Démarche créative et expérience(s) du monde

Démarche créative, expérience(s) du monde, ouverture à la diversité sont au cœur de ce nouveau numéro d’InterCDI.

Interroger les normes, les hiérarchies et à la suite le difficile à classer, c’est ce à quoi s’attache Olivier Le Deuff dans Monstres et documents. Il invite le lecteur à dépasser tout point de vue définitif, et à s’ouvrir à la diversité, choisissant pour sa part, sur le mode de la bifurcation, de centrer son propos sur les monstres. Ce qui engage sur des voies nouvelles, intéressantes à considérer quand il s’agit de classifications, ici documentaires. Le bien commun se fonde sur des principes de partage, non sur des similarités, insiste-t-il, élargissant la réflexion.

Construire sa pensée, bâtir et organiser des idées, en s’inspirant de démarches créatives, c’est ce que proposent Isabelle Hincapié-Jault et Véronique Gardair, toutes deux soucieuses d’impulser un apprentissage par le faire, au plus près des acteurs/usagers : déroulant, pour la première, une séquence de préparation à l’oral en classe de sciences de première, en appui sur le potentiel des cartes heuristiques ; suggérant, pour la seconde, la méthode design thinking, pour mûrir des projets de (ré)aménagement des espaces, selon une approche usagers.

S’ouvrir au monde, dans sa diversité, rester attentif aux mouvements des idées, oriente vers une pluralité d’initiatives et d’expériences, étendant l’horizon des possibles, en jouant de différents registres. Avec le dispositif « La classe dehors » au centre des Rencontres Internationales de Poitiers (en mai-juin 2023), il s’agit de faire une place au sensible, ce dont rendent compte Antoine Henry et Kaltoum Mahmoudi, qui esquissent quelques propositions pour « un CDI dehors », faisant le lien entre nature et culture. Avec les projets inter-lycées d’envergure européenne dont Sophie Dremeau et Pietro De Cesare retracent les grandes lignes, c’est la dimension interculturelle qui est mise en avant, tout comme dans l’ouverture culturelle que Corinne Paris consacre au thème d’actualité « Sport et Jeux olympiques ». Avec la veille numérique enfin, signée Gabriel Giacomotto, ce sont les évolutions en cours dans le domaine de l’IA, notamment Chat GPT, qui sont interrogées et des ressources innovantes présentées, sources potentielles d’activités créatives.

Bonne lecture à toutes et tous

ChatGPT : l’IA qui fascine mais qui inquiète tout autant

La version gratuite de ChatGPT 3 défraie la chronique depuis près d’un an. Cette IA conversationnelle interroge et interpelle toute personne qui essaie de communiquer avec elle. Il est important de la tester car cela permet de constater qu’elle répond aux questions de manière relativement claire et rapide. De prime abord, les capacités de l’IA semblent impressionnantes. 

 

Vous pouvez tester la version gratuite de cette intelligence artificielle conversationnelle, en vous connectant et en vous inscrivant sur le site d’OpenAI https://chat.openai.com/auth/login. Vous pouvez tout d’abord commencer par discuter avec elle, l’interroger sur un sujet que vous connaissez bien, comme par exemple « la vérification des sources », pour constater la pertinence et la cohérence de ses réponses et de sa manière de communiquer. Si vous prenez ensuite un peu de recul, vous pouvez réfléchir à l’usage pertinent que vous pouvez faire de cet outil. Peut-être aurez-vous envie de vous améliorer en anglais et donc de pouvoir discuter en anglais avec ChatGPT et d’être corrigé par ce dernier si vous faites des erreurs. Vous pouvez dès lors créer un « prompt1 » (commande en langage naturel), et faire de ChatGPT votre « professeur d’anglais personnalisé ». Ainsi, lorsque vous lui parlerez en anglais, il corrigera d’abord vos erreurs, puis vous donnera la règle grammaticale associée et enfin vous proposera un « trick » (aide-mémoire) pour que vous ne fassiez plus la même erreur. Les capacités de cette IA sont surprenantes, oui, mais aussi inquiétantes car l’on peut aisément se questionner sur les conséquences de cette invention technologique, surtout quand elle est accessible à tous.

ChatGPT un modèle de langage développé par OpenAI

GPT (Generative Pre-trained Transformer) est une famille de modèles de langage développé par OpenAI, une entreprise spécialisée en intelligence artificielle (IA) basée à San Francisco. ChatGPT s’appuie sur GPT 3.5 dans sa version gratuite et accessible à tous et sur le dernier modèle GPT 4 pour sa version payante aux performances encore plus remarquables. Les modèles de la famille GPT utilisent l’apprentissage automatique pour générer du texte en se basant sur des milliards de séquences de mots provenant de différentes sources en ligne. Ils sont entraînés sur de vastes ensembles de données textuelles, ce qui leur permet de générer des réponses cohérentes et pertinentes aux requêtes de l’utilisateur. Ces modèles sont ensuite entraînés spécifiquement pour suivre des instructions et produire du texte au contenu acceptable, ce qui leur permet d’être utilisés par le plus grand nombre dans la version conversationnelle de ChatGPT. ChatGPT est donc un chatbot dont le moteur est un modèle GPT.

ChatGPT est souvent utilisé dans des chatbots et des applications de messagerie instantanée, fournissant ainsi une meilleure expérience utilisateur, plus personnalisée et plus efficace. Il peut également être utilisé pour traduire automatiquement des textes dans différentes langues, rédiger des contenus pour des sites web, blogs et autres. Enfin, il est utilisé aussi pour générer des textes à partir de quelques mots-clés donnés en entrée.

Si cette IA plait autant aux utilisateurs (entreprises et internautes), c’est qu’elle permet d’améliorer l’efficacité et l’expérience utilisateur en s’adaptant aux préférences et au langage de celui-ci, tout en répondant de manière instantanée et précise à ses questions.

 

ChatGPT, un modèle de langage basé sur la prédiction

Il faut rappeler, tout d’abord, que ChatGPT est un « large langage model » (grand modèle de langage) qui a été entraîné sur des données ne dépassant pas 2021 et qu’il n’est pas connecté à Internet.

Le modèle qui sert de fondement à ChatGPT est similaire à celui utilisé par le correcteur automatique dans les smartphones pour compléter les messages. Ce correcteur y parvient grâce à un algorithme qui essaie de prédire, à partir des mots écrits, quels sont les prochains mots les plus probables dans la phrase. Les modèles de langage comme ChatGPT ont le même objectif : prédire la suite logique mais de manière beaucoup plus efficace parce qu’ils ont été entraînés sur beaucoup plus de données. De plus, le modèle de ChatGPT dispose de 175 milliards de paramètres pour la version ChatGPT 3.52 (cent fois plus que la version précédente GPT 2), qui lui permettent d’ajuster ses performances pour fournir des résultats plus précis. Il est important de noter que les textes générés par ChatGPT ressembleront à ceux que les ingénieurs lui ont donné en apprentissage lors de son entraînement.

Pour améliorer davantage les performances de ChatGPT, les ingénieurs ont ensuite « fine-tuné » leur modèle, c’est-à-dire affiné ses paramètres. Pour cela, ils ont utilisé des « feed-back » humains, autrement dit des retours d’utilisateurs, pour trier et organiser les réponses en fonction de leur pertinence. Ce processus a permis à ChatGPT de proposer des réponses plus pertinentes, en conformité avec les consensus scientifiques et moraux. Pour transformer ce modèle en chatbot, il a ensuite fallu lui donner une mise en scène lui permettant de répondre aux questions de manière plus « humaine ».

Toutefois, il n’est pas toujours fiable car son objectif est de produire des textes crédibles et non pas véridiques. Il peut donc lui arriver d’avoir une « hallucination » et d’aller jusqu’à inventer des réponses, des références d’articles ou d’auteurs. Les hallucinations sont définies par Keivan Farzaneth, conseiller pédagogique principal en intelligence artificielle au collège Sainte-Anne, comme étant le moment où l’IA « interprète ou génère des informations qui ne sont pas exactes. Par exemple, une IA pourrait générer une réponse qui n’a pas de sens ou qui est complètement hors contexte, ou alors, elle pourrait penser qu’elle a identifié un chat dans une image alors qu’il n’y en a pas ». (Farzaneh, Glossaire, dernière modification 14 août 20233.) Attention donc, ChatGPT ne peut pas remplacer les recherches sur les moteurs de recherche classiques car il n’effectue aucune recherche dans une base de données lorsqu’il répond à une question : ChatGPT produit uniquement le texte le plus cohérent possible à partir du texte qu’il a obtenu en entrée, pas le plus fiable. C’est ce que souligne également Laure Soulier, maîtresse de conférences en informatique dans l’équipe Machine learning for information access de l’Institut des Systèmes Intelligents et de Robotique (ISIR) :

« Il écrit des réponses plausibles qui nous semblent cohérentes, mais qui peuvent en réalité se révéler inexactes ou trompeuses. L’entraînement basé sur l’apprentissage par renforcement ne contraint pas le modèle à générer des informations véridiques et sa connaissance du monde est limitée aux données qu’on lui a fournies lors de l’entraînement. N’étant pas pour le moment connecté au web, le ChatGPT n’a pas accès aux nouvelles informations publiées4. »

Il faut alors vérifier systématiquement les informations qu’il donne car, s’il fournit des réponses très vraisemblables, celles-ci ne sont fondées sur aucune source concrète.

En effet, certains de ses usages aujourd’hui répandus, notamment la republication directe sur d’autres supports de textes issus de ChatGPT, remettent en question la possibilité de vérifier les sources et les informations, soulevant ainsi des interrogations sur la fiabilité et l’authenticité des informations, ainsi que sur l’impact de l’IA sur la capacité à distinguer la vérité de la fiction. Même si certains outils ont été développés pour tenter de pallier ce problème, il est évident que l’une des clés essentielles pour résoudre ce défi sera la formation et l’éducation des utilisateurs aux bonnes pratiques d’utilisation de cette nouvelle technologie.

 

L’intelligence artificielle et l’information

Comment, dans ce contexte d’incertitude autour des sources et d’instabilité du document, le professeur documentaliste peut-il permettre à tous les élèves d’acquérir une culture de l’information et des médias, sachant qu’avec l’avènement de l’IA, il devient de plus en plus difficile de vérifier la véracité des informations que l’on peut trouver sur Internet ?

L’un des exemples les plus flagrants et actuels concernant la vérification des informations générées par l’IA est celui des images, créées par l’IA Midjourney, représentant Emmanuel Macron assis sur des poubelles près de la Tour Eiffel ou fuyant des policiers en pleine rue ou encore portant le gilet orange des éboueurs. Ces images sont des exemples frappants de ce phénomène car elles ne sont pas des montages mais bien des créations d’intelligence artificielle qui s’inspirent du style vestimentaire d’Emmanuel Macron, de ses expressions et de ses bijoux. Elles sont si réalistes qu’elles remettent en question la capacité à distinguer la vérité de la fiction ou à repérer les fausses informations. Les deep fakes ont déjà posé la question de la véracité des vidéos, car elles permettent de remplacer le visage d’une personne par un autre et de changer ses propos de manière très réaliste. Avec l’IA, il sera de plus en plus difficile de vérifier l’authenticité d’une information, même s’il s’agit d’une photographie ou d’une vidéo.
Concernant la création de contenus textuels, ChatGPT 3 et sa version plus récente ChatGPT 4 ne sont pas en reste dans l’élaboration de fausses informations ! En effet, ces deux IA sont incapables, pour le moment, de garantir la fiabilité des informations qu’elles donnent et d’en donner les sources.

D’une part, lorsque ChatGPT est utilisé comme moteur de recherche, alors que ce n’est pas sa vocation, il n’est pas possible de garantir la véracité des informations fournies. À aucun moment cette IA n’effectue une recherche d’informations. Si, par exemple, on lui demande de rédiger la biographie de Descartes, le contenu qu’elle fournira sera vraisemblable et une partie sera probablement juste, mais il est possible que des erreurs ou des inexactitudes se glissent dans ses propos. Ainsi, ChatGPT pourrait affirmer que Descartes a effectué un séjour en Amérique du Sud, alors que cette information est fausse. Le problème est que ce genre d’erreur n’est perceptible que par des personnes qui connaissent déjà bien le sujet et ici, en l’occurrence, la vie de Descartes. Il est donc essentiel d’expliquer le fonctionnement de cette IA à tous les utilisateurs pour ne pas tomber dans l’illusion que nous avons affaire à une incroyable encyclopédie capable de répondre à toutes nos questions en un clin d’œil.
D’autre part, ChatGPT peut être utilisé de manière malveillante pour créer sciemment de fausses informations ou pour influencer et manipuler des utilisateurs. Un générateur de texte qui semble très vraisemblable et convaincant peut être utilisé à mauvais escient et malheureusement les garde-fous d’OpenAI ne sont pas infaillibles. Des personnes malintentionnées peuvent ainsi utiliser ce chatbot pour produire des codes malveillants, créer de faux profils de rencontre, réaliser des arnaques plus crédibles ou mener des campagnes d’hameçonnage. Lorsqu’on essaie par exemple de demander à ChatGPT de créer un mail de phishing, l’IA s’excusera d’abord de ne pas pouvoir satisfaire notre requête :

« Je suis désolé, mais en tant qu’agent d’IA, je ne peux pas écrire un email de phishing. La création et la distribution de courriels de phishing sont des actes malveillants et illégaux, qui peuvent causer des dommages importants aux victimes.
Au lieu de cela, je vous recommande de rester vigilant et de ne jamais divulguer vos informations personnelles […].
Il est important de signaler tout courriel de phishing suspect aux autorités compétentes […]5. »

Cependant, en insistant un peu, il est malheureusement possible de contourner les restrictions de ChatGPT afin d’obtenir le résultat demandé. Il est également possible de simuler une conversation avec un ChatGPT « nazi » ou « raciste » en lui donnant des instructions différentes ou en lui demandant de jouer un rôle spécifique dans un « jeu de rôle » ou dans un scénario de film.
Selon une étude menée par NewsGuard, une start-up fondée en 2018 aux États-Unis lors de l’explosion des fake news partagées sur les réseaux sociaux au moment de l’élection présidentielle de 2016 et spécialisée dans l’évaluation de la crédibilité des sites web d’actualités et de médias, la dernière version de ChatGPT, ChatGPT 4, est moins fiable que sa version précédente dès lors qu’on le questionne sur des thèses complotistes. NewsGuard a effectué des tests sur les propos de l’IA qui pouvaient alimenter des sujets complotistes. Ainsi dans « 80 % des cas, le robot d’intelligence artificielle (IA) ChatGPT a relayé des affirmations fausses et trompeuses lorsque nous lui avons posé des questions orientées sur des sujets d’actualité importants » (Brewster, Arvanitis & Sadeghi, 20236). Cette capacité de l’IA à produire des textes vraisemblables mais non véridiques souligne la nécessité d’être vigilant quant à l’utilisation de ChatGPT. En effet, le chatbot peut être utilisé pour désinformer ou alimenter des récits complotistes de manière très convaincante, surtout si on lui demande de prendre le point de vue de quelqu’un qui adhère à des théories du complot.

Dès lors, comment lutter contre les fausses informations créées par les intelligences artificielles et relayées sur Internet ? Comment s’assurer que chacun dispose des clefs pour détecter le vrai du faux ?
Des outils numériques commencent à être développés pour répondre à ces problématiques. Par exemple, en 2020, Microsoft a créé une IA appelée Video Authenticator, capable de détecter les fausses vidéos ou images. Une autre solution serait de mettre en place un système de certification des contenus publiés, par l’ajout d’un patch ou d’un élément visible pour authentifier leur véracité. Cependant, ces solutions ne sont pas encore généralisées et présentent encore des failles car elles ne permettent pas de détecter toutes les fausses informations. La question de la véracité de l’information est plus que jamais d’actualité et les professionnels de l’information et des médias doivent s’adapter à ces nouvelles réalités. Les cours d’EMI dispensés par les professeurs documentalistes sont donc essentiels pour agir contre les fake news, en formant les élèves à un usage réfléchi de ces outils.

 

ChatGPT dans l’enseignement

Au premier abord, les usages de chatGPT questionnent beaucoup et inquiètent de nombreux enseignants. En effet, il est assez facile de trouver sur Internet, à la radio ou autour de nous, des témoignages d’étudiants et d’élèves confiant qu’ils utilisent ChatGPT pour gagner du temps. L’IA leur permet par exemple de résumer un livre, formuler un plan de dissertation ou traduire un texte en quelques instants. La démocratisation de l’utilisation de ce genre d’IA interroge dès lors les méthodes d’enseignements et d’apprentissages.
ChatGPT 3 peut notamment remettre en question les devoirs à la maison car rien n’empêche les élèves d’utiliser ce chatbot pour réaliser une dissertation ou un écrit d’invention, les intelligences artificielles conversationnelles générant des textes dans un français presque parfait. Les élèves peuvent très facilement poser une question à l’IA et copier-coller l’information ou le texte donné sans citer leur source (ici ChatGPT 3). Un tel usage s’apparente non seulement à du plagiat, comme l’indique Keivan Farzaneh sur son site L’intelligence artificielle en éducation (rubrique Introduction au plagiat, 2023), mais, plus encore, les élèves utilisant ainsi cet outil ne font pas eux-mêmes le travail demandé et par conséquent n’apprendront rien de cet exercice. Il ne paraît donc plus possible de donner ce genre de devoir sauf si le sujet est d’actualité (dépassant 2021) ou s’il est suffisamment complexe pour que l’IA ne sache pas le traiter correctement. Pour minimiser les risques de plagiat (copier-coller d’un texte généré par une IA conversationnelle), les exercices de rédaction de textes devront sans doute se faire en classe plutôt qu’à la maison. Keivan Farzaneh ajoute également : « Si la rédaction se fait sur un support numérique, il est important de se promener régulièrement en classe, et lorsque possible, d’orienter les appareils des élèves dans une même direction afin d’avoir une vue d’ensemble de la classe plus facilement. » (rubrique Minimiser les risques de plagiat, 20237) Les enseignants vont devoir repenser les sujets, privilégier des études de cas ou des analyses de documents par exemple. L’arrivée de cette nouvelle technologie les encouragera peut-être à se tourner davantage vers l’expression orale, obligeant ainsi les élèves à réfléchir par eux-mêmes. Il faudra également insister sur l’illégalité et les conséquences du plagiat, même si le texte a été généré par un robot et que les élèves ne se rendent pas toujours compte que ce robot en est la source.
Reconsidérer l’ensemble de l’enseignement et des méthodes d’apprentissage à cause de ChatGPT n’est vraiment pas nécessaire. L’inquiétude ressentie aujourd’hui peut rappeler celle qu’a suscitée Wikipédia à ses débuts. Depuis, l’usage de cette encyclopédie a été encadré et étudié à l’école, menant à une utilisation plus réfléchie par tout un chacun. Tout comme Wikipédia, les chatbots peuvent être très efficaces dans certains cas mais il faut rester prudent quant à leur utilisation.

Il s’agit également de former les élèves à un usage raisonné de ChatGPT car, comme nous l’avons vu précédemment, l’IA peut produire des erreurs. Il faut donc que les élèves soient conscients des biais que peuvent générer les chatbots et qu’ils comprennent le concept d’hallucination.
D’autre part, il peut être facile de repérer les textes générés par l’IA, notamment lorsqu’il n’est pas habituel pour les élèves de s’exprimer sans faire d’erreur, dans une syntaxe parfaite. ChatGPT a également tendance à générer des répétitions et à produire des phrases courtes. Pour pouvoir vérifier si les élèves ont copié-collé ChatGPT, il est possible d’utiliser des outils permettant de vérifier si un texte a été écrit par un humain ou par une IA. Plusieurs outils (GPTZéro, AI Text Classifier, etc.) sont disponibles sur Internet ; toutefois, tous ne sont pas extrêmement fiables et il faut garder à l’esprit qu’ils peuvent également faire des erreurs. Malgré tout, ils restent des outils intéressants pour confirmer ou infirmer une suspicion de triche et éventuellement interroger l’élève concerné.
GPTZero (2022-20238) a été développé par un étudiant en informatique américain Edward Tian. Compliqué à comprendre de prime abord, l’outil est en réalité simple d’utilisation : une fois le texte à évaluer copié-collé dans l’encadré prévu à cet effet, l’algorithme analyse le texte. Un premier score est ensuite donné, portant sur la « perplexité9 » du texte considéré dans son ensemble, puis un second score, portant sur la perplexité des phrases du texte. Plus le score de perplexité est grand, plus le texte est susceptible d’avoir été écrit par un humain. Le score de perplexité correspond en quelque sorte à la complexité des phrases et au taux de probabilité des mots utilisés. En bas de la page, un bouton « Get GPTZero Result » permet l’accès aux résultats. Lorsque le score dépasse 100, le texte est détecté comme celui d’un humain. Le site annonce alors “Your Text is likely human generated!” (Votre texte a été probablement écrit par un humain !). Si le score est en dessous de 100, il est plus probable qu’il ait été généré par une IA.
Un autre outil que vous pouvez tester est celui développé par OpenAI et qui se nomme AI Text Classifier10. Il fonctionne comme l’outil précédent et détecte assez bien les textes générés par des IA. En revanche, il ne détecte pas encore très bien ceux qui sont écrits par des humains ! Il va sans doute être amélioré avec le temps.
Draft & Gold (202311) propose également son propre détecteur, plus simple d’utilisation et de prise en main. Une fois le texte entré dans l’encadré de détection, il suffit d’activer « Analyser », ce qui permet d’obtenir le résultat de l’analyse du texte en pourcentage et de savoir si l’extrait a été rédigé en partie ou entièrement par une IA. Le site annonce directement le résultat : « Sur la base de notre analyse, votre texte a très probablement été écrit par un humain ». Plus le texte est long et plus l’algorithme semble mieux l’analyser et détecter s’il a été généré par une IA. Sa version gratuite limite malheureusement son utilisation à une quarantaine de tests par jour, mais il reste malgré tout un très bon outil de détection, simple et efficace.

Il faut cependant souligner que certains professeurs, comme Keivan Farzaneh, déconseillent l’utilisation des détecteurs de textes générés par l’IA « car ils produisent régulièrement des faux positifs ou des faux négatifs » (rubrique Détecter le plagiat, 202312). Pour lui, la meilleure façon reste d’analyser le texte de l’élève pour « détecter toute forme d’anomalie dans la structure des phrases (enchaînements douteux, changement soudain de la qualité de la langue, etc.)13 ». Il conseille de faire rédiger un petit écrit à chaque élève, en classe, en début d’année, et de le garder comme comparatif en cas de doute durant l’année : ainsi l’enseignant s’assure de connaître le style d’écriture de l’élève.

 

Des pistes pour former les élèves à l’usage de ChatGPT

ChatGPT n’est donc ni un outil de recherche documentaire, ni une encyclopédie, notamment parce qu’il ne permet ni de citer ni de vérifier les sources utilisées pour fournir les réponses aux questions posées par les internautes. Il convient donc d’être prudent, car de nombreuses erreurs peuvent se glisser dans les contenus qu’il délivre.

À titre d’exemple voici ce qu’il est possible de faire lors d’une séance pédagogique :

1. Introduction : expliquer ce qu’est ChatGPT et faire le rapprochement entre l’IA et les algorithmes de prédiction présents dans les smartphones. Il est possible également de dire aux élèves, dès l’introduction, que l’objectif du cours est de mettre en lumière les effets de biais et d’hallucination du chatbot.

2. Utilisation : il est possible de consacrer plusieurs séances à la démonstration des erreurs de ChatGPT en demandant aux élèves de poser une question spécifique à ChatGPT, puis de vérifier les informations fournies pour valider ou non les informations données.
Une autre option consiste à demander aux élèves de poser plusieurs fois la même question à ChatGPT via de nouvelles conversations et de comparer les réponses. En constatant que les réponses obtenues ne sont pas identiques, les élèves pourront en arriver eux-mêmes à la conclusion que les réponses données par l’IA ne sont pas toujours fiables.
Bien entendu, cette vérification doit s’accompagner d’un travail sur les sources d’information pour sensibiliser les élèves à l’importance de la vérification des informations et à la fiabilité de celles-ci.

3. Limitations et risques : un brainstorming peut ensuite permettre de mettre en évidence les risques liés à un mauvais usage de ce chatbot. Les élèves prendront alors conscience du concept d’hallucination et des biais que peuvent engendrer les IA.

4. En conclusion, l’enseignant pourrait insister sur l’importance de contre-vérifier les informations. Il peut s’agir ici de demander aux élèves d’utiliser un autre chatbot, fournissant des informations plus fiables et sourcées, contrairement à ChatGPT 3. Par exemple le chatbot de Bing « Bingchat ».

Il est également possible d’explorer l’un des domaines d’utilisation les plus intéressants de ChatGPT, à savoir celui de la langue, de la reformulation et potentiellement de la traduction. Une séance de correction de dissertation, ou d’un autre devoir, peut ainsi être envisagée à l’aide de cet outil. Par exemple, après avoir identifié les phrases qui leur posent problème (sur le plan lexical ou syntaxique), les élèves peuvent demander à ChatGPT de corriger leurs erreurs et de fournir la règle grammaticale correspondante. Avec le temps, cet exercice, supervisé par l’enseignant qui vérifierait les corrections proposées, peut aider les élèves à améliorer leurs compétences.

Exemple de requête : « Voici un texte sur [concept]. Améliore et corrige l’orthographe, la grammaire, la syntaxe et le vocabulaire. Mets en caractères gras les erreurs corrigées et explique tes corrections. »

Autre exemple de requête : « Voici un texte sur [concept]. Vérifie les arguments pour voir s’ils sont pertinents. Au besoin, corrige les arguments et explique ton raisonnement. Mets les arguments corrigés en caractères gras14. »

Sur son site (rubrique Elèves : pourquoi utiliser les robots conversationnels ?), Keivan Farzaneh mentionne un autre usage possible de l’IA pour les élèves : expliquer un concept en termes simples ou différents et donc vulgariser ou reformuler certaines notions15.

Exemple de requête : « Adresse-toi à un élève de [âge] ans. Explique pourquoi les protéines adoptent une structure tridimensionnelle. Fournis ta réponse en moins de 10 lignes. »

 

Quels usages les enseignants peuvent-ils faire de ChatGPT ?

Coté enseignants, ChatGPT peut être utilisé pour produire des contenus pédagogiques innovants : par exemple, pour générer de nouveaux exercices à proposer aux élèves, pour créer des listes et les ordonner de manière efficace et pertinente ou encore pour produire les trames de nouveaux cours, ce qui constitue un gain de temps pour l’enseignant. En cas de doute, les professeurs ont suffisamment de recul et de connaissances pour pouvoir vérifier les informations données par ChatGPT.
Keivan Farzaneh propose, sur son site, toute une série d’exemples de ce que l’on peut demander à ChatGPT pour agrémenter les cours : générer des exemples en lien avec les concepts enseignés, générer des définitions adaptées au niveau des élèves, générer tous types d’activités permettant de faire de la différenciation, des plans de cours, des exercices mais aussi des grilles d’évaluations, etc.
À ce propos, il conseille la lecture du Guide de l’enseignant. L’usage de ChatGPT “ce qui marche le mieux”, écrit par Andrew Herft, conseiller pédagogique au NSW Department of Education en Australie, traduit et adapté par Alexandre Gagné. Le guide donne une liste de « prompts » (questions ou commandes) à poser pour obtenir des résultats fiables et efficaces, dont voici deux exemples :

« Utilisez une évaluation formative régulière pour comprendre les points forts et les points à améliorer des élèves. »

« Utilisez ChatGPT pour créer des quiz et des évaluations qui testent la compréhension de la matière par les élèves. »
« Vous pouvez saisir cette commande : “Créez un quiz avec 5 questions à choix multiple pour évaluer la compréhension des élèves sur [concept enseigné].” (Herft & Gagné, 2023) »

Simon Dugay, enseignant d’informatique au secondaire et chargé de cours en didactique des sciences propose lui aussi quelques pistes d’usage de l’IA sous la forme d’une infographie (Dugay, 2022) :

Image créée par Duguay S. @SimonDuguay3. 20/12/2022. Piste pour l’utilisation de #ChatGPT dans le but de faciliter la tâche des enseignants.

Pour intégrer ChatGPT 3 dans la création de cours, de nombreuses ressources, très riches, peuvent ainsi être utilisées, comme le Guide de l’enseignant (Herft & Gagné, 2023) ou le site de Keivan Farzaneh (2023), déjà cités et qui sont tous les deux très clairs et pratiques. Le site de Keivan Farzaneh met ainsi à disposition la liste des IA (ou “générateur de”) et des informations sur ces IA en fonction de leurs compétences ; il propose également un comparatif des robots conversationnels très utile pour choisir celui le plus adapté aux besoins.

Pour conclure

L’arrivée de ChatGPT dans les pratiques a suscité un engouement dû à sa manière, quasi humaine et extrêmement cohérente, de converser avec les utilisateurs, faisant presque oublier sa nature artificielle. Cependant, cette IA est également source d’inquiétude dans le domaine de l’enseignement, interrogeant les pratiques pédagogiques et les méthodes d’apprentissage des élèves et montrant ainsi qu’il est important de rester conscient des limites et des risques de ce genre d’outil. C’est pourquoi il est urgent d’engager avec les élèves une réflexion sur les enjeux sociétaux liés aux IA et de les former à une utilisation responsable de chatGPT, en soulignant que ces IA ne peuvent se substituer aux efforts personnels, au risque de commettre des erreurs. Les élèves doivent être encouragés, plus que jamais, à vérifier les informations auprès de sources fiables, à se cultiver et ne pas se laisser séduire par l’illusion de facilité qu’offre ChatGPT.

Cependant ChatGPT peut être utilisé de manière bénéfique pour aborder en classe le fonctionnement d’une IA, mais aussi pour des tâches telles que la reformulation, la traduction ainsi que pour des exercices de correction. Il est alors important de bien encadrer ces cours sur l’intelligence artificielle et cela nécessite des connaissances et des formations supplémentaires pour les enseignants. ChatGPT et l’intelligence artificielle de manière générale peut devenir un atout pour les professeurs, les aidant dans la création de contenus, de leçons, d’exercices et bien d’autres tâches.

Enfin, ChatGPT, à l’instar de l’ensemble des intelligences artificielles, connaît des évolutions technologiques rapides et multiformes et est l’objet de nombreuses recherches universitaires. Il convient, en outre, de souligner que les dernières avancées, notamment ChatGPT 4, semblent s’orienter vers un modèle payant et donc un accès restreint aux internautes.

 

 

Dessin et bien-être au CDI

Dans le cadre de la semaine de la prévention couplée avec la Semaine de la presse et des Médias au collège Guy Flavien à Paris, la dessinatrice Gomargu est venue travailler avec des adolescents de 4e sur les émotions. Cette artiste est engagée dans la lutte contre les injustices, les discriminations ou encore les violences faites aux femmes ; elle défend la préservation de la planète et est attentive à la santé mentale. Elle a proposé aux adolescents d’aborder leurs émotions à travers le dessin.
Le dessin peut-il offrir à tous le moyen d’exprimer sans tabous des émotions, négatives ou positives, afin de mieux se connaître soi-même et d’aborder plus sereinement certaines expériences nouvelles de la vie ? Récit d’une rencontre aussi belle qu’essentielle.

La santé et le mieux-être : un bien commun au sein de la communauté éducative

Notre projet est de marquer un temps d’arrêt dans la course aux apprentissages scolaires pour observer et comprendre les émotions qui sont le cœur de notre relation aux autres et au monde, et dont on a tant à apprendre…
Depuis plusieurs années, la principale-adjointe, la conseillère principale d’éducation et la professeure documentaliste organisent une semaine de prévention au collège, programmée volontairement au mois de mars, en même temps que la Semaine de la Presse et des Médias dans l’École. Un planning est élaboré sur des plages horaires banalisées pour chaque classe, de façon à ce que tous les membres de la communauté éducative puissent assister et prendre part, en lien avec les enseignements, aux différentes interventions et manifestations.
L’objectif de ce temps fort, amené dans un avenir proche à s’apparenter à un « stop collège », est de proposer aux adolescents un vrai temps de pause dans les apprentissages pour s’intéresser collectivement à tous les facteurs liés à la santé physique, mentale et intellectuelle, sans lesquels on ne peut ni s’investir, ni réussir dans sa vie scolaire et citoyenne. En lien avec différents partenaires associatifs et institutionnels, pour beaucoup implantés sur notre territoire de quartier, les thèmes du sommeil, de la sexualité, de la lutte contre le harcèlement, de la vie numérique et des pratiques informationnelles connectées sont abordés selon les âges des élèves. Des interventions d’artistes ou de professionnels, la plupart du temps conçues sous la forme d’ateliers interactifs, permettent de faire de la santé et du bien-être une préoccupation partagée inscrite dans le projet d’établissement et garante de la réussite de tous. Les élus du CVC (Conseil de Vie collégien) sont partie prenante dans cette organisation en nous faisant part des préoccupations de leurs pairs.

© Gomargu

Gomargu : une dessinatrice qui explore tous les champs psycho-émotionnels de la vie actuelle

Si santé, bien-être et sociabilité constituent le fil rouge qui relie les différents temps forts de cette semaine, ils sont aussi les mots-clés incontournables qui nous motivent, pour la deuxième année consécutive, à inviter la jeune dessinatrice Gomargu. Ses thématiques de travail et de création explorent notamment les relations entre les hommes et les femmes, célébrant une sororité seule à même de pouvoir permettre de gagner les luttes pour plus de respect et d’égalité.
La professeure documentaliste découvre le travail de Gormargu à travers sa veille professionnelle et personnelle. Tous les jours, la dessinatrice poste sur son compte Instagram de petits dessins aux lignes très épurées et souvent bichromes à travers lesquels elle illustre une émotion. S’inspirant de citations glanées au fil de ses lectures ou guidée par ses expériences et ses pensées personnelles, elle éclaire, par la force de son trait déterminé, de petites situations de la vie quotidienne simples mais à travers lesquelles peuvent se creuser certaines injustices ou se cristalliser un ressenti qui vient entraver notre bien-être et donc notre capacité à apprendre.
Je suis rentrée très simplement en contact avec Margaux1, et elle a répondu avec beaucoup d’enthousiasme à ma proposition de venir rencontrer des adolescents pour dialoguer avec eux autour de son travail. C’est un public qu’elle connaissait assez peu et dont les préoccupations constituent un enrichissement de sa démarche bienveillante. Ma collègue CPE et moi-même l’invitons alors pour préparer les séances avec les élèves de 4e auxquels nous avons présenté au préalable sa démarche artistique.
Le dessin, qui, nous le savons, occupe souvent une place importante dans les pratiques et les choix culturels des adolescents, ne peut-il pas avoir un pouvoir libérateur plus puissant que les mots et devenir ainsi le support efficace d’un débat constructif autour des valeurs du vivre ensemble ? Tel est le questionnement qui accompagne la projection que nous organisons avec la collègue CPE en classe. Ma collègue CPE et moi-même sommes accueillies par des collègues de différentes disciplines volontaires et intéressés par ce propos.
Au fil des quelques posts de Gomargu que nous avons choisis, en lien avec des thématiques de l’enseignement moral et civique (l’égalité filles/garçons, la lutte contre les clichés sexistes, l’usage responsable des réseaux sociaux…), nous orchestrons les réactions au sein de la classe sous la forme d’un débat argumenté, la CPE et moi-même : nous en profitons pour aborder un autre aspect, culturel et citoyen, du réseau social Instagram, sur lequel sont inscrits la plupart des élèves de 4e. On voit en effet à travers le compte de Gormargu qu’une artiste peut utiliser les réseaux sociaux comme un espace de liberté d’expression et d’engagement. La graphiste aura d’ailleurs l’occasion de revenir, lors de ses échanges avec les jeunes, sur son propre usage des réseaux et sur les déconvenues qu’elle a pu connaître en tant que personnalité publique.

Le temps de la rencontre : des paroles extra-scolaires inscrites durablement dans la vie de l’élève

Le temps de la rencontre est venu. Gomargu est invitée une journée au CDI pour présenter aux classes de 4e ses parcours scolaire et artistique atypiques à travers lesquels elle valorise la confiance en soi et la ténacité, pour peu qu’un rêve vous anime.
La dessinatrice explique son approche de la tablette graphique et propose aux élèves de commenter avec eux différents dessins qui mettent en question la perception du corps féminin, les relations entre amies ou amoureux, le sexisme ordinaire qui bride la vie des filles et des femmes à tous les âges et à tous les moments de leur vie…
Gomargu présente aussi les causes pour lesquelles elle s’engage (elle a réalisé quelques affiches), cet engagement étant l’essence même de sa créativité : la lutte contre les violences intrafamiliales, la préservation de la planète et la prophylaxie en faveur de la santé mentale.
Elle a illustré plusieurs ouvrages dont un sur les pervers narcissiques et une petite encyclopédie de femmes illustres mais inconnues (Gazsi, Kestenberg, Gomargu & Gayet, 2021). Elle est plus récemment l’autrice d’un roman graphique On en a gros, dans lequel elle dénonce les injustices faites aux femmes dans leur vie professionnelle, amoureuse, familiale et sexuelle (Gomargu, 2021). Sur ce dernier point, Gomargu brise tous les tabous avec finesse et tact mais elle prévient les collégiens que certains aspects de ce travail s’adressent davantage à de jeunes adultes. Le livre est disponible sur demande au CDI pour les élèves volontaires et dans le cadre de cette médiation préalable.
Au fil des dessins projetés, la parole se libère autant chez les filles que chez les garçons et met les œuvres de l’artiste en relation avec des expériences personnelles plus ou moins douloureuses.
Entre roman graphique et BD, les planches mettent en scène des personnages qui dialoguent entre eux ou dont la posture est accompagnée d’une phrase, sorte de mantra ou « sankalpa » (phrase intentionnelle et personnelle utilisée par le yogi en soutien à sa pratique) destinée à la réflexion puis au mieux-être.

C’est le point de départ pour une deuxième partie consacrée à un atelier au cours duquel Gomargu demande aux adolescents de raconter de manière anonyme, par écrit, en quelques phrases, une situation de la vie quotidienne chargée émotionnellement avant d’en faire un premier croquis puis un dessin définitif. Tel est le processus créatif que l’artiste propose aux jeunes d’expérimenter pour s’en resservir éventuellement face à des expériences de vie plus ou moins difficiles et parfois bloquantes. Peu importe que l’on soit bon ou mauvais dessinateur, tous les dessins que nous avons pu observer montrent à quel point ce médium œuvre pour une mise à distance symbolique des affects. Il soulage et libère. Il rompt le silence et ouvre le débat.

Dessin élève 1

Le CDI : lieu d’expression et chambre d’échos émotionnels. Le dessin au cœur des actions du professeur documentaliste

Faut-il rappeler que la lecture est une activité incontournable de l’apprentissage des émotions et de l’empathie ? La littérature de jeunesse s’appuie souvent sur le personnage comme support d’identification fondateur à travers lequel le jeune lecteur apprend à mieux se connaître en reconnaissant puis en formulant ce qui le rapproche ou l’éloigne de ce mentor imaginaire.
Dans la mesure où le professeur documentaliste est celle ou celui qui valorise toutes les cultures et tous les modes d’expression dans l’établissement, le dessin occupe une place éducative, pédagogique ou tout simplement suggestive très importante dans l’accueil et l’accompagnement que je destine aux élèves. Il m’arrive ainsi, au fil des jours, d’extraire un dessin de Gomargu de son écran pour l’afficher dans un couloir ou dans un des espaces du CDI, en fonction d’une humeur ou d’un événement. Au sortir d’une période difficile qui semble avoir aggravé le mal-être des individus majoritairement jeunes, le dessin semé librement dans le collège livre sa force expressive à la liberté interprétative de chacun. Il est moins question ici d’informer que d’inviter à mettre à distance ce qui blesse, à mieux comprendre ce qui élève et fait progresser et ce qui conduit au respect mutuel, garant d’équilibre et d’épanouissement.

Depuis deux ans, Gomargu repart en ayant semé ses petits grains de bonheur archivés sur son compte Instagram. Il arrive que des élèves lui envoient des messages. D’autres, désormais en 3e, viennent la saluer au CDI lors de sa venue… Et parfois, une situation difficile et non exprimée dans une classe se libère après son intervention.
Nous sommes heureux de pouvoir perpétuer cette belle rencontre chaque année et nous ne pouvons que vous encourager à découvrir son travail pour peut-être, à votre tour avoir envie de l’inviter.

Je remercie Madame la Principale-adjointe et ma collègue CPE pour leur confiance et leur implication dans ce projet.

Dessin élève 2
Dessin élève 3

 

« Les amies et amis de la Commune de Paris, 1871 »

Après un long oubli, La Commune de Paris, 1871, fait désormais partie des programmes d’enseignement. L’association Les amies et amis de la Commune de Paris propose des ressources pédagogiques (expositions et spectacle vivant) qui peuvent servir de support à cet enseignement dans plusieurs disciplines : histoire, arts plastiques et littérature, et à plusieurs niveaux. Une présentation détaillée de leur contenu permet d’en apprécier la pertinence comme illustration d’enseignement ou points de départ de débats.

L’actualité sociale et politique de la Commune de Paris, 1871

Malgré sa courte durée et ses contradictions, la Commune de Paris a expérimenté des formes de démocratie et de gouvernance qui, aujourd’hui encore, sont revendiquées dans divers mouvements sociaux. À l’occasion de l’anniversaire des 150 ans de la Commune, la montée au Mur des fédérés au cimetière du Père Lachaise, cérémonie annuelle qui perpétue le souvenir des communards, a connu un immense succès, montrant ainsi, à plusieurs siècles de distance que ses apports sont toujours vivants.
Pendant 72 jours (cf. Encadré chronologie), elle a expérimenté la souveraineté populaire, le gouvernement direct, l’autonomie communale, la séparation de l’Église et de l’État et la République une et indivisible : autant de valeurs, qui peuvent inspirer des jeunes aujourd’hui et des peuples de différents pays.
Les révoltes récentes, Nuit Debout, la Commune de Tolbiac, les Zadistes de Notre-Dame-des-Landes, les Gilets Jaunes ne s’en réclamaient-elles pas ? On a pu lire sur les murs : « Mai 68 on s’en fout, on veut 1871 ». Elles puisent dans cette volonté de partager le pouvoir d’agir des formes de démocratie directe qui font défaut aujourd’hui.
L’influence ne s’arrête pas à l’hexagone mais touche d’autres pays. Chaque fois qu’un groupe ou un peuple se dresse contre l’injustice ou l’oppression, la Commune est sollicitée : en Russie en 1905 et 1917, à Shangaï en 1927 et 1967, à Barcelone en 1936, en Corée, au Mexique, ou encore par les femmes kurdes en Syrie, et celles d’Oakland en Californie en 2011 (figure 1).

Une association qui préserve la mémoire de la Commune de Paris, 1871

Une association, Les amies et amis de la Commune de Paris, entretient la mémoire de cet événement dans un esprit d’éducation populaire et développe plusieurs actions en ce sens.

Les origines de l’Association

Dix ans après la Semaine sanglante, en 1880, qui marqua la défaite de la Commune, la République de Gambetta vote l’amnistie totale. Le risque alors est celui de l’amnésie. Tourner la page sur ces luttes populaires ne pouvait s’envisager. Pour éviter d’occulter la mémoire et l’héritage politique, en 1882, l’association Les amis de la commune de Paris 1871 est créée. Elle est la plus ancienne des organisations du mouvement ouvrier français.
Dans un premier temps, de nombreuses sociétés, à l’étranger et en France, ont porté secours aux proscrits, exilés ou déportés, et à leur famille. L’urgence était de soutenir les réfugiés et de les aider à réintégrer une vie sociale et professionnelle.
La plus connue de ces sociétés, La solidarité des proscrits de 1871, est fondée en 1882 par Henri Champy (1846-1902), doreur sur métaux, membre de l’Internationale et du Comité central de la Garde Nationale, membre du comité de subsistance de la Commune de Paris.
En 1889 apparaît la Société fraternelle des anciens combattants de la Commune. D’autres suivront. Toutes font renaître les banquets, célèbrent les anniversaires, les montées au Mur des fédérés et relancent les chansons.
Après un temps de mise en sommeil, l’association reprend vie dans les années 1960 et se signale par un travail d’archives, la réfection des tombes de communards. Son essor sera amplifié par la parution d’une revue, l’achat d’un local et l’organisation d’une bibliothèque. La multiplication de comités locaux est aussi le signe d’un renouveau et répond à l’intérêt de nouveaux publics (figure 2).

L’association aujourd’hui

« Elle perpétue les idéaux de la Commune et fait connaître son œuvre prémonitoire : école laïque, séparation de l’église et de l’état, interdiction du travail de nuit, émancipation des femmes, reconnaissances des étrangers comme citoyens, autogestion des entreprises… Un idéal d’une actualité brûlante dans un monde inégalitaire, dominé par le pouvoir de l’argent. » C’est ainsi que l’association se présente sur son site. (https://commune1871.org/)

Et ses actions sont cohérentes avec ses objectifs, puisqu’elle propose :
• Expositions, colloques, débats
• Rencontres dans les quartiers, les entreprises, les établissements scolaires
• Visites de Paris et des lieux qui retracent le parcours des communards (Paris Communards)
• Édition de textes, brochures, ouvrages retraçant l’épopée de la Commune
• Voyages d’étude

Trois commissions encadrent ces activités : la commission « culture » pour les expositions et les visites, la commission « littérature » pour le recensement bibliographique et la commission « fêtes et patrimoine ».

Trois expositions et une pièce de théâtre

Sachant qu’une image vaut 1000 mots dans le domaine de la communication, les expositions proposées, par les panneaux facilement modulables et très documentés, sont une ressource pédagogique sans égal pour les enseignants.
Voici le contenu des trois expositions :

La Commune et la démocratie

La première exposition, celle du 150e anniversaire, rappelle les principes et les méthodes de la démocratie : le gouvernement du peuple par le peuple, une République laïque et sociale, pour les principes ; des représentants élus révocables, l’émancipation des femmes, la reconnaissance des étrangers comme des citoyens à part entière, la culture pour tous et des citoyens participants aux actions à travers des clubs et des commissions pour que soit toujours vivante la démocratie.
Si elle n’a pas eu le temps d’élaborer un véritable programme ou de rédiger une constitution, elle nous a légué un état d’esprit, énoncé dans les « Recommandations du Comité central de la Garde Nationale » (26 mars 1871).

Ainsi s’énonce le contenu des 9 panneaux :
Introduction/ Gouverner sans chefs/ La Fédération de la Garde Nationale/ La souveraineté du peuple ne peut jamais s’abdiquer/ Une démocratie vivante/ Le gouvernement de la Commune/ La démocratie au travail/ Les conditions d’une démocratie citoyenne/ Les luttes et les espoirs des peuples du monde entier
La Commune a surtout expérimenté une démocratie qui non seulement s’appuie sur des élections, mais veut instaurer un style de vie quotidienne qui abolit les clivages et contribue à transformer en continu la société.

Les Arts et la Commune 

La deuxième exposition concerne les Arts et le rôle de Courbet pour qui la Commune constitua une rupture qui fut suivie d’un engagement total. Président de la commission pour la sauvegarde des œuvres d’art, en 1870, il est élu au conseil de la Commune et jeté en prison après la victoire des Versaillais. Dans une lettre à Jules Vallès, il écrit : « après 30 ans de vie publique, révolutionnaire, socialiste, pacifique… constamment occupé de la question sociale …pour arriver à ce que l’homme se gouverne lui-même dans ses besoins » (cité par Valérie Bajou, Cohen et Cohen éditeurs, 2019).
Quatre cents artistes fondent la Fédération des artistes dont le but est de promouvoir la libre expression de l’art, dégagé de toute tutelle gouvernementale et de tous privilèges.
Courbet en est le président et il affirme que la culture n’est pas une marchandise et doit être accessible à tous (figure 3).

Les Femmes et la Commune

La troisième exposition, sur les femmes, évoque la figure de Louise Michel qui, la première, a réclamé des armes pour lutter auprès de ses camarades, a soutenu la lutte des Kanaks et s’est consacrée à leur éducation lors de sa déportation au bagne de Nouvelle-Calédonie (figure 4).

De nombreuses personnalités souvent inconnues sont mises en lumière : Elizabeth Dmitrieff, Nathalie Le Mel, Anna Jaclard, Paule Minck, Sophie Poirier. Elles ont créé l’Union des femmes et revendiqué l’égalité des salaires hommes/femmes, le droit au travail et à la formation professionnelle pour les filles et la reconnaissance de l’union libre.
Elles qui n’avaient rien à perdre tant leurs conditions de cantinières, ou de blanchisseuses étaient dures ont montré leur courage dans cette recherche de liberté et d’égalité qu’a été la Commune.

Une pièce de théâtre « Le rendez-vous du 18 mars 1871 »

Composée de 8 tableaux pour 12 comédiennes et comédiens amateurs, elle évoque l’hiver 1870-1871, le siège de Paris par les Prussiens, la Commune et sa vie démocratique et culturelle. Elle circule à la demande.
La Commune de Paris a su, brièvement, incarner le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple ; à travers l’association elle continue à être source d’inspiration.

Merci à Françoise Bazire, secrétaire de l’Association d’avoir si généreusement mis sa documentation au service de la rédaction de cet article.

 

La commune de Paris dans les programmes d’enseignement

Dans les programmes d’histoire
• au collège en classe de 4e à travers le thème 3 : Société, culture et politique dans la France du XIXe siècle : https://eduscol.education.fr/document/17857/download
• au lycée en classe de première générale en histoire à travers le thème 3 : La Troisième République avant 1914 : un régime politique, un empire colonial et l’évocation de Louise Michel
• au lycée professionnel en classe de CAP et en classe de première 

En EMC
La Commune de Paris peut être étudiée en EMC au cycle 4 pour servir les objectifs : « Acquérir et partager les valeurs de la République » et en classe de seconde, le programme étant centré sur « La liberté, les libertés ». 

En classe de français
En classe de français, la Commune de Paris entre dans les attendus de la classe de 4e à travers trois items : « Vivre en société, participer à la société » (étude de textes ou groupements de textes, des extraits de romans ou de nouvelles du XIXe siècle) ; « Regarder le monde, inventer des mondes » (étude de romans ou de nouvelles réalistes ou naturalistes associés à l’événement) ; « Agir sur le monde » (étude de textes et documents issus de la presse et des médias). 

Dans les projets pluridisciplinaires
Les enseignements en français, philosophie, arts plastiques ou encore l’histoire des arts peuvent être associés à des projets pluridisciplinaires autour de la Commune de Paris et des principes de liberté et de laïcité, comme l’EMC associé à l’enseignement d’histoire.

En arts plastiques
Les occasions d’évoquer la Commune sont multiples : le réalisme de Courbet, les peintres et les sculpteurs de la Commune (Maximilien Luce, Dalou) et le début de la photographie (figure 9).

 

Pour prolonger

De nombreuses publications peuvent utilement prolonger ces expositions et tableaux du spectacle. Cette bibliographie se limite à quelques ouvrages (les livres sur le sujet sont trop nombreux pour les citer tous).

Ouvrages historiques

Bajou, Valérie. Courbet, la vie à tout prix. Cohen & Cohen, 2019.

Rey, Claudine, Gayat Annie & Pepino, Sylvie. Petit Dictionnaire des femmes de la Commune de Paris 1871 : Les oubliées de l’histoire. Le Bruit des autres, 2013.

Robert, Jean-Louis. Nouvelle histoire de la Commune de Paris, 1871, coffret 3 vol. Gauches d’ici et d’ailleurs, 2023.

Rougerie, Jacques. La Commune de 1871. QSJ, 2021.

Film documentaire

Condon, Cédric & Le Naour, Jean-Yves. 1871 La Commune, Portraits d’une révolution. Kilaohm Productions, 2021. Film documentaire sur la photographie et la Commune. https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/62729_0

Bandes dessinées

Bourgeon, François. Les passagers du vent. Delcourt. (9 tomes dont Le sang des cerises. Delcourt, 2022).

Daeninckx, Didier & Mako (ill.). Louise du temps des cerises, 1871 : la commune de Paris. Rue du Monde, 2012.

Lupano, Wilfrid. Communardes ! Glénat, Vent d’ouest, 2015 et 2016 (3 tomes : Les éléphants rouges, dessin Lucy Mazel, 2015 ; L’aristocrate fantôme, dessin Anthony Jean, 2015 ; Nous ne dirons rien de leurs femelles, dessin Xavier Fourquemin, couleur Anouk Bell, 2016).

Meyssan, Raphaël. Les damnés de la Commune. Delcourt (3 tomes : À la recherche de Lavalette, 2017 ; Ceux qui n’étaient rien, 2019 ; Les orphelins de l’histoire, 2019).

Robert, Jean-Louis & Trébor, Carole. Rouges estampes. Steinkis, 2021.

Vautrin, Jean & Tardi. Le cri du peuple, Intégrale. Casterman, 2021 .

Sitographie

Gallica, https://gallica.bnf.fr/conseils/content/la-commune-de-paris-1871. Un choix de documents sur La Commune avec, notamment, le catalogue de l’exposition du centenaire au Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis, du 18 mars au 3 septembre 1971. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3371463f

Faisons vivre la Commune !, https://faisonsvivrelacommune.org. Une association créée en 2018 à l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris.

Le Maitron. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier (Centre d’histoire sociale des mondes contemporains), https://maitron.fr. Un site qui reprend l’ouvrage de l’historien du mouvement ouvrier, Jean Maitron, dans une version parfois enrichie et avec de l’iconographie.

 

Note de lecture : La littérature de jeunesse de la maternelle à l’université

La revue Les Cahiers Robinson dirigée par Francis Marcoin, professeur à l’UFR de Lettres modernes de l’Université d’Artois, est consacrée « aux livres et aux objets culturels de l’enfance ».
Les onze contributions scientifiques regroupées dans ce nouveau numéro étudient quelques pistes autour de l’exploitation scolaire et universitaire de la littérature de jeunesse. Les auteurs analysent, d’un point de vue historique, sociologique et littéraire, son inscription dans les programmes et les offres de lecture « de la maternelle à l’université ».
Il n’y a pas de classement thématique ou chronologique pour aborder ces différentes approches mais plutôt un « parcours » introduit par le directeur de publication.
Ce regroupement a pour but de questionner avec les professionnels de la lecture (jeunesse) toutes les facettes et les potentialités offertes par cet ensemble protéiforme et haut en couleurs d’œuvres d’imagination dont les rapports avec l’institution scolaire et universitaire ne sont pas toujours évidents.
Le professeur documentaliste est celle ou celui qui « développe une politique de lecture en relation avec les autres professeurs, en s’appuyant notamment sur sa connaissance de la littérature générale et de jeunesse1 » (NDLR). Nous sélectionnerons donc parmi ces différentes contributions plusieurs axes qui viendront éclairer et enrichir les actions au CDI, en faveur de ces littératures de l’imaginaire.
Retiendront notre attention ici les articles consacrés à l’album puis ceux analysant les corpus que les professeurs documentalistes peuvent être conduits à sélectionner et à offrir aux élèves.

Un focus sur l’album : élargir les champs de la médiation

Les contributions de trois professeurs d’université, Cécile Boulaire (« Enseigner l’album pour enfants à l’université »), Sylvie Laurent-Farré (« L’album, un médium iconotexte au cycle 1 ») et Emmanuelle Halgand (« L’album de jeunesse iconotextuel et le spectateur ») montrent comment ce genre, longtemps relégué aux rayons de la petite enfance, ouvre aujourd’hui de nombreuses perspectives d’analyse, d’interprétation et d’exploitation avec des lecteurs d’âges très différents.
Cécile Boulaire aborde notamment l’album comme un support d’inclusion et de liberté pédagogique auprès d’un public d’étudiants. Sylvie Laurent-Farré, quant à elle, livre une grille d’analyse des albums pour une exploitation en classe au cycle 1 mais cette grille pourrait tout à fait être utilisée au collège. C’est ce que montre d’ailleurs Emmanuelle Halgrand, dans une forme de continuité entre les différents cycles d’apprentissage. Celle-ci reprend les grandes caractéristiques de cette « spectalecture » et s’interroge aussi sur le rôle des médiateurs auprès de l’enfant ou du jeune « spectalecteur ».

Proposer la littérature de jeunesse au collège : le plaisir de lire avant toute chose

Trois articles, l’un d’Isabelle de Peretti (« La littérature de jeunesse à l’école depuis 2002 »), un autre d’Isabelle Harbonnier-Valdher (« La littérature de jeunesse sur les étagères du CDI ») et un dernier d’Anne Besson (« Littératures de l’imaginaire au collège ») rappellent successivement comment le genre a su s’imposer « à l’école depuis 2002 » et quelle est aujourd’hui la place de ces « littératures de l’imaginaire contemporaines pour la jeunesse au collège ». Anne Besson analyse les stratégies de grands éditeurs pour la jeunesse pour convaincre les inspecteurs et les enseignants de lettres d’exploiter ces œuvres en classe alors qu’ils se tiennent finalement peu au courant des nouveautés plébiscitées par leurs élèves. Face à ce « manque de temps, de moyens et d’intérêt de l’institution scolaire », l’auteure évoque les choix des adolescents (« les fantasy, les dystopies, les ouvrages réalistes néo-féministes, les mangas ou les romans graphiques ») « à la marge de l’espace-temps du collège », sans aborder véritablement, ce que nous regrettons, le rôle des professeurs documentalistes au CDI en matière de prescription et d’encouragement…

C’est pourquoi notre attention se portera dans ce numéro sur l’article de notre collègue Isabelle Harbonnier-Valdher. Les différentes missions qui façonnent l’espace « hybride » qu’est le CDI sont rappelées, et celui-ci est plébiscité comme « l’agora idéale pour l’incitation à la lecture » dont les professeurs documentalistes sont les « passeurs » au collège mais aussi au lycée. La professeure documentaliste souligne l’importance d’une formation partagée avec les enseignants de lettres afin de construire un véritable « parcours de lecteur ». Elle confirme la mise en retrait de la littérature de jeunesse dans les programmes et les pratiques enseignantes au profit d’œuvres patrimoniales. Mais elle relève aussi les stratégies des éditeurs pour mieux faire connaître leurs nouveautés littéraires quand les supports pédagogiques ou les formations pour une exploitation en classe relèvent encore d’initiatives collégiales partagées notamment sur les réseaux sociaux. L’enseignante formatrice questionne aussi la notion de « lecture plaisir » qui s’opposerait à la lecture « prescrite » et « classique » et nuirait surtout à l’intérêt des adolescents pour des œuvres de natures différentes. Les restitutions positives ou négatives de ces œuvres doivent avant tout avoir pour objectif de forger l’esprit critique des élèves face aux textes littéraires. Isabelle Harbonnier-Valdher évoque alors les différents dispositifs « s’appuyant sur la littérature de jeunesse » pour inciter les élèves à lire. Elle revendique aussi la liberté des adolescents de ne pas partager à l’école leurs choix personnels, à fortiori lorsqu’ils sont canalisés par les applications et les pratiques numériques.
Ce sont d’ailleurs des formes littéraires nouvelles pour « young et new adults », « medfan », « romans gamer » ou « polars de pandémie » en marge des normes attendues par l’institution que nous fait découvrir Isabelle Rachel Casta, professeure des universités, à l’issue d’une formation passionnante menée dans l’académie de Corse. Elle rappelle encore et toujours que les professeurs documentalistes sont des « médiateurs » et des « facilitateurs » auprès de leurs collègues, des maîtres des « circuits de lecture, des regroupements thématiques, des aides méthodologiques… et des conseillers [..] des lectures à la fois singulières et conformes aux attentes institutionnelles en matière d’acceptabilité sociale et parentale ».
Enfin, Pierre Audran dans « l’expérience de pensée en 3e avec Michaël Ende » démontre quant à lui qu’une œuvre dite « de jeunesse » peut avoir « de hautes ambitions intellectuelles » et se prêter avec des adolescents à la réflexion philosophique « pour mieux comprendre le monde et se comprendre soi-même ».

La richesse de ces contributions repose sur l’ouverture qu’elles proposent en matière d’incitation à la lecture, conçue ici dans un sens très élargi, et dans une réciprocité entre adultes et adolescents au sein de la communauté éducative. Notons que les lecteurs y trouveront aussi des références à des ouvrages théoriques mais également à des œuvres et à des médiums littéraires destinés à la jeunesse.
Toutes ces approches ont pour point commun de confirmer la valeur artistique et littéraire désormais reconnue d’un genre pendant longtemps relégué au rang de la littérature « populaire » ou « strictement éducative ». Pourtant, les auteurs de littérature jeunesse ont su prouver, à travers des fictions de natures et de genres très différents qui constituent désormais un des domaines éditoriaux les plus créatifs et prolixes, que leurs œuvres s’adressaient à un public élargi et permettaient notamment aux enseignants des exploitations libres en classe, à tous les âges de la vie scolaire et universitaire.

Ce numéro scientifique très riche mais à la lecture parfois ardue a au final comme vertu de transcender les cycles d’apprentissage et les différents âges de la vie. Comme le souligne Francis Marcoin dans son introduction, il permet de faire des « écarts », de produire des « rencontres » et des « croisements » qui peuvent réunir tous les curieux, à titre personnel ou professionnel, autour d’une bibliothèque des imaginaires « jeunesse » et des (r)évolutions littéraires qu’ils abritent. Ces offres de lecture, ce numéro le souligne finalement, savent se montrer toujours plus inventives et propices à une approche empathique et sensible des grandes questions de l’existence. Ceci devient sans doute un objectif fort autour du développement des lectures cursives personnelles auprès des jeunes, de la maternelle au lycée. Enfin, nous soulignerons l’intérêt de ces approches qui montrent comment cette littérature propice à une réflexion sur le monde contemporain peut aussi être un levier pour la formation de l’esprit critique.

À noter qu’une présentation rapide des contributeurs et de leurs travaux et horizon universitaires permettrait de rendre ce numéro encore plus accessible aux enseignants et professionnels de la lecture jeunesse.

 

Marcoin, Francis (dir.). La littérature de jeunesse de la maternelle à l’université. Les Cahiers Robinson, 25 novembre 2022, n° 52, 194 p. ISBN : 9782848325354. 16 euros.

 

La ruralité

Le terme ruralité vient du latin ruralis qui signifie la campagne. L’INSEE1 caractérise ces territoires ruraux comme des espaces où la densité de population est faible. Certaines zones sont sous forte influence d’un pôle urbain ou non. Ce mot renvoie également aux modes de vie liés au fait d’habiter dans ces zones à faible densité. Les espaces ruraux étaient auparavant centrés autour de l’agriculture ; ils tendent aujourd’hui à être également tournés vers les paysages, l’environnement et le patrimoine.
Selon L’INSEE, 33 % de la population vit dans une zone rurale. Nos élèves y vivent donc pour 1/3 d’entre eux. Nous y travaillons et y habitons aussi. Cette ruralité est même au cœur des lycées agricoles. À quoi ressemble la ruralité dans nos CDI ? Dans nos partenariats culturels ? Dans nos pédagogies ?
Les zones rurales sont depuis longtemps le lieu d’une culture vivace, animée par des artistes et écrivains qui sont restés en lien avec le lieu où ils ont grandi (école de Brive, Colette, Marcel Pagnol, Jean Giono), qui s’y sont installés, attirés par la beauté des paysages et le faible coût de la vie (école de Pont-Aven et de Barbizon), ou qui s’en servent comme source d’inspiration majeure (George Sand et ses romans champêtres) ou plus ponctuelle (Émile Zola et Honoré de Balzac).
L’objectif de cet article est de proposer des ressources incontournables ou récentes qui témoignent de cette dynamique culturelle, afin de permettre aux élèves ruraux de se retrouver dans les rayons et dans les actions pédagogiques et aux urbains d’assouvir leur curiosité sur ces espaces.

 

Musées, expositions et festivals

Musées

La ruralité étant par définition disséminée sur le territoire, c’est dans les réseaux des musées locaux que le patrimoine rural et les pratiques culturelles, souvent paysannes, sont valorisés. L’avantage : il y a sans doute un musée proche de votre établissement scolaire !

Fédération des écomusées et des musées de société : un moteur de recherche permet d’accéder à l’ensemble des écomusées du territoire français.
https://fems.asso.fr/

Fédération des musées de l’agriculture et du patrimoine rural. Ce site recèle notamment une carte interactive qui renvoie vers les musées consacrés en totalité ou en partie à ces thématiques.
https://www.museesagriculture.fr/musees/

Les fermes pédagogiques : les deux principaux réseaux proposent soit des activités pédagogiques dans les fermes d’animation, soit la visite d’exploitations en activité.
Bienvenue à la ferme :
https://www.bienvenue-a-la-ferme.com/decouvrir-et-s-amuser-ferme-pedagogique
Accueil paysan :
https://www.accueil-paysan.com/fr/

Expositions – Festivals

Ma ruralité heureuse : un projet porté par la région Nouvelle Aquitaine en 2020 qui a fait appel aux talents des photographes amateurs pour recueillir une diversité de points de vue sur la campagne de cette nouvelle grande région. L’exposition peut être empruntée et est disponible en ligne.
https://www.urcaue-na.fr/ma-ruralite-heureuse-2/
Le livret de l’exposition :
http://www.urcaue-na.fr/wp-content/uploads/2022/06/livret_expo.pdf

Paysages français. Une aventure photographique, 1984-2017, BnF : une exposition virtuelle d’après un travail photographique pilotée par la DATAR (Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale) qui a pour objectif de photographier le paysage français alors en plein renouvellement, loin des images d’Épinal. Les zones rurales y ont une place essentielle et la richesse de ce travail à la croisée entre géographie et art photographique vaut le détour.
http://expositions.bnf.fr/paysages-francais/#menu

Le monde rural vu par les artistes 1848-1914. Un parcours guidé au sein du musée d’Orsay qui permet d’aborder la deuxième partie du 19e siècle de façon interdisciplinaire : histoire, littérature et peinture.
https://www.musee-orsay.fr/sites/default/files/2020-12/fiche_visite_monde_rural.pdf

Caméras des champs – Festival international du film documentaire sur la ruralité,
Ville-sur-Yron (54) : tous les ans depuis 1999, ce festival s’attache à filmer la ruralité dans sa diversité, le plus souvent au format documentaire.
http://cameradeschamps.fr/

Dans les programmes

Collège

Sixième, Géographie. Thème 2 : « Habiter un espace de faible densité- Habiter un espace à forte(s) contrainte(s) naturelle(s) ou/et de grande biodiversité. – Habiter un espace de faible densité à vocation agricole ». Bulletin officiel spécial n° 11 du 26 novembre 2015

Lycée

Seconde, SVT. Les enjeux contemporains de la planète, Géosciences et dynamique des paysages, « Structure et fonctionnement des agrosystèmes » puis « Vers une gestion durable des agrosystèmes » : « Recenser, extraire et organiser des informations issues du terrain (visite d’une exploitation agricole, par exemple), pour caractériser l’organisation d’un agrosystème : éléments constitutifs (nature des cultures ou des élevages) ».
La Terre, la vie et l’organisation du vivant, Biodiversité, résultat et étape de l’évolution : « Au cours de sorties de terrain, identifier, quantifier et comparer la biodiversité interindividuelle, spécifique et écosystémique. »
BO spécial n° 1 du 22 janvier 2019

Première technologique, Géographie. Thème 3 : « Les espaces ruraux : une multifonctionnalité toujours plus marquée. » Sujets au choix : « Les espaces périurbains en France » « L’agro-tourisme en France » BO spécial n° 1 du 22 janvier 2019

Première générale, Géographie. Thème 3 : « Les espaces ruraux : multifonctionnalité ou fragmentation ? » ; « La fragmentation des espaces ruraux » ; « Affirmation des fonctions non agricoles et conflits d’usages » BO spécial n° 1 du 22 janvier 2019

Première voie professionnelle, Géographie. Un thème de géographie est axé sur les espaces urbains mais la ruralité appartient au corpus des notions. BO spécial n° 1 du 6 février 2020.
https://eduscol.education.fr/1790/programmes-et-ressources-en-histoire-geographie-voie-professionnelle

Pistes pédagogiques

Les programmes d’histoire-géographie proposent des études de lieux précis propices à la recherche documentaire et à la lecture de la presse. Il est alors possible d’affiner et d’apprendre aux élèves à repérer les stéréotypes dans les différents articles en fonction du type de documents (presse quotidienne régionale, journaux nationaux, communication des collectivités territoriales sous forme de magazines locaux, etc.).

La notion de marketing territorial abordée en lycée général et technologique peut être l’occasion de produire avec des élèves des supports de communication pour attirer des habitants sur des territoires à faible densité : quels atouts mettre en avant ? Quels codes de communication utiliser ? Quel est le public cible ? Les productions peuvent être exposées au CDI, publiées sur le site de l’établissement et /ou sur le portail du CDI. Ce travail peut se faire de façon interdisciplinaire en STMG.

Développer l’ouverture culturelle des établissements en instaurant des partenariats avec des structures culturelles et artistiques rurales. Cela peut, par exemple, prendre place dans le parcours avenir, les filières forestières et agricoles pouvant proposer des parcours de découverte
https://www.onf.fr/
https://chambres-agriculture.fr/

L’éducation socioculturelle en lycée agricole est une porte d’entrée vers des partenariats culturels tournés vers la richesse culturelle et artistique des zones rurales.
https://lebimsa.msa.fr/developpement-local/les-champs-de-la-creation-art-et-ruralite/

Valoriser les savoirs culturels ruraux au sein du CDI par des expositions autour de la pêche, des champignons, du jardinage et du bricolage, etc. Constituer un fonds spécifique : romans, documentaires.

Collaboration avec un professeur d’histoire : recherches documentaires dans les archives du site Retronews ; le lexique de la campagne dans la presse parisienne au 19e siècle.

Mise en place d’une veille documentaire sur e-sidoc autour de l’actualité culturelle rurale : expositions, résidences d’artistes, musées, cinémas, évènements musicaux, venue de compagnies théâtrales, journées du patrimoine, par exemple.

Avec les professeurs principaux, les PsyEN, les professeurs de SVT, découverte des métiers de la ruralité, notamment tout ce qui tourne autour de l’écologie, de la biodiversité et de la préservation du patrimoine naturel, de l’alimentation ; invitation de professionnels, visite de fermes pédagogiques.

Sites institutionnels

Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Réseau national agricultures et ruralités :
https://www.reseaurural.fr/
https://www.reseaurural.fr/sites/default/files/documents/fichiers/2021-12/2021_rrn_guide_culture_ruralite_2.pdf

Agence nationale de cohésion des territoires. Territoires et ruralités : Réduire les inégalités entre les territoires. Ce site répertorie depuis 2017 les politiques publiques nationales qui ont pour projet de réduire les inégalités entre territoires via une collaboration avec les collectivités locales.
https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/territoires-et-ruralites-99

Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, IGEN-IGAEN. Mission ruralité : adapter l’organisation et le pilotage du système éducatifs aux évolutions et aux défis des territoires ruraux, 2018. Rapport qui présente notamment les écarts en termes de poursuite d’études entre élèves ruraux et urbains. Ce phénomène est intéressant à analyser dans le cadre du parcours avenir.
https://www.education.gouv.fr/mission-ruralite-adapter-l-organisation-et-le-pilotage-du-systeme-educatif-aux-evolutions-et-defis-2864

Projet AGATE, INRAE : Institut National de recherche pour l’Agriculture, l’alimentation et l’Environnement, en partenariat avec la BnF et les Archives nationales : bibliothèque numérique autour de l’Agriculture, l’Alimentation, les Territoires et l’Environnement.
https://agate.inrae.fr/agate/fr/content/propos-dagate

 

Presse

Lycée

Espace rural, espaces ruraux, Géoconfluences, 2020.
https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/espace-rural-espaces-ruraux.

Gandilhon, Michel, L’héroïne en milieu rural en France : une réalité ignorée, The Conversation, 16 juillet 2023.
http://theconversation.com/lhero-ne-en-milieu-rural-en-france-une-realite-ignoree-207844

Le monde rural dans le roman français. Lire n° 488, 09/2020, p. 62-69.

Les espaces ruraux en France, Documentation photographique n° 8131, 10/2019 : numéro entièrement consacré à la ruralité.

Mariette, Maëlle, Deux mondes paysans qui s’ignorent, Monde diplomatique n° 805, 04/2021, p. 18-19.

Marinone, Isabelle, Les paysans à l’écran : quelles représentations ? Cahiers français n° 431, 01/2023, p. 88-95.

Rieutort, Laurent, Les territoires ruraux face à quatre transitions, Population et Avenir n° 761, 01/2023, p. 4-7, 20.

Collège

Chez les paysans du Grand Siècle, Arkeo Junior n° 280, 01/2020, p. 20-21.

Land Art, DADA n° 241 : dossier, 2019.

Filmographie

Documentaires

Agou Christophe, Sans Adieu. Les Enragés, 2017, 99 mn. Un film qui montre la vie loin du monde des paysans du Forez, qui vivent de peu et souffrent des représentations associées à leur mode de vie.

Culand, Gabrielle. Sacrifice Paysan. Arte, Elephant prod, 2022. Ce documentaire s’ouvre sur le décès de Jérôme Laronze, agriculteur du Morvan, lors d’un contrôle de gendarmerie. Objectif : montrer les tensions entre la paysannerie traditionnelle et les contraintes liées aux nouvelles normes. Disponible sur :
https://www.youtube.com/watch?v=CxW5pWB7b5g

Depardon, Raymond. Trilogie, profils paysans : L’approche (2001), Le quotidien (2005), La vie moderne (2008). Issu d’une famille paysanne, Raymond Depardon, dans cette trilogie, filme avec pudeur un monde qui parle peu et souffre en silence.

Lifshitz, Sébastien. Adolescentes. Agat Films – Ex nihilo, 2019, 135 mn. Un documentaire qui suit pendant cinq années deux adolescentes corréziennes. Leur différence d’origine sociale est structurante dans ce film qui réussit aussi à montrer ce que c’est que de vivre dans une petite ville de province qui reste marquée par sa ruralité et où la nature est proche.

Prunault, Delphine. Moi, agricultrice. Galaxie Presse, LCP, France 3 Pays de la Loire, 2022, 52 mn. Un documentaire sur la place essentielle mais peu reconnue des femmes agricultrices.

Rouaud, Christian. Tous au Larzac, Elzévir Films, 2011, 120 mn. Documentaire sur les luttes paysannes contre l’extension du camp militaire du Larzac en 1971.

Rouquier, George. Farrebique. Les Films Étienne Lallier, 1946, 35 mn. Un film patrimonial entre fiction et réalité sur la vie d’une famille paysanne aveyronnaise.

Varda, Agnès. Les Glaneurs et la glaneuse. Ciné-Tamaris, 2000, 82 mn. Agnès Varda part à la rencontre des glaneurs des villes et des champs. Un film poétique sur le glanage, pratique ancestrale et rurale d’assistance aux démunis.

Les documentaires d’Armand Chartier qui a beaucoup filmé la ruralité dans les années 70. Ces films ont été réalisés dans le cadre du ministère de l’agriculture et sont disponibles sur le catalogue en ligne de la BnF :
https://www.bnf.fr/fr/filmer-la-ruralite

Fictions

Bergeon Édouard. Au nom de la terre. Diaphana distribution, 2019, 103 mn. La chute d’un paysan qui, pour échapper à ses difficultés financières, ne trouve pour seule solution que de mettre fin à ses jours

Charuel Hubert. Petit Paysan. Pyramide Vidéo, 2017, 86 mn. Pierre, un jeune paysan, gère un troupeau d’une trentaine de vaches. Lorsque sa sœur vétérinaire lui apprend qu’une de ses vaches est malade, il décide de le cacher de crainte qu’on abatte tout son troupeau.

Klapisch, Cédric. Ce qui nous lie. Ce Qui Me Meut, 2017, 113 mn. De retour en Bourgogne car son père est sur le point de mourir, Jean retisse des liens avec son frère et sa sœur au fil des saisons et de la culture de la vigne.

La guerre des boutons : un grand classique sur l’enfance à la campagne, à voir en version originale (1962, Yves Robert) ou en version revisitée (2011, Yann Samuell).

Salvadori, Pierre. La petite Bande. Les Films Pelléas, 2022, 106 mn. Des ados d’un village corse décident de saboter l’usine qui pollue leur rivière depuis des années. Un film décapant et drôle qui aborde de façon décalée les raisons pour lesquelles on est amené à vouloir protéger la nature qui nous entoure et les difficultés de l’adolescence.

 

Radio

Deroeux, Iris ; Amsellem-Mainguy, Yaëlle. « R » Comme Ruralité. Émission « Les Mots de La Science » : The Conversation, 29 avril 2021, 17 mn. Une histoire de la sociologie de la ruralité par l’autrice des Filles du coin. http://theconversation.com/les-mots-de-la-science-r-comme-ruralite-159848

Gillon, Gaël ; Maucort, Pauline. Le complexe rural. France Culture, série en 4 épisodes : 1. Grandir à la ferme, 58 mn. ; 2. La maison au village et les voisins parisiens, 1 h 05 mn. ; 3. Quand les femmes battent la campagne, 59 mn. ; 4. Choisir de revenir, 59 mn.

La ruralité est-elle un désert culturel ? Mercredi 31 mai 2023 France culture, 16 mn.

 

Harcèlement en littérature : dire l’indicible

À l’heure où cet article était en cours d’écriture, un adolescent de 15 ans, victime de harcèlement scolaire, se donnait la mort à Poissy. Son nom vient s’ajouter à une liste déjà trop longue pour la seule année 2023, faisant du harcèlement scolaire un problème de société majeur ainsi qu’un sujet médiatique de premier plan, comme l’attestent le large relais médiatique ainsi que les mesures institutionnelles récentes prises par Gabriel Attal : le décret du 16 août 2023, la journée de lutte contre le harcèlement, Safer internet day, le dispositif Sentinelles et Référents, Phare, Prix Non au harcèlement…
Pourtant, ce douloureux et complexe sujet n’est pas l’apanage de notre époque et de nombreux auteurs s’en étaient déjà emparés : Maupassant, dans sa nouvelle Le papa de Simon, Flaubert dans ses Mémoires d’un fou, Delacretelle, Jules Renard et d’autres avaient déjà écrit en leur temps sur le sujet.

 

Aujourd’hui, l’offre éditoriale est plurielle et se décline en différents formats et types de textes : certains ont une approche éducative, parfois trop appuyée, d’autres s’inscrivent dans une démarche davantage littéraire avec des textes complexes tant dans l’exploration de la psychologie des personnages que dans leur construction ou la variété des thématiques abordées. Mais l’essence est toujours la même, parler à l’intime et permettre au jeune lecteur de cheminer dans ses émotions et sa réflexion : « La littérature reste une des meilleures garanties pour espérer une sorte de progrès dans nos sociétés hypertechniques », nous dit Mario Vargas Llosa. Saisissons-nous de cette citation pour offrir à nos élèves des textes variés sur le sujet, pour les sensibiliser mais aussi parce que ce thème familier, effrayant et bouleversant peut les amener sur le chemin de la littérature.

Des formats courts pour des fictions à visée éducative

Il importe de toucher le plus grand nombre possible d’ados et pré-ados et pas uniquement les lecteurs confirmés qui tentent la folle aventure du roman de plus de cent pages. Les fictions pouvant constituer une sorte de « produit d’appel » sont nombreuses, dont quelques bandes dessinées.

Du côté de la BD et du roman

Dès 2012, Dominique Saint Mars et Serge Bloch imaginent dans une BD ludique et éducative au dessin humoristique, une Lili harcelée à l’école après s’être laissé séduire par une bande de filles populaires mais loin d’être bienveillantes. On y comprend que le harcèlement existe aussi dans le monde des adultes, puisque le père de Lili est contrarié à cause des moqueries répétées de ses collègues au sujet de la forme de son menton. On s’interroge aussi sur les motivations de la camarade qui harcèle Lili : elle manque totalement de confiance en elle et veut se donner avec sa position de bourreau l’illusion d’être forte. Autre bande dessinée qui choisit la distance de l’humour, Seule à la récré propose des planches aux dessins et couleurs tendres qui atténuent la gravité du propos ; elle nous livre l’histoire d’Emma, progressivement isolée et harcelée par ses camarades de classe, qui choisit au départ de ne rien dire, puis expliquera ce qui se passe à ses parents. La situation mettra néanmoins du temps à évoluer. On s’intéresse ici aussi à l’instigatrice de ce harcèlement, victime de la pression que ses parents exercent sur elle pour qu’elle soit la meilleure en tout, quitte à écraser les autres. Camelia, autre héroïne de bande dessinée, trouvera dans le soutien de ses parents et amis, mais aussi dans la pratique théâtrale, la force de surmonter l’épreuve et de faire face à la meute. On retrouve ici le thème de l’art libérateur.

Plus étoffé, utilisant lui aussi le ressort comique sans rien perdre de sa subtilité d’analyse et ponctué d’illustrations, le roman La Team collège interroge les liens amicaux, les stéréotypes sociétaux et la construction du phénomène de harcèlement.
Le recueil Malaise au collège propose quatre courts récits mettant en scène différentes formes de harcèlement (cyberharcèlement, racket, ostracisation, harcèlement physique) ; ils permettent une sensibilisation rapide, mais le texte devient parfois trop informatif.

Des pages documentaires et informatives viennent enrichir ces textes de fiction et proposent des descriptifs des mécanismes du harcèlement, des numéros d’écoute et des réseaux associatifs dédiés. Ils ont également en commun des « happy ends » grâce à la libération de la parole et l’écoute de proches, d’amis, de professeurs (c’est plus rare) ou de pratiques artistiques. Le bouc émissaire sort alors du cercle vicieux grâce à ses adjuvants. Mais la vie n’est pas un conte de fées et pour d’autres, le chemin sera plus laborieux, plus difficile encore.

Des fictions plus denses aux thématiques multiples pour une entrée en littérature

Des textes qui vont à l’essentiel

Il y a des textes qui cognent. Dans son court roman, Six contre un, Cécile Alix adopte un point de vue interne qui permet dès l’incipit une identification avec Ludo, bouc émissaire en raison de son surpoids. Le vocabulaire est cru, percutant, incisif et sans concession, pour un effet coup de poing propice à la prise de conscience ; c’est en permettant à ce corps moqué de s’exprimer par la danse, que Ludo retrouvera l’estime de lui-même et la confiance en la vie. Encore une fois, l’autrice propose l’art comme remède à la souffrance.
Même crescendo de violences et d’humiliations, même sensation de panique et d’impasse chez Arthur Tenor qui décrit un Enfer au collège à la construction habile. Il alterne le point de vue du bourreau et celui de sa victime, situe l’incipit après les faits, laissant pressentir au lecteur que quelque chose de grave s’est produit, sur lequel le récit nous éclairera. On retrouvera ce procédé dans le roman Blacklistée dont nous parlerons plus loin.
Les deux auteurs ont décidé de s’exprimer dans une postface, Cécile Alix par un plaidoyer aussi bref que percutant ; Arthur Tenor en expliquant comment le témoignage de la mère d’un jeune harcelé qui s’est suicidé l’a plongé dans l’urgence d’écrire.

Des romans plus étoffés : exploration psychologique, découverte d’autres univers…

D’autres romans abordent la question du harcèlement sans que ce soit le thème central et plongent le lecteur dans de nouveaux univers.
Ainsi, Sherman Alexie dans son roman autobiographique Le premier qui pleure a perdu raconte avec un humour féroce ses difficultés et péripéties d’adolescent harcelé : Junior, un jeune Indien Spokane souffrant de différents handicaps, vit dans une réserve indienne où dominent misère sociale et humaine. Il sait qu’un déplorable avenir l’attend s’il ne quitte pas la Réserve. Brillant, il est admis à Reardan, une école prestigieuse surtout fréquentée par les Blancs. Son amour du dessin, son travail, son talent et sa puissante autodérision lui permettront de s’en sortir.

Troublante similitude avec Max, jeune garçon handicapé, qui rase les murs pour éviter les moqueries et vexations répétées dont il fait l’objet depuis sa sixième, faisant de sa vie un calvaire. Là encore, la rencontre artistique avec une mystérieuse BD, Dragon boy, va s’avérer salvatrice : le héros et la comédie musicale vont l’inspirer au point de transformer sa vie. Le récit est entrecoupé des planches BD des jubilatoires aventures de Dragon Boy, véritable exutoire pour Max mais aussi pour le lecteur.
Ces deux romans semblent se faire écho tant par leur humour corrosif que par leur forme très illustrée, leurs thèmes et leur profonde humanité.

Dans Chère Fubuki Katana, Anne Lise Heurtier fait le choix de placer son récit au Japon. Sûrement pas par hasard, puisqu’on y excelle dans l’art de réparer les vases brisés : on met en valeur les brisures plutôt que de les camoufler et l’image est d’autant plus forte dans une culture où l’intime semble devoir rester muet. La jeune Emi et sa mère sont adeptes de cette activité. Emi est harcelée et tente vainement de faire bonne figure en taisant les humiliations dont elle fait l’objet quotidiennement. La construction du récit est singulière et très bien maîtrisée, le dénouement final est une surprise pour ne pas dire un choc. Ce roman vient interroger notre société contemporaine sur les thèmes de l’image, l’amitié, l’amour et le mensonge. La poésie, l’émerveillement et l’art sont néanmoins très présents, notes d’espoir et de beauté dans un texte d’une grande finesse.
On ne saurait évoquer le Japon sans proposer quelques mangas. Deux d’entre eux ont retenu mon attention par leur similitude : Kasane et Rouge Eclipse. Ils ont en commun deux héroïnes persécutées dans leur lycée à cause de leur physique jugé ingrat. Toutes les deux ont des relations compliquées avec leur mère pour des raisons différentes. Elles vont avoir recours à un procédé surnaturel pour se glisser dans le corps d’une jolie jeune fille populaire, qui s’avère être le bourreau dans l’un des deux cas. À peine sont-elles libérées de leur laideur qu’elles se laissent gagner toutes les deux peu à peu par la cruauté et la méchanceté, intéressante métaphore qui rappelle que les postures dans l’infernal triangle du harcèlement ne sont que postures et que chacun peut passer de l’une à l’autre… nombre de harceleurs sont ou ont été victimes de harcèlement. Ces deux mangas offrent une vraie réflexion sur la quête d’identité, l’estime de soi, le respect de l’autre, le bien-être psychique, autant de problématiques étroitement liées à celle du harcèlement.
Claire Mazard a choisi de parler du harcèlement dans un de ses romans noirs pour aborder ce thème. La commissaire Razinsky enquête sur le meurtre d’un jeune harceleur dont Anton, frappé de la malédiction d’être roux, était la victime. Ils se sont justement rencontrés le soir du meurtre. Mais le jeune harcelé ne sera finalement pas inquiété, il retrouvera une vie plus sereine. Au-delà de la problématique du harcèlement, bien d’autres thèmes sont abordés : liens familiaux, blessures, perte, deuil, exclusions… Le format enquête amène tout le suspense et les rebondissements propres au genre et rappelle que certains actes peuvent conduire à l’irrémédiable.

Les romans du passage à l’acte

Allure de roman noir également pour la couverture du best-seller Blacklistée à ranger du côté des romans addictifs. Il nous entraîne dans un lycée américain où l’image est un diktat, où la popularité se mesure à la marque de ses vêtements ou de son make-up et à sa capacité à être craint par les autres. D’un milieu social très favorisé, Regan, légèrement peste, voit son destin radicalement basculer à la suite de la diffusion publique de ses messages privés. Son statut d’icône populaire lui est instantanément ôté, ses « amies » lui tournent le dos, le harcèlement commence et sa vie devient un enfer. Dès lors, il lui faut trouver des stratégies de réhabilitation. Des secrets et un rapprochement avec le jeune Nolan vont bouleverser ses plans et lui permettre d’aller à la découverte d’elle-même. Cependant, une des élèves du lycée va payer le prix fort et aller jusqu’à une tentative de suicide dont elle sera sauvée in extremis.
Passage à l’acte aussi dans le roman déjà évoqué d’Athur Tenor, L’enfer au collège ou encore dans Silent Boy. Dans ce roman court et percutant, Gaël Aymon, qui avait déjà écrit sur le sujet (ndlr Ma réputation) fait vivre l’expérience d’une plongée immersive dans le monde des ados, leurs codes et leur vocabulaire. Anton, alias Silent boy sur les réseaux, est le témoin muet du harcèlement de Nathan, un jeune homme qui ne correspond pas aux stéréotypes de genre. Particularité, les réseaux sociaux jouent ici un rôle positif même si un personnage dira qu’il en a assez des relations virtuelles et préfère désormais se consacrer à sa vie réelle. Sur un tchat, Anton va échanger et devenir « ami » avec une jeune fille. Peu à peu, il va se dévoiler et puiser dans cette relation la force de sortir du silence. Mais il aura fallu la défenestration de Nathan pour qu’Anton soit gagné par la rage et la soif de laisser éclater la vérité. Loin de tout manichéisme, ce roman offre une lecture nuancée des postures et enjeux à l’œuvre dans le harcèlement, des émotions qui traversent les protagonistes et en particulier les témoins. Et il soulève la question de l’identité.
Suicide encore mais réussi cette fois dans 13 reasons why de Jay Asher dont a été tirée la célèbre série éponyme. Hannah Baker a pris le temps avant son suicide de s’enregistrer sur de vieilles cassettes audio pour expliquer les 13 raisons qui l’ont poussée à cette dernière extrémité. Clay est le premier garçon à recevoir les cassettes, lui qui pensait n’avoir rien à voir avec la mort d’Hannah. Le lecteur découvre le contenu des cassettes avec lui, ponctué d’incessants flash-back pour comprendre l’enchaînement macabre. Nul n’est épargné : camarades ayant nui directement ou indirectement à la jeune fille, profs ou parents quasi aveugles ou maladroits. Le lecteur sent se resserrer l’étau de la solitude extrême dans laquelle Hannah s’est trouvée plongée.

Dans Johnny de Martine Pouchain, c’est Alice, dont il était amoureux, qui démêle l’écheveau de l’histoire de Johnny, puisque lui n’est plus là pour raconter le calvaire qu’il a subi. Calvaire auquel Alice a d’ailleurs participé, sans penser bien sûr que les choses pouvaient aussi mal tourner. Cette histoire aussi crue et dépouillée qu’elle est brève, ne laisse pas le lecteur indemne.
Enfin, parce que les histoires vraies touchent les lecteurs et constituent une tendance éditoriale forte, on peut proposer sur nos étagères le témoignage de Nora Fraisse, maman de la jeune Marion qui s’est suicidée à l’âge de 13 ans : Marion, 13 ans pour toujours. Nora Fraisse, qui a contribué au scénario de la BD Camélia, fondé une association, et lancé des campagnes de sensibilisation. L’institution scolaire n’est pas épargnée dans son récit mais c’est une parole qui mérite d’être écoutée non pour se flageller mais peut-être pour interroger notre posture et notre vigilance.
D’ailleurs, dans nombre de textes évoqués dans cet article, les adultes, parents, professeurs, pris dans leurs rôles et préoccupations, au mieux jouent les aveugles et les indifférents, au pire aggravent les faits en s’en tenant aux apparences ou se disant que si l’on est rejeté par les autres, c’est qu’on ne fait peut-être pas d’efforts ! Quant aux parents, les enfants hésitent à leur parler pour les protéger puis finissent par leur en vouloir de ne pas comprendre où est le problème. C’est également la honte qui les pousse au silence.
Ainsi l’offre éditoriale sur la problématique du harcèlement est large tant par la diversité des genres que par la diversité des niveaux de lecture. Le professeur documentaliste dans sa double mission de veille informationnelle en lien avec l’actualité et de promotion de la lecture peut puiser là une matière sérieuse, propice à libérer la parole des élèves et à étayer leur réflexion. 
Ces ouvrages nous incitent surtout en tant qu’éducateurs à nous garder nous-mêmes des stéréotypes et des interprétations, à accroître notre vigilance, à ouvrir le dialogue. Et pourquoi pas à nous inscrire dans un dispositif existant, puisque le CDI est l’un des espaces phares de la vie des élèves dans les établissements.

 

 

Demain les IA génératives

Novembre 2022, ChatGPT, l’intelligence artificielle conversationnelle de l’entreprise américaine OpenAI conquiert la planète web en répondant instantanément à toute question des internautes de façon directe, synthétique et ordonnée. Cette IA s‘appuie sur un corpus textuel déterminé entièrement constitué de données issues du web mais non connecté à celui-ci en temps réel. Néanmoins, depuis 2019, la plateforme payante Playground d’OpenAI permettait déjà aux développeurs et à tout internaute féru d’algorithmes de tester les différentes versions de Cha­tGPT, grâce à de multiples réglages, et de générer du texte ou du code afin de les intégrer dans des applications. En 2023, tout s’accélère, avec le développement de versions toujours plus performantes, dont ­ChatGPT 4 (version payante), qui, grâce à l’un de ses plugins, peut désormais chercher des informations sur le web (actualité, sources, etc.). En mars 2023, OpenAI s’associe avec Microsoft qui intègre ChatGPT 4 au moteur de recherche Bing (application Copilot), rendant cette version accessible gratuitement au grand public. Enfin, en décembre 2023, OpenAI signe le premier accord de partenariat avec un important groupe de presse européen, Axel Springer, offrant ainsi l’accès à une base de données d’articles aux utilisateurs de ChatGPT 4.
La concurrence n’est pas en reste. Une course mondiale est engagée, de nombreuses autres IA conversationnelles performantes sont développées, parmi lesquelles on peut citer : Mistral AI (France), Perplexity AI (USA), Meta AI de Facebook (USA), Ernie Bot de Baidu (Chine) et, particulièrement, Bard de Google, sortie en 2023, dont la version multimodale1, Gemini, prétend rivaliser avec ChatGPT 4.
Les IA génératives2, dont font partie les IA conversationnelles, évoluent donc constamment et proposent également la création d’image à partir d’un texte (DALL.E d’OpenAI, Bing créateur d’image de Microsoft, Text to image de Canva, Midjourney avec Discord) ou la transcription vocale (Speech-to-Text de Google, Whisper d’OpenAI…). Elles se diversifient avec l’émergence d’autres options telles que la génération de vidéo, de musique, de traduction vocale, de diaporama à partir d’un prompt3. Il est également possible de faire une traduction vocale en langue étrangère d’un audio ou d’une vidéo (HeyGen). Une tendance vers les intelligences artificielles génératives multimodales semble donc se dessiner. Dans un avenir très proche, les IA génératives feront probablement partie de notre quotidien, exécutant de nombreuses tâches basiques ou complexes.

Face aux enjeux sociétaux liés au déploiement et à l’utilisation de ces nouvelles technologies, notamment les multiples plaintes en violation des droits d’auteur, les atteintes à la protection des données personnelles (RGPD), la CNIL a publié le 16 mai 2023 « un plan d’action pour un déploiement de systèmes d’IA respectueux de la vie privée des individus ». En outre, le 9 décembre 2023, l’Union européenne est parvenue à un accord entre les différents États membres sur un texte qui encadre les intelligences artificielles, l’AI Act : « Ce règlement vise à garantir que les droits fondamentaux, la démocratie, l’État de droit et la durabilité environnementale sont protégés contre les risques liés à l’IA, tout en encourageant l’innovation […]. Les règles établissent des obligations relatives au niveau de risque et d’impact que l’IA peut générer. »

À la suite de l’annonce, par le ministre de l’Éducation nationale, de l’introduction de l’IA dans l’apprentissage du français et des mathématiques en seconde (application MIA), dès la rentrée 2024, il est urgent de réfléchir à l’usage de ces outils, comme le signale Manon Lefebvre, dans son article sur ChatGPT, en nous présentant son fonctionnement, ses limites, et en suggérant des pistes de réflexion, d’apprentissage et de production de contenus pédagogiques.

 

 

Appel à contribution : Penser le CDI inclusif

Handicap, illettrisme, décrochage scolaire, besoins éducatifs ou pédagogiques particuliers, illectronisme… Comment penser le CDI inclusif en faveur de la réussite de tous les élèves ?

En 2006, l’Unesco définit l’inclusion comme « […] une approche dynamique [permettant] de répondre positivement à la diversité des élèves et de considérer les différences entre les individus non comme des problèmes, mais comme des opportunités d’enrichir l’apprentissage1 ». Dans la même veine, le récent manifeste IFLA-UNESCO sur les bibliothèques publiques de 20222 insiste sur les liens qui existent entre information, éducation, participation citoyenne et inclusion. De par leurs missions-clés, les bibliothèques sont appelées à contribuer à la construction de sociétés plus humaines, équitables et durables. Ce qui nous conduit à réfléchir à la contribution des CDI et au rôle des professeurs documentalistes.

Pour ce numéro, sont attendues des propositions d’articles sur les problématiques suivantes :
– accueillir et repenser les espaces documentaires (signalétique, circulation…) pour répondre aux besoins de chacun.e ;
– viser l’inclusion (numérique, culturelle, sociale, scolaire) de tous les élèves ;
– favoriser l’accessibilité des collections, des ressources, des documents et de l’information en tenant compte des singularités ;
– développer des activités pédagogiques et didactiques qui visent l’acculturation informationnelle de tous les élèves, dans leur diversité, dans le cadre de l’information-documentation et/ou de l’ÉMI.
– encourager l’insertion professionnelle, la coopération et la solidarité à l’école dans un but inclusif ;
– œuvrer à l’inclusion scolaire des élèves migrants, réfugiés et/ou nomades, en situation de handicap, à besoins éducatifs particuliers, en difficultés (d’ordre physique, psychique, moral, socio-économique et culturel) ;

Pour penser ensemble le CDI inclusif, nous avons besoin de vos réflexions, de vos mises en œuvre pédagogiques et d’exemples précis.

À vos idées ! À vos articles !

Date limite d’envoi des propositions de contribution
31 mars 2024

Pour une préparation optimale du numéro,
n’hésitez pas à contacter la rédaction au plus tôt

intercdi.articles@gmail.com

Image(s) de soi

Au moment où nous imprimons cette revue, nous apprenons avec effroi l’assassinat de notre collègue professeur de lettres, Monsieur Dominique Bernard. Toute la rédaction exprime sa peine et son soutien à sa famille dans ce moment particulièrement douloureux.

Dans un thèmalire particulièrement fouillé et documenté, Fanette Bianchi retrace l’évolution éditoriale des romans jeunesses centrés autour de la première relation sexuelle : depuis les débuts du genre dans lesquels la sexualité n’est mentionnée que de façon elliptique ou sous un angle préventif via ses conséquences, la plupart du temps dramatiques, jusqu’à nos jours où la première relation sexuelle et l’érotisme deviennent le thème central du roman avec un réel questionnement autour des sexualités, sans sombrer dans l’apologie des pratiques extrêmes. Une bonne introduction à l’éducation à la sexualité. À ce sujet, on lira avec attention l’ouverture culturelle de Yannick Denoix dans laquelle il ne manque pas de rappeler la grande liberté amoureuse et sexuelle de Colette, sans oublier ses multiples facettes artistiques et intellectuelles qu’il nous fait redécouvrir, à l’occasion des 150 ans de sa naissance.

Adeline Segui-Entraygues et Sybil Nile, dans un article consacré au selfie, reviennent sur son origine et sa proximité apparente avec l’autoportrait pour immédiatement élargir le champ en rappelant que le selfie constitue une forme de communication active à trois : émetteur, récepteur, contexte, qu’il est genré et qu’on ne peut limiter son interprétation au narcissisme de la génération des millenials. Elles plaident, exemples de séances à l’appui, pour une éducation aux usages numériques dispensée par les professeurs documentalistes qui permettrait aux élèves « de passer d’un statut d’objet ou de sujet de leur selfie à celui d’acteur ». Ceci afin de développer des pratiques d’information raisonnées : maîtriser son identité numérique, comprendre les multiples enjeux des réseaux sociaux, réfléchir à l’exposition et à la publication de soi. Agnès Deyzieux s’intéresse également à la question de la mise en image(s) de soi, de ses émotions en choisissant de rédiger un gros plan autour de Benoît Vidal, auteur de la BD Gaston en Normandie, lequel, pour raconter le débarquement en Normandie à travers les yeux de sa grand-mère, opte pour une forme tombée en désuétude mais réinventée par les éditions FLBLB : le roman photo.

Brigitte Réa analyse les évolutions catalographiques liées au développement d’internet, notamment la création de formats universels d’échange de données (UNIMARC), l’accès des usagers à la recherche sur des catalogues en ligne sans que pour autant les notices desdits catalogues soient accessibles via les moteurs de recherche type google et enfin, ultime étape, la transition bibliographique qui vise à adapter le catalogage à l’environnement Web afin de faciliter les recherches. Elle nous rappelle que ces évolutions sont déjà présentes sur nos portails avec, notamment, l’intégration de métadonnées issues de ressources numériques externes, celles de l’encyclopédie Wikipédia, par exemple, qui font d’ailleurs l’objet d’un focus dans la veille numérique de Gabriel Giacomotto. Enfin, Lucie Sire détaille dans une fiche pratique les étapes de la création d’un podcast, en passant par les partenaires et outils disponibles, les concours, les compétences travaillées, la réalisation et les droits. Elle conclut avec quelques exemples de podcasts bien choisis, notamment une série sur notre métier réalisée par deux professeures documentalistes : 621.3 Prof Doc sur Spotify, bonne écoute.