit par Playground)

“Les deux outils sont des outils utiles pour les développeurs et les utilisateurs, mais ils ne sont pas identiques.
ChatGPT est un outil de conversation qui permet aux développeurs de créer des bots conversationnels et de les mettre en production. Il est basé sur l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique, il permet donc aux développeurs de créer des bots qui peuvent s’adapter à différentes situations.
Playground est un outil de développement basé sur le web qui permet aux développeurs de tester leurs bots. Il permet aux développeurs de tester leurs bots avant de les déployer en production. Il est conçu pour fournir un environnement simple et intuitif pour les développeurs afin qu’ils puissent créer et tester facilement leurs bots.”

ChatGPT vs Playground (texte écrit par ChatGPT)

“ChatGPT et OpenAI Playground sont tous deux des produits développés par OpenAI, mais ils servent des buts différents.
ChatGPT est un modèle de langage qui utilise des techniques avancées d’apprentissage automatique pour générer des réponses de texte similaires à celles d’un humain. Il peut répondre à des questions, générer de la création littéraire et même converser avec les utilisateurs de manière naturelle et engageante.
OpenAI Playground, d’un autre côté, est une interface interactive qui permet aux développeurs et aux chercheurs d’expérimenter et de peaufiner divers modèles IA développés par OpenAI, y compris ChatGPT. Il fournit une plate-forme pour que les utilisateurs exécutent et testent des modèles, modifient le code et visualisent les résultats de leur expérimentation.
Ainsi, tandis que ChatGPT est un modèle de langage qui génère des réponses de texte, OpenAI Playground est un outil qui permet aux utilisateurs d’expérimenter et de peaufiner des modèles IA tels que ChatGPT.”


No future

Sped up sur TikTok

Rendez-vous sur le hasthag #spedup (plus de 10 milliards de vues !) pour découvrir la dernière mode musicale du réseau social TikTok. Sur une vidéo banale, de nombreuses chansons des années 2000 ou du siècle dernier sont remixées en accéléré au point qu’elles sont méconnaissables. Il existe aussi le mode ralenti lowed + reverb, un peu moins populaire. Apparemment, ce phénomène commence à intéresser l’industrie de la musique qui ressort elle-même des versions sped up.

Licenciement en masse dans la tech

Les GAFAM, les sociétés de jeux vidéo, les réseaux sociaux prévoient de licencier en masse du personnel. Les chiffres annoncés donnent le vertige : 12 000 chez Google, 10 000 chez Microsoft, 18 000 chez Amazon, 11 000 chez Méta, 3750 chez Twitter, Tencent…
Ces annonces ont fait bondir les actions en bourse de ces géants. À toute chose malheur est bon !

Notules de la veille numérique

Dans un futur proche, les notules seront écrites par ChatGPT ou une autre IA encore plus performante !