Lire autrement, lire encore ?

En quelques années, le numérique a profondément transformé notre rapport au livre et à la lecture. Tablettes, smartphones, liseuses, ordinateurs : les écrans sont partout et l’écrit n’a jamais été aussi accessible. Du roman classique au dernier essai, du webtoon aux fanfictions, des articles scientifiques aux livres audio, les formats, supports et genres se sont multipliés, fragmentés, recomposés. Et avec eux, nos habitudes de lecture, nos rythmes, nos postures, nos environnements. Ce dossier intitulé Lectures numériques (au pluriel) assume pleinement cette diversité.
Car s’il y a un point commun entre toutes les contributions ici rassemblées, c’est bien la volonté de ne pas réduire la lecture numérique à une simple transposition du papier vers l’écran. Lire sur une tablette n’est pas seulement « lire autrement » : c’est lire dans un autre écosystème technique, social, cognitif. C’est accéder à des contenus que le papier ne propose pas toujours et parfois, redécouvrir le plaisir de lire autrement…

Le numérique sauvera-t-il la lecture chez les jeunes ?

C’est la question ouverte par Anne Jonchery et Sylvie Octobre en introduction. Elles nous invitent à sortir des constats alarmistes pour mieux comprendre comment les jeunes lisent aujourd’hui, à la lumière de leurs pratiques numériques. Car non, ils n’ont pas cessé de lire ; ils lisent différemment, ailleurs, autrement. Et cette lecture, souvent fragmentaire, parfois multimodale, mérite d’être reconnue et analysée.

Quand l’écran fait li(v)re

Manon Ortin explore cette mutation dans un article riche d’exemples concrets. Entre eBooks, stories, webtoons ou romans interactifs, les formats se diversifient, avec des impacts profonds sur les modes de consommation, la posture cognitive, la temporalité de la lecture. Ce n’est plus seulement l’œuvre qui change : c’est le lecteur lui-même, sa manière d’entrer dans le texte, de le parcourir, de l’interpréter. Il n’y a pas une lecture numérique, mais bien des lectures numériques, aux seuils poreux, parfois hybrides.
Le numérique est aussi un levier d’inclusion et d’accompagnement. Yade George et Valérie Poties en font la démonstration à travers une expérience menée en collège avec des liseuses pour aider à l’amélioration des compétences en langue étrangère. La portabilité, les outils d’annotation, la possibilité d’adapter la police ou la mise en page font de la lecture numérique un appui pédagogique précieux.

Quand l’audio rend lecteur

Dans la même logique d’accessibilité, les articles de Claire Bauda et Catherine Arnaud mettent en lumière le potentiel du livre audio. Loin d’être une « sous-lecture », l’audio engage l’imaginaire, développe des compétences de compréhension et d’écoute, et peut rendre la lecture possible à celles et ceux qui en sont éloignés, pour des raisons cognitives, culturelles ou scolaires. Intégrer le livre audio dans les CDI, c’est offrir une autre porte d’entrée dans l’univers du texte.

Lecture 4.0 avec l’intelligence artificielle

Enfin, ce dossier se clôt sur deux contributions autour d’un sujet émergent : la lecture à l’ère de l’intelligence artificielle. L’équipe de l’Université de Lille (Falc, Grodzki, Begaud) propose une enquête sociologique sur les usages de l’IA par les lecteurs universitaires. Quelles aides au repérage d’informations ? Quels nouveaux outils de recommandation ? Quels risques d’automatisation de la pensée critique ?
Cécile Heckel, quant à elle, interroge les potentialités pédagogiques de l’IA pour renouveler les pratiques de lecture et d’écriture dans les CDI. Dans un contexte de mutations rapides, l’enjeu est moins de suivre une mode que de penser avec exigence les médiations numériques possibles, dans un cadre éthique et éducatif.

Pluralité, complexité… et responsabilité

Ce dossier n’offre pas une réponse tranchée, ni un plaidoyer inconditionnel pour la lecture numérique. Il donne à voir une réalité composite, parfois contrastée, toujours en mouvement. Il invite à sortir des oppositions stériles entre papier, écran et audio, pour mieux penser les continuités et les ruptures. Car l’important n’est pas tant le support que le lecteur. Et si la lecture numérique peut permettre de renouer avec les mots, alors elle a toute sa place dans le paysage éducatif et culturel.
Enfin, cette transition numérique a un coût : lire sur écran, c’est aussi consommer de l’énergie, des ressources matérielles, des serveurs, des terminaux, souvent conçus dans des conditions sociales et écologiques discutables. Face à cela, la sobriété numérique, la mutualisation des ressources, la formation à des usages conscients doivent être au cœur de nos pratiques professionnelles afin que lire demain respecte la planète.
Lectures numériques, lectures plurielles : ce dossier vous invite à explorer ces nouveaux territoires avec curiosité, prudence, et enthousiasme critique.

 

Ça Pass’ ou ça casse !

Nous avons tous été sidérés fin janvier dernier par le gel unilatéral, brutal et inattendu de la part collective du Pass Culture et par la débandade qui s’est ensuivie : communication imprécise de dernière minute de la part des DAAC, saturation de la plate-forme Adage, sauve-qui-peut des projets culturels avec des arbitrages impossibles dans les établissements, mise en danger de certains partenaires culturels. Comment imaginer que le budget du Pass Culture collectif ait été volontairement sous-évalué, misant sur le non-engagement des enseignants dans ce dispositif ? Alors même que les collectivités territoriales se désinvestissent massivement des budgets et subventions culturelles allouées aux établissements, comment imaginer que le robinet du financement Pass Culture, seule planche de salut pour monter des projets, soit subitement fermé, sans préavis, sans concertation, sans explication ? Comment imaginer un tel déni du travail engagé par tous les référents culture et tous les enseignants, que l’on piétine au nom des coupes budgétaires, ou pire, de l’impréparation du budget ? Le Ministère déclare donner entre 20 et 30 € par élève mais en réalité, il ne les a pas… Un tel manque de respect envers la communauté éducative et envers tous les élèves lésés par ces bricolages financiers est tout simplement insupportable et porte un coup au moral, à la motivation et à l’investissement – pas financier non ! mais bien humain – dans la mise en œuvre de l’ouverture culturelle, pourtant plus que jamais nécessaire aux élèves. Selon « l’adage » du Ministère, l’objectif reste toujours de « garantir à chaque élève, quel que soit son milieu d’origine, un accès équitable à la culture », paroles vaines lorsque l’on scie la branche sur laquelle on est assis…

Semons donc la culture de toutes nos forces ! Culture de l’information et de la donnée d’abord, puisque ce numéro tisse les liens d’une EMI ancrée dans la littératie numérique, que ce soit à travers l’article d’Olivier Le Deuff sur les enjeux de l’Open Source Intelligence (OSINT), méthode d’investigation, d’enquête et de repérage d’indices en ligne, inspirante pour les compétences à développer en littératie numérique, ou encore à travers l’article d’Ugo Verdi, Camille Capelle et Anne Lehmans, sur les enjeux info-documentaires de la littératie des données. En écho à la référence à Suzanne Briet et à sa théorie du document, citée par Le Deuff, nous vous proposons également une présentation de la réédition numérique, à l’initiative d’Arthur Perret, de l’essai Qu’est-ce que la documentation ? de cette même autrice.

Semons aussi les cultures du jeu et de l’autonomie telles que décrites par Mélody Bruccoleri Audiber, dans le cadre de la constitution d’une ludothèque, organisée et animée par des élèves de sections professionnelles en une démarche de projet menée d’un bout à l’autre. Autonomie, confiance en soi, autant d’objectifs également mobilisés dans la construction de l’environnement personnel d’apprentissage, dont nous proposons ici une synthèse dans une fiche pratique à destination des enseignants. Ces graines de culture semées auprès des élèves pour développer leur autonomie et leur capacité d’agir se transforment en forêts littéraires que l’on retrouve dans le domaine de la fiction avec le thèmalire ressourçant et poétique sur les arbres de Delphine Laurent.

Alors, semons la culture, celle de l’information mais aussi celle de l’engagement, partout autour de nous, avec Pass’-ion !

 

Enjeux de diversité en bibliothèque

Diversité des modalités d’accueil en bibliothèque et complexité de ses enjeux sont au centre de ce nouveau numéro d’InterCDI.

Diversité de l’accueil en CDI, permettant à chacun d’y trouver sa place : un « geste professionnel » à envisager dans ses différentes dimensions : humaine, pédagogique mais aussi numérique, insiste Bernard Heizmann ; l’auteur plaide pour un « accueil augmenté », à mettre en œuvre avec souplesse, en termes d’interactions et de droits plutôt que d’interdictions.

Diversité des ressources à un moment où les bibliothèques, confrontées aux défis des transitions numérique et écologique, sont appelées à devenir plus vertueuses : la recherche en cours d’Aude Inaudi sur les impacts environnementaux du numérique sur la chaîne du livre pose des questions intéressantes. Développer les collections numériques au détriment des fonds physiques n’ouvre pas forcément au bien commun. Les premiers résultats de l’étude invitent à ne pas s’en tenir à un seul chiffre, « si faible soit-il », pour évaluer le coût écologique du numérique, mais à prendre en compte les coûts masqués, alors que les équilibres existants sont bousculés (perte de patrimoine, fonds documentaires de moins en moins pérennes, fermeture de bibliothèques…).

Diversité des médiations autour du livre pour répondre aux besoins et attentes des usagers qui sont pluriels : Hélio Pajeú, dans un regard croisé sur les bibliothèques de Recife et de Paris, se centre sur la part des médiations artistiques et culturelles dans la formation des usagers-lecteurs. Dans la ligne du chercheur brésilien Paulo Freire, il défend l’idée d’une bibliothèque dialogique et participative : centre culturel promouvant imagination et créativité, et lieu de débats stimulant le sens de la communauté et permettant à chacun de se sentir valorisé dans sa singularité et sa différence. Les domaines de l’art, de la langue et de la culture sont fondamentalement imprégnés, selon lui, des principes d’inclusion et de démocratisation.

Prolongeant la réflexion pour les domaines de l’art et de la culture, la créativité et la diversité sont au cœur des autres rubriques de ce numéro, suivant ces mêmes principes. À l’exemple de la fiche pratique de Manon Saint-Pol, « IA et Instadéfi », qui traite de la génération d’image dans le cadre d’un défi littéraire (opportunités, dangers, enjeux) ; ou de l’ouverture culturelle signée Corinne Paris qui fait un focus sur le Mucem à Marseille, consacré tout entier aux cultures méditerranéennes (leur diversité, leurs dynamiques), avec l’ambition affichée d’être un haut lieu du dialogue interculturel ; ou encore du thèmalire sur le thème du « secret » en littérature jeunesse, un objet polymorphe décliné sur différents modes par Anne-Valérie Mille-Franc (secret des autres, secret intime, secret d’Histoire avec un grand H).

La diversité, une richesse pour les CDI.

Lire au 21e siècle

Que ce soient les professionnels de l’information-documentation, de l’enseignement ou encore des métiers du livre, chacun cherche à faire lire les plus jeunes, en s’adaptant aux nouvelles pratiques issues de la société du numérique, en les étudiant, ou en s’ouvrant à de nouveaux genres. Lire sur tous les sujets, sur tous les supports, pour se cultiver, pour développer son imagination, pour réfléchir mais également pour être capable de sélectionner, évaluer et utiliser les informations glanées sur le vaste web.

Agnès Deyzieux revient ainsi sur le Webtoon, bande dessinée coréenne, nativement numérique, destinée à être lue sur ordinateur et sur smartphone. Elle s’interroge sur les motivations financières, culturelles, sur les procédés utilisés par les nombreux éditeurs français qui adaptent ces BD en version papier : s’agit-il d’un simple phénomène de mode ou de nouvelles politiques éditoriales visant à conquérir des publics alternatifs ou encore à découvrir de nouveaux talents ? Cela augure-t-il de nouvelles pratiques de lecture durables ? Voici quelques-unes des questions qui sont posées.

Dans son gros plan, Manon Lefebvre nous recommande vivement la lecture des ouvrages de Cassandra O’Donnell, ancienne journaliste devenue autrice de romans, fantastiques pour l’essentiel. Une romancière qui sait s’adapter à tout type de lecteurs, dont les adolescents, en abordant des sujets qui les touchent : harcèlement, homosexualité, tolérance. Une autrice qui, de surcroît, fait preuve d’une grande accessibilité et qu’il est très facile d’inviter pour une rencontre avec les élèves.

Quant à Perrine Chambaud, elle réhabilite la littérature sentimentale dans un Thèmalire autour de la romance, plus particulièrement la new romance dont elle rappelle l’importance pour le monde éditorial (en matière de ventes, notamment) et la diversité dans les thématiques abordées. Un genre dont les qualités d’écriture ne cessent de s’améliorer, ce qui permet désormais aux professeurs documentalistes d’intégrer à leur fonds ce type d’ouvrage (en dehors de la Dark romance) qui constitue un moyen certain de développer le goût de lire chez les plus jeunes.

Autour de l’exemple de la plateforme numérique Gallica (BnF), Antoine Henry analyse comment les grandes bibliothèques nationales, confrontées à l’augmentation exponentielle des documents, numériques en particulier, intègrent l’IA dans leurs pratiques. Quelles en sont les conséquences sur le plan financier, mais également en termes d’évolution des métiers et des usages. Il rappelle que, si ces outils peuvent, entre autres, permettre une meilleure accessibilité des collections, ils supposent aussi le développement de collaborations interbibliothèques, une dimension éthique et l’apprentissage renforcé de compétences en littératie informationnelle, dans leur dimension critique, tout particulièrement.

Enfin, Florie Delacroix propose une fiche pratique clé en main dédiée à la plateforme Adage et au pass Culture. Cette fiche s’adresse à tous mais elle sera très utile aux professeurs documentalistes exerçant très fréquemment la mission de référent culture et ne pourra que valoriser leur rôle essentiel dans l’ouverture à de nouvelles pratiques de lecture, en suscitant, par exemple, des rencontres avec des auteurs venus de tous les horizons artistiques.

Un numéro riche qui rend compte de la diversité de nos pratiques. Bonne lecture !

Bande dessinée à tous les étages !

Avant sa fermeture pour travaux courant 2025, le Centre Pompidou met à l’honneur le neuvième art en exposant les œuvres de cent-trente artistes du 29 mai au 4 novembre 2024 : une consécration pour cet art majeur. C’est l’occasion de découvrir de remarquables expositions telles que Bande dessinée, 1964-2024, La bande dessinée au musée ou encore Corto Maltese, une vie romanesque. Autre indice, parmi tant d’autres, qui montre que la bande dessinée est devenue un art incontournable mais aussi un objet d’enseignement, Benoît Peeters, illustre scénariste des Cités obscures et spécialiste reconnu de la bande dessinée, a été nommé titulaire de la chaire de création artistique au Collège de France, en 2022.

Voilà un signal fort pour le monde éducatif, notamment pour les professeurs documentalistes qui, depuis de nombreuses années, s’investissent avec les collègues d’autres disciplines dans des projets tels que le Fauve des lycéens, le Prix lycéen social’BD, par la mise en place d’ateliers sur la BD, l’invitation d’illustrateurs ou encore de scénaristes. Cet intérêt prononcé des professeurs documentalistes est également visible à travers leur attention particulière à constituer un fonds pointu et adapté aux élèves, mis en valeur par un aménagement remanié et une signalétique revisitée.

Ainsi, dans ce numéro, trois articles se penchent sur le neuvième art.
Le Thèmalire de Corinne Paris fait le point sur les classiques adaptés en bandes dessinées qui complètent désormais les classiques du rayon des romans. Cet engouement pour l’adaptation en BD s’étend d’ailleurs aux romans contemporains et aux essais, tel Une farouche liberté de Gisèle Halimi et Annick Cojean.
L’ouverture culturelle de Jean-Marc David rend hommage à Franquin, maître de la bande dessinée, à l’occasion de la célébration du centenaire de sa naissance. L’humour, sous toutes ses facettes, est au programme avec, entre autres, Idées noires mais aussi avec une playlist concoctée par Jean-Marc David et non pas par Bernard Lavilliers.
Sybil Nile s’intéresse, quant à elle, à la bande dessinée numérique, un médium de plus en plus apprécié par les adolescents avec la diffusion des webtoons et des scantrads, très souvent initiés par les communautés de fans. L’autrice nous présente ainsi une utilisation pédagogique des pratiques de fans via une séquence sur La Ferme des animaux.

En attendant InterCDI en BD, n’hésitez pas à consulter les nombreuses critiques de bandes dessinées des chroniqueurs du Cahier des livres.

Bonne lecture.

 

 

 

Le professeur documentaliste, au cœur de l’inclusion

« Pour une école inclusive », tel est le slogan brandi depuis 2019 qui figure en titre de la circulaire n° 2019-088 du 5-6-2019. L’École inclusive se réduit-elle à un effet d’annonce ou à de beaux discours ? Qu’en est-il réellement sur le terrain de l’établissement scolaire ? Car il ne suffit pas de décréter l’inclusion pour parvenir à la réaliser. Supporter le rapport au handicap et à la différence n’est pas chose aisée pour tous les enseignants. Entre la culpabilité de ne pas réussir à mettre en œuvre le projet d’une école inclusive et l’objectif de ne laisser personne au bord de chemin, l’équilibre est parfois difficile à trouver.

L’élève « différent » peut parfois provoquer de l’appréhension mais comment répondre à ses besoins et l’accompagner au mieux ? Se pose souvent la question du temps et des moyens techniques et financiers qui freinent la mise en œuvre de l’inclusion et font oublier l’objectif central : le développement du vivre ensemble, la transmission d’une culture de l’égalité par l’innovation pédagogique et la créativité ainsi que l’envie d’accompagner tous les élèves.

Quel est le rôle du professeur documentaliste dans la mise en œuvre du projet d’une école inclusive ? Comment faire du CDI un lieu d’inclusion de tous les élèves ?

« Penser le CDI inclusif » suppose, pour le professeur documentaliste, de mobiliser toutes ses missions. Dans ce dossier, nous commencerons par analyser la politique institutionnelle sur l’inclusion à partir de regards croisés et critiques de chercheurs et d’acteurs institutionnels. « École inclusive », « éducation inclusive », « intégration », « parcours inclusif » : la circulation de nombreux termes et expressions qui évoquent le rapport de l’école à l’inclusion et ses enjeux invite également, dès l’ouverture du dossier, à une clarification terminologique et théorique.

« Penser le CDI inclusif » nous amènera ensuite à privilégier trois entrées spécifiques :

Celle de l’accessibilité au fonds et aux ressources. Comment le professeur documentaliste parvient-il à réorganiser les espaces documentaires du CDI pour favoriser l’inclusion de tous les élèves ? Telle est la question posée par les auteurs de la deuxième partie du dossier. En effet, repenser l’accessibilité du fonds et adapter l’accueil des usagers sont autant de sujets qui seront abordés dans la deuxième partie du dossier. Un focus sur un exemple de réaménagement des espaces documentaires du CDI d’un EREA permettra de mieux comprendre les besoins spécifiques des publics.

Celle de la lecture en tant que facteur d’inclusion. Les projets littéraires, vecteurs de dynamisme collectif, sont un levier pour la réussite de tous les élèves. L’accès à l’information et au contenu du fonds documentaire est une source d’inclusion en particulier pour les communautés LGBT+.

Celle de la pédagogie. À partir d’exemples concrets, nous verrons enfin qu’une pédagogie inclusive au service des apprentissages est possible. Une pédagogie documentaire fondée sur l’information-documentation et sur la mise en œuvre de projets artistiques et culturels, sur le travail de l’oral, favorise la mobilisation et l’initiative de tous les acteurs de l’établissement scolaire comme un gage d’inclusion de tous les élèves.

Les onze articles qui composent ce dossier témoignent d’une dynamique inclusive au sein des établissements scolaires qui invite les enseignants à se réinventer et la communauté éducative à faire preuve de tolérance et d’acceptation de l’autre à l’heure où l’actualité nous impose de réfléchir à la question du vivre ensemble et de l’égalité de tous.

Du CDI inclusif à la société inclusive, il n’y a qu’un pas… à nous de le franchir.

Donner sa voie à l’information

Alors que l’épreuve du Grand Oral voit sa forme remaniée pour les épreuves de juin 2024 (la partie de l’entretien sur l’orientation est supprimée), nous vous donnons à entendre dans ce numéro les pratiques informationnelles des élèves écoutés lors de nos expériences en tant que jury de cette épreuve. Indéniablement, celles-ci existent mais force est de constater que les élèves peinent à les formuler de manière organisée et méthodique. Par ailleurs, l’idée même de source semble se diluer de plus en plus lors du recueil d’informations sur le Web et le recours aux sources papier devient parfois le gadget qui «fait bien» devant les examinateurs. En parallèle, dans nos CDI de lycée, on voit surtout des doigts qui swipent et qui scrollent, plutôt que des mains qui feuillettent. Une page est peut-être en train de se tourner, qui verra au CDI l’usage du livre surtout dédié à la lecture plaisir et moins à la recherche d’informations. Loin des discours déclinistes ou alarmistes, il faut toutefois garder en tête que la recherche d’informations et la lecture sur smartphone sont toujours des pratiques de recherche et de lecture, quel que soit le support utilisé, papier ou numérique.

Notre rôle est justement d’accompagner cette transformation des pratiques informationnelles et de faire prendre conscience aux élèves que le Dieu Google et la Déesse IA – qu’évoque Philippe Chavernac, dans sa note de lecture sur l’essai d’Axel Cypel, Au cœur de l’intelligence artificielle – ne sont que des outils parmi d’autres, à considérer comme tels. Apprendre à dompter la folie des notifications et des stimuli dopants, savoir évaluer la fiabilité des sources consultées, recréer une hiérarchie dans les contenus, être capable de citer ses sources à l’écrit et à l’oral : notre rôle pédagogique est plus que jamais nécessaire et engagé dans ces nouvelles pratiques informationnelles.

Cet accompagnement s’incarne également dans la mise en œuvre d’un espace documentaire dans lequel il est facile pour les élèves de se repérer, comme le souligne Corinne Paris dans son article sur l’élaboration d’une signalétique signifiante et claire, pouvant utiliser les méthodes du design thinking. Il en est de même dans la fiche pratique rédigée par Lucile Sire, puisque la rédaction du bilan d’activités du CDI permet chaque année de dégager des axes de travail pour l’année suivante et de réfléchir sur nos pratiques professionnelles afin de les orienter au plus près des besoins informationnels des élèves.

Aux nouvelles pratiques informationnelles font également écho les nouvelles pratiques de lecture plaisir, mises à l’honneur sur des réseaux sociaux numériques comme TikTok, que Perrine Chambaud détaille à travers un genre éditorial en plein essor chez les adolescents : la new romance.

Enfin, le zoom sur la maison de Jean-Jacques Rousseau rédigé par Jean-Marc David rappelle à bon escient que « Rousseau est un des premiers penseurs qui remet en cause l’idée que l’être humain, dès sa naissance, peut être mauvais : pour lui, l’enfant naît naturellement bon ». Gardons cela en tête pour guider au mieux les adolescents de nos établissements dans leurs pratiques informationnelles quelles qu’elles soient.

Démarche créative et expérience(s) du monde

Démarche créative, expérience(s) du monde, ouverture à la diversité sont au cœur de ce nouveau numéro d’InterCDI.

Interroger les normes, les hiérarchies et à la suite le difficile à classer, c’est ce à quoi s’attache Olivier Le Deuff dans Monstres et documents. Il invite le lecteur à dépasser tout point de vue définitif, et à s’ouvrir à la diversité, choisissant pour sa part, sur le mode de la bifurcation, de centrer son propos sur les monstres. Ce qui engage sur des voies nouvelles, intéressantes à considérer quand il s’agit de classifications, ici documentaires. Le bien commun se fonde sur des principes de partage, non sur des similarités, insiste-t-il, élargissant la réflexion.

Construire sa pensée, bâtir et organiser des idées, en s’inspirant de démarches créatives, c’est ce que proposent Isabelle Hincapié-Jault et Véronique Gardair, toutes deux soucieuses d’impulser un apprentissage par le faire, au plus près des acteurs/usagers : déroulant, pour la première, une séquence de préparation à l’oral en classe de sciences de première, en appui sur le potentiel des cartes heuristiques ; suggérant, pour la seconde, la méthode design thinking, pour mûrir des projets de (ré)aménagement des espaces, selon une approche usagers.

S’ouvrir au monde, dans sa diversité, rester attentif aux mouvements des idées, oriente vers une pluralité d’initiatives et d’expériences, étendant l’horizon des possibles, en jouant de différents registres. Avec le dispositif « La classe dehors » au centre des Rencontres Internationales de Poitiers (en mai-juin 2023), il s’agit de faire une place au sensible, ce dont rendent compte Antoine Henry et Kaltoum Mahmoudi, qui esquissent quelques propositions pour « un CDI dehors », faisant le lien entre nature et culture. Avec les projets inter-lycées d’envergure européenne dont Sophie Dremeau et Pietro De Cesare retracent les grandes lignes, c’est la dimension interculturelle qui est mise en avant, tout comme dans l’ouverture culturelle que Corinne Paris consacre au thème d’actualité « Sport et Jeux olympiques ». Avec la veille numérique enfin, signée Gabriel Giacomotto, ce sont les évolutions en cours dans le domaine de l’IA, notamment Chat GPT, qui sont interrogées et des ressources innovantes présentées, sources potentielles d’activités créatives.

Bonne lecture à toutes et tous

Demain les IA génératives

Novembre 2022, ChatGPT, l’intelligence artificielle conversationnelle de l’entreprise américaine OpenAI conquiert la planète web en répondant instantanément à toute question des internautes de façon directe, synthétique et ordonnée. Cette IA s‘appuie sur un corpus textuel déterminé entièrement constitué de données issues du web mais non connecté à celui-ci en temps réel. Néanmoins, depuis 2019, la plateforme payante Playground d’OpenAI permettait déjà aux développeurs et à tout internaute féru d’algorithmes de tester les différentes versions de Cha­tGPT, grâce à de multiples réglages, et de générer du texte ou du code afin de les intégrer dans des applications. En 2023, tout s’accélère, avec le développement de versions toujours plus performantes, dont ­ChatGPT 4 (version payante), qui, grâce à l’un de ses plugins, peut désormais chercher des informations sur le web (actualité, sources, etc.). En mars 2023, OpenAI s’associe avec Microsoft qui intègre ChatGPT 4 au moteur de recherche Bing (application Copilot), rendant cette version accessible gratuitement au grand public. Enfin, en décembre 2023, OpenAI signe le premier accord de partenariat avec un important groupe de presse européen, Axel Springer, offrant ainsi l’accès à une base de données d’articles aux utilisateurs de ChatGPT 4.
La concurrence n’est pas en reste. Une course mondiale est engagée, de nombreuses autres IA conversationnelles performantes sont développées, parmi lesquelles on peut citer : Mistral AI (France), Perplexity AI (USA), Meta AI de Facebook (USA), Ernie Bot de Baidu (Chine) et, particulièrement, Bard de Google, sortie en 2023, dont la version multimodale1, Gemini, prétend rivaliser avec ChatGPT 4.
Les IA génératives2, dont font partie les IA conversationnelles, évoluent donc constamment et proposent également la création d’image à partir d’un texte (DALL.E d’OpenAI, Bing créateur d’image de Microsoft, Text to image de Canva, Midjourney avec Discord) ou la transcription vocale (Speech-to-Text de Google, Whisper d’OpenAI…). Elles se diversifient avec l’émergence d’autres options telles que la génération de vidéo, de musique, de traduction vocale, de diaporama à partir d’un prompt3. Il est également possible de faire une traduction vocale en langue étrangère d’un audio ou d’une vidéo (HeyGen). Une tendance vers les intelligences artificielles génératives multimodales semble donc se dessiner. Dans un avenir très proche, les IA génératives feront probablement partie de notre quotidien, exécutant de nombreuses tâches basiques ou complexes.

Face aux enjeux sociétaux liés au déploiement et à l’utilisation de ces nouvelles technologies, notamment les multiples plaintes en violation des droits d’auteur, les atteintes à la protection des données personnelles (RGPD), la CNIL a publié le 16 mai 2023 « un plan d’action pour un déploiement de systèmes d’IA respectueux de la vie privée des individus ». En outre, le 9 décembre 2023, l’Union européenne est parvenue à un accord entre les différents États membres sur un texte qui encadre les intelligences artificielles, l’AI Act : « Ce règlement vise à garantir que les droits fondamentaux, la démocratie, l’État de droit et la durabilité environnementale sont protégés contre les risques liés à l’IA, tout en encourageant l’innovation […]. Les règles établissent des obligations relatives au niveau de risque et d’impact que l’IA peut générer. »

À la suite de l’annonce, par le ministre de l’Éducation nationale, de l’introduction de l’IA dans l’apprentissage du français et des mathématiques en seconde (application MIA), dès la rentrée 2024, il est urgent de réfléchir à l’usage de ces outils, comme le signale Manon Lefebvre, dans son article sur ChatGPT, en nous présentant son fonctionnement, ses limites, et en suggérant des pistes de réflexion, d’apprentissage et de production de contenus pédagogiques.

 

 

Image(s) de soi

Au moment où nous imprimons cette revue, nous apprenons avec effroi l’assassinat de notre collègue professeur de lettres, Monsieur Dominique Bernard. Toute la rédaction exprime sa peine et son soutien à sa famille dans ce moment particulièrement douloureux.

Dans un thèmalire particulièrement fouillé et documenté, Fanette Bianchi retrace l’évolution éditoriale des romans jeunesses centrés autour de la première relation sexuelle : depuis les débuts du genre dans lesquels la sexualité n’est mentionnée que de façon elliptique ou sous un angle préventif via ses conséquences, la plupart du temps dramatiques, jusqu’à nos jours où la première relation sexuelle et l’érotisme deviennent le thème central du roman avec un réel questionnement autour des sexualités, sans sombrer dans l’apologie des pratiques extrêmes. Une bonne introduction à l’éducation à la sexualité. À ce sujet, on lira avec attention l’ouverture culturelle de Yannick Denoix dans laquelle il ne manque pas de rappeler la grande liberté amoureuse et sexuelle de Colette, sans oublier ses multiples facettes artistiques et intellectuelles qu’il nous fait redécouvrir, à l’occasion des 150 ans de sa naissance.

Adeline Segui-Entraygues et Sybil Nile, dans un article consacré au selfie, reviennent sur son origine et sa proximité apparente avec l’autoportrait pour immédiatement élargir le champ en rappelant que le selfie constitue une forme de communication active à trois : émetteur, récepteur, contexte, qu’il est genré et qu’on ne peut limiter son interprétation au narcissisme de la génération des millenials. Elles plaident, exemples de séances à l’appui, pour une éducation aux usages numériques dispensée par les professeurs documentalistes qui permettrait aux élèves « de passer d’un statut d’objet ou de sujet de leur selfie à celui d’acteur ». Ceci afin de développer des pratiques d’information raisonnées : maîtriser son identité numérique, comprendre les multiples enjeux des réseaux sociaux, réfléchir à l’exposition et à la publication de soi. Agnès Deyzieux s’intéresse également à la question de la mise en image(s) de soi, de ses émotions en choisissant de rédiger un gros plan autour de Benoît Vidal, auteur de la BD Gaston en Normandie, lequel, pour raconter le débarquement en Normandie à travers les yeux de sa grand-mère, opte pour une forme tombée en désuétude mais réinventée par les éditions FLBLB : le roman photo.

Brigitte Réa analyse les évolutions catalographiques liées au développement d’internet, notamment la création de formats universels d’échange de données (UNIMARC), l’accès des usagers à la recherche sur des catalogues en ligne sans que pour autant les notices desdits catalogues soient accessibles via les moteurs de recherche type google et enfin, ultime étape, la transition bibliographique qui vise à adapter le catalogage à l’environnement Web afin de faciliter les recherches. Elle nous rappelle que ces évolutions sont déjà présentes sur nos portails avec, notamment, l’intégration de métadonnées issues de ressources numériques externes, celles de l’encyclopédie Wikipédia, par exemple, qui font d’ailleurs l’objet d’un focus dans la veille numérique de Gabriel Giacomotto. Enfin, Lucie Sire détaille dans une fiche pratique les étapes de la création d’un podcast, en passant par les partenaires et outils disponibles, les concours, les compétences travaillées, la réalisation et les droits. Elle conclut avec quelques exemples de podcasts bien choisis, notamment une série sur notre métier réalisée par deux professeures documentalistes : 621.3 Prof Doc sur Spotify, bonne écoute.