Veille numérique 2019 N°3

Jeu et éducation

Jeu vidéo et pédagogie

La Fédération de Maisons de Jeunes & Organisation de Jeunesse et le Centre de l’image animée et interactive à Charleroi (Quai10) ont réalisé un manuel sur l’utilisation des jeux comme médium pédagogique. La première partie dispense des conseils sur la création de séquences pédagogiques ludiques et analyse le média vidéoludique. Sont proposés : onze ateliers pédagogiques indiquant le nombre d’élèves, la classe d’âge, la durée, les objectifs, la méthode et les exercices. Des ressources sont listées à la fin du document.
 www.quai10.be/wp-content/uploads/2018/10/Jeu-video-et-e%CC%81ducation.pdf

Linguistique par le jeu

Dans le cadre de la saison France-Roumanie, le ministère de la culture a lancé le jeu vidéo Romanica.  But du jeu : sensibiliser les joueurs à la diversité linguistique et à la richesse des langues romanes. Le héros évolue dans un monde monolingue constitué d’un mélange de mots de huit langues romanes dont il devra retrouver la signification. Le jeu est composé de plusieurs mondes thématiques et de quinze niveaux d’action qui permettent de débloquer des contenus culturels. Ce jeu sérieux gratuit est disponible sur l’App Store et Google Play.
www.culture.gouv.fr/Thematiques/Langue-francaise-et-langues-de-France/Politiques-de-la-langue/Langues-et-numerique/Romanica

Trouble du jeu vidéo

Le 25 mai 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a entériné comme pathologie la pratique excessive du jeu vidéo, en raison de répercussions dommageables sur la santé et la vie sociale. Les représentants de l’industrie du jeu vidéo appellent à revenir sur cette décision. Dans la communauté scientifique, l’assentiment des chercheurs est loin de faire l’unanimité. La 11e révision de la Classification internationale des maladies entrera en vigueur le 1er janvier 2022.

Héros littéraires en jeu vidéo

Bookbound Brigade est un jeu non linéaire et inhabituel orienté vers l’action-aventure avec énigmes, puzzles, etc. Tous les personnages sont issus du monde littéraire (Dracula, le Roi Arthur, la Reine Victoria, Nikola Tesla, Cassandra, Dorothy Gale, Sun Wukong le Roi des Singes et Robin des Bois). Les héros en quête du « Livre des livres » possèdent des pouvoirs en rapport avec leur personnage littéraire. Jeu disponible fin 2019.

Jouer une IA dans Observation

Le studio No Code a créé un jeu original où le joueur prend la place de l’intelligence artificielle (SAM) d’une station spatiale. Or, la station dont a la charge l’IA n’est pas bien positionnée car proche de Saturne, avec hélas peu d’espoir de retourner vers la Terre. SAM doit exécuter les ordres d’Emma, une spationaute britannique, et l’aider à résoudre cette situation. Disposant au début du jeu de peu de moyens d’action : l’observation principalement, SAM pourrait bien être manipulée par une entité inconnue. L’odyssée de l’espace peut commencer…

Jeu pour lutter contre les fake news

Le jeu en anglais Misinformer lancé sur la plateforme de financement participatif Kickstarter propose aux internautes de prendre la place d’un journaliste. Modérateur sur un forum, à la suite d’un afflux massif de spams le joueur enquête pour trouver le responsable. L’objectif pédagogique est de donner les clés pour identifier les fausses informations. Comme tous les projets de ce type, ce jeu pourrait ne jamais voir le jour. Info à suivre.

Jeux au musée européen du manga

Le Centre européen d’études japonaises d’Alsace a pour ambition d’ouvrir d’ici quatre ou cinq ans un musée européen du manga. En dehors des ouvrages, une part non négligeable du musée serait consacrée à l’animation, aux figurines et aux jeux vidéo, selon la directrice du CEEJA. Pour le moment, le projet est dans la phase de financement, de développement de partenariats et de constitution d’un conseil scientifique.

Base de données

POP culture

Le ministère de la culture vient d’ouvrir l’accès à la Plateforme Ouverte de Patrimoine regroupant les données de plusieurs bases : Joconde (Musées de France), Mémoire (Photographie), MUSEO (Collections des musées de France), MNR Rose-Valland (récupération artistique), Mérimée (Patrimoine architectural)… Recherche simple et avancée disponible avec de très nombreux filtres. En version bêta pour le moment.  www.pop.culture.gouv.fr/

CC Search

Le site de recherche Creative Commons n’est plus en version bêta et propose désormais plus de 300 millions d’images sous licence ouverte ou issues du domaine public. CC Search parcourt les fonds de dix-neuf collections telles que le Metropolitan Museum of Art, le Cleveland Museum of Art, DeviantArt, les photos de Flickr. Pour l’exploitation des images, il convient de vérifier les conditions d’utilisation de chaque œuvre en repérant le sigle ou logo associé à celle-ci (BY, NC, ND, SA). L’ancien site est toujours accessible via un lien sur la page d’accueil du moteur de recherche.  https://search.creativecommons.org/

Expositions virtuelles

Le site du ministère de la culture recense de très nombreuses expositions virtuelles muséales dans son onglet « Thématiques ». Les ressources sont classées par thème : Archéologie, Art contemporain, Arts graphiques, Arts premiers, Ethnologie, Histoire, Histoire naturelle, Littérature, Mode et textile, Musique, Peinture, Photographie, Sciences et techniques, Sculpture… Dommage que de nombreux liens soient brisés.
 www.culture.gouv.fr/Thematiques/Musees/Ressources/Expositions-virtuelles-France-et-international

Lecture numérique

Bibliothèque jeunesse libre

La bibliothèque numérique de littérature de jeunesse créée par un membre de Framasoft met à disposition plus de 700 livres numériques en ligne, issus du domaine public ou proposés sous licence libre. Le fonds provient, entre autres, d’Internet Archive, de Gallica et de Wikisource. La recherche s’effectue par titre d’ouvrage, auteur, mot-clé ou série.  http://litterature-jeunesse-libre.fr/bbs/

Gleeph

Application mobile qui offre la possibilité de gérer sa bibliothèque virtuelle tout en étant sur un réseau social. Cette double fonction permet d’échanger plus facilement sur les ouvrages avec les utilisateurs de l’application. De plus, Gleeph est reliée à différentes structures (bibliothèques, librairies, grandes surfaces, plateformes en ligne) qui renseignent sur la disponibilité des livres.

Crello

Éditeur de création graphique gratuit d’utilisation. Il permet d’illustrer de nombreux documents numériques dont les ebooks. Cependant, les modèles d’aide à la création ne sont pas tous gratuits et, comme beaucoup de logiciels en ligne de ce type, Crello deviendra à terme payant…

Livres de Proches

La plateforme de prêts d’ouvrages entre particuliers via une application mobile ou un site internet s’étend aux établissements scolaires, universités, bibliothèques et collectivités. Il faut, au préalable, constituer en ligne sa bibliothèque personnelle, afin de la dévoiler aux usagers. Dans le cadre du prêt à des organismes, les données sont protégées et privées.

Technologie

Libra, la cryptomonnaie de Facebook

Facebook a annoncé le lancement de sa cryptomonnaie en 2020. Les membres du réseau social pourront transférer de l’argent, acheter des biens sur les applications appartenant à Facebook et différentes plateformes participant au projet telles que Uber, Booking, eBay, entre autres. Les transactions seront immédiates et peu onéreuses. L’entreprise de Mark Zuckerberg vise principalement le public ne possédant pas de compte en banque, soit la moitié de la population mondiale…

Une IA crée un vaccin

Une équipe de chercheurs en Australie a créé l’Intelligence artificielle SAM (Search Algorithm for Ligands), un algorithme de recherche de médicaments qui a réalisé un vaccin contre la grippe. Après avoir été testé sur des animaux, le vaccin entame la phase d’essai clinique aux États-Unis pendant un an. Selon l’OMS, la grippe saisonnière cause jusqu’à 650 000 victimes par an dans le monde.

Cerveau augmenté par Elon Musk

Elon musk a dévoilé son dernier prototype d’ICN (interface cerveau-machine) développé par sa société Neuralink. L’appareil est connecté directement aux neurones, grâce à un implant dans le cerveau. Actuellement testé sur des animaux, il permet, selon l’entrepreneur, de contrôler un ordinateur ou un objet connecté. Il ne manque plus que l’autorisation de la Food and Drugs Administration (FDA) pour que les tests puissent commencer sur les êtres humains, afin de nous transformer en cyborg ! Future or no future.

Droit et données personnelles

Ville connectée piratée

Lors de la conférence du Hack 2019 à Paris, deux ingénieurs ont révélé d’importantes failles de sécurité dans les équipements urbains connectés à la suite de l’audit de plusieurs villes de taille moyenne. Dans le cadre d’une attaque dite du « stagiaire », il est très facile de prendre le contrôle des installations de la ville en raison d’un défaut de chiffrement, de cloisonnement, et de l’absence de protection des mots de passe. Le constat le plus effrayant est en relation avec une éventuelle attaque directe des équipements physiques de la voie publique (caméras de surveillance, feux de signalisation…) pour lesquels quasiment aucune protection n’est prévue. Les armoires qui contiennent les systèmes de gestion des équipements urbains interconnectés sont très faciles d’accès et d’utilisation (logiciels anciens, outils gratuits de prise de contrôle à distance installés, mots de passe et login souvent inexistants ou indiqués à l’intérieur…).

Taxe GAFAM

Le 11 juillet 2019, la France a adopté en même temps que le Royaume-Uni, la taxe sur les entreprises ayant un important volume d’activité numérique sur le web. Cette mesure concerne une trentaine de sociétés dont une Française, Criteo. Le président américain envisage des rétorsions contre la France, notamment en taxant le vin. Le gouvernement français souhaite aboutir à un consensus mondial
sur ce sujet.

No future…

Ring, le crime près de chez vous

La filiale d’Amazon spécialisée dans la sonnette et la caméra connectées envisage de développer un service de média local sur les faits divers. Grâce à ces équipements Ring, Amazon diffusera en direct des informations concernant la criminalité. Les clients de la filiale seront informés des cambriolages dans le voisinage… Uniquement aux USA dans un avenir proche.

Trackers publicitaires

Les publicités numériques du métro parisien sont munies de capteurs d’audience Retency. Ils fonctionnent en détectant les téléphones devant l’annonce publicitaire. L’adresse MAC du mobile est récoltée par le WI-FI ou le Bluetooth actif. Selon la société Retency et la CNIL, les données sont anonymisées. À quand le déploiement sur la voie publique dans toute la France ?

Le jeu de l’oie du CDI

RÈGLEMENT DU JEU DE L’OIE DU COLLÉGIEN AU CDI

Une fois que tu as lancé le dé, tu peux tomber sur :
Les cases où tu avances plus vite qui récompensent ton implication et ta bonne utilisation du CDI.
Les cases où tu restes sur place qui soit te conseillent sur la recherche documentaire soit t’amènent à réfléchir avant de poser une question.
Les cases où tu recules qui sanctionnent une faute par rapport au règlement du CDI.
Lorsque tu atteindras la sortie, tu connaîtras certainement mieux le fonctionnement du CDI.
Bonne chance !

La place du jeu dans les CDI des lycées agricoles une approche sensible

Ce questionnement est à l’origine d’une réflexion qui m’a amenée, dans le cadre d’un mémoire, à enquêter sur les apports potentiels du jeu dans les CDI des lycées agricoles1 dont cet article reprend les conclusions, avant de proposer un exemple concret de mise en application dans le CDI du lycée agricole de Contamine-sur-Arve (74). Il traite successivement du contexte institutionnel, des principes du jeu et de sa place au CDI, puis de la mise en œuvre de ce dispositif en trois phases (l’enquête auprès des usagers, le réaménagement des espaces et les activités développées autour du jeu). Un mode d’emploi est proposé en guise de synthèse.

Le professeur documentaliste et le jeu :
le contexte institutionnel

Le schéma ci-dessous, qui représente les missions des professeurs documentalistes en fonction des dispositifs (primaire, secondaire, sensible) du centre de documentation et d’information, met en évidence le fait que le jeu entre pleinement dans les fonctions attribuées au professeur documentaliste2.
Si le jeu peut être mis au service des apprentissages à travers la compétence D1 et faire l’objet d’une politique et d’un traitement documentaire basés sur la compétence D2, c’est à travers la compétence D3 « Contribuer à l’ouverture de l’établissement sur son environnement éducatif, culturel et professionnel » qu’il exprime tout son potentiel. En tant que professeur documentaliste, il est possible d’interroger le dispositif sensible, c’est-à-dire l’ensemble des moyens réunis dans un objectif donné, en faisant appel aux sens des usagers et en interrogeant leur expérience du lieu. Dans le cas de la mise en place d’activités ludiques, il s’agit d’organiser une nouvelle médiation entre le jeu et ses usagers : organiser les accès et les espaces, et mettre en œuvre des animations.

La place du jeu au CDI, les éléments à prendre en compte

Mener une réflexion sur la place du jeu au CDI suppose tout d’abord de définir ce qu’est le jeu et quelles en sont les intentions. Pour cela, Roger Caillois distingue six grands principes du jeu qui garantissent au joueur « la liberté », le « plaisir » et « l’imaginaire ». Selon lui, le jeu est une activité :

• séparée : avec des lieux et des temps qui lui sont propres ;
• réglée : avec des règles qui lui sont propres ;
• incertaine : dont on ne connaît pas l’issue (le gagnant) ;
• fictive : détachée de la vie réelle ;
• improductive : dont le seul but est de se divertir ;
• libre : sans contrainte.

Si les trois premiers principes ne semblent pas poser de problèmes dans la mise en application au CDI, le lieu étant déjà régi par ses propres règles et ses espaces, garantir une activité totalement « fictive », « libre » et « improductive » semble en revanche faire émerger un paradoxe entre le jeu et son utilisation dans le contexte scolaire. En effet, la mise en place d’une situation de jeu laisse supposer qu’aucune contrainte extérieure ne doit intervenir, comme la régulation du volume sonore par exemple, ou bien que les jeux dits « éducatifs » sont à éviter, puisque sur ce créneau l’élève n’a pas pour vocation d’être productif. Afin que les élèves joueurs puissent vraiment se divertir, il est important d’être attentif à ces trois derniers points et de voir comment l’enseignant, devenu maître du jeu, peut les prendre en considération tout en respectant le cadre imposé lors des activités scolaires et extrascolaires.

La mise en œuvre d’un dispositif sensible : vers un CDI Troisième Lieu

Consciente qu’il ne suffisait pas de proposer une offre de jeux pour que les élèves viennent au CDI, je me suis interrogée sur les transformations nécessaires à la mise en œuvre de cette nouvelle médiation par le jeu. Je me suis alors intéressée au modèle des bibliothèques « Troisième Lieu3 », dont bon nombre de médiathèques se sont inspirées depuis les années 2000 pour reconquérir un public adolescent. Après le travail et la maison, la bibliothèque devient le troisième lieu de socialisation. Envisagée comme un carrefour culturel, la bibliothèque s’ouvre davantage et propose des espaces dédiés aux loisirs.

* Phase 1 : l’enquête
« Un dispositif est dépendant du contexte dans lequel il se dispose et se rend disponible » (Berten, 1999), pour l’approche « il est nécessaire de décrire ses moyens techniques de fonctionnement et de questionner également les motivations et les comportements des acteurs qui le conçoivent (Meyriat, 1985) » (Fabre, 2017). Afin de recueillir l’avis des usagers sur le dispositif sensible, une approche qualitative peut être utilisée, afin d’interroger leurs représentations. La réalisation d’un entretien semi-directif avec un groupe d’élèves (méthode du focus group) permet ainsi de faire émerger des idées nouvelles, complémentaires ou antagonistes, de façon interactive et spontanée, et d’en discuter collectivement. Comme déclencheur de parole lors de ces entretiens, des plans du CDI, réalisés au préalable par ces élèves, peuvent être utilisés, afin de mettre en évidence des espaces et des fonctions qui leur sont associés. Cette technique permet ensuite de dresser un constat et de définir comment agencer le CDI dans le temps et dans l’espace, afin que les élèves se sentent bien dans un cadre propice au jeu.
La comparaison des dessins permet par exemple de voir que les élèves, en fonction de leur niveau, ne mettent pas en avant les mêmes espaces car ils n’utilisent pas les mêmes services du CDI. Un élève de Seconde s’attarde davantage sur le mobilier : escalier, fenêtre, table, tandis qu’une élève de Terminale décrit avec plus de précision un lieu qu’elle fréquente depuis trois ans. Ses besoins ont également évolué : elle indique la place des imprimantes, les détails des rayons « agronomie » par exemple… et souligne, par une légende « obscurité », un ressenti en révélant une salle qui ne semble pas agréable ; l’entretien collectif par la suite a en effet montré qu’elle n’y allait jamais. Nous pouvons ainsi déduire que la mise en place d’une salle de jeux à cet endroit ne serait pas opportune en l’état.

Réaménagement du CDI – Avant

* Phase 2 : le réaménagement du CDI
Revisitant ainsi un modèle traditionnel bousculé par les nouvelles pratiques informationnelles, le Troisième Lieu implique tout d’abord le réaménagement de l’espace pour qu’il devienne attractif et vivant. Par un agencement spatial nommé « zoning », il permet de développer différentes activités parallèles dans un même temps et dans un même lieu.
Le réaménagement du CDI a été réalisé en concertation avec et par les élèves, afin qu’ils s’approprient le lieu. Un espace central a été créé, plus grand et plus lumineux, dédié à la lecture plaisir et aux jeux de société ou escape game. Concernant le mobilier, différents types de fauteuils sont à disposition des usagers qui peuvent adopter une position plus ou moins inclinée pour lire. L’espace détente donne accès à une terrasse extérieure au CDI avec une vue sur la campagne environnante. Le silence n’est pas imposé dans cette partie du CDI, tant que les élèves maintiennent un volume sonore acceptable. Certains habitués avaient également demandé que des boissons chaudes puissent y être proposées, ce qui est désormais possible ponctuellement sur les créneaux de jeu. Les souhaits émis par les usagers lors des entretiens collectifs ont ainsi été pris en compte dans le réaménagement du CDI, afin qu’il devienne plus attractif et fréquenté.

Réaménagement du CDI – Après

* Phase 3 : mise en place des activités, la médiation par le jeu
« Escape game… murder party… cluedo géants… jeux de cartes… jeux de rôle… » (extraits de l’entretien semi-directif réalisé auprès d’un groupe de quatre élèves habitués du CDI). La typologie de jeux souhaitée par les élèves était vaste. Mais comment organiser ces jeux dans le temps et dans l’espace ? Fallait-il fermer le CDI sur certains créneaux ou délimiter des zones ? Que deviendrait alors le foyer ? Pour répondre à cette question, j’ai décidé cette année d’expérimenter le jeu sous toutes ses formes, tout en faisant participer les élèves.

*Les « Jeuxdi du CDI »
Chaque jeudi, les élèves volontaires découvrent un nouveau jeu de société.
« Madame, Molière, il a bien écrit des pièces de théâtre ? » Leur seul objectif du moment est de gagner. Encouragés par leurs camarades, les élèves font appel sans s’en rendre compte à leurs connaissances. Dixit, Code Names, Imagine, Concept, Esquissé… Les jeux proposés leur permettent de reconvoquer du vocabulaire et de faire travailler leur imaginaire. Pour autant, et afin de respecter le principe d’« improductivité » mis en évidence par Roger Caillois, il n’y a pas d’évaluation et les élèves s’inscrivent de façon volontaire chaque semaine. Trois créneaux sont proposés dans la journée, sur la pause méridienne et le soir pour les internes. Le CDI acquiert alors pleinement ce rôle social, puisque les élèves de différentes classes se retrouvent, discutent, mettent en place une stratégie commune dans le but de gagner la partie. Dans ce climat de confiance, les élèves en difficulté scolaire viennent se joindre aux groupes déjà formés. Les seules contraintes sont le respect des autres pendant le jeu et la sonnerie qui marque la fin du créneau et le retour en classe.

*Un Escape Game reprenant l’univers du manga Gloutons & Dragons
Le CDI accueille tous les lundis soir un petit groupe adepte des mangas. Chaque année ils participent au Prix Mangawa, afin d’élire leur manga préféré parmi une sélection. Mais le club manga a connu un effet de lassitude et le partage de lectures ne suffisait plus à fédérer ses participants. Le jeu a alors permis de redynamiser leur passion. Ils ont effet décidé de créer un Escape Game reprenant l’univers de leur manga préféré Gloutons & Dragons. Langages codés, portes cadenassées… ils ont fait preuve d’imagination afin de réaliser un véritable casse-tête pour leurs camarades de l’établissement, mais aussi des lycées alentour qui ont pu venir tenter leur chance de s’échapper du CDI en moins d’une heure, dès le mois de mai, lors du Festival Mangas organisé au lycée. La réalisation de ce jeu grandeur nature en autonomie a permis aux élèves d’acquérir une meilleure connaissance du lieu et de faire émerger leurs attentes en termes de type de jeu, d’univers, d’activité. Par cette expérience, les lecteurs sont devenus à leur tour des médiateurs du CDI auprès des autres élèves de l’établissement qui ne fréquentent pas ce lieu.

Le CDI, dispositif sensible :
quel investissement pour quels bénéfices ?

Cette expérimentation a permis de créer un rituel pour les élèves, qui attendent ce rendez-vous au CDI avec impatience, car ils savent qu’ils vont se retrouver. Il n’y a pas de routine pour autant, puisque les groupes varient d’une semaine à l’autre et qu’un nouveau jeu leur est présenté à chaque fois. Et même si cette activité reste encadrée, la souplesse du règlement et la création d’une ambiance propice au divertissement, permises par le réaménagement temporel et spatial du CDI, permet aux élèves de s’épanouir dans cette bibliothèque devenue Troisième Lieu, où ils n’hésitent plus à venir spontanément pour jouer, lire ou travailler.
En tant que professeur documentaliste, ces moments de jeux sont des parenthèses dans le quotidien de la bibliothèque. Cela permet de sortir du rôle de « Dame/Monsieur du CDI qui fait chuuuut » et de découvrir les élèves d’une autre façon. Les six grands principes attribués au jeu par Roger Caillois permettent donc au professeur documentaliste d’acquérir un rôle de médiateur du jeu, non pas en tant que prescripteur de consignes scolaires à respecter, mais plutôt comme un conseiller qui va tout mettre en œuvre pour favoriser la situation de jeu, en proposant des jeux, sans objectif de productivité et dont la finalité est inconnue, dans un espace et un créneau donné et selon des règles plus souples que dans les autres espaces du CDI.
Par cette nouvelle forme de médiation, les élèves apprivoisent inconsciemment et progressivement ce lieu qui ne leur semblait pas attractif en début d’année. Le jeu permet donc des échanges plus horizontaux entre les professionnels qui travaillent au CDI et ses usagers qui deviennent des « utilisacteurs4 ».

 

 

 

 

 

 

Apprendre par le jeu

Musées

Le MUNAE, Musée national de l’Éducation, à Rouen, possède une collection de jeux éducatifs (3 500)  www.reseau-canope.fr/musee/fr/

Pixel Museum, Schiltigheim : musée du jeu vidéo, des loisirs connectés et de l’art vidéoludique  https://pixel-museum.fr/

Musée français de la carte à jouer, Issy Les Moulineaux. Escape game et visite virtuelle possible  www.museecarteajouer.com/

 

Expositions

Musée de Cluny, Paris. Art du jeu, jeu dans l’art De Babylone à l’Occident médiéval, 28 novembre 2012 – 4 mars 2013 : Dossier détaillé sur l’exposition  www.musee-moyenage.fr/media/documents-pdf/dossiers-de-presse/dp%20jeux.pdf

Tu joues ou tu joues pas ? à la Bibliothèque municipale de Lyon.
 www.bm-lyon.fr/expositions-en-ligne/tu-joues-ou-tu-joues-pas/

Bibliothèque Nationale de France. Jeux de princes, jeux de vilains  http://expositions.bnf.fr/jeux/index.htm

Le Comité international des Jeux mathématiques (CIJM). 2 000 ans d’énigmes mathématiques, exposition de 8 panneaux proposée à la location et accompagnée d’un dossier pédagogique  www.cijm.org/accueil/expos-cijm/150-2000-ans-d-enigmes-mathematiques

 

Salons, événements

Semaine des mathématiques (11-17 mars 2019) : jouons ensemble aux mathématiques. Le guide de la manifestation extrêmement complet comprend toutes les références pour jouer avec les maths en relation avec les partenaires officiels et les autres disciplines (arts notamment)  https://cache.media.eduscol.education.fr/file/CST/66/0/Semaine_maths_2019_1048660.pdf

Salon Culture & jeux mathématiques, Paris. Organisé chaque année au printemps par le Comité international des Jeux mathématiques (CIJM)  www.cijm.org/salon

 

Dans les programmes

Collège

Enseignements primaire et secondaire :
Bulletin officiel n° 3 du 19 janvier 2012
 www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=59015
Actions éducatives : Introduction du jeu d’échecs à l’École

Cycle 3 et 4 : Bulletin officiel spécial n° 11 du 26 novembre 2015  www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?pid_bo=33400

Cycle 3 : Histoire des arts
Se repérer dans un musée, un lieu d’art, un site patrimonial : visite de musées ou de lieux patrimoniaux sous forme de jeux de piste

Cycle 4 : Éducation physique et sportive
Sport et numérique : simulation sportive dans les jeux vidéo, les applications ; de la pratique à la simulation virtuelle. EPI en lien avec la technologie, les mathématiques, l’éducation aux médias et à l’information, l’enseignement moral et civique sur la thématique.

Cycle 4 : Mathématiques / Technologie
Réel et virtuel, de la science-fiction à la réalité : programmer un robot, concevoir un jeu.
EPI en lien avec le français, l’éducation aux médias et à l’information, les langues vivantes

Cycle 4 : Mathématiques
Algorithmique et programmation : Écrire, mettre au point et exécuter un programme simple : Jeux dans un labyrinthe, jeu de Pong, bataille navale, jeu de nim, tic tac toe.
Pour une analyse détaillée du jeu dans les programmes du collège, voir le dossier de 2017 sur le site SavoirsCDI  www.reseau-canope.fr/savoirscdi/cdi-outil-pedagogique/apprentissage-et-construction-des-savoirs/education-et-pedagogie-reflexion/organiser-et-animer-des-espaces-pedago-ludiques-du-cdi/la-place-du-jeu-dans-les-programmes.html

 

Lycée

Nouveaux programmes du lycée général et technologique :
Bulletin officiel spécial n° 1 du 22 janvier 2019
www.education.gouv.fr/pid285/le-bulletin-officiel.html?pid_bo=38502

Seconde générale et technologique, Première, Terminale : Langues vivantes
Formation culturelle et interculturelle : 8) Le passé dans le présent : simulations et jeux de rôles

Seconde générale et technologique : Mathématiques
Histoire des mathématiques : L’Histoire des probabilités fournit un cadre pour dégager les éléments de la mathématisation du hasard. […] les travaux de Leibniz sur le jeu de dés peuvent aussi être évoqués.

Seconde générale et technologique : enseignement optionnel d’Arts
Champ des questionnements plasticiens : la figuration et l’image : comparer les formes et procédés narratifs mobilisés, par exemple, par la bande dessinée, l’art vidéo, le cinéma, la communication visuelle, l’univers du jeu vidéo.

Seconde et Première générales : SES
Préambule : Les professeurs donnent du sens aux apprentissages en montrant comment les sciences sociales permettent d’éclairer des situations concrètes. […] utilisation de jeux.

Première et Terminale générales et technologiques : enseignement optionnel d’Arts
Champ des questionnements artistiques interdisciplinaires : travailler sur les Liens entre arts plastiques et cinéma, animation, image de synthèse, jeu vidéo.

Première et Terminale générales : enseignement de spécialité d’Arts
Champ des questionnements artistiques interdisciplinaires : travailler sur les Liens entre arts plastiques et cinéma, animation, image de synthèse, jeu vidéo.

Première générale et technologique : EMC
Axe 1 : Fondements et fragilités du lien social : Les mécanismes d’enfermement et de mise en danger : pratiques solitaires de consommation et isolement (jeux vidéo, etc.).

Première générale : Mathématiques
Histoire des mathématiques : L’histoire des probabilités contribue à la réflexion sur la codification d’une théorie scientifique. […] des problèmes issus de questions liées aux jeux, aux assurances et à l’astronomie.

Première technologique : Mathématiques
Statistiques : La simulation est une composante importante de l’apprentissage des probabilités au cycle terminal. […] jeux de hasard

Première générale : Sciences numériques et technologies
Démarche de projet : Les projets réalisés par les élèves […] programme de jeu de stratégie

Première STD2A : Outils et langages numériques
Connaissances et notions : Interactivité : conception d’un jeu vidéo élémentaire

Première STMG : Management
Repères pour l’enseignement : Les méthodes de travail préconisées sont : […] jeux sérieux

Première STMG : Sciences de gestion et numérique
Repères pour l’enseignement : Thème 1 : De l’individu à l’acteur : […] à partir de scénarios, de vidéos, de jeux de rôles

Terminale STMG : Sciences de gestion et numérique
Les transformations numériques, au cœur de l’enseignement des sciences de gestion : […] les jeux sérieux de gestion

 

Lycée professionnel

Nouveaux programmes du lycée professionnel :
Bulletin officiel spécial n° 5 du 11 avril 2019
 www.education.gouv.fr/pid285/le-bulletin-officiel.html?pid_bo=38502

Seconde professionnelle et CAP : Prévention, santé, environnement
Repères pour l’enseignement : […] jeux sérieux
Thématique A : L’individu responsable de son capital santé : Module A4 : Les addictions :
[…] jeux en ligne
Module B2 : Les risques majeurs : Utilisation de jeux de cartes  www.risques-majeurs.info : les aventuriers du risque

CAP : Prévention, santé, environnement
Module A6 : Prévenir les infections sexuellement transmissibles : Utilisation de mallettes
pédagogiques, de jeux de l’IREPS
Module A7 : L’alimentation adaptée à son activité : Jeux sérieux sur l’équilibre alimentaire
Module B3 : Les ressources en énergie : Jeux sérieux sur la qualité de l’air www.airducation.eu

 

Pistes pédagogiques

• Créer un espace ludothèque dédié et adapté au CDI avec livres jeux, jeux de société (ex. : Médiasphère, un jeu de plateau autour de l’éducation aux médias), jeux sérieux en ligne (ex. : 2025exmachina, jeu d’éducation critique à l’usage d’Internet), jeux de rôle, jeux vidéos éducatifs.

• Participer à la Semaine des mathématiques : emprunter une exposition du CIJM (Comité International des Jeux Mathématiques) sur les jeux mathématiques

Jeux numériques : mettre en place sur le portail du CDI (E-sidoc ou autre) une page jeux pédagogiques à destination des élèves, création de jeux simples dans le cadre de l’atelier Maths en jeans

• Réaliser un escape game avec Genial-ly et learning APPS en collaboration avec un professeur (lettres, langues, histoire géographie ou sciences) pour les séances de présentation du CDI en sixième et en seconde.

• Organiser une murder party au CDI en s’inspirant du billet de Clotilde Boré « Je mène l’enquête au CDI » sur le site Docs pour docs  http://docpourdocs.fr/spip.php?article621
et de l’article d’Olivier Le Deuff dans Intercdi n° 266 (mars-avril 2017).

Murder party au CDI ©D.R.

Atelier jeux littéraires au CDI : poésie (durant le Printemps des Poètes, par exemple), calligramme, Oulipo avec un professeur de lettres.

Club multi-jeux au CDI : pour jouer et/ou créer un/des jeu(x) de société plateau ou numérique(s) avec un groupe d’élèves sur la pause méridienne avec les AED.

• Rédaction d’articles sur l’E-sport pour le journal scolaire

• Participer à des concours : Concours Gallimard « Un livre dont vous êtes le héros », Concours Kangourou.

Jeux de rôle avec les STMG et les élèves de Terminale dans le cadre de la préparation du grand oral : simulation d’entretien d’embauche, de négociation etc. simulation de débats, jeu théâtral.

• Recherches documentaires sur le jeu et l’art dans le cadre de l’Histoire de l’art.

• Visite ludique d’un musée du jeu avec une classe.

 

Dossiers

Legendre, Françoise. – Jeu et bibliothèque : pour une conjugaison fertile : Rapport.
Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Ministère de la Culture et de la Communication, 2015. – 122 p.  http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2015/89/0/Le_jeu_dans_les_bibliotheques-igb_446890.pdf

Dubois, Natacha ; De Capella, Marie-Laure. – « Organiser et animer des espaces pédago-ludiques au CDI. » – in Savoirs CDI, Réseau Canopé 2017  www.reseau-canope.fr/savoirscdi/cdi-outil-pedagogique/apprentissage-et-construction-des-savoirs/education-et-pedagogie-reflexion/organiser-et-animer-des-espaces-pedago-ludiques-au-cdi.html

Apprendre avec le jeu numérique. – Eduscol.
 https://eduscol.education.fr/jeu-numerique/

Le Pape, Isabelle. – L’Oulipo : mode d’emploi. – BNF, 2014. – 6 p.  http://classes.bnf.fr/rendezvous/pdf/fiche_Oulipo.pdf

« Cinéma et jeux vidéos. » – MJC Jean-Roger Caussimon, 2012.  www.mjccaussimon.fr/IMG/pdf/filmetjeux.pdf

« Cycle 3 et 4 Les mathématiques par les jeux. » – Eduscol, mars 2016  https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Maths_par_le_jeu/92/4/01-RA16_C3_C4_MATH_math_jeu_641924.pdf

« Cycle 4 Français : Écrire une nouvelle sur le modèle du “livre dont on est le héros“» – Eduscol, mars 2016  https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Agir_sur_le_monde/06/5/20_RA_C4_Francais_Agir_sur_le_monde_3e_Sequence_Le_jeu_des_possibles_583065.pdf :

 

Plateformes de ressources

La page « Les jeux sérieux » du SCEREN-CRDP de l’académie de Reims présente des documents, des études, des rapports, des ressources pour trouver des jeux sérieux et les évaluer, des guides pour introduire ou concevoir des jeux sérieux en classe  www.cndp.fr/crdp-reims/index.php?id=2237

Game creation Tools Classification est un site proposant une classification collaborative des outils logiciels de création de jeu vidéo. Il propose une recherche simple ou avancée par genre, état initial, interface entrante, règles du jeu ou interface sortante  http://creatools.gameclassification.com/FR/

« Jouer et jeux au CDI » est un billet du blog Ludodoc. Il comprend différentes parties : Références pro et institutionnelles, Un regard disciplinaire, Initiatives académiques, Escape games,…
Filiol, Juliette ; Geoffroy, Sandrine ; Gronfier, Sophie ; Langlois, Bénédicte. – « Thème ad hoc… Jouer et jeux au CDI. » -sLudodoc, 2018  https://ludodoc.wordpress.com/2018/10/30/themadoc-theme-ad-hoc-jouer-et-jeux-au-cdi/

« Jeux sérieux » est une liste de ressources du site Doc pour docs dans l’onglet portillon (Jeux de culture scientifique, S’CAPE, Apprendre avec le jeu numérique, Jeux sérieux, La création de jeux en bibliothèque, Serious games. Advergaming, edugaming, training…)
Collectif. – « Jeux sérieux ». Doc pour docs, 2018  www.docpourdocs.fr/spip.php?rubrique326

 

Le professeur documentaliste, initiateur d’une « politique ludique » ? (annexes)

ANNEXE 1

Principes de classification et signalétique utilisés

Démarche générale

Les jeux du 5C sont classés en quatre espaces, correspondant à quatre niveaux de difficulté assorti d’un code couleur. Ce niveau de difficulté est défini en fonction de plusieurs critères : complexité des règles et durée d’explication, temps d’installation, quantité d’information sur le matériel, richesse stratégique et durée moyenne des parties. Ainsi, par exemple, la durée peut varier de 15 min à 60 min (durée maximale retenue pour des raisons pratiques en établissement scolaire), et la durée d’explication varie de quelques minutes à une quinzaine minutes pour un jeu expert. Cette appréciation de la difficulté se base sur les connaissances ludiques moyennes d’un élève de Collège, et non sur celles d’un adulte (ainsi le jeu considéré comme « expert » pour un adulte est beaucoup plus complexe que les jeux catégorisés comme tels au 5C).
Ce choix de rangement s’explique par la volonté de permettre à l’élève d’analyser sa demande ludique (temps, investissement), et repérer ses progrès dans la maîtrise des jeux.

Les jeux sont ensuite classés en 5 grands types, qui correspondent à des situations de jeu bien précises. Expérience d’échanges et d’expression, expérience de concentration et de calme, à deux ou à plusieurs, temps court ou long, correspondent à des situations, des niveaux sonores et des demandes distinctes. Évidemment, certains titres sont à la croisée des chemins.
Enfin, une liste de mots clefs sert à décrire sommairement le matériel et les mécanismes du jeu. Le thème du jeu ou son univers (pirate, fantastique…) n’est pas mis en avant sur l’étiquette mais précisé dans la fiche BCDI.

L’étiquette reprend également le titre du jeu et le numéro d’inventaire.

Cette signalétique est amenée à évoluer. Si la mention de la difficulté reste importante, la classification par type de jeu n’est pas complètement satisfaisante. Il faudrait peut-être la remplacer par la mention d’un mécanisme principal (exemple : bluff), suivi de quelques mécanismes secondaires. Le thème et le type de matériel devraient également être mentionnés de façon distincte. Le numéro d’inventaire et le titre ne sont en revanche pas nécessaires.

Classification par niveaux de difficulté, associée à un code couleur

– joueur débutant : matériel et règles simples, pour initier au jeu (étiquettes jaunes) ;
– joueur amateur : règles simples mais avec une certaine profondeur stratégique, matériel plus (étiquettes roses) ;
– joueur connaisseur : règles de complexité moyenne, temps d’installation et de jeu plus élevé, profondeur stratégique (étiquettes orange) ;
– joueur expert : règles de complexité élevée, temps d’installation et de jeu plus élevé (environ une heure), grande profondeur stratégique (étiquettes violettes).

Classification par type de jeux

– jeux de réflexion : jeux favorisant la prise en compte d’information le calcul, l’anticipation et la planification. Les joueurs y construisent une stratégie (long terme) et/ou des actions tactiques (adaptations au jeu de l’adversaire) ;
– jeux d’ambiance : jeux favorisant les échanges verbaux, souvent jouables en grand groupes (jeu d’enquête, de devinette par exemple) ;
– jeux « duo » : jeux de réflexion pour deux joueurs ;
– jeux de comptoir : jeux rapides à installer et à jouer, riches en rebondissements, basés souvent sur des mécanismes psychologiques (bluff, enchères, paris) et sur une dose de hasard ;
– jeux d’adresse : jeu sollicitant des capacités motrices.

Quelques exemples de mots clefs (Mécanismes/ Matériel)

Mécanismes : bluff, identité cachée, stop ou encore, pari, prise de risque, draft, déduction, gestion de ressources, placement, déplacement, combinaisons de cartes, course, enquête, langage, humour.

Matériel : jeu de dés, jeu de cartes, jeu de plateau, jeu de construction.

 

ANNEXE 2

Texte de présentation de la démarche ludique aux élèves (portail esidoc)

Se plier aux métarègles avant de se plier aux règles du jeu :

Jouer au 5C ?
C’est possible, au même titre que lire, faire une recherche ou faire un travail personnel. Environ 150 jeux sont disponibles, du plus facile au plus complexe, du plus fun au plus stratégique…

Pourquoi jouer ?
Pour s’amuser tout en réfléchissant, échanger avec ses amis, découvrir des nouveaux univers, s’évader…

Jouer au 5 ?
C’est possible, mais par n’importe quand et pas n’importe comment !

Être « joueur » au 5C, c’est :
– demander l’autorisation avant de sortir un jeu ;
– prendre soin du jeu, être capable de le ranger correctement et au bon endroit ;
– choisir un jeu à son niveau ou demander un conseil ou une explication ;
– respecter le calme du 5C et les autres activités ;
– s’amuser dans le respect de l’autre : accepter de perdre, dialoguer, inviter…

Au bout de nombreuses parties, tu seras peux être « joueur expert » :

Être joueur expert, c’est :
– être capable d’expliquer un jeu à des camarade ;
– conseiller un jeu adapté à un camarade ;
– lire et comprendre une règle seul ;
– utiliser les ressources du portail ludo’brac : tutos, vidéorègles, sites spécialisés ;
– connaître le vocabulaire du jeu et les différentes mécaniques.

 

ANNEXE 3

Lexique des mécaniques

On ne peut pas parler des jeux de société sans évoquer la grande diversité de mécaniques qui font que l’offre est très variée. Voici la définition de quelques-unes d’entre elles, parmi les plus courantes, empruntées au très bon site « Le Bar à Jeux ».
– Enchères : si je mets plus de jetons/argent que toi, et si tu n’en rajoutes pas, je gagne (Las Vegas, Skull and Roses, Boomerang).
– Objectif secret : je suis le seul à savoir comment gagner plus de points (Mysterium, Code Name, Profiler, Souk, Les Loups-Garous, Takenoko, Water Lily, Jumpy Jack, Identik, Petits Meurtres et faits divers, Wanted, Saboteurs, Rumble in the House, Aventuriers du Rail).
– Majorité: je gagnerai plus de points si j’ai posé plus d’éléments/cartes/points que toi (Fuji Flush, Le Petit Prince, Las Vegas, Catane Junior, Boomerang, Dice Town, Sea of Clouds).
– Area control / contrôle de territoires : je recevrai plus de points en contrôlant des parties du plateau (SmallWorld).
– Bluff : je te fais croire quelque chose (Perudo, Skull and Roses, Poker des Cafards, Complots).
– Stop ou encore : je peux m’arrêter de jouer, ou continuer pour gagner plus de points mais prendre plus de risques (Spookies).
– Course : je gagne si j’arrive avant toi (Jamaica, Formula D).
– Connection : en plaçant certains éléments les uns à côtés des autres, je gagne plus de points (Les Bâtisseurs).
– Placement d’ouvriers : en plaçant mes pions sur le plateau, j’active des actions (Hit’z Road).
– Guess : si je devine ce que tu vas jouer, je pourrai gagner plus de points.
– Construction : j’ai besoin de ressources pour développer mon jeu (Kingdomino, Medina, MiniVilles, Le Petit Prince, Takenoko, Taluva, 7 Wonders).
– Combinaison : en associant des éléments/cartes, je gagnerai plus de points (Kanagawa, Taluva).
– Placement de tuiles : en posant des tuiles, je gagne des points (Kingdomino, Carcassonne Star Wars, Patchwork).
– Coopération : nous jouons ensemble contre le jeu ou contre un seul joueur (l’Ile Interdite, Bandido, Hanabi).
– Dés : lancer les dés confère mouvements ou actions (King of Tokyo).
– Gestion du temps : chaque fois que je joue, je fais avancer le temps, limité.
– Négociation : en échangeant des ressources, je développe mon jeu (Bohnanza, Catane Junior).
– Programmation : avant de jouer, je choisis parmi les différentes actions possibles (Colt Express).
– Mémoire : si je me souviens des éléments/cartes précédemment jouées, je marque plus de points.
– Deck Building / construction de deck : j’achète des cartes/dés/éléments maintenant, que je pourrai utiliser plus tard (Star Realms, Les Bâtisseurs).
– Affrontement : je gagne si je suis plus fort que toi.

 

ANNEXE 4

ANNEXE 5

Le professeur documentaliste, initiateur d’une « politique ludique » ?

Pourtant, cet intérêt, bien réel chez nombre de collègues3, se traduit encore par une mise en œuvre timide. En effet, bien souvent, le jeu de société reste en périphérie du projet pédagogique, du CDI comme de l’établissement : usage informel en clubs du midi ou en foyer, usage restrictif de jeux « sérieux » à des fins disciplinaires… tout se passe comme si la pratique du jeu libre menaçait de fragiliser la légitimité de notre fonction et de nos espaces.
Cette difficulté d’assumer la pratique du jeu s’explique en partie par le fait que ses possibilités pédagogiques sont extrêmement transversales, à la lisière du scolaire et du périscolaire, et surtout… absentes du prescrit institutionnel explicite4. Or, c’est précisément cette transversalité et son caractère « émergent » qui font selon nous l’intérêt et la richesse pédagogique du jeu de société. Mieux encore : nous pensons que sa pratique s’inscrit parfaitement dans la construction du Socle Commun et dans sa « philosophie profonde » : construire l’autonomie intellectuelle de l’élève et sa capacité à penser et à agir en situation complexe. Le professeur documentaliste, au travers des compétences info-documentaires, est un acteur privilégié pour travailler cette autonomie. S’il souhaite faire une place au jeu de société, il lui incombe donc de progressivement dépasser l’expérimentation pratique et de formaliser la pratique ludique en un projet construit, intégré aux projets éducatifs et à la politique documentaire de l’établissement. Faire de la pratique du jeu un objet de réflexion en soi, devant faire l’objet d’un projet pédagogique spécifique et cohérent : tel est le point de départ de ce projet que nous avons donc appelé : « politique ludique ».

 

Un projet ludique inscrit dans une démarche d’établissement

Clin d’œil à la politique documentaire, ce projet partage avec son aînée sa dimension nécessairement collective, son lien organique avec le projet d’établissement. Il a ainsi été travaillé avec les CPE, et plus largement l’équipe Vie scolaire.
Cela peut en étonner certains mais, au collège Lucie Aubrac de Tourcoing, classé en éducation prioritaire (REP+), quand on arrive devant les baies vitrées du Centre Connecté de Culture, de Connaissance et de Curiosité, ou 5C5, la première chose que l’on voit ce ne sont pas des livres, mais des étagères qui débordent de jeux. Et le groupe d’élèves qui entre se répartit de façon très naturelle entre ceux qui ont un travail à faire, ceux qui veulent lire et ceux qui veulent jouer.
Le jeu de société occupe en effet une place essentielle dans la vie du 5C. Que ce soit dans les temps d’accueil, le temps périscolaire ou les différents projets, la pratique du jeu incarne en effet nombre des « principes partagés » des learning labs6 auxquels cet espace se réfère : convivialité, créativité, collaboration, mixité des publics et des pratiques, échange et partage… mais cela ne s’est pas fait en un jour.
Le développement de la ludothèque a été progressif. Il a d’abord fallu convaincre les collègues de l’intérêt des pratiques ludiques (rien de tel pour cela que des soirées jeux avec l’amicale des enseignants !). Il a fallu trouver des financements, car le « budget » du 5C ne suffisait pas. Nous avons donc fait appel à la générosité de l’association des parents d’élèves (APE) et du Foyer socio-éducatif. Nous avons également sollicité une part du budget du CESC, puisque notre projet s’inscrivait pleinement dans la dynamique d’amélioration du climat scolaire. Aujourd’hui, c’est le Département du Nord qui nous permet de poursuivre le développement à travers le Projet éducatif départemental du collégien.
Les partenariats se sont avérés importants : avec notre vendeur de jeux, par exemple, excellent prescripteur qui a permis des acquisitions ciblées et adaptées parmi toutes les nouveautés qui sortent chaque année ; avec le réseau de médiathèques voisines également, avec qui nous avons pu partager, sur le système de classement, la gestion du matériel et l’organisation du prêt.
Le jeu de société trouve sa place dans trois des quatre lieux de vie scolaire, mais ce ne sont pas les mêmes jeux. En Maison des collégiens nous trouvons des jeux plus bruyants, des jeux de parole notamment. Dans la salle d’activités sont proposés des jeux de stratégie auxquels les élèves peuvent jouer seul (Smart games) ou à deux et sans bruit. Au 5C se trouvent les jeux dits « à règles » qui nécessitent une médiation plus importante.
Au sein du 5C nous avons vite décidé de mettre le jeu en accès libre en limitant simplement le nombre de « tables de jeu ». Les élèves peuvent donc jouer à n’importe quelle heure d’accès au 5C. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette activité ne brouille pas les fonctions du lieu, où d’autres élèves continuent de préférer venir lire, travailler ou faire des recherches documentaires. Les élèves « captés » par les jeux de société sont essentiellement les élèves qu’on retrouvait généralement en train de « consommer de l’ordinateur ». Tout n’est pas parfait et nous ajustons continuellement cette offre, mais avec cette organisation, en tout cas, nous limitons grandement l’oisiveté et les dérives qu’elle engendre.

Cependant, la réflexion collective instaurée au Collège Lucie Aubrac ne doit pas occulter les incertitudes qui semblent souvent freiner la mise en place d’un projet ludique. Bonne volonté des collègues et de l’équipe de direction, temps, financements sont des limites souvent évoquées… il semble pourtant que ces paramètres ne doivent pas être pensés comme des obstacles préalables à toute prise d’initiative du professeur documentaliste, mais comme les éléments d’un diagnostic sur lequel le projet ludique s’appuiera pour déterminer ses ambitions. En revanche, il est capital de souligner que ces paramètres ne peuvent être intégrés dans un projet partagé que si nous sommes capables d’avoir un discours clair et cohérent sur l’activité ludique et son lien avec le fait d’apprendre.

Quels objectifs pédagogiques ?

Qu’est-ce que jouer ? En quoi cette expérience singulière est-elle une forme d’apprentissage ? À cette problématique, ancienne et toujours vivace dans les débats pédagogiques7, le jeu de société apporte un éclairage nouveau et constitue une activité véritablement pertinente pour les élèves du CDI.

Et si on jouait vraiment ?

La notion même de jeu, et tout particulièrement en français, est extrêmement polysémique8. L’anglais, à la différence du français, distingue le jeu comme dispositif matériel et symbolique (game) et le jeu comme expérience immersive de plaisir (play). On parlera donc de jeu à la fois pour des enfants mettant en scène des actions et des personnages (exemple : les cow-boys et les Indiens), un système codifié de règles (exemple : le football) et le matériel d’une boîte de jeu de société.
Le jeu fait partie du vécu de l’élève depuis la maternelle. Mais force est de constater que le milieu scolaire du second degré s’est approprié de façon très contrastée ces deux aspects du play et du game. Tandis que le matériel ludique du game s’est vu décliné en de multiples supports pédagogiques plus ou moins riches (les jeux « éducatifs »), l’expérience vivante et libre du play a été bien souvent reléguée dans le domaine du non-scolaire, associée à des espaces peu adaptés (cours de récréation, couloirs, parvis…) et souvent pauvres en dispositifs de jeu. Le jeu n’aurait-il de légitimité au collège ou au lycée que comme matériel éducatif ? Nous pensons au contraire que le fil rouge de la démarche du professeur documentaliste, dans son rôle de « maître d’œuvre de la politique ludique », est d’envisager le jeu avant tout comme une expérience de plaisir, expérience spécifique qui requiert des matériels, des temps et des espaces identifiés.

Le plaisir du jeu : une alchimie complexe

D’où vient le plaisir de jouer ? L’expérience singulière du jeu a fait l’objet de nombreux écrits et de différentes tentatives de caractérisation9. Toutes soulignent sa complexité et le fait qu’elle combine intimement des aspects a priori contradictoires : plaisir de l’exploration et contrainte de la règle, immersion symbolique et frivolité (absence de conséquences), temps d’incertitude et temps de réconfort, liberté de décision individuelle et partage d’un cadre commun… Défini par un système de règles, le jeu ouvre un espace de liberté, un temps où le sujet se construit activement sur le plan social et symbolique10.
Ces réflexions sont essentielles, car elles pointent ce qui fait l’authenticité d’une expérience de jeu et garantit son appropriation par l’élève. Réduire un de ces aspects (frivolité, incertitude, second degré, identification d’une règle, processus de décision11), c’est déséquilibrer cette alchimie, amoindrir le plaisir ressenti du joueur et le faire « sortir du jeu ». Elles tracent de ce fait une ligne claire entre la pratique libre du jeu et son utilisation pédagogique traditionnelle à des fins sérieuses et extrinsèques au plaisir du play : jeux mathématiques, quizz, jeux destinés à acquérir des notions disciplinaires, serious games, escape game… pour l’enseignant en général et le professeur documentaliste en particulier, elles constituent une boussole assez sûre pour identifier ce qui relève du jeu, vécu comme tel par les élèves, du stratagème pédagogique12.

Le CDI, un lieu propice au jeu ?

Mais proposer des espaces et des temps de jeu libre, n’est-ce pas prêter le flanc, pour le professeur documentaliste, à une vision « récréative » et « occupationnelle » du CDI ? N’est-ce pas contredire sa légitimité d’espace d’apprentissage ? L’enjeu est double : il faut à la fois valoriser, protéger l’expérience du jeu du détournement pédagogique et, dans le même temps, déconstruire la partition entre temps récréatif et temps d’apprentissage. Il est intéressant de remarquer que cette question n’est pas en soi nouvelle pour le professeur documentaliste : la légitimation de la lecture libre, l’intégration de formes documentaires nouvelles et considérées auparavant comme non-scolaires (bandes dessinées, mangas, capsules vidéos et sonores, jeux numériques…) font partie de sa démarche depuis longtemps déjà et sont associées à une forme d’ouverture culturelle et de construction de l’esprit critique. Les jeux de société modernes multiplient les références à des univers et à des imaginaires très variés qui croisent littérature, sciences, histoire, mythologies, etc.et constituent donc des objets culturels à part entière.
De plus, l’espace documentaire « multipolaire » du CDI décline depuis longtemps les différents degrés de formalisation de l’apprentissage : apprentissage informel de la lecture ou de la recherche libre, apprentissage non-formel de l’aide entre pairs, des clubs du midi, apprentissage formalisé des séances info-documentaires13 se combinent dans un même lieu. L’élève, par cette diversité d’approches, y construit un rapport au savoir plus global et empreint de curiosité. La question est donc bien plutôt d’identifier le régime bien particulier d’apprentissage que propose le jeu de société et d’en respecter les spécificités.

Peut-on apprendre en jouant14 ?

Encore faut-il considérer que le jeu, et le jeu de société en particulier, est une forme d’apprentissage, fut-elle informelle. La primauté du plaisir et de la frivolité, constitutifs du jeu, pourrait nous laisser penser qu’il s’agit d’une activité par essence improductive15. Or, de nombreuses études menées ces dernières années montrent que la notion de compétence est au cœur de l’expérience ludique et de son plaisir. La méthode E.S.A.R, à la fois outil de classification en ludothèque et grille d’analyse des situations de jeu en psychosociologie16 fait figure à ce titre de référence incontournable. Sorte de thésaurus de compétences, organisé en facettes et en échelles de progression, elle permet en effet de décrire chaque objet ludique, jeu ou jouet (game) en fonction des habiletés requises, qu’elles soient d’ordre motrices, logico-mathématiques, langagières, cognitives ou psychosociales. Plus encore que son utilisation documentaire, c’est sa finesse de description de l’activité du jeu (play), et l’éventail des domaines travaillés qui constituent sa richesse pédagogique. Jouer, c’est mettre en œuvre un faisceau de compétences d’ordre très diverses, les articuler dans une situation où c’est leur combinaison même qui sera la clef de la réussite et génératrice de plaisir17. Ainsi, lorsque des élèves jouent à un jeu de prise de risque comme Spookies, ils doivent à la fois effectuer des estimations en fonction de probabilités, maîtriser l’émotion générée par l’incertitude, relever des informations sur le plateau, observer et analyser les actions des autres joueurs.
Dans cette expérience singulière, les compétences psychosociales jouent un rôle essentiel, quels que soient les types d’interactions proposés par le jeu : coopératif ou compétitif, réflexif ou d’ambiance, le jeu de société requiert de se mettre à la place de l’autre. Comprendre sa stratégie, deviner des intentions, anticiper ses choix et s’y adapter, sont des conditions indispensables pour gagner et prendre du plaisir au jeu. Ce n’est pourtant pas le seul champ de compétence travaillé, même si dans l’esprit de beaucoup de collègues, le jeu de société est considéré avant tout comme un outil de socialisation : compétences logico-mathématiques, cognitives, langagières, perceptives sont présentes à des degrés divers, dans la plupart des titres de jeux de société modernes.
Pourtant, le jeu n’est pas une situation d’apprentissage explicite : à aucun moment, il ne s’agit d’apprendre des compétences nouvelles… la finalité est bien plutôt d’atteindre un sentiment subjectif d’accomplissement, de réussite, en poussant au maximum et en interconnectant des compétences déjà acquises. Ainsi, un élève ne choisira pas un jeu dans lequel il ne se sentira pas capable d’un minimum de réussite, de même qu’il le ferait pour un jeu qu’il jugerait trop facile ou sans intérêt. C’est donc un apprentissage « en filigrane », implicite, mais qui répond aux mêmes ressorts motivationnels que l’apprentissage scolaire : suis-je capable de faire cette activité ? Quelle marge de manœuvre ai-je pour produire une solution originale au défi demandé ? Quel bénéfice personnel, en matière de confiance notamment, puis-je en retirer18 ?

Proposer aux élèves des temps de plaisir de jeu, ce n’est donc pas les « occuper » ou les inviter à lâcher prise dans un temps improductif : bien au contraire, c’est les placer en situation d’exploration maîtrisée, de pouvoir agir en exerçant un contrôle. Le jeu représente donc bien pour le joueur un gain d’expérience, une valeur et une utilité profonde en matière de confiance en soi19. Il est d’ailleurs intéressant de relever que la notion de flow, qui désigne cet état d’accomplissement, ce sentiment « d’équilibre entre compétences personnelles et demande de la tâche20 », est un terme appartenant à la fois au vocabulaire des gamers, de la pédagogie et de la psychologie du travail.

Qu’est-ce qu’un bon jeu ?

Apprendre à combiner des compétences et ressentir du plaisir de cette combinaison, tel serait donc l’objectif pédagogique de notre politique ludique. Cet objectif ne peut se réaliser qu’à travers la pratique du jeu libre… à condition que les jeux et dispositifs proposés (game) soient adaptés. Autrement dit, il faut proposer des jeux où les compétences des élèves tourneront à plein régime et de la façon la plus croisée possible… tout en respectant la diversité de leurs demandes.
À ce titre, les jeux de société actuels, avec leur diversité de mécanismes, d’interactions, leurs différents niveaux de complexité, sont une terre promise21. En effet, à la différence des jeux traditionnels (Monopoly, petits chevaux, jeu de l’oie…) souvent longs et soumis à l’aléatoire, de nombreux titres aujourd’hui font du joueur un acteur à part entière, confronté à des interactions et à des choix stratégiques multiples22. À l’instar des autres jeux à règles23, le jeu de société instaure un système de contraintes et de possibles, et place la prise de décision au cœur de l’expérience ludique. Ce faisant, il multiplie les possibilités de choix en incitant au raisonnement et à la prise d’information. Sid Meier, concepteur du jeu numérique culte Civilization, parle, à ce propos, de « choix intéressant » : « créer un bon jeu, c’est se poser toujours la question : le joueur est-il en prise avec des choix intéressants ? Est-ce qu’on lui demande de réfléchir à différentes possibilités où toutes sont valides ? Plus le joueur réfléchit, planifie ses actions, imagine ce qui va arriver, plus il est dans le jeu24 ». Faire jouer les élèves à des (bons) jeux de société, c’est donc offrir la possibilité d’un espace/temps d’apprentissage consacré aux compétences cognitives fondamentales plus encore qu’à telle ou telle compétence spécifique : « le jeu est la plus haute forme de recherche » disait Albert Einstein. Raisonnement abductif et par hypothèse, traitement et synthèse d’informations, gestion de l’incertitude, capacité d’empathie et de projection dans la pensée d’autrui… autant de compétences essentielles qui sous-tendent l’ensemble du Socle commun. Compétences que l’élève a parfois du mal à travailler dans le cadre scolaire, mais qui façonneront sa vie professionnelle et citoyenne future25.

Le jeu de société dans les espaces documentaires

 

Une fois cet objectif pédagogique posé, la pratique du jeu libre semble trouver toute sa légitimité dans les espaces documentaires. Mais comment accompagner cet apprentissage si particulier ? Deux dimensions, familières au professeur documentaliste, se dégagent : d’une part, la médiatisation dans l’organisation et la didactisation de l’espace du CDI, et, d’autre part, la médiatisation humaine que constituent la mise en œuvre d’activités et l’encadrement du professeur documentaliste.

Le jeu, un objet documentaire à part entière

La légitimité pédagogique du jeu libre suppose de donner aux jeux de société un véritable statut documentaire. Trop souvent, ceux-ci sont relégués dans des armoires fermées ou derrière le bureau du professeur documentaliste, voire « externalisés » dans des espaces comme le foyer où ils sont très vite détériorés. La conséquence est la même : les élèves ne sont pas en mesure de lire l’offre culturelle qui leur est proposée et de se positionner comme porteur d’une demande réfléchie.
Le classement, le référencement, la signalétique et la disposition dans un/des espace(s) dédié(s) sont, en ce sens, des éléments indispensables à toute politique ludique. Se pose tout d’abord la question de la continuité avec le reste du fonds : faut-il intégrer les jeux dans la classification Dewey et dans les rayonnages, par exemple, des ouvrages documentaires ? Faut-il les intégrer dans la base BCDI ? Ou au contraire leur attribuer un espace et une classification spécifique ? Ces questions ne sont pas innocentes et orientent l’approche que l’on souhaite avoir du jeu : il est possible de classer les jeux en Dewey, mais alors c’est leur thématique qui sera mise en avant, et non leurs qualités ludiques26. Au 5C du collège Lucie Aubrac, le choix a été au contraire de construire une classification spécifique centrée sur l’expérience de jeu proposée, et cela dans un espace distinct : type d’interactions (coopération, compétition, en équipe, jeux à deux, jeux solitaires), complexité et durée de jeu, type « d’atmosphère » (ambiance ou réflexion) ainsi que quelques mécanismes qui décrivent l’expérience de jeu (bluff, course, gestion de ressources, par exemple). De cette approche « par facettes », il nous a semblé pertinent de mettre en avant le niveau de complexité et « l’atmosphère », car ce sont des critères récurrents et prioritaires des demandes d’élèves : Les 4 étagères du coin ludothèque correspondent ainsi à 4 niveaux de difficulté (débutant, amateur, connaisseur, expert27) assortis d’un code couleur présent sur le jeu (gommette). À l’intérieur de chaque niveau, les jeux sont classés par type d’atmosphère (ambiance ou réflexion) et ont chacun une étiquette sur le côté de la boîte relevant le numéro d’inventaire et détaillant quelques mécanismes de jeu.
Loin d’être parfait, ce classement présente l’avantage d’inciter les élèves à déterminer et formuler explicitement leur demande ludique. Il permet également de rendre visible une progression, une évolution dans les choix effectués, lorsque ceux-ci « montent de niveau » ou changent de type de jeu. La description des mécanismes, quant à elle, vise un type d’élève plus investi, dans le club jeu de société par exemple. Il permet également au professeur documentaliste de moduler son offre de jeux en fonction du contexte : ainsi, il peut limiter l’accès aux jeux de réflexion, moins sonores, lorsque les élèves sont nombreux. C’est, de manière générale, un point de départ d’échanges souvent très intéressants entre le professeur documentaliste « médiateur des ressources » et des élèves en train de se construire une culture du jeu, souvent très différente de celle pratiquée à la maison. Ce processus d’appropriation et de sélection nous semble absolument capital pour que la pratique du jeu soit perçue par les élèves comme un temps « noble » s’intégrant harmonieusement dans les multiples activités du CDI. Il se complète aussi par des dispositifs comparables à ceux que nous proposons pour les livres : tables thématiques, recommandation et coups de cœur d’élèves, jeu du mois etc., fiches aides de jeu…
La médiation documentaire se prolonge également dans les espaces numériques. BCDI propose depuis peu le jeu de société comme un type de document à part entière, tandis qu’il fallait auparavant sélectionner le type « boîte »… Le portail e-sidoc également permet de fournir des ressources très utiles et un onglet spécifique peut être créé pour cela : aux fiches de jeu, charte d’utilisation et actualité du club s’ajoutent un lexique des mécanismes et des liens vers des vidéorègles, ces courtes capsules vidéos qui expliquent de façon très claire les règles d’un jeu28. Ces ressources vidéo, en plus d’aplanir d’éventuelles difficultés concernant l’explication et la compréhension des règles de jeu, constituent un outil très intéressant pour la pratique du club.
Une classification spécifique suppose-t-elle un espace dédié à la pratique du jeu ? Au 5C du collège Lucie Aubrac, le choix a été fait de limiter la pratique du jeu à certaines tables du coin travail. Sans être totalement distinct, l’espace consacré au jeu correspond à un lieu identifié… qui peut très bien être utilisé pour du travail personnel ou de groupe lorsqu’aucun élève ne veut jouer ! En revanche, il est associé à un « régime sonore », signalé par des affiches, qui indique le niveau d’échanges toléré (ainsi, dans le coin lecture, un silence complet sera exigé). Cette perméabilité permet au professeur documentaliste de s’adapter en fonction du contexte de l’heure d’accueil : les espaces et types de jeux proposés ne seront pas les mêmes lors d’un créneau « plein » avec une forte demande de travail et d’étayage des élèves ou lors d’un créneau de fin de semaine et d’après-midi avec peu d’élèves.

 

Quand et comment jouer ?

À cette médiation documentaire s’ajoute celle, humaine, du professeur documentaliste. Son rôle est tout d’abord de définir différents temps et contextes pour jouer. En raison d’objectifs pédagogiques distincts, il faut clairement distinguer les temps scolaires d’utilisation du jeu de société en séances, du jeu libre durant le temps périscolaire, lui-même multiple.
Dans l’articulation des différentes utilisations du jeu au Collège Lucie Aubrac, le CDI est mis en avant comme le lieu d’une « culture du jeu » : l’élève joueur y vient explicitement pour découvrir de nouveaux jeux et/ou les faire partager, se former aux règles et exprimer un avis. Le professeur documentaliste n’est cependant pas contraint d’expliquer de multiples nouvelles règles à chaque créneau d’accueil : cette activité peut être réservée à d’autres temps, en particulier au club, et il doit au contraire inciter les élèves connaissant déjà les jeux à les expliquer à leurs camarades. Lorsque cela n’est pas possible et qu’il n’est pas disponible, il doit rediriger les élèves vers des jeux déjà maîtrisés. Dans tous les cas, pendant ce temps d’accueil, il a tout intérêt à se positionner en retrait et à valoriser au maximum les comportements autonomes.
Il est bien sûr tout à fait possible de moduler cet accès aux jeux : en fonction de la disponibilité du professeur documentaliste, de l’affluence ou de la régularité de certains publics (élèves à besoins particuliers par exemple). Les règles d’accès à la ludothèque et la place du professeur documentaliste doivent bien entendu être explicitement indiquées. Visuels, signalétique, ressources numériques sur e-sidoc, prennent tout leur sens, comme pour les autres activités du CDI.
Le club du midi prolonge et renforce cette démarche de construction d’une « culture du jeu ». Au Collège Lucie Aubrac, deux créneaux de club ont été proposés, correspondant à deux niveaux « d’expertise du jeu » : un premier créneau donne priorité à la pratique, à la découverte de nouveaux titres, tandis qu’un deuxième créneau est davantage consacré à la préparation de projets ; le rôle du professeur documentaliste est plus explicitement de former les élèves à l’explication de règles, à l’animation de parties, au conseil, bref à la « médiation du jeu ». Plusieurs outils ont été conçus pour aider les élèves en ce sens : fiche « debrief » pour analyser un jeu et exprimer son ressenti, fiche outil d’explication de règle, fiche de présentation à réaliser sur e-sidoc ou réalisation de vidéorègles… on rejoint alors les objectifs de maîtrise des formes linguistiques orales et écrites de l’Éducation aux Médias et à l’Information.
Le club permet également d’utiliser le jeu comme un lien vers les partenaires hors établissement. Un projet de création et d’édition de jeu mené, il y a trois ans, en partenariat avec un commerce spécialisé de la région, a permis de découvrir un monde professionnel et un protocole de tests, d’équilibrage, qui se rapproche par bien des points d’une démarche d’investigation scientifique. Enfin, la capacité des élèves à organiser et à animer des temps de jeu prend tout son sens lorsque c’est un public hors scolaire qui est visé : animation jeux en médiathèque, en école primaire, ou sur des « temps exceptionnels ». Ainsi, pour financer un voyage de classe, le club jeu du Collège Lucie Aubrac avait co-organisé il y a 3 ans, avec l’APE et diverses associations d’élèves, les « 10 h du jeu », journée entière durant laquelle les élèves ont animé des ateliers jeux pour les parents, familles du quartier et partenaires de l’établissement, centres sociaux notamment.

Ainsi accompagné dans le temps d’accueil, le jeu libre constitue une véritable valeur ajoutée éducative. Certains temps se situent à la lisière du scolaire et du périscolaire. Le temps d’accompagnement personnalisé, par exemple, permet d’ancrer la pratique du jeu dans un projet pédagogique de classe, en ciblant certaines compétences en particulier, psycho-sociales notamment : découverte d’un type de jeux particulier (jeux mathématiques, jeux de langage et d’expression, jeux coopératifs), formation à l’explication de règles, invention ou customisation de jeux. On se rapproche alors davantage d’une forme d’apprentissage explicite. Ainsi, au Collège Lucie Aubrac, une classe de 6e est venue régulièrement au CDI sur son heure d’accompagnement personnalisé pour réfléchir à la notion de coopération à travers différentes activités : débats, découverte de jeux coopératifs, réalisation d’un livre-jeu coopératif et organisation d’une journée d’accueil pour les autres élèves de 6e autour de cette notion, avec présentation et animation d’ateliers jeux.

Enfin, la pratique du jeu de société dans le temps scolaire proprement dit, en classe et en lien avec les contenus disciplinaires, est une option à ne pas négliger pour le professeur documentaliste. Sa mise en œuvre dans des séquences pédagogiques constitue un exercice parfois délicat où il faut combiner apprentissage explicite et expérience de jeu la plus authentique possible29. L’utilisation de jeux de société du commerce, issus de la ludothèque du CDI, est particulièrement intéressante : à la différence de nombreux jeux éducatifs ou réalisés par l’enseignant, ils ont le mérite de garantir une certaine qualité ludique et constituent parfois des objets documentaires très intéressants pour aborder une notion lorsque leur thématique est suffisamment fouillée. C’est alors le matériel du jeu, ses informations (game), son utilisation et son analyse critique au sein d’une recherche documentaire qui seront privilégiés. Ainsi nous avons utilisé le jeu Évolution dans le cadre d’une séquence consacrée à cette partie du programme de SVT avec une classe de troisième : à partir d’une première découverte du jeu, les élèves devaient s’interroger sur la façon dont le phénomène d’évolution, tel qu’il avait été étudié en cours, était transcrit dans le jeu. Cette analyse critique a permis par exemple de pointer des éléments essentiels non présents dans le jeu : influence du climat, phénomène de dissociation génétique, par exemple. Le matériel du jeu Augustus constitue un excellent point de départ d’une recherche documentaire sur la pax Romana et le règne d’Auguste : en partant d’une description des différents éléments du jeu (icônes, cartes représentant les régions et les ressources commerciales de l’empire romain) des élèves de 3e latin ont pu émettre des hypothèses sur le fonctionnement du jeu et réaliser une carte augmentée de l’Empire romain.

  

L’expérience du Collège Lucie Aubrac montre que la réflexion pédagogique sur le jeu libre ne peut rester cantonnée aux problématiques d’accueil du professeur documentaliste. La notion de politique ludique traduit la volonté de l’inscrire dans une vision globale et dynamique de l’établissement. La pratique du jeu nous semble devoir être envisagée comme un outil de médiation entre le scolaire et le non scolaire, une pédagogie du détour qui s’inscrit dans une réflexion plus globale : comment optimiser l’utilisation des temps hors classe et l’amélioration du quotidien de l’élève au sein de l’établissement ? Comment lui donner des temps et des espaces où il « reprend la main » sur la construction de ses compétences ? Les notions de responsabilité et d’autonomie de décision sont au cœur du plaisir de jouer. Nous avons l’intuition que l’expérience du jeu, par-delà son apparente (mais nécessaire !) vacuité, constitue pour l’élève une sorte de « micro-engagement » : une activité dans laquelle il n’est plus seulement dans l’espace-temps de l’école, mais dans un environnement autre, qu’il construit activement sur le plan personnel et social. Cousin interactif du livre, dont il partage la force d’évasion, le jeu ouvre temporairement le temps scolaire sur un monde extérieur.
C’est pourquoi l’expérience du jeu s’inscrit parfaitement dans l’esprit du 5C, qui cherche à être un espace de jonction entre les différents temps, pratiques, cultures scolaires et non scolaires, éducation formelle et informelle. Dans cet espace « d’entre-deux », l’élève, qu’il soit joueur, lecteur, chercheur ou créateur, peut agir selon un temps qui lui est propre. Cela induit, pour l’enseignant et le spécialiste des ressources qu’est le professeur documentaliste, de « donner à jouer » en respectant cette temporalité tout en favorisant l’accès à la diversité documentaire et la verbalisation des expériences et des compétences. Ainsi, loin de concurrencer la lecture ou le travail personnel, le jeu renforce la vocation du 5C à être un lieu d’expérimentation, d’ouverture et de curiosité pour tous les élèves.

 

les réseaux sociaux sur un plateau !

À la suite d’une journée de formation sur l’esprit critique en novembre 2017, abondée par l’analyse continue de nos pratiques professionnelles, l’idée de concevoir un jeu pédagogique sur cette question a émergé. Nous avons choisi d’explorer l’influence des réseaux sociaux sur l’estime de soi et la façon dont le développement de l’esprit critique permet d’agir sur les pratiques des adolescents. C’est à ce moment-là que nous avons élaboré les objectifs, les principes et les grandes lignes du jeu S’prit critique et S’team de soi.

Toutes les trois professeures documentalistes de l’académie de Guyane, nous observons et accompagnons nos élèves tous les jours dans leurs usages des réseaux sociaux. Ces derniers sont utilisés massivement par nos élèves, et la plupart du temps de façon anodine ou positive, avec plus ou moins de recul. Nous faisons cependant aussi le constat d’une multiplication des signalements et des incidents à l’extérieur et à l’intérieur des établissements scolaires, liés à une utilisation inadaptée des réseaux sociaux et à une « viralisation » extrêmement rapide de l’information, susceptibles d’avoir des conséquences graves (harcèlement, conduite à risques, mise en danger de la vie d’autrui, perte de confiance et d’estime de soi pouvant entraîner le décrochage scolaire…). Certaines situations posent même la question du lien, poussé à l’extrême, entre les réseaux sociaux, la notion de popularité et les dérives engendrées. Nous sommes néanmoins convaincues que le discours anxiogène habituel sur les dangers d’Internet est contre-productif, et c’est de cette conviction qu’est née l’envie d’aborder ces questions autrement.

Pourquoi créer un jeu ?

Dans le cadre des travaux académiques mutualisés (TraAM) en Documentation1 qui portent en 2018-2019 sur la thématique suivante : « le professeur documentaliste créateur de ressources, de parcours et d’espaces d’apprentissage info-doc au sein du CDI virtuel », nous avons spécifiquement travaillé autour de la ludification des apprentissages. Au-delà d’un simple engouement2 et d’une pratique qui a pu sembler inappropriée à l’école, l’enjeu porte aujourd’hui sur apprendre autrement, favoriser la motivation et rendre l’élève acteur de ses apprentissages. Interroger ses pratiques, expérimenter de nouveaux supports, avoir une analyse réflexive constituent autant de compétences que les TraAM permettent dans un cadre contraint. Nous avons donc formalisé notre démarche3 et produit notre jeu, afin de mettre en lumière des compétences d’EMI sous un angle ludique. Nous avons aussi voulu démontrer que le professeur documentaliste peut être lui-même producteur de ressources adaptées.
La question des réseaux sociaux peut s’avérer complexe à aborder avec les élèves, entre tentation diabolisatrice, écarts générationnels, multiplicité des questions éthiques, sociologiques, législatives et commerciales. L’avantage que nous avons vu à la création d’un jeu type « jeu de rôles » est de pouvoir partir des pratiques des élèves en simulant des mises en situation et en ouvrant le débat à partir des exemples concrets qu’elles génèrent.
Ce jeu permet d’aborder deux grands axes avec les élèves :
• L’analyse critique d’exemples de publications sur les réseaux sociaux pose des questions de fiabilité de l’information, d’éthique, de légalité et de citoyenneté.
• La réflexion sur l’estime de soi et les aspects émotionnels des réseaux sociaux permet d’aborder les notions de popularité et de conformisme au groupe. Elle permet aussi de présenter de façon concrète l’aspect addictif des réseaux sociaux créé par les « sucres numériques » que sont les like et les commentaires, ou ce que Sean Parker, ancien président de Facebook, appelle la boucle de rétroaction de validation sociale4.

Si le jeu parle de numérique, il ne l’utilise pas afin de s’affranchir des contraintes (notamment techniques et matérielles) qu’il peut générer. Le débat se lance et s’anime mieux autour d’une table qu’autour d’un écran !
Il existe d’autres jeux autour de la question des réseaux sociaux, mais ils ne nous semblaient pas répondre aux mêmes objectifs que ceux que nous visons. Médiasphères5, édité par le réseau Canopé, aborde plus en profondeur les questions légales, mais permet plus difficilement de partir des pratiques des élèves. @h…Social !2.06, édité par le BIJ de l’Orne, que nous avons découvert en cours de processus, se rapproche plus de ce que nous avions en tête, mais n’est plus édité. E-xperTIC7 (BIJ de l’Orne) reprend quant à lui les codes de fonctionnement d’Internet sous la forme de questions-réponses.
Il était important pour nous dès le départ de créer un jeu qui corresponde à nos pratiques professionnelles, mais qui soit également disponible en licence libre et réutilisable par nos collègues.

Comment jouer ?

S’prit critique & S’team de soi est un jeu de rôles simulant un réseau social fictif sur lequel des adolescents publient et interagissent. C’est également un jeu tactique, puisque les joueurs doivent utiliser au mieux les cartes dont ils disposent aléatoirement pour obtenir le maximum de points comptabilisés sur deux baromètres. C’est ce qui constitue l’objectif final pour les joueurs8.
Le premier baromètre, le baromètre d’esprit critique, évolue selon l’analyse par chacun des cartes publiées : infox ou information fiable, contenu respectueux ou non de la vie privée, contenu violent, harcelant ou contenu anodin, intention politique, publicité cachée etc. Le second baromètre, le baromètre d’estime de soi, évolue selon les interactions qu’ont chacun des joueurs entre eux. Ces interactions font gagner ou perdre plus ou moins de points, selon la nature de la carte « Émotion » piochée au hasard par chaque joueur en début de tour. Si un joueur détient la carte « Tristesse », les réactions négatives des autres joueurs lui feront perdre beaucoup plus de points d’estime de soi que s’il a pioché la carte « Joie ».
Au cours du jeu, chaque joueur doit, à tour de rôle, remplir son fil d’actualité en choisissant avec soin parmi ses cartes « Posts » celle qui lui permettra de gagner le plus de jetons « J’aime » de la part des autres joueurs. Il doit cependant bien analyser le contenu de ses cartes pour ne pas faire chuter son baromètre d’esprit critique ! Les autres joueurs doivent alors interagir avec sa publication grâce à leurs jetons « J’aime », « Je n’aime pas », « Je partage » ou « Je signale ». Comme dans la réalité, ces interactions vont jouer sur le moral du joueur visé à travers son baromètre d’estime de soi. Un joueur pourra aimer une vidéo de bagarre entre collégiens publiée par son copain pour l’aider à gagner des points d’estime de soi, mais il va alors en perdre lui-même sur son baromètre d’esprit critique.
Le jeu se déroule sur quatre tours, le temps entre chaque tour permettant de comptabiliser les points et de revenir avec les joueurs sur chacune des situations rencontrées à partir des cartes publiées. Il est important que le maître du jeu reprenne à la fin de la partie toutes les notions abordées pour les expliciter plus en détail. Un livret du maître du jeu apporte un éclairage sur le contexte de chacune des cartes « Posts » ainsi que sur les notions qui s’y rattachent.  
L’aspect jeu de rôles permet aux joueurs de se décentrer, de prendre du recul en pensant et en explicitant leurs actions. La verbalisation en cours de partie et entre les tours, le débat à la fin du jeu sont donc essentiels, tout comme le rôle du maître du jeu.
L’aspect tactique permet de complexifier le jeu en opposant des résistances aux actions des joueurs :
• le hasard (les cartes « Posts » et « Émotion » sont distribuées aléatoirement) ;
• la compétition (pour gagner, il faut obtenir le maximum de points sur ses deux baromètres) ;
• la gestion des ressources (il faut savoir gérer ses jetons d’interaction qui sont distribués en nombre limité).
Cet aspect tactique est associé à un univers de jeu réaliste et familier pour les élèves. Ils retrouvent les codes graphiques des réseaux sociaux qu’ils affectionnent et les situations des cartes « Post » sont toutes inspirées de publications réelles sur les réseaux. L’association de toutes ces dimensions crée une dynamique de jeu plébiscitée par les élèves.
Si nous avons essayé de concevoir un jeu qui soit le plus ludique possible, il a été élaboré pour être utilisé dans un cadre scolaire défini : il ne peut pas se passer d’un maître du jeu, une analyse guidée de ce qui a été joué pendant un tour est indispensable et le nombre de cartes « Post » n’est pas suffisant pour qu’un même élève fasse plus de trois parties sans retomber sur les mêmes cartes. Le jeu a été conçu pour être joué à quatre joueurs ou à quatre binômes de joueurs, guidés par un maître du jeu, sur une durée d’une heure, suivie du débat. Il s’adresse à des élèves de cycle 4 ou au lycée. Il peut être utilisé dans le cadre de l’EMI, de l’EMC ou du parcours Citoyen.

 

Concevoir un jeu… Facile ?

Nous partions confiantes avec des idées précises en tête. Nous nous sommes réunies régulièrement afin de réfléchir à la mécanique du jeu, d’élaborer les règles et le prototype. À chaque étape, nous avons été confrontées à de nouvelles difficultés, mais toutes les bonnes idées viennent d’un problème à résoudre !
Nous nous sommes rendu compte de la difficulté de construire une mécanique de jeu équilibrée et efficace, ainsi que d’élaborer des règles du jeu claires et compréhensibles, notre propre maîtrise du jeu étant venue aussi au fur et à mesure de nos réunions de travail. Nos collègues nous ont fait souvent remonter la crainte de la difficulté d’explicitation (pour le maître du jeu) et de l’incompréhension (pour le joueur). Nous veillons donc à séquencer les phases de jeu : nous avons ainsi créé une infographie qui complète les règles officielles et nous pensons aussi proposer en document d’accompagnement une vidéo sous forme de tutoriel.  
Ensuite, il a fallu créer toutes les situations (cartes « Post ») qui sont l’assise du contenu du jeu. Nous nous sommes heurtées au contexte des situations, à l’obsolescence de l’actualité, au prérequis des joueurs, à la compréhension des situations, à la catégorisation, à la cohérence dans l’attribution des points, aux droits… Les cartes ont été remodelées et adaptées de nombreuses fois.
Enfin, l’articulation des deux baromètres (le fondement même de notre idée initiale) s’est avérée parfois illogique et incohérente : il a donc fallu trouver des astuces pour y remédier. Avec de la patience et de la persévérance, les règles ont été clarifiées et simplifiées. Après des tâtonnements et des observations, le prototype a pris forme. Nous avons veillé à équilibrer la part de hasard, de tactique et de réflexion.
Nous avons effectué de multiples tests grandeur nature avec nos élèves, nos proches et nos collègues. Chacun nous a permis d’ajuster, d’améliorer et de perfectionner le jeu.
Nous avons eu des phases de découragement (quand nous découvrions des supports similaires), d’exaltation (quand nos élèves ou nos collègues prenaient plaisir et nous encourageaient à poursuivre), des phases obscures (quand nous-mêmes ne savions plus quelle était la dernière modification actée !) et des phases lumineuses (quand une partie se déroulait sans accroc !). Aujourd’hui, nous sommes fières de pouvoir rentrer dans la phase de valorisation et de communication de ce projet. Nous espérons qu’il recevra un accueil positif.

 

Où trouver le jeu ?

Un dossier auprès de la CARDIE académique a été déposé en avril 2019 et nous avons eu la joie d’apprendre fin juin leur soutien pour la production de 3 boîtes de jeu finalisées d’ici janvier 2020. La conception graphique, l’impression et la production seront assurées par l’entreprise Signarama en octobre 2019.
Il sera possible de télécharger le jeu (cartes, pions, règles, guide du maître du jeu …) afin de l’utiliser librement et gratuitement dès janvier 2020. Le jeu est placé sous la licence Creative Commons BY NC SA qui permet sa libre réutilisation, à la condition que les auteurs soient cités et qu’aucune utilisation commerciale n’en soit faite.

 

Jeu et apprentissage en dialogue

Gamification, ludification, ludicisation, nombreux sont les mots qui rendent compte, à partir des années 1980, du mouvement d’expansion des pratiques ludiques dans la société et de la place prise par le jeu comme outil et/ou support d’apprentissage.
La question n’est pas nouvelle. Dès l’Antiquité, les cartes sont utilisées pour faire découvrir des connaissances sur les planètes, les vertus cardinales, les muses… À la Renaissance, la journée type d’une éducation humaniste fait une place au jeu pour apprendre les mathématiques. Reconnu pour son potentiel éducatif, le jeu irrigue peu à peu la société. Au cours du XVIIe siècle, la notion de plaisir y est associée, même si la visée est instructive plus qu’éducative : mythologie, jeux généalogiques, jeu de l’oie à finalité morale… Mais c’est au XIXe siècle que le jeu s’installe comme une activité éducative sérieuse : jeux scientifiques, jeux pour les filles, et surtout jeux de lecture se développent dans une période d’alphabétisation de masse. La notion de travail-jeu visant une production apparaît, dans la mouvance de l’éducation nouvelle.
Si l’opposition jeu-travail reste un marqueur de la représentation du jeu dans la société, depuis les années 1980, avec l’arrivée des jeux vidéo, puis le développement du ludo-éducatif et des serious games, le jeu n’est plus considéré comme une activité ponctuelle ou non sérieuse : il est pensé comme un vecteur d’apprentissage. L’enseignement, les bibliothèques, les musées s’inscrivent dans un même mouvement. Dans un rapport à Mme la ministre de la Culture et de la Communication en février 2015, Françoise Legendre, Inspectrice Générale des Bibliothèques plaide « pour une conjugaison fertile » entre « Jeu et bibliothèque » par la construction d’une politique concernant les jeux, en cohérence avec le projet documentaire de la bibliothèque.
Qu’en est-il aujourd’hui du côté des CDI et des professeurs documentalistes ? Le présent dossier articule réflexions théoriques et retours d’expérience pour questionner les pratiques ludiques dans leur rapport à l’apprentissage. La première partie « Comprendre » interroge de manière réflexive la relation Jeu/Apprentissage, deux facettes complémentaires qui rejoignent un même objectif, et propose des éléments pour inscrire le jeu, en tant qu’objet documentaire, dans un cadre formel : via la mise en œuvre d’une politique ludique, dans une démarche d’établissement ; puis, selon une approche sensible, en partant des représentations des élèves ; l’aménagement de l’espace et du temps sont essentiels à la réussite d’un tel projet.
Les deux volets suivants font état d’expériences vécues, à partir de projets initiés au quotidien dans les CDI, avec leurs réussites et leurs limites, questionnant à l’occasion la posture du professeur documentaliste : tout d’abord en se plaçant du côté des « usages du jeu », dans un CDI où, si tout est culture, tout peut être pédagogie ; puis, du côté de la « conception de jeux », conjuguant esprit de création, plaisir de collaborer, et valorisation-communication, vers un public élargi.
Jeu de l’oie, ouverture culturelle, fiches pratiques, viennent enrichir et ponctuer ce dossier, montrant que professeurs documentalistes et CDI sont pleinement inscrits dans ce mouvement. L’opposition jeu-travail ne semble plus être un marqueur de la représentation du jeu en bibliothèque/CDI.

Merci à toutes et à tous d’avoir bien voulu partager vos expériences et/ou vos réflexions qui font la richesse de ce numéro de rentrée. Bonne lecture !

Le jeu vidéo dans la littérature pour adolescents

D’après le bilan 2018 du Syndicat des Éditeurs des Logiciels de Loisirs (SELL) , les Français n’ont jamais été aussi nombreux à jouer aux jeux vidéo, toutes plateformes confondues. La moyenne d’âge d’un.e joueur.se est de 39 ans, et 97% des 10-14 ans déclarent y jouer. Le jeu le plus vendu sur console est FIFA 19, le plus vendu sur PC est les SIMS 4, et le plus téléchargé sur mobile est Helix Jump (Fortnite n’apparaît qu’en dixième position). Même si les jeux comme Red Dead Redemption ou Call of Duty, réputés assez violents, arrivent juste derrière, on est quand même loin de l’image du jeu vidéo qui accapare complètement un gameur reclus et lui fait perdre contact avec la réalité. Sans bien sûr nier l’impact que les jeux vidéo et les écrans en général peuvent avoir sur certaines populations fragiles, notamment les plus jeunes enfants ou les ados en construction d’identité, la réalité est toutefois plus nuancée. Et pourtant, les romans pour ados montrent très souvent le jeu vidéo comme un élément plutôt dangereux : nous verrons dans la sélection ci-dessous que c’est plutôt du côté du documentaire que l’on peut trouver un discours plus positif.

Les premiers romans sur les jeux vidéo, ou la sombre menace d’un inconnu

Dans les années 1990, le jeu vidéo est rentré dans les foyers : c’est la période de la console SuperNes, sur laquelle tous les ados jouent à Zelda, MarioKart et Street Fighter (2, évidemment) ; la Playstation sort en 1994, avec ses titres iconiques : Final Fantasy, Gran Tourismo, FIFA.
1996, c’est aussi la sortie du roman de Christan Lehmann, No Pasarán, le jeu. Et pas de gentils personnages sur des plateformes ici. Les trois héros du roman jouent à un mystérieux jeu de guerre, qu’ils finiront par ne plus distinguer de la réalité. Il est question de dénoncer la violence et la guerre, mais aussi la possible addiction à ce média qui propose une expérience immersive.
Les ordinateurs sont aussi source d’angoisse pour les héros de Christian Grenier dans l’Ordinatueur. Ici aussi on retrouve la crainte de l’addiction, du jeu qui nous sort de nous-même et qui peut mener jusqu’à la mort (spoiler : ce n’est pas l’ordinateur qui tue). En 2013, Laurent Queyssi reprend cette trame de l’enquête dans le milieu des jeux vidéo qui transforme les gens en tueurs dans le roman Dans l’œil de Lynx.
Quelques années plus tard, la famille Murail s’empare de ce thème pour écrire à six mains Golem. Dans sa cité des Quatre-Cents, Majid joue en réseau à un jeu, et est invité à se fabriquer un « golem », un double virtuel. Bientôt le jeu va interférer avec la réalité (à moins que ça ne soit l’inverse…).

Amis réels ou virtuels ?

Les années passent, les jeux vidéo deviennent de plus en plus complexes et réalistes, mais en même temps plus familiers. Ils ne sont alors plus aussi effrayants et peuvent être le lien qui unit deux personnages : dans Genesis Alpha de Rune Michaels, paru en 2008, Max et Josh sont deux frères séparés par les études et qui se retrouvent chaque soir pour jouer à un jeu vidéo en ligne. Le jour où Max est accusé de meurtre, Josh se pose des questions sur ce frère qu’il pensait connaître. On retrouve tout de même en filigrane un thème récurrent : connaît-on vraiment une personne avec qui on ne correspond qu’en ligne ? On retrouve ce thème dans E-machination, d’Arthur Ténor, où les héros Clotaire et Lucile, duo de choc dans un jeu vidéo, ne se connaissent pas « en vrai » et vont se rencontrer pour résoudre une affaire de crime.

Le jeu-monde

J’emploie cette dénomination pour parler des romans qui présentent des jeux vidéo proposant un autre monde, plus beau, plus intéressant, moins triste que la réalité . Et bien sûr, il finit toujours par s’y passer des choses dramatiques dont on se demande si elles sont réelles. C’est l’intrigue de la série La Cité de Karim Ressouni-Demigneux, où un groupe restreint a accès à une réalité virtuelle où tout est possible ; de Partie Mortelle, de Chris Bardfort, où, dans un futur apocalyptique, les enfants des rues préfèrent se réfugier dans un jeu certes dangereux, mais qui leur fait oublier leur condition misérable. Dans Sous haute dépendance d’Ursula Poznanski, le jeu vidéo Erebos circule dans le lycée, et rend tous les élèves accros. Peu à peu, le jeu prend le pas sur la réalité, mais la mort, elle, est définitive.

Quand le paradis se détraque

Les jeux vidéo permettent de s’évader dans un monde merveilleux : mais au moindre bug, rien ne va plus au paradis des pixels. Avec Crime-City, Gudule s’empare de cette thématique en décrivant un jeu de simulation type Sims, où tout est joli et mignon et où le joueur-démiurge dicte sa conduite aux personnages. Mais le jour où il se retrouve happé dans le jeu, il constate que tout n’est pas si rose. Dans I.R.L., paru en 2016, Agnès Marot traite ce sujet en ajoutant l’élément plus contemporain des intelligences artificielles : Chloé se rend compte un jour qu’elle et sa famille sont filmées en permanence pour une émission de téléréalité, et que le joli monde dans lequel ils évoluent est factice. En revanche, ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’elle n’est pas humaine, mais une intelligence artificielle. Plus sombre, Pixel Noir de Jeanne A-Debats raconte l’histoire de Pixel, un adolescent solitaire qui, suite à un grave accident, voit son esprit mis en repos dans un hôpital virtuel. Ce qui est censé le guérir va se transformer en cauchemar, et ici aussi la mort ne sera pas virtuelle.

Aujourd’hui, le jeu vidéo est bien implanté : il est pratiqué par une large partie de la population, et s’il continue d’inquiéter les parents, il est même proposé en médiathèque (c’est dire…). Les romans sortis récemment ne sont plus aussi alarmistes, ou, signe des temps, proposent de plus en plus d’héroïnes gravitant dans le milieu du jeu vidéo. Agnès Marot reprend l’univers d’I.R.L. dans un roman appelé Erreur 404 : Moon veut revenir dans le milieu des gameurs professionnels d’où elle avait été chassée quand on avait découvert qu’elle était une fille. Le monde du jeu vidéo sert même de décor à une romance publiée en 2019 : Level up, les geeks aussi ont droit à l’amour ! Ici, l’héroïne travaille dans un studio de conception de jeux vidéo, avec son timide colocataire. Plus de danger de mort, plus de geeks enfermés dans leur bureau et perdant pied avec la réalité, le jeu vidéo est devenu bien inoffensif.
En parallèle, les documentaires sur les jeux vidéo se multiplient, avec comme ligne éditoriale de montrer les passerelles et influences qu’ont les autres formes d’art et de connaissances sur les jeux vidéo. Les concepteur.rices de jeux étant souvent issus d’écoles de graphisme, ils et elles amènent un bagage d’influences sensible. Les éditions Palette… ont ainsi sorti deux ouvrages en 2018, L’Art des geeks et Art et jeux vidéo, qui positionnent clairement le jeu vidéo comme un produit culturel. On trouve également des sommes, des best-of, tous les outils pour guider les curieux dans l’univers du jeu. On trouve même des ouvrages de philosophie (à proposer aux Terminales littéraires, qui sait ?), tels que Zelda et la philosophie. Des éditeurs américains s’intéressent également au transmédia, ou comment créer des liens entre romans et jeux par des renvois d’une œuvre à l’autre .

Mais alors pourquoi continuer à écrire des ouvrages où le jeu vidéo est vu comme un élément anxiogène, voire dangereux ? Les auteurs et autrices pour la jeunesse ne seraient-ils que des ringards qui n’y comprennent rien et ne connaissent pas du tout l’univers du jeu ? Je propose une réponse toute simple : de la même manière qu’on ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure, il est beaucoup plus « romanesque » d’être sur un jeu vidéo qui tourne mal. On assiste à la création, comme dans tous les genres, d’un topos, une situation-type dont les auteurs s’emparent et qu’ils interprètent à leur façon. Et quelle meilleure légitimation que de devenir un exercice de style : « le jeu vidéo tueur », sous-branche du fantastique ?

Jouer et apprendre, Apprendre et jouer. Questions à Julian Alvarez

Julian Alvarez, vous êtes professionnel, chercheur, auteur et certainement joueur. Pouvez-vous nous dire ce qui vous a amené à vous intéresser à la thématique du jeu, et au serious game en particulier ?
De manière simple, j’ai eu pour le moment deux parties dans ma carrière :
• de 1996 à 2010, une première partie axée sur le jeu en tant qu’auteur/concepteur/développeur. J’ai travaillé pour les éditions Milan, Dupuis, Bayard, puis TF1, ainsi que pour des institutions comme le CNES, le CNRS, l’université de Toulouse, la Cité de l’Espace, pour développer des applications qui combinent à la fois du jeu, mais en même temps des aspects éducatifs, des messages ou même parfois des aspects purement publicitaires ;
• et ensuite, durant ce parcours, autour des années 2003-2004, j’ai eu envie de prendre un peu de recul sur cette activité et de passer un doctorat que j’ai soutenu en 2007.
Qu’est-ce qui m’a amené à utiliser le jeu, à vouloir écrire sur le jeu et à en faire mon métier qui est toujours en lien avec le jeu ? Ça vient certainement de l’enfance. Durant mon enfance, j’ai connu trois types de contextes scolaires (entre la crèche et la maternelle) : le premier en Espagne, sous le régime de Franco dans les années 1970, ensuite en Suède et enfin en France.
Sous le régime de Franco, j’avais 4-5 ans et le souvenir que j’en ai c’est qu’on faisait énormément de siestes. C’est peut-être lié au climat (il fait très chaud), mais en même temps, on ne cherchait pas vraiment à nous épanouir d’un point de vue « stimulation intellectuelle ». Les jouets étaient dans des armoires, sortis très rarement. On avait quelques séances de récréation, mais encadrées. C’était plutôt de la garderie au sens propre.
En Suède, dans ce qu’on appelle les daghem, des crèches ++, entre la crèche et la maternelle, il y a l’idée d’avoir un accompagnement du développement de l’enfant. Le lieu est donc pensé comme une maison. On a la cuisine dans laquelle on va faire des activités. On va pouvoir proposer aussi de la peinture ou des choses qui nécessitent d’avoir de l’eau à proximité, de pouvoir se salir, de pouvoir nettoyer facilement, de faire des recettes, des gâteaux, de comprendre la chimie de manière simple. Ensuite, on a d’autres lieux comme la chambre où on fait de la lecture, où on peut jouer et se reposer si on le souhaite. On n’avait pas de siestes obligatoires. C’était en fonction du besoin : on écoutait son besoin. Ensuite, on avait le salon qui correspondait à un lieu de fête où on pouvait faire de la musique, des spectacles et des représentations. On avait la salle télé et lecture où l’on pouvait regarder un documentaire, suivi d’un débat. L’idée que chaque lieu corresponde à des activités, c’était pour moi très avant-gardiste. Évidemment le jeu avait sa place dans l’équation.
Et puis après, quand je suis arrivé en France, en maternelle (petite et moyenne section), je me souviens qu’on était beaucoup dans les apprentissages. C’était dans les années 1970, il y avait beaucoup d’interdits, même si je sais que cela a évolué depuis : ne pas utiliser n’importe quelle couleur dans le cahier, écouter la maîtresse, ne pas parler, ne pas écrire dans la marge, ne pas raturer… « ne pas… ne pas… », alors que j’étais habitué à « on y va, on explore, on fait ». Je n’ai pas retrouvé le jeu, alors qu’on était en maternelle. Aujourd’hui, on utilise beaucoup le jeu en maternelle. Bon, je n’ai pas le souvenir de beaucoup avoir joué en maternelle à cette époque, moins qu’en Suède en tout cas. Donc, il y a peut-être une frustration, celle de se dire que le jeu pouvait être un vecteur d’apprentissage. Je trouvais aussi qu’en France, on avait des choses à apporter, le système que je voyais me semblait perfectible. J’ai donc toujours porté en moi cette idée que l’utilisation du jeu, la médiation par le jeu, pouvait être bénéfique aux enseignements, aux apprentissages.

 

Dans la première partie de votre livre, co-écrit avec Damien Djaouti et Olivier Rampnoux1, vous définissez le serious game (SG) comme « tout jeu dont la finalité première est autre que le simple divertissement ».
Cette définition vient de Sande Chen et David Mickael2, c’est exactement ça, le jeu sert à se divertir. C’est parce qu’il y a une industrie du divertissement. Toutefois pourquoi l’homme joue-t-il depuis la nuit des temps ? Et pourquoi des animaux jouent aussi ? Les animaux n’ont pas développé l’industrie du divertissement, et pourtant ils jouent. Selon Antoine Taly (co-responsable pédagogique du Diplôme Inter-Universitaire (DIU)3 « Apprendre par le jeu »), si le jeu se transmet de génération en génération, c’est bien qu’il a une utilité et qu’il répond à une nécessité du règne animal. Sinon, c’est une fonction qu’on aurait perdue. Si elle est maintenue, c’est qu’elle sert à quelque chose.

 

Doit-on forcément mettre « serious » devant « game » pour parler de jeu à l’école ?
Quand on traduit serious game en Français, on dit « jeu sérieux » : du coup on inverse l’ordre. Pour Clark Abt, chercheur américain qui a sans doute écrit le premier ouvrage sur le serious game en 19704, le serious game vient essentiellement de trois mondes : l’entreprise, le militaire et, dans une moindre mesure, l’éducation. Ce chercheur voyait bien le potentiel du jeu pour faire autre chose que simplement se divertir. Sa définition intègre d’ailleurs tous types de jeux (jeux de rôle, de plein air, jeux sur ordinateur appelés à l’époque computer games). Dans les années 2000, le chercheur Ben Sawyer5 a repris ce terme pour des raisons certainement plus marketing. America’s army6 est un serious game sorti en 2002 développé pour le compte de l’armée américaine qui répondait à des besoins d’ordre militaire, de recrutement, pour redorer l’image de l’armée américaine et proposer aux armées américaines de s’entraîner avec ce jeu. En fait, on voit trois fonctions utilitaires du jeu :
• diffusion de messages : c’est l’aspect marketing ;
• dispense d’entraînement : c’est la dimension d’entraînement qu’on prodigue aux troupes ;
• et enfin recrutement : c’est la collecte de données.
Avec ce jeu, il apparaissait clairement qu’on pouvait faire autre chose que simplement se divertir, mais l’armée américaine n’aurait pas acheté un jeu vidéo pour autant. Pour rendre ça un peu plus crédible, il fallait donc l’estampiller serious game. C’est donc parti d’un besoin de légitimer le jeu : on ne fait pas tout à fait du jeu, mais du jeu sérieux, c’est ce qui assoit la démarche.
Après on a deux choses : du jeu qu’on peut mobiliser et quelque chose d’un peu hybride qu’on appelle le ludo-éducatif. On a eu toutefois du ludo-éducatif qui n’a pas été forcément réussi parce que ce n’était pas vraiment du jeu ; il s’agissait plus d’exercices déguisés en jeu (la génération Adibou7).

 

Vous avez d’autres titres à conseiller ?
Il y a un jeu pour lequel j’ai un petit coup de cœur, c’est Dragonbox. C’est un jeu qui vise à enseigner les mathématiques de manière très ludique. On peut avoir des élèves qui, si on ne leur dit pas qu’ils font des maths, le font avec plaisir et atteignent des objectifs. Et dès qu’on leur dit : « ce sont des maths », ils se bloquent.
Dragonbox est basé sur des mises en correspondance entre des magiciens, des dragons… Plus on avance dans les niveaux, plus ces éléments graphiques deviennent abstraits et s’approchent des symboles mathématiques. Finalement, si les élèves réussissent avec des dragons et des magiciens, pourquoi ne le feraient-ils pas avec des symboles mathématiques ?

 

Apprendre et jouer, de manière plus générale, c’est compatible ?
En fait, cette question nous renvoie à une autre question : Qu’est-ce que c’est « apprendre » ? Qu’est-ce que « jouer » ? À quoi ça sert de jouer ? Apprendre, c’est l’idée qu’on va assimiler de nouveaux savoirs ou qu’on va renforcer/développer de nouvelles compétences. On peut le résumer comme cela, même si c’est plus complexe. Et finalement, à quoi ça sert de jouer ? S’amuser, l’amusement, c’est explorer de nouvelles choses. Les jeux avec des règles, c’est se conformer à des objectifs, à un cadre, tout en développant, selon les jeux, différentes habiletés qui peuvent être langagières, sensori-motrices, cognitives, socio-affectives. Quel est le jeu ou le jouet qui, du point de vue de l’apprentissage, n’apporterait strictement rien ? Eh bien, on se rend compte que ce n’est pas facile de répondre à cette question.
« Apprendre » et « Jouer » sont deux facettes complémentaires qui rejoignent un même objectif. L’apprentissage, tel qu’on le voit dans un monde institutionnalisé, s’inscrit dans un cadre formel avec un objectif précis qu’on cherche à atteindre ; alors que le jeu, c’est peut-être l’apprentissage de manière plus informelle. On va développer des choses par accident, en faisant, en explorant ; on va revenir sur telle erreur. Toute la difficulté du serious game, c’est d’inscrire le jeu dans un cadre plus formel. Comment amène-t-on le jeu dans l’enceinte scolaire ? Comment amène-t-on le jeu en classe ? Là, ça change un peu la donne…

La Régie, poste d’observation de l’escape game

 

Vous évoquez justement dans votre thèse8 les liens entre jeu et démarches pédagogiques.
Si on reprend l’historique précédent, contrairement à ce qu’a écrit Clark Abt qui intégrait tous types de jeux, la mouvance du serious game, qui a démarré avec America’s Army en 2002, s’est bâtie sur du jeu numérique. Mes écrits s’inscrivent dans cette direction : au départ, le serious game c’est essentiellement du jeu vidéo comme support. Puis, on s’est rendu compte qu’il y avait des acteurs qui faisaient du jeu de société sérieux, et d’autres du jeu de plein air sérieux, et qu’on était tous inscrits dans la même mouvance, à savoir essayer d’écarter le jeu du simple divertissement. Le jeu a retrouvé sa signification première : tout type de jeu qui peut être mobilisé pour des besoins sérieux ou utilitaires.
Néanmoins, le jeu vidéo reste un objet de questionnement important, car il est plus récent par rapport aux autres types de jeu. Lorsque l’on parle de numérique, d’escape game, de robots, qu’on peut associer dans les pédagogies, ça questionne. Ce numérique, on a envie de l’apprivoiser, de l’étudier, de le comprendre. C’est pour cela qu’il a une place importante dans nos questionnements, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a que cette solution-là.
Et comme il est difficile d’identifier un jeu qui, d’un point de vue utilitaire, n’apporterait strictement rien, c’est l’activité qui est importante : comment je mobilise le jeu pour lequel j’ai une sensibilité, selon mon passé, ma culture, mon filtre de perception, pour en faire quelque chose qui va être plus formel en matière d’apprentissage ou d’enseignement. C’est lié à la manière dont nous percevons les choses. Pour nous aider ensuite à identifier les jeux, on peut se référer au système ESAR9 et à ses différentes facettes.

 

Dans la préface de votre ouvrage, André Tricot remarque qu’il n’y a pas d’étude qui démontre de manière définitive un intérêt immédiat du jeu en pédagogie.
Ce que dit André Tricot, c’est que d’un point de vue scientifique, ce qui nous manque ce sont des études à grande échelle. On a aujourd’hui des enseignants qui, sur le terrain, sentent qu’ils arrivent à capter l’attention de leurs élèves, à les stimuler, à leur faire apprendre des choses qui sont peut-être d’habitude plus complexes à enseigner avec d’autres méthodes, d’autres modalités. On voit bien qu’il y a quelque chose qui se trame, qui frémit. Mais ce sont des expériences vécues de manière isolée. Il y a des initiatives, mais qu’est-ce que cela donnerait si on les déployait à grande échelle, si tout le monde pouvait faire « la même expérience » ? Est-ce qu’on obtiendrait les mêmes résultats ? Est-ce que ce serait aussi probant ? En fait, un des points sur lesquels on se base, c’est la passion avec laquelle l’enseignant(e) transmet son savoir. Si cette passion est communiquée, l’élève aura tendance à adhérer à ce que dit l’enseignant(e), que ce soit à travers le canal du jeu, de l’art, de la musique… Des canaux différents peuvent être déployés.
Si tous les enseignants faisaient la même chose, qu’ils soient peu ou pas passionnés par le jeu, est-ce qu’on obtiendrait malgré tout les mêmes résultats ? On ne sait pas. Les propos d’André Tricot sont prudents, et il a raison de l’être sur ce point-là. Je suis plus nuancé en disant qu’il ne faut pas écarter ce qui est fait sur le terrain : des enseignants identifient malgré tout des choses qui semblent petit à petit converger. C’est-à-dire qu’on voit des résultats positifs, mais positifs par rapport à quoi ? Si on mène des études comparatives, un enseignant passionnant qui fait un cours magistral peut sans doute atteindre des résultats similaires. La prudence est donc de mise d’un point de vue scientifique.

 

Vous mettez en avant les apports des serious games notamment pour le développement de compétences sociales et la capacité à travailler en autonomie…
On parle de plus en plus des compétences du XXIe siècle : la communication, la créativité, le collaboratif (travailler ensemble…). Je crois effectivement qu’on en a marre de travailler en mode silo, de cloisonner, de dire : « tu as tels résultats à l’école et donc tu vas plutôt faire tel métier, merci, au revoir ». En fait on se rend compte aujourd’hui que l’on a peut-être besoin des points de vue de chacun et qu’il faut s’affranchir de certains préjugés. Quand on joue par exemple à un escape game, et qu’on joue à plusieurs, certains vont avoir le sens logique des énigmes, d’autres le sens littéraire d’aller chercher les références, d’autres peut-être une approche plus inductive, en disant « si on met jaune, ça peut correspondre à la bonne réponse » mais on ne sait pas vraiment pourquoi… parce qu’il y a des choses qui nous échappent dans la manière dont chacun perçoit l’information et va pouvoir la mobiliser, soit de manière déductive, soit de manière inductive.
Le jeu permet en fait de révéler des modes de fonctionnement qui sont très intéressants et qui peuvent être complémentaires. Quand on dit par exemple que le jeu amène à développer des compétences, il permet finalement de les légitimer dans un premier temps et ensuite d’approfondir la question de savoir comment aider des enfants qui ont cette approche inductive.
Le jeu permet enfin à l’enseignant de découvrir l’élève autrement et de l’appréhender par « sa capacité à… », en lui proposant des modalités qui vont être plus adaptées à ce type de profil. C’est de la pédagogie différenciée. Lorsque l’on joue, on est en mode « situation », on fait. Et en faisant, on voit comment on agit et comment on se positionne. Est-ce qu’on a bien communiqué ? Est-ce qu’on a tendance à faire de la rétention d’information ? Est-ce qu’on se laisse guider ? Est-ce qu’on est leader ? Finalement, un des principaux apprentissages c’est d’apprendre à mieux se connaître soi-même. Le jeu est très révélateur pour ça.

 

D’où l’importance de la phase de débriefing…
En fait, quand on fait une séquence ludo-pédagogique, on a trois grandes phases : on introduit l’activité, on l’anime et on la débriefe. L’introduction de l’activité, c’est raconter une histoire qui va faire en sorte d’engager les apprenants dans l’activité, tout en leur donnant envie de jouer et en leur expliquant le pourquoi du comment, les objectifs pédagogiques, sans pour autant trop en dévoiler. Mais on leur donne les grandes lignes, au moins la thématique de ce que l’on cherche à enseigner.
Ensuite la phase d’animation c’est le jeu, on joue. On est dans l’amusement, il ne faut vraiment pas tuer le jeu sinon c’est raté.
Enfin, une fois que le jeu est terminé, on passe à la partie débriefing où l’on va donner aux élèves joueurs les réponses aux questions restées en suspens : Pourquoi ce jeu ? À quoi ça servait ? Pourquoi les indices trouvés étaient proposés de telle ou telle manière ? Dans l’escape game, cela répond à la thématique de l’erreur, au droit de se tromper, au droit de recommencer.
Ce qui est important aussi dans le débriefing, c’est peut-être de poser trois questions :
• Qu’avez-vous ressenti ? Il est important d’évacuer des frustrations ou des sentiments négatifs, parce que sinon on ne va pas forcément être réceptif à ce qu’on va nous dire après.
• Qu’avez-vous le sentiment d’avoir appris ? Je dis bien « sentiment » parce que ce ne sont pas forcément des choses nouvelles. On est prudent en parlant de « sentiment d’avoir appris quelque chose ».
• Que pourrait-on faire pour améliorer l’expérience ? Amener l’élève à devenir expert à son tour. Ce qui veut dire revoir les modalités, s’adapter aux différents profils, proposer différentes manières d’aborder les énigmes. On peut toujours améliorer, pour cela il faut des feedback, des retours de la part des joueurs, de manière à savoir dans quelle direction aller.

 

Concevoir des SG avec les élèves, quels intérêts et limites selon vous ?
Les élèves seront toujours partants pour créer et concevoir. Cela fait appel à beaucoup de créativité, à l’imaginaire, qui est une chose stimulante. D’un point de vue pédagogique c’est très bien de vouloir amener les élèves à faire, à mettre les mains dans le cambouis, à expérimenter. On retrouve ces pratiques dans l’école Freinet où il était question de faire le journal de l’école. On peut imaginer faire le jeu à l’école, avec des adaptations. Concevoir, ce n’est pas jouer. Fabriquer un jeu, ce n’est pas jouer. Qu’est-ce qu’on fait ensuite de ces créations ? On les jette ? On les mobilise pour des enseignements ? On connaît aujourd’hui des enseignants qui ont fait fabriquer des jeux par des élèves et qui ensuite les utilisent dans leurs propres cours. Ce serait intéressant d’avoir des données sur ce point.
L’élève va produire un jeu, mais, finalement, quel est l’objectif pédagogique ? Est-ce concevoir un jeu qui est important ou est-ce des objectifs pédagogiques que l’on cherche à atteindre à travers la construction de ce jeu ? Par exemple, on veut faire découvrir de nouveaux métiers aux élèves (aiguilleur du ciel, juriste). Demander aux élèves de produire des jeux sur ces métiers les oblige finalement à les étudier, à les comprendre, pour ensuite les intégrer dans leur gameplay. C’est un moyen détourné de faire apprendre quelque chose. Mais si fabriquer un jeu demande beaucoup d’énergie pour découvrir finalement la définition d’un métier, est-ce que ce jeu en vaut la chandelle ? On se posera ensuite la question de l’efficacité de cette démarche pédagogique en termes d’énergie et de temps déployé pour atteindre le résultat obtenu.

 

Comment voyez-vous le rôle du professeur documentaliste et du Centre de Documentation et d’Information (CDI) dans le domaine ?
Les CDI deviennent de plus en plus des lieux de vie, les métiers de documentaliste sont en train de changer. Hier, une documentaliste m’expliquait que son métier devient un métier de médiateur et d’animateur. Comment amène-t-on la vie dans les CDI ? Le silence ok, mais s’il n’y a personne, ça ne sert à rien. C’est antinomique. Il vaut mieux un lieu de vie, de rencontres, d’échanges. On peut réserver bien entendu des endroits silencieux pour ceux qui ont besoin de lire au calme, mais on voit de plus en plus d’initiatives comme Lilliad10 qui est un Learning Center. Une espèce de « tiers lieu » où la bibliothèque est associée à des lieux d’exposition, de restauration, des lieux de lecture où l’on peut échanger librement et des zones où l’on peut s’isoler pour lire au calme, travailler au calme, ce qui est nécessaire aussi. En fait on essaie d’hybrider les choses. On est finalement dans une société qui hybride de plus en plus différentes pratiques et usages en fonction des besoins de tout un chacun.
Est-ce que les documentalistes ont envie de migrer vers cette activité-là ? Et si oui, dans quelle proportion ? Je sais qu’il y a des gens qui aiment indexer, classifier et qui n’ont pas envie d’être en contact avec l’animation. Et puis les élèves sont demandeurs d’un accompagnement. Que signifie la mise à disposition de jeux au CDI ? Est-ce que cela veut dire « vous cherchez tel jeu, je vous le donne » ? Ou « avec ce jeu, voilà les activités que l’on peut faire » ? Ce qui d’un point de vue pédagogique va un peu plus loin…
Ne pas se tromper quand on veut se positionner dans un CDI. Mais là, vous êtes mieux placé(e)s que moi pour le savoir !

Présentoir à nouveautés, Ludothèque de la bibliothèque universitaire de l ESPÉ de Lille.

 

Vous intervenez dans des journées d’étude et dans des formations, certaines disciplines ou certains enseignants vous paraissent-ils plus ouverts à l’idée de développer la pratique du jeu dans les enseignements ?
Quand on questionne les enseignants, certains font déjà usage du jeu parce qu’ils aiment ça. En général, ce sont des personnes qui ont le sentiment que c’est leur manière d’enseigner. C’est naturel pour eux, il n’y a donc pas grand-chose à faire, si ce n’est les conforter dans l’idée que c’est une piste intéressante. Après il y a des personnes un peu sceptiques, qui sont sur la réserve. Les explications sont multiples, ce peut être « j’ai peur de… du jeu » ou alors « je n’aime pas le jeu » et ça, je le respecte. Quelqu’un qui me dit « je n’aime pas jouer », je fais toujours le parallèle avec la musique : par exemple si on me disait demain « il faut faire de la pédagogie par la musique », je serais très malheureux, parce que je ne suis pas du tout mélomane. De la même manière, je ne peux pas imposer aux autres un « il faut jouer, il faut faire jouer ». Après on a le deuxième profil qui dit « je ne veux pas », mais quand on gratte un peu, ils aimeraient bien, mais ils n’osent pas. C’est là qu’il faut essayer d’aider.
À plusieurs reprises, des chercheurs m’ont demandé s’il y avait un profil type de l’enseignant ou de la personne qui promeut le jeu ? Je n’en sais rien. Mais il y a un dénominateur commun très simple : c’est que la personne aime jouer. Dans son attitude, dans sa manière d’être, on retrouve cet esprit joueur : je me joue de l’autre, je m’adapte parce que je suis finalement dans cette flexibilité que réclame le jeu de pouvoir s’adapter rapidement à des situations, de mobiliser des règles nouvelles et de les intégrer ou de savoir les contourner. Je sais qu’il y a des enseignants qui, quand ils organisent des jeux, aiment avoir un livret pédagogique. Ils aiment suivre les étapes, exécuter, mais dès qu’il y a un imprévu, c’est la panique. Il faut donc que tout soit réglé comme du papier à musique. On a des profils différents et c’est aussi en lien avec des traits de caractère, avec un vécu, une personnalité, plus qu’avec des matières qu’on enseigne. Je dirai que c’est la personnalité et le vécu qui priment. Mais il faudrait mener des travaux de recherches, on est plus dans l’intuition.

 

Il faudrait sensibiliser les futurs enseignants dans leur formation initiale…
Oui, je pense. J’y participe dans ce cadre du DIU (Diplôme Inter-Universitaire) « Apprendre par le jeu » qui forme à la ludopédagogie des enseignants, et d’autres types de profils comme des médecins, des personnes qui montent leur société ou qui sont dans l’événementiel. L’idée est de leur montrer différentes approches possibles parce que finalement il faut « nourrir ». Montrer un ensemble de possibles pour qu’il y ait un phénomène d’appropriation, de création, d’innovation, mais qui soit toujours opéré au final par les enseignants. Parce qu’en fonction de leurs personnalités, ils doivent s’approprier la chose. En même temps, on ne pourra pas être toujours dans le registre du jeu ; le jeu paradoxalement, pourra aussi cultiver la rareté. Si on met du jeu tous les jours, on va lasser. En revanche, si on met du jeu un peu de temps en temps, il produira son effet, et donc on le préservera.

 

Votre ouvrage est édité chez Canopé, il répond à une commande. Est-ce que le commanditaire a une influence sur le contenu ?
Oui. En fait Canopé nous a commandé l’ouvrage, au départ sur l’utilisation des serious games. Puis on a eu un échange avec un correcteur et les questions posées par rapport à nos écrits étaient très intéressantes, parce qu’il y avait des remises en question qui ont forcément influencé l’écriture. Il y avait des remarques très simples de l’ordre de « nous on est chercheurs, on a donc peut-être parfois une approche très théorique ». Canopé a une connaissance du terrain et nous dit « là ce que vous dites va fonctionner pour des profs d’Histoire Géographie, peut-être moins pour d’autres matières », ou « dans le programme on ne nous permet pas de faire ceci… qu’est-ce que vous en pensez ? ». On a eu des retours de cet ordre. On va donc chercher des jeux dans telle matière, on va voir ce qui se fait, comment ça peut être intégré dans les programmes. On a vraiment eu des échanges constructifs qui ont permis de co-construire finalement l’ouvrage. Même si on a amené de la matière, beaucoup de matière initialement, il y a eu une influence, c’est clair.