Les jeux de détournement en bande dessinée

Dans le détournement, tel qu’il est pratiqué dans la bande dessinée, le procédé consiste en un jeu de décontextualisation et d’hybridation d’images ou de planches existantes, pas forcément redessinées, mais extraites de leur contexte initial, détournées de leur intention ou de leur public d’origine. L’exercice du détournement est donc essentiellement transformateur, s’appuyant sur une œuvre existante dont la notoriété va garantir un effet supplémentaire auprès du lecteur. Comme le souligne un détourneur, Un Faux Graphiste : « j’aurais beaucoup plus de mal à créer un gag à partir de rien. Le détournement, c’est l’art du fainéant1 ! ». La pratique du détournement en bande dessinée interroge donc les notions d’hommage et de citation. Soulignons aussi que le détournement permet aux auteurs, qui ne sont pas forcément dessinateurs ou issus du milieu de la bande dessinée, d’expérimenter et de pousser la bande dessinée en tant que langage vers des interactions nouvelles.

Jeux sous contraintes transformatives oubapiennes

Les membres de l’OuBaPo (l’ouvroir de bande dessinée potentielle) pratiquent activement le détournement. Ce comité crée des bandes dessinées sous contrainte artistique volontaire à la manière de l’Oulipo de Raymond Queneau (cf. article précédent). L’OuBaPo repose sur une dynamique ludique : il s’agit de jouer et d’expérimenter en s’avançant sur des terrains inconnus que la contrainte oblige à parcourir. Ce mouvement d’expérimentation permet d’interroger la bande dessinée sur ce qu’elle est et de la réinventer, le tout avec humour.
Toutes les contraintes avec lesquelles jouent les membres du comité oubapien ne sont pas d’effet ou de nature parodique. Je n’ai retenu que celles qui favorisent la pratique du détournement : la substitution verbale, qui consiste à conserver les images en changeant les textes ; la substitution iconique, qui consiste à substituer les images à d’autres images et qui aboutit à une forme d’hybridation ; et la réduction, où il s’agit de condenser un album en quelques cases. Des activités toutes réalisables par des non-dessinateurs.

Planche de Michel Vaillant détournée par François Ayroles.

La substitution verbale

François Ayroles détourne des planches de Michel Vaillant, Le 13 est au départ (in Oupus, 2. p. 43. L’Association). Le discours initial est remplacé par un dialogue critique sur la nature de la bande dessinée et sur le style de Jean Graton, créateur de Michel Vaillant, provoquant un effet de second degré. Ainsi, la mère de Michel Vaillant est en dépression, à force de voir son visage si mal dessiné et le père s’afflige d’être représenté « dans un médium dévolu aux ados ». Tous les deux sont consternés de n’être que des personnages de bande dessinée. Pour le lecteur, c’est assez jouissif de voir les personnages s’en prendre directement à leur auteur pour lui reprocher son manque de créativité, son style trop académique et figé (« en gros plan, nos visages paraissent encore plus mal dessinés »), de souligner la médiocrité des décors, la monotonie des cadrages trop serrés, etc. C’est donc tout un discours critique de la bande dessinée sur elle-même, sur ses procédés parfois artificiels, qui est mis en scène en direct par ces personnages célèbres qu’on a vu évoluer dans un tout autre contexte. Cela produit un effet jubilatoire sur le lecteur. Le détournement repose bien ici sur une décontextualisation produite par ce discours autocritique et ironique pris en charge par les personnages eux-mêmes.

Cette contrainte de la substitution peut amener à l’hybridation. Le procédé consiste à relier un texte A existant à une planche B existante. Cela permet de réunir des auteurs ou des univers très éloignés dans leurs intentions ou dans les publics visés. Ainsi, Ayroles introduit un dialogue de Platon (tiré du Premier Alcibiade) dans Placid et Muzzo font du judo (Oupus 1, L’Association). Le choix de marier Platon à Placid et Muzzo est une idée assez iconoclaste, une blague en soi. L’exercice réalisé donne-t-il à voir différemment Placid et Muzo ou Platon ? Le dialogue entre Socrate et Alcibiade transposé dans la bouche de Placid et Muzzo (un ours nigaud et un renard rusé) sonne étrangement, mais le choix du thème – la lutte contre un ennemi – est raccord visuellement avec la scène de judo. Il est aussi incontestable que la forme dialoguée du texte platonicien s’intègre parfaitement dans la structure séquentielle de la bande dessinée. En tout cas, l’hybridation s’avère ici un bon exercice de désacralisation d’un texte considéré comme austère, ou de réflexion sur une bande dessinée animalière considérée comme simpliste.
Les auteurs du blog Phylacterium tenaient une rubrique intitulée « Dimanches oubapiens », dans laquelle ils expérimentaient ce type d’hybridation, arguant que « Les produits d’une hybridation sont souvent étranges et garnis de poésie surréaliste2 ». On y voit entre autres une planche des Watchmen où Rorschach, le super-héros sombre et dérangé de la série, écrit dans son journal intime3. Mais c’est la voix de Marjanne Satrapi de Persepolis qui vient s’insérer dans la scène pour lui donner une sorte de fraîcheur. En même temps, ce texte, qui décrit la désillusion de son arrivée en Autriche, s’ajuste d’une certaine façon à cette planche où déambule un personnage solitaire à l’identité trouble. L’hybridation apparaît comme une contrainte intéressante, dans la mesure où elle recombine des relations texte/images, et qu’elle oblige le lecteur à se questionner pour trouver du sens.

Placid et Muzzo font du judo (Oupus 1, L’Association)

La substitution iconique

La substitution iconique consiste à changer les images. Gilles Ciment s’est essayé à l’exercice en réalisant une substitution iconique philatélique des Bijoux de la Castafiore d’Hergé, associée à une réduction en deux planches de l’album4. Gilles Ciment, oubapien, raconte avoir acheté un sac de timbres et avoir composé ce nouveau montage avec les timbres disponibles en cherchant des similitudes ou des évocations possibles. C’est ainsi que les personnages sont toujours identiques : Haddock apparaît sous les traits d’un timbre représentant Franco, alors que Tintin est représenté par le roi d’Espagne et la Castafiore par la reine d’Angleterre. Les motifs importants sont représentés ponctuellement : la chaise roulante du capitaine, la guêpe ou le perroquet. Le texte est intégralement conservé. C’est assez astucieux et ludique, cela donne envie au lecteur de comparer avec l’original ou de faire appel à sa mémoire. G. Ciment, dans Confidences oubapiennes sur le site neuviemeart2.0, précise : « Pour quelqu’un comme moi, qui ai la contrainte supplémentaire de ne pas savoir dessiner, c’est plus facile d’obtenir un effet auprès du lecteur avec quelque chose qui est connu de lui. Je ne peux faire des exercices qu’en détournant, et en recyclant. L’auteur le plus connu et le plus identifiable une fois détourné, c’est Hergé5. »
Effectivement, Tintin est un des personnages le plus détournés, puisque parmi les plus connus (avec Mickey). Mais c’est aussi un personnage lisse, bien-pensant, qui se prête aux propos corrosifs. Ici, plus que le personnage, ce sont les albums mêmes qui sont mis en avant et les qualités narratives de Hergé qui favorisent particulièrement le détournement. Killofer, auteur de bande dessinée et oubapien, souligne que « la construction des planches (d’Hergé) est d’une rigueur impeccable. Les détournements n’en ont que plus de force. Quand on travaille sur un exercice, on se trouve comme un cuisinier qui va faire son marché. Hergé, c’est toujours du bon produit6. »

La réduction

Les Oubapiens pratiquent un autre type de détournement des albums de Tintin : la réduction. Il s’agit de raconter un album en quelques cases sélectionnées. Les Cigares du Pharaon peut ainsi être résumé en 6 cases extraites de l’album (Oupus 1. L’Association. cf. visuel joint). L’exercice est en lui-même un travail d’analyse pour le créateur et un moment de jeu pour le lecteur. Que nous dit cette planche de Tintin ? Elle est muette, les seuls signes textuels présents sont des points d’exclamation et d’interrogation. Tintin traverse des situations dans lesquelles il s’interroge ou reste surpris. « Pour le résumé des Cigares du Pharaon, je n’ai utilisé que les images où Tintin ne comprend rien. C’était une façon de dire que, dans cet album, Tintin est constamment perdu, il ne fait que suivre les événements en se demandant ce qui se passe. Dans l’exercice, on dit quelque chose sur la matière première7 ». Le lecteur saisit cette interprétation faite par l’auteur de l’hybridation, celle d’un héros dépassé par les événements. Et cela le ramène à sa propre interprétation de la bande dessinée originale. Cette pratique produit donc une lecture assez excitante pour le lecteur, engageant un jeu de remémoration des scènes, de relecture et de comparaison. La contrainte de la réduction permet donc un jeu aussi bien autour de l’œuvre qu’autour de l’image d’un personnage. En transformant l’œuvre, en la détournant, l’auteur oubapien amène le lecteur vers la critique et la relecture.
On pourrait pratiquer avec des élèves toutes ces substitutions : inventer de nouveaux dialogues sur une planche imposée, avec un texte libre ou sous contrainte, croiser des textes et des planches, résumer une œuvre en quelques cases…

Ces jeux oubapiens, basés sur le détournement de bande dessinée, ont recours aux raccourcis, à la substitution, à la disparition de morceaux de l’œuvre citée (texte ou image). Ils citent les œuvres en les fragmentant ou en les cachant. Mais, contrairement au plagiaire, qui gomme l’idée même d’une source, ils supposent la présence de l’œuvre originale. De manière paradoxale, souligne un oubapien, « la pratique de l’oblitération du modèle source crée pour le lecteur un jeu mémoriel potentiellement riche ». C’est ce que le détournement oubapien semble en effet provoquer sur le lecteur : outre le sourire que provoque l’exercice et son jeu de décalage, c’est le retour aux sources.
Si la citation et le détournement d’images ou d’œuvres culte développent un grand plaisir de réappropriation de ces œuvres, tant du côté du détourneur que du lecteur, cette pratique soulève des problèmes juridiques en France qu’a priori ne rencontrent pas les membres de l’Oubapo, qui se livrent à des exercices ponctuels et peu médiatisés.

Les Cigares du Pharaon résumé en 6 cases extraites
de l’album (Oupus 1. L’Association. )

Détournement et Justice

Le détournement d’images pose en effet un problème juridique en France. Si la parodie est protégée par un statut d’exception, il n’en est pas de même pour le détournement. Nous entrons là, en effet, dans le domaine de la citation qui est soumis au droit d’auteur, c’est-à-dire à l’autorisation de l’auteur ou des ayants droit. C’est ce que nous allons voir avec deux exemples de détournements condamnés par la Justice.

Un Faux Graphiste est un jeune étudiant bruxellois, qui n’est pas réellement graphiste mais étudiant en littérature. Il a commencé à publier sur le web en 2015 avec une page Facebook qui, au bout d’un an d’activité, rassemblait plus de 30 000 fans8. Il y détourne des affiches de films et réalise des montages divers avec un humour certain. Mais son œuvre majeure, ce sont les détournements de Tintin. L’idée est de décontextualiser les images originales avec des répliques qui leur donnent un sens radicalement différent. C’est ainsi que Tintin peut se transformer en journaliste voyeur, assoiffé de sensationnalisme, Haddock en hipster, les Dupond & Dupont en fans de « rap alternatif » et de « bière bio » et le professeur Tournesol en galeriste recherchant des graffeurs à exposer9…
Un Faux Graphiste choisit une ou plusieurs planches, qu’il scanne. Il réarrange les cases avec Photoshop tout en restant respectueux de la forme et de la typographie originale. Et il y injecte de nouveaux textes, cherchant à créer des dialogues décalés, surfant sur l’actualité ou jouant avec l’image des célèbres personnages.
L’aspect hommage à Hergé est très visible, mais aussi dangereux : la pratique du détournement n’est pas protégée par le droit comme l’est la parodie. Même si l’esprit parodique y est présent, c’est le cadre de la citation qui prévaut ici et l’auteur peut être accusé d’être dans l’illégalité. C’est ce que s’est empressée de souligner la société Moulinsart SA, qui gère les droits de l’œuvre d’Hergé et qui a demandé à Un Faux Graphiste de stopper ces détournements en février 2016. Moulinsart a effectivement le droit (d’auteur) pour elle. Elle seule a l’autorisation de reproduire l’œuvre. Il n’existe que deux exceptions possibles à ce droit d’auteur : le droit de citation, qui est une disposition destinée aux journalistes ou aux enseignants qui vont publier un extrait dans le but d’expliquer l’œuvre, et le droit de parodie, dont on aurait pu penser qu’il s’applique ici. Mais la parodie est un détournement à vocation humoristique dont les règles sont définies. Si l’on se moque de Tintin, on doit immédiatement le voir, c’est-à-dire que le dessin – et pas seulement le texte – doit être modifié. Deux conditions que ne remplit pas Un Faux graphiste qui se sert de Tintin comme tremplin pour raconter tout autre chose. La pratique du détournement, quand on utilise les cases directement, sans les redessiner, ne peut pas être considérée comme de la parodie ou de la caricature. Un Faux Graphiste a donc stoppé ses détournements de Tintin mais a continué de sévir sur le net différemment. Deux recueils édités par Delcourt condensent officiellement « le meilleur » de sa production iconoclaste. Il travaille désormais sur des illustrations en noir et blanc du début du XXe siècle (et sur des gravures plus anciennes), sur des extraits de comics ou fumettis de série B de tous genres, qui sont surtout libres de droits.

Un Faux Graphiste

Autre exemple de détournement toujours axé sur la figure culte de Tintin : Le Petit XXIème. Un micro blog puis un tumblr sont ouverts en février 201410. Les deux auteurs, longtemps restés anonymes, se sont avérés être des journalistes. Leur objectif : commenter l’actualité à partir des cases de Tintin en jouant sur les similitudes et les décalages avec la période actuelle. (le nom Le Petit XXIème a été choisi par rapport au Petit Vingtième qui était un supplément au journal Le Vingtième Siècle, où l’on trouvait Les Aventures de Tintin).
Le blog a connu son petit succès, le fait que les auteurs ne publiaient qu’une image par jour évitait un effet d’accumulation et pouvait jouer sur une éventuelle attente du lecteur. Les auteurs ont ainsi commenté leur succès : c’est « un exercice intellectuel réjouissant » procurant le plaisir « d’établir des liens entre une œuvre patrimoniale et une actualité effervescente » et « de retrouver des souvenirs de lectures enfantines qui donnent envie de se remettre à lire l’œuvre d’Hergé11 ».
Cela n’a évidemment pas plu à la société Moulinsart qui, au lieu d’y voir une forme de réactualisation des œuvres d’Hergé, a exigé le retrait des images en expliquant : « la jurisprudence considère une case des albums de Tintin comme une œuvre à part entière. Or, la citation s’entend par nature d’un extrait, d’un passage, d’une œuvre constituant un tout12 ». Donc, pas de citation autorisée. En France, la Cour de Cassation a pour l’instant toujours écarté l’idée que l’on puisse « citer des images ». Pour la Cour, la loi indique que la citation doit être courte. Or, réaliser une « citation graphique » revient à montrer l’image dans son intégralité, même si elle est reproduite en petit format ou en faible résolution. Donc, citer une image sans autorisation de l’auteur ou des ayants droit constitue un acte de contrefaçon. C’est bien ce dont Le Petit XXIème était accusé. Les auteurs ont dû retirer toutes les images citées de leur tumblr. Mais le compte twitter a été actif jusqu’en septembre 2018. Et de nombreuses images sont encore visibles sur le net.
Pourtant, même si les images de Tintin ne sont pas matériellement modifiées, on pourrait considérer Le Petit XXIème comme une œuvre transformative. Il y a bien transformation, parce que la recontextualisation opérée donne un nouveau but aux vignettes : produire un commentaire décalé de l’actualité. La loi s’est penchée à plusieurs reprises sur cette notion d’œuvre transformative sur laquelle elle bute encore. Cet exemple du Petit XXIème montre la nécessité de faire évoluer un droit français dépassé par les usages, en particulier numériques. C’est probablement dans l’intérêt de la liberté d’expression et de création, mais aussi dans l’intérêt des œuvres elles-mêmes. Dans le cas de Tintin, Quentin Girard, un des deux journalistes qui géraient ce tumblr, souligne qu’« empêcher les réutilisations créatives, c’est finalement couper les œuvres de leur temps et précipiter leur déclin dans la mémoire13 ».

Patrick Buisson a bien enregistré Nicolas Sarkozy. Renvoie au titre dans
Le Monde, 06/03/2014. @lepetitXXI

Le détournement est donc une pratique plus périlleuse que la parodie puisqu’elle expose ses auteurs à la possibilité d’une interdiction de publier, que les auteurs ou ayants droit de l’œuvre originale sont en mesure d’imposer. Il n’en reste pas moins que ces détournements mettent ou remettent en valeur des œuvres et rendent hommage aux artistes détournés. Les détourneurs de bande dessinée, en particulier oubapiens, proposent de regarder l’œuvre détournée d’un œil neuf et, par le jeu qu’ils instaurent, revigorent la lecture et incitent à la relecture.

 

Oubapo

Cette dimension ludique et pédagogique encourage chacun de nous à expérimenter ces jeux qui libèrent et stimulent nos envies de narration, de partage, de création. Tout en nous rappelant que dans le jeu, ce qui est important, c’est de jouer, et sûrement pas d’atteindre un objectif fixé d’avance.

De l’OuLiPo à l’OuBaPo*

« L’Ouvroir de littérature potentielle » est un groupe de recherche en littérature expérimentale fondé en 1960 par l’écrivain Raymond Queneau et le scientifique François Le Lionnais. Cette double paternité situe l’Oulipo au croisement des mathématiques et de la littérature : il s’agit d’associer la création littéraire aux techniques des mathématiques. Queneau a ainsi composé un célèbre texte combinatoire intitulé Cent mille milliards de poèmes en écrivant dix sonnets puis en disposant chaque vers sur une bande de papier autonome, ce qui permet d’obtenir 1014 poèmes, soit cent mille milliards. À travers la définition de Raymond Queneau, « l’auteur oulipien est un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir », se devinent les notions de jeu et de motivation, mais aussi d’expérimentation scientifique et l’idée que les procédés techniques sont les outils de création comme de sortie du labyrinthe1. C’est que la gratuité du jeu et l’arbitraire même du procédé génèrent des idées et stimulent la créativité.
La recherche oulipienne consiste donc à inventer des règles, des contraintes formelles et à les traduire sous forme de textes qui permettent, d’une part, de créer des œuvres nouvelles, d’autre part, d’exhumer les potentialités d’œuvres existantes et produites par d’autres. « Par potentialités, il faut entendre les richesses secrètes ou cachées qu’elle [l’œuvre] recèle, qui ne peuvent apparaître qu’en lui appliquant de nouvelles contraintes2 ». On pourrait aussi résumer la perspective oulipienne par l’expression « mettre la langue sous corset pour faire jaillir l’imaginaire ».
Un exemple connu de ces contraintes littéraires est la méthode S + 7 : en remplaçant, à l’aide d’un dictionnaire, chaque substantif d’un texte par le septième qui le suit dans le dictionnaire, on obtient un nouveau texte. La Disparition de George Pérec (publié en 1969) est aussi très souvent cité comme le texte qui résume le mieux les contraintes que s’imposent les chercheurs de l’OuLiPo : le récit entier est écrit sans qu’y figure une seule fois la lettre e, la plus fréquente de la langue française.
À l’intersection de tous les ouvroirs potentiels se situe un OuXPo virtuel imaginé par François Le Lionnais, dans lequel se sont inscrits de nombreux ouvroirs : l’OuPeinPo (Ouvroir de peinture potentielle), l’OuMuPo (musique potentielle), l’OuTraPo (théâtre), l’OuCuiPo (cuisine), l’OuCiPo (cinéma) et L’OuBaPo (bande dessinée).

Fondée en 1992, sous l’égide de la maison d’édition l’Association, « l’Ouvroir de Bande Dessinée Potentielle » regroupe des auteurs créant des bandes dessinées sous contrainte artistique délibérée. Les membres fondateurs sont : François Ayroles, Anne Baraou, Gilles Ciment, Jochen Gerner, Thierry Groensteen, Patrice Killoffer, Étienne Lécroart, Jean-Christophe Menu et Lewis Trondheim. Deux types de contraintes, héritées de l’Oulipo, sont expérimentées : les contraintes génératives qui permettent de créer des bandes dessinées inédites et les contraintes transformatives qui modifient des œuvres existantes. Les contraintes s’appliquent aussi bien à l’échelle de la case ou du strip que de la planche ou de l’album entier. Une œuvre oubapienne peut tout aussi bien se limiter à une contrainte précise ou en réunir plusieurs. On pourra trouver la liste de ces contraintes (liste non exhaustive car toujours en construction), leurs définitions et représentations sur le site d’Etienne Lecroart4 (membre fondateur de l’OuBaPo et également OuLiPien) ainsi que dans les Oupus publiés par l’Association qui regroupent les productions des membres de l’OuBaPo (6 recueils édités depuis 1997). On peut également s’initier avec Matt Madden et ses 99 exercices de style, variations autour d’une même anecdote, dans la filiation du célèbre livre de Raymond Queneau (L’Association).

Planche extraite de 99 exercices de style, Matt Maden, ©L’ Association

Si certaines contraintes sont directement héritées de l’OuLiPo, d’autres sont spécifiques à l’univers de la bande dessinée et ont d’ailleurs été parfois expérimentées avant la création de l’OuBaPo. Ainsi, Gustave Verbeck avec The Upside-downs of Little Lady Lovekins and Old Man Muffaro expérimente dès 1903 la réversibilité : une même planche est conçue pour se lire à l’endroit puis à l’envers. Et « des auteurs contemporains peuvent se montrer oubapiens sans appartenir à l’Ouvroir, comme Marc-Antoine Mathieu quand il utilise une contrainte de plurilecturabilité5 dans L’Origine. Si les contraintes ont été pratiquées massivement avant l’Oubapo et continuent de l’être en dehors de lui, c’est que la bande dessinée est en elle-même un médium riche de contraintes, qui invite assez spontanément à faire jouer ses codes graphiques et narratifs6 ».
D’après Etienne Lecroart, l’expérimentation oubapienne permet de créer avec un plaisir puissance 3. « Imaginer une contrainte est un plaisir. La mettre au point en procure un second. Enfin, la réaliser en offre un troisième7 ! » Le plaisir du jeu est, en effet, au cœur de cette pratique et il suffit de s’y risquer soi-même pour immédiatement le ressentir (cf. ateliers ci-après).
Du fait de la vigueur de leurs contraintes, certaines productions oubapiennes peuvent revêtir un caractère forcé, entre exercice de style et pure performance. Mais il n’en reste pas moins que ces créations nourrissent le discours critique sur la bande dessinée. Du fait de la diversité des membres de l’OuBaPo (auteurs et/ou théoriciens), la pratique est formalisée et stimulée par la théorie critique. « Ce n’est sans doute pas un hasard si la naissance de l’Oubapo et le renouvellement théorique sur la bande dessinée, porté entre autres par Thierry Groensteen, sont contemporains8 ». Les contraintes oubapiennes qui peuvent obliger à la répétition comme à l’oblitération et jouer sur les textes comme sur les dispositifs visuels amènent à déconstruire la grammaire et la syntaxe propres à la bande dessinée. « L’Oubapo, en isolant, pour les faire jouer, des codes comme la répétition des personnages d’une case à l’autre, l’ellipse ou le cadrage, aide à mieux comprendre la bande dessinée et contribue à questionner, voire à faire glisser les conceptions que l’on s’en fait. Certains exercices oubapiens de restriction, en produisant des planches muettes ou sans images, ont notamment rendu caduque l’idée reçue qui voulait que la bande dessinée soit une simple alliance de textes et d’images9 ».
Si la bande dessinée oubapienne contraint les auteurs à emprunter de nouvelles voies et ainsi à se renouveler, elle amène aussi le lecteur à changer ses habitudes de lecture. En effet, il faudra accepter d’être surpris : pas de personnage par exemple ou de mise en scène fictionnelle auxquels s’attacher. Le lecteur devra s’aventurer dans le jeu des codes, parfois cachés, modifier son sens de lecture, manipuler éventuellement le livre. Bref, plus qu’un lecteur, il devient un joueur et un enquêteur, à l’affût des signes et des indices qui lui donneront la ou les clés de compréhension. Un méta-lecteur, décodeur, capable de percer le mystère et d’en éprouver de ce fait, du plaisir. « Peut-être l’un des principaux résultats que l’on peut attendre des travaux de l’Oubapo est-il justement, sinon d’amorcer la mutation du lecteur en critique, en tout cas de susciter sur le médium un regard plus averti, d’inviter à une lecture plus vigilante, plus investigatrice et plus réflexive10 ». En décodant et en jouant, le lecteur se sent plus intelligent, et peut-être le devient-il effectivement !
Il semble bien que L’OuBaPo engage une pédagogie de la bande dessinée. En proposant d’explorer les contraintes et les codes de la bande dessinée, la démarche oubapienne invite à voir ce médium comme un terrain de jeu graphique et/ou narratif. Un terrain de jeu sur lequel nous pouvons aisément nous inviter avec nos élèves.

Compte rendu d’ateliers oubapiens

Focus sur deux ateliers : le premier réalisé dans le cadre du stage Préac BD d’Angoulême et animé par Étienne Lecroart (pour les adultes, mais réalisable avec des élèves) ; l’autre organisé au Lycée Touchard avec des élèves (Terminale) dans le cadre de la classe de français. Ces ateliers, inspirés des pratiques de l’Oubapo, proposent d’explorer de façon nouvelle les possibilités narratives du médium bande dessinée. Ils se révèlent d’une grande richesse pédagogique.

Strip collectif sous la forme du cadavre exquis

Étienne Lecroart propose au groupe installé en rond une réalisation collective en quatre cases avec un mot imposé par case. Ce mot est tiré au sort dans un corpus préparé par l’intervenant. Chaque participant réalise une case avec, comme contrainte, ce mot imposé. Ce mot, qu’il figure ou non dans le texte associé à l’image réalisée, doit servir de support à l’inspiration. Puis, chacun passe sa feuille au voisin de gauche qui réalise à son tour une case avec un nouveau mot tiré au sort (soit du même corpus, soit d’un autre). Et ainsi de suite, jusqu’à la réalisation des quatre cases. À la fin, les participants sont invités à lire, à montrer et à commenter au groupe les strips réalisés. Et puis, on recommence, car l’exercice est assez court (un temps maximum – quelques minutes – est donné par l’intervenant pour réaliser une case).

Ce que j’ai observé durant cet atelier : Les participants, même persuadés de ne pas savoir dessiner et d’être incompétents, se prêtent rapidement au jeu. Le fait que le dessin doive être expressif et non parfait, qu’il puisse être ramené à des « bonhommes patates », produit un effet décomplexant. L’aspect ludique, qui crée une émulation individuelle et collective, élimine les enjeux éventuels et permet d’être désinhibé par rapport au processus de création et d’inspiration. « En étant focalisé sur la contrainte, on se libère » (E. Lecroart). Les mots imposés des corpus sont interprétables, leur sonorité ou leur polysémie vont engager naturellement les participants à des prises de liberté : créations de jeux de mots, poésie… (Le terme métaphore du corpus Figures de style a été ainsi transformé en Méta Fort). Les mots imposés peuvent donner lieu ensuite à des discussions autour de leur définition, de leurs différents sens possibles, des représentations ou des stéréotypes qu’ils engagent, des notions de dénotation et connotation… La réinterprétation graphique du même personnage, par exemple, par quatre participants n’est pas un obstacle à la lisibilité du strip et, au contraire, dévoile la richesse des traits et des dessins, même sommaires.

Exemple d’un strip réalisé avec les termes suivants imposés : Longueur. Moyen
Âge. Plus. Révolution. Mots extraits des corpus Histoire et Mathématiques.

Planche muette

Une planche dont les textes d’origine ont été effacés est choisie par chaque participant (plusieurs choix sont possibles parmi des planches extraites d’albums de Tintin, Snoopy, etc). Un mot (ou plusieurs) est tiré au sort, qui devra figurer impérativement dans le texte inventé. Le but est bien évidemment de ne pas rechercher les dialogues probables de la planche d’origine, mais de créer quelque chose de nouveau, de drôle, d’inattendu…
Ce que j’ai observé durant cet atelier : encore moins d’inhibition chez les participants, du fait qu’il n’y a pas de dessin à réaliser ! L’humour prévaut souvent dans les dialogues des participants. C’est le (ou les) mot(s) imposé(s) qui crée(nt) les situations inventives et libèrent les participants de la logique ou de l’esprit originel de l’œuvre. L’exercice me paraît a priori encore plus simple à mettre en place avec des néophytes en bande dessinée.

Strip réalisé par un élève

En classe / Le contexte

Avec un professeur de lettres, nous avons réinvesti ces ateliers dans une classe de Terminale du Lycée Touchard. Ces élèves ont été sensibilisés toute l’année à la bande dessinée. Ils ont participé à Une Case en Plus, prix BD départemental : ils ont été amenés à lire plusieurs albums et à étudier au moins un titre en classe (dans ce cas, Le joueur d’échecs de Stephan Zweig, adapté par David Sala dont ils ont dû analyser plusieurs planches). Ils ont été initiés au lexique de l’image, aux notions de découpage et de mise en page. Au niveau pratique, ils ont été confrontés à l’adaptation d’un extrait de texte (L’Adversaire d’Emmanuel Carrère) qu’ils ont mis en scène sous la forme d’une planche de bande dessinée.
Les exercices oubapiens peuvent constituer une excellente introduction à l’étude de la narration en bande dessinée. Dans cette classe, pour des raisons annexes, ils ont été introduits en cours et en fin de séquence. Vu la sensibilisation des élèves à la bande dessinée durant l’année, il n’y a eu aucun problème de compréhension ni de réalisation dans ces ateliers. Les élèves savent par exemple distinguer un texte relevant du commentaire narratif d’un texte relevant du dialogue et en créer ; ils ont aussi une idée de l’ellipse narrative.

Intérêts pédagogiques des ateliers oubapiens

– L’exercice consistant à compléter des planches muettes s’est révélé à la fois récréatif et stimulant pour les élèves. Beaucoup ont voulu choisir plusieurs planches pour renouveler l’exercice. Nous avons compilé les travaux pour que chaque élève puisse lire ce que les autres avaient réalisé.
– En termes d’apports pédagogiques à la classe de français, un tel exercice se révèle bénéfique puisqu’il permet à l’élève :
* de réinvestir un savoir acquis en cours (vocabulaire, sens de la narration, ellipse, etc.)
* de faire travailler et de valoriser son imagination, capacité souvent exclue de la classe au profit de lectures « analytiques ».
* de montrer une autre facette de sa personnalité : non plus l’élève qui attend ou suit le cours, mais l’élève qui participe à un projet collectif au sein de la classe et dont les choix sont pris en compte, à la fois pour lui-même et pour le groupe.
– Cette même classe a participé au concours Remplis ta bulle (organisé par l’académie de Limoges et la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême). Ce concours, inspiré par les travaux de l’Oubapo, propose aux élèves de construire une histoire en deux planches en s’appropriant l’ensemble des cases spécialement conçues pour l’occasion par Étienne Lecroart. Nous avons choisi l’option 1 du concours, soit une réalisation individuelle consistant à organiser une double planche avec l’ensemble des 18 cases proposées par l’auteur (cases visibles et téléchargeables à partir de divers sites académiques, cf. bibliographie).
L’exercice n’est pas sans difficulté. Il ne suffit pas de mettre en œuvre et de respecter les contraintes, il faut aussi raconter une histoire qui soit lisible pour un lecteur. Or, parmi les 18 cases proposées, certaines semblent n’avoir aucun lien avec les autres. La difficulté pour les élèves est de créer des relations entre ces images imposées. Cela nécessite une certaine familiarité avec la narration en images : connaître le potentiel des ellipses, être capable de jouer avec la nature polysémique des images (images métaphoriques, images mentales et pas seulement images descriptives). Le texte qui fera le lien entre ces images disjointes – en particulier le commentaire narratif – prend ici toute sa valeur. Parmi les difficultés rencontrées notamment par les élèves, citons la chute narrative, difficile à maîtriser. L’exercice permet ainsi aux élèves de se confronter au schéma narratif.
L’intérêt pédagogique de cet exercice est la représentation concrète de ce qu’est fondamentalement un récit, à savoir un début et une fin, et surtout une fin surprenante, similaire aux « nouvelles à chute » de Guy de Maupassant, par exemple. C’est pourquoi, à travers l’agencement de vignettes, on réfléchit à la réalisation d’un scénario, à la fois plausible et structuré (jeux sur les temps, les analepses, les prolepses, les ellipses, etc.), tel qu’on peut le rencontrer dans un texte. Cela donne des clés de lecture pour analyser les textes en profondeur, puisqu’ayant pratiqué un montage autour d’un récit, on va chercher à faire apparaître par la suite, dans une démarche réflexive, le plan prévu par un auteur, ce qu’il a voulu mettre en valeur. L’élève reviendra sur la manière dont il a placé ses vignettes pour faire avancer son histoire. Réfléchir de manière ludique sur la narration permet ainsi de mieux la comprendre, de l’appréhender différemment. Devenir soi-même scénariste, même pour un travail donné, c’est concevoir de l’intérieur les principes de construction d’un récit, l’échafaudage délicat d’un texte, c’est donc, déjà, en donner une analyse plus juste, puisque réfléchie en amont.

On voit que ces exercices oubapiens ne nécessitent pas de grands prérequis de la part des élèves. On peut espérer que tous ont déjà lu une bande dessinée et ont intégré la notion d’ellipse entre les images. Il est conseillé de débuter par les planches aux textes effacés avec termes imposés, puis de très vite passer à d’autres expériences et évidemment d’élaborer avec son groupe classe ses propres contraintes. On peut même imaginer une sorte de jeu par équipes où chaque groupe imposera ses règles aux autres.
Le must serait de créer un projet associant professeurs d’arts plastiques, de lettres et de mathématiques. Car chacun pourra nourrir l’atelier avec sa discipline. L’aspect ludique désinhibe et suscite l’envie d’expérimenter encore et encore.

Et seuls restent les ados…

Accident

Deux romans classiques ont inauguré ce genre en utilisant le prétexte de l’accident pour isoler leurs groupes de jeunes protagonistes. Tout d’abord, l’indémodable Deux ans de vacances de Jules Verne, paru en 1888 et qui met en scène un groupe d’une dizaine de jeunes garçons dont le bateau fait naufrage et s’échoue sur une île déserte, obligeant les rescapés à s’organiser pour survivre. Inspiré de l’aventure de Robinson Crusoé, ce texte ajoute toutefois, au jeune âge de ses personnages, les aléas liés à la vie en communauté. Le groupe est ainsi sujet à de fortes tensions menant à la création de différents clans, jusqu’à ce que ceux-ci soient contraints de s’unir lorsque l’île est attaquée.
Après, cette fois-ci, un accident d’avion, les héros de Sa majesté des mouches de William Golding, édité en France en 1956, font face aux mêmes difficultés que leurs prédécesseurs. Ils sont isolés sur une île inconnue où il leur faudra apprendre à survivre ensemble sans perspective de sauvetage. Les réactions sont alors les mêmes – des clans se forment, des chefs se révèlent, des rébellions couvent –, mais l’auteur va plus loin en menant son groupe jusqu’aux frontières, et au-delà, de la barbarie. Ici la question des rapports de pouvoir et de l’inhumanité qui surgit quand plus aucun contrôle n’est exercé est poussée à l’extrême.
Plus récente, la série Horizon de Scott Westerfeld s’appuie sur le même ressort dramatique en ajoutant toutefois une dimension fantastique au récit. En effet, le tome 1, Crash, débute par l’accident d’avion qui ne laisse pour survivants que huit adolescents, et l’environnement dans lequel ils se réveillent diverge complètement de ce à quoi on aurait pu s’attendre : tombé au-dessus de l’Arctique, l’avion et ses passagers se retrouvent mystérieusement perdus au milieu d’une jungle non identifiée. Par ailleurs, les épreuves auxquelles ces derniers devront faire face ne semblent pas toujours naturelles, mais seront l’occasion dans ce récit de faire plutôt valoir les qualités de chaque personnage et d’afficher des valeurs de solidarité. L’origine de tout cela est-elle vraiment due au hasard ou les adolescents sont-ils devenus malgré eux les sujets d’une expérimentation dont ils ne savent rien ?

Image tirée du film de Peter Brooke, Sa majesté des mouches,
adaptation du roman de William Golding (1963)

Expérimentation

La mise en quarantaine volontaire de groupes d’enfants ou d’adolescents par des adultes se retrouve fréquemment dans les romans dystopiques et de science-fiction. Aucunement le fruit du hasard, cette situation est entièrement mise sur pied, pour différentes raisons, par des personnes de pouvoir et revêt alors un caractère particulièrement cruel.
La série la plus connue utilisant cette configuration est bien sûr Hunger Games, de Suzanne Collins. À des fins purement récréatives, le Capitole organise et met en scène des jeux mortels télévisés qui nécessitent d’enfermer dans une immense arène 24 jeunes poussés à s’entre-tuer. Plus ou moins livrés à eux-mêmes (ils gardent tout de même un faible lien avec l’extérieur grâce au « coach » de leur équipe et aux cadeaux, s’ils ont la chance d’en recevoir), les adolescents de 11 à 18 ans reproduisent des comportements liés aux différences de classes sociales qui régissent leur société, et mettent en place des systèmes de défenses entre rivalité, alliances et solidarité.
Le cycle L’Épreuve de James Dashner débute avec Le Labyrinthe, son premier volume, dans lequel un adolescent, Thomas, se réveille dans un lieu inconnu qui s’avère justement être… un labyrinthe. S’apercevant qu’il n’y est pas seul, il rejoint un groupe de jeunes, présents pour certains depuis plusieurs années. Ceux-ci se sont organisés en société et ont mis en place une méthode pour tenter de trouver une issue. C’est ainsi que Thomas intègre l’équipe des coureurs qui s’activent tous les jours dans les couloirs, en échappant aux araignées mécaniques géantes, pour tenter de dessiner un plan de leur prison.
Sur le même principe, Em, l’héroïne de la saga The Generations de Scott Sigler, se réveille, amnésique, dans un cercueil. Autour d’elle, d’autres cercueils, desquels sortent d’autres adolescents, persuadés qu’ils ont douze ans quand ils en ont en réalité dix-sept. L’enjeu, là encore, est de parvenir à garder le groupe soudé pour trouver un moyen de s’échapper et comprendre de quelle machination ils sont la cible.
Cette thématique, propice à la création de séries dystopiques young adult et principalement portée par une production anglo-saxonne, se retrouve aussi dans le roman de Jeanne-A. Debats, Pixel noir. Pixel, un jeune génie de l’informatique, vit dans à une époque évoluée où l’on traite les graves problèmes de santé en plongeant les personnes dans un Virtuel de Repos, pour les soigner sans qu’ils souffrent. Victime d’un accident, il est plongé dans le coma et se retrouve à évoluer dans une réalité virtuelle en compagnie d’autres adolescents. C’est l’occasion pour lui, alors qu’il se trouve confronté à des luttes de pouvoir, de mettre à jour les failles de cette technologie et de tout mettre en œuvre pour sauver la vie de tous ceux qui y sont coincés.

Conquête spatiale

Comme dans Hunger Games, la saga Phobos, de Victor Dixen, met en scène une sorte de télé-réalité. Dans celle-ci, six jeunes sont filmés au cours de leur voyage pour Mars, un aller sans retour, dans le but de créer la première colonie humaine sur la planète rouge. Les quatre tomes permettent d’observer les relations qui se nouent, souvent tronquées par les manipulations des commanditaires du programme spatial, entre les personnages et leurs conséquences sur l’évolution de l’aventure.
C’est presque le même scénario que l’on retrouve dans 172 heures sur la Lune, écrit en un volume par Johan Harstad quelques années plus tôt. Cette fois-ci, les adolescents, en huis clos dans une fusée, ne sont que trois et se dirigent tout droit vers la Lune. Encore une fois, le groupe est soumis à des aléas aussi bien techniques que fantastiques.
Enfin, Les 100 de Kass Morgan, adopte le procédé inverse. Ici, alors que la population est exilée depuis plusieurs siècles dans une colonie spatiale à la suite de la contamination radioactive de la planète bleue, cent adolescents condamnés à mort sont renvoyés sur Terre pour tester la viabilité du lieu. Si seuls quatre personnages sont choisis pour être les narrateurs de cette histoire, le récit est forcément marqué par le nombre, beaucoup plus important, de protagonistes, et les actions des différents clans qui se forment.

Catastrophes

L’un des scénarios privilégié pour arriver à la disparition complète des adultes est celui de la catastrophe, amenant alors les personnages à évoluer dans un univers post-apocalyptique.
À cet égard, la série U4 s’avère particulièrement intéressante. Quatre tomes, écrits par quatre auteurs, mettent en scène quatre héros et héroïnes faisant partie des quelques adolescents ayant survécu à un virus. Le reste de la population mondiale a succombé et ceux qui vivent toujours se retrouvent coupés les uns des autres, dès lors que les moyens de communication ont aussi été coupés. Jules, Koridwen, Yannis et Stéphane, bien que ne se connaissant pas, ont toutefois le même objectif, celui de rejoindre Paris le 24 décembre pour arrêter la catastrophe, comme le leur a demandé un mystérieux personnage via une plateforme de jeu vidéo. Les quatre volumes suivent ainsi chacun de ces jeunes à travers leur périple pour rejoindre la capitale.
Seuls au monde, d’Emmy Laybourne, nous propose une version environnementale du roman de catastrophe. Poussés à se réfugier dans un supermarché par une tempête hors du commun, Dean et Alex font partie des rares enfants et adolescents qui survivent au déchaînement climatique qui plonge la ville dans le chaos. Le tome 1, Les Rescapés du Greenway, s’attache ainsi, comme bien d’autres romans avant lui, à décrire les mécanismes de survie et la nouvelle organisation de ce petit groupe, tandis que les opus suivants mettront un terme à ce huis clos en faisant sortir les protagonistes du supermarché où ils s’étaient installés.

Disparition mystérieuse des adultes

Enfin, certains auteurs ne s’embarrassent pas de justifications pour laisser les enfants et les adolescents entre eux et procèdent à la disparition pure et simple des adultes pour une raison qui reste
mystérieuse.
La bande dessinée Seuls, de Gazzotti et Vehlmann, est la première production à laquelle nous pensons lorsque cette thématique est abordée. Le premier volume, intitulé La Disparition, met justement en place ce procédé par le regard de cinq enfants qui s’aperçoivent un matin que le reste de la population s’est tout simplement évaporé. C’est en partant à la recherche de leurs proches qu’ils vont se rencontrer et former alors leur propre clan. D’autres bandes d’enfants feront leur apparition au fil des tomes, alliées ou ennemies. L’intrigue, liée à la disparition des habitants, commence à se dénouer assez tôt dans la série, mais d’autres événements prennent ensuite le dessus et alimentent le suspense.
Survivre de Jeanne Bocquenet-Carle suit un procédé similaire. Le lecteur est amené à suivre le parcours de sept jeunes (deux enfants et cinq adolescents), alors que les adultes ont soudainement disparu. Pour se mettre en sécurité, le petit groupe devra affronter bandes armées, intempéries et animaux sauvages. Si le résumé de ce roman ressemble à celui de nombreux autres, ce texte présente tout de même une particularité dans l’environnement proposé : l’aventure se déroulant en Bretagne, l’autrice a pu distiller des éléments issus des légendes celtiques.
Pour finir, la série Gone de Michael Grant, débute par une situation tout aussi improbable dans une petite ville de Californie où tous les habitants de plus de 15 ans disparaissent d’un coup. L’un des personnages principaux, Sam, voit notamment son professeur d’Histoire se volatiliser devant sa classe. Tout au long des six tomes (d’autres sont à venir), les survivants sont enfermés dans leur ville, sans savoir ce que sont devenus les adultes. C’est ainsi qu’ils doivent s’organiser comme une communauté, dans un contexte de plus en plus marqué par le fantastique et les rivalités.
Les mécanismes des romans pour adolescents construits autour de la thématique de la disparition des adultes présentent un modèle de récit récurrent. Les ressorts sont souvent les mêmes, ainsi que les rôles des personnages. Et par-dessus tout, il semble que la fonction de ces ouvrages est toujours de véhiculer les mêmes principes : en plaçant les protagonistes dans un environnement exceptionnel, où les problématiques liées à la survie sont exacerbées, l’auteur s’attelle systématiquement à promouvoir des valeurs de solidarité, d’amitié et d’humanité.

Appel à contribution : Oralité(s)

L’introduction d’un Grand oral terminal aux épreuves du nouveau Baccalauréat, dès 2021, met en avant l’importance de la maîtrise de l’oral, levier pour « faciliter la réussite scolaire, l’insertion sociale et le développement professionnel », elle est à ce titre perçue comme la maîtrise d’« une parole juste, soucieuse de l’autre et de sa propre singularité, expression d’une culture étayée et bien appropriée, nécessitant un apprentissage et une formation pour développer la confiance en soi et la capacité à interagir avec les autres » (Séminaire du Plan National de Formation, mai 2019). Alors qu’une réflexion se met en place autour des questions de cet « art de parler », le rôle de l’école est souvent pointé. « Parler reste une activité fondamentale » écrivait Jack Goody en 2007, précisant : « Parler est toujours une activité qu’il est important de cultiver, même dans les écoles où l’objectif premier est d’apprendre à écrire ». Certains rapports et/ou articles récents évoquent un positionnement biaisé par le développement d’une culture de l’écrit, l’écrit restant souvent associé à la culture savante, tandis que l’oralité relèverait plutôt de la culture populaire. Comment dès lors concilier l’oralité première de situations de communication « ordinaire » et l’oralité seconde encouragée et travaillée par l’écrit, médiatisée ?

Ce dossier intitulé Oralité(s) vous invite à faire part de vos réflexions et de vos retours d’expériences, qu’ils relèvent de l’expression orale et des compétences associées ou encore des apprentissages propres à l’oralisation de l’écrit au sein de dispositifs info-communicationnels singuliers liant l’oral aux littératies informationnelles : éloquence, oral réflexif du débat par exemple, gestes de l’oral, espaces, murs de parole, silences… Les pratiques enseignantes doivent être abordées avec nuance, notamment, entre le fait d’enseigner l’oral et celui de préparer à des oraux. Cette problématisation éclaire une didactique de la communication au cœur des préoccupations info-documentaires et du développement de la culture informationnelle. Vos contributions pourront nourrir les réflexions portant entre autres sur :

• Parler, s’exprimer, écouter et débattre pour apprendre : la culture de la rhétorique, l’art de parler, d’argumenter, l’éloquence.
• Les différentes formes d’oral et de communication.
• La maîtrise de la langue comme instrument de pouvoir.
• Un art plutôt qu’un don ? Existe-t-il des clés pour cela ? Quelles méthodes ? Quels outils et dispositifs support ?
• Une littératie avec ses codes : compétences orales et compétences littéraciques inscrites dans la culture informationnelle
• Le corps, la voix, les émotions.
• Diversité des ressources, dispositifs et activités : lecture à voix haute, web radio, Web TV, théâtre, concours, chant, chorale ; podcasts, livre audio, clip sonore, video, webdoc, booktubes…

À quoi on joue ?

Marion, journaliste en herbe, 10 ans

« Je vais vous présenter trois livres. Je les aime car ce sont des enfants qui jouent à des jeux, mais finalement, ce n’est pas si drôle que ça… Dans le roman Secrets.com, de Florence Hinckel, des enfants décident de créer un site Internet dans leur collège. Tous les élèves peuvent y déposer leurs secrets, leurs problèmes, de façon anonyme. Mais très vite, le site devient un terrain de jeu, et c’est n’importe quoi ! Un roman qui nous montre qu’on ne peut pas jouer n’importe comment avec Internet, et que ça peut devenir très dangereux.
Car les jeux de l’école peuvent devenir très cruels. Nous, les enfants, on n’est pas toujours très sympas entre nous ! Vous avez déjà lu Le Jeu des 100 robes, d’Eleanor Estes ? Eh bien, dans ce livre, les enfants d’une école inventent un jeu super cruel pour se moquer d’une camarade de classe qui se vante d’avoir 100 robes, alors qu’elle porte toujours la même. Mais les enfants finissent par regretter. C’est vraiment une très jolie histoire, que je vous conseille vivement de lire.
Enfin, j’ai beaucoup aimé le roman Changement de famille, d’Elenore Cannone. Des enfants qui ne supportent plus leur famille décident de jouer à un jeu étonnant : échanger leurs familles pendant quelques jours ! Perso, je n’aimerais pas… et d’ailleurs, au bout d’un moment, ils s’aperçoivent que ce n’est pas forcément si simple, et ce simple jeu les fait finalement beaucoup réfléchir. »
Léo, journaliste enquêteur, 11 ans
« Salut ! Moi, c’est Léo. Ma spécialité ? Jouer aux détectives ! Espionner ma sœur, les profs, les copains, j’adore ! Mon rêve ? Mener une véritable enquête un jour ! En attendant, lire les aventures de jeunes héros qui résolvent des énigmes me passionne. J’adore les aventures des Cousins Karlsson, dans les romans de Katarina Mazetti. Toute une bande de cousins se retrouve chaque été sur l’île de leur Tante Frida, et à chaque fois, d’étranges événements se produisent… Une occasion unique de jouer aux héros et aux policiers ! Dans le roman Monstre et mystères par exemple, ils enquêtent sur un mystérieux groupe d’individus masqués qui sévit dans l’île…
J’ai aussi adoré Murder party, d’Agnès Laroche. Un groupe d’enfants et d’adolescents décide d’organiser, pour l’anniversaire de l’un d’entre eux, un jeu de rôle, de nuit, dans une forêt… avec des faux cadavres, du sang, enfin tout, quoi ! Plutôt flippant, non ? Surtout que… ben il y a finalement un vrai cadavre. Le jeu prend alors un autre tour, beaucoup moins sympathique…
Et puis il y a mes héros, Noé et Vague ? Vous les connaissez ? Dans L’Œil du témoin, de Carole Martinez, ils sont témoins d’un meurtre dans un village, quelque part au milieu des Vosges… Ils décident alors d’enquêter, et ce qui pourrait n’être qu’un jeu de gamins devient finalement une véritable enquête, sous les sombres sapins des Vosges… Avouez, vous commencez à flipper, là, non ? Eh ben, lisez le livre alors ! »

Kumba, journaliste sous couverture, 13 ans

« Bonjour chers lecteurs ! Moi aussi j’adore lire des romans où les héros jouent et s’amusent. Mais moi, j’aime surtout quand le jeu devient plus sérieux, et quand la frontière avec la réalité devient tout à coup plus fragile… Je vous conseille particulièrement La Double vie de Cassiel Roadnight, de Jenny Valentine. Au début de l’histoire, on découvre un jeune homme complètement perdu, qui erre sur les routes… On ne sait pas très bien qui il est, et je crois que lui non plus n’en sait pas grand-chose. Et puis, c’est le choc. Des villageois reconnaissent en lui l’un des habitants de leur village, disparu voici déjà très longtemps… Cassiel n’a pas le temps de réfléchir, et décide de jouer à être cette personne… Mais le jeu s’avère très périlleux…
Vous aimerez aussi, je pense, les aventures de Damienne, dans le roman Meilleur jeune espoir féminin, de Marie-Sophie Vermot. Fille d’une employée de maison, la jeune fille rêve de rencontrer la bande de jeunes hyper cool qui traîne sur la plage. Mais ils sont riches, elle est pauvre. Damienne va alors jouer à devenir quelqu’un d’autre. Désormais, elle est Isild, une jeune bourgeoise de bonne famille… Mais peut-on renier aussi facilement ses origines ? Le jeu n’est-il pas quelque peu dangereux ?
Et puis il y a Evangeline ! Dans le roman Rock and love, de Wendelin Van Draane : c’est la reine du jeu ! Jeune fille calme et studieuse, Evangeline en a assez. Elle veut connaître le grand amour, et surtout, le plus beau baiser ! Elle imagine alors un jeu… étonnant : elle va tester tous les garçons du lycée pour découvrir celui qui lui fera le plus beau baiser d’amour. Elle change de look, et endosse le rôle d’une fille déterminée, prête à découvrir le grand frisson ! Mais attention jeune fille, tu joues à un jeu bien périlleux…

Yun, journaliste comme une grande, 12 ans

« Alors moi, ce que j’adore, ce sont les livres où les enfants jouent comme des grands. Vous savez, les livres où ils se retrouvent tous seuls, et où ils décident de jouer aux adultes. Bien évidemment, vous connaissez tous Les Enfants de Timpelbach, le roman de Henry Winterfeld, qui a d’ailleurs été adapté au cinéma ? Les enfants de Timpelbach se réveillent dans un village déserté par les adultes, exaspérés de leur polissonnerie. Ils devront survivre comme ils peuvent, et surtout s’entendre ! Car à force de jouer à n’importe quoi, il est temps pour eux de jouer à être grands !
Vous connaissez aussi La Guerre des boutons, de Louis Pergaud. Quelque part dans l’est de la France, deux bandes de gosses se font la guerre comme des grands. Et là-bas, le jeu, on le prend très au sérieux !
Et puis, il faut vraiment découvrir les aventures des Enfants terribles de Bonaventure. Dans ce roman de Cécile Hennerolles, dans les années 1950, sur une île oubliée de tous, une bande d’enfants passe ses journées à jouer, à construire des cabanes, et de temps à autre, à travailler. Mais lorsque les élus locaux décident de relier l’île au continent par la construction d’un pont, les enfants s’allient aux adultes pour faire annuler le projet, et s’amusent, chaque nuit, à terroriser les ouvriers… »

Elric, journaliste baroudeur, 15 ans

« Alors moi, ma spécialité, ce sont les romans d’aventures. Il faut que ça déménage ! Alors quand j’ai vu en librairie le roman L’Espoir sous nos semelles, d’Aurore Gomez, j’ai tout de suite su qu’il était pour moi : pour sauver sa famille, Juno, une jeune fille, décide de participer à un jeu de télé-réalité. Mais un jeu quelque peu particulier : elle doit marcher en haute montagne durant des jours, dans des conditions parfois très difficiles, pour espérer arriver la première. Enfin, espérer arriver tout court… car tous les participants ne survivent pas… Un roman qui m’a scotché dans mon fauteuil.
J’ai aussi adoré le roman Et à la fin il n’en restera qu’un, de Jean-Luc Luciani. Dans un jeu de télévision, dix participants sont réunis. Ils doivent fuir face à des tueurs qui veulent leur peau. Mais ici, le jeu est bel et bien réel, les balles sont vraies, et il n’en restera vraiment qu’un à la fin… »

 

@en ligne :

Sur notre site www.intercdi.org seulement, retrouvez le Thèmalire « Le jeu vidéo dans la littérature pour adolescents » d’Hélène Zaremba.

 

 

 

 

Sauvez Ariane ! Concevoir un escape game avec des élèves

La pédagogie actuelle va plutôt dans le sens de proposer un escape game aux élèves « fabriqué » par l‘enseignant pour assimiler des notions de cours. J’ai choisi un positionnement différent : entreprendre la création d’un « jeu d’évasion » avec des élèves ; cela semble ambitieux, mais c’est possible lorsqu’on a du temps. J’organise depuis longtemps des activités sous la forme de clubs et j’avais envie de « tester » ce phénomène à la mode avec des volontaires, notamment sa conception de A à Z. J’ai ainsi monté cet atelier sur inscription dans le cadre du FSE. Les élèves devaient venir une fois par semaine 1 h au CDI, de 12 h à 13 h, d’octobre à juin, ce qui constitue environ 20 séances. Une seule condition : être régulièrement présent à l’atelier, car ce projet n’est possible que sur la durée, avec un groupe assidu. Ce n’est pas une activité ponctuelle ; il faut du temps pour concevoir, parce qu’il est nécessaire de passer par toutes les étapes : découverte du jeu, choix d’un thème commun, création d’un scénario, d’énigmes, du décor, et mise en œuvre pour d’autres élèves. C’est aussi l’occasion de faire intervenir certaines compétences du socle commun : écrire une histoire ensemble, la raconter, faire des recherches, utiliser des logiciels pour les présentations, la retouche d’image…
Voici comment j’ai procédé pour aider ce groupe, composé de 10 élèves de 6e et 5e, à concevoir un jeu qu’ils ont intitulé « Sauvez Ariane ! ».

Un escape game, qu’est-ce que c’est ?

Les escape game viennent du Japon et se présentent à l’origine sous la forme de jeux vidéo appelés « escape room » : le but est de s’échapper, par la résolution d’énigmes, d’une pièce où le joueur est enfermé. Depuis quelque temps, des organismes en proposent en taille réelle, et des salles ouvrent un peu partout en France pour vivre une expérience en famille ou entre amis. Les participants, enfermés dans une salle à thème, doivent tenter de s’évader en moins de 60 minutes. Une série d’énigmes organisées et scénarisées les plongent dans un univers particulier et les incitent à collaborer pour se délivrer.
La première étape à observer dans le projet de conception d’un tel jeu est ainsi de bien définir ses principes. Les élèves inscrits à l’atelier en avaient entendu parler et se montraient très curieux, mais n’avaient jamais participé à une session réelle. Nous avons donc commencé par expliquer les grands principes et règles du jeu, puis listé le nombre de tâches à observer pour la création. La présentation de boîtes de jeux de société (il en existe beaucoup aujourd’hui sur des thèmes très variés) et l’acquisition de quelques livres ont permis d’enrichir leur représentation et la projection du projet. Quelques séances ont été consacrées à jouer ensemble, afin de se familiariser ; c’était indispensable, mais les élèves ont rapidement exprimé l’envie de se mettre à la réalisation.
D’emblée, un premier problème est apparu : le manque de temps. Les jeux proposés dans le commerce proposent des résolutions en une heure, mais en collège un cours ne dure que 55 min. Il fallait donc concevoir un jeu qui respecte cette condition, puis penser à le limiter à 4 ou 5 élèves pour une session, tout en respectant l’aspect collaboratif qui caractérise ce type de jeu, fondé sur l’entraide.

Choisir un thème

Avant de se lancer dans un scénario, il fallait imaginer un cadre précis, un thème qui détermine tout l’univers du jeu, un « fil rouge ». Il s’agit d’un choix très important, puisque tout le jeu est inévitablement en rapport avec ce thème de départ : décors, énigmes, trame narrative… et il est donc bien entendu impossible de le changer en cours de route. Une séance de brainstorming (remue-méninges) a permis de récolter les idées de chaque élève, même les plus farfelues. Beaucoup d’idées intéressantes ont émergé de ce premier travail : la fin du monde, les pirates (qui sera d’ailleurs le prochain thème), les jeux de cartes, la prison, un train « comme Agatha Christie », un bateau qui coule comme le Titanic… Mais le choix des élèves s’est porté à l’unanimité sur le thème de la « maison hantée », par « envie de faire peur ! » Une heure suffit pour ce travail préalable ; l’adhésion de tout le monde au thème conditionne grandement le succès du projet.

Écrire un scénario

Après le choix du thème, il était temps de créer une histoire logique, un scénario qui tienne debout avec des questions précises à se poser : pourquoi les joueurs sont-ils enfermés ? Que cherchent-ils ? Dans un escape game le terme de « scénario » est utilisé parce que le jeu est visuel et vécu. Pour la réalisation d’un film, le scénario est l’étape finale du développement du projet. Il combine l’écriture et les faits visuels ou visibles. Sans aller jusque-là, il est important de savoir où l’on va et pourquoi : le plongeon dans l’histoire, l’intrigue qui se déroule, a un rôle motivant pour les participants. Le scénario sera bien entendu étoffé, précisé, affiné au fur et à mesure de la construction des énigmes, mais il est essentiel d’en tisser la trame. J’ai donc séparé les élèves en trois groupes, afin de réfléchir à un scénario plausible, avec des contraintes pour les guider : un lieu, des personnages, une histoire courte, simple qui se serait passée dans cette maison avec 3 ou 4 protagonistes au maximum. Cela a donné lieu à plusieurs histoires que chaque groupe a présentées. Finalement, nous n’avons pas retenu une histoire en particulier, mais plutôt réalisé un mélange mariant les meilleures idées !
Cette étape est intéressante, parce qu’elle fait intervenir l’imagination des élèves avec les circonstances de la situation actuelle qui génère le jeu, les noms des personnages qu’ils vont incarner et une ébauche de décor. Ce scénario n’a pas besoin d’être long, mais il doit préciser les grandes lignes de l’histoire et l’événement qui motive la situation de jeu.

Créer des énigmes

Cette étape s’est avérée la plus compliquée à réaliser avec des élèves de ces niveaux (6e et 5e). Le jeu s’adressant à des collégiens du même âge que ceux qui le réalisent, il fallait créer des énigmes simples, ludiques, pas trop longues et en nombre limité, puisque le temps est lui aussi raccourci. Les élèves ont choisi de créer un jeu d’énigmes à résoudre en 30 minutes. Varier les plaisirs avec des jeux de lettres et de chiffres, des énigmes visibles et cachées, permet de surprendre, de maintenir l’attention/la tension. Les énigmes doivent être originalesm: il faut cacher des éléments, combiner, sans que ce ne soit trop linaire, même si quelques éléments restent solidaires, répartir et construire… pour mener à la solution par la résolution du code du cadenas qui tient fermée la porte d’Ariane. Cette étape de la conception du jeu est à la fois la plus cruciale et la plus compliquée à mettre en œuvre.
Durant trois à quatre séances, les élèves sont laissés libres dans leurs recherches d’énigmes avec, à leur disposition, des livres d’énigmes achetés pour l’occasion, Internet et leur imagination. Ils ont vite compris que le thème d’ensemble était primordial, en proposant des solutions le faisant systématiquement intervenir : charade pour trouver le mot « fantôme », mélange de lettres pour trouver le nom « Ariane », chiffres pour le code du cadenas…

Décorer

Dans cette aventure il est indispensable de consacrer une partie du CDI ou une petite salle attenante à ce jeu. J’ai la chance d’avoir trois petites salles vitrées dont une sera mobilisée pour l’installation d’un décor. Pour les élèves, la décoration est l’étape la plus amusante. Chercher des objets en rapport avec le thème choisi, c’est l’occasion aussi de réfléchir aux signes récurrents d’une maison hantée. Le décor à mettre en place ne coûte pas cherm: il suffit de récupérer du matériel dans son entourage, chez soi, dans la famille, auprès des enseignants. Ils ont joué le jeu en apportant des objets, semaine après semaine, consciencieusement.
Avant de lancer le jeu, il faut aussi imaginer la création d’une ambiance pour accueillir les joueurs : déguisements pour incarner les différents rôles de l’histoire, textes pour présenter le jeu et guider, bruitages, fonds sonores, musique… Il a fallu enregistrer leurs voix, les déguiser, faire des photos, des films. Ce sont des moments qui demandent aussi de la concentration et de l’investissement de la part des élèves pour être aboutis, et qui participent vivement à la mise en scène théâtrale. Des effets spéciaux sont aussi prévus : des jeux de lumière et des effets sonores diffusés par l’intermédiaire d’un téléphone portable.
Ensuite des cartes d’invitation, en fonction du thème, ont été créées pour inviter des élèves du collège à participer.

Scénario (suite)

Dans un escape game, il existe toujours un « maître du jeu » pour accueillir les joueurs. Ici, le majordome donnera les consignes et la servante racontera l’histoire tragique d’Ariane.

Pour augmenter le stress des joueurs, nous lançons un compte à rebours sur le vidéoprojecteur et un minuteur dans la salle de jeu.

Mise en œuvre

Des tests grandeur nature sont nécessaires. Les élèves ont donc invité des copains et copines à « tester ». Cela permet d’éviter les écueils. Nous avons par exemple réalisé que nous n’avions pas vraiment pensé à un éventuel échec des participants, et que prévoir des petits coups de pouce si les joueurs s’enlisent dans les énigmes était primordial. Nous avons donc décidé à ce moment-là qu’un des élèves serait le guide si les joueurs restaient bloqués, distillerait des indices, et pénétrerait même dans la salle si nécessaire.
Ces tests ont donc permis de repérer des erreurs de conception, mais surtout, les élèves ont pu s’entraîner à « jouer » leur rôle. Il faut noter qu’il est bien sûr impossible de réellement enfermer à clé des élèves dans une salle, donc nous sommes restés à proximité pour éviter qu’ils n’en sortent ; la salle étant par ailleurs vitrée, nous pouvions observer leur comportement.

L’apprentissage par la conception d’un jeu

Le but premier de cette activité n’était pas pédagogique, simplement ludique. Toutefois, rapidement, nous avons repéré les compétences qu’elle nécessite et construit. Ici, ce n’est pas le résultat qui est important, mais le cheminement pour y arriver et le degré d’implication des créateurs. La ludification, c’est-à-dire le fait de s’appuyer sur les mécanismes du jeu pour les convier dans les apprentissages, s’est inévitablement invitée.
Certaines compétences du socle ont été nécessaires et peuvent aussi être évaluées, parmi lesquelles :
• Compétence 1 – lire, écrire, dire : réflexion (créer une histoire, imaginer des énigmes, s’approprier une ambiance particulière) ; création (énigmes, décors), jeu d’acteur (expression orale, se mettre en scène) ; expression écrite (raconter, maîtriser la langue) ;
• Compétence 4 – la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication : s’informer, se documenter (recherche sur le thème, énigmes…) ; s’approprier l’environnement informatique de travail (créer des dossiers pour enregistrer les travaux) ; créer, produire, traiter, exploiter des données (utiliser des logiciels de présentation) ;
• Compétence 7 – l’autonomie et l’initiative (s’impliquer dans un projet collectif, savoir travailler en équipe et prendre des initiatives pour le groupe).

Les élèves restent acteurs de leur apprentissage. Si, pendant le déroulement du jeu, ils développent entre eux une collaboration nécessaire, il en est de même pour sa création. Il est souvent question de la participation des élèves à un escape game pédagogique, moins de la création par des élèves. Ce qui m’intéressait n’était pas de faire passer des notions pédagogiques à tout prix, mais plutôt de développer un esprit de création et de collaboration par la conception. Au cours de discussions avec ce groupe, il ressort qu’ils ont beaucoup apprécié de « créer ensemble », alors que certains ne se connaissaient pas au départ. Ils avouent avoir eu un peu peur, ne sachant pas comment s’y prendre, mais, bien guidés, ils sont fiers du résultat et n’ont pas honte de le proposer aux élèves du collège. Ils ont aussi émis la volonté, après chaque session, d’expliquer aux joueurs leur cheminement vers ce résultat.

L’escape game

Scénario

Ariane est enfermée dans l’un des cachots de son manoir par le fantôme qui hante les lieux, alors qu’elle voulait partir le jour de ses 18 ans. Elle a besoin d’aide. Dans ce manoir vivent avec elle un majordome prénommé Edward et une vieille femme, Madeleine, la servante.
Les joueurs sont invités au manoir pour une fête et se retrouvent piégés par le fantôme qui les empêche de sortir eux aussi. Ils devront trouver le code du cadenas qui retient Ariane prisonnière pour pouvoir s’échapper. Sinon, ils resteront enfermés avec elle à jamais.

Décors

Le CDI
• Il sera plongé dans le noir : les volets seront fermés.
• Les tables à l’entrée seront recouvertes
de draps blancs.
• Des bougies seront parsemées sur les tables (bougies LED pour la sécurité) pour créer une lumière discrète, tamisée et sinistre.

Dans la salle de jeu :
• Installation d’un squelette, d’un crâne et
d’une main, prêtés par les professeurs de SVT.
• Des draps recouvrent les meubles et les tables.
• Une lampe ancienne prêtée par une maman donnera un peu de lumière avec quelques bougies.
• Disposition d’araignées en plastique sur
du coton pour figurer des toiles, un petit coffre, de vieilles clés, des livres anciens… pour créer une ambiance sinistre, poussiéreuse et digne d’un endroit abandonné depuis longtemps.

Scripte

Le majordome Edward :
« Messieurs, dames,
Je vous invite à vous asseoir. Nous allons vous raconter l’histoire d’Ariane, prisonnière de cette maison dans laquelle vous vous trouvez.
Délivrez-la ! »
Sur l’écran de projection du CDI, la photo de la famille d’Ariane est affichée dès leur entrée : les élèves ont préalablement posé pour la photo, incarnant les personnages, puis l’image a été « vieillie » grâce à un logiciel de retouche.
Lorsque les participants sont installés, un film démarre. C’est Madeleine, la servante, qui raconte l’histoire :
« Il y a bien longtemps de cela, une jeune fille du nom d’Ariane vivait seule avec son père, Edward, et moi-même dans ce manoir. Mais un jour, son père, jamais rentré de la chasse, a disparu. Le jour de ses 18 ans, elle décida de fuir le manoir pour le retrouver. Cependant, un être mystérieux, un fantôme, l’en empêcha et, depuis ce jour, Ariane est enfermée quelque part.
Votre mission aujourd’hui est de trouver le code du cadenas qui la délivrera et vous pourrez ensuite partir. »
Puis le majordome reprend la parole :
« Messieurs, dames,
Je vous invite à vous rendre dans cette salle. Plusieurs énigmes vous y attendent. Le but est de retrouver le code du cadenas qui délivrera Ariane de sa prison. Servez-vous du tableau pour prendre des notes.
Vous avez 30 minutes ! À vous de jouer ! »

Les jeux au CDI, une bonne stratégie

Du Club Réflexion Utile au Ciboulot

Créé pour que les joueurs d’échecs ne perdent pas leurs acquis, le club Échecs s’est d’abord tenu en autonomie dans la petite salle annexe du CDI. Il est très vite apparu que l’image de joueurs d’échecs silencieux et penchés sur leurs plateaux était assez inappropriée ! J’ai donc dû fermer le CDI pour me rapprocher des joueurs. N’étant pas joueuse d’Échecs moi-même, j’ai intégré progressivement d’autres jeux, en commençant par l’Awalé. Des bénévoles se sont ajoutés à l’équipe pour encadrer le pôle Échecs, ce qui m’a permis de créer deux groupes, chacun avec son espace et ses jeux. Ce club « jeux de stratégie », baptisé CRUC (Club Réflexion Utile au Ciboulot) pour ne pas lui donner une image trop sélective, existe toujours ; il a lieu une fois par semaine pendant 1 h 30, et le CDI reste ouvert aux lecteurs qui sont nombreux à venir le midi.
Me trouvant désormais avec des jeux en quantité importante, j’ai eu assez vite l’idée de m’en servir dans des projets de création d’exposés avec les classes ; les élèves de la SEGPA que j’avais en projet à l’année, mais aussi ceux de 6e, en lien avec les cours d’Histoire (jeux historiques du Moyen Âge, romains ou égyptiens), ou en vie de classe avec un enseignant de mathématiques, autour de jeux de logique et de chiffres.
En 2008, j’ai fait l’essai d’autoriser quelques jeux (les moins bruyants) sur les deuxièmes demi-heures d’étude, d’une gestion souvent difficile. Parmi mes élèves, beaucoup sont de faibles lecteurs, et nous avons une section SEGPA de 7 classes avec des élèves pour qui la fréquentation d’une bibliothèque ne va pas de soi ; les laisser jouer quand leur concentration commence à baisser s’est assez vite imposé comme une nécessité, une vraie soupape, que je n’arrêterais pour rien au monde. Le P’tit CRUC était né.
Les jeux sont devenus un outil parmi d’autres (l’espace audio, la méditation…) pour que chacun trouve sa place au CDI et s’y sente bien. Cela permet aussi d’intégrer les externes, qui ne participent à aucun club du midi.
Afin que les élèves sachent jouer avant de venir sur les heures d’étude, il est apparu indispensable de les initier de manière obligatoire, donc pendant les cours. Ainsi, on joue sur les heures de projet CDI en début d’année, en 6e et dans toutes les classes qui introduisent de nouveaux élèves (4e SEGPA, ULIS). C’est un moyen important d’intégration, qui facilite ensuite la gestion des heures d’étude.
De fil en aiguille, nous nous sommes mis à jouer de plus en plus, à de plus en plus de jeux différents, dans des situations pédagogiques de plus en plus variées. La dernière nouveauté est le tournoi de Dao CM2-6e lors de la visite des CM2. Toutes ces utilisations du jeu sont inscrites dans le projet pédagogique du CDI, ce qui leur confère une légitimité élargie sur les moments de vie scolaire autonome. Les élèves ayant appris à jouer à des jeux en cours, avec des objectifs pédagogiques affichés, il est logique qu’ils puissent ensuite jouer en autonomie au CDI. Cela devient un prolongement pédagogique, pas un loisir.

Les joueurs

Au début, quand j’ai autorisé les élèves à jouer aux Échecs ou à l’Awalé sur les heures d’étude, le regard des collègues et de l’administration a pu être dubitatif, au mieux, parfois désapprobateur. Pourtant, à la même époque, combien de CDI autorisaient les jeux en ligne, d’Échecs ou d’autres beaucoup moins pédagogiques, sans état d’âme ni frémissement ? Le numérique semblait tout autoriser… J’ai introduit dans les activités de fin d’heure une guitare, un espace méditation et des Lego technic®, sans que ces nouvelles activités n’apparaissent jamais bizarres ou déplacées. Au fil des années, les jeux sérieux, puis les escape game sont entrés dans les mœurs pédagogiques. Mais les jeux avec plateau et joueurs attablés font encore froncer les sourcils.
Pour parer la critique des collègues et des parents qui voient d’un mauvais œil des élèves venir jouer s’ils n’ont pas fait leur travail, nous avons mis en place avec ma collègue CPE le suivi des élèves ayant eu un avertissement travail lors du conseil de classe. Le fait que le suivi soit assujetti à une décision du conseil de classe évite les demandes individuelles des collègues. Quand des élèves n’arrivent pas à gérer la liberté qui leur est donnée de travailler ou jouer sur les heures d’étude, l’adulte intervient pour vérifier si le travail est fait. De mon côté, je me contente de demander sans aller jusqu’à vérifier, mais souvent, si les collègues jouent le jeu, je sais que tel ou tel projet est en cours, tel livre à lire, et je peux inciter. Le cas échéant on limite ou conditionne le jeu à une lecture ou un travail.
Du côté des élèves, le regard sur un CDI où l’on joue est également délicat à gérer. Je veille à ce que les règles de vie rattachées aux jeux soient les mêmes que pour la lecture (pas plus de deux, pas de spectateurs, uniquement de la stratégie). Même avec ces précautions, et alors que le club Jeux de stratégie a lieu un midi par semaine depuis de longues années (avec pancarte géante dans le couloir), et qu’il n’est pas autorisé de jouer le midi en dehors de ce jour officiel, il n’y a guère de midi où des élèves ne tentent : « Y’a pas les jeux  ? ». Souvent assorti d’un : « Tu vois, je te l’avais dit ». Partez du principe que même si les choses sont claires, et ancrées dans les habitudes, il y aura toujours des tentatives de détournement, de « toujours plus » !

Jouer au CDI, oui mais… les points de vigilance

Quelques précautions sont certainement à prendre pour que tout se passe bien, c’est-à-dire pour que cela apporte un plus au fonctionnement du CDI, sans nous occasionner du travail supplémentaire, mais, au contraire, en nous libérant du temps et en nous protégeant du stress, tout en évitant le brouillage de l’image du lieu. Les règles d’usage et les types de jeux doivent être réfléchis pour couper court à toute confusion. Jouons au QQOQCCP.

Qui ?
Dans notre établissement, beaucoup d’adultes gravitent autour des jeux : le professeur documentaliste, quatre autres professeurs et trois bénévoles pour les clubs. Et les collègues sont souvent partants pour des projets intégrant des jeux. Je ne suis donc pas seule au milieu de tous ces plateaux !

Quoi ? Quels jeux ?
Il y en a beaucoup dans les armoires, mais certains sont plus faciles ou plus intéressants à exploiter pédagogiquement. Tous ont comme point commun de la stratégie, même très légère (pour les différencier des jeux du Foyer), deux adversaires maximum, des règles rapides à apprendre, faciles à expliquer, des parties courtes, voire très courtes.
L’idéal est qu’ils soient aussi faciles à fabriquer pour en avoir plusieurs du même type, et que les pions soient faciles à remplacer. Seule exception, l’acquisition de jeux d’Échecs et d’Awalé en grand nombre nous a permis de faire jouer deux classes en même temps, pour des jeux impossibles à reproduire. Jouer à l’Awalé avec des boîtes à œufs et des haricots, ce n’est vraiment pas pratique !
J’exclus les jeux de hasard et les jeux de cartes, même s’il y a de la stratégie, pour les trop grands risques de confusion avec l’ambiance « Foyer ». Cela clarifie l’identité du CDI : quoi qu’il arrive, on y réfléchit.
On peut classer les jeux utilisés en plusieurs catégories : jeux traditionnels (Échecs, Dames, Tangram), jeux du monde entier (Dao, Awalé), jeux historiques (Puluc, Vingt cases, Jeu du moulin…), jeux mathématiques (Shut the box et sa version papier le Zeppelin, Tumble Dice…). J’ai récemment ajouté des jeux de lettres, qui sont utilisés en club, encadrés par un professeur, une fois par semaine, et à l’occasion de projets spécifiques.

Où ?
Dès lors qu’on fait jouer des élèves dans le même espace que celui qui est utilisé pour le « CDI classique », il y a risque de confusion. J’ai la chance d’avoir des locaux qui permettent de séparer plusieurs espaces, et de ranger les jeux facilement. La salle annexe sert le midi pour les clubs (jeux mais aussi dessin ou Lego), ce qui limite les confusions quand l’ambiance est plus festive. Si nous jouons dans la salle principale du CDI, c’est avec des bénévoles le midi, ou lors des heures d’étude pour le P’tit CRUC aux mêmes places et avec les mêmes règles de vie que pour tous les autres élèves présents et les autres activités. Lire ou jouer, c’est pareil.
Il m’arrive aussi de jouer à d’autres jeux de société que de stratégie avec les élèves, mais c’est au Foyer, dans le cadre du club jeux que j’encadre une fois par semaine. J’y ai ma casquette prof, mais pas prof doc.

Quand ?
Dans l’ensemble du collège, les jeux sont très présents. On joue :
– au Foyer à chaque heure d’étude ; nous avons d’ailleurs exclu le babyfoot pour privilégier les jeux de société, les Kapla, les Lego ;
– au Foyer deux midis par semaine, encadrés par des professeurs ;
– en club mathématiques un midi par semaine, encadré par un professeur.

Au CDI, on joue :
– deux midis par semaine, une fois avec des jeux de stratégie, une fois avec des jeux de lettres.
– sur chaque deuxième demi-heure des heures d’étude (en autonomie, deux au maximum, à la condition de savoir déjà jouer), ce qui permet aux élèves qui ont du mal à lire ou à travailler pendant une heure d’être parfaitement intégrés, sans risquer une fin d’heure difficile, souvent synonyme d’atmosphère tendue et parfois de punitions.
– en cours, très souvent : avec les nouveaux élèves de 6e ou de la SEGPA, en cours de mathématiques, d’Histoire. Ces initiations obligatoires permettent aux élèves de jouer ensuite au Foyer, au CDI, avec des CM2 en tournoi, avec des élèves parfois qu’ils ne connaissent pas. Il naît une sorte de culture commune du jeu. Il m’arrive d’aller chercher des « grands » en étude quand je fais des initiations 6e, pour m’épauler dans l’apprentissage. Ce sont des moments assez magiques.

Comment ?
Quand on est en cours, je pilote. Sur les temps de vie scolaire (midi et heures d’étude), les élèves sont autonomes. Le midi, je suis à leur disposition pour leur apprendre des nouveaux jeux ou répondre à leurs questions, mais sur les heures d’étude, l’autonomie est de rigueur pour me permettre de travailler en parallèle, et aux élèves non joueurs de lire ou travailler. Une fois le signal de la demi-heure donné, il faut donc s’installer et ranger seuls, rester silencieux, à deux sans spectateur, et c’est non négociable. Si les élèves ne se sont pas occupés la première demi-heure, pas de jeu. Il faut prévoir l’espace de rangement, avec une organisation très carrée et bien signalée, qui permet d’éviter que l’espace dégénère. Les bêtises sont faites quand ils empilent et balancent les jeux au lieu de les ranger, donc quand l’espace n’est plus lisible. Mieux c’est rangé, mieux ils rangent.
Qui dit élèves autonomes dit nécessairement accepter quelques disparitions/vols de pions. Je crois qu’il ne faut pas se focaliser dessus. Comme pour les « pertes » de livres, pour qu’un grand nombre profite des bénéfices d’une organisation conviviale et responsabilisante, tout en étant libératoire pour moi (je peux faire autre chose pendant ce temps !), il faut accepter quelques désagréments.

Combien ?
Sur les moments de vie scolaire, le temps de jeu est limité à 30 minutes, et le nombre de joueur n’excède pas deux, parce que c’est la règle par ailleurs au CDI. La seule exception le midi est le Chromino, pour ne pas laisser le 3e élève d’un trio tout seul.

Pourquoi ?
On se doute que tout cela n’est pas mis en place pour quelques bénéfices réduits, et cela vaut la peine de détailler les multiples plus-values.

Les bénéfices

Les mauvaises raisons
Je crois qu’il faut rester humble sur les bienfaits didactiques des jeux. On lit beaucoup de choses sur les vertus éventuelles des Échecs, et des plans d’intégration des Échecs en classe sont périodiquement ressortis des cartons.
André Tricot, dans ses conférences et ses écrits, rappelle souvent qu’« apprendre à jouer aux Échecs permet de savoir mieux jouer aux Échecs ». Dans une thèse de 20021, Michel Noir précise que s’il a observé que jouer aux Échecs permet d’augmenter les compétences intellectuelles et la réussite scolaire, c’est à des conditions très précises, si des activités pédagogiques sont créées spécifiquement et durablement pour créer le transfert.
Pour ma part, quand je lis que les Échecs, comme le sport, permettraient le transfert naturel du respect des règles en société, je ne peux m’empêcher de penser qu’ils n’ont pas dû beaucoup fréquenter de clubs jeux, ni de collèges à sections sportives ! Les joueurs et les sportifs sont des ados comme les autres, heureusement pour eux.
Après des années d’observation, la seule chose évidente, c’est que jouer les rend plus calmes quand ils jouent, mais que cela n’augure aucunement de leur calme au cours d’après, ni de leur capacité à être calme au CDI le lendemain. On peut juste remarquer (et leur faire remarquer !) que quand ils jouent, ils sont calmes, et donc qu’ils peuvent le faire… Certains jeux, par leur nature même, les obligent à la concentration, et ils ont ma préférence : l’Awalé avec ses graines à semer ne laisse aucune chance à l’hyperactif, et agit comme une relaxation ; le Dao sans concentration revient à perdre systématiquement et rapidement, si bien que le cerveau fait abstraction du contexte pour se fondre dans la partie.
Jouer leur permet d’être calmes et concentrés sur une période de temps donné, et nous, on respire, et rien que pour ça, ça fait du bien à tout le monde ! Mais on obtient la même chose en les faisant lire ou en les allongeant pour une relaxation. C’est juste un outil supplémentaire, qui comporte une dimension sociale et culturelle.
On lit aussi dans des articles faisant la promotion du jeu d’Échecs auprès des plus jeunes, que cela permet d’aborder plein de notions : tracer des traits, découvrir les chiffres ou la notion de diagonale… C’est donc une situation prétexte, plus qu’une situation de transfert, extrêmement motivante, qui comporte des éléments importants pour la réussite des élèves. S’il perd en jouant, l’élève en difficulté a moins l’impression de « rater ». Il a juste perdu, mais il recommence. Cela peut expliquer sa réussite pour l’apprentissage de notions, et donner l’impression que c’est le jeu en lui-même qui est vecteur d’apprentissages, alors que c’est la situation. Utiliser un jeu plus simple que les Échecs aboutira au même résultat, avec moins de charge cognitive pour les élèves les plus en difficulté, et avec moins de temps passé à l’apprentissage du jeu, mais davantage aux éventuelles situations de transferts.

Je préfère donc parler de bénéfices en termes d’intégration, de convivialité, d’ouverture culturelle, et en tant qu’outil pédagogique fournissant des situations motivantes à d’autres apprentissages (exposés, recherches…). Mon expérience personnelle m’a permis de mettre en évidence quelques bénéfices bien réels, déjà bien suffisants pour me convaincre de continuer à jouer et faire jouer les élèves.

Les « vrais » bénéfices
Tout d’abord, précisons que jouer est agréable ! Je ne sais pas dans quelle catégorie pédagogique ranger cet avantage, mais je choisis de le mettre en premier ! Tout ce qui permet aux élèves d’accumuler des situations de vie agréables, quelle que soit l’activité culturelle, ne peut être qu’un « plus ».
Ensuite, quels que soient le jeu et la situation, on atteint toujours les mêmes objectifs éducatifs : ouverture culturelle, convivialité, contact avec les autres. Là non plus, pas de débat sur l’importance de ces objectifs.
Comme nous l’avons vu, jouer sur les heures d’étude permet de donner sa place au CDI à tous les élèves, quels que soient leur profil et leur appétence pour la lecture ou le travail personnel, puisqu’au bout de 30 minutes d’efforts (lecture ou travail), ils peuvent relâcher la pression et jouer. Je n’ai plus d’heures qui se terminent mal, avec des punitions ou des exclusions. Évidemment, parfois, des élèves viennent juste pour jouer, et font un peu semblant le temps que la demi-heure arrive. À nous d’être vigilant, d’imposer une lecture, un travail, un coup de main, pour obliger l’élève à respecter la règle. Parfois, on est amené à priver de jeu si on ne veut pas que le mot circule qu’on a laissé faire sans rien dire… La détérioration des habitudes va très vite.
Jouer permet également de détecter, changer son image (celle des élèves, celle de l’adulte). Quand on joue avec les élèves, ou qu’on les regarde jouer, il arrive qu’on détecte des « anomalies » : un élève hyperactif, en grande difficulté scolaire, ou insupportable en cours, peut se révéler un grand tacticien, apprendre avec une grande facilité ou arriver à se concentrer longtemps. Ce sont des surprises assez fréquentes, et cette situation est loin d’être inutile car l’élève se trouve valorisé aux yeux de l’adulte, aux yeux des autres élèves, et donc aux siens ! On imagine facilement les répercussions du changement de tous ces regards.
Enfin, jouer permet de mettre en place des situations prétextes, formidable facteur de motivation pour d’autres apprentissages (exposés, recherches documentaires…). Je l’utilise beaucoup en SEGPA, avec des projets où l’on découvre un nouveau jeu : on y joue en se prenant en photo, puis on fait des recherches complémentaires et des exposés. On évite ainsi la surcharge cognitive d’une recherche sur un sujet difficile, alors que les élèves ne maîtrisent pas la méthode, ni les logiciels de travail (cf. les travaux d’André Tricot).

Même si je n’ai pas à déplorer trop de problèmes d’image lié au CDI, une enquête anonyme de juin 2018 a révélé des demandes qui m’ont amenée à m’interroger : plus de jeux, plus longtemps, plus souvent, être à plus de deux, mais aussi avoir son portable, dormir, jouer sur ordinateur ; alors qu’en parallèle, le même nombre d’élèves disaient apprécier le calme du CDI.
Il faut faire régulièrement ce type d’enquête pour permettre aux élèves de verbaliser ces demandes de « toujours plus » (de choses autorisées) et de « toujours moins » (de contraintes), mais aussi leur souhait de calme. Il faut présenter et expliciter avec les classes les résultats, c’est indispensable si l’on veut éviter de laisser les élèves face à une frustration : « On a demandé, et rien ne vient ! ». Cela permet de rappeler les caractéristiques premières du lieu, et de mettre en évidence l’incompatibilité des deux demandes. Si l’on veut que les règles soient acceptées, et donc respectées, il faut qu’ils en comprennent le bien-fondé.
Il faut aussi se dire qu’il y aura toujours des élèves qui voudraient dormir, manger, jouer à ce qu’ils veulent, ne rien faire… et ne pas oublier qu’ils sont minoritaires, juste plus bruyants et revendicateurs que les autres. Jouer à un jeu de stratégie face à un adversaire au CDI, c’est sacrément libératoire pour certains, toujours vecteur de convivialité, au même titre qu’une guitare ou que la dernière BD qu’on s’arrache. Au CDI, tout est culture, et tout peut être pédagogie. À la condition de penser le lieu comme un espace pédagogique où l’on joue parfois, et pas comme un lieu ludique où il arrive qu’on fasse de la pédagogie.

 

Faites vos jeux ! Tout va mieux

Inscrit dans le Socle Commun de connaissances, de compétences et de culture, le Parcours Avenir doit accompagner l’élève tout au long de sa scolarité, de la 6e à la Terminale, dans la construction d’un projet d’orientation raisonné et éclairé. L’objectif essentiel d’information exhaustive et appliquée fait du professeur documentaliste et du Psy-EN des acteurs privilégiés de ce parcours. C’est ainsi que, dans notre établissement, nous avons élaboré des séances éducatives conjointes autour d’un jeu sur le thème de l’orientation.
Ce travail est mis en place avec toutes les classes de 4e (au nombre de six cette année), et nous prenons les élèves en demi-groupe, ce qui nécessite ainsi la mobilisation de douze heures. Pour perturber le moins possible les horaires d’ouverture du CDI, nous organisons nos séances sur une période de trois mois, entre janvier et mars, le jeudi, jour de présence de la Psy-EN au collège.

Les jeux sur le thème de l’orientation

Le Jeu des métiers porteurs

Par le passé, nous avons travaillé avec Le Jeu des métiers porteurs, réalisé par le Centre Régional Information Jeunesse du Nord-Pas de Calais. Il s’agit d’une sorte de Jeu de l’oie dont l’objectif est de faire découvrir de façon ludique les métiers porteurs, en favorisant l’autonomie des jeunes dans leur recherche d’information sur les sites dédiés à l’orientation. Chaque case représente la photo d’un métier ; les jeunes, regroupés par équipe, progressent sur le plateau de jeu en allant chercher les réponses aux questions posées sur les métiers, par l’animateur ; ils se doivent d’avancer sur le parcours jusqu’à la case arrivée. Au début de la partie, on définit ce qu’est un métier porteur, et les trois sites sur lesquels les jeunes trouveront les réponses sont présentés (onisep.fr, lesmetiers.net devenu ORIANE et cidj.com).
Dans cette formule, même assez classique, les bénéfices du jeu étaient déjà sensibles : les élèves collaborent par deux pour trouver les réponses et adoptent très vite une posture de recherche très active (prélèvement de l’information, prise de notes, élaboration de leur réponse fournie à l’oral à l’animatrice).
Cependant, à l’épreuve du temps, ce jeu a montré des limites importantes : il reste sur des métiers « classiques » ; les photos proposent trop souvent des clichés genrés, même si les métiers sont donnés, au-dessus de la photo, au masculin et au féminin… Et nous n’étions pas vraiment sûres que les élèves aient retenu grand-chose sur les métiers ou les formations, car le nombre d’informations était assez conséquent, sans doute un peu trop. Enfin, d’une année sur l’autre, les informations se révélaient très vite obsolètes.

Cursus Lab

Cette année, nous avons ainsi choisi d’essayer un autre jeu sur le thème de l’Orientation : Cursus Lab, conçu et prototypé par des professeurs documentalistes et de technologie, et des élèves de 3e découverte professionnelle du collège Romain Blache (Saint-Cyr-sur-Mer) de l’Académie de Nice. Cursus Lab, est un labyrinthe dont il faut sortir en répondant à des devinettes, rébus, mimes et dessins portant sur des métiers très divers, des formations et sur le monde de l’entreprise.
Les élèves sont également par groupes, mais de 3 ou 4 ; tous participent en fonction de leur personnalité et des questions posées ; la collaboration entre eux est nécessaire. Chacun peut s’exprimer selon son degré de connaissance et son individualité. La Psy-EN, redéfinie comme spécialiste de l’orientation, en début d’heure, apporte de l’information en fonction de chaque question posée, précise les différentes appellations, les diplômes et les parcours y aboutissant. C’est très ludique, c’est assez rapide (un sablier décompte une minute par réponse) ce qui demande un certain dynamisme que les élèves ont développé, pour la plupart, passé le temps de la surprise.
Pour notre part, nous avons décidé de ne pas « utiliser » les QR-codes proposés qui permettent d’accéder à des vidéos sur le site de l’ONISEP, car cela nous aurait pris trop de temps, mais c’est une ressource également riche. Une heure est d’ailleurs un temps trop court, tous les élèves l’ont dit ; mieux vaudrait prévoir une heure et demie. Certains élèves ont aussi trouvé qu’ils étaient trop nombreux. Par ailleurs, la présence de la Psy-EN est indispensable, ce qui malheureusement empêchera sans doute les élèves de revenir jouer seuls, comme certains l’ont pourtant demandé… Nous sommes encore en réflexion quant à cette question. La mise en pratique n’est pas encore parfaite, et forcément tributaire d’un contexte d’établissement, mais les bénéfices du biais ludique sont flagrants.

Bénéfices du jeu

Déplacés dans leurs habitudes, les élèves participant sont piqués dans leur curiosité, séduits, et plus actifs, moins consommateurs. Ce qui leur est proposé, finalement, à l’issue de l’heure de formation par le jeu, c’est une autonomie. En introduction à la partie, qui se déroule au sein du CDI, on leur présente le Kiosque ONISEP et la façon de chercher des documents (dans les casiers Domaines Professionnels, via BCDI ou directement sur les sites dédiés à l’Orientation).
Dans son compte rendu, la Psy-EN note que Cursus lab, de par son côté plus ludique, semble permettre aux jeunes d’être plus impliqués et enthousiastes. Elle s’interroge toutefois sur ce que les élèves ont pu réellement retenir et note que l’on reste « dans la simple découverte des métiers ». J’ajouterais cependant, pour ma part, que cela a permis, au moins pour les métiers découverts, de repréciser leur appellation exacte et de les présenter, de voir les gestes (qui deviennent des sortes de mots-clés), quand ceux-ci étaient mimés ou dessinés, ce qui les rend plus concrets. Je suis d’accord toutefois, si l’on veut vraiment exploiter ce jeu dans son ensemble, dit la Psy-En, « il faudrait, soit avoir plus de temps, soit plutôt accepter de moins avancer et prendre le temps d’aller sur le site de l’ONISEP, afin de leur donner également l’outil de recherche pour les aider dans la construction de leur projet. L’idée, pour l’année prochaine, est de réutiliser Cursus lab en cherchant à l’exploiter mieux ». Nous sommes encore en réflexion quant au modus vivendi, mais nous savons déjà que nous voulons insister et approfondir les métiers devinés avec les élèves et impliquer aussi les parents, d’une manière ou d’une autre, tout au moins par un courrier leur présentant cette heure de formation par le jeu Cursus Lab.

Comme ce n’est pas un cours « traditionnel », il est difficile d’évaluer la portée ou la quantité de ce qu’ils auront appris. Ce qui est certain, c’est que s’ils ne reviennent pas d’eux-mêmes, si cette heure reste uniquement cette heure, elle a sans doute peu d’effet. L’objectif étant de leur ouvrir des fenêtres, voire des portes, sur leur propre avenir et motivations personnelles, la graine est seulement semée…
S’ils reviennent, en revanche, ce qui a été souvent le cas par la suite, ou se livrent à des recherches, d’une façon ou d’une autre de leur côté, à la suite de l’heure Orientation ; s’ils prennent rendez-vous avec la Psy-EN et/ou se rendent au CIO, tout proche de notre établissement, c’est gagné : ils entrent alors dans la construction progressive et personnelle de leur orientation.
Pour ce qui serait d’une évaluation purement qualitative, voici certains propos d’élèves, quelques semaines après la formation :

« - Le jeu est très intéressant, il nous fait découvrir des métiers ludiquement.
– Étant donné que l’on joue, on ne voit pas le temps passer. Dans un cours, il arrive de s’ennuyer.
– Ce jeu était super, il m’a appris plein de choses en s’amusant. Il m’a aidé à aller chercher plus d’information sur le métier que je veux faire plus tard. »

Le professeur documentaliste et le Parcours Avenir

Par le biais de ce jeu, nous permettons à nos élèves de 4e, moins pressés par le temps que des élèves de 3e, de découvrir des métiers, d’identifier des compétences formelles et non formelles, de déloger des idées reçues, de commencer à appréhender la réalité du monde économique et professionnel, d’aller doucement vers une prise de conscience et l’expression de leurs premières aspirations dans l’élaboration d’un projet d’orientation personnel et choisi. Une façon ludique de découvrir des métiers, des formations, du vocabulaire lié au monde du travail et de l’entreprise. Une autre façon aussi de développer l’estime de soi, nécessaire quand il s’agira, entre autres, de choisir une voie, un métier.
Le fait d’être à l’initiative de cette formation, en lien avec la Psy-EN, et qu’elle se déroule au CDI permet de rappeler la présence du Kiosque et son organisation d’une part, mais redit aussi les spécificités professionnelles du métier de professeur documentaliste quant à la recherche documentaire, et du métier de Psy-EN quant à l’orientation, d’autre part. En tant qu’animatrices, nous sommes les cadres permettant aux élèves, par le biais du jeu, d’exprimer leurs savoirs et savoir-faire, et d’en apprendre de nouveaux. Cette posture nous permet de positionner clairement notre qualité de référent.
Passer par le jeu permet également une heure riche et agréable où, de façon détendue, l’on travaille et rit avec les élèves, ce qui indéniablement ouvre la possibilité à leur retour au CDI, à leurs questionnements, à leurs emprunts de la revue Parcours, à laquelle nous sommes abonnés. Ce qui n’est pas rien.
Cette heure permet, enfin, un lien supplémentaire avec les professeurs principaux de 4e, très impliqués dans la scolarité et le Parcours Avenir de chaque élève de leur classe, qu’ils connaissent bien.

Nous avons tout à gagner à travailler par le biais du jeu. Ce dernier permet, tout à la fois, de partager, d’apprendre à suivre des règles, de former des alliances entre les élèves qui se retrouvent à collaborer avec des jeunes qui ne sont pas nécessairement leurs amis, à appréhender des notions, à jouer des rôles et à travailler en s’amusant. L’individu qui joue est physiquement, intellectuellement, émotionnellement et socialement, en action. Il est à la fois responsable de ses actes et en même temps, il « ne risque rien », puisque c’est un jeu.
Cependant, je m’interroge, toujours et encore : comment aborder encore plus d’apprentissages par le jeu, lorsque l’on sait que celui-ci est plus chronophage qu’un cours « traditionnel »…

Veille numérique 2019 N°3

Jeu et éducation

Jeu vidéo et pédagogie

La Fédération de Maisons de Jeunes & Organisation de Jeunesse et le Centre de l’image animée et interactive à Charleroi (Quai10) ont réalisé un manuel sur l’utilisation des jeux comme médium pédagogique. La première partie dispense des conseils sur la création de séquences pédagogiques ludiques et analyse le média vidéoludique. Sont proposés : onze ateliers pédagogiques indiquant le nombre d’élèves, la classe d’âge, la durée, les objectifs, la méthode et les exercices. Des ressources sont listées à la fin du document.
 www.quai10.be/wp-content/uploads/2018/10/Jeu-video-et-e%CC%81ducation.pdf

Linguistique par le jeu

Dans le cadre de la saison France-Roumanie, le ministère de la culture a lancé le jeu vidéo Romanica.  But du jeu : sensibiliser les joueurs à la diversité linguistique et à la richesse des langues romanes. Le héros évolue dans un monde monolingue constitué d’un mélange de mots de huit langues romanes dont il devra retrouver la signification. Le jeu est composé de plusieurs mondes thématiques et de quinze niveaux d’action qui permettent de débloquer des contenus culturels. Ce jeu sérieux gratuit est disponible sur l’App Store et Google Play.
www.culture.gouv.fr/Thematiques/Langue-francaise-et-langues-de-France/Politiques-de-la-langue/Langues-et-numerique/Romanica

Trouble du jeu vidéo

Le 25 mai 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a entériné comme pathologie la pratique excessive du jeu vidéo, en raison de répercussions dommageables sur la santé et la vie sociale. Les représentants de l’industrie du jeu vidéo appellent à revenir sur cette décision. Dans la communauté scientifique, l’assentiment des chercheurs est loin de faire l’unanimité. La 11e révision de la Classification internationale des maladies entrera en vigueur le 1er janvier 2022.

Héros littéraires en jeu vidéo

Bookbound Brigade est un jeu non linéaire et inhabituel orienté vers l’action-aventure avec énigmes, puzzles, etc. Tous les personnages sont issus du monde littéraire (Dracula, le Roi Arthur, la Reine Victoria, Nikola Tesla, Cassandra, Dorothy Gale, Sun Wukong le Roi des Singes et Robin des Bois). Les héros en quête du « Livre des livres » possèdent des pouvoirs en rapport avec leur personnage littéraire. Jeu disponible fin 2019.

Jouer une IA dans Observation

Le studio No Code a créé un jeu original où le joueur prend la place de l’intelligence artificielle (SAM) d’une station spatiale. Or, la station dont a la charge l’IA n’est pas bien positionnée car proche de Saturne, avec hélas peu d’espoir de retourner vers la Terre. SAM doit exécuter les ordres d’Emma, une spationaute britannique, et l’aider à résoudre cette situation. Disposant au début du jeu de peu de moyens d’action : l’observation principalement, SAM pourrait bien être manipulée par une entité inconnue. L’odyssée de l’espace peut commencer…

Jeu pour lutter contre les fake news

Le jeu en anglais Misinformer lancé sur la plateforme de financement participatif Kickstarter propose aux internautes de prendre la place d’un journaliste. Modérateur sur un forum, à la suite d’un afflux massif de spams le joueur enquête pour trouver le responsable. L’objectif pédagogique est de donner les clés pour identifier les fausses informations. Comme tous les projets de ce type, ce jeu pourrait ne jamais voir le jour. Info à suivre.

Jeux au musée européen du manga

Le Centre européen d’études japonaises d’Alsace a pour ambition d’ouvrir d’ici quatre ou cinq ans un musée européen du manga. En dehors des ouvrages, une part non négligeable du musée serait consacrée à l’animation, aux figurines et aux jeux vidéo, selon la directrice du CEEJA. Pour le moment, le projet est dans la phase de financement, de développement de partenariats et de constitution d’un conseil scientifique.

Base de données

POP culture

Le ministère de la culture vient d’ouvrir l’accès à la Plateforme Ouverte de Patrimoine regroupant les données de plusieurs bases : Joconde (Musées de France), Mémoire (Photographie), MUSEO (Collections des musées de France), MNR Rose-Valland (récupération artistique), Mérimée (Patrimoine architectural)… Recherche simple et avancée disponible avec de très nombreux filtres. En version bêta pour le moment.  www.pop.culture.gouv.fr/

CC Search

Le site de recherche Creative Commons n’est plus en version bêta et propose désormais plus de 300 millions d’images sous licence ouverte ou issues du domaine public. CC Search parcourt les fonds de dix-neuf collections telles que le Metropolitan Museum of Art, le Cleveland Museum of Art, DeviantArt, les photos de Flickr. Pour l’exploitation des images, il convient de vérifier les conditions d’utilisation de chaque œuvre en repérant le sigle ou logo associé à celle-ci (BY, NC, ND, SA). L’ancien site est toujours accessible via un lien sur la page d’accueil du moteur de recherche.  https://search.creativecommons.org/

Expositions virtuelles

Le site du ministère de la culture recense de très nombreuses expositions virtuelles muséales dans son onglet « Thématiques ». Les ressources sont classées par thème : Archéologie, Art contemporain, Arts graphiques, Arts premiers, Ethnologie, Histoire, Histoire naturelle, Littérature, Mode et textile, Musique, Peinture, Photographie, Sciences et techniques, Sculpture… Dommage que de nombreux liens soient brisés.
 www.culture.gouv.fr/Thematiques/Musees/Ressources/Expositions-virtuelles-France-et-international

Lecture numérique

Bibliothèque jeunesse libre

La bibliothèque numérique de littérature de jeunesse créée par un membre de Framasoft met à disposition plus de 700 livres numériques en ligne, issus du domaine public ou proposés sous licence libre. Le fonds provient, entre autres, d’Internet Archive, de Gallica et de Wikisource. La recherche s’effectue par titre d’ouvrage, auteur, mot-clé ou série.  http://litterature-jeunesse-libre.fr/bbs/

Gleeph

Application mobile qui offre la possibilité de gérer sa bibliothèque virtuelle tout en étant sur un réseau social. Cette double fonction permet d’échanger plus facilement sur les ouvrages avec les utilisateurs de l’application. De plus, Gleeph est reliée à différentes structures (bibliothèques, librairies, grandes surfaces, plateformes en ligne) qui renseignent sur la disponibilité des livres.

Crello

Éditeur de création graphique gratuit d’utilisation. Il permet d’illustrer de nombreux documents numériques dont les ebooks. Cependant, les modèles d’aide à la création ne sont pas tous gratuits et, comme beaucoup de logiciels en ligne de ce type, Crello deviendra à terme payant…

Livres de Proches

La plateforme de prêts d’ouvrages entre particuliers via une application mobile ou un site internet s’étend aux établissements scolaires, universités, bibliothèques et collectivités. Il faut, au préalable, constituer en ligne sa bibliothèque personnelle, afin de la dévoiler aux usagers. Dans le cadre du prêt à des organismes, les données sont protégées et privées.

Technologie

Libra, la cryptomonnaie de Facebook

Facebook a annoncé le lancement de sa cryptomonnaie en 2020. Les membres du réseau social pourront transférer de l’argent, acheter des biens sur les applications appartenant à Facebook et différentes plateformes participant au projet telles que Uber, Booking, eBay, entre autres. Les transactions seront immédiates et peu onéreuses. L’entreprise de Mark Zuckerberg vise principalement le public ne possédant pas de compte en banque, soit la moitié de la population mondiale…

Une IA crée un vaccin

Une équipe de chercheurs en Australie a créé l’Intelligence artificielle SAM (Search Algorithm for Ligands), un algorithme de recherche de médicaments qui a réalisé un vaccin contre la grippe. Après avoir été testé sur des animaux, le vaccin entame la phase d’essai clinique aux États-Unis pendant un an. Selon l’OMS, la grippe saisonnière cause jusqu’à 650 000 victimes par an dans le monde.

Cerveau augmenté par Elon Musk

Elon musk a dévoilé son dernier prototype d’ICN (interface cerveau-machine) développé par sa société Neuralink. L’appareil est connecté directement aux neurones, grâce à un implant dans le cerveau. Actuellement testé sur des animaux, il permet, selon l’entrepreneur, de contrôler un ordinateur ou un objet connecté. Il ne manque plus que l’autorisation de la Food and Drugs Administration (FDA) pour que les tests puissent commencer sur les êtres humains, afin de nous transformer en cyborg ! Future or no future.

Droit et données personnelles

Ville connectée piratée

Lors de la conférence du Hack 2019 à Paris, deux ingénieurs ont révélé d’importantes failles de sécurité dans les équipements urbains connectés à la suite de l’audit de plusieurs villes de taille moyenne. Dans le cadre d’une attaque dite du « stagiaire », il est très facile de prendre le contrôle des installations de la ville en raison d’un défaut de chiffrement, de cloisonnement, et de l’absence de protection des mots de passe. Le constat le plus effrayant est en relation avec une éventuelle attaque directe des équipements physiques de la voie publique (caméras de surveillance, feux de signalisation…) pour lesquels quasiment aucune protection n’est prévue. Les armoires qui contiennent les systèmes de gestion des équipements urbains interconnectés sont très faciles d’accès et d’utilisation (logiciels anciens, outils gratuits de prise de contrôle à distance installés, mots de passe et login souvent inexistants ou indiqués à l’intérieur…).

Taxe GAFAM

Le 11 juillet 2019, la France a adopté en même temps que le Royaume-Uni, la taxe sur les entreprises ayant un important volume d’activité numérique sur le web. Cette mesure concerne une trentaine de sociétés dont une Française, Criteo. Le président américain envisage des rétorsions contre la France, notamment en taxant le vin. Le gouvernement français souhaite aboutir à un consensus mondial
sur ce sujet.

No future…

Ring, le crime près de chez vous

La filiale d’Amazon spécialisée dans la sonnette et la caméra connectées envisage de développer un service de média local sur les faits divers. Grâce à ces équipements Ring, Amazon diffusera en direct des informations concernant la criminalité. Les clients de la filiale seront informés des cambriolages dans le voisinage… Uniquement aux USA dans un avenir proche.

Trackers publicitaires

Les publicités numériques du métro parisien sont munies de capteurs d’audience Retency. Ils fonctionnent en détectant les téléphones devant l’annonce publicitaire. L’adresse MAC du mobile est récoltée par le WI-FI ou le Bluetooth actif. Selon la société Retency et la CNIL, les données sont anonymisées. À quand le déploiement sur la voie publique dans toute la France ?

Le jeu de l’oie du CDI

RÈGLEMENT DU JEU DE L’OIE DU COLLÉGIEN AU CDI

Une fois que tu as lancé le dé, tu peux tomber sur :
Les cases où tu avances plus vite qui récompensent ton implication et ta bonne utilisation du CDI.
Les cases où tu restes sur place qui soit te conseillent sur la recherche documentaire soit t’amènent à réfléchir avant de poser une question.
Les cases où tu recules qui sanctionnent une faute par rapport au règlement du CDI.
Lorsque tu atteindras la sortie, tu connaîtras certainement mieux le fonctionnement du CDI.
Bonne chance !