Novembre 2022, ChatGPT, l’intelligence artificielle conversationnelle de l’entreprise américaine OpenAI conquiert la planète web en répondant instantanément à toute question des internautes de façon directe, synthétique et ordonnée. Cette IA s‘appuie sur un corpus textuel déterminé entièrement constitué de données issues du web mais non connecté à celui-ci en temps réel. Néanmoins, depuis 2019, la plateforme payante Playground d’OpenAI permettait déjà aux développeurs et à tout internaute féru d’algorithmes de tester les différentes versions de ChatGPT, grâce à de multiples réglages, et de générer du texte ou du code afin de les intégrer dans des applications. En 2023, tout s’accélère, avec le développement de versions toujours plus performantes, dont ChatGPT 4 (version payante), qui, grâce à l’un de ses plugins, peut désormais chercher des informations sur le web (actualité, sources, etc.). En mars 2023, OpenAI s’associe avec Microsoft qui intègre ChatGPT 4 au moteur de recherche Bing (application Copilot), rendant cette version accessible gratuitement au grand public. Enfin, en décembre 2023, OpenAI signe le premier accord de partenariat avec un important groupe de presse européen, Axel Springer, offrant ainsi l’accès à une base de données d’articles aux utilisateurs de ChatGPT 4.
La concurrence n’est pas en reste. Une course mondiale est engagée, de nombreuses autres IA conversationnelles performantes sont développées, parmi lesquelles on peut citer : Mistral AI (France), Perplexity AI (USA), Meta AI de Facebook (USA), Ernie Bot de Baidu (Chine) et, particulièrement, Bard de Google, sortie en 2023, dont la version multimodale1, Gemini, prétend rivaliser avec ChatGPT 4.
Les IA génératives2, dont font partie les IA conversationnelles, évoluent donc constamment et proposent également la création d’image à partir d’un texte (DALL.E d’OpenAI, Bing créateur d’image de Microsoft, Text to image de Canva, Midjourney avec Discord) ou la transcription vocale (Speech-to-Text de Google, Whisper d’OpenAI…). Elles se diversifient avec l’émergence d’autres options telles que la génération de vidéo, de musique, de traduction vocale, de diaporama à partir d’un prompt3. Il est également possible de faire une traduction vocale en langue étrangère d’un audio ou d’une vidéo (HeyGen). Une tendance vers les intelligences artificielles génératives multimodales semble donc se dessiner. Dans un avenir très proche, les IA génératives feront probablement partie de notre quotidien, exécutant de nombreuses tâches basiques ou complexes.
Face aux enjeux sociétaux liés au déploiement et à l’utilisation de ces nouvelles technologies, notamment les multiples plaintes en violation des droits d’auteur, les atteintes à la protection des données personnelles (RGPD), la CNIL a publié le 16 mai 2023 « un plan d’action pour un déploiement de systèmes d’IA respectueux de la vie privée des individus ». En outre, le 9 décembre 2023, l’Union européenne est parvenue à un accord entre les différents États membres sur un texte qui encadre les intelligences artificielles, l’AI Act : « Ce règlement vise à garantir que les droits fondamentaux, la démocratie, l’État de droit et la durabilité environnementale sont protégés contre les risques liés à l’IA, tout en encourageant l’innovation […]. Les règles établissent des obligations relatives au niveau de risque et d’impact que l’IA peut générer. »
À la suite de l’annonce, par le ministre de l’Éducation nationale, de l’introduction de l’IA dans l’apprentissage du français et des mathématiques en seconde (application MIA), dès la rentrée 2024, il est urgent de réfléchir à l’usage de ces outils, comme le signale Manon Lefebvre, dans son article sur ChatGPT, en nous présentant son fonctionnement, ses limites, et en suggérant des pistes de réflexion, d’apprentissage et de production de contenus pédagogiques.
Handicap, illettrisme, décrochage scolaire, besoins éducatifs ou pédagogiques particuliers, illectronisme… Comment penser le CDI inclusif en faveur de la réussite de tous les élèves ?
En 2006, l’Unesco définit l’inclusion comme « […] une approche dynamique [permettant] de répondre positivement à la diversité des élèves et de considérer les différences entre les individus non comme des problèmes, mais comme des opportunités d’enrichir l’apprentissage1 ». Dans la même veine, le récent manifeste IFLA-UNESCO sur les bibliothèques publiques de 20222 insiste sur les liens qui existent entre information, éducation, participation citoyenne et inclusion. De par leurs missions-clés, les bibliothèques sont appelées à contribuer à la construction de sociétés plus humaines, équitables et durables. Ce qui nous conduit à réfléchir à la contribution des CDI et au rôle des professeurs documentalistes.
Pour ce numéro, sont attendues des propositions d’articles sur les problématiques suivantes :
– accueillir et repenser les espaces documentaires (signalétique, circulation…) pour répondre aux besoins de chacun.e ;
– viser l’inclusion (numérique, culturelle, sociale, scolaire) de tous les élèves ;
– favoriser l’accessibilité des collections, des ressources, des documents et de l’information en tenant compte des singularités ;
– développer des activités pédagogiques et didactiques qui visent l’acculturation informationnelle de tous les élèves, dans leur diversité, dans le cadre de l’information-documentation et/ou de l’ÉMI.
– encourager l’insertion professionnelle, la coopération et la solidarité à l’école dans un but inclusif ;
– œuvrer à l’inclusion scolaire des élèves migrants, réfugiés et/ou nomades, en situation de handicap, à besoins éducatifs particuliers, en difficultés (d’ordre physique, psychique, moral, socio-économique et culturel) ;
Pour penser ensemble le CDI inclusif, nous avons besoin de vos réflexions, de vos mises en œuvre pédagogiques et d’exemples précis.
À vos idées ! À vos articles !
Date limite d’envoi des propositions de contribution
31 mars 2024
Pour une préparation optimale du numéro,
n’hésitez pas à contacter la rédaction au plus tôt
Au moment où nous imprimons cette revue, nous apprenons avec effroi l’assassinat de notre collègue professeur de lettres, Monsieur Dominique Bernard. Toute la rédaction exprime sa peine et son soutien à sa famille dans ce moment particulièrement douloureux.
Dans un thèmalire particulièrement fouillé et documenté, Fanette Bianchi retrace l’évolution éditoriale des romans jeunesses centrés autour de la première relation sexuelle : depuis les débuts du genre dans lesquels la sexualité n’est mentionnée que de façon elliptique ou sous un angle préventif via ses conséquences, la plupart du temps dramatiques, jusqu’à nos jours où la première relation sexuelle et l’érotisme deviennent le thème central du roman avec un réel questionnement autour des sexualités, sans sombrer dans l’apologie des pratiques extrêmes. Une bonne introduction à l’éducation à la sexualité. À ce sujet, on lira avec attention l’ouverture culturelle de Yannick Denoix dans laquelle il ne manque pas de rappeler la grande liberté amoureuse et sexuelle de Colette, sans oublier ses multiples facettes artistiques et intellectuelles qu’il nous fait redécouvrir, à l’occasion des 150 ans de sa naissance.
Adeline Segui-Entraygues et Sybil Nile, dans un article consacré au selfie, reviennent sur son origine et sa proximité apparente avec l’autoportrait pour immédiatement élargir le champ en rappelant que le selfie constitue une forme de communication active à trois : émetteur, récepteur, contexte, qu’il est genré et qu’on ne peut limiter son interprétation au narcissisme de la génération des millenials. Elles plaident, exemples de séances à l’appui, pour une éducation aux usages numériques dispensée par les professeurs documentalistes qui permettrait aux élèves « de passer d’un statut d’objet ou de sujet de leur selfie à celui d’acteur ». Ceci afin de développer des pratiques d’information raisonnées : maîtriser son identité numérique, comprendre les multiples enjeux des réseaux sociaux, réfléchir à l’exposition et à la publication de soi. Agnès Deyzieux s’intéresse également à la question de la mise en image(s) de soi, de ses émotions en choisissant de rédiger un gros plan autour de Benoît Vidal, auteur de la BD Gaston en Normandie, lequel, pour raconter le débarquement en Normandie à travers les yeux de sa grand-mère, opte pour une forme tombée en désuétude mais réinventée par les éditions FLBLB : le roman photo.
Brigitte Réa analyse les évolutions catalographiques liées au développement d’internet, notamment la création de formats universels d’échange de données (UNIMARC), l’accès des usagers à la recherche sur des catalogues en ligne sans que pour autant les notices desdits catalogues soient accessibles via les moteurs de recherche type google et enfin, ultime étape, la transition bibliographique qui vise à adapter le catalogage à l’environnement Web afin de faciliter les recherches. Elle nous rappelle que ces évolutions sont déjà présentes sur nos portails avec, notamment, l’intégration de métadonnées issues de ressources numériques externes, celles de l’encyclopédie Wikipédia, par exemple, qui font d’ailleurs l’objet d’un focus dans la veille numérique de Gabriel Giacomotto. Enfin, Lucie Sire détaille dans une fiche pratique les étapes de la création d’un podcast, en passant par les partenaires et outils disponibles, les concours, les compétences travaillées, la réalisation et les droits. Elle conclut avec quelques exemples de podcasts bien choisis, notamment une série sur notre métier réalisée par deux professeures documentalistes : 621.3 Prof Doc sur Spotify, bonne écoute.
Peut-on considérer que les catalogues de bibliothèques sont des outils obsolètes et pourquoi ? Les formats de ces derniers ne seraient plus adaptés aux usages et aux formats actuels du Web, ce qui, par conséquent, laisse à entendre qu’il convient d’engager une évolution en adéquation. C’est ce défi que les deux grandes agences bibliographiques françaises, ABES , BnF, ont décidé de relever en créant un programme en 2014 dont l’objectif est de permettre l’ouverture, sur le Web, des données et notices d’autorité contenues dans les catalogues. Ce processus d’adaptation suppose une période de transition appelée « transition bibliographique ».
Le modèle actuel repose sur des fichiers qui présentent des fiches qui se succèdent et qui décrivent des entités matérielles en liste, fichiers de données bibliographiques juxtaposées, autorités et exemplaires. Il a donc été nécessaire de repenser le modèle existant afin de coller à celui du web sémantique ; il convient, à présent, d’aller vers des bases de données relationnelles ou orientées objet. Il est légitime de s’interroger sur toutes ces évolutions, y compris au sein des CDI en raison de l’intérêt, porté par les professeurs documentalistes, à la description des documents. De nouveaux enjeux professionnels concernant la description des objets du savoir sont donc essentiels à comprendre s’agissant d’éventuelles évolutions d’outils de gestion de nos catalogues ou relevant de la compréhension de la recherche dans les bases de données.
L’enjeu est double, il s’agit de réfléchir à un nouveau code de catalogage (RDA, Resource Description and Access) « afin de satisfaire au critère d’interopérabilité des données au cœur du web sémantique » (Raup, 2016)1 et à une adaptation des catalogues allant vers une inversion du système actuel, permettant ainsi de placer l’œuvre en tant que concept central (FRBR, Functional Requirements of Bibliographic Records-Spécifications fonctionnelles des notices bibliographiques).
Afin de mieux comprendre cette transition, nous devons, au préalable, revenir sur l’évolution des logiciels et portails documentaires et appréhender progressivement ce qui a permis l’engagement dans le processus.
Des catalogues vers le web de données
Pour rappel, un catalogue est un ensemble d’éléments constituant une collection. Les fonctions principales de ce dernier sont les description et localisation. Pour l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (ABES) et selon le vocabulaire de la documentation, un catalogue est une « liste ordonnée de notices d’objets ou de documents (notice bibliographique, notice catalographique) d’une collection permanente ou temporaire, réelle ou fictive, constituant un instrument de recherche (identification et localisation de documents) et de gestion pour les utilisateurs. Un catalogue peut être consultable sur différents supports : fiches papier, catalogues imprimés, microforme, banque de données informatisée quel que soit son accès. L’ordonnancement ou l’accès peut être : chronologique ; topographique (par ordre de classement sur les rayons ou de cote de rangement) ; systématique ou alphabétique par titre, par auteur (catalogue-auteurs) ou par matière (catalogue-matières, catalogue-sujets)2. »
Cette définition renvoie au fonctionnement de la plupart des catalogues dans lesquels les notices sont classées au sein de fichiers en silos. Les différents fichiers sont reliés entre eux mais néanmoins indépendants (fichiers auteurs ou éditeurs).
L’informatisation des fonds documentaires s’est faite dans le respect des fichiers papiers qui permettaient autrefois l’accès aux documents. Ces fichiers étaient et sont, toujours, organisés en collection grâce au fruit d’un travail de catalogage, afin de répondre à plusieurs objectifs :
• permettre l’accès aux usagers ;
• conserver les documents ;
• réaliser des outils donnant accès aux différentes caractéristiques des documents sans avoir à les consulter, soit le catalogue.
Le catalogue est donc le fruit d’un travail construit dans le respect de différentes normes, telle que, entre autres, la norme Z44-050 (avril 2005) pour le catalogage des monographies. Ce qui est à comprendre dans les réalisation et réflexion autour de cet outil, c’est cette nécessité à penser et à adopter des décisions communes au niveau international. En 1961, lors d’une conférence internationale de l’IFLA (Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques), « Les Principes de Paris3 » sont adoptés afin de définir une position commune s’agissant des règles de catalogage et des formats. Des normes et formats vont donc être mis en œuvre afin de permettre l’échange de notices et la constitution de catalogues informatisés. Le format MARC (Machine Readable Cataloguing) est créé en 1965 à la Bibliothèque du Congrès, l’objectif majeur étant l’amélioration des échanges entre bibliothèques. L’ISBD M (International Standard Bibliographic Description) voit le jour, en 1971, et ouvre la voie à de nouvelles pratiques de catalogage normalisées. À la suite de la multiplication des formats MARC nationaux, la création d’un format universel UNIMARC vise l’uniformisation des échanges entre les différents systèmes. L’adoption est donc internationale et contribue à faciliter la collaboration entre les bibliothèques qui cherchent à progressivement informatiser leurs collections. Aujourd’hui d’autres langages tels que les SGML (Standard Generalized Markup Language) ou XML (Extensible Markup Language) permettent l’échange de données.
En France, au milieu des années 80, la bibliothèque Sainte Geneviève expérimente un logiciel, « MOBICAT », « logiciel de saisie guidée et d’aide au catalogage sur micro-ordinateur. Il permet, à partir d’une saisie en conversationnel des données bibliographiques, l’édition de fiches catalographiques conformes aux normes en vigueur dans les bibliothèques et la production d’un support magnétique structuré suivant un format international de type MARC4. » Ce logiciel n’a pas vocation à permettre la recherche par les usagers mais à faciliter la saisie du catalogage.
L’arrivée du web va engager différentes évolutions, dans un premier temps l’accès au catalogue sera rendu possible, sur la toile, grâce à un OPAC puis à un portail. Les logiciels portails documentaires voient le jour et sont dotés d’un SIGB et d’un CMS, soit un système permettant la création et la gestion des notices et un site, à l’exemple de BCDI et ESIDOC. « On parle de système intégré de gestion de bibliothèques (SIGB) quand toutes les fonctionnalités de gestion et de recherche des documents sont assurées par l’informatique ; le SIGB propose en effet une gestion intégrée de l’ensemble des fonctionnalités, les acquisitions, le catalogue et la recherche documentaire, le prêt, les statistiques, le bulletinage, voire le dépouillement des périodiques – chaque fonction correspondant à un module5. »
Les systèmes documentaires se sont adaptés aux attentes des usagers en simplifiant leur interface de recherche documentaire et en intégrant des possibilités de collaboration. Néanmoins les catalogues ne sont pas ouverts sur le web, puisque non interrogeables par les différents moteurs. C’est la raison pour laquelle la transition bibliographique sera mise en œuvre. Cet engagement est précédé par une période (1992 à 1997) durant laquelle un travail mené par un groupe d’expert sera conduit sur les protocoles de catalogage et donnera lieu à une production de données FRBR. « Il s’agit d’une modélisation conceptuelle de l’information contenue dans les notices bibliographiques. Ce n’est ni une norme ni un format de catalogage. » (Paillard, 2014, màj 2015). L’objectif étant d’inverser le modèle, lors d’une recherche il est possible dans un catalogue de trouver plusieurs versions d’une même œuvre ainsi celles-ci n’apparaissent pas sous leur forme intellectuelle mais en liste. « Le modèle FRBR inverse cette approche : le contenu, l’œuvre devient le concept central. » (Paillard, Ibid.).
Comme précisé par Françoise Leresche et Vincent Boulet dans l’article RDA comme outil pour la transition bibliographique : la position française (2016), il s’agit de ménager une transition en douceur. Le principe des FRBR repose sur un modèle entités-relations. Les entités au sein de ce modèle sont
• Œuvre : œuvre individuelle de création intellectuelle (loi, programme informatique, donnée, texte juridique) ou artistique (textuelle, musicale, graphique, photographique, filmique, cartographique, en 3D), des compilations d’œuvres, des parties composantes d’œuvres ;
• Expression : réalisation d’une œuvre sous la forme d’une notation alphanumérique, musicale, chorégraphique, sonore, visuelle, objectale, etc. ;
• Manifestation : matérialisation / publication d’expression(s) d’oeuvre(s) ;
• Item : exemplaire isolé d’une manifestation en un ou plusieurs volumes. » (Raup, 2016).
Ce modèle est à présent obsolète et a été remplacé par le Library Reference Model – Modèle de Référence pour les Bibliothèque (LRM), « modèle conceptuel publié par l’IFLA en 2017, conçu pour être utilisé dans le web de données et promouvoir l’utilisation des données bibliographiques. Il remplace les trois modèles FRBR, FRAD et FRSAD qu’il fusionne en résolvant les incohérences qui existaient entre ces modèles développés séparément. Modèle générique, il permet des extensions selon une granularité plus ou moins fine de l’information bibliographique, selon les implémentations et les règles de catalogage6. » Les technologies du web sémantique sont reprises par l’adoption du langage et modèle de graphe destinés à décrire de façon formelle les ressources Web et leurs métadonnées. La grammaire du web sémantique repose sur la construction de triplets aboutissant à des ensembles, les graphes. Le triplet est la plus petite unité de données du graphe, il est composé d’un sujet, d’un prédicat et d’un objet.
Exemple ci-dessous avec le livre Couleurs de l’incendie écrit par Pierre Lemaître.
Le titre est sujet de plusieurs objets ; quant à l’auteur, il est objet et sujet. Plusieurs triplets sont donc présents dans ce schéma et représentent le début d’un graphe.
Figure 1 – Exemple de triplet et de relations entre les différents éléments / Brigitte Réa
À la suite de la construction de ce modèle dans lequel l’œuvre devient le concept central, la question qui s’est imposée portait sur le passage d’un monde de normalisation des notices à un autre adapté à la logique du Web, dans lequel les données sont structurées afin de les partager et prenant en compte le modèle FRBR (Leresche & Boulet, 2016).
Le RDA-FR sera donc adopté en France en tant que nouveau code à appliquer au sein des bibliothèques permettant ainsi d’établir des règles françaises de catalogage adaptées au contexte du Web. « Le code RDA-FR est la transposition française du code RDA (Resource Description and Access), code de catalogage anglo-saxon à vocation internationale paru en 2010 et révisé en 2019. Dans le cadre de l’Afnor, le groupe Normalisation « RDA en France » de la Transition bibliographique a été mandaté pour adapter le nouveau code de catalogage aux pratiques et aux spécificités françaises. RDA-FR remplace progressivement les normes Afnor. Il s’appuie sur le modèle IFLA LRM (Library Reference Model) et définit une nouvelle approche du catalogage adaptée à l’environnement actuel des bibliothèques, dominé par le web7. »
« Conçu pour faciliter la recherche d’informations sur une ressource documentaire dans le contexte des technologies du web, le nouveau code de catalogage RDA-FR vise à ce que la description bibliographique et sa structuration répondent mieux aux différentes tâches des utilisateurs en ligne (trouver, identifier, choisir, obtenir, naviguer)8. »
Ce nouveau code permet de cataloguer la manifestation (l’édition produite ou publiée) et de construire des relations avec l’œuvre et ses expressions.
Figure 2 – Exemple de catalogage dans le respect du code RDA-FR / Brigitte Réa
L’information bibliographique dans RDA respecte le modèle IFLA-LRM (évolution du modèle FRBR) et repose sur un réseau de relations comme indiqué dans le schéma ci-dessus. La publication par le Livre de Poche en 2019 est une manifestation de l’œuvre de Pierre Lemaître Couleurs de l’incendie dont plusieurs exemplaires (item) se trouvent dans différentes bibliothèques. « La relation de sujet (indexation matière ou Dewey) se fera uniquement au niveau de l’œuvre. Le catalogueur n’aura plus à « réinventer » une indexation déjà créée pour cette œuvre9. »
Cette évolution qui semble essentielle pour les deux grandes agences françaises est-elle néanmoins considérée comme importante, voire mise en œuvre dans le monde de la lecture publique ?
Dans les bibliothèques et CDI : quelles retombées pour les usagers ?
Dans un article écrit par Fabrice Papy (PU université de Lorraine) et Edwige Pierrot (ATER université Aix-Marseille) La « transition bibliographique » en France : à qui profite le changement ?, la question est posée. Les auteurs s’interrogent sur l’ensemble des changements inhérents à ce programme laissant supposer que « l’exposition des données sur le Web serait malaisée, voire impossible, hors FRBRisation des catalogues. Or, depuis 1997, bien des technologies Web et des procédés de traitement ont mûri et les initiatives conduites par l’OCLC et l’ABES sur ces bases montrent que la transcription de la structure et des données des catalogues vers le Web des données est possible depuis plusieurs années. Pourtant, les bibliothèques municipales, généralement attentives à leurs usagers et soucieuses d’améliorer leurs services, n’ont pas encore réussi à s’emparer de ces évolutions technologiques destinées à soutenir de probables usages numériques qui restent encore à identifier. » (Papy & Pierrot, 201810).
S’agissant donc des bibliothèques ou des CDI, il y a lieu de s’interroger sur l’impact que ces changements auront sur l’usager. Toujours pour ces mêmes auteurs,
« il ne s’agit pas ici de remettre en question ici la pertinence de la famille de modèles FRBR qui a fait l’objet, pendant et après sa finalisation de nombreuses publications qui, en leur temps, ont souligné ses avantages et ses limites en fonction de contextes d’utilisation précis. La FRBrisation pour l’amélioration des usages et l’exposition des données sur le Web constitue un prétexte acceptable que les deux agences bibliographiques françaises ont élaboré pour orienter une stratégie globale du changement dont elles bénéficieront directement en les consacrant comme intermédiaire et fournisseurs de services et de données complémentaires pour les catalogues FRBRisés des bibliothèques. » (Papy & Pierrot, 2018).
Une prise en compte des usagers comme des implications budgétaires est nécessaire, et ce, parce qu’il convient de favoriser des lieux dans lesquels les espaces sont à construire avec ceux qui les fréquentent.
Ainsi nous devons peut-être, en notre qualité de professeurs documentalistes, maintenir notre connaissance sur les outils de gestion dont nous faisons usage au quotidien mais également nous affranchir d’un certain nombre de contraintes qui viendraient perturber nos activités pédagogiques et de gestion. Pour toutes ces raisons, les éditeurs de nos outils de gestion assurent un travail garantissant une évolution allant dans le sens d’une amélioration des fonctionnalités pour tous les utilisateurs, usagers et professeurs documentalistes.
D’après l’enquête annuelle TOSCA de 2023 (98 % du marché et 110 logiciels pour bibliothèques), il n’y a « pas de nouvelle solution sur le marché, mais une amélioration de l’offre existante et une progression de l’open source, en attendant la transition bibliographique et les nouvelles normes de catalogage ».
« PMB Services va mettre PMB en conformité avec le Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA). Grâce à un financement participatif, le module de diffusion et sélection de l’information sera entièrement refondu avec la possibilité de traiter tant les contenus éditoriaux du portail que les notices issues du catalogue ou des contenus de veille documentaire. PMB Services indique engager par ailleurs une réflexion sur l’écoconception. Réseau Canopé Pôle solutions documentaires a amélioré l’ergonomie des interfaces publiques d’e-sidoc avec notamment l’implémentation de la police Marianne et la refonte des interfaces de recherches experte et avancée. Une nouvelle version mobile a également été livrée. Un nouveau workflow est proposé pour l’administration des avis de lecture rédigés par les utilisateurs du portail. E-sidoc héberge désormais les métadonnées des articles de Brief.science, des vidéos d’ARTE Campus et des livres numériques des plateformes de Scholarvox CDI (édité par Cyberlibris) comme de BiblioAccess (édité par Numilog). L’interopérabilité avec Pronote a connu de nouveaux développements. En 2023, e-sidoc hébergera les métadonnées de Mémodocnet, base référençant des sites ou des parties de site internet sélectionnés sur la base de critères tels que la complémentarité avec les programmes scolaires, l’adéquation avec les sujets de recherche des élèves ou les compétences de lecteur requises pour une exploitation en autonomie par les élèves. Le support des fonctions de BCDI par un e-sidoc augmenté est annoncé pour 2024. » (Asselin & Maisonneuve, 2023, p. 7511).
Nous avons pensé également qu’il était important d’interroger Canopé Poitiers afin de comprendre comment se situait l’évolution de BCDI dans cette transition et nous vous livrons ci-dessous la réponse qui nous a été donnée par Christelle Fillonneau, directrice du pôle national Solutions documentaires (Réseau Canopé – Direction territoriale Nouvelle Aquitaine) :
« Réseau Canopé via son pôle Solutions documentaires suit avec attention les travaux menés sur la transition bibliographique et notamment les évolutions induites par les trois chantiers les plus structurants : la validation du modèle IFLA LRM, la publication du format d’échange Unimarc LRM et la publication prochaine du manuel de catalogage RDA-FR.
Pour travailler autour de ces sujets, le pôle Canopé Solutions documentaires a été plusieurs fois en interaction avec des représentants du programme national Transition bibliographique. Par ailleurs, le pôle échange régulièrement avec la société Electre Data Services qui détient une expertise éprouvée du modèle LRM pour l’avoir mis en œuvre dans sa base de production et dans sa nouvelle version d’Electre (Electre NG). Dans le cadre de leur partenariat d’édition, Electre et le pôle déclineront très prochainement ce modèle dans le service MémoElectre Plus. Depuis quelques années, il est à souligner que les catalogues de CDI, accessibles depuis e-sidoc, évoluent de manière majeure avec la multiplication des ressources numériques acquises par les établissements. Par ailleurs, Canopé Solutions documentaires travaille actuellement sur un projet qui consiste à remplacer le logiciel BCDI pour proposer à terme de nouvelles fonctionnalités bibliothéconomiques au sein d’un espace numérique unifié. Il s’appliquera à prendre en compte les prochaines normes de description bibliographique dans ce futur service pour optimiser/alléger le travail de catalogage des professeurs documentalistes et réaliser des interfaces à destination des publics des CDI qui rendent compte de la richesse et de la pertinence des fonds documentaires physiques comme numériques. » (Fillonneau, 2023).
Cette transition, très certainement nécessaire au regard de l’évolution de l’accès à l’information, ne doit pas être source d’inquiétude parce qu’elle sera intégrée dans l’évolution de nos outils et même si elle ne concerne pas les professeur·e·s documentalistes dans l’immédiat, elle est cependant à connaître et à suivre avec intérêt parce qu’elle s’intéresse aux disciplines, situées au cœur de notre activité, à savoir la documentation et les sciences de l’information et de la communication.
Cet article prend appui à la fois sur une expérimentation pédagogique réalisée en contexte scolaire et sur une formation en documentation animée dans le cadre du Plan Académique de Formation (PAF), auprès d’enseignants documentalistes, en 2021-2023. Les séances pédagogiques proposées en sus mais non expérimentées sont le résultat du travail des participantes au stage de formation. Nous présenterons tout d’abord notre réflexion sur les enjeux éducatifs, sociaux et citoyens du selfie. Puis nous détaillerons une séquence pédagogique menée avec une classe de 4e.
Propos liminaires
L’une des missions du professeur documentaliste mentionnée dans la circulaire de missions de 2017 est l’accompagnement des pratiques numériques juvéniles : « Il [le professeur documentaliste] prend en compte l’évolution des pratiques informationnelles des élèves et inscrit son action dans le cadre de l’éducation aux médias et à l’information. » Comme y invite le texte, intégrer ces pratiques à l’école apparaît essentiel : d’une part, pour ouvrir un espace d’échange auprès des adolescents et d’autre part, pour adapter la pédagogie documentaire en faisant notamment une place à la créativité numérique.
Le selfie, des enjeux sociétaux
Revenons, dans un premier temps, sur ce qu’est un selfie et sur ces enjeux.
Parfois considéré comme l’évolution naturelle de l’autoportrait hérité de l’histoire de la peinture, le selfie constitue un nouveau mode de communication et trouve sa place dans le monde médiatique et politique. Pour Laurence Allard, chercheure à l’Université Paris 3-IRCAV, « le selfie n’est pas seulement un autoportrait mais un autoportrait de soi dans le monde. Le plus important est à l’arrière-plan », c’est le partage d’une expérience1 qui est premier dans le message (Allard, 2014).
Ainsi, un selfie posté sur Flickr par Stewart Butterfield et Caterina Fake en octobre 2005 illustre ce point : intitulé “View – Hi mom”, il montre les deux co-fondateurs de la plateforme devant une vue de San Francisco. La légende indique : “This was sent for my parents as I was talking to them on a phone so they could see the view from where we were standing” – « Je l’ai envoyé à mes parents alors que nous parlions au téléphone pour qu’ils puissent voir la vue de là où nous étions ».
Figure 1 – Selfie de Stewart Butterfield et Caterina Fake devant une vue de San Francisco, octobre 2005. Source : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3529 (Gunthert, 2015)
Le selfie participe d’une communication en triangle. L’image est un message virtuel dont l’interprétation dépend de l’émetteur, de l’occasion représentée et du récepteur. Sa compréhension résulte fortement du contexte dans lequel il s’inscrit. Lorsqu’ils s’y intègrent, les individus prennent une part active à l’action qu’ils décrivent : ils ne sont pas seulement spectateurs mais acteurs des événements.
Cette décision de se placer au centre de l’événement est-elle le résultat d’une attitude générationnelle tendant au narcissisme ? Il serait réducteur de répondre « oui » et naïf de répondre « non », nous optons donc pour une voie médiane.
La généralisation du selfie courant 2000 a conduit certains psychologues à qualifier la génération des millennials (née entre le début des années 1980 et la fin des années 1990) de génération narcissique et égocentrique. Ainsi Jean M. Twenge, autrice et psychologue américaine (Generation Me, 2006 ; The Narcissism Epidemic, 2009) affirme que l’éducation bienveillante et l’encouragement à l’expression de soi ont amené toute cette génération à avoir « le langage du moi pour langue maternelle ». On constate rapidement les dérives d’une telle réflexion, la pratique du selfie par la jeunesse devenant le bouc émissaire de toutes les difficultés rencontrées par la société : si le chômage augmente c’est parce que les jeunes ne veulent plus travailler, trop occupés qu’ils sont à prendre des selfies…
Il s’agit d’une approche caricaturale qui ne doit cependant pas nous faire oublier que le selfie est effectivement une pratique générationnelle et genrée.
Figure 2 – Les effets du genre et de l’âge sur la prise de selfies individuels. Source : https://doi.org/10.1016/j.chb.2016.05.053 (Dhir, Amandeep, Pallesen, Ståle, Torsheim, Torbjørn & Andreassen, Cecilie Schou, 2016).
Une étude récente (Dhir & al., 2016) montre que les adolescents (qui ne sont alors plus des millenials) postent davantage de selfies que les jeunes adultes, qui eux-mêmes en postent plus que les adultes. Et toutes catégories confondues, les femmes postent plus de selfies que les hommes. Ainsi, réduire la pratique du selfie à un mode d’expression égocentrique revient à dire que les adolescents sont plus narcissiques que les adultes mais aussi que les femmes sont plus narcissiques que les hommes…
La question est davantage celle de la représentation de soi de la personne qui prend le selfie. Est-elle sujet, objet, ou acteur de l’image d’elle-même qu’elle produit ?
Figure 3 – Courbe de mise en relation entre l’implication dans la prise
de photographie individuelle et les symptômes de la boulimie au regard du niveau d’auto-objectivation. Source : https://doi.org/10.1016/j.chb.2017.10.027 (Cohen, Rachel, Newton-John, Toby & Slater, Amy, 2018).
Rachel Cohen, Toby Newton-John & Amy Slater (2018) font un parallèle entre le nombre de symptômes de la boulimie apparue chez leurs patientes, la quantité de photos d’elles-mêmes qu’elles peuvent déposer sur les réseaux et leur niveau d’auto-objectivation. Ils remarquent que si le niveau d’auto-objectivation est haut, plus une patiente dépose de selfies, plus les symptômes de la boulimie seront multiples. À l’inverse, si le niveau d’auto-objectivation est bas, les symptômes diminuent, y compris lorsque la prise de selfies est importante.
Le rôle de l’enseignant documentaliste se situe à ce niveau : comment permettre aux élèves de passer d’un statut d’objet ou de sujet de leur selfie à celui d’acteur (acteur de la représentation d’eux-mêmes, de leur image numérique…) ? En d’autres termes, comment les amener à évoluer d’une pratique narcissique et/ou auto-objectivante à une réelle expression de soi ?
État de l’art et concepts en lien avec le selfie
Nous faisons ici un point théorique sur quatre notions que la pratique du selfie interroge : les pratiques d’information juvéniles, les réseaux sociaux numériques (RSN), l’exposition de soi et la publication.
Les pratiques d’information juvéniles
Chez les adolescents, les pratiques d’information, définies comme « l’ensemble des rapports à l’information qu’ils soient informationnels, communicationnels, sociabilisants ou ludiques » sont presque exclusivement centrées sur les RSN (Entraygues, 2020). Elles sont marquées par un primat des pratiques communicationnelles sur les pratiques informationnelles (Dauphin, 2012, p. 23), la communication représente un enjeu essentiel pour la construction identitaire adolescente.
Dans leur dimension informationnelle, les pratiques informationnelles renvoient au besoin d’information et à l’acte de s’informer (Aillerie 2011, p. 99‑100). Elles correspondent alors à « la manière dont un ensemble de dispositifs, de sources formelles ou non, d’outils, de compétences cognitives sont effectivement mobilisés, par un individu ou un groupe d’individus, dans les différentes situations de production, de recherche, d’organisation, de traitement, d’usage, de partage et de communication de l’information ». (Chaudiron & Ihadjadene, 2011, p. 12.)
Enfin, rapportées à un objectif éducatif, elles participent d’une socialisation informationnelle, définie comme « un ensemble d’inculcations qui concerne aussi bien les pratiques, les représentations et les attitudes communicationnelles ». (Chapron & Delamotte, 2010, p. 291.) Ce qui montre l’importance d’une éducation à des pratiques raisonnées, tournées vers le développement d’une culture critique de l’information (Entraygues, 2019).
Les Réseaux Sociaux Numériques (RSN)
Les réseaux sociaux sont au centre des pratiques des jeunes et servent à partager, communiquer, s’informer et à se divertir. Ces dispositifs techniques fonctionnent à partir de trois éléments : le profil, le réseau et le contenu. Les définitions qui suivent mettent en lumière leurs spécificités de fonctionnement :
« Un site de réseau social est une plate-forme de communication en réseau dans laquelle les participants 1) ont des profils uniques identifiables constitués de contenu fourni par l’utilisateur, de contenu fourni par d’autres utilisateurs et / ou de données fournies par le système ; 2) peuvent articuler publiquement des connexions qui peuvent être vues et traversées par d’autres ; et 3) peuvent consommer, produire et / ou interagir avec des flux de contenu généré par les utilisateurs provenant de leurs connexions sur le site. » (Ellison & Boyd, 2013.)
« Les RSN comportent 1) une dimension technologique (services et technologies web, base de données, intelligence artificielle) ; 2) une dimension documentaire (informations personnelles et nominatives, documents, pages, contenus textuels, photos, vidéos) ; 3) une dimension sociale (traces numériques, liens et relations entre les personnes, discussions synchrones ou asynchrones, réactions, partages). » (Capelle & Rouissi, 2018, p. 12.)
À ces définitions, Alexandre Coutant et Thomas Stenger ajoutent une caractéristique qui selon eux est centrale à l’utilisation des RSN, l’importance des liens relationnels : « Il s’agit de spécifier la particularité des usages observés sur les réseaux socionumériques : ces sites fondent leur attractivité essentiellement sur l’opportunité de retrouver ses « amis » et d’interagir avec eux par le biais de profils, de listes de contacts et d’applications à travers une grande variété d’activités. » (Coutant et Stenger, 2011 ; Coutant, 2011.)
Exposition de soi et identité numérique
La diffusion de selfies sur les RSN pose la question de l’identité numérique, un ensemble de signes qui manifeste l’utilisateur sur Internet, et elle met en lien publication et exposition de soi. Fanny Georges distingue trois types d’identités, dont certaines sont non maîtrisables par l’usager : l’identité déclarative, l’identité agissante et l’identité calculée (Georges, 2008 ; 2009 ; 2010). La notion de visibilité développée par Dominique Cardon engage la connaissance de ces enjeux (Cardon 2008).
Pour des adolescents en quête de construction identitaire, l’identité numérique est souvent au cœur des relations sociales entre jeunes. De la composition de cette image dépend la reconnaissance affective par les pairs.
Nous pouvons mentionner ici L’invention de soi du sociologue Erving Goffman pour qui « l’individu doit compter sur les autres pour compléter un portrait de lui-même qu’il n’a le droit de peindre qu’en partie » (Goffman, 1974, p. 75), un point de vue très moderne et applicable aux pratiques d’exposition de soi sur les réseaux sociaux. Les chercheurs parlent ainsi de textualisation de soi (Allard, 2005), de figuration de soi (Allard & Vandenberghe, 2003) ou de mise en forme de soi (Coutant & Stenger, 2012), ce qui procède d’une forme de théâtralisation de l’identité. Réfléchir sous ce prisme-là, c’est réfléchir à son identité numérique.
La publication
Parfois caractérisé de photo sociale, le selfie est directement lié à la publication. Travailler le selfie en classe peut être l’occasion d’aborder la notion de publication, « action de rendre public, à travers le filtre des réseaux sociaux, questionnant la notion de diffusion et de communication sur un espace spécifique les RSN » (Apden, 2015), ce qui permet d’engager une réflexion sur cet acte d’un point de vue citoyen, en tant qu’acteur de la société de l’information.
Dans ce contexte, la publication pédagogique s’inscrit pleinement dans les missions de l’enseignant documentaliste. Elle trouve naturellement sa place dans les projets : qu’il s’agisse de développer la motivation, de valoriser les productions des élèves, de favoriser la communication entre pairs en respectant une déontologie numérique, ou d’accompagner des pratiques sur un support informel.
Un exemple de séquence pédagogique : pour un selfie réfléchi
La séquence présentée ci-après a été expérimentée avec une classe de 4e SEGPA. Nous proposons de développer son déroulé. Nous l’avons nommée «un selfie réfléchi» car nous souhaitions amener les élèves vers des pratiques d’information raisonnées (au sens de raisonnement) et leur faire comprendre les enjeux multiples qui se cachent derrière cette pratique juvénile quotidienne.
Objectifs de la séquence pédagogique
Les objectifs de la séquence sont d’engager une réflexion sur la notion de selfie, de faire comprendre aux élèves la différence entre selfie et autoportrait, et de les sensibiliser aux notions d’exposition de soi et de publication. Composée de trois séances d’une heure, la séquence a été réalisée en co-intervention avec le professeur de français. La production finale, à savoir le selfie réfléchi, est l’objet d’une évaluation.
Déroulé de la séquence
Séance 1 : Qu’est-ce que le selfie ?
Pour débuter la séance, nous avons choisi d’entrer directement dans le vif du sujet, mettant les élèves en activité en leur demandant de réaliser un selfie et de nous l’envoyer. Nous avons donné nos coordonnées téléphoniques pour rassembler et pouvoir projeter les selfies de tous les élèves. Nous aurions pu demander aux élèves de les déposer sur une plateforme.
Dans un deuxième temps, nous voulions comparer les représentations des élèves : pour ce faire, ils devaient répondre à deux questions sous la forme d’un questionnaire interactif sur Wooclap2. Les questions étaient :
Pour vous, un selfie et un autoportrait, c’est pareil ? OUI ou NON ;
Donnez un mot-clé que vous associez au selfie.
Nous avons ensuite confronté les réponses, laissé la place au débat et travaillé sur la définition à partir des mots-clés choisis. Quelques critères du selfie ont fait consensus : la photo de soi prise par soi-même, le smartphone, le réseau, le partage. La discussion s’est prolongée sur la notion de publication, de partage et d’exposition de soi.
Pour conclure la séance, nous avons travaillé à partir de la définition d’égoportrait extraite du site de l’Office québécois de la langue française : « Autoportrait photographique fait à bout de bras, la plupart du temps avec un téléphone intelligent, un appareil photo numérique ou une tablette, généralement dans le but de le publier sur un réseau social3.»
Nous avons intégré le visionnage d’une vidéo4 de la Collab’de l’info disponible sur la plateforme Lumni qui revient sur les objectifs pour réfléchir au rôle du selfie dans la société, notamment dans les médias (Marteau & Porcel, 2018).
Séance 2 : Préparation du selfie
Pour la deuxième séance, nous sommes passées à la mise en œuvre avec comme consigne d’imaginer un selfie réfléchi mis en scène pour se représenter.
L’objectif était alors de réfléchir à ce qu’on veut montrer de soi, de sa personnalité, de ses goûts en construisant précisément la composition de la photo. Les élèves devaient aussi réfléchir au lieu, à leur expression sur la photo et au cadrage.
Séance 3 : Réalisation et mise en scène de soi
La consigne a été donnée aux élèves d’apporter tout le matériel nécessaire à la réalisation du selfie : smartphone et accessoires pour la décoration. Du temps a été consacré à la réalisation.
Une fois le selfie réalisé, ils devaient écrire quelques lignes sous la forme d’un texte autobiographique ou d’un poème pour l’accompagner dans le cadre du partenariat avec le professeur de français.
Les productions de cette séquence ont été valorisées et affichées dans la classe ; elles peuvent être diffusées sur le site de l’établissement sous réserve des autorisations requises et de l’acceptation des élèves. Elles peuvent également constituer une photo de classe afin de donner une dynamique de groupe.
Pour conclure
Cette séquence sur le selfie permet d’ouvrir le débat sur une pratique d’information juvénile quotidienne et de questionner l’exposition de soi et la publication pour des adolescents en quête de reconnaissance des pairs. Elle peut se décliner avec tous les niveaux de classe au collège (mais aussi en 2de Bac Pro5) et peut donner lieu à des partenariats disciplinaires variés. Nous proposons en illustration de cet article, en annexes (1 à 4), les réalisations des participantes au stage de formation.
Annexe 1
Séquence
« Un selfie original qui me ressemble »
Cécile Mauron, Élodie Delage & Sandrine Reynaud, participantes au stage de formation
Un documentaliste et un professeur d’arts plastiques/Une classe de 3e.
• Séance 1 au CDI : recherches sur l’ordinateur
Trouver, par groupe de deux, deux autoportraits originaux réalisés par des artistes connus ou des célébrités.
Projection et analyse commune de ces autoportraits (En quoi ces autoportraits sont-ils originaux ?).
• Séance 2 au CDI
Les élèves remplissent une fiche les décrivant : description physique, centres d’intérêt, qualités, défauts (apprendre à se connaître).
Ils imaginent un selfie original à partir de leur description personnelle et des exemples vus en séance 1. Ils font un croquis de leur selfie en tenant compte des éléments suivants : cadrage/ point de vue/lumière/décor/accessoires/message sur pancarte.
• Réalisation du selfie à la maison. Envoi par mail à la professeure documentaliste.
• Impression et accrochage des selfies au CDI. Vote des autres élèves à qui on demande de choisir le selfie le plus original.
Annexe 2
Séquence
« Se décrire, s’écrire »
Régine Vidal & Carine Bonnard, participantes au stage de formation
Socle Commun de Connaissance et de Culture
Domaine 1. Des langages pour penser et communiquer (notamment langue française, langues vivantes ou régionales et langage des arts et du corps).
La séance est proposée à une classe d’UPE2A de lycée, des élèves à spécificité particulière1. Parfois les élèves confient qu’ils sont différents dans leur pays et en France : introvertis ici, réservés là-bas – ou inversement ! Comme s’ils étaient deux personnes distinctes et que c’était pour eux une des manières d’affronter le changement et d’en venir à bout.
Les objectifs : communiquer, prendre confiance en soi, au sein du groupe, s’ouvrir, s’épanouir et « mesurer le chemin parcouru ».
L’évaluation se fait en deux temps. La première, par les élèves eux-mêmes, lors des présentations orales souvent commentées, approuvées, appréciées.
La deuxième, par le professeur de FLE et le professeur documentaliste sur des critères d’originalité, d’humour, de créativité, d’investissement. Pas de note.
La production finale : un carnet individuel fabriqué à partir des selfies, dessins et commentaires collectés pendant ces quatre temps. Les commentaires sont écrits à la main ou tapés à l’ordinateur (au choix), pourvu que cela soit fait proprement. Les élèves conserveront leur carnet.
Le téléphone intelligent est un medium nécessaire chez les élèves. Il leur permet, surtout au début, d’effectuer des traductions.
La séquence se déroule en quatre temps, essentiellement au CDI. Chaque selfie est accompagné d’un texte de plus en plus élaboré en français. Tous les travaux sont conservés au CDI ou en classe. La longueur des séances est forcément variable : il faut prendre son temps.
• Dans la classe
« Comment je suis maintenant ».
Prendre un selfie au tout début de leur arrivée dans l’établissement avec un objet (vêtement, bijou, costume, jouet, photo…) représentant le pays qu’ils quittent, leur famille, les traditions.
Ils doivent également rédiger un court texte dans leur langue expliquant ce choix et la prise de vue. Ils peuvent faire parler l’objet.
Ils se présentent à l’oral en français : nom, prénom, âge, nationalité et montrent la photo.
On se pose la question du terme selfie : existe-t-il dans leur langue, sinon quel est-il ? Ils l’écrivent sur une feuille.
• En dehors de la classe
Prendre un selfie (avec un peu d’aide selon le cas) d’eux en train de pratiquer un hobby, un sport, une activité culturelle. Ils doivent également se dessiner et répondre aux questions :
« J’aime parce que… »
« Je pratique parce que… »
Argumentation en français, présentation à l’oral.
• En classe, un 3e selfie et/ou 4e selfie symboliques (partiel ou total)
Comment sont-ils en classe UPE2A et dans la classe d’inclusion ? Comment se voient-ils au sein des groupes ? Quels sont les adjectifs qui traduisent leur place ?
Description, comparaison en français, présentation à l’oral
• En classe, un selfie de fin
« Comment suis-je maintenant, après quelques mois dans mon pays d’accueil ?»
Prendre le selfie de fin avec un objet français représentatif, bizarre ou curieux.
Présentation à l’oral. Comparaison avec le selfie de départ.
1. L’UP2A (unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) est un dispositif d’aide à l’apprentissage du français par les élèves nouvellement arrivés en France (primo-arrivants) et allophones.
Annexe 3
Séquence
« Se représenter dans la peau d’un élève anglo-saxon »
Milena Geneste & Laurence Bardin, participantes au stage de formation
Anglais cycle 4 (5e)
Les objectifs disciplinaires
– Découvrir les aspects culturels d’une langue vivante ;
– Percevoir les spécificités culturelles des pays et des régions de la langue étudiée en dépassant la vision figée et schématique des stéréotypes et des clichés ;
– Mobiliser ses connaissances culturelles pour décrire des personnages réels ou imaginaires, raconter.
Les objectifs info-documentaires
– Aspect fictionnel du selfie qui ne représente pas forcément la réalité, le quotidien de l’élève ;
– Mener des recherches documentaires.
Le contexte/Le scénario
Une enseignante d’anglais souhaite travailler avec le professeur documentaliste. Les élèves de sa classe de 5e doivent se mettre dans la peau d’un élève anglo-saxon. Après avoir effectué des recherches documentaires au CDI (livres, revues et recherches en ligne), les élèves découvrent la culture anglaise. Ils doivent ensuite se mettre en scène en prenant un selfie réfléchi : mise en scène, accessoires… Cela se fait au CDI avec le matériel du CDI (appareil photo, tablette…).
Organisation de la séquence
En amont de cette séquence, l’enseignante d’anglais a déterminé une liste des thèmes qu’elle souhaite traiter : les différents repas, les loisirs, l’école, des monuments emblématiques…
Le professeur documentaliste a sélectionné des sites fiables correspondant au sujet.
Les enseignants ont préparé une trame pour les recherches avec quelques éléments à travailler impérativement.
• Séance n° 1 (1 h)
Présentation aux élèves des objectifs de la séquence. Répartition des élèves par groupe de deux ou trois. Chaque groupe tire au sort le thème qu’il aura à traiter.
Les élèves débutent leurs recherches.
• Séance n° 2 (1 h)
Les élèves terminent leurs recherches. Ils peuvent imprimer des images (en demandant l’autorisation aux enseignants). Ils réfléchissent à la mise en scène de leur selfie.
Devoirs à faire : les élèves réfléchissent à leurs accessoires et doivent les apporter au prochain cours.
• Séance n° 3 (1 h)
Chaque élève met en place son matériel, se prend en photo individuellement (avec le matériel du collège) dans le studio (réserve du CDI). Pendant ce temps-là, les autres élèves trouvent une légende à leur selfie (écrite en anglais). Au fur et à mesure, les photos et les légendes sont déposées par les enseignantes sur un mur virtuel privé.
• Séance n° 4 (1 h)
Correction des légendes par l’enseignante d’anglais. Réflexion et débat autour de la notion de stéréotype.
Annexe 4
Séquence
« Je suis une œuvre d’art »
Nadia Ghani & Laureline Vles, participantes au stage de formation
Une séquence Documentation/Arts plastiques
1. Recherche documentaire dans le fonds du CDI ou sur internet. Constitution d’un corpus de portraits et d’autoportraits (peinture) ;
2. Réaliser un selfie ressemblant à un portrait mais détourné, avec un accessoire ou une pose qui représente l’élève : intégrer un élément qui le caractérise.
– Analyse en arts plastiques : comment reconnaît-on l’élève ?
– Notion de représentation de soi en info-documentation.
• Séance 1
Au cdi, présentation du projet et réalisation de selfie en vue de créer une exposition de portraits-selfies (cadres or). Distribution d’une fiche outil pour effectuer des recherches documentaires
Choisir un portrait dans lequel vous vous reconnaissez (ambiance, physique, couleurs, endroits, origines…).
Objectifs info-documentaires
– Exploiter le centre de ressources comme outil de recherche de l’information ;
– Développer des pratiques culturelles à partir d’outils de production numérique.
Objectifs en arts plastiques
– Faire preuve d’autonomie, d’initiative, de responsabilité, d’engagement et d’esprit critique dans la conduite d’un projet artistique ;
– Mener à terme une production individuelle dans le cadre d’un projet accompagné par le professeur ;
– Porter un regard curieux et avisé sur son environnement artistique et culturel, proche et lointain, notamment sur la diversité des images fixes et animées, analogiques et numériques.
1. Choix d’un artiste
2. Choix d’une œuvre
3. Citation de la source
• Séance 2 : Le storyboard de mon projet
Les élèves viennent avec le portrait choisi.
Fiche outil pour analyser le portrait choisi (composition du portrait, lieu, expression du visage, cadrage, couleurs).
Préparation de la mise en scène de leur futur selfie à l’aide d’un storyboard (composition de la photo, lieu, expression du visage, cadrage, couleurs, idées d’accessoires qu’ils ont à la maison, idée pour personnaliser le selfie, soit par un accessoire, soit par un geste, une posture, une expression, trouver un titre personnalisé à son œuvre).
Consigne : ne pas copier le portrait, faire un selfie inspiré mais unique. Reconnaître l’œuvre mais surtout l’élève.
Devoirs : photo à réaliser à la maison.
Objectif en arts plastiques
– Recourir à des outils numériques de captation et de réalisation à des fins créatives.
Objectif info-documentaire
– Découvrir des représentations du monde véhiculées par les médias.
• Séance 3 : La présentation des selfies de chaque élève
Argumentation sur le choix de l’œuvre (procédé de confection, expression des difficultés rencontrées).
Objectif en arts plastiques
– Expliciter la pratique individuelle ou collective, écouter et accepter les avis divers et contradictoires.
Objectif info-documentaire
– Exploiter l’information de manière raisonnée.
• Séance 4 : Le montage de l’exposition au cdi : panneaux avec selfie et portrait original à côté
Classification par courants artistiques selon les siècles.
Objectifs info-documentaires
– Classer ses propres documents sur sa tablette, son espace personnel, au collège ou chez soi sur des applications mobiles ou dans le « nuage » ;
– Organiser des portefeuilles thématiques.
La première édition du Dictionnaire de l’Académie française date de 1694. Le portail numérique de l’Académie française met à disposition les 9 éditions du dictionnaire. Par défaut, la définition est celle de la neuvième qui est plus descriptive et comprend l’étymologie, la métalangue, la révision de l’orthographe de 1990 et des titres d’œuvres pour illustrer les mots. La nomenclature est passée de 32 000 mots (8e éd) à 55 000 mots (9e éd). Le portail du dictionnaire est enrichi de ressources éditoriales : conjugaison intégrale de 6200 verbes, difficultés ou curiosités de la langue française, liens hypertextes vers le portail Gallica de la BnF, courriers des internautes, liens vers France Terme (terminologie), liens vers la BDLP et l’OQLF (francophonie).
https://www.dictionnaire-academie.fr/
Le projet AGATE de l’INRAE
L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement développe le projet AGATE, une bibliothèque numérique patrimoniale. Son objectif est de mettre en valeur le fonds numérisé de l’INRAE (images et monographies) en partenariat avec la BnF et les Archives nationales. Les thématiques : Agriculture, Machinisme agricole, Restauration des terrains en montagne, Montagnes, glaciers et alpages, Comité d’histoire, Botanique, Vigne et vin, Entomologie.
https://agate.inrae.fr/agate/
Lizards & Lies, jeu sur la théorie du complot
Ce jeu de société simule l’évolution de la désinformation en ligne. Pour cela, une équipe composée de trolls et de conspirationnistes propage de fausses informations, tandis qu’une autre équipe composée de modérateurs et de décrypteurs tente de freiner l’extension des fake news ! Ce jeu de plateau canadien est téléchargeable gratuitement en français, anglais et lituanien.
https://www.lizardsandlies.ca/
Wikipédia
Wikipédia hors ligne
On méconnaît souvent le possible téléchargement gratuit et légal de l’encyclopédie Wikipédia sur un ordinateur. À l’heure de la fibre et du haut débit sur presque tout le territoire, l’intérêt semble limité. Néanmoins, certaines localités subissent régulièrement des coupures internet (intempérie, entretien du réseau…) et le réseau internet en dehors de l’hexagone n’est pas forcément facilement accessible. Le poids de l’encyclopédie est tout de même de 31,8 Go (avec images) ou de 12,6 Go (sans images). À savoir : en choisissant cette option, vous ne bénéficierez plus des mises à jour.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Wikip%C3%A9dia_hors-connexion
Jouer à Wikipédia avec WikeyS
Ce jeu collaboratif diffusé par Wikimédia a pour objectif de faire comprendre le processus éditorial de l’encyclopédie Wikipédia. Le jeu a été conçu par des professeurs documentalistes et la SCOP Prismatik avec le soutien du ministère de la culture. Jeu de plateau, la version pdf est librement téléchargeable et imprimable. Une courte vidéo sur la page d’accueil du jeu explique les règles de WikeyS.
https://www.wikimedia.fr/wikeys/
Misogynie sur Wikipédia
Les contributeurs de l’encyclopédie collaborative sont à 90 % des hommes selon une étude de la fondation Wikimédia. De plus, les biographies concernent à plus de 80 % des hommes d’après le collectif Les sans pagEs. Régulièrement, les pages sur des femmes ou des personnes transgenres sont supprimées ou “corrigées” de façon malintentionnée. Bien que conscient de cette situation, Wikipédia ne parvient pas à régler les problèmes de violence sexiste et les biais de genre auxquels l’encyclopédie est confrontée. Instaurer la parité parmi les administrateurs de Wikipédia pourrait constituer un début de solution.
Lecture numérique
DigitALL, pédagogie inclusive
Le projet européen DigitALL se consacre à l’inclusion dans l’apprentissage numérique des élèves du premier et second degré. La plateforme propose six types de ressources : un guide sur les besoins d’adaptation numérique, des fiches pratiques, une boîte à outils, des tutoriels vidéo, des checklists d’adaptation par trouble et handicap, des fiches de travail pour les enseignants. La plupart des documents sont au format PDF et tous disponibles en six langues sous licence Creative Commons.
https://digitall-project.eu/index.php/fr/projet
éditeurs
Tromperie dans l’édition sur Amazon
L’autoédition a fait apparaître de nouveaux escrocs sur les sites de e-commerce. Un ouvrage peut se retrouver en double avec deux éditeurs différents, l’éditeur officiel et l’autoéditeur. La couverture est strictement identique, par contre, le livre de l’autoéditeur ne contient que des pages vierges, un cahier en somme ! Par exemple, l’ouvrage Son odeur après la pluie de Cédric Sapin-Defour a été victime de la supercherie sur Amazon en juillet 2023. Les autoéditeurs indésirables se nomment Eyuait pablishingg, Pellafoxx Publishing, wellaw california, malokaz,…
écologie
Les panneaux de pluie ?
Après les panneaux photovoltaïques dont l’efficacité pour transformer les rayons du soleil en énergie ne cesse de s’améliorer, un nouveau type de panneau pourrait voir le jour. En Chine, les chercheurs ont réussi à mettre au point une technologie qui transforme l’impact des gouttes de pluie en énergie. La capacité serait de l’ordre de 200 watts par mètre carré, soit presque autant qu’un panneau solaire.
géant du web
Financement des réseaux télécoms par les GAFA
Les géants du net utiliseraient plus de 50 % de la bande passante mondiale. De nombreux réseaux télécoms (Orange, Bouygues, BT, Deutsche Telekom, Vodafone, Telefonica,…) réclament une contribution financière des grandes entreprises technologiques telles que Google, Facebook, Amazon, Netflix et TikTok. La mandature actuelle de la commission européenne, qui s’achève en juin 2024, souhaiterait faire passer ce projet de taxation malgré une sérieuse opposition des lobbyistes et des pays du nord de l’Europe.
Réseaux sociaux
X vs la presse
Le réseau social X, anciennement Twitter, n’affiche plus ni le titre, ni le lien, ni le châpo d’un article de presse en ligne qui a été tweeté par un internaute. Seuls une image et le nom du journal apparaissent sur le tweet depuis le 4 octobre 2023. Serait-ce en lien avec l’assignation en justice engagée par des médias français durant l’été 2023 et l’obligation de se conformer à la législation européenne des droits voisins ! Par ailleurs, bien plus inquiétant, depuis que X s’est retiré du code de bonnes pratiques de l’UE en matière de désinformation, les fake news sont en pleine expansion sur la plateforme.
Droit et données personnelles
Les influenceurs et le respect de la loi
Selon la Direction générale de la répression des fraudes, plus de la moitié des influenceurs ne respectent pas la réglementation sur la publicité et les droits des consommateurs. Petit florilège d’entorses à la loi citées par la DGCCRF : “non respect des règles de transparence du caractère commercial de leurs publications”, “tromperie sur les propriétés des produits vendus”, “opérations de promotions non autorisées”, “pratiques commerciales trompeuses”, dropshipping (vente de produits sans posséder les stocks)…
Carte d’identité numérique
Depuis 2023, il est désormais possible pour chacun de détenir une carte d’identité numérique sur son smartphone avec l’application France identité. Elle permet de prouver son identité dans les démarches administratives sur internet en délivrant des attestations numériques à usage unique. Si vous devez renouveler votre carte d’identité physique, la version numérique n’est en aucun cas obligatoire. Néanmoins, il est impératif de posséder une carte d’identité à puce pour activer la carte numérique. L’application est encore en version bêta et est disponible uniquement sur Android et iOS.
https://france-identite.gouv.fr/
Technologie
L’appel du 18 juin 1940 reconstitué
Il ne reste aucun enregistrement de l’appel du 18 juin 1940 par le Général De Gaulle. Afin de recréer la voix du Général, l’intelligence artificielle a été requise pour reconstituer l’un des plus grands discours de l’histoire. L’Ircam est à l’origine de cette prouesse technologique qui donne tout de même à réfléchir sur les potentiels risques de création de faux discours parmi les deepfakes.
https://www.lemonde.fr/videos/video/2023/01/18/moi-general-de-gaulle-l-appel-du-18-juin-peut-il-etre-reconstitue_6158301_1669088.html
L’écriture par la pensée
L’Université de Stanford en Californie a inventé un système de connexion directe entre le cerveau et l’ordinateur. La pensée de l’individu est transmise par des signaux qui sont analysés puis retranscrits par une IA. Plus précisément, un programme informatique enregistre les signaux au moyen d’implants dans la tête, puis les associe à des phonèmes (éléments sonores d’une langue) pour les retranscrire en texte. Cette invention en phase de test en laboratoire présente actuellement un taux d’erreur de moins de 25 %. À terme, l’interface entre le cerveau et la machine se fera sans fil. L’objectif premier est de donner la parole aux personnes en situation de handicap. Rédiger une veille numérique par la pensée ferait assurément gagner du temps !
NFT : œuvre d’art, certificat d’authenticité ?
En mai 2023, le rapport de l’Inspection générale des finances clarifie l’usage et les enjeux juridiques des NFT (non fungible tokens). La synthèse précise clairement que ces “jetons à identifier” à vocation commerciale ne sont ni des œuvres d’art ni des supports d’œuvre. Une NFT « ne constitue que la réunion, dans la mémoire d’un programme, de l’identifiant d’un détenteur, d’un lien vers l’emplacement du fichier numérique constituant l’œuvre, et d’éventuelles métadonnées ». Le rapport insiste également sur le fait qu’il ne peut être considéré comme un certificat d’authenticité.
HeyGen, une IA polyglotte
Avec l’application HeyGen, toute personne qui souhaite s’exprimer dans une langue étrangère, sans faire d’efforts, en a la possibilité. Il suffit d’enregistrer une vidéo dans sa langue natale puis d’indiquer la langue souhaitée. Grâce à une IA, la vidéo change de langue et le mouvement de la bouche est modifié afin de s’adapter à la langue étrangère.
L’application payante offre quelques essais gratuits.
https://www.heygen.com/
No future…
Les câbles internet sous-marins sous contrôle des GAFAM
En dix ans, les géants du net (principalement Alphabet et Meta) ont mis la main sur les câbles de fibre optique sous-marins en les finançant eux-mêmes. Auparavant, seuls les consortiums pouvaient les construire étant donné les coûts astronomiques (300 millions d’euros pour un câble transatlantique actuellement). 99 % du trafic internet mondial passe par les câbles sous-marins, ce qui donne un pouvoir considérable à ceux qui les possèdent.
Colette l’écrivaine. Colette la star des nuits parisiennes. Colette la femme entravée, la femme libérée. Colette la Bourguignonne…
Originaire de Saint-Sauveur-en-Puisaye, dans l’Yonne, Colette n’a jamais perdu son accent, son attachement pour sa terre natale, qu’elle a si souvent et si brillamment évoqué dans son œuvre. En cette année 2023, où l’on fête les 150 ans de sa naissance, les hommages sont nombreux dans la région, mais également sur tout le territoire, tant Colette a marqué, et marque encore, la vie culturelle française.
De ses origines bourguignonnes, Colette gardera toute sa vie un attachement viscéral à la nature, aux animaux, à la vie rurale. Nombre de ses romans décriront une campagne riche, fertile, propice à une vie en communion avec la nature. Car c’est une campagne rêvée que Colette nous décrit, avec sa plume si riche, si nuancée. Et si sensuelle… Car ce sont les sens que Colette va exalter tout au long de ses textes. Une sensualité liée à la nature, aux éléments, et au corps… Car Colette la Bourguignonne, qui ne peut vivre sans ses chats, est aussi Colette la Parisienne, qui dansa quasiment nue sur scène, et scandalisa le Tout-Paris par son audace.
Tout au long de sa vie, Colette émaillera ses récits de touches autobiographiques. Son affection pour sa mère, féministe et athée, son enfance, que l’on devine derrière le personnage de Claudine, ses amours, ses envies, ses chats…
En cette année de commémoration, expositions, animations et différentes parutions rendent hommage à l’artiste. À Besançon, Colette est partout, à la gare ou encore sur les tramways. À Saint-Sauveur en Puisaye, le musée et la maison Colette entretiennent son souvenir et son héritage artistique. À Granville, une exposition décortique son roman Le blé en herbe.
Une année de célébrations pour une écrivaine à la personnalité complexe, attachante, qui fit parfois scandale, et qui a laissé une empreinte indélébile dans la vie culturelle française.
Une femme qui ose, qui défie, qui affronte. Une artiste.
MUSÉES / EXPOSITIONS
Maison de Colette, Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne)
Pour comprendre Colette, sa vie et son œuvre, la Maison de Colette, à Saint-Sauveur-en-Puisaye, est incontournable. C’est dans cette maison que va se construire durant son enfance tout ce qui fera de Colette ce qu’elle est. Son amour pour la nature, son goût pour la liberté, l’audace et la création artistique. De nombreuses expositions, conférences et animations sont à découvrir dans cette maison-musée, à l’ambiance agréable, au cœur d’une Bourgogne vallonnée. La Bourgogne fait partie intégrante de la vie de Colette. On peut la sentir, la respirer à travers son œuvre. Une étape dans sa maison natale est donc indispensable. Le lieu abrite les archives Colette, gérées par le Centre d’Études Colette. www.maisondecolette.fr
Musée Colette, Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne).
Non loin de la maison natale de Colette, le musée propose une découverte de la vie et de l’œuvre de l’autrice grâce à une série d’installations artistiques permettant une approche sensorielle. Il est également possible d’y découvrir une partie des meubles de l’appartement parisien de Colette, au Palais-Royal. Des expositions autour de Colette y sont régulièrement organisées, elles sont réalisées par le Centre d’études Colette. http://www.musee-colette.com/
En 2023, exposition Devenir Colette, Centre d’Etudes Colette, Département de l’Yonne : https://www.facebook.com/museecolette89?locale=fr_FR
Maison de Colette, Besançon (Doubs)
De 1900 à 1905, Colette passa plusieurs séjours à Besançon, dans une charmante maison située dans le quartier des Montboucons. Cette bâtisse fut acquise par son mari Willy, avec les revenus générés par la série des Claudine. Colette y appréciait tout particulièrement le verger entourant la maison. Celle-ci n’est ouverte qu’à certaines occasions. Un projet de Maison des écrivains est actuellement en cours de réflexion. La maison est restée « dans son jus », et c’est un véritable voyage dans le temps qui attend le visiteur lorsqu’il pousse les portes de la maison de l’artiste. Un endroit « à fort potentiel », dont il faudra suivre les évolutions futures.
Non loin de la gare Viotte (Besançon), c’est un grand visage de Colette qui accueille le visiteur à la descente du train. Réalisée en résine blanche, haute de près de quatre mètres, l’oeuvre ne laisse pas le passant indifférent. Elle est signée Nathalie Talec, cheffe d’atelier aux Beaux-Arts de Paris. L’artiste a collaboré plusieurs fois avec le FRAC de Franche-Comté et le musée des Beaux-Arts de Besançon.
Français, première générale et technologique
Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle : Colette, Sido suivi de Les Vrilles de la vigne / parcours : la célébration du monde.
Bulletin Officiel n° 5, du 4 février 2021.
www.education.gouv.fr/bo/21/Hebdo5/MENE2036974N.htm
HLP, première générale
Les représentations du monde : l’homme et l’animal ; « La relation à l’animal constitue un révélateur de la place que l’homme s’attribue dans la nature et dans le monde, avec de fortes implications philosophiques, éthiques et pratiques. »
Bulletin Officiel spécial n° 8 du 25 juillet 2019.
Histoire, première
Thème 3 : La Troisième République avant 1914 : un régime politique, un empire colonial – Chapitre 2. Permanences et mutations de la société française jusqu’en 1914. L’évolution de la place des femmes.
Bulletin officiel spécial n° 1 du 22 janvier 2019
Collège
Français, Culture littéraire et artistique, cycle 3
Vivre des aventures : un roman d’aventures […] dont le personnage principal est un enfant ou un animal.
BOEN n°31 du 30 juillet 2020 et le BOEN n°25 du 22 juin 2023
https://eduscol.education.fr/document/50990/download
Histoire, cycle 4, classe de 4e
Thème 3 : Société, culture et politique dans la France du XIXe siècle.
« Conditions féminines dans une société en mutation »
Bulletin officiel spécial n° 11 du 26 novembre 2015
Histoire-Géographie, cycle 4, classe de 3e
Thème 3 : Français et Françaises dans une République repensée.
« Dans la seconde moitié du XXe siècle, la société française connaît des transformations décisives : place des femmes »
Bulletin officiel spécial n° 11 du 26 novembre 2015
PISTES PÉDAGOGIQUES
Donner le goût de lire : en classe de 6e, les Dialogues de bêtes sont toujours très appréciés par les élèves. Ils pourront, par exemple, être étudiés parallèlement à une série de lectures autour des animaux : Les fables de La Fontaine ou Contes du chat perché de Marcel Aymé, par exemple.
Colette sera bien entendu un élément incontournable d’une recherche documentaire sur le féminisme et son évolution historique. Son rôle dans la vie culturelle parisienne pourra également être abordé dans l’histoire du début du XXe siècle, en particulier celle de l’entre-deux-guerres.
Une approche interdisciplinaire peut relier entre eux les thèmes de l’écriture de Colette, de son attachement pour les animaux, et son amour de la nature. Un travail reliant lettres, SVT ou encore arts plastiques pourra mettre en lumière les différents aspects de la vie et de l’œuvre de Colette. La Maison de Colette sera à ce titre un support très intéressant.
Parcours culturel sur les pas de Colette : la découverte de la Maison de Colette pourra également s’élargir à d’autres sites du département de l’Yonne, comme la vieille Ville d’Auxerre, le château de Guédelon ou le Conservatoire des Arts de la forge.
Le site Gallica permettra des recherches documentaires iconographiques, afin de mettre en lumière, par exemple, la grande diversité des créations artistiques de Colette. Cette multiplicité d’activité pourra être mise en forme à l’aide de de cartes mentales ou de nuages de mots.
Un travail d’analyse d’image autour des affiches des adaptations filmiques des œuvres de Colette est également envisageable.
ARTICLES
Colette, tout feu, tout femme !Lire, le magazine littéraire, Les classiques, hors-série, T.12, février 2023.
Le magazine retrace ici la vie de Colette selon trois axes : « Portrait d’une féministe tout-à-tout », « Sido, la mère partie » et « Une icône sans tabou ».
Colette. Le tourbillon de la vie. Le Monde, hors-série : une vie, une œuvre, n° 55, janvier 2023.
Ce numéro hors-série du Monde propose une sélection d’écrits de Colette, dont quelques lettres inédites, ainsi que des témoignages et des textes d’auteurs contemporains. Il met en particulier l’accent sur la profondeur de l’œuvre de Colette, alors qu’elle fut longtemps considérée comme une romancière aux textes légers et quelque peu frivoles.
Panique, Delphine. Pas si sage…Topo n° 004, 03/2017, p.104-113.
Un numéro qui évoque le premier roman de Colette et ses débuts d’autrice.
Daveau, Hélène. Gabrielle Colette : le jour où elle s’est fait couper les cheveux. Je Bouquine n° 467, 01/2023, p.18-22.
Dans les années 1920, la coupe à la garçonne a fait fureur. Se couper les cheveux était alors vécu comme une libération pour les femmes. Colette illustre ici cet épisode bien moins anecdotique qu’il n’y paraît.
FILMOGRAPHIE
De nombreux films et pièces de théâtre filmées autour de Colette et de son œuvre ont été réalisés, la société des amis de Colette en offre un recensement : https://www.amisdecolette.fr/ressources/filmographie/
FICTIONS
Poitou-Weber, Gérard. Colette, l’immobile vagabonde. 1985 (version DVD : Doriane films, 2004).
Feuilleton en quatre parties avec Clémentine Amouroux (Colette jeune), Macha Meryl (Colette âgée). 350 minutes.
Trintignant, Nadine. Colette, femme libre. Gaumont Columbia Tristar Home Vidéo, 2004.
Feuilleton en deux parties « librement inspiré de la vie de Madame Colette ».
Première partie : La femme trahie, 100 minutes.
Seconde partie : La femme vengée, 100 minutes.
Westmoreland, Wash. Colette. Studio Canal, 2019. 1 h 52 mn.
Biopic américano-britannique avec Keira Knightley (dans le rôle de Colette), Dominic West (dans celui de Willy) et Denise Gough (dans celui de Missy).
DOCUMENTAIRES
Bellon, Yannick. Colette. Les Films Jacqueline Jacoupy, 1952. Court-métrage : 29 mn.
Avec Colette, Maurice Goudeket, Pauline Tissandier et Jean Cocteau. Scénario de Colette.
Assise dans son appartement du Palais-Royal, Colette revit ses souvenirs. Fascinant.
Denjean, Cécile. Colette l’insoumise. Arte, 2017. 54 mn.
Grâce à de nombreuses ressources iconographiques, la réalisatrice brosse le portrait d’une Colette complexe, libre, parfois exubérante, et toujours tellement attachante.
https://www.arte.tv/fr/videos/079398-000-A/colette-l-insoumise
RADIO
Garrigou-Lagrange, Mathieu. Colette, affirmer sa liberté. France Culture : émission La Compagnie des œuvres, 2017, 4 épisodes d’environ 58 mn. 1 : Je veux faire ce que je veux ; 2 : Il faut voir et non inventer ; 3 : Romancière mais moraliste ; 4 : La jouissance féminine. Quatre grands axes sont ici proposés : la vie libre de Colette, sa volonté de naturalisme, une romancière au jugement parfois sévère et la jouissance féminine.
www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-colette
Kristeva, Julia. De l’écriture au féminin : Colette selon Julia Kristeva. France Culture. 2003, 5 épisodes d’environ 29 mn. 1 : Colette est un écrivain de goût dont on attend qu’elle éveille le goût de ceux qui n’osent pas avoir de goût ; 2 : Les Vrilles de la vigne signent l’entrée de Colette dans le Panthéon des Lettres françaises ; 3 : Colette ou la chair du monde ; 4 : L’Enfant et les sortilèges, une méditation psychanalytique de Colette sur la relation mère-enfant ; 5 : Le couple, la guerre et le féminisme selon Colette. Dans cette série, Julia Kristeva analyse ici la vie et l’œuvre de Colette sous différents angles : la relation mère-enfant, le féminisme, son rapport au couple, à l’amour, à l’écriture…
www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-de-l-ecriture-au-feminin-colette-selon-julia-kristeva
Compagnon, Antoine. Un été avec Colette. France Inter, 2021, chaque épisode dure 4 minutes.
Sous la forme d’un « feuilleton » régulier d’Antoine Compagnon, c’est un voyage au coeur de la vie et de l’œuvre de Colette qui est ici présenté. Si les thèmes « classiques » sont abordés, telles sa sexualité ou sa vie dans le music-hall, d’autres aspects moins connus sont développés. Une émission s’attarde sur son père Jules, dont on parle rarement, et une autre sur les liens de Colette avec la musique.
www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/un-ete-avec-colette
RESSOURCES EN LIGNE
La Société des amis de Colette (site incontournable) propose de découvrir l’œuvre de Colette dans le cadre d’une préparation au bac. Sido et Les vrilles de la vigne figurent au programme de français de série générale et technologique, dans un parcours « La célébration du monde ». Une sélection de photographies anciennes, des vidéos, une bibliographie permettent une approche historique et littéraire.
www.amisdecolette.fr/colette-au-bac/
https://www.amisdecolette.fr/
Febvre, Cécile ; Zemmour, David. Conférence sur Sido et Les vrilles de la vigne (en ligne). Académie d’aix-Marseille. 2023, 47 mn.
www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_11104940/fr/3-conferences-sur-les-nouvelles-oeuvres-au-programme-en-premiere-roman
Gallica propose un choix de documents variés : photographies, articles de magazines des années 1910 et 1920, ainsi que le catalogue de l’exposition proposée par la BnF en 1973.
www. gallica.bnf.fr/conseils/content/colette
Deux classes du lycée Washington-Touchard du Mans (3e PrépaPro et 2de Pro) participant au prix BD Une Case en Plus ont travaillé autour du titre Gaston en Normandie et posent leurs questions à l’auteur, Benoit Vidal (cf. annexe 1). Ce titre retenu dans la sélection du prix 2022-2023 présente un réel intérêt pédagogique par son contenu comme par sa forme. En effet, outre qu’il aborde la question de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale en croisant des souvenirs de témoins directs, avec des allers-retours passé/présent, il propose une mise en récit originale, alliant roman-photo et bande dessinée.
Un parcours atypique
Pourquoi et comment avez-vous décidé d’être auteur ?
J’ai publié Gaston en Normandie en mai 2022, chez FLBLB. J’avais publié, chez le même éditeur, Pauline à Paris qui est sorti en 2015. Et j’ai aussi coscénarisé une autre bande dessinée, plus traditionnelle, qui est publiée chez Glénat1. Entre mes deux albums, j’ai fait un documentaire en bande dessinée chez un autre éditeur2.
Mais auteur, ce n’est pas mon métier principal. Je suis enseignant-chercheur. J’ai été prof en lycée, j’ai passé une thèse de doctorat et j’ai un poste de maître de conférences à l’université. J’ai donc plusieurs casquettes : enseignant, chercheur et auteur de roman-photo ou de roman graphique. Quand on est enseignant-chercheur, on publie des articles de recherche ou des manuels scolaires. J’ai donc publié beaucoup de choses !
Alors, pourquoi ai-je décidé de devenir auteur, et précisément auteur de roman graphique ? Eh bien, parce que cela me faisait plaisir ! Parce que j’en avais envie, ce n’était pas une contrainte. J’avais déjà un métier et des revenus par ailleurs.
Comment avez-vous eu envie de faire de la bande dessinée ?
Quand j’avais votre âge, je lisais beaucoup de bandes dessinées. Au collège, on faisait des fanzines. À l’origine, ça veut dire magazines de fans. Ce sont de petites revues qu’on réalise soi-même, qui ne sont pas faites de façon professionnelle, qui ne sont pas éditées. Demain, vous prenez une feuille A3, vous la pliez, et vous faites des articles et des dessins que vous réalisez vous-mêmes. Vous en faites cinquante exemplaires que vous distribuez autour de vous ou même que vous vendez. Il y en a plein qui existent ainsi partout, des millions ! Moi, j’ai fait cela avec des copains quand j’étais collégien, puis lycéen et aussi étudiant à la fac. Raconter des histoires, c’est quelque chose qui me tenait vraiment à cœur. Quand j’étais ado, mon rêve, c’était de devenir auteur de bande dessinée.
La découverte du roman-photo
Couverture du magazine FLBLB, n° 14, 2003.
Il y a autre chose d’important dont je voudrais vous parler, c’est de ma relation à ma grand-mère Joséphine. Quand j’ai eu 22/23 ans, j’ai commencé à enregistrer mes grand-mères avec un enregistreur et des cassettes. Je les faisais parler : comment elles avaient vécu leur enfance, leurs parents, leurs grands-parents, des histoires personnelles et familiales. Et puis, un jour, à Angoulême, dans les années 2000, je tombe sur des jeunes qui avaient créé un magazine intitulé FLBLB, un nom imprononçable ! (Ils venaient de l’école des Beaux-Arts de Poitiers et ils créeront ensuite les éditions FLBLB.).
Vous voyez là le numéro 14 qui n’est composé que de romans-photos. Moi, je ne connaissais pas trop le roman-photo. J’en avais lu dans Fluide Glacial, un journal de BD humoristique important à l’époque, qui publiait toujours deux pages de roman-photo dont l’auteur était Léandri. Je savais que le roman-photo existait mais je ne connaissais pas vraiment. Vous voyez cette image ? Deux pigeons qui discutent. C’est simple : on a une photo de pigeons, on met des bulles et on les fait parler. C’est ça, la magie de la bande dessinée ! Vous pouvez faire parler n’importe qui, n’importe quoi, même des objets ! C’est une construction mentale. On dit que la bande dessinée, c’est un art séquentiel. On ne voit pas l’image bouger, les images sont fixes. C’est le cerveau qui reconstruit, et on imagine ce qui s’est passé entre les deux images.
Je découvre dans ce fameux magazine FLBLB n° 14 un récit qui se proclame roman photobiographique (remarquez le jeu de mot), une sorte d’autobiographie réalisée par Grégory Jarry. Je n’avais jamais vu cela, je trouvais ça très étrange. Entre temps, je comprends que FLBLB fait de la bande dessinée et que ce numéro 14 n’était qu’un numéro spécial sur le roman-photo. J’étais déçu ! Mais ensuite, voilà un autre livre de FLBLB qui m’a donné le déclic. Il s’intitule Les Maquisards du Poirier. C’est un livre qui a été réalisé avec les enfants d’une école primaire et des auteurs de FLBLB. Le projet, c’était que les enfants aillent voir les personnes âgées de leur village, les fassent parler de leur vie et de comment elles avaient vécu la Seconde Guerre mondiale. Ils les ont enregistrées et photographiées. Ils ont mis les textes dans les bulles. Ce n’était pas très sophistiqué comme procédé et les photos ne sont pas très jolies ! Je me suis dit alors : « J’aime bien la BD, j’aurais bien aimé en faire, mais bon, je ne suis pas dessinateur et c’est un rêve qui ne s’est pas réalisé. Cette histoire en photos me donne des idées ».
Couverture de Les maquisards du Poirier. Grégory Jarry. FLBLB, 2007.
Une démarche personnelle
J’avais les histoires enregistrées de ma grand-mère et je me suis dit : « Je vais faire la même chose. Je vais la prendre en photo et mettre ce qu’elle me raconte dans des bulles. ». C’est comme ça que j’ai commencé à faire mes premières pages ! La première histoire faisait trois pages. Des amis m’ont dit : « Ah ! tu devrais en faire d’autres. ». Je les ai publiées sur un blog3. À la fin, j’ai réalisé quatre-vingts pages. Puis je les ai autoéditées : j’ai imprimé trois cents exemplaires de ce livre (Le débarquement et le platane) que j’ai vendu autour de moi, à ma famille et mes amis. L’année d’après, je retourne à Angoulême et je montre tout ça à FLBLB. Ils ne sont pas intéressés, mais ils m’encouragent à continuer et à revenir les voir ! Progressivement, dans mon travail, je me suis mis à ajouter des images d’archives pour illustrer ce que racontait la personne, procédé que vous avez remarqué dans Gaston en Normandie. Ça, c’est nouveau, je crois que je suis la seule personne au monde à faire ça ! C’est comme un documentaire que vous voyez à la télévision ; vous avez une personne interviewée et vous voyez des images, des extraits de films en rapport avec son propos. C’est la même chose, mais sur papier ! Voilà comment je suis devenu auteur de bande dessinée.
Pourquoi enregistrez-vous votre famille ?
Pour une raison principale qui peut être partagée par tous : connaître un peu mieux sa famille, savoir comment on vivait autrefois. Mais tout le monde ne va pas jusqu’à enregistrer. C’est dommage, car quand les gens partent, disparaissent, on se dit « mince, je ne me rappelle pas très bien ce que telle personne m’avait dit ». J’ai donc voulu garder une trace de la mémoire familiale avec des enregistrements. Et c’est comme ça que j’ai appris à poser des questions. Quand on pose une question, il faut savoir ensuite se taire. Ce n’est pas facile de se taire ! Écouter, laisser des blancs, jusqu’à ce que la personne aille au bout de ce qu’elle veut dire ou reparte sur autre chose. Au début, je posais trop de questions et je coupais la parole !
Roman-photo ou bande dessinée ?
La bande dessinée mêle dessins et textes, alors que vous, à la place des dessins, ce sont des photos. Est-ce que c’est original comme procédé ?
Le Journal illustré, n° 36, 4 septembre 1886, p. 284-285.
En fait, le roman-photo, ce n’est pas très original ! Voici un exemple de roman-photo qui date de 1896. C’est un reportage photographique : Paul Nadar va interroger Chevreul, un académicien qui avait 100 ans, comme ma grand-mère ! On y voit même Félix Nadar, pris en photo par son propre fils. Vous voyez ce genre existe depuis longtemps mais il ne s’est pas développé !
Dans les années 60-70, il y a eu beaucoup de romans-photos, c’était alors un genre très particulier, publié dans les magazines féminins, souvent des romances à l’eau de rose, cantonné à un style très particulier. C’est passé de mode dans les années 80 bien que le magazine Nous Deux existe toujours. C’est un des plus grands tirages de la presse française. Donc, en fait, ce n’est pas si original comme moyen d’expression !
Mais moi, je raconte une histoire avec une succession d’images de natures différentes. Quelle que soit la nature des images, pour faire un roman graphique, il faut que les images conduisent la narration.
Comment avez-vous procédé pour trouver les photos illustrant Gaston en Normandie ?
J’ai utilisé beaucoup de photos d’archives pour Pauline à Paris. Pour Gaston en Normandie, c’est plus ciblé comme thème. Donc, j’ai surtout utilisé les collections des services des armées américaine et anglaise. Certaines sont libres de droit mais on doit quand même les référencer. J’ai aussi utilisé des photos militaires allemandes. Je cherche sur Internet. Parfois, ce sont des photos d’anciens magazines que je scanne. Sur le site Photosnormandie4, des images ont été mises à disposition pour que les gens identifient éventuellement des personnes ou fassent des commentaires. J’ai découvert comme cela des photos où j’ai retrouvé mon grand-père !
Pour le reste, je prends des photos, j’ai acheté un appareil avec un grand angle. Au départ, je cadrais de trop près ma grand-mère et après, je ne savais pas où mettre ma bulle ! Du coup, j’ai par la suite fait des photos en grand angle, ce qui me permet après de zoomer comme j’en ai envie ! La qualité est suffisamment bonne, car les cases ne sont pas très grandes. Je prends ainsi les parties qui m’intéressent ! Par exemple, quand mon père est en short, je ne trouve pas cela élégant, alors je m’arrange pour le cacher ! Quand je photographie mon père, je ne fais pas de belles photos car ce n’est pas le plus important, c’est le témoignage qui est important. Je ne suis pas photographe ; je collecte la mémoire et je raconte des histoires. En bande dessinée, le beau dessin détourne souvent de l’histoire, il faut que le dessin soit au service de la narration. C’est la même chose ici avec la photo.
Comment procédez-vous après ?
Une fois le texte enregistré, il faut le retranscrire et c’est très long ! Parmi les photos, j’essaie de prendre l’expression qui correspond le mieux à ce que dit mon père. Quand j’ai pris cette photo-là de Gaston, croyez-vous que ce soit le texte qu’il disait ? Pas forcément et même probablement pas ! C’est vrai que c’est une forme de manipulation… Une fois que c’est retranscrit et que j’ai sélectionné les photos, je fais un montage. On peut utiliser un logiciel professionnel comme In design. Moi j’utilise Scribus qui est gratuit et qui me suffit pour organiser mes images et mon texte.
Pourquoi avoir choisi le Débarquement comme thème central ?
Je ne l’ai pas vraiment choisi… Mais un peu quand même ! Parmi les souvenirs de ma grand-mère, le Débarquement était un des moments les plus forts pour elle, mais aussi parce que la petite histoire (l’histoire familiale) croise la grande Histoire (celle qu’on apprend dans les livres d’école). Sur le Débarquement, quand j’étais ado, j’en ai vu des photos, des films et lu des bandes dessinées ! C’était un sujet très souvent traité. Et voilà que ma grand-mère me racontait des choses que j’avais vues au cinéma ! D’ailleurs, au départ, les premières histoires que j’ai faites sur mon blog, c’était autour du Débarquement. Je pensais que ça plairait aux gens parce que c’est un sujet dont ils ont déjà entendu parler et qui pourrait les toucher. Si je n’avais fait que collecter des témoignages du Débarquement, cela aurait pu intéresser les historiens mais qui d’autre ? Je pense qu’il faut ajouter des choses plus personnelles. C’est ce que je fais dans Gaston en Normandie : je veux parler de ma relation avec ma grand-mère et de la façon dont j’interprète ce qu’elle me raconte. Et j’en viens à parler de choses plus personnelles et plus intimes.
Quand on l’entend raconter, on n’a pas l’impression qu’il ait été traumatisé. On a l’impression d’un souvenir extraordinaire pour lui. Après, cela ne veut pas dire qu’il n’a pas eu de très grandes peurs ou des angoisses. Dans le livre, vous avez vu que dans ma famille, à Bayeux, personne n’est mort et rien n’a été détruit. À Caen, dans les villes autour, vous avez vu combien les gens ont souffert de la guerre : des morts, des blessés, des maisons détruites. Alors évidemment au moment même, quand on le vit, on ne sait de quoi sera fait demain et si on va s’en sortir. Et effectivement, avant que le front ne se déplace, pendant plusieurs mois, il va y avoir des combats dans la région. Ma grand-mère était très angoissée, elle avait quarante-cinq ans, quatre enfants et elle était enceinte. Tous les jours, avec son mari, ils avaient peur. Mon père raconte tout ça avec un certain recul, comme un enfant qui a vécu un moment extraordinaire. Mais il faut comprendre qu’il est né en 36 et il a trois ou quatre ans quand la guerre débute. Il n’a pas de souvenir d’avant la guerre.
Toute son enfance, entre trois et sept ans, s’est déroulée sous l’occupation militaire allemande. Il n’y avait pas de jouets, pas de cinéma et pas de télévision. Interdiction d’écouter la radio. La nourriture était rationnée, on produisait des biens qui ne servaient alors qu’à l’armée ou à l’économie allemande. Je n’ai aucune photo de mes grands-parents à cette époque car il était quasiment impossible de trouver des pellicules photos dans les magasins. Donc, mon père, enfant, n’a jamais connu le monde sans guerre. Tout d’un coup, du jour au lendemain, le 7 juin au matin, les Anglais rentrent dans Bayeux. Il n’y a pas eu de bataille dans la ville. Les gens sont heureux. Mon père ne voit que cette joie. Même s’il va aussi voir les blessés arriver des villes avoisinantes, il voit surtout de très jeunes soldats – dix-sept ou dix-huit ans – qui arrivent avec des motos, des chewing-gums et du chocolat que mon père n’a jamais mangé ! Il apprend à démonter des mitraillettes… Mais je pense qu’il est partagé entre deux extrêmes car il sait aussi que beaucoup de gens ont souffert.
Du côté de l’édition de bande dessinée
Avez-vous été aidé ou avez-vous fait ce livre tout seul ?
J’ai envie de dire, oui, je l’ai tout fait tout seul… Mais en fait on ne fait pas tout, tout seul ! Je me suis fait relire par des proches, des gens de ma famille et en fonction de ces retours-là, j’ai beaucoup modifié. Une chose que je n’ai pas faite, c’est la couverture ! C’est l’éditeur qui l’a réalisée ainsi que les pages ouvrant les chapitres. FLBLB est une petite entreprise qui publie une dizaine de livres par an, ils sont quatre salariés. Un des salariés est infographiste : il sait faire des couvertures, des photomontages. C’est lui qui a réalisé cette couverture pour Gaston en Normandie. On décide ensemble : je lui propose des choses et lui aussi. On a hésité entre plusieurs couvertures. Sur celle-là, vous avez vu, il reprend une photo de l’album, la colorise tout en la recadrant pour cacher la tête du général de Gaulle, c’est un parti pris original et je la trouve très réussie.
Combien d’exemplaires avez-vous vendu de Gaston en Normandie ?
En tant qu’auteur, je ne suis pas au fait tous les jours des ventes. Je dois demander à mon éditeur et lui aussi, il a toujours une marge d’erreur. Les livres sont chez les libraires mais peuvent être en stock. C’est donc le diffuseur qui donne les chiffres. Tous les ans, je reçois un relevé qui me dit combien j’ai vendu de livres. C’est à partir de cela que sont calculés mes droits d’auteur. L’an dernier, les ventes de Pauline à Paris avaient dépassé les 2000 exemplaires. On doit être autour de 2300 aujourd’hui. Pour Gaston en Normandie, entre 1000 et 2000. Mais il faut savoir que, dans le monde de l’édition, c’est généralement au cours de la première année de publication que les ventes sont élevées. Récemment, j’ai reçu un prix intitulé Cases d’Histoire. Je peux espérer que ça augmentera les ventes !
Combien gagne un auteur pour chaque livre vendu ?
Ce livre-là est vendu 20 euros. Ce n’est pas cher par rapport à une bande dessinée en couleur, de 160 pages, qui va coûter plutôt 25 ou 30 euros. Un manga, de format plus réduit, en noir et blanc, c’est entre 6 et 7 euros. Un album traditionnel cartonné, c’est plutôt 12-13 euros. L’auteur va avoir environ 10 % des 20 euros, c’est-à-dire entre 1 et 2 euros. S’il vend 1000 livres, combien gagne l’auteur ? Entre 1000 et 2000 euros. Si vous y avez travaillé pendant un mois, ça va ! Mais si vous avez travaillé pendant 5 ans… Vous comprenez que pour gagner beaucoup, eh bien, il faut beaucoup vendre ! C’est le cas de quelques titres comme Astérix ou Thorgal qui sont vendus à des dizaines, voire centaines de milliers d’exemplaires. On ne gagne pas d’argent en fonction de son travail, mais en fonction du succès de son livre. Un tout petit nombre d’auteurs gagne beaucoup d’argent et de très nombreux autres ne gagnent pas leur vie comme auteurs et font un autre métier en parallèle. Pour vivre honorablement, il faut pouvoir vendre 20 000 exemplaires par an. Or, vendre 5000 exemplaires, c’est déjà beaucoup. C’est déjà un succès éditorial mais c’est à peine suffisant pour en vivre ! Il n’y a que 200 ou 300 auteurs de bande dessinée en France et en Belgique qui peuvent vivre de ce métier et ils ne représentent que 5% des auteurs de bande dessinée. L’immense majorité n’en vit pas, ils ont donc un métier à côté qui leur permet de vivre et éventuellement de continuer la bande dessinée.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour publier cette bande dessinée ?
J’ai rencontré des difficultés de plusieurs ordres. J’ai fait huit versions différentes de cette histoire – dont une fin différente que vous pouvez lire sur mon blog5. J’ai envoyé la quatrième version à FLBLB. Comme Pauline à Paris a bien marché – c’est le roman-photo qui se vend le mieux chez cet éditeur – je savais que j’avais de fortes chances qu’ils acceptent de publier ce livre. C’est déjà bien d’avoir un éditeur ! Il y avait aussi des contraintes techniques. J’ai utilisé de nombreuses images : les miennes mais aussi 500 à 1000 images d’archives que j’ai prises ailleurs. Sont-elles libres de droit ? Ai-je le droit de les utiliser ? Il a fallu que j’effectue les recherches et cela m’a pris plusieurs mois. Une autre contrainte très forte : vais-je oser enregistrer mon père ? Le photographier ? Car je sais qu’il n’aime pas être photographié.
De tous vos livres, quel est votre préféré ?
Je les aime tous ! J’avais de très bons retours sur Pauline à Paris alors j’avais peur de ne pas avoir le même retour positif sur Gaston en Normandie… J’avais peur de lasser, mais les retours sont très bons, en fait !
Avez-vous des projets ?
J’en ai, mais c’est un peu vague. J’y réfléchis ! Je n’ai rien commencé. Je suis dans une phase où je m’interroge…
Annexe 1
Déroulé pédagogique Gaston en Normandie
L’objectif global de cette étude de Gaston en Normandie s’inscrit dans le dispositif Une Case en Plus dont le but est d’appréhender la richesse de la bande dessinée et ce, sous toutes ses facettes : en tant qu’objet éditorial, objet de savoirs, source de plaisirs de lectures et surtout en tant que langage spécifique. Proposer une étude approfondie d’une bande dessinée en classe, c’est envisager un travail sur la bande dessinée et non pas seulement avec la bande dessinée.
Cette séquence autour de l’album Gaston en Normandie a été conçue et réalisée en co-animation avec une professeure de lettres-histoire du lycée professionnel, pour une classe de 3e PrépaPro, composée de 16 élèves, globalement faibles lecteurs et peu accoutumés à la lecture de bande dessinée, et pour une classe de 2de Pro.
Dans le cadre du projet Une Case en Plus, les élèves ont bénéficié de plusieurs séances autour de la bande dessinée où ils ont manipulé des albums. Ils ont été ainsi amenés à identifier les différents acteurs d’une bande dessinée et à décrypter des images (rallye bd, énigmes/jeux autour des albums de la sélection). Ils n’ont pas lu Gaston en Normandie avant la première séance. Ils rencontrent l’auteur en cours d’année, à l’issue des quatre premières séances.
1. Découverte de l’album Gaston en Normandie
À partir d’un questionnaire proposant une analyse minutieuse de la couverture (image et paratexte) et de la 4e de couverture (photomontage, résumé), complété par une visite sur le site de l’éditeur, les élèves découvrent l’auteur Benoit Vidal et l’éditeur FLBLB puis émettent des hypothèses autour de l’album. La lecture guidée de la page 27 leur permet d’affiner les intentions de l’auteur (croiser les souvenirs de Joséphine et Gaston autour du Débarquement) et de préciser les liens familiaux entre les trois personnes.
Objectif : amener les élèves à réaliser que Gaston en Normandie est une bande dessinée basée sur la collecte de témoignages familiaux et une bande dessinée sur le Débarquement en Normandie.
2. Prendre conscience des spécificités de ce récit : entre bande dessinée et reportage-photo
En analysant les planches 44 et 45, les élèves sont amenés à préciser la nature des images présentes dans ces deux planches : photos venant de sources diverses (photos personnelles, photos de guerre, reproduction de peintures, de tapisseries, d’illustrations populaires ou savantes…). Ayant accès à la liste des sources iconographiques citées par l’auteur, ils prennent conscience de la richesse et de la diversité des photomontages et de la nécessité légale de la citation des sources à laquelle est confronté l’auteur.
Objectif : amener les élèves à comprendre la distinction entre roman-photo et bande dessinée, réaliser que ce titre qui emprunte aux deux genres compose une œuvre hybride et singulière.
3. Le Débarquement à travers Gaston en Normandie
À partir d’un questionnaire autour des pages 14, 18, 31-32, 55 et 85, les élèves confrontent les témoignages de Gaston et Joséphine aux événements historiques (les bombardements et le Débarquement en Normandie).
Objectif : comprendre le contexte historique des témoignages mis en scène par Benoît Vidal.
4. Les civils dans la guerre à travers Gaston en Normandie
À partir d’un questionnaire autour des pages 15-17, 30, 32-33, 38-39, 40-41, 22-23, 46-54 et 77-83, les élèves travaillent sur le thème Les civils dans la guerre, selon trois axes proposés par l’album : Partir ou rester ?, Soigner et accueillir, Les enfants dans la guerre.
Objectif : comprendre l’importance historique des témoignages tout en prenant conscience de leur subjectivité, de la différence entre témoignage et histoire.
5. Rencontre avec l’auteur
Préparation de la rencontre avec l’auteur : mot d’accueil adressé par deux élèves à l’auteur, organisation des questions par thèmes et ordre des questions. Organisation d’un goûter de fin de rencontre. Lors de la rencontre, prise de notes par une des classes.
Objectif : marquer un temps fort avec la rencontre physique de l’auteur, mieux appréhender les enjeux et les choix narratifs et graphiques de l’auteur, valoriser le travail collectif mené en classe.
6. Création graphique
Chaque élève compose une planche à « la manière de Benoit Vidal » à l’aide du logiciel BDnF1.
Thème imposé : raconter un souvenir d’enfance en utilisant des images de natures et d’origines diverses.
Contraintes : sur une planche de 9 cases de taille régulière, l’élève auteur se mettra en scène (trois photos au moins du présent), les autres images peuvent être des photographies personnelles de leur enfance ou, au choix, créées, trouvées, détournées (mais libres de droit). Les élèves devront présenter la liste des références iconographiques de leur planche.
Objectifs : en créant une narration en images basée sur la photographie ou l’illustration, prendre conscience du procédé du roman-photo et du langage spécifique de cette narration. S’initier à un outil numérique spécialisé. Être sensibilisé aux droits à l’image.
Toutes les séances (questionnaire/correction) ci-dessus sont téléchargeables via le site Le Dock (http://ledockbd.blogspot.com) qui mutualise les séances réalisées dans le cadre Une Case en Plus.
1. BDnF : outil de création numérique gratuit mis au point par la BnF permettant de créer des récits mêlant textes et images. https://bdnf.bnf.
La question sexuelle n’est pas neuve dans la littérature jeunesse. Déjà Perrault mettait sur papier des contes destinés aux enfants et truffés de morales bien peu voilées sur la question. Et la métaphore de la bagatelle est en effet courante dans les contes, les comptines et les chansons. Au regard de ce bagage culturel historique, la littérature jeunesse d’aujourd’hui peut paraître à première vue fort chaste. La version actuellement en vigueur de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, adoptée en 2011, comporte encore une dimension moralisatrice, mais elle ne cible plus aujourd’hui que les contenus spécifiquement pornographiques, ayant évacué la notion de « débauche ». C’est peut-être ce qui explique que le XXe siècle ait été une période de publications plutôt lisses sur ce sujet, du moins dans les ouvrages « grand public ». Le thème par excellence de la littérature jeunesse étant le récit initiatique, la question de la découverte du sexe ne pouvait être passée totalement sous silence, c’est pourquoi nous nous interrogerons dans ce Thèmalire sur la place qu’occupe la première expérience sexuelle dans les récits, lorsqu’elle n’est pas d’ailleurs au centre de l’histoire. S’agit-il d’utiliser les publications jeunesse pour sensibiliser les adolescents à un enjeu de santé et de société ? Est-ce un tabou qui se lève sur une étape de l’accomplissement vers l’âge adulte, et qui prend peu à peu sa place dans un domaine littéraire qui gagne en liberté ? Ou encore, admettons-nous aujourd’hui l’érotisme dans les genres destinés à la jeunesse ? Et pourquoi pas les trois ?
La première fois, un prétexte littéraire à la sensibilisation ?
La littérature de jeunesse conserve à travers le temps une entrée pédagogique, voire un peu moraliste, véhiculée par Perrault en son temps. Aussi, les premiers romans qu’on peut trouver, les plus référencés, les plus souvent mis en évidence dans nos CDI, sont souvent des récits de faits de société, qui traitent plus des conséquences possibles que du moment vécu.
Ainsi, dans le roman Soixante-douze heures, de Marie-Sophie Vermot, la première fois de l’héroïne Irène n’existe qu’en flash-back. Son histoire, c’est celle qui a suivi cette première fois, le rapport sexuel constitue l’élément déclencheur, pas le récit. Et Irène nous raconte ainsi son accouchement sous X, à 17 ans. On retrouve le même thème dramatique dans le court roman de Jo Witek, Trop tôt : une belle et intense expérience amoureuse au bord d’une plage, racontée dans les premiers chapitres, est suivie d’une lourde décision à prendre : avorter ou pas ?
Si la première fois n’y est pas du tout tabou, ces deux romans ont comme point commun de ne pas la mettre au cœur du récit : elle est le point de départ d’un récit ultérieur, qui se centre sur les conséquences plus que sur le moment vécu. Cette première fois reste d’abord le déclencheur d’une situation dramatique : la grossesse, l’avortement, ou encore l’abandon.
Ces questions sont bien sûr importantes dans la construction d’un rapport responsable au sexe, et traitées avec bienveillance et absence de jugement dans les deux ouvrages cités, mais la question du passage à l’âge adulte est ici un prétexte à la sensibilisation, à de la prévention. C’est souvent la raison pour laquelle ces ouvrages sont mis en avant les premiers : ils racontent, très bien et avec un regard doux, des moments difficiles, des choix, une réalité dont on aimerait que tous nos jeunes prennent conscience. En contrepartie, on peut avoir la sensation en lisant Soixante-douze heures que la première fois ne vaut pas vraiment comme un acte qui serait déjà une expérience en soi. Comme si l’important n’arrivait qu’après…
Le roman de Jo Witek, Trop tôt, s’attarde un peu plus longtemps sur l’expérience de la première fois, sur l’acte lui-même et les heures qui le suivent. La jeune Pia, quinze ans, raconte sa rencontre avec Nathan, leur escapade de nuit sur la plage, le plaisir des baisers et des caresses : « C’est ainsi que je me souviens de cette première nuit d’amour et c’est pourquoi je ne la regretterai jamais ». Elle raconte aussi la gêne du petit matin, le retour au quotidien, l’envie de revoir le garçon, son refus à lui et l’humiliation de ce rejet. Puis, très vite, l’histoire se centre sur cet « après », sur ces conséquences dramatiques qui suivent l’abandon au plaisir.
De l’ellipse au détour d’une page…
On l’a dit, la première fois, quelle que soit l’expérience dont il s’agit, est le principe même du récit initiatique. De nombreux romans réalistes, racontant des parcours d’adolescents, voient leur personnage principal se confronter à cette question. Sans être au cœur de l’histoire, il s’agit d’une étape indéniable. Si elle est souvent traitée par l’ellipse, l’évocation, le souvenir, la métaphore, elle existe cependant, ainsi que les questionnements qui s’y rattachent.
Dans sa saga Comment bien rater ses vacances, Anne Percin raconte le quotidien de Maxime, un adolescent de 17 ans, et son évolution : le jeune homme, accro aux réseaux sociaux, à ses amis et à la musique, va devoir s’occuper de sa grand-mère hospitalisée et survivre seul ; puis, il découvre l’amour et le travail en équipe avec son groupe de rock… Le deuxième volet de la saga, Comment bien gérer sa love story, met l’accent sur sa relation naissante avec Natacha. Lorsque Maxime a l’occasion de passer pour la première fois la nuit chez sa petite amie, il raconte ses premiers moments de sensualité et de désir. Le roman est raconté à la première personne, et Maxime entretient pendant tout le récit une forte connivence avec son lecteur, agrémentée de clins d’œil, de notes de bas de page truffées de private jokes et de souvenirs communs établis au fur et à mesure de la lecture. Sa première fois est donc traitée par une belle ellipse, qui lui permet de mettre en avant sa pudeur et l’intimité du moment vécu avec une bonne dose d’humour et d’autodérision.
Le roman de Bertrand Jullien-Nogarède aborde cette étape de façon beaucoup plus sérieuse dans La première fois que j’ai été deux. Ce roman sentimental raconte la rencontre de Karen, une jeune adolescente désabusée des relations amoureuses, avec Tom Darcy, un jeune anglais qui lui fait découvrir l’amour. Ce roman très introspectif nous emmène dans leur voyage à Londres dans la famille de Tom, et s’attarde sur leurs échanges et discussions autour de l’amour et de leur avenir. Loin d’une relation charnelle et sensuelle, les deux héros sont plutôt portés sur le sentiment et l’intellect. Pour Karen, la première fois se passera dans un hôtel, “comme dans un rêve”… et il n’en sera très vite plus question !
Parmi les récits qui mentionnent cette étape de la première fois, certains sont notables pour avoir raconté une première fois… ratée. C’est le cas dans Geneviève, le quatrième tome de la saga Quatre sœurs de Malika Ferdjoukh. Dans cette fresque familiale dépeignant les déboires de cinq sœurs orphelines, chaque tome s’attache plus particulièrement à l’une des sœurs, héroïne éponyme du volume. Geneviève est le quatrième tome : la jeune fille est la deuxième de la fratrie, âgée de 16 ans, réservée et dévouée à sa famille. Donc, lorsqu’elle rencontre Vigo, le bad boy par excellence, son côté raisonnable est un peu bousculé. Après une soirée en amoureux catastrophique, Vigo toque à sa fenêtre et la rejoint dans sa chambre. Rien ne se passe comme dans son imagination : elle porte son tee-shirt le plus vieux et le plus moche, le chat est caché sous la couverture, le lit est dans une commode ancienne étroite et grinçante, le préservatif tombe derrière le matelas, une chauve-souris rentre dans la chambre, et ils sont finalement interrompus par Charlie, l’aînée des sœurs, avant même d’avoir commencé. Malika Ferdjoukh réussit pourtant à montrer dans leur maladresse la sensualité du moment, le désir qu’ils ont l’un pour l’autre. Partie remise, mais un premier contact avec le sexe qui leur donne l’envie d’y revenir.
Notre feu, publié en 2021 par Alexandre Chardin, commence également sur une première fois ratée, mais pour d’autres raisons. Là où celle de Geneviève échoue en raison du contexte et de la maladresse, c’est le stress de la performance qui gâche le premier rapport de Colin. Le roman débute sur l’angoisse numéro un des garçons confrontés à leurs débuts sexuels : l’éjaculation précoce, l’incapacité à aller au bout de l’acte, l’humiliation de ne pas avoir réussi et le rejet de la fille. Colin, sportif de haut niveau, part le lendemain de cette expérience ratée loin de sa petite amie, en vacances avec sa famille. Ces vacances auront leur lot de premières fois, et parmi elles la rencontre avec une jeune fille qui ne lui plaît pas plus que cela, mais qui finira par le séduire grâce à d’autres atouts. D’un roman initiatique au synopsis somme toute assez banal, Alexandre Chardin réalise finalement une œuvre jeunesse qui fait l’éloge de la séduction. Comment Colin se laisse-t-il charmer par Ada, au point d’en tomber follement amoureux ? Comment arrive-t-il avec elle à laisser le désir opérer sans faire de l’acte d’amour une épreuve à réussir ? Ce n’est pas uniquement la première fois de Colin qui nous est racontée, c’est sa première fois partagée avec l’autre. Notre feu s’inscrit dans un mouvement plus moderne de la littérature jeunesse, où le sexe passe d’une étape du développement de l’adolescent à un thème central de la littérature.
… À un thème éditorial
S’agit-il d’une libération des mœurs concernant la jeunesse ? Est-ce une réaction à l’accès de plus en plus facile à la pornographie ? À la présence de moins en moins censurée des scènes de sexe dans les films et séries pour ados ? Au succès des fanfictions et des autopublications de romances érotiques comme 50 nuances de Grey ? Toujours est-il qu’aujourd’hui, la littérature érotique pour les jeunes a fait son entrée dans les librairies, et qu’une réelle demande éditoriale, concernant les œuvres jeunesse qui s’emparent d’érotisme, existe.
Au-delà des textes aussi controversés que le roman de E. L. James, les auteurs se sont emparés du sujet avec des ouvrages qui ont toute leur place dans un CDI. Au contraire, ils se sont attachés à prouver qu’on peut parler d’érotisme aux adolescents sans faire l’apologie de la soumission ou du masochisme.
L’éditeur anglo-saxon Andersen Press a par exemple commandé en 2010 à l’auteur Keith Gray un recueil de nouvelles, paru sous le titre original Losing it, et traduit en français sous le titre La première fois. Le titre original est explicite : toutes les nouvelles sont centrées autour de la virginité, de la manière de la perdre et des représentations qui y sont liées : pourquoi la perdre ? Quelle sera mon image, ma réputation auprès des autres si je l’ai encore ou au contraire si je ne l’ai plus ? Est abordée également la question épineuse de la religion, de la tradition, de l’époque, et donc du tabou dans le cercle familial ou amical. Séducteur ou traînée ? Libre d’être attiré.e par le même sexe ou pas ? Le premier rapport étant au centre de chaque récit, chaque auteur aborde un non-dit, une peur, ou une représentation à déconstruire.
Une anthologie sur le même thème, française cette fois, a été publiée par les éditions Eyrolles. 16 nuances de premières fois : le titre souhaite sans aucun doute prendre le contre-pied de 50 nuances de Grey. La première fois est ici abordée dans un sens un peu élargi : première fois que ça a été bien, première fois avec un autre garçon, est-ce qu’entre filles ça compte, même sans pénétration ? Ce recueil coordonné par Manu Causse et Séverine Vidal apporte cependant une variation inattendue sur le thème, avec des récits situés dans un univers fantastique ou d’anticipation qui décalent le propos.
On retrouve toutes les angoisses de l’adolescent liées à sa première expérience sexuelle dans le roman américain de Cameron Lund, La toute première fois. Keely, seule vierge de son petit groupe d’amies, rencontre un garçon qui lui plait mais a terriblement peur de paraître inexpérimentée. Elle choisit de désacraliser ce moment en demandant à son meilleur ami et tombeur de réputation d’être son premier et de lui apprendre. Elle se questionne sur la différence entre désir et sentiment, l’importance de la confiance dans le partenaire, la complexité des relations amoureuses, amicales et sexuelles.
On voit qu’un tournant a été franchi dans la définition des publications destinées à la jeunesse en observant l’augmentation des ouvrages récents qui font la part belle au thème du sexe. L’éditeur Thierry Magnier a créé en 2019 une collection entièrement consacrée à la question sexuelle chez les adolescents, intitulée L’ardeur. Les trois mots qui accompagnent le nom de la collection montrent le choix éditorial : « lire, oser, fantasmer ». Il ne s’agit pas uniquement de traiter d’un fait de société, d’une étape du développement, mais aussi d’aborder le sexe par l’imaginaire, l’érotisme et la découverte. Parmi les dix titres de la collection, nous en avons retenu trois dans notre bibliographie. Dans Touche-moi, de Susie Morgenstern, Rose raconte sa vie d’adolescente albinos, qui rêve des garçons alors qu’ils n’osent pas l’approcher. Elle confronte ses fantasmes à la réalité, se demandant à partir de quand le sexe devient une obsession, se questionne sur l’image du sexe qu’elle se construit avec la pornographie. La question du handicap est également présente dans le roman de Camille Emmanuelle, Le goût du baiser. Aurore est une jeune fille qui a perdu le goût et l’odorat dans un accident. Ce récit aborde de manière surprenante le complexe, avec un handicap qui ne se voit pas, mais qui crée une réelle angoisse chez l’adolescente : est-ce que je sens mauvais ? Comment m’en rendre compte ? Elle fait apparaître une autre dimension de la sensualité en mettant à l’honneur l’importance des cinq sens dans la relation intime. Enfin, toujours dans cette collection, Les premiers plans de Rémi Giordano pose la question du coming out, de la découverte du sexe pour un jeune homosexuel qui se cherche et se pose des questions bien spécifiques : serai-je actif ou passif ? Est-ce important ? Est-ce qu’on peut changer après ? Une collection à découvrir et à intégrer à vos rayonnages de lycée, car les auteurs n’y mâchent pas leurs mots.
Nous pouvons terminer ce panorama avec un ouvrage qui fait un peu figure d’OVNI, D’or et d’Oreillers de Flore Vesco. Réécriture de contes de fée, ce roman reprend leurs versions non édulcorées pour les enfants et multiplie les références à ces différentes histoires, de Barbe Bleue à Cendrillon en passant par Le Monde de Narnia. Ainsi, lorsque notre princesse au petit pois passe quelques nuits chez son prétendant, elle découvre son corps, la masturbation, le plaisir de voir l’autre et de se laisser voir, bref, elle découvre le désir, le corps et la séduction.
Le sexe et sa découverte ont bel et bien toute leur place dans la littérature jeunesse aujourd’hui, et les choix de lectures et de films des adolescents témoignent d’une vraie demande sur ce thème. Il est difficile de faire l’impasse sur cette étape signifiante du développement de l’adolescent dans des récits souvent initiatiques. Le roman est également un outil majeur de sensibilisation, d’information, notamment émotionnelle : il permet de découvrir comment d’autres ont vécu ce moment, y compris dans l’imaginaire et d’avoir un espace de questionnement et de tâtonnement. Mais c’est aussi un vrai sujet littéraire complexe qui comporte ses propres codes, ceux de l’érotisme, du fantasme, et qui n’est plus réservé aux adultes.
Nous avons choisi dans ce dossier d’InterCDI d’interroger la place des neurosciences au CDI ainsi que le rôle du professeur documentaliste dans les projets qui y font référence, projets portés par des équipes de collègues motivés. Que nous apprennent les résultats des recherches récentes dans ce domaine ? Quels sont les apports potentiels des neurosciences aux pratiques de classe ? Autant de questions auxquelles il n’est pas envisageable d’apporter de réponses définitives car, comme le souligne Edouard Gentaz, professeur de psychologie du développement à l’université de Genève et directeur de recherche à l’institut des sciences biologiques du CNRS dans l’ouvrage Les neurosciences à l’école : leur véritable apport1, les études sur les neurosciences sont relativement récentes et encore très discutées, notamment en raison d’un manque d’études significatives. Il rappelle également que les neurosciences ne sauraient expliquer à elles seules des phénomènes aussi complexes que l’apprentissage et l’enseignement. Il importe d’observer l’environnement de l’individu et de s’appuyer sur différentes disciplines : « Pour un enseignant, il est important de prendre conscience que lorsque l’élève apprend quelque chose, il “sculpte” son cerveau et, dans certains cas, peut “recycler” de nouvelles zones cérébrales. Les compétences sont beaucoup plus modulables que ce que l’on pensait. […] Mais les recherches en neurosciences à elles seules ne peuvent guider les pratiques pédagogiques. Elles doivent être associées aux autres disciplines, comme celles issues de la psychologie scientifique » (Gentaz, 2022, p. 27).
Dans un premier temps, nous essaierons de comprendre les mécanismes de la pensée en jeu dans l’évaluation de l’information. L’adhésion à certaines infox ou théories du complot est-elle principalement une affaire de cerveau ? Quelle est la part du contexte socio-culturel et de l’environnement informationnel ? Pour éviter de tomber dans les « mythes cognitifs », Raphaël Heredia propose, avec Désinformation une histoire de cerveau vraiment ? de faire la part des apports respectifs de différents champs, dont certains sont délaissés (sociologie du numérique, sciences de l’information, sciences de l’éducation) quand d’autres sont largement invoqués (neurosciences, psychologie cognitive ou sociale). L’approche est compréhensive, il s’agit dans tous les cas de mettre à distance une vision de l’ÉMI comme « une histoire de gens qui pensent mal, à remettre sur le droit chemin cérébral ».
C’est dans le cadre d’une réflexion générale sur les pratiques pédagogiques que Manon Lefebvre convoque les neurosciences : non comme un outil proposant des méthodes universelles à appliquer pour améliorer les apprentissages, mais dans une logique d’expérimentation et d’adaptation des pratiques, rapportée ici plus particulièrement à l’ÉMI et centrée sur le processus de mémorisation. Certains « allants de soi » sont questionnés, et des pistes suggérées, en appui sur les résultats de recherches récentes ; la nécessaire prise en compte du contexte, et le rôle primordial de l’enseignant à ce niveau sont rappelés avec insistance. Dans la continuité de sa réflexion, Marine Brochard-Castex propose un exemple concret, dans un contexte de cours bimensuel, mettant à l’épreuve du terrain certaines des pistes préconisées.
Dans un second temps, nous nous pencherons sur des expérimentations pédagogiques lancées dans plusieurs académies, qui ont pour objectif la création d’un contexte éducatif favorable aux apprentissages et à la gestion des émotions. Virginie Breyton relate ainsi le déploiement dans l’académie de Versailles d’un dispositif soutenu par la CARDIE2, visant à développer les compétences psychosociales des élèves, et plus précisément, leur bien-être. Elle donne à voir comment les professeurs documentalistes peuvent s’impliquer et contribuer à l’acquisition par les élèves d’une meilleure connaissance des « mécanismes » du cerveau et de leurs capacités cognitives, émotionnelles et sociales. Les pratiques ludiques et créatives occupent une place de choix dans ce processus, ce que met également en avant Anne-Valérie Mille-Franc dans l’académie de Montpellier, laquelle propose dans un article des pistes et des outils pour travailler différemment avec les élèves. Toutes les deux soulignent l’importance d’une formation solide et s’interrogent sur la manière dont le professeur documentaliste peut contribuer à l’instauration d’un climat serein, propice à l’épanouissement des élèves.
Avec la création d’un groupe « zèbres » (terme inventé par Jeanne Siaud-Facchin, psychologue clinicienne et psychothérapeute), Louise Daubigny propose une expérience singulière d’accueil en CDI d’élèves à Haut Potentiel (des élèves « à besoins éducatifs particuliers »). Ici aussi, l’auteure invite à dépasser certaines idées reçues, et interroge le rôle du professeur documentaliste. La démarche de projet et les activités sollicitant imagination et créativité sont mises en avant. Le CDI peut être « une bulle d’air » pour ces élèves, selon ses mots. Enfin, Stéphanie Druesne, professeure d’EPS et formatrice académique en yoga, invite à faire un pas de côté avec la pratique du yoga : au-delà du projet présenté, appuyé par l’académie d’Orléans3, et à destination d’élèves mineurs isolés allophones, c’est de la relation corps/esprit que traite l’article, et des effets bénéfiques que peut avoir le yoga sur le cerveau ; apprendre à accueillir et à maîtriser ses émotions permet d’apaiser les tensions physiques et mentales et favorise la concentration ; vivre les mots – et les savoirs – via des mouvements et des postures participe au processus de mémorisation, l’élève se préparant ainsi pour de nouveaux apprentissages.