Le shôjo : un manga que pour les filles ?

La traversée des genres

Clés éditoriales

Le marché segmenté du manga
Avant d’être publiés sous la forme que nous leur connaissons en France, à savoir le livre de poche (tankobon), la plupart des mangas paraissent au Japon dans des revues, sous la forme de feuilletons à suivre dans des magazines (mangashi) produits par de grands éditeurs. Ces revues à fort tirage développent une politique de lectorat ciblée par tranches d’âges et par sexe (puis éventuellement par catégories socioprofessionnelles). Cette segmentation est le fruit d’une histoire éditoriale déjà ancienne : dès le début du XXe siècle, la presse enfantine, récréative et éducative avait fragmenté par sexe le marché, probablement en correspondance avec la non-mixité de l’école. Aujourd’hui, cette division peut être interprétée suivant une logique de rationalisation du marché : toute catégorie sociale est désormais envisagée comme une cible délimitée. En France, quelques-unes de ces catégories ont été conservées : le kodomo qui s’adresse aux plus jeunes, le shôjo destiné aux jeunes filles, le shônen qui concerne les jeunes garçons, et le seinen qui s’adresse aux adultes. Il en existe bien d’autres au Japon mais moins connues en France, hors du cercle des mangaphiles (le josei, le shônen ai, le shôjo aï…).
Cette segmentation du public par tranches d’âges et par sexe, qui se décline ensuite par centres d’intérêt, de genres ou de thèmes, peut paraître assez précise, mais elle est loin d’être rigide. Elle construit des divisions éditoriales qui ne sont ni des courants ni des mouvements identifiés thématiquement ou graphiquement, même si certains codes et certaines conventions graphiques sont attendus dans le shônen et le shôjo. Il s’agit de considérer cette division éditoriale comme un outil de marketing, une information des éditeurs vers le public, et non comme une définition précise de contenu. En France, cette division est difficile à saisir, perçue parfois comme une injonction alors qu’elle n’est qu’une indication donnée au lecteur. Karyn Poupée, journaliste spécialiste du Japon5, pense que cette segmentation du manga est rassurante car « les Japonais aiment bien être guidés, pris par la main ! Ils aiment bien qu’on leur offre des balises, qu’on leur dise que c’est là qu’il faut marcher… les catégories sont rassurantes, pour l’éditeur et pour le lecteur. Ce dernier se rassure en achetant ce qui est censé être pour lui6 ». L’éditeur indique que tel récit est plutôt destiné à tel public, chacun étant libre de sortir du terrain balisé.
Cette information éditoriale s’estompe en partie à la publication d’un titre sous forme de livre. En effet, même si le titre édité en tankobon conserve une forme de lien avec le mangashi d’origine, gardant son étiquette shônen, shôjo ou seinen qui va lui permettre d’être classé ainsi en librairie, le public, qui a découvert la série au travers du magazine, est davantage intéressé par le succès que le titre s’est assuré par ses qualités propres, que par sa catégorisation d’origine.

Un marché segmenté mais pas rigide

Fruits basket collector’s édition © Natsuki Takaya 2015 / Hakusensha. inc.

La catégorisation opérée par les mangashi n’enferme pas les bandes dessinées proposées dans un genre précis. Au sein de ces grands segments que sont le shônen, le shôjo et le seinen, tous les genres sont représentés : western, SF, fantastique, policier, vie quotidienne… L’objectif d’un mangashi étant de promouvoir un ensemble de séries, celles-ci doivent réunir quelques points communs pour toucher un même lecteur cible, mais également proposer assez de diversité pour ne pas lasser ce même lecteur. Le magazine tient un rôle de catalogue : il promeut des séries qu’il soumet à son public, tout en espérant toucher un public plus large. Un manga pour un public, mais des publics pour un manga : une formule qui résume assez bien la réalité7.
Car, il s’avère que les revues recrutent au-delà de leur cible identifiée. Bien des magazines classés shônen sont lus par des filles et également par des adultes, et de nombreux enfants lisent les magazines de leurs grands frères ou grandes sœurs. Les éditeurs savent que le succès d’une série provient de son pouvoir fédérateur réunissant un public des deux sexes, et parfois hors de la tranche d’âge prévue initialement. Trouver un public plus large que la cible initiale est l’assurance d’un succès commercial. C’est ainsi que One Piece, shônen ciblant les 9-12 ans, doit son immense succès en France au fait qu’il est lu par un public aussi bien féminin que masculin. Au Japon, le titre a su également trouver un public adulte : 9 lecteurs sur 10 de One Piece sont des adultes dont 12 % ont plus de 18 ans, 43 % ont entre 19 et 29 ans, 32 % entre 30 et 49 ans et 13 % ont plus de 50 ans8 !
Mais si le shônen manga, au Japon comme en France, est généralement lu par des catégories plus larges que celle ciblée du jeune garçon, il est rare qu’un shôjo recrute au-delà de son cœur de cible. Les séries shônen sont plus longues (72 volumes pour Naruto, 94 volumes pour One Piece, toujours en cours) : elles ont le temps de recruter et de fidéliser un public important durant plusieurs années. Les séries shôjo, souvent plus courtes (une dizaine de volumes), peinent à dépasser leur cœur de cible. L’offre éditoriale de shônen est la plus importante, le shôjo a toujours présenté une production moindre. Les grands best-sellers de shôjo (Hana Yori Dango, Nana, Fruits Basket) vendent moins d’exemplaires que leurs homologues masculins. Il est donc certain que le public féminin et qu’un public au-dessus de la classe d’âge ciblée grossit les rangs des lecteurs de shônen. Le shôjo, lui, semble réduit à son public cible. « Au Japon, là où vous verrez un adulte ou une fille lire le Jump du fils ou du frère, vous ne verrez jamais un garçon lire le Margaret, même si cela commence à changer petit à petit9 ». On manque ici d’études traduites du Japon sur le comportement des lecteurs et des lectrices pour en savoir plus. Le shôjo qui a connu son heure de gloire au Japon dans les années 70 semble à présent le grand perdant de cette division éditoriale, du moins en termes de production et de ventes.
Malgré toutes ces précisions concernant la porosité et le flou des frontières éditoriales de cette segmentation qui en relativisent la partition, on ne peut s’empêcher de se demander si cette division sexuée des publications entraîne des représentations stéréotypées liées au genre. En délimitant une bande dessinée qui serait destinée aux « filles » et une autre qui serait destinée aux « garçons », on assigne une identité de lecteur qui sous-entend des différences entre hommes et femmes, et des rôles, des comportements, des activités, des centres d’intérêt considérés comme appropriés pour les uns ou les autres. Du coup, au sein de ces publications ciblées, on peut imaginer que les représentations des femmes vont elles aussi être sous l’influence des stéréotypes. Bien sûr, ce n’est pas l’apanage du manga que de favoriser les représentations genrées (pensons aux collections girly ou chick lit, par exemple). Et le manga, en tant qu’industrie de masse, n’a pas a priori pour objectif de bousculer les représentations de genre de la société japonaise !

Une étude humble et incomplète
S’intéresser aux types de représentations féminines dans le shôjo, c’est aussi se demander si ses images confortent ou non l’image des femmes (japonaises) dans la société. Mais aussi, comment ces représentations sont-elles conçues par les mangakas ? Comment sont-elles reçues par le jeune public, tant japonais que français ? Tout cela pourrait aisément faire l’objet d’une thèse ! Notre propos sera évidemment plus modeste, et plutôt sur le mode interrogatif qu’affirmatif. Car il faut bien préciser que notre analyse est, de fait, limitée et incomplète. Ma réflexion ici ne se base que sur mes lectures au sein d’une sélection déjà opérée par les éditeurs français qui ne nous donnent à voir qu’une partie infime de la production japonaise. Même si l’édition manga s’est heureusement diversifiée en France depuis une quinzaine d’années, c’est bien le shônen qui reste le segment le plus fort : 66,7 % des séries éditées en France en 2018 sont des shônen contre 8,1 % étiquetés shôjo et 22,4 % seinen10. Mon analyse sera forcément affectée par ce prisme de l’édition française.
De plus, les catégories d’origine des mangas sont modifiées par les éditeurs français en fonction des attentes (ou soi-disant attentes) de notre lectorat national. De nombreuses séries shôjo au Japon se trouvent reclassifiées en seinen en France. Des séries plutôt destinées aux enfants se retrouvent également réétiquetées en seinen. De quoi obscurcir un marché déjà assez complexe !

Les stratégies des éditeurs français et leurs conséquences négatives sur l’image du shôjo
La première vague d’édition manga en France à la fin des années 90 s’est concentrée sur des publications shônen (Dragon Ball). Si bien que le grand public a identifié le manga comme une bande dessinée destinée aux jeunes garçons. Même si nous avons connu une période faste (après les années 2000) avec la publication d’une grande diversité des titres shôjo et josei, puis seinen, les a priori sont restés dans le grand public qui a élaboré des équations simples : shônen = garçon = action ; shôjo = fille = romance ; seinen = adultes = histoires sombres et tordues pour lecteurs avertis. Évidemment, ces équations sont réductrices et simplistes.
Le shôjo a toujours souffert d’a priori négatifs en France, comme si ce qui s’affirme comme féminin était forcément dépréciatif et stigmatisant, et que dans un monde construit et dominé par les hommes, tout domaine investi par les femmes était automatiquement déconsidéré. Il faut lire l’étude de Christine Détrez, qui montre combien la lecture de shôjo est impossible à assumer pour les garçons, immédiatement confrontés à des insultes homophobes, mais aussi combien elle est difficile également pour les filles, assimilées à des gourdes ou à des niaises11. Pascal Lafine, directeur éditorial chez Delcourt, l’exprime très bien : « Le shôjo est un peu devenu le nouveau roman Harlequin. Cela marche bien auprès des lecteurs, mais c’est considéré comme de la sous-culture. Beaucoup de libraires et de professionnels de l’édition sont des hommes, ce qui n’aide pas à mettre en avant ce style12 ».
Quand les ventes de shôjo ont commencé à chuter en France, les éditeurs ont pris moins de risques et se sont repliés sur la romance que le grand public avait identifiée. S’est alors imposée l’idée qu’un shôjo doit forcément parler d’amour et que tout autre type de shôjo aurait du mal à trouver un public. Plus les séries proposées sur le marché sont calibrées dans ce sens, plus elles entretiennent les a priori, et moins elles intéressent le lectorat féminin qui se détourne vers d’autres courants du manga. C’est un cercle vicieux dont certains éditeurs tentent de sortir parfois maladroitement, évitant ce qu’ils ont eux-mêmes contribué à construire13.
Face à des séries shôjo qui sortent du stéréotype romance, les éditeurs n’ont pas trouvé mieux que de les classer ailleurs, et en particulier dans des collections seinen. C’est commercialement astucieux mais cette stratégie contribue à enfermer un peu plus le genre shôjo dans les clichés, tout en brouillant les repères du lecteur. Pour Bruno Pham, « en retirant ces titres souvent prometteurs de la catégorie shôjo comme Les Enfants de la baleine ou Le Requiem du roi des roses, on continue d’ostraciser le genre, de le reléguer au rang de sous-produit. 14»
Les éditeurs français n’hésitent pas à modifier les catégories d’origine si elles ne paraissent pas convenir au marché français. Mais parfois ils s’y accrochent alors qu’une modification aurait été bienvenue ! C’est ainsi que des séries qui ont toutes les caractéristiques du shôjo mais qui ont été publiées dans un magazine japonais seinen (dans l’idée probable de variété des séries) gardent leur étiquette seinen en France. C’est le cas de L’Atelier des Sorciers, une série très réussie dont tout le monde a constaté qu’elle s’adresse à des jeunes (dès 9/10 ans) ! Quelle est la stratégie de l’éditeur ici ? Pourquoi proposer un titre qui s’adresse explicitement aux fillettes dans une collection adulte ? Peut-être est-il temps de conclure que shônen comme shôjo sont devenus des courants tellement stéréotypés en France que la seule voie neutre est désormais la catégorie seinen qui risque de devenir une classe fourre-tout ! Tout ceci pourrait expliquer en partie la progression du segment seinen dans les ventes françaises de manga, parallèlement au déclin des ventes shôjo. Car il est probable qu’une partie du shôjo soit allée alimenter le segment seinen !
Il s’agit donc d’avancer prudemment sur le chemin des catégories de l’édition manga et de prendre conscience que ces divisions, tant au Japon qu’en France, sont aussi peu strictes que fiables, ce qui complique évidemment la tâche des médiateurs du livre. À qui se fier si l’éditeur lui-même ne respecte pas le principe de classification de ses propres collections ? D’une certaine façon, les termes « shôjo », « shônen », « seinen » s’avèrent complètement dépassés. Il s’agira aussi de garder cela en tête pour la suite de notre article (et peut-être également dans nos pratiques de médiateurs du livre).

Qu’est-ce que le shôjo ?

Le shôjo désigne tous les mangas publiés au Japon dans un magazine pour jeunes filles (qu’il parle d’amour ou non). Sa seule définition est qu’il s’adresse à un public féminin. Tentons de dégager quelques points communs : une ou plusieurs héroïnes sont généralement mises en scène (mais la présence d’héroïnes n’est pas la garantie certaine d’être face à un shôjo !). Une attention particulière est portée à la description des sentiments et au développement psychologique des personnages, qui se manifestera tant dans la narration que dans la mise en page. Certains codes graphiques et esthétiques sont donc privilégiés. Enfin, le shôjo est majoritairement écrit par des femmes… Une fois ceci posé, on s’aperçoit que bien des titres dérogent en partie à cette tentative de définition. La seule certitude dans le domaine, c’est que le shôjo, par nature protéiforme, est un courant difficile à cerner !
Le shôjo manga se diversifie en fonction des tranches d’âge, la lectrice n’ayant pas les mêmes centres d’intérêt ou les mêmes attentes à 8, 12 ou 16 ans. À l’intérieur des classes d’âge, le shôjo se redécompose en fonction de thèmes ou de courants précis. A priori, tous les courants du manga y sont représentés (fantastique, sport, horreur, historique, policier…). Thématiques comme esthétiques sont diverses, et le ton, selon les tranches d’âges, varie du plus délicat au plus cru.

Un courant forgé par des femmes mangakas
Il n’est pas inintéressant de rappeler que ce courant a été forgé par des femmes mangakas qui lui ont véritablement donné un souffle propre et singulier dans les années 70. Car, s’il y avait dès le début du XXe siècle des magazines destinés aux filles avec un contenu qui leur était destiné, et qui contribuera à l’émergence d’une culture shôjo, les mangas qui vont investir ces magazines dans les années 50 sont réalisés par des hommes (Tetsuya Chiba, Mitsuru Adachi). Ils écrivent des histoires souvent mièvres, selon les stéréotypes qu’ils ont de la gent féminine à cette époque-là. Toute une génération de lectrices de manga des années 50 accédera à la création, profitant du boom de l’édition manga et de la révolution sexuelle des années 70. Car face à l’afflux de la demande en matière de manga, les éditeurs embauchent des dessinatrices, via les concours habituels proposés par les magazines. C’est ainsi que beaucoup commencent leur carrière très jeune (avant 20 ans). Surnommées les Hana 24 nen gumi15, elles amènent leurs préoccupations et leur sensibilité de jeunes femmes et de jeunes artistes, complexifiant les scénarios, innovant aussi bien avec des thèmes inconnus dans le manga d’alors qu’avec une expérimentation des styles graphiques et une esthétique de la mise en page révolutionnaire, s’émancipant ainsi des conventions de l’époque16. Elles s’intéresseront notamment à la différenciation de genre et à la sexualité, et seront à l’origine du shônen aï (récits d’amours homosexuels masculins), une particularité étonnante du shôjo. (Pour découvrir quelques-unes de ces mangakas traduites en France, cf. bibliographie jointe.)
Les mangakas femmes ne sont pas obligatoirement autrices de shôjo dans le marché actuel, elles ont tout à fait trouvé leur place dans l’édition manga, et en particulier dans le shônen. Elles ont néanmoins beaucoup apporté à ce courant, devenu une puissante tribune féminine à l’époque. Cet âge d’or du shôjo a eu bien sûr une influence considérable sur le développement de ce courant dont on perçoit encore l’héritage graphique et thématique. Il révèle une combativité et une créativité incroyables de ces autrices, sans comparaison possible avec d’autres pays. Ni la France ni les États-Unis, autres grands pays de bande dessinée, n’ont connu de la part d’autrices un tel impact éditorial et artistique.

« Alors que comic books américains et bandes dessinées françaises ont longtemps boudé les femmes, le milieu éditorial japonais leur a toujours donné une place à part entière. Un beau paradoxe pour un pays qu’on a
souvent tendance à considérer comme misogyne…17  »

 

La partition sexuée de l’édition manga a donc bien eu pour conséquence et avantage de donner une place importante aux autrices au Japon, et ainsi d’enrichir ce segment éditorial.

L’image décriée du shôjo, taxée de mièvrerie, reflète, plus qu’une réalité de contenu, une ignorance du grand public en France qui n’a pas pris la mesure de sa diversité, des genres que ce courant explore et des thèmes spécifiques présentés, en particulier liés au genre. Les éditeurs, avec leurs stratégies changeantes, n’ont pas aidé à une reconnaissance véritable du shôjo manga sur le marché français, le réduisant au seul courant de la romance, le tout dans un contexte globalement peu favorable à la reconnaissance de la place des femmes dans la création artistique comme dans la société. Il faut espérer que les éditeurs français, pour la plupart conscients de cette réalité discriminante, osent changer la donne dans les années à venir, en offrant à lire aux lectrices tous les courants du shôjo manga.

Aromantic love story

 

SHÔJO MANGA ET ROMANCE : QUELLES REPRÉSENTATIONS DE LA FEMME ?

Nous venons de faire le constat que le shôjo manga, en tant que segment éditorial du marché du manga, est un courant bien difficile à cerner. Représentant tous les genres de récits, sa seule définition est de s’adresser à un public féminin. Bien que nous ayons insisté sur le fait que le shôjo ne se limite pas à traiter des relations sentimentales, c’est ce courant de la romance que nous avons choisi d’observer ici. Choix qui se justifie par la place, comme nous l’avons vu, qu’il occupe dans l’édition française de manga, et par la volonté de comprendre si le fait qu’il soit tant décrié renvoie à des représentations féminines stéréotypées et/ou à des clichés narratifs.

En France, l’édition manga de shôjo a été dominée par le courant de la romance, récit où la relation amoureuse occupe une place centrale. Les intrigues se déroulent dans des univers réalistes comme fantastiques, avec des rebondissements dramatiques ou humoristiques. « Pour construire un bon scénario de shôjo, l’évolution des sentiments entre les protagonistes est essentielle. Les rebondissements vont renforcer la relation amoureuse. Plus le manga avance, plus l’affection s’accentue entre les deux. On ne doit pas avoir peur de faire souffrir nos personnages pour que leurs passions prennent une autre dimension.18 »
Dans le cadre réaliste, souvent contemporain, les romances ont pour décor le quotidien des jeunes filles, et plus particulièrement l’école, donnant naissance à une sous-catégorie : la romance scolaire. Les héroïnes entretiennent des rapports avec les autres, filles et garçons de leur âge, et éventuellement avec les membres de leur famille. Le récit évoque la naissance du sentiment amoureux, la difficulté de distinguer l’amour de l’amitié, de communiquer avec le sexe opposé et de livrer ses sentiments. Seront aussi abordées la jalousie, la peur du rejet du groupe comme celle de ne pas être à la hauteur avec le garçon aimé…
Dans tous ces récits de romance, les jeunes filles sont tourmentées par leurs sentiments et se posent des questions sur la nature de leurs relations aux autres et sur leur identité. Le récit peut être raconté entièrement à la première personne, avec une voix off, renforçant la proximité avec l’héroïne (Journal de Kanako, Say I love you). Le point de vue du garçon peut être donné partiellement par le biais de la voix off, mais il est très rarement raconté du seul point de vue du garçon (Mon Histoire).
Nous verrons que la romance ne se borne ni à un environnement réaliste ni au cadre de la romance scolaire. La romance shôjo est également traversée par un courant humoristique s’orientant alors vers la comédie sentimentale, mais aussi par un registre fantastique, permettant des péripéties plus dramatiques et confrontant les personnages à des situations insolites. Enfin, dans un contexte historique particulier, le récit de la relation amoureuse aurait tendance à s’estomper au profit d’une exposition des rapports hommes-femmes sur le mode sociétal plutôt qu’intimiste. Nous allons examiner ces différents courants de la romance, en nous interrogeant sur les figures féminines qui y sont présentées.

Banale à tout prix

La romance dans les jeunes tranches d’âges (moins de 13/14 ans), et particulièrement en milieu scolaire, peut paraître stéréotypée dans le sens où le récit va dérouler une série de moments clés de façon quasi immuable : la déclaration, le premier rendez-vous, la première fois où les mains se touchent, le premier baiser, etc. Ces clichés narratifs jalonnent le récit comme des étapes obligées de la relation amoureuse et peuvent paraître répétitifs, d’autant qu’ils se conjuguent avec des scènes invariables : la scène de pluie où on partage le même parapluie, prétexte merveilleux pour marcher côte à côte, où l’un prête à l’autre son parapluie, assurance merveilleuse de se revoir, la chute accidentelle où on se retrouve l’un sur l’autre dans une gêne honteuse mais ô combien troublante, la sortie au parc d’attractions en couple qui met en général l’héroïne au summum de l’excitation, la sortie scolaire propice à la découverte de l’autre dans un cadre nouveau, la soirée traditionnelle de feux d’artifice en kimonos suivie de la contemplation des étoiles, où on abandonne le groupe de copains pour un moment plus intime, le festival scolaire où l’on s’associe à l’être aimé pour une prestation sportive ou théâtrale (thème inépuisable qui peut durer nombre d’épisodes), la Saint Valentin où les filles offrent des chocolats aux garçons et, en retour, lors du White Day, un mois plus tard, les garçons font des cadeaux aux filles. On voit au passage qu’à travers ces épisodes obligés, on découvre une partie de la culture japonaise (fêtes et vêtements traditionnels) dont semblent très épris les jeunes japonais, du moins dans les mangas, et qui ont probablement un effet valorisant pour les jeunes lectrices françaises (je connais la culture japonaise grâce au manga).
Ces scènes répétées ont probablement un effet sécurisant sur la jeune lectrice, tant japonaise que française. La répétition et la prévisibilité des scènes permettent identification et reconnaissance, et peuvent provoquer du plaisir, celui d’être en terrain connu. Plus on évoluera vers des tranches d’âge âgées, plus les scènes deviendront imprévisibles et inattendues, et joueront même à détourner ces clichés de la romance.
Dans les séries pour les plus jeunes, le garçon que l’on va aimer est attendu comme un prince charmant, l’expression étant souvent citée et utilisée par les personnages féminins. Le comportement du garçon est évalué au degré de gentillesse, d’attention et de protection qu’il va manifester envers la fille. Les filles sont montrées dans la relation amoureuse comme timides et dociles : elles passent leur temps à s’excuser de leurs comportements, acceptent ce que les garçons proposent et cuisinent invariablement pour lui avec empressement, en particulier les fameux bentô (Un amour de bentô). Les filles des shôjo font souvent la cuisine et cette activité est valorisée par les autres personnages. Dans Fruit Basket, l’héroïne est souvent représentée en train de servir les autres à table. Mais il est vrai que la nourriture, l’art de la préparer comme de la déguster, est un thème très important dans tous les courants du manga et que la cuisine occupe aussi une place importante dans la société japonaise.
Manon Comacle, dans le cadre d’un master de sociologie, a étudié trois shojôs de romance (Lovely Complex, Fruits Basket et Je ne suis pas un ange). Elle y démontre que les tâches domestiques sont clairement associées aux personnages féminins. « Ainsi, les filles sont représentées en moyenne avec 1,48 objet de nettoyage contre 0,5 pour les garçons. Et les garçons dans cette situation sont à l’école, dans le cadre d’activités obligatoires. Les filles ont également 2,2 objets de cuisine contre 0,84 pour les garçons – qui sont alors généralement en train d’aider les filles19. » Les filles (et souvent leurs mères) sont associées à la sphère domestique, conformément à ce que la société japonaise attend d’elles.
Les jeunes filles ont souvent une apparence « mignonne », kawaï, enfantine. Leurs corps ne sont pas ou peu sexualisés. Elles ont une petite taille et présentent des physiques fragiles tant dans le dessin que dans la narration (une averse au retour de l’école, elles s’enrhument et restent au lit deux jours !). Elles tombent, trébuchent, se font mal. Elles pleurent assez facilement et leurs joues sont souvent grisées pour exprimer la gêne ou la détresse. Les garçons sont souvent très grands et longilignes, plutôt androgynes, et sont montrés souvent comme attentifs à la fragilité des filles.
Évidemment, ce qui va faire émerger un titre du lot de ces romances convenues, ce sera la façon dont la mangaka va la traiter : avec subtilité, finesse et poésie (dans la mise en scène graphique comme dans les textes) ou avec humour et dérision, ou avec peut-être un événement imprévisible dans ce canevas bien tissé, un personnage marginal qui bouleverse la donne… Citons quelques titres récents qui, tout en étant dans ce schéma conventionnel, présentent un certain charme par leur ton ou leur réalisation graphique : Toi, ma belle étoile, Too bad, I’m in love, Waiting for spring, The world’s best boy friend, Banale à tout prix, Telle que tu es.
Dans la romance pour les plus jeunes, il ne semble pas question de déboulonner les stéréotypes qui fonctionnent comme des codes dans cette fiction. L’image de la jeune fille fragile et docile est une image traditionnelle au Japon et toujours présente dans la société actuelle. Si les héroïnes de romance shôjo peuvent être plus ou moins hardies et prendre quelques initiatives, elles sont toujours tétanisées à l’idée de déplaire à celui qu’elles aiment ou à celui par qui elles ont été choisies et qui valorisent ainsi leur narcissisme. « Si nobles que puissent être ses rêves, une héroïne de shôjo manga ne doit ni troubler l’ordre social, ni oublier que c’est à un garçon qu’il revient de lui révéler sa vraie nature de femme20. »
Pour autant, l’idée n’est pas de conforter les lectrices dans une image stéréotypée ou régressive de la femme, même si c’est ce qui peut apparaître à première vue. Car la romance n’a pas pour intention de décrire le réel, elle propose à la lectrice de vivre intensément des émotions au travers de situations identifiées. Dans Love Baka, une scène traitée de façon humoristique montre une mangaka qui frappe et met à terre un personnage masculin dénigrant le shôjo. Elle lui rappelle que les auteurs de shôjo manga se démènent pour « faire palpiter le cœur de leurs lectrices » et que ce n’est pas « simple de faire vivre des émotions aux lectrices21. »
Bien que ces romances soient développées dans un univers réaliste, elles fonctionnent un peu comme des contes : avec des personnages à la fois suffisamment développés et suffisamment creux pour permettre l’identification et activer des fantasmes chez les jeunes lectrices. Pour Virginie Sabatier, que le manga bouleverse une éducation et l’ordre établi serait trop perturbant pour une jeune adolescente. « Le shôjo manga, comme dans le conte, ne tend pas à décrire une réalité mais juste à exacerber certains ressentis et rêves permettant au lecteur d’accéder à des fantasmes sexuels ou autres.22 »
Sans pouvoir pressentir la façon dont les lectrices lisent et interprètent ces récits, si elles s’identifient ou pas aux personnages, comment elles perçoivent ces représentations stéréotypées des femmes, certains critiques estiment que la romance shôjo répond au besoin des lectrices de se sentir aimées, d’être sécurisées, de jouir de la reconnaissance sociale. « Ce qu’elles cherchent, c’est de voir leurs désirs inconscients magiquement réalisés : trouver un homme aimant et compréhensif, s’élever socialement…23 »
« De ce point de vue, une étude de la réception des shôjo serait également intéressante, car comme le rappelle Eric Maigret (1995), «la présence de ‘stéréotypes’ ne [donne] aucune indication sur le rapport que l’on entretient avec eux» »24.
Probable qu’un pacte de lecture plus ou moins conscient lie la lectrice à la romance shôjo : elle sait que ce n’est pas la réalité, que les relations sont ici idéalisées et romantisées, mais en même temps, les émotions qu’elle éprouve, elles, sont bien réelles. Les jeunes lectrices savent que la fiction obéit à des règles bien différentes de celles de la vie quotidienne, et le savoir ne les empêche pas d’aimer y croire ! La romance de shôjo ne cherche pas à transmettre des connaissances sur le monde réel mais bien plutôt à faire vivre des expériences émotionnelles à ses lectrices.

Telle que tu es

Certaines romances vont cependant proposer des intrigues plus mordantes et aborder des thèmes bien ancrés dans la réalité quotidienne des jeunes : le harcèlement scolaire, l’apparence, la popularité. Les personnages féminins deviennent rebelles, remettent en cause les conventions sociales et ainsi, d’une certaine façon, déboulonnent les stéréotypes entrevus précédemment. Dans Hana Yori Dango, gros succès éditorial, l’héroïne Tsukushi, dotée d’un solide caractère, affronte une bande de harceleurs, gosses de riches, de son école (privée) pour défendre une élève isolée. Le récit abordera de multiples sujets au cours des 37 volumes de la série (un des plus longs shôjos existants) : les rapports de classe et d’argent (elle est d’un milieu très modeste, ils sont tous riches), une histoire d’amour longue et tumultueuse (il est le chef de la bande, violent et dédaigneux, mais il va changer pour que l’héroïne le considère), des voyages aux quatre coins du monde qu’un nombre important de personnages rencontrés permet de réaliser. Mais pourtant encore, « si l’héroïne d’Hana Yori Dango paraît bouleverser les convenances en sortant de sa condition sociale, le riche mariage qui l’attend est la récompense qui lui échoit pour avoir conforté l’ordre établi en transformant un voyou brutal en digne héritier d’un groupe financier.25 »
Si effectivement la fin de ces romances est souvent morale et conventionnelle, finissant par un beau mariage (hyper valorisé dans la société japonaise), il n’en reste pas moins que les intrigues mettent en scène des personnages féminins qui évoluent, qui réfléchissent, qui s’affirment peu à peu face aux autres et tracent un parcours qui, s’il n’est pas révolutionnaire, n’en est pas moins initiatique et positif pour les lectrices.

Nana

Plus les séries s’orientent vers un lectorat mature (plus de 14 ans), plus la romance s’efface pour laisser place au développement de thèmes sociétaux ou intimes comme l’inceste, la maladie, le deuil, le handicap, la prostitution, la drogue, le suicide, la transidentité (Perfect world, A silent voice, Le Sablier, Piece, Nana, Six Half, Celle que je suis). Le ton devient plus dur, les personnages sont plus âgés, leurs relations sont traitées de façon plus réaliste et moins idéalisée que dans la tranche d’âge plus jeune. Tout en traitant du thème de l’amour, ces shôjos mangas évoluent vers un registre qualifié « tranches de vie ». Ils mettent en scène des personnages féminins aux comportements et personnalités diverses, confrontées à de rudes épreuves, avec des parcours de vie chaotiques. Dans Nana, un des ressorts essentiels de la série est d’opposer les personnalités et les comportements des deux héroïnes principales. Elles portent le même prénom et partagent le même appartement, mais leurs points communs s’arrêtent là. Nana Komatsu, candide et superstitieuse, rêve du grand amour, mais avec son cœur d’artichaut, elle tombe amoureuse de chaque garçon qu’elle rencontre. Elle va être au cœur d’un drame amoureux duquel elle sort enceinte et délaissée. Nana Osaki, malmenée par une vie familiale difficile, orpheline à 15 ans, est plus rebelle. Elle est prête à tout pour réussir son rêve de rockeuse mais son attachement à son amant guitariste qui sombre dans la drogue risque de briser son projet de carrière. Leur différence ne les empêchera pas de nouer une dépendance affective mutuelle. Les mécanismes de la possessivité, de la jalousie, de la peur, de la solitude se dévoilent aussi à travers les multiples personnages qui gravitent autour d’elles. L’évolution de ces nombreux personnages rendue possible par la longueur de la série (21 volumes) et l’évocation détaillée de la scène musicale tokyoïte a permis à l’autrice de développer une histoire complexe qui permet de dépasser les clichés du shôjo type romance. Parallèlement aux déploiements des relations affectives, de nombreux autres sujets sont développés : rivalités et compromissions musicales, dérives des médias, mal-être, consommation de stupéfiants, prostitution, suicide… Tout en dressant un portrait très critique de l’univers du show-biz, ce manga évoque aussi avec sensibilité la perte des illusions et des rêves d’adolescence.
Ce type de récit qui s’adresse à un lectorat plus mature propose une représentation des femmes à la fois multiple et nuancée. Il n’est plus question de figures de jeunes filles douces et fragiles prises dans des histoires d’amour conventionnelles, répétitives et sécurisantes. Les mangakas ici dressent des portraits nuancés de femmes singulières prises dans des parcours de vie loin d’être roses.
C’est dans cet esprit et dans une forme de continuité que le josei s’est développé. Parfois intégré comme un courant mature du shôjo, parfois considéré comme un courant distinct du shôjo, selon les périodes et les stratégies promotionnelles des éditeurs (en France comme au Japon), le josei s’adresse à un public féminin a priori plus âgé (autour de 20 ans et plus). Dans ce courant qui aborde les relations amoureuses, ce sera souvent la fin définitive du conte de fées et l’introduction de problématiques en lien avec l’âge des lectrices : le mythe du prince charmant s’effondre, les rapports avec les hommes se durcissent tandis que les femmes se confrontent à un quotidien professionnel et familial difficile où les pressions sociales qu’elles subissent sont exposées. La romance y est plus facilement sexualisée, en tout cas souvent plus mature, avec des préoccupations d’adultes loin des amourettes scolaires légères. Mari Okazaki, dans Complément affectif, montre le milieu professionnel comme un combat pour s’affirmer en tant que femme. Blue évoque avec subtilité une histoire d’amour entre deux jeunes filles. Dans Undercurrent, le mari de l’héroïne disparaît mystérieusement et la laisse seule pour gérer l’entreprise familiale de bains publics. Ces récits mettent en scène des jeunes femmes de tous les jours qui, sans être héroïques, prennent leur vie en main et se comportent à contre-courant des attendus ou des stéréotypes.

Des stéréotypes questionnés
Revenons au shôjo manga et à la romance adolescente dont nous avons pointé les stéréotypes en termes de clichés narratifs et d’image de la jeune fille. Car cette affirmation peut être largement nuancée. En effet, c’est par le biais des registres fantastique et humoristique que les mangakas vont s’éloigner des codes de la romance, en jouer, voire les détourner et s’affranchir parfois des stéréotypes sociaux.
Dans Switch girl, le récit met en scène Nika, une héroïne qui vit selon deux modes, le On, qui est le comportement que la société attend d’elle (bonne élève, apprêtée, serviable), et le Off, qui révèle sa nature profonde (paresseuse, radine, goinfre) que sa famille excentrique est loin de brider. Avec ce personnage qui fonctionne sur deux modes opposés apparaît le thème de la différence entre l’image que l’on veut donner de soi et ce que l’on est réellement, thème cher au manga (Elle et Lui, Le Fabuleux Destin de Taro Yamada), et aussi révélateur de la société japonaise. Drôle et irrévérencieux, Switch Girl révèle une autrice qui pulvérise le mythe de la femme japonaise irréprochable et qui détourne avec jubilation les codes du shôjo manga. Les notes que la mangaka dissémine en marge du récit montrent combien elle est proche de son héroïne inconvenante et accentuent la fantaisie et la spontanéité du récit. Elle mettra de nouveau en scène, dans Ugly princess, une héroïne marginale, si complexée par son physique ingrat et les brimades multiples qu’elle a perdu toute confiance en elle. La série développera non sans humour et autodérision le parcours de reconstruction et d’intégration de la jeune fille, durant ses années collège puis lycée, qui l’amènera à s’accepter telle qu’elle est. De nombreuses séries (dont certaines ont connu un grand succès) aiment à présenter des héroïnes marginales qui se confrontent aux pressions sociales que subissent les filles, en termes de comportement et de rôles attendus dans la société : Fight Girl, SOS Love, Princess Jellyfish, No longer Heroïne, Love Baka, Aromantic Love… Ce dernier titre met en scène une mangaka de shôjo, piégée entre les contraintes éditoriales de son métier et sa nature. Sont évoqués l’asexualité et l’aromantisme revendiqués par l’héroïne, le choix de rester célibataire et la réaction des hommes face à une femme qui ne rentre pas dans le moule. Dans Princesss Jellyfish, les filles d’une pension exclusivement féminine refusent toute communication avec le sexe opposé jusqu’à ce qu’un garçon travesti (pour échapper aux pressions que son père exerce sur lui) s’introduise chez elles…
Face à ces filles transgressives par rapport à l’image et au comportement que la société exige d’elles, évoluent aussi des garçons qui sortent de l’image viriliste que la société leur impose (Shine, Make me up ! Kimi wa pet). L’humour et la liberté de ton de ces comédies romantiques permettent probablement d’échapper aux carcans que sous-tendent le genre de la romance comme la société.
Dans une dimension fantastique, la romance explore de façon plus dramatique les relations filles-garçons et le jeu complexe de leurs relations. Le recours au voyage dans le temps permet aux héroïnes de prendre du recul sur ce qu’elles sont et sur ce qu’elles attendent de l’amour. Dans Orange et Sos Love, les héroïnes du présent rencontrent leur moi du futur qui les met en garde, les enjoignant à changer leurs comportements pour éviter un drame (le suicide d’un camarade dans Orange) ou pour ne pas finir célibataire à 30 ans (fait longtemps vécu comme un drame pour la femme japonaise, Sos Love).
Dans Love and Lies, une dystopie traitée sur le mode de la comédie romantique, on découvre un couple de lycéens « mariés » par le gouvernement qui a mis en place un système, soi-disant scientifique, pour lutter contre la dénatalité. Il choisit pour chaque japonais le partenaire de sa vie, valorise l’acte sexuel comme un acte citoyen et promeut la fidélité amoureuse à vie. Le jeune couple, dont le garçon est déjà amoureux d’une autre, décide d’un commun accord de transgresser les règles et de vivre une vraie histoire d’amour, ce qui est totalement illégal. Leurs interrogations et réactions débordant de sensibilité et de fragilité sont plutôt touchantes. « Amour, devoirs et sentiments, les protagonistes se trouvent pris dans l’engrenage de la société, sans espoir d’un avenir différent de celui tracé pour eux26. » Ce récit fantastique permet de parler d’une relation amoureuse dont les normes sont imposées par la société et de l’angoisse générée par cette normativité, des thèmes transposables par des lecteurs dans leur réalité actuelle.
Ces romances décalées par l’humour et le fantastique, voire les deux mêlées, posent plus de questions à la lectrice. En s’éloignant du décor réaliste de la romance scolaire (qui est en fait dans une forme d’irréalité, comme nous l’avons vu), ces approches permettent de complexifier les intrigues et les personnages, et de traiter du sentiment amoureux comme du statut des filles et garçons, soumis tous deux à des pressions sociales.

Bride stories

Enfin, dans un contexte historique, la romance s’émancipe du Japon contemporain pour explorer les relations hommes-femmes dans d’autres pays et époques. Dans Bride stories de Kaoru Mori, qui se passe en Mongolie au XIXe siècle, il est question de relation conjugale (avec une grande différence d’âge dans le couple) et du sort des femmes qui servent de monnaie d’échange entre clans. Dans Emma, de la même mangaka, ce sont les amours contrariées d’une jeune domestique et de son maître dans l’Angleterre victorienne qui sont évoquées. Dans La Rose de Versailles, un grand classique du shôjo écrit en 1972 par Riyoko Ikeda, Oscar, une fille élevée comme un homme par son père, est capitaine de la garde royale chargée de veiller sur la dauphine Marie-Antoinette. Elle assume parfaitement le rôle fixé par son père : elle est un soldat à l’aise avec la guerre comme dans les bals de la cour où, en uniforme, elle fait tourner la tête des femmes comme des hommes. Le récit pose le thème de l’identité de genre de manière originale : Lady Oscar se perçoit comme un homme et la grande majorité des personnages accepte sa double identité, admettant son statut d’homme comme l’ambiguïté que cela provoque. La seule fois où Oscar apparaît en public habillée en femme, cela lui vaudra d’être violée par l’homme qui l’aime, comme si le féminin exposé au désir de l’homme encourait nécessairement la domination et la violence masculines. À la fin, c’est au moment où Oscar accepte de « devenir » une femme pour se marier avec André qu’elle meurt sur les remparts de la Bastille. La série, par son caractère subversif (son questionnement sur le genre) et son incroyable audience au Japon et dans le monde, a marqué pendant longtemps les mémoires des lectrices. Elle fera également du travestissement un thème majeur du manga. Une mangaka témoigne de cette influence : « C’est une des choses que j’ai toujours beaucoup aimée dans les mangas, ce jeu et ce questionnement sur le genre. Les personnages tels que Lady Oscar m’ont fait beaucoup de bien dans l’enfance. Ils m’ont permis de m’identifier à un personnage de mon sexe qui n’était pas conforme à son genre, c’était formidable pour une fillette telle que moi de voir un personnage féminin valorisé pour sa force, son héroïsme, et pas seulement sa beauté et sa douceur. »
Les shôjos dans un contexte historique permettent d’aborder la condition féminine en prenant du recul par rapport à la société contemporaine. Cette dimension de l’histoire donne plus de liberté aux mangakas, soit pour jouer avec des rôles inattendus de la femme (La Rose de Versailles), soit pour dresser un tableau de la condition féminine dans d’autres époques ou lieux. Des personnalités hors normes sont mises en scène. Comme Isabella Bird, l’exploratrice britannique partie découvrir le Nord du Japon en 1878 par des routes inédites, ou Arte, la jeune fille voulant devenir peintre dans le contexte misogyne de la Renaissance italienne. Ce peut être aussi une femme banale prise dans un contexte historique particulier. Dans un recoin de ce monde met ainsi en scène Suzu, depuis son enfance à Hiroshima dans les années 30 jusqu’aux années de guerre. La série montrera la vie quotidienne au Japon pendant la guerre du point de vue des femmes à qui le gouvernement imposera bien des contraintes : travail obligatoire à l’usine pour les célibataires, participation à la vie collective de quartier, soutien patriotique aux soldats… Dans Le Tigre des Neiges, la mangaka s’inspire d’une théorie développée autour d’un célèbre seigneur de guerre nippon, surnommé le Tigre d’Echigo, qui le donne en fait pour une femme. Tout en s’appuyant sur des faits historiques et des éléments démontrés, elle développe cette biographie de façon très libre, donnant vie à ce destin hors du commun d’une femme guerrière travestie en homme.
Ces récits qui mettent en scène des personnages féminins empruntés à la réalité historique ou des personnages de fiction dans un cadre historique précis et documenté, échappent au cadre strict de la romance. Même si la relation amoureuse n’est pas délaissée, c’est l’exploration des relations hommes-femmes d’un point de vue sociétal qui prévaut. Ces récits témoignent de la volonté des mangakas d’explorer, dans le cadre du shôjo manga, la condition féminine.

 

 

Ce survol partiel permet de montrer que plus la romance de shôjo manga évolue vers des tranches d’âge âgées, plus les représentations féminines se diversifient, gagnent en réalisme et en diversité. S’il semble que ces représentations féminines soient conformes à une vision genrée imposée par la société japonaise, les déclinaisons proposées sont aussi capables de s’en moquer ou de les critiquer, sans forcément les remettre en cause. Avec ses représentations féminines plurielles, stéréotypées comme originales, singulières ou féministes, la romance de shôjo manga n’est pas révolutionnaire du point de vue des représentations genrées, mais elle n’est pas pour autant antiféministe. « Les héroïnes de ces mangas sont des femmes fortes, et à beaucoup d’égards plus indépendantes que leurs petits amis ; elles tentent de s’épanouir et de trouver leur place, comme de nombreuses de Japonaises aujourd’hui27. »
Peut-être, en tant que médiateurs du livre, pourrions-nous casser ces représentations stéréotypées du shôjo manga, en engageant les filles comme les garçons à en lire ? Car si les filles ont accès à l’univers des garçons via le shônen (ou des loisirs comme les jeux vidéo) qui leur permet d’enrichir leurs points de vue, les garçons franchissent difficilement la barrière de la partition sexuée des loisirs et des lectures. Pourtant, comme le conseille l’héroïne de Bye Bye Liberty à un de ses amis, qui concède lire du shôjo de temps en temps : « les garçons devraient en lire plus ! c’est un manuel qui mène au cœur des filles ! » Peut-être un argument à adopter !

 

Banale à tout prix

 

Lutter contre les violences faites aux femmes

Textes et conventions internationales

Monde
2011 : Convention d’Istanbul : Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique : https://www.coe.int/fr/web/istanbul-convention, ratifiée par la France en 2014

1993 : Déclaration de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de violence à l’égard des femmes.

1979 : Convention de l’Organisation des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ratifiée par la France en 1983

France
Code de l’éducation – Article L.312-17-1 du 9 juillet 2010 : « Une information consacrée à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple est dispensée à tous les stades de la scolarité. »
www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000022469852&cidTexte=LEGITEXT000006071191&dateTexte=20100711

Code de l’éducation – Article L.312-17-1-1 de la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées : « une information sur les réalités de la prostitution et les dangers de la marchandisation du corps est dispensée dans les établissements secondaires, par groupes d’âge homogène. »
www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=1867FE833E101DB23356EECF48F4F2B5.tpdila18v_3?idArticle=LEGIARTI000032398395&cidTexte=LEGITEXT000006071191&dateTexte=20160907&categorieLien=id&oldAction=&nbResultRech=

BO du 7-2-2013 – Convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif 2013-2018.
www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=67018

BO du 10-8-2016 – Éducation à la santé – Circulaire relative aux orientations générales pour les comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté. Dans le cadre de la prévention de la violence, ce texte insiste sur les actions éducatives visant à : « prévenir les atteintes à l’intégrité physique et à la dignité de la personne » ; « prévenir les comportements sexistes et les violences sexuelles. »
www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=105518

BO du 12-9-2018 – Éducation à la sexualité – Circulaire axée sur la prévention des violences sexuelles et sexistes en lien avec l’égalité entre les filles et les garçons :
www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=133890

La législation

En France, ce sont le Code pénal et le Code civil qui répriment les violences à l’encontre des femmes adultes et mineures. À titre d’exemple : le viol est un crime depuis 1980 : articles 222-23 à 222-26 du Code pénal.
Pour plus de détails sur la typologie des violences faites aux femmes : peines encourues, notamment, se rendre sur la page dédiée du site gouvernemental français.
www.stop-violences-femmes.gouv.fr/

« Ce que dit la loi :
Violences sexuelles
Harcèlement sexuel
Violences au sein du couple
Outrage sexiste
Mariage forcé
Mutilations sexuelles féminines »

 

Organismes publics, Associations

Secrétariat d’État chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations www.stop-violences-femmes.gouv.fr/

MIPROF : Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains. Publication de La lettre de l’Observatoire national des violences faites aux femmes sur le site gouvernemental stop-violences-femmes
www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/le-secretariat-d-etat/instances/miprof-mission-interministerielle-pour-la-protection-des-femmes-victimes-de-violences/

Le Centre Hubertine Auclert : centre francilien pour l’égalité femmes-hommes qui lutte contre les violences faites aux femmes via l’observatoire régional des violences faites aux femmes www.centre-hubertine-auclert.fr/observatoire-regional-des-violences-faites-aux-femmes

FNCIDFF : Fédération Nationale des Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles www.infofemmes.com/v2/accueil.htm

FNSF : Fédération Nationale Solidarité Femmes www.solidaritefemmes.org/

Fédération GAMS : lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes et aux filles https://federationgams.org/

AVFT : Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail
www.avft.org/

ECVT : Elu.e.s contre les violences faites aux femmes www.ecvf.fr/

Collectif féministe contre le viol
https://cfcv.asso.fr/

Collectif national pour les droits des femmes
http://collectifdroitsdesfemmes.org/

Collectif stop au harcèlement de rue
www.stopharcelementderue.org/

Collectif noustoutes
www.nous-toutes.com/

Osez le féminisme
https://osezlefeminisme.fr/

Journées

• 11 octobre, Journée internationale des droits des filles ;

• 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes ;

• 24 janvier, Journée nationale contre le sexisme. Organisée par le comité « Ensemble contre le sexisme » qui réunit 34 associations et réseaux (Centre Hubertine Auclert, notamment) ;

• 6 février, Journée internationale de la tolérance zéro à l’égard des mutilations sexuelles féminines ;

• 8 mars, Journée internationale des droits des femmes.

Expositions

Le centre Hubertine Auclert propose un catalogue de 24 expositions sur les violences faites aux femmes, mises à disposition gratuitement pour les établissements scolaires : Violences elles disent non !, Projet Crocodiles, etc.
www.centre-hubertine-auclert.fr/sites/default/files/fichiers/cha-guide-expo-maj28mars2019.pdf

Unesco, Exposition – Violence contre les femmes 2018
https://fr.unesco.org/commemorations/eliminationofviolenceagainstwomenday/exhibition

Unsung Heroes : elles brisent le silence, Paris : Galerie Joseph, du 9 octobre au 27 novembre 2019, 60 portraits de femmes victimes de violences, à travers le monde, Médecins du Monde et Denis Rouvre, photographe.
www.medecinsdumonde.org/fr/actualites/nos-combats/2019/03/03/unsung-heroes

Dans les programmes

Collège

EMC : Arrêté du 21 juillet 2018. Cycle 2, 3, 4
Acquérir et partager les valeurs de la République : « S’en déduisent la solidarité, l’égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que le refus de toutes les formes de discriminations. »
Respecter autrui. « Les atteintes à la personne d’autrui (racisme, antisémitisme, sexisme, xénophobie, homophobie, handicap, harcèlement, etc.) » ; « Conscience de la dignité et de l’intégrité de la personne humaine » ; « Le harcèlement en situation scolaire, sur Internet et les réseaux sociaux. »

Histoire – Géographie : B. O. spécial n° 11 du 26 novembre 2015. Cycle 4
Information, communication, citoyenneté « L’égalité hommes-femmes en Europe. On peut choisir de privilégier les droits des femmes ». Thème 3 de la classe de 3e, « Françaises et Français dans une République repensée. Femmes et hommes dans la société des années 1950 aux années 1980 : nouveaux enjeux sociaux et culturels, réponses politiques ».

Lycée

• Programmes seconde et première : BO spécial n° 1 du 22 janvier 2019

EMC Seconde
Axe 2 : Garantir les libertés, étendre les libertés : Notion à acquérir : « Respect de la personne humaine », « Les libertés en débat la lutte contre les discriminations et la promotion du respect d’autrui : lutte contre le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie ; lutte contre le sexisme, l’homophobie, la transphobie », « L’évolution des droits des personnes homosexuelles et transsexuelles », « l’égalité femmes/hommes », « les lois favorisant l’émancipation féminine et l’égalité femmes/hommes », « Simone Veil, une vie d’engagement pour le droit des femmes ».

SNT Seconde
Thématique réseaux sociaux : La cyberviolence : « Connaître les différentes formes de cyberviolence (harcèlement, discrimination, sexting…) et les ressources disponibles pour lutter contre la cyberviolence. »

SVT Seconde
Procréation et sexualité humaine : « Différencier, à partir de la confrontation de données biologiques et de représentations sociales, ce qui relève : de l’identité sexuelle, des rôles en tant qu’individus sexués et de leurs stéréotypes dans la société, qui relèvent de l’espace social. »

EMC Première
Axe 1 : Fondements et fragilités du lien social :
« Les nouvelles formes d’expression de la violence et de la délinquance (incivilités, cyber-harcèlement, agressions physiques, phénomènes de bandes, etc.). »
Axe 2 : Les recompositions du lien social :
« La promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes m;, « La défense des droits des femmes : renouveau du féminisme ou évolution sociétale. »

Histoire Première
Permanences et mutations de la société française jusqu’en 1914 : « L’évolution de la place des femmes. »

• Programmes de Terminale : BO spécial n° 8 du 25 juillet 2019. (Entrée en vigueur : septembre 2020)

EMC Terminale
Axe 2 : Repenser et faire vivre la démocratie : « Conscience démocratique et relations internationales : la défense des droits de l’Homme ; le développement du droit pénal international (le droit applicable aux génocides, aux crimes de masse et aux violences extrêmes). »

Histoire Terminale
Thème 3 – Les remises en cause économiques, politiques et sociales des années 1970 à 1991 : « une société en mutation : évolution de la place et des droits des – femmes » ; « 1975 : la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse : un tournant dans l’évolution des droits des femmes. »

Humanités, littérature et philosophie Terminale
Semestre 2 : L’Humanité en question « Histoire et violence ». « Il propose d’étudier les diverses formes de la violence et leur représentation dans la littérature, ainsi que les questions philosophiques qui leur sont liées. » « Les formes de violence sociale » ; « Violences quotidiennes ».

Droit et grands enjeux du monde contemporain Terminale
– Égalité et lutte contre les discriminations : « Aujourd’hui, cette exigence implique en particulier l’égalité entre les hommes et les femmes. »
– Sexe, droit et normes sociales Notions : liberté sexuelle, majorité sexuelle, infractions sexuelles, prostitution : « Le critère du consentement, éclairé et non-vicié, permet de distinguer les relations sexuelles licites et illicites. Les violences sexuelles – agression sexuelle, viol – sont constituées dès lors que l’auteur de l’infraction passe outre le consentement. Les phénomènes d’emprise ou de sidération, la vulnérabilité des individus ont conduit le juge et le législateur à distinguer la contrainte physique et la contrainte morale : une victime peut être reconnue comme telle même si elle n’a pas opposé une résistance physique. » Harcèlement et diffamation : « cyber-harcèlement »

Histoire Terminale technologique
Thème 3 – La France de 1945 à nos jours : une démocratie. – « L’évolution de la place et des droits des femmes dans la société française. »
Management, sciences de gestion et numérique Terminale technologique
« Identifier les situations de travail à risque (souffrance au travail, risques psychosociaux, harcèlement) et analyser les indicateurs les mesurant » ; « Harcèlement numérique ».

• Programmes d’enseignement du lycée professionnel : BO spécial n° 5 du 11 avril 2019

EMC Seconde professionnelle et CAP
Liberté et démocratie : « Quels sont les combats des femmes pour leur liberté ? »,
« L’exercice des libertés est garanti par la reconnaissance des différences, la lutte contre les discriminations et la promotion du respect d’autrui : lutte contre le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie ; lutte contre le sexisme, l’homophobie, la transphobie ; lutte contre les discriminations faites aux personnes porteuses d’un handicap. »

Prévention-santé-environnement Seconde professionnelle et CAP
La sexualité – la contraception : « Il sensibilise l’individu aux enjeux d’un comportement respectueux et responsable pour lui et les autres ».

Pistes pédagogiques

Emprunter une exposition mettant en valeur les femmes (femmes scientifiques, artistes, intellectuelles etc.) ou dénonçant les violences qu’elles subissent.

Se rendre à une exposition sur ce sujet avec un groupe d’élèves.

Recherches documentaires sur l’histoire des femmes et des luttes féministes : MLF, avortement, violences sexuelles et conjugales, sexisme, harcèlement.

Participer aux journées internationales des droits des femmes : inviter des Intervenants (membres d’associations, avocats, personnels médicaux, féministes, planning familial).

Diffuser un film puis débattre avec un ou des intervenants.

Projet de lutte contre le cyberharcèlement, cybersexisme notamment, en collaboration avec les CPE.

Séances sur la cyberviolence en cours de SNT, Histoire ou EMC : débat, réalisation de courtes vidéos.

Inscrire une classe aux différents concours de lutte contre les discriminations ou sur l’égalité filles-garçons (Ex. : les Olympes de la parole, Buzzons contre le sexisme : https://eduscol.education.fr/cid45623/concours-sur-l-egalite-filles-garcons.html ou Académie de Créteil : « Violences faites aux femmes : une affiche pour dire NON !).

S’associer avec l’infirmière et les professeurs de SVT pour un projet de lutte contre les discriminations sexuelles et/ou d’éducation à la sexualité.

Organiser une visite de la rédaction du magazine “Causette” et une rencontre avec les journalistes dans le cadre de la semaine de la presse.

Analyse d’image : recherche et étude des stéréotypes sexistes dans les publicités, les films et les médias (contacter le collectif « Prenons la une » : Association de femmes journalistes pour une juste représentation des femmes dans les médias et l’égalité professionnelle dans les rédactions).

Open your eyes : a campaign against gender violence, Denitza Tcharacova © licence C.C.

 

RESSOURCES

Sites internet / Rapports en ligne

Centre Hubertine Auclert / Observatoire régional des violences faites aux femmes. Stop cybersexisme : site dédié à la lutte contre le cybersexisme
www.stop-cybersexisme.com/

Centre régional d’information et de prévention du sida d’Ile de France : sélection d’outils pour mener des actions de prévention du sexisme
et de la violence liée au genre auprès des jeunes.
www.lecrips-idf.net/miscellaneous/selection-outils-sexisme.htm

Eduscol : page recensant les ressources et outils pour prévenir les violences sexistes et sexuelles dans le cadre de l’éducation à la sexualité.
https://eduscol.education.fr/cid47994/reperes-et-ressources-pour-la-prevention-et-le-traitement-des-violences-sexuelles.html

Fondation Jean-Jaurès, IFOP : enquête sur les violences sexuelles, 23 février 2018. 72 p.
https://jean-jaures.org/sites/default/files/redac/commun/productions/2018/0223/115271_-_rapport.pdf

Haut Conseil à l’Égalité entre les hommes et les femmes : 1er état des lieux du sexisme en France. La documentation française, 17 janvier 2019. 134 p.
www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/194000047.pdf

IFOP : enquête sur le harcèlement sexuel au travail, 2014. 31 p.
www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/03/2551-1-study_file.pdf

INED : enquête violences et rapports de genre (Virage) : présentation de l’enquête Virage et premiers résultats sur les violences sexuelles, 2017. 67 p.
www.ined.fr/fichier/s_rubrique/26153/document_travail_2017_229_violences.sexuelles_enquete.fr.pdf

Rapport des associations spécialisées : évaluation de la mise en œuvre en France de la Convention d’Istanbul de lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, 2018. 87 p.
https://rm.coe.int/rapport-final-associations-convention-d-istanbul-france-etannexes-fin/16807bc2ef

Radio

Ciboule, Marie-Laure ; Bedeau, Johann. – « Les Combattantes : sortir des violences faites aux femmes. » – France Culture, 2016. – 4 épisodes. Épisode 1 : Tout commence par les mots ;
Épisode 2 : Après le silence ; Épisode 3 : Les survivantes ; Épisode 4 : Violences à Cologne, entre stupeur et tremblement.
www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/les-combattantes-sortir-des-violences-faites-aux-femmes

Conquet, Matthieu. – « De Rihanna à Anne Sylvestre : des violences faites aux femmes. » France Culture, 20 janvier 2016. – 4 min.
www.franceculture.fr/emissions/la-revue-musicale-de-matthieu-conquet/de-rihanna-anne-sylvestre-des-violences-faites-aux

Drouelle, Fabrice. – « L’ Affaire Jacqueline Sauvage. » – France Inter, 14 août 2019. – 54 min.

Laurentin, Emmanuel. – « Le Viol conjugal est-il le tabou ultime des violences faites aux femmes ? » – France culture, 3 septembre 2019. – 40 min.
www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/le-viol-est-il-le-tabou-ultime-des-violences-faites-aux-femmes

Représentations Artistiques

Photographies, dessins, sculptures

Bastianini, Ludovica. – In your place. Photographies, 2016.

Bourgeois, Louise. – Femme maison. – Sculpture, 1994.

Eichhorn, Cornelia. – Balance à peser apaisée, 2014 et Jeux de force, 2011. Série de dessins.

Guerrilla Girls. – Disturbing The Peace. – Poster, 2016.

Jürgenssen, Birgit. – Je veux sortir d’ici. Centre Pompidou, Photographie, 1976.

Mendieta, Ana. – Rape Scene, 1973. photographie couleur sur papier, 1973, Tate.

Sherman, Cindy. – Untitled Film Stills. 69 photographies en noir et blanc, 1977-1980.

Silvestri, Aida. – Unsterile Clinic. Série de photographies, 2015

Chansons

Fitzgerald, Ella ; Jordan, Louis. – Stone Cold Dead in The Market (He Had it Coming). – 1946.

Smith, Bessie. – Outside of that. – 1923.

 

Le détective bibliographique

L’expression peut sembler étrange, mais paraît intéressante dans la mesure où elle permet de relier fortement des pratiques de recherche d’informations. Elle rappelle aussi que, bien souvent, il faut justement réaliser des enquêtes bibliographiques ou webographiques afin de pouvoir produire une synthèse de qualité. Comment trouver les bonnes références et les bons documents dans ce cadre ? L’expression de détective bibliographique est présente dans un ouvrage de Carlos Ruiz Zafón (2018). Mais on peut y trouver d’autres références dans d’autres œuvres de la littérature. En premier lieu, on pourrait songer aux écrits de Borges, qui sont pleins de références directes ou indirectes. On peut songer au travail de Charles Fort (Le Deuff, 2016) qui passa son temps à compiler des fiches sur des événements extraordinaires. Au final, nombre de documentalistes, de bibliothécaires ou de « fichistes » peuvent se reconnaître dans cette description. Mais plus encore, c’est dans Le Pendule de Foucault qu’on rencontre ce qui apparaît comme un détective d’un genre nouveau en la personne du narrateur :

« Je me décidai à m’inventer un travail. Je m’étais aperçu que je savais beaucoup de choses, toutes sans lien entre elles, mais que j’étais en mesure de les relier en quelques heures, au prix de deux ou trois visites dans une bibliothèque. J’étais parti quand il fallait avoir une théorie, et je souffrais de ne pas en avoir une. À présent, il suffisait de posséder des notions, tous en étaient friands, et tant mieux si elles étaient inactuelles. À l’université aussi, où j’avais remis les pieds pour voir si je pouvais me placer quelque part. Les amphis étaient calmes, les étudiants glissaient dans les couloirs comme des fantômes, se prêtant à tour de rôle des bibliographies bâclées. Moi je savais faire une bonne bibliographie. » (Eco, 1992)

Le personnage d’Umberto Eco va produire des fiches pour tenter de démêler un complot mondial qu’il est en fait en train de construire avec ses amis qui travaillent pour une maison d’édition. Ceci étant, il réalise plutôt une quête qu’une enquête. Or, le détective bibliographique se doit plutôt de produire l’inverse.

 

Première compétence : savoir faire une bonne bibliographie !

Cela peut sembler banal, surtout depuis qu’on est tenté de tout automatiser avec Zotero. Et pourtant, cette compétence documentaire et universitaire reste indispensable. Pire, les solutions techniques tendent à faire décroître les capacités à savoir réaliser une bibliographique pertinente, organisée et normée. On ne compte plus les bibliographies d’étudiants réalisées à la va-vite avec Zotero, et bourrées d’erreurs, de manques, tout simplement pour ne pas avoir retravaillé correctement les références. Le bon bibliographe sait utiliser les logiciels de traitement de références, le mauvais n’en retire qu’une substance informe qui ne distingue guère les différents types de documents. La réalisation d’une bonne bibliographie est une étape essentielle dans l’évaluation de l’information. Elle repose sur la capacité à faire des choix et à sélectionner, et donc à écarter des ressources jugées non opportunes. Il ne s’agit pas d’y faire figurer toutes les ressources qu’on aurait consultées, mais seulement celles qui vont être utilisées et qui ont été jugées dignes d’intérêt. Or parfois, le mauvais bibliographe préfère cumuler pour masquer un travail de recherche et de lecture insuffisant. Alors qu’il pense avoir réussi sa dissimulation en donnant une bibliographie pléthorique, il ne fait que démontrer son incapacité à faire les bons choix. Pire, il multiplie les risques en laissant des références erronées ou de mauvaise qualité qu’un bon lecteur va repérer rapidement, ce qui va jeter le trouble et le doute sur le reste du travail. Le détective bibliographique est d’ailleurs autant celui qui constitue les bibliographies que celui qui les examine.

 

Deuxième compétence : vérifier la qualité des références et leur exactitude

Parmi les éléments précis à examiner, notamment pour permettre leur vérification, figurent les fameuses références et citations. Or, il n’est pas rare de trouver des erreurs, ou plutôt des oublis. Il ne s’agit pas de débattre des normes bibliographiques et du choix du style qui a été appliqué, mais plutôt de vérifier s’il n’y a des erreurs flagrantes. On passera ici sur les habituelles coquilles ou éventuelles erreurs involontaires. Mais on fera attention aux fameuses citations de seconde main qui deviennent très vite problématiques : en effet, une citation de seconde main se repère parfois de manière aisée quand elle est utilisée par des étudiants peu scrupuleux de remonter à la source originale, et qui recopient la citation alors qu’elle est employée par un autre auteur plus récent, ou plus accessible. Le problème vient alors du fait que la citation est devenue trop connue, voire qu’elle est originellement mal citée ou mal référencée dans l’ouvrage consulté qui la cite. Sur ce point, cela traduit d’emblée un manque de sérieux patent. Mais les étudiants ne sont pas les seuls à commettre ce genre de fautes… qui d’ailleurs ne l’a pas déjà pratiquée ? La meilleure solution est donc de vérifier la source originale, et ce pour plusieurs raisons :
• La première raison est pour en constater la véracité. Une coquille, une virgule mal placée peut changer le sens d’une citation au point que l’auteur qui a fait le choix d’effectuer une citation peut l’avoir fait à mauvais escient. On peut donc être dans le cas d’une trahison. Elle est d’autant plus possible lorsque la citation est une traduction. De la traduction à la trahison, la frontière est mince. Il en va souvent de même pour la citation qui doit toujours laisser place à une interprétation de celui qui l’utilise, mais aussi de celui qui la reçoit.
• La deuxième raison est qu’une citation perd souvent le contexte dans lequel elle se situe. C’est donc une extraction risquée qui peut être source d’erreurs d’interprétations, d’exagérations, voire de mensonges purs et simples. Le minimum est donc de pouvoir prendre connaissance du reste du document pour être certain de bien mesurer le sens qu’a voulu réellement donner l’auteur. Dans ce cadre, on fera bien attention à distinguer la pensée d’un auteur des propos qu’il rapporte, ou des mots qu’il fait dire à un personnage.
• La troisième raison est que la bibliographie est une enquête qui place le lecteur-chercheur en détective bibliographique, lequel va remonter de lien en lien, et mieux comprendre ce qu’il est en train de réaliser. C’est la preuve qu’un document ne peut se comprendre de manière isolée, et qu’il faut lui adjoindre un ensemble de documents secondaires. Celui qui fait le choix de remonter à la source originale va pouvoir remarquer que le document cité se réfère à d’autres documents, écrits dans un contexte bien particulier, et ainsi de suite. La logique documentaire est toujours hypertextuelle et cumulative. La meilleure des synthèses s’appuie toujours sur une sélection ordonnée de documents.
• La quatrième raison provient du fait que le système de référence d’un document peut contenir des références implicites voire involontaires. Dès lors, un mot ou un concept peut avoir un sens différent selon le contexte historique. Or, sur ce point, cette capacité à comprendre les références cachées, indirectes, évidentes pour l’époque mais complexes quelques années plus tard, nécessite des compétences difficiles à pouvoir évaluer, et encore plus difficiles à transmettre en quelques heures.
Le détective bibliographe est ici clairement un philologue qui aime le texte et les documents, et notamment leur structure, leur balisage, mais aussi les liens non balisés et moins évidents. C’est donc un œil avisé qui s’avère nécessaire pour être un bon détective bibliographe.

 

Troisième compétence : la capacité à analyser et à mesurer

Débusquer les liens cachés, les références explicites, mais surtout implicites, voilà un vrai travail de détective. Or, cela nécessite de la pratique, du temps, des essais-erreurs, des stratégies pour comparer, vérifier. Si, certes, on peut désormais disposer d’outils de recherche plus puissants et d’un accès direct à des documents numérisés, il faut se montrer capable d’actionner tout cet arsenal en fonction d’indices. Et cela ne peut se faire que par une logique que certains pourraient qualifier de flair. Il faut donc pour cela savoir douter à bon escient. Et il est parfois difficile d’expliquer comment le doute vient à l’esprit, si ce n’est pas par une pratique d’analyse documentaire régulière. Il faut donc sans cesse évaluer. Évaluer la qualité générale du discours, mais aussi la qualité des références, leur équilibre, le fait de mentionner plutôt telle ou telle source. Évaluer encore, la manière dont on a choisi d’organiser la bibliographie, et notamment si elle est catégorisée du fait d’un grand nombre de références. Certaines sont-elles mises en avant, voire commentées comme c’est le cas parfois dans des thèses ?
Quel est l’ordre du discours au final ? Comment sont organisés les arguments, les exemples et les sources mentionnées pour produire un discours nouveau ou renouvelé, qui peut se montrer le plus convaincant possible dans sa démonstration ? Quelle démarche esthétique dans le choix de la typographie et des illustrations ? Le détective bibliographique possède des qualités qu’on aime trouver chez les iconographes. C’est encore une fois Umberto Eco qui le décrit le mieux :

«  Je partais des manuels, j’en fichais la bibliographie, et de là je remontais aux originaux plus ou moins anciens, où je pouvais trouver des illustrations décentes. Il n’y a rien de pire que d’illustrer un chapitre sur les voyages spatiaux avec une photo de la dernière sonde américaine. Monsieur Garamond m’avait appris qu’au minimum il faut un ange de Gustave Doré. Je fis une moisson de reproductions curieuses, mais elles n’étaient pas suffisantes. Quand on prépare un livre illustré, pour choisir une bonne image il faut en écarter au moins dix autres.  » (Eco, 1992)

Le détective bibliographe possède des qualités propres à un travail de recherche scientifique. Les méthodes connues de Sherlock Holmes reposent sur la capacité à repérer les indices pour en produire un tout cohérent permettant d’obtenir une hypothèse de qualité qui se veut la plus proche possible de la vérité. Mais comme il y a plusieurs détectives, il y a finalement plusieurs méthodes de procédure scientifiques. Le détective bibliographique n’existe donc pas selon un seul modèle, unique.

 

Les profils de détective bibliographique

Gilles Deleuze considère qu’il existe deux grandes écoles de détective dans le roman policier :

« Or il y avait deux écoles du vrai : l’école française (Descartes), où la vérité est comme l’affaire d’une intuition intellectuelle de base, dont il faut déduire le reste avec rigueur — l’école anglaise (Hobbes), d’après laquelle le vrai est toujours induit d’autre chose, interprété à partir des indices sensibles. Bref : déduction et induction. Le roman policier, dans un mouvement qui lui était propre, reproduisait cette dualité, et l’illustrait de chefs-d’œuvre. L’école anglaise : Conan Doyle, avec Sherlock Holmes, prodigieux interprète de signes, génie inductif. L’école française : Gaboriau, avec Tabaret et Lecoq, puis Gaston Leroux, avec Rouletabille (Rouletabille invoque toujours « le bon bout de la raison »…) »(Deleuze, 2014)

On trouvera donc différentes méthodes et différentes manières d’annoncer sa démonstration avec les lectures indicielles d’un document et de sa bibliographie. Il n’est pas rare effectivement que la démonstration conduise à considérer que le travail est au mieux une vaste paraphrase ou un plagiat manifeste. Les outils de comparaison et de détection du plagiat viennent alors renforcer les premiers résultats d’analyse. Il faut toutefois ici rappeler qu’ils s’appuient initialement sur des résultats disponibles sur le web, et qu’il faut parfois leur ajouter des bases documentaires spécialisées pour être certain qu’il y a eu plagiat. À cet égard, il est probable que de nombreux documents dans les décennies qui ont précédé le web sont issus de plagiats, mais qu’il est difficile de le mesurer du fait d’une difficulté de comparaison. L’accessibilité complexe de la littérature grise a fait le bonheur des plagiaires. Le détective bibliographique est parfois un évaluateur d’articles scientifiques, un reviewer. Ce travail consiste alors à vérifier si l’état de l’art sur une question est connu de l’auteur et s’il n’a pas omis une piste de travail déjà bien avancée. Dans d’autres cas, il s’agit de conseils complémentaires pour aider l’auteur à mieux finaliser son travail. Si on revient sur la question essentielle de l’accessibilité, il s’agit à la fois de pouvoir repérer les références clefs et, surtout, de pouvoir y accéder. En effet, il n’est pas rare, y compris actuellement, de devoir rechercher encore un peu longuement certaines références non disponibles en ligne, que ce soit via un abonnement, un paywall ou via les sites alternatifs et pirates de type sci.hub. Dans ce cas, il faut revenir aux bonnes vieilles pratiques qui consistent à localiser la revue qui contient l’article souhaité dans une bibliothèque, et de faire appel au prêt entre bibliothèques si nécessaire. Dans ce cadre, il faut des détectives bibliographiques qui ne renoncent jamais, des Columbo des bibliographies, infatigables et obstinés, pour obtenir la bonne référence dont il faut absolument disposer. Dans ce cadre d’ailleurs, on va distinguer celui qui va considérer la quête comme la démarche essentielle de celui qui va privilégier le document obtenu au final et qui va faire l’objet d’une forme de culte. Dans le dernier cas, le détective en devient un nostalgique qui ne parvient plus à réaliser d’autres recherches d’un même niveau. Mais on ne peut jamais totalement négliger le fait que le détective bibliographique cherche au travers des documents des réponses à sa propre existence, voire à sa propre filiation. Tel Joseph Rouletabille (Leroux, 1910–1920) qui perçoit dans ses enquêtes le parfum de la dame en noir, le détective bibliographique cherche parfois à comprendre qui il est et d’où il vient.

 

Un outillage nécessaire

Quels que soient le profil et les méthodes du détective, il va utiliser différents types d’outils. Même si, très souvent, il mettra en avant son esprit, sa capacité d’analyse et de déduction, il va néanmoins s’appuyer sur des outils. On va retrouver au minimum le dualisme papier/crayon avec des préférences pour des carnets d’écriture type Bullet Journal agréable au toucher et pratique à conserver. Chacun y développera ses méthodes d’organisation et d’écriture. Évidemment, avec les outils logiciels, les perspectives s’accroissent. Impossible de ne pas utiliser un logiciel bibliographique pour classer et organiser les innombrables découvertes, lectures réalisées, lectures à faire et dossiers collaboratifs. La possibilité de récupérer des données de façon automatisée sur les entrepôts de données choisis à bon escient permet un gain opportun, mais il ne doit pas faire oublier la nécessité de corriger les scories qui résultent de leur moissonnage. Le détective bibliographique soigne aussi ses possibilités de transformation afin de pouvoir produire des documents qui seront transmissibles à d’autres et d’en disposer. Un détective bibliographique doit donc toujours songer à l’utilité potentielle de la référence mobilisée. Pour cela, il lui faut maîtriser l’export en bibtex ou bien jongler entre ces logiciels d’écriture et les possibilités d’export en une diversité de formats. Les plus soigneux quitteront les traitements de texte classiques pour privilégier de nouveaux logiciels d’écriture basés sur du markdown et gérant automatiquement leurs références par des clés de citations. En effet, si la bibliographie mérite un travail sérieux en matière de sélection, elle réclame aussi des compétences pour répondre aux exigences des revues scientifiques et des colloques qui demandent des formats spécifiques. Mais finalement, la touche du détective bibliographique le plus avancé est sa marque esthétique, celle qui lui permet de fournir une bibliographie pertinente et bien organisée et qui soit belle à regarder et à consulter. Le détective devient alors également un artiste, un esthète de la connaissance.
À titre d’exemple, cet article a été écrit intégralement avec un logiciel d’écriture prometteur, Zettlr, open source et gratuit, qui permet de gérer au mieux sa bibliographie notamment avec des exports depuis Zotero. On peut ensuite générer des exports de l’ensemble sous format pdf ou sous format traitement de texte.

 

SNT, quid des profs docs ?

Les nouveaux programmes du lycée induisent de profonds changements dans l’enseignement info-documentaire, en raison de la suppression de nombreux dispositifs interdisciplinaires (TPE, EE, notamment), dans lesquels le professeur documentaliste avait toute sa place. Un nouvel enseignement obligatoire émerge en seconde générale et technologique : sciences numériques et technologie, lequel découle, en partie, de l’ancien enseignement d’exploration informatique et création numérique. Dans la continuité de cette formation, très axée sur le numérique, sont créés l’enseignement de spécialité numérique et sciences informatiques en première et terminale ainsi qu’un CAPES d’informatique dès 2020. Selon le ministre de l’Éducation nationale, une agrégation verra le jour prochainement. Qu’en est-il de la création d’une agrégation en information-documentation ?

Bien que nullement cité explicitement, le professeur documentaliste, principal porteur de l’éducation aux médias et à l’information, peut intervenir dans ce nouvel enseignement qui s’inscrit dans la progression des apprentissages d’une culture de l’information et des médias entamée au collège. En effet, le programme de SNT intègre des thématiques en lien direct avec la didactique de l’information-documentation : le web, les réseaux sociaux, les données structurées, la photographie numérique, en veillant à préciser leurs impacts sur les pratiques humaines. Fiabilité des sources, fake news, données, droit à et de l’image, pour n’en citer que quelques-unes, constituent des notions info-documentaires déjà enseignées par le professeur documentaliste, ce qui aurait dû conduire à inclure officiellement ce dernier dans cet enseignement. Ceci d’autant plus que les heures dispensées dans ce cadre, que ce soit en co-intervention ou seul, sont appelées à être récupérées, conformément à la circulaire de mission n° 2017-051 du 28 mars 2017.

Pour preuve de la nécessaire implication des professeurs documentalistes dans ce programme d’EMI/SNT, au sommaire de ce numéro, une Fiche Intercdi « SNT et documentation » par Florie Delacroix ainsi que plusieurs articles sur le harcèlement et le cyberharcèlement à l’école, la cyberviolence étant l’un des sujets transversaux étudiés en sciences numériques et technologie… Sandrine Leturcq et Yohan Haquin, respectivement professeur documentaliste et CPE, définissent les actions conjointes possibles avec l’ensemble de la communauté éducative pour lutter contre ce fléau, amplifié de surcroît par les réseaux sociaux.

La prise en charge du harcèlement scolaire par l’équipe éducative de l’établissement

Le harcèlement scolaire, ou school bullying selon l’expression anglo-saxonne, est un phénomène bien connu des membres de la communauté éducative, et pour cause, il ne s’agit pas d’un fait nouveau : le harcèlement scolaire a toujours existé à des degrés divers, même si celui-ci prend aujourd’hui des formes nouvelles du fait de l’incidence des nouvelles technologies, et en particulier de l’engouement des jeunes pour les réseaux sociaux. En effet, les élèves du XXIe siècle, dits de la « génération Z », vivent dans un monde hyperconnecté où le moindre événement du quotidien est susceptible d’être médiatisé et propagé en quelques secondes seulement sur la toile et les réseaux sociaux. Non seulement tous les adolescents ou presque sont équipés d’un smartphone dès leur entrée au collège, mais toutes les classes disposent également d’un compte créé sur l’un des nombreux réseaux sociaux existants. Il n’est pas rare non plus que l’établissement scolaire lui-même possède à son insu un compte sur un réseau social créé à l’initiative d’un élève ou d’un groupe d’élèves. Partage de photos, de vidéos, mise en ligne de commentaires, rythment ainsi le quotidien de nos élèves. Ces échanges virtuels parfois éphémères – sur certains réseaux sociaux, les publications s’effacent au bout de quelques secondes – peuvent être source de conflits, de malentendus et de rumeurs, qui finissent par ressurgir à un moment ou à un autre dans la vie de la classe ou de l’établissement. Le phénomène de harcèlement se trouve donc amplifié et devient plus difficilement contrôlable. Alors qu’autrefois le harcèlement se cantonnait le plus souvent à un lieu unique – l’établissement scolaire et ses abords – celui-ci tend désormais de plus en plus à se prolonger au-delà de ces frontières physiques : le harcèlement, en quelque sorte, « se désanctuarise », ne laissant aucun répit à l’élève qui le subit et envahissant peu à peu tout son psychisme. Il est donc essentiel, au regard de ce nouveau contexte, de continuer à sensibiliser les élèves, leurs parents, mais aussi les équipes éducatives, à un usage responsable des réseaux sociaux et des nouvelles technologies en général.
Nous assistons depuis quelques années à une prise de conscience des responsables politiques et de l’opinion publique sur la question du harcèlement scolaire et des dangers liés aux nouvelles technologies, qui ont profondément transformé notre rapport à l’information et à la communication humaine. Dans ce sens, les politiques éducatives impulsées par les établissements scolaires et le Ministère de l’Éducation nationale sont encourageantes, et ont souvent plusieurs entrées possibles : les Comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC), des partenariats avec certains organismes tels que le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI), la formation des délégués de classe, le déploiement du dispositif des ambassadeurs lycéens contre le harcèlement… Tous les personnels peuvent et doivent se saisir de cette question, y compris les enseignants dans le cadre de leurs programmes d’enseignement (Éducation aux médias et à l’information, Éducation morale et civique, Accompagnement personnalisé…).
L’objectif de cet article n’est pas de présenter une nouvelle théorie sur le harcèlement, mais de donner des pistes de réflexion et même des conseils pratiques issus de mon expérience de CPE en lycée pour prendre en charge les situations de harcèlement qui peuvent se présenter à nous dans le quotidien de notre établissement et de notre mission éducative auprès des élèves. Avant cela, nous reviendrons néanmoins en amont, mais brièvement, sur la définition du harcèlement scolaire, ses formes et ses acteurs. Nous mentionnerons également quelques idées d’actions concrètes qui peuvent facilement être mises en place au sein d’un collège ou d’un lycée pour sensibiliser les élèves au harcèlement.

 

Qu’est-ce que le harcèlement scolaire ? Comment se manifeste-t-il ? Quels sont ses acteurs, ses formes et ses conséquences ?

Avant de parler plus avant de « harcèlement scolaire », une remarque s’impose quant à l’emploi du terme « harcèlement ». En effet, combien d’élèves ou même d’adultes se disent « harcelés » par leur professeur, leur supérieur hiérarchique, un voisin ou leurs parents ? La plupart du temps, ce terme est employé à mauvais escient pour désigner des situations qui peuvent certes être ressenties comme désagréables, mais qui ne relèvent pas à proprement parler ou juridiquement parlant de « harcèlement ». Il faut savoir en effet que ce terme juridique désigne, en droit, un délit inscrit dans le Code pénal, passible d’une amende et d’une peine d’emprisonnement. Il en résulte, dans les faits, que seul un juge est habilité à qualifier des faits de « harcèlement ». Il convient donc d’employer ce terme avec la plus grande précaution et donc de distinguer ce qui relève d’une « embrouille » entre élèves (chamailleries, altercation verbale ou physique isolée, bousculade), de ce qui relève du « harcèlement » propre.

Pour éviter tout abus de langage ou erreur d’appréciation, il est donc essentiel de disposer d’une définition claire et précise de ce qu’est le harcèlement. Ainsi, selon Dan Olweus*, « un élève est victime de harcèlement lorsqu’il est soumis de façon répétée et à long terme à des comportements agressifs induisant une relation d’asservissement psychologique qui se répète régulièrement, amenant des sentiments de peur et/ou de honte ». Les situations de harcèlement scolaire sont toutes différentes, et souvent complexes, mais elles comportent toutes cependant quelques caractéristiques communes : répétitivité, mise à l’écart de la victime, rapport de force. Il n’est pas nécessaire en outre que ces trois caractéristiques soient réunies pour que le harcèlement soit néanmoins constitué. Même s’il est statistiquement plus fréquent au collège et dans les écoles primaires qu’au lycée*, tous les enfants, quels que soient leur âge, leur sexe, leur origine sociale ou ethnique ou autre, peuvent, à un moment ou à un autre de leur scolarité, être confrontés au harcèlement. Selon les enquêtes de l’Unicef et de l’Observatoire international de la violence à l’école, la prévalence estimée du harcèlement à l’école est de l’ordre de 10 %, soit un enfant sur dix, et s’étalonne de la façon suivante : 12 % des écoliers de cycle 3, 10 % des collégiens et 3 à 4 % des lycéens. Ces données n’ont qu’une valeur indicative. En effet, d’une part les faits de harcèlement scolaire ne sont pas tous connus ou déclarés, et, d’autre part, il peut exister un écart important entre le pourcentage d’élèves qui se disent victimes de harcèlement (perception) et le pourcentage de victimation réelle*.
Le harcèlement, qui est de nature multiforme (moral, physique et social), implique l’intervention de trois acteurs différents : le ou les auteurs, la victime, et les témoins. Dans cette relation triangulaire, le rôle des témoins ne saurait être négligé ou sous-estimé au motif qu’il n’y a pas de harcèlement sans témoins : en effet, le harcèlement se passe rarement dans l’intimité d’une relation duelle. Au contraire, il y a toujours une sorte de « mise en scène » au cours de laquelle l’élève harceleur se donne « en spectacle » devant ses pairs en humiliant une victime. Le rôle de témoin possède souvent un spectre assez large, allant du témoin-suiveur qui encourage par son attitude le harcèlement (applaudissements…), au témoin-défenseur qui tente d’apporter son soutien à la victime, en passant par le témoin-outsider qui, lui, reste dans une posture de spectateur passif. Souvent, les témoins, quel que soit leur rôle, n’osent pas intervenir de peur d’être à leur tour harcelés ou exclus du groupe auquel ils pensent appartenir et dont le leader n’est autre, souvent, que l’élève harceleur. Parfois, les rôles de victime et de bourreau, auxquels on peut ajouter celui de sauveur, ont déjà été distribués et sont pleinement assumés. Ces jeux psychologiques auxquels s’adonnent ces trois types de participants ont d’ailleurs été formalisés par Stephen Karpman au travers du concept de « triangle dramatique1 ». En fonction de son rôle dans l’échange ou la relation, chaque participant adopte une série de comportements et de réactions bien codifiés : le bourreau ou persécuteur domine autrui dans le but de canaliser ses peurs et souffrances ; la victime, impuissante, cherche à dominer en apitoyant les autres ; le sauveur vole au secours de la victime et assoit sa domination en se rendant indispensable. Selon cette théorie, si un individu endosse un des rôles du triangle dramatique, alors les réactions en chaîne se déclenchent automatiquement. Il est donc important, dans le contexte d’un harcèlement, de casser cette spirale infernale dans laquelle les élèves sont enfermés. Chacun doit en effet reprendre son rôle d’élève, et la relation d’égalité doit être restaurée.
Il faut rappeler d’autre part qu’il n’y a pas en soi de profils-types de victimes ou d’auteurs de harcèlement. Cependant, il existe des facteurs de risque et des constantes au niveau de la personnalité et dans les histoires de vie des enfants harcelés et harceleurs. Ainsi, les élèves harcelés sont souvent des enfants solitaires, introvertis et pacifiques. Ces enfants, qui sont à la fois en manque de confiance et porteurs d’une différence visible, manquent souvent d’estime de soi. Ils sont inquiets à l’idée de déplaire ou de décevoir, et sont donc plus volontiers soumis. Les parents des enfants harcelés sont des parents généralement anxieux et protecteurs. D’autre part, les élèves harcelés le sont souvent lorsqu’ils traversent des épreuves de vie (divorce des parents, deuil, maladie, déménagement, rupture, changement d’établissement). Ces événements extérieurs peuvent fragiliser l’adolescent et le rendre ainsi plus vulnérable.
De même, il existe des constantes ou des facteurs de risque chez les élèves harceleurs. Ces enfants sont souvent dénués d’empathie et ont un rapport à l’autre fondé sur la domination et le conflit. Ils ont souvent besoin d’être au centre de l’attention et d’être admirés, c’est pourquoi ils essaient par tous les moyens d’accéder au statut de meneur. Sur le plan familial, les parents des enfants harceleurs sont des parents généralement débordés et peu cadrants. L’enfant a pris le pouvoir sur ses parents et impose ses propres règles à la maison, schéma qu’il transpose à l’école par pur mimétisme. Les élèves harceleurs font souvent face à des carences affectives ou éducatives, et ont des difficultés à gérer un conflit intérieur ou familial (divorce, recherche d’identité, blessure narcissique…). Qu’ils soient harcelés ou harceleurs, il faut garder à l’esprit que ce sont des enfants en grande souffrance humaine et psychologique, qui ont besoin d’une prise en charge rapide et globale.
Dans les situations de harcèlement avéré, auteur et victime entretiennent une relation extrêmement polarisée, qui s’articule autour d’un rapport de domination et de soumission poussé à l’extrême. Aussi, la notion de harcèlement est très liée à celle de discrimination : très souvent, le harcèlement naît de la perception d’une différence chez l’autre qui est intériorisée comme négative, dérangeante ou menaçante pour sa propre identité ou celle du groupe. De fait, l’élève harcelé est souvent porteur d’une différence (cheveux roux, couleur de peau, oreilles décollées, obésité, orientation sexuelle, milieu social…) perçue négativement par le ou les auteur(s) de harcèlement car susceptible de remettre en cause l’image et les valeurs du groupe, et donc sa stabilité. Cette différence polarise alors toute l’attention de l’élève harceleur et des témoins, et c’est dans ce contexte que se met en place le processus de harcèlement. Celui-ci peut prendre des formes multiples : moqueries, brimades, insultes, bousculades, violences physiques, racket, chantage, menaces, intimidations… Dans ma pratique de CPE, j’ai cependant souvent observé que le harcèlement était surtout présent sur le plan psychologique, même si les autres formes de violences, notamment physiques, ne peuvent être exclues. Force est de constater d’ailleurs que le harcèlement survient généralement dans un contexte de fragilité personnelle chez la victime (problématique familiale, événement extérieur, rupture amoureuse…).
Certains spécialistes, comme Nicole Catheline* , ont tenté d’identifier les causes pouvant expliquer l’augmentation ressentie des harcèlements scolaires. Cette pédopsychiatre auprès d’élèves en difficulté et formatrice pour les enseignants, avance deux hypothèses : la pression scolaire de plus en plus croissante avec l’emprise des diplômes d’une part, et d’autre part le renoncement de beaucoup d’adultes, qu’ils soient parents ou enseignants, à apprendre aux enfants à vivre en groupe avec leurs différences. Les actions de prévention, pour être efficaces, doivent donc agir également sur ces deux facteurs.

Les conséquences du harcèlement peuvent être très graves, au premier chef pour la victime, mais aussi pour les auteurs. Ces conséquences sont autant de signes qui doivent alerter la communauté éducative et les parents. Parmi les conséquences les plus fréquentes : souffrance psychologique, décrochage scolaire, problèmes de santé, conduites à risques, troubles alimentaires, échec scolaire, problèmes relationnels, dépression, suicide… Une prise de poids brutale et inexpliquée, des absences perlées, un désinvestissement de l’élève dans sa scolarité, un comportement et des idées suicidaires, des somatisations multiples et répétées sont des signes qui n’indiquent pas obligatoirement qu’un élève est harcelé, cependant ils doivent attirer notre attention car ils révèlent un mal-être important dont la cause doit être recherchée. Le harcèlement, parce qu’il s’inscrit dans la durée, peut laisser des traces plus ou moins durables chez la victime, ou avoir des conséquences qui peuvent se déclarer des années plus tard et même parfois se poursuivre dans la vie adulte. Souvent, un élève qui a été harcelé reste fragile psychologiquement. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le mot « harcèlement » renvoie étymologiquement à la « herse », cet outil agricole qui fouille la terre pour la travailler avant de semer. L’origine du mot exprime donc bien à la fois cette idée de répétition et de traces profondes.

 

Quelles actions peuvent être mises en place en interne pour prévenir et lutter contre le harcèlement à l’école ?

Que ce soit à l’école, au collège, ou au lycée, les actions de sensibilisation en direction des élèves sont indispensables pour lutter contre ce phénomène. Le potentiel d’actions est très large : organisation de la Journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école (premier jeudi du mois de novembre), formation des délégués de classe, intervention de partenaires extérieurs (ambassadeurs lycéens contre le harcèlement, référent police, juriste…). Il est également possible de faire réfléchir les élèves sur la question du harcèlement dans le cadre d’un enseignement, d’une séance au CDI, d’une heure de vie de classe, d’un débat en EMC ou d’un enseignement pratique interdisciplinaire (EPI) au collège. Les possibilités sont nombreuses. Les élèves et les personnels volontaires pour s’engager dans une action peuvent s’appuyer sur le site « Non au harcèlement » où de nombreuses ressources adaptées à un public de collégiens ou de lycéens sont proposées (affiches, vidéos, guides, cahiers d’activités…). Il peut s’agir de demander aux élèves d’élaborer une affiche, de créer une bande dessinée, d’écrire un article pour le journal du lycée ou, comme l’ont fait les élèves de 2de professionnelle Gestion-administration du lycée Jean Zay l’année dernière, de réaliser une vidéo dans le cadre du prix « Non au harcèlement2 ». Avec des collégiens ou des lycéens, il est fortement conseillé d’aborder la problématique du cyberharcèlement. En effet, la plupart des situations de harcèlement en collège ou en lycée naissent ou se développent sur les réseaux sociaux. Il est donc important de former les élèves au bon usage des réseaux sociaux et à la protection de leurs données. Du point de vue des actions, deux options sont donc possibles : soit rendre les élèves acteurs d’un projet de prévention en direction de leurs pairs, soit les mettre en situation de formation en invitant des partenaires extérieurs.

Il est également important de sensibiliser les parents d’élèves pour qu’ils sachent repérer le plus tôt possible les signes d’alerte chez leur enfant. Il s’agit bien sûr de leur expliquer ce qu’est le harcèlement scolaire et de souligner l’importance d’être à l’écoute des modifications brutales de comportement de leur enfant : refus d’aller à l’école, difficulté à se lever le matin, isolement, maux de ventre à répétition, problèmes de comportement, absences, troubles de l’attention et de la concentration. Il convient aussi de leur expliquer que s’ils pensent que leur enfant est harcelé, ils ne doivent pas intervenir directement auprès des enfants ou des parents concernés. Le premier réflexe qu’il faut leur enseigner est de contacter l’établissement scolaire et de demander à rencontrer rapidement la Direction ou le CPE. Il faut enfin attirer leur attention sur l’usage du web et des réseaux sociaux, et leur rappeler quelques principes de précaution : protéger ses données personnelles en paramétrant ses comptes, ne pas envoyer de photos ou de vidéos de soi, réaliser des captures d’écran en cas de problème… Si l’on veut que les messages de prévention soient entendus et suivis d’effet, il est essentiel que les adolescents entendent le même discours à l’école et à la maison, d’où la nécessité d’impliquer et de sensibiliser également les parents.

D’autre part, si l’on souhaite lutter efficacement contre le harcèlement scolaire, il faut certes mettre en place des actions de prévention en direction des élèves et des parents, mais il faut également apprendre aux élèves à vivre ensemble au sein de la même classe, souvent très hétérogène, et leur apprendre à accepter leurs différences. L’école, en tant que lieu de socialisation et d’apprentissage des relations humaines, doit accompagner les élèves dans la construction de cette compétence sociale qui est loin d’être innée. L’acceptation des différences reste effectivement problématique chez certains élèves. Il est donc nécessaire dans ce contexte de travailler avec les élèves sur la gestion des conflits et des tensions en trouvant d’autres solutions que la violence, de leur apprendre à travailler ensemble et à accueillir l’autre dans sa différence, sans jugement. Il faut ainsi aider les élèves à développer leur sens de l’empathie et à prendre conscience de leurs propres différences pour être en capacité ensuite d’accepter celles des autres (« l’autre est différent mais je le suis tout autant que lui »).
Il y a donc toute une réflexion et une stratégie qui doivent se mettre en place autour de la notion du « vivre ensemble ». Les travaux de groupe, les débats, les projets de classe, les exercices de communication non violente (conseils coopératifs), les heures de vie de classe, les temps de vie collectifs (activités sportives, séances collectives de relaxation) offrent dans ce cadre des perspectives intéressantes.

 

Quelle prise en charge face à un cas de harcèlement scolaire ?

Les situations de harcèlement, lorsqu’elles sont connues, nécessitent une prise en charge rapide et des réponses adaptées. Face à un cas supposé de harcèlement, l’équipe éducative ne doit pas hésiter à mobiliser toutes les ressources institutionnelles à disposition. Il faut se rappeler, par exemple, que tous les établissements scolaires peuvent prendre l’attache du référent académique ou départemental harcèlement pour obtenir un avis ou des conseils. De même, il existe un « Protocole de traitement des situations de harcèlement dans les collèges et les lycées* » élaboré par le Ministère de l’Éducation nationale. Ce guide, très complet et accessible en ligne, donne des outils et des conseils pour aider à la prise en charge des situations de harcèlement entre élèves.
En nous appuyant sur ce protocole et notre expérience, nous pouvons déterminer les principales étapes à suivre dans la prise en charge d’une situation de harcèlement.

• Recevoir l’élève victime
La toute première étape consiste à recueillir la parole de l’élève victime au cours d’un entretien individuel durant lequel l’adulte doit se montrer disponible. Cet entretien est essentiel car il doit permettre à l’adulte de comprendre la situation et de reconnaître à l’élève son statut de victime. L’adulte prendra soin de conserver une trace écrite de cet entretien pour rendre compte des faits à sa hiérarchie et assurer ainsi le suivi de la situation en cours de traitement. L’entretien doit favoriser la verbalisation et la reformulation : l’élève victime doit mettre des mots sur ce qu’il vit et ressent, et l’adulte doit s’attacher à reformuler les propos de l’élève pour s’assurer d’avoir bien compris et de ne pas basculer dans l’interprétation de faits. La posture de l’adulte et sa méthode d’entretien sont dans ce contexte déterminantes. Il s’agit avant tout d’un entretien d’aide et d’écoute. L’adulte prendra soin de ne pas enfermer l’entretien dans un jeu de questions-réponses ou de multiplier les questions fermées. Cette technique d’entretien, comparable à un interrogatoire, serait en effet synonyme d’insécurité pour l’élève et contraire à l’objectif recherché : l’entretien doit au contraire contribuer à libérer la parole de l’élève et à le mettre en confiance. Il est donc souhaitable de privilégier les questions ouvertes. L’entretien doit permettre à l’adulte de recueillir les éléments suivants : le nom du ou des auteurs et des témoins, la nature des faits (moqueries, chantage, menaces…), leur durée (date à laquelle ont commencé les faits), les lieux où les faits se sont produits (salle de classe, cour, vestiaires, couloirs, cantine…) et les conséquences de ce harcèlement sur l’élève victime. En cas de cyberharcèlement, il convient de demander à l’élève s’il possède des preuves, en particulier des captures d’écran.

Aussi, l’adulte doit être dans une posture d’écoute active et non jugeante : il ne faut sous aucun prétexte faire culpabiliser l’élève, même si l’on estime à certains égards qu’il a eu à un moment ou à un autre une part de responsabilité dans la situation. Avant de mettre un terme à l’entretien, il est important d’apporter son soutien à l’élève et de le rassurer. Il convient de lui expliquer les actions qui vont être mises en place à la suite de l’entretien et lui assurer que l’institution va prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin au harcèlement et le protéger. En fonction de l’état psychologique de l’élève, il peut lui être demandé de rédiger un écrit à la suite de l’entretien. Cet écrit, dont le contenu devra être le plus factuel possible (qui ?, depuis quand ?, où ?, faits ?), n’est pas indispensable en soi, cependant il peut aider l’élève à objectiver la situation et à prendre du recul. Après l’entretien, l’adulte rendra compte des faits au chef d’établissement qui doit être informé régulièrement du suivi de la situation. Suivant la gravité des faits, d’autres acteurs pourront également être sollicités dans la prise en charge de la situation et de l’élève (infirmière scolaire, assistante sociale, psychologue de l’Éducation nationale). Aussi, en cas de danger ou de risque de danger pour les élèves victimes ou auteurs de faits de harcèlement, le chef d’établissement est dans l’obligation soit de transmettre une information préoccupante (IP) au Conseil Départemental, soit d’adresser un signalement au Procureur de la République en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale.

• Recevoir les élèves témoins
Il convient dans un second temps de recevoir les témoins, séparément, quel que soit leur niveau d’intervention ou leur degré de responsabilité dans le harcèlement. Une fois de plus, l’adulte doit conserver une posture éducative : le but de ces entretiens n’est pas de porter un jugement sur l’attitude des élèves, sur leur réaction ou non-réaction face aux faits de harcèlement dont ils ont été témoins, mais bien de progresser dans l’analyse et la compréhension de la situation. L’adulte demandera aux élèves de faire le récit de ce qu’ils ont fait ou observé. Ces entretiens auront également une dimension éducative marquée : il s’agira de rappeler aux élèves l’importance de signaler à l’avenir toute situation anormale au sein de la classe ou de l’établissement et de les rassurer quant aux conséquences pouvant découler d’une telle initiative. Si les élèves ne se confient pas aux adultes, c’est parce qu’ils craignent le plus souvent des représailles, ou parce qu’ils subissent des pressions extérieures. Il est donc pertinent de les rassurer.

• Recevoir l’élève auteur
Après avoir mené les entretiens avec la victime et les témoins, il convient à présent de recevoir l’élève auteur de harcèlement. Il faut, en début d’entretien, informer l’élève que l’un de ses pairs s’est plaint de violences répétées sans donner davantage de précisions. En effet, l’élève doit être en mesure de s’exprimer librement selon le principe du contradictoire. Dans ce sens, l’adulte veillera à ne pas suggérer de réponses à l’élève ou à le contredire constamment. Il est possible que l’élève nie tout en bloc ou minimise les faits. Quel que soit le degré de reconnaissance des faits, il est important de reposer fermement le cadre éducatif et de demander à l’élève de mettre fin immédiatement au harcèlement. La demande de l’adulte doit être claire et ferme et s’appuyer sur le règlement intérieur. L’élève doit ensuite être informé des mesures éducatives et disciplinaires qui pourront être mises en œuvre à l’issue de l’entretien (convocation de la famille, sanctions). Si l’élève ne semble pas prendre conscience de la gravité des faits qui lui sont reprochés, il importe alors de lui rappeler que le harcèlement est un délit et que, dans ce contexte, les parents de l’élève victime sont en mesure de porter plainte. Il ne s’agit pas en soi de judiciariser l’affaire, ce qui n’est pas notre rôle, mais de donner des arguments à l’élève pour parvenir à une prise de conscience réelle, sans quoi il recommencera. À l’issue de l’entretien, il s’agira donc de vérifier que l’élève a bien compris le changement d’attitude qui est attendu de lui.
Si plusieurs élèves sont auteurs, ces derniers seront reçus séparément selon le même protocole.

• Recevoir les familles
Dès lors que les élèves ont été reçus en entretiens individuels, il importe de recevoir les familles, en priorité les parents de l’élève victime et ceux de l’élève ou des élèves auteur(s). Le dialogue qui se met en place entre l’établissement et les familles est essentiel, et permet de les associer pleinement au traitement de la situation dans une logique de co-éducation.
Les parents de l’élève victime doivent être informés de la situation, ainsi que des mesures qui ont été prises par l’établissement. Il est important également de les informer de leurs droits. Les parents ont effectivement la possibilité de déposer une main courante ou d’effectuer un dépôt de plainte. Le rôle du chef d’établissement (ou de son représentant) dans le contexte de ce rendez-vous est de rassurer les parents en leur garantissant la protection de leur enfant. Ce rendez-vous peut être également l’occasion de leur proposer de rencontrer l’assistante sociale pour être accompagnés dans leurs démarches. De même, l’aide de l’infirmière scolaire ou de la psychologue de l’Éducation nationale peut également s’avérer précieuse dans un contexte de souffrances psychologiques.
Quant aux parents de l’élève auteur, ils devront également être informés de la situation. Il conviendra de leur expliquer les conséquences des actes de leur enfant sur l’élève victime. Les parents devront être informés des sanctions encourues par leur enfant au regard du degré de gravité du harcèlement (blâme, mesure de responsabilisation, conseil de discipline…).

• Et après… ?
Lorsque l’on estime que la situation est stabilisée, il s’agira de mettre en œuvre des mesures d’accompagnement adaptées en direction de l’élève victime, mais aussi de l’élève ou des élèves auteur(s). Les équipes éducatives devront être informées de la situation afin de rester en état de veille et de vigilance.
Les élèves pourront être orientés, après accord de leurs parents, en fonction de la situation, vers l’infirmière scolaire, le CPE, l’assistante sociale ou la psychologue de l’Éducation nationale. Il est également possible d’orienter les élèves vers un lieu d’accueil et d’écoute extérieur à l’établissement, comme la Maison des adolescents (MDA) ou un Centre médico psychologique (CMP). Quelle que soit l’option choisie, un suivi régulier de ces élèves doit impérativement se mettre en place et se prolonger autant que nécessaire. Parallèlement à ces mesures de suivi, il peut être pertinent de mener des actions de prévention dans la classe où le harcèlement a eu lieu en faisant appel à des partenaires extérieurs (référent police ou gendarmerie, BPDJ, ambassadeurs lycéens contre le harcèlement, référent harcèlement, magistrat, formateurs CLEMI en cas de cyberharcèlement, équipes mobiles de sécurité…) ou en mobilisant à l’interne des personnels ressources au sein de l’établissement (CPE, infirmière, assistante sociale).

 

Face au harcèlement scolaire, tous les acteurs du système éducatif doivent se mobiliser pour lutter contre ce phénomène. Chacun à son niveau doit se sentir concerné et pouvoir s’impliquer dans la lutte contre le harcèlement. Les actions de prévention menées dans les établissements scolaires sont indispensables, cependant il convient également de mener une réflexion sur les stratégies à mettre en place pour apprendre aux élèves à mieux vivre ensemble en les aidant à accepter leurs différences et à trouver d’autres réponses que la violence dans les situations de tensions et de conflits. La prévention du harcèlement scolaire passe en effet par des actions de sensibilisation en direction des élèves et des familles, mais aussi en agissant sur le climat de classe.

 

 

Lutter contre le harcèlement scolaire entre pairs

Les ambassadeurs contre le harcèlement

Sensibiliser et prévenir contre le harcèlement scolaire les autres lycéens et même les collégiens de leur bassin, telle est la mission dont s’acquittent désormais nos ambassadeurs.

«  Tu as vu Jean, il ressemble à un ballon de foot » ; « Ouais, Corinne est une fille facile, elle traîne avec tous les gars de la classe. D’ailleurs elle a une sale réputation sur Facebook » ; « Quant à Marianne, il faut plus lui parler, c’est une intello bourge…  »

Ces moqueries, insultes, injures répétées et amplifiées par la caisse de résonance des réseaux sociaux, accompagnées d’une mise à l’écart systématique et de diverses représailles physiques, ont des conséquences scolaires graves. Anxiété, dépression gagnent peu à peu l’élève, décrochage scolaire et absentéisme s’ensuivent, pouvant mener jusqu’au suicide. On assiste à des « micro-violences répétées », selon l’expression de l’universitaire Éric Debarbieux2. Pour Nicole Catheline3, pédopsychiatre, ces « micro-violences » trouvent le plus souvent leur origine dans la perception d’une différence chez l’autre, différence qui suscite un sentiment de peur chez l’auteur de harcèlement et contribue à la mise à l’écart de la victime et à sa stigmatisation au sein du groupe.
Selon un article du quotidien Le Monde daté du 9 novembre 2017, on dénombre en France 700 000 élèves victimes de harcèlement scolaire. Des chercheurs, Éric Debarbieux notamment, emploient le concept anglo-saxon de « school bullying ».
Avec le développement des réseaux sociaux, le cyberharcèlement ou cyberbullying est la version moderne et électronique du harcèlement, aux effets toujours aussi dévastateurs. En prolongeant au domicile de l’élève le harcèlement subi au sein de l’établissement, le cyberharcèlement ne laisse aucun répit à la victime. Désormais, aucun espace de vie n’est protégé. Exposée 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, la victime connaît un état d’insécurité permanent, et se sent encore plus isolée, traquée et fragilisée. On estime qu’un enfant sur dix en moyenne est victime de harcèlement au cours de sa scolarité.
Un travail d’équipe
À la rentrée 2017, Yohan Haquin, conseiller principal d’éducation alors chargé du suivi des classes de 2de générale, technologique et professionnelle au lycée Jean Zay d’Orléans, et référent vie lycéenne, souhaite mettre en place le dispositif « ambassadeurs lycéens contre le harcèlement » dans son établissement4. Ce dispositif a pour objectif d’impliquer davantage les élèves dans la lutte contre le harcèlement scolaire, car celle-ci ne peut être efficace sans une mobilisation de tous les acteurs du lycée, adultes comme élèves. Outre son action en faveur de la lutte contre le harcèlement, ce dispositif entend également valoriser le rôle des élèves en leur confiant plus de responsabilités dans la vie et le fonctionnement de leur établissement. Grâce à ce dispositif, des élèves qui n’étaient pas délégués de classe ou membres de certaines instances comme le Conseil de vie lycéenne (CVL) ou le Conseil d’administration (CA), ont ainsi eu l’opportunité de jouer un rôle important – et apprécié – dans la vie de leur lycée.
Le projet s’appuie sur le guide « Non au harcèlement5 » réalisé conjointement par les élus du Conseil national de la vie lycéenne (CNVL), réunis le 7 octobre 2015, et par la mission ministérielle pour la prévention et la lutte contre les violences en milieu scolaire. Le dispositif des ambassadeurs lycéens contre le harcèlement se met en place à la rentrée 2017 avec neuf élèves volontaires de 2de et de Terminale, grâce à une campagne de sensibilisation et d’inscription et avec le concours d’Amandine Ratignier, professeure documentaliste stagiaire.
Ils étaient huit à la rentrée 2018 : d’abord cinq volontaires début octobre, auxquels trois autres élèves s’ajoutent à l’occasion d’une journée de recrutement ; lors de celle-ci, les ambassadeurs assurent des permanences dans le hall de la Maison des lycéens avec, en toile de fond, des affiches de communication qu’ils ont pu réaliser en amont. Ils seront onze lors de cette rentrée, dont trois anciens
En choisissant de devenir ambassadeurs, ces lycéens s’engagent à suivre une formation départementale d’une journée et à préparer leurs interventions auprès des délégués de classe collégiens et lycéens, pour ensuite les assurer. Ces différents temps de formation (7 h 30), de préparation (16 h 30) et de sensibilisation (8h) se déroulent, après convocation des élèves par leur CPE, sur leur temps scolaire, et correspondent à plus d’une trentaine d’heures réparties sur toute l’année et réalisées en co-animation avec le CPE et les différentes professeures documentalistes. Élèves-ressources au sein du lycée, les ambassadeurs lycéens contre le harcèlement ont un rôle d’écoute et de conseil auprès de leurs camarades. Leur mission consiste également à signaler les situations de harcèlement dont ils pourraient avoir connaissance à un personnel de l’établissement (CPE ou tout autre adulte) qui prend ensuite le relais. Il ne s’agit en aucun cas pour ces élèves d’intervenir directement dans le règlement de ces situations.

La formation des ambassadeurs

Ces lycéens volontaires reçoivent une formation d’une journée courant novembre sur la question du harcèlement scolaire. Les élèves doivent être accompagnés d’un adulte-ressource de l’établissement (CPE, professeur documentaliste, ou tout autre adulte). Cette formation, pilotée par le Délégué académique à la vie lycéenne (DAVL) et le Proviseur vie scolaire (PVS) de l’académie d’Orléans-Tours, permet aux ambassadeurs d’acquérir des connaissances sur le « harcèlement » – sa définition, ses formes et ses spécificités – et de découvrir les différents outils de sensibilisation mis à disposition par le Ministère. Cette journée de formation se déroule en deux temps. Le matin, les futurs ambassadeurs reçoivent une formation théorique qui privilégie la mise en activité des lycéens à partir de supports variés ; la plupart d’entre eux sont consultables et téléchargeables sur le site de référence « Non au harcèlement ». Ces supports (vidéos, affiches, guides, cahiers d’activités) peuvent d’ailleurs être réutilisés ensuite pour de futures actions en direction de leurs pairs. Les ambassadeurs se réunissent l’après-midi par lycée afin d’élaborer leur plan de prévention, avant une mise en commun en plénière permettant à tous de découvrir les projets de chaque lycée. Cette journée est aussi l’occasion de prendre en photo les lycéens pour réaliser une affiche permettant à tous les élèves du lycée d’identifier l’équipe des ambassadeurs.

La formation des délégués de classe du lycée

Les ambassadeurs contre le harcèlement fondent leur démarche de prévention en mettant en place des actions de sensibilisation en direction de leurs camarades lycéens. Les ambassadeurs du lycée Jean Zay ont réuni l’ensemble des délégués de classe afin de leur présenter leurs missions et de les sensibiliser à leur tour au harcèlement, et à l’importance de l’implication de tous. Les études démontrent que la mise en place de ce dispositif permet de réduire significativement le nombre de cas de harcèlement, et d’améliorer sensiblement la qualité du climat scolaire, facteur essentiel d’épanouissement et de réussite des élèves.
Le mercredi 20 décembre 2017 puis, l’année suivante, le mardi 15 janvier 2019, les ambassadeurs sont intervenus auprès de tous les délégués de classe du lycée, à raison d’une heure par niveau, soit environ 90 lycéens sensibilisés.
Dans le cadre de cette formation, les élèves ambassadeurs ont commencé par faire participer leurs pairs à un brainstorming sur la notion de « harcèlement ». Ils ont ensuite diffusé et commenté des clips de prévention sur le harcèlement, disponibles sur le site institutionnel « Non au harcèlement ». Vingt-cinq minutes étaient ensuite consacrées à un quiz interactif avec l’application Kahoot, et à un diaporama contenant les réponses au quiz. Grâce à ces outils, les ambassadeurs ont donné à leurs camarades une définition du harcèlement, ont présenté des statistiques officielles sur ce phénomène et ont abordé ses conséquences juridiques. À la fin de leur intervention, ils ont remis à chacun un dépliant contenant une synthèse de leur intervention, en leur confiant la mission de transmettre ces informations au reste de leur classe durant l’heure de vie de classe, et ce, avec l’accord du professeur principal.
Cette formation aura également été l’occasion pour ces lycéens, ambassadeurs et délégués de classe, de se rencontrer pour échanger et débattre sur cette question de société à laquelle nos jeunes, citoyens de demain, doivent être préparés.

La formation des délégués de classe des collèges de secteur

Chaque année, ce sont ensuite les délégués de classe de deux collèges qui sont sensibilisés à la lutte contre le harcèlement scolaire, à raison d’une heure et demie par séance. Pour organiser ces rencontres, qui permettent de créer du lien entre les collèges de secteur et le lycée, les rendez-vous sont pris par Yohan Haquin auprès de ses collègues CPE.
Après avoir présenté leur rôle, les ambassadeurs commencent par annoncer aux délégués de classe réunis sur deux niveaux (6e-5e et 4e-3e) les objectifs et le déroulement de la séance. Les ambassadeurs se révèlent à l’aise dans leur approche, et les délégués très attentifs. Un brainstorming permet de se rendre compte ensuite si les élèves possèdent déjà des connaissances sur le harcèlement, et quels aspects ils en ont retenu. Le nuage de tags numérique de l’année précédente a été remplacé cette année par une feuille blanche individuelle que chaque élève brandit après y avoir noté au marqueur quelques mots-clés : au final un paysage humain se dessine alors au-dessus de leurs mines réjouies, affichant les mots-clés repris par les ambassadeurs par thèmes sur le tableau blanc.
Plus d’une demi-heure est ensuite consacrée à un jeu de société, dont le concept provient du site de Tiphanie Jourdain, professeure documentaliste et auteure du site Lirado6, et dont trois exemplaires ont été édités. Les ambassadeurs ont personnalisé les questions et réponses proposées par les cartes, et imaginé la situation des groupes de jeu afin d’optimiser les échanges informels entre les collégiens et les maîtres de jeu. Ainsi, un ambassadeur s’installe au milieu des délégués de chaque îlot, ces derniers ayant été répartis dès le début de la séance en trois groupes autour d’une table. Il leur présente les règles du jeu, constitué d’un dé à trois couleurs, bleu, jaune, rose, qui détermine la couleur de la carte piochée, et donc de trois types de cartes :
– Les cartes bleues : le joueur lit la phrase puis décide s’il est d’accord, pas d’accord ou s’il hésite.
– Les cartes jaunes : le joueur répond à une question de « connaissance » autour du harcèlement.
– Les cartes blanches : le joueur lit un témoignage et s’exprime sur ce qu’il faudrait faire dans cette situation.
Un premier élève lance le dé. L’élève qui a tiré la carte la lit à haute voix et donne en premier son avis. Le débat est ensuite lancé entre les élèves, coordonné par le maître du jeu. Une fois la carte traitée, le dé passe à l’élève suivant et le jeu reprend ainsi de suite.
Tous les élèves participent avec plaisir, et les ambassadeurs font en l’occurrence d’excellents maîtres du jeu, adoptant une posture de pair, de camarade plutôt que de professeur. Ils ne prennent pas non plus de ton moralisateur, et ouvrent bien au contraire à l’échange.
La séance s’achève sur la présentation du diaporama élaboré par les ambassadeurs et d’un clip vidéo lauréat du concours « Non au harcèlement » adapté aux collégiens. Il ne reste plus qu’à rappeler aux délégués de transmettre toutes ces informations à leurs camarades.

L’écriture d’un scénario de court-métrage

Après les interventions des ambassadeurs dans les collèges de secteur, il a été question, au printemps 2019, de commencer la réalisation d’un court-métrage dans l’optique de participer en janvier 2020 au concours « Non au harcèlement7 ». Une analyse du clip « Les claques8 » a donc été proposée comme modèle aux ambassadeurs par la professeure documentaliste, Sandrine Leturcq, avant de les confronter à la conception de leur propre scénario. Après avoir choisi la forme de la fiction à l’unanimité, les trois séances suivantes, de deux heures chacune, ont été consacrées successivement à la recherche du pitch et du synopsis, puis au séquenceur, c’est-à-dire au découpage de l’action dans l’espace et le temps, et enfin au découpage dialogué avant la réalisation prévue cet automne. Pour ce court-métrage, les ambassadeurs ont choisi de focaliser l’attention du spectateur sur la victime de harcèlement, et de l’amener ainsi à réfléchir sur les conséquences d’une rumeur.

Un projet-classe autour du harcèlement

« Tolérance zéro au harcèlement »

À partir des actions, un projet s’est mis en place avec deux classes de Seconde professionnelle Gestion-Administration sur le thème du harcèlement au cours de l’année scolaire 2017-2018.
Après s’être référé au plan national de prévention du harcèlement9, et avoir été sensibilisé à cette problématique par l’article des Cahiers pédagogiques10 retraçant les initiatives pionnières de Bertrand Gardette, formateur pour les CPE dans l’académie de Clermont-Ferrand11, Yohan Haquin a inscrit les élèves de ces deux classes au prix « Non au harcèlement ». Ce prix est une initiative fédératrice et crée du lien entre les élèves des séries générales et ceux de la section d’enseignement professionnel du lycée Jean Zay.
Au début du projet, une réflexion autour du concept de harcèlement s’est engagée entre le professeur de philosophie, Sylvain Theulle, et les élèves. Après ce débat, la professeure documentaliste, Marie-Claude Bouley, a proposé aux élèves de découvrir l’album graphique Mots rumeurs mots cutter12 et le témoignage De la rage dans mon cartable13 de Noémya Grohan pour illustrer ce phénomène.
L’élaboration de deux courts-métrages, futurs outils de prévention pour les élèves ambassadeurs contre le harcèlement, élargit la participation des partenaires au sein du lycée. Les élèves de l’option musique ont concocté la bande-son des vidéos avec l’aide de leur professeur d’éducation musicale, Charles Toberman, et les élèves de l’option théâtre, soutenus par leur professeure Andrée Jolibois, se sont mobilisés. Le jury, pour sélectionner la vidéo à envoyer, avait réuni équipe de direction, élèves ambassadeurs, CPE, professeure documentaliste, professeure d’arts appliqués, et un parent d’élève. Le mercredi 24 janvier 2018, après avoir voté, le petit groupe réuni autour de la proviseure-adjointe, Monique Rey, a regardé ce court-métrage d’une durée de deux minutes réalisé par la professeure d’arts appliqués, Sophie Genevaux, et proposé pour le prix académique « Mobilisons-nous contre le harcèlement ». La musique lancinante et envoûtante contribuait puissamment à l’identification à cet anti-héros. Le texte, slamé, rythmait l’action :

«  Sur Sébastien, un lycéen timide, sérieux et sans histoire, pleuvent moqueries et brimades. Il se réfugie en vain dans les toilettes : une photo humiliante est au contraire postée et partagée sur les réseaux sociaux. Sébastien s’enfuit de nouveau, éperdu, sous les projectiles et les huées. Pourtant une voix têtue et déterminée s’élève : « ne jamais abandonner ». Face au caractère protéiforme du harcèlement, le constat est désabusé, désespéré parfois ; la tentation omniprésente du suicide alterne avec une volonté farouche de résistance, voire de résilience. »

Rencontre avec Noémya Grohan

Le Comité de Vie Lycéenne (C.V.L.), également animé par Yohan Haquin, a invité au lycée Jean Zay Noémya Grohan le 18 avril 2018. Les élèves de Seconde professionnelle qui participent au prix « Non au harcèlement », les neuf ambassadeurs contre le harcèlement et un parent d’élève assistent à la rencontre.
D’emblée, les élèves sont plongés dans le vif du sujet en découvrant le roman graphique Mots rumeurs, mots cutter, aux dessins magnifiques et au ton pastel : l’intrigue réaliste et actuelle touche les adolescents. Une banale histoire d’amour se tisse entre Mattéo, « un redoublant », beau gosse, et Léa, une discrète jeune fille rousse… tous se sont sentis concernés ! Soudain, l’idylle s’emballe et fait place au drame : Léa devient le bouc émissaire du collège. L’insidieux et subtil engrenage du harcèlement se met en marche avec sa cohorte de mots blessants, de violences physiques, de brimades et de persistantes et avilissantes rumeurs. La faute à une photo compromettante de Léa, prise à son insu, circulant sur les réseaux sociaux… L’auditoire, sous le choc, s’est identifié sans peine à la victime, Léa. Son empathie est la première étape du chemin vers le respect de l’autre, fragile et vulnérable.
Bien différent est le témoignage, fort et poignant, de Noémya Grohan retranscrit dans De la rage dans mon cartable. Personne ne vit l’expérience traumatisante du harcèlement prolongé sans encourir des risques graves, et les séquelles sont légion chez cette jeune adulte. Mais « ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort » : Noémya puise dans sa traversée de l’enfer la force d’agir et de s’engager par l’écriture et par le rap, ses exutoires. Étonnemment et admiration se sont intimement mêlés chez les auditeurs lycéens. Le message de la chanson écrite par Noémya fait mouche : « Certains mots tuent, mais c’est motus / Et bouche cousue, je n’en veux plus ». Maintenant pour nous, lycéens, le harcèlement c’est « tolérance zéro » !
Le CDI est souvent perçu non seulement comme un lieu d’apprentissage, de travail et de recherche, mais aussi comme un lieu de détente, de repos, voire de refuge pour les élèves isolés. Ses règles de vie posent les bases d’un respect mutuel pour en faire un cadre de travail et de vie agréable où chacun se rend parce qu’il le souhaite. C’est avant tout dans cette volonté globale de savoir-être ensemble induite par le lieu que s’exprime le rôle du professeur documentaliste dans la lutte contre le harcèlement scolaire. C’est ensuite, dans le cadre d’un projet en partenariat avec un collègue de discipline qu’il a la possibilité de lancer les élèves dans des recherches documentaires sur le harcèlement, mais surtout ici de leur donner à lire des ouvrages de fiction traitant de ce sujet et de leur faire rencontrer l’autrice, Noémya Grohan. C’est aussi, dans le cadre du dispositif des ambassadeurs, dans l’accompagnement à la conception de supports de communication et dans la formation à la prise de parole en intervention qu’il joue un rôle actif. Il en est de même, enfin, avec la réalisation d’un court-métrage, vecteur de communication par excellence de ce que les élèves ont compris des rouages du harcèlement pour influencer leurs pairs.
En rendant les élèves acteurs de la prévention contre le harcèlement, en leur laissant l’initiative et la responsabilité du contenu des formations dispensées à leurs pairs, et en les plaçant directement à l’écoute de leurs camarades, le dispositif des ambassadeurs favorise une approche globale et efficace de la lutte contre le harcèlement scolaire. Sensibilisation des élèves, prise de conscience, et politique bienveillante de prévention du harcèlement contribuent à l’amélioration du climat scolaire. Ce socle pour une transmission des connaissances influence de manière significative les capacités d’apprendre des élèves.

 

 

Le harcèlement scolaire

Textes et sites nationaux

La loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République et la circulaire n° 2013-100 du 13 août 2013 font de la lutte contre le harcèlement une priorité. Ainsi que le rappelle l’article L. 111-1 du code de l’éducation, le service public d’éducation, en effet, « veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. » « (Il) fait acquérir à tous les élèves le respect de l’égale dignité des êtres humains (…)».
La politique de lutte contre le harcèlement menée par le ministère repose sur quatre axes : sensibiliser, prévenir, former et prendre en charge. Le site Internet dédié à cette campagne promeut une approche systémique du harcèlement, qui peut être combattu par une démarche collective intégrant tout un chacun en acceptant sa différence et en favorisant un meilleur climat scolaire. www.education.gouv.fr/nonauharcelement/

• Loi n° 2013-595 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République : « La lutte contre toutes les formes de harcèlement sera une priorité pour chaque établissement d’enseignement scolaire. Elle fera l’objet d’un programme d’actions élaboré avec l’ensemble de la communauté éducative, adopté par le conseil d’école pour le premier degré et par le conseil d’administration dans les établissements publics locaux d’enseignement (EPLE). Ce programme d’actions sera régulièrement évalué, pour être amendé si nécessaire. »

• Circulaire n° 2013-100 du 13-8-2013 (Prévention et lutte contre le harcèlement à l’école) : cette circulaire a impulsé le concours et la généralisation des ambassadeurs, d’abord dans les lycées, puis dans les collèges.

• Protocole de traitement des situations de harcèlement dans les écoles. « Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Non au Harcèlement », Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2016. 18 p. (en ligne, consulté le 14 octobre 2019).
http://cache.media.education.gouv.fr/file/10_-_octobre/48/3/Non-Au-Harcelement_2016_Protocole-de-traitement-dans-les-ecoles_648483.pdf

• Observatoire international de la violence à l’école / sous la dir. de DEBARBIEUX, Éric. « Refuser l’oppression quotidienne : la prévention du harcèlement à l’école. Rapport au ministre de l’Éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative », 12 avril 2011 (en ligne, consulté le 14 octobre 2019).
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2011/64/5/Refuser-l-oppression-quotidienne-la-prevention-du-harcelement-al-ecole_174645.pdf

• « Assises nationales sur le harcèlement à l’École ». in Ministère de l’Éducation nationale. Education.gouv.fr. Ministère de l’Éducation nationale, 2 et 3 mai 2011 (consulté le 14 octobre 2019).
www.education.gouv.fr/cid55689/assises-nationales-sur-harcelement-ecole.html

• « La lutte contre le harcèlement et les violences en milieu scolaire ». in Gouvernement. Gouvernement.fr. (consulté le 6/7/2019). Disponible sur www.gouvernement.fr/action/la-lutte-contre-le-harcelement-et-les-violences-en-milieu-scolaire

Dans les programmes

Collèges
Place dans les programmes d’EMC (Bulletin officiel n° 30 du 26 juillet 2018) et dans le parcours citoyen de l’élève, cycle 3, niveau de 6e, avec pour finalité : respecter autrui.
Exemple de séquence disponible sur
www.ac-paris.fr/portail/jcms/p2_1220567/le-harcelement-scolaire (consulté le 1/7/2019)

Lycées
Parcours citoyen de l’élève : la prévention et la lutte contre le harcèlement, la culture de l’égalité entre les sexes et du respect mutuel (circulaire n° 2016-092 du 20 juin 2016).
Les programmes de l’enseignement moral et civique prévoient également que cette notion soit abordée en cycles 2 et 3.

Pistes pédagogiques

• Mise en place des ambassadeurs au sein de l’établissement : conception d’affiches, de diaporamas, de clips vidéos… à destination de leurs pairs.

• Analyses de documents suivies d’un débat en Sciences Économiques et Sociales.

• Lecture et travail en Français sur un ou plusieurs romans de la bibliographie, lectures et questions de compréhension sur les textes, accueil d’un auteur.

• Séance sur le droit à l’image et sur la réputation sur les réseaux sociaux en éducation aux médias et à l’information.

• Réalisation d’affiches contre le harcèlement avec des élèves de section professionnelle dans le cadre du cours d’Arts appliqués (participation au concours officiel).

• Réalisation d’un court-métrage ou d’une pièce de théâtre avec les élèves d’une option Cinéma ou de l’option Théâtre (participation au concours officiel).

• Participation à un hackathon (le mot hackathon désigne à la fois le principe, le moment et le lieu d’un événement où un groupe de développeurs volontaires se réunissent pour réaliser un projet commun).
Proposer un Hackathon sur la sensibilisation à l’usage responsable des réseaux sociaux :
ex. : « réfléchir avant de partager », construire une vidéo, un slogan… un message en une phrase en conceptualisant le projet : à qui ? Pour qui ? Que retenir ?

Ces quelques suggestions peuvent être complétées par la mine d’informations et de ressources proposées sur le site institutionnel www.nonauharcelement.education.gouv.fr/ressources/outils
www.nonauharcelement.education.gouv.fr/ressources/plan-de-prevention-mis-en-place-a-lechelle-nationale/


Le concours

Le prix « Non au harcèlement »
Ce prix invite les élèves de 8 à 18 ans à s’exprimer sur le harcèlement à travers la réalisation collective d’une affiche ou d’une vidéo de prévention du harcèlement d’une durée maximale de 2 minutes. Les productions sont à remettre avant fin janvier au référent harcèlement de l’académie, la remise des prix académiques a lieu en mars, et la remise nationale en mai.
Les différents courts-métrages lauréats sont mis en ligne sur le site dédié, les réseaux sociaux du ministère et sur la chaîne Youtube.
En savoir plus : Prix 2016 « Non au harcèlement » circulaire n° 2015-159 du 22-10-2015
Disponible sur www.education.gouv.fr/cid73553/prix-non-au-harcelement.html
Voir aussi www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=93577 (consulté le 14 octobre 2019) et leur page Facebook www.facebook.com/nonauharcelementalecole/

Les associations

APEAS : cette association qui a pour objectif d’Accompagner, de Prévenir, d’Éduquer, d’Agir et de Sauver a officiellement étendu ses statuts à cette problématique.
En savoir plus https ://jeudufoulard.com/le-harcelement/

APHEE, l’Association pour la prévention des phénomènes de harcèlement entre élèves, a été créée en 2006 par Jean-Pierre Bellon et Guy Gardette, respectivement professeur de philosophie et formateur dans l’académie de Clermont-Ferrand.
http://harcelement-entre-eleves.com

Fil jeunes propose aussi un service d’appel anonyme et gratuit pour les 12-25 ans tous les jours de 9h à 23h : 0 800 235 236. Cette association propose aussi sur son site un dossier sur le harcèlement à l’école.
www.filsantejeunes.com/mal-etre/
violences-mal-etre2/des-dossiers-sur-
violences-mal-etre2/le-harcelement-a-lecole

Génér’action Solidaire, association dont Noémie Gohan est la Présidente, propose ses interventions en collèges et lycées.
https://generaction-solidaire.fr

La Fédération de la Ligue de l’Enseignement, avec le projet « Les Veilleurs », a également un programme de sensibilisation au harcèlement en milieu scolaire, sous un angle inédit, celui du témoin.
http://lae.paris/actions-scolaires-2nd-
degre/prevenir-harcelement-college-veilleurs/

Orfeee – Observation, Recherche et Formation pour une Écologie de l’Esprit à l’École – est habilité à dispenser des formations. Ce réseau a pour vocation de réunir des chercheurs et des intervenants de terrain autour des questions liées à l’école et aux diverses souffrances scolaires, dans le but de promouvoir toute avancée en termes de mieux-être à l’école.
http://probleme-souffrance-ecole.fr/

Les numéros de téléphone à connaître
• 3020 : c’est le numéro à appeler, proposé par le dispositif « Non au harcèlement à l’école »
• Net Ecoute 0800 200 00 : c’est le numéro vert proposé aux enfants et adolescents confrontés, dans leurs usages numériques, au cyberharcèlement.

Temps forts

Journée nationale de lutte contre le harcèlement le premier jeudi de novembre, organisée par le Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse.
www.education.gouv.fr/cid134915/journee-nationale-de-lutte-contre-le-harcelement-a-l-ecole.html (consultée le 14 octobre 2019)
Journée académique de formation dans les académies en novembre : imaginer des actions remarquables, relayées par les médias, pour ce jour spécial.

Textes juridiques

Cyberviolences à caractère sexuel
La loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique crée un article 226-2-1 du Code pénal, qui concerne les cyberviolences à caractère sexuel :
« Lorsque les délits prévus aux articles 226-1 et 226-2 portent sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel prises dans un lieu public ou privé, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 euros d’amende.
Est puni des mêmes peines le fait, en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, à l’aide de l’un des actes prévus à l’article 226-1. »

Assistance à personne en danger
Tout citoyen a obligation de porter assistance à une personne en péril. Art. 223-6 du code pénal : « Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »
Les conditions préalables :
Pour qu’il y ait obligation de porter secours, trois conditions préalables doivent être réunies. Il faut :
• qu’un péril grave menace une personne ;
• qu’un secours puisse être apporté à cette personne de la part du prévenu ;
• que ce secours puisse être porté sans risque ; la loi oblige les gens à être responsables et solidaires, mais elle ne leur demande pas de faire preuve d’héroïsme.
La loi « Revenge porn » (octobre 2016) accentue les condamnations encourues lors de diffusion d’images et/ou de photos intimes.

Une exposition itinérante

Stop au harcèlement scolaire ! (du CM2 à l’arrivée en seconde)
Dans le milieu scolaire, le harcèlement entre les élèves devient plus agressif et envahissant avec l’usage du téléphone portable et des réseaux sociaux. Destinée aux enfants et aux adolescents, cette exposition fait prendre conscience des souffrances causées par le harcèlement scolaire et donne des clés pour réagir lorsqu’on en est victime. Cette exposition de 10 panneaux de 80 x 120 cm, à accrocher sur grilles ou cimaises, est proposée à l’achat ou à la location. Ce thème produit par Double Hélice est disponible sous forme d’exposition itinérante, mais aussi d’album (8 €) ou de livre-accordéon (12 €).
www.double-helice.com/fr/expositions/societe/e/harcelement.html

 

Des jeux de société

• Le serious game Stop la violence ! est destiné à sensibiliser les élèves âgés de 12 à 17 ans au problème du harcèlement, et s’adresse principalement aux témoins de la violence. www.stoplaviolence.net

• Harcelgame, jeu créé par huit élèves de 5e du Tarn. www.stoplaviolence.net

• Le jeu de l’Oie proposé par la MAE (Assurance scolaire) a pour objectif de sensibiliser les adolescents au harcèlement sexiste, sexuel et homophobe. Il est disponible en prêt www.mae.fr/article/outils-prevention/08-11-2018/jeu-de-l-oie-sexisme-sexuel-homophobie_842.html

•#arcel’g@me, serious game créé par les membres de la Commission Respect et Lutte contre le harcèlement, élus pour le mandat 2014-2016 du Conseil départemental Jeunes du Tarn, avec l’aide d’un développeur, d’un graphiste et d’une psychologue. www.youtube.com/watch?v=_3AUm0U3IEg&t=

 

Serious game « Stop la violence ! » par Tralalère
Jeu de l’Oie par la MAE

 

Les conférences en ligne

Conférence sur le harcèlement scolaire donnée par Jean-Pierre Bellon à la Haute École pédagogique du canton de Vaud (Lausanne).
Jean-Pierre Bellon est, avec Bertrand Gardette, l’un des pionniers de la lutte contre le harcèlement en France. Leur dernier ouvrage, Harcèlement scolaire  : Le vaincre, c’est possible, La méthode Pikas, une technique éprouvée, est paru en 2016 (ESF Editeur).

APHEE. Conférence de Jean-Pierre Bellon sur le harcèlement scolaire à la HEP de Lausanne (vidéo en ligne). Youtube, 13 octobre 2016 (consulté le 17/10/2019). 1 vidéo, 1 h 23.
www.youtube.com/watch?v=KKwT4N36Lls

CATHELINE, Nicole. Le harcèlement scolaire. Canal U, 29 mars 2018 (consulté le 6 juillet 2019). 1 vidéo : 1 h 13.
www.canal-u.tv/video/universite_de_rouen/le_harcelement_scolaire.42031

Conférence sur le harcèlement scolaire avec Marie Quartier, psychopraticienne et responsable du réseau Orfeee qui intervient en milieu scolaire, et Elise Gauthier-Bakhoum, juriste et directrice de l’association Justice et Ville. Lycée Teilhard de Chardin. Conférence sur le harcèlement scolaire. Youtube, 2017 (consulté le 6 juillet 2019). 1 vidéo : 1 h 19.
www.youtube.com/watch?v=Fgpt3fAcxoA

Filmographie

Fictions

DE PALMA, Brian. – Carrie au bal du diable. Redbank films, Metro-Goldwyn-Mayer, 1976. 98 min.

FRANCO, Michel. – Después de Lucia. Filmadora Nacional, Lemon Films, Pop Films et Stromboli Films, 2012. 103 min.

GUERDJOU, Bourlem. – Marion, 13 ans pour toujours. – France 3, EuropeCorp, 2016. 89 min.

LAMOTTE, Christophe. – Le Jour où j’ai brûlé mon cœur. – Argo production, 2018. 104 min.
On pourra également se reporter à la page Wikipédia évoquant les films traitant du harcèlement à l’école
https://fr.wikipedia.org/wiki/Catégorie:Film_traitant_du_harcèlement_à_l %27école

 

Documentaires

RAWLINS-GASTON, Andrea ; FOLLEA, Laurent. Infra-rouge : souffre-douleurs, ils se manifestent. France 2, 2015. 52 min.

CNAF, CINEQUANON. – Harcèlement scolaire : comment lutter ? Vies de famille. 42 min. 34. Disponible sur http://viesdefamille.streamlike.com/media.php?p=9f7a59399b7b0ed2c387

Court-métrage réalisé par des élèves
CITE SCOLAIRE JACQUES MARQUETTE. – Parle ! (vidéo en ligne). Youtube, 2018. 1 vidéo, 10 min.
www.youtube.com/watch?v=UwA7-0XWTyg&frags=wn

 

Autres créations artistiques

Musique, chansons ou clips qui parlent de harcèlement scolaire

Indochine. – College Boy (vidéo en ligne). Youtube, 2013. Disponible sur www.youtube.com/watch?v=Rp5U5mdARgY
Attention, ce clip vidéo réalisé par Xavier Dolan est extrêmement violent.

Linkin Park. – Numb (vidéo en ligne). Youtube, 2007. Disponible sur www.youtube.com/watch?time_continue=62&v=kXYiU_JCYtU

Rise Against. – Make it stop (vidéo en ligne). Youtube, 2011. Disponible sur www.youtube.com/watch?time_continue=6&v=XP4clbHc4Xg

Soprano. – Fragile (vidéo en ligne). Youtube, 2019 Disponible sur www.youtube.com/watch?v=zgBEVbDzuu4

Step by step. – On en parle (vidéo en ligne). Youtube, 2019. Disponible sur www.youtube.com/watch?v=y9aJ38kNLjM&feature=youtu.be

Superchick. – Hero (vidéo en ligne). Youtube, 2008. Disponible sur www.youtube.com/watch?v=6zv7xaDZoto

The Readings. – Wanda’s song (vidéo en ligne). Youtube, 2008. Disponible sur www.youtube.com/watch?time_continue=142&v=a5X2FJyjBxE
http://anti-bullying.superforum.fr/t80-les-chansons-et-les-clips-qui-parlent-de-harcelement-scolaire

 

Théâtre

STERNE, Christian. – Harcèlement. Les fous de bassans, 2016. Adaptation de Pierre Garin, d’après le roman de Guy Jimenes.

 

Les jeux de détournement en bande dessinée

Dans le détournement, tel qu’il est pratiqué dans la bande dessinée, le procédé consiste en un jeu de décontextualisation et d’hybridation d’images ou de planches existantes, pas forcément redessinées, mais extraites de leur contexte initial, détournées de leur intention ou de leur public d’origine. L’exercice du détournement est donc essentiellement transformateur, s’appuyant sur une œuvre existante dont la notoriété va garantir un effet supplémentaire auprès du lecteur. Comme le souligne un détourneur, Un Faux Graphiste : « j’aurais beaucoup plus de mal à créer un gag à partir de rien. Le détournement, c’est l’art du fainéant1 ! ». La pratique du détournement en bande dessinée interroge donc les notions d’hommage et de citation. Soulignons aussi que le détournement permet aux auteurs, qui ne sont pas forcément dessinateurs ou issus du milieu de la bande dessinée, d’expérimenter et de pousser la bande dessinée en tant que langage vers des interactions nouvelles.

Jeux sous contraintes transformatives oubapiennes

Les membres de l’OuBaPo (l’ouvroir de bande dessinée potentielle) pratiquent activement le détournement. Ce comité crée des bandes dessinées sous contrainte artistique volontaire à la manière de l’Oulipo de Raymond Queneau (cf. article précédent). L’OuBaPo repose sur une dynamique ludique : il s’agit de jouer et d’expérimenter en s’avançant sur des terrains inconnus que la contrainte oblige à parcourir. Ce mouvement d’expérimentation permet d’interroger la bande dessinée sur ce qu’elle est et de la réinventer, le tout avec humour.
Toutes les contraintes avec lesquelles jouent les membres du comité oubapien ne sont pas d’effet ou de nature parodique. Je n’ai retenu que celles qui favorisent la pratique du détournement : la substitution verbale, qui consiste à conserver les images en changeant les textes ; la substitution iconique, qui consiste à substituer les images à d’autres images et qui aboutit à une forme d’hybridation ; et la réduction, où il s’agit de condenser un album en quelques cases. Des activités toutes réalisables par des non-dessinateurs.

Planche de Michel Vaillant détournée par François Ayroles.

La substitution verbale

François Ayroles détourne des planches de Michel Vaillant, Le 13 est au départ (in Oupus, 2. p. 43. L’Association). Le discours initial est remplacé par un dialogue critique sur la nature de la bande dessinée et sur le style de Jean Graton, créateur de Michel Vaillant, provoquant un effet de second degré. Ainsi, la mère de Michel Vaillant est en dépression, à force de voir son visage si mal dessiné et le père s’afflige d’être représenté « dans un médium dévolu aux ados ». Tous les deux sont consternés de n’être que des personnages de bande dessinée. Pour le lecteur, c’est assez jouissif de voir les personnages s’en prendre directement à leur auteur pour lui reprocher son manque de créativité, son style trop académique et figé (« en gros plan, nos visages paraissent encore plus mal dessinés »), de souligner la médiocrité des décors, la monotonie des cadrages trop serrés, etc. C’est donc tout un discours critique de la bande dessinée sur elle-même, sur ses procédés parfois artificiels, qui est mis en scène en direct par ces personnages célèbres qu’on a vu évoluer dans un tout autre contexte. Cela produit un effet jubilatoire sur le lecteur. Le détournement repose bien ici sur une décontextualisation produite par ce discours autocritique et ironique pris en charge par les personnages eux-mêmes.

Cette contrainte de la substitution peut amener à l’hybridation. Le procédé consiste à relier un texte A existant à une planche B existante. Cela permet de réunir des auteurs ou des univers très éloignés dans leurs intentions ou dans les publics visés. Ainsi, Ayroles introduit un dialogue de Platon (tiré du Premier Alcibiade) dans Placid et Muzzo font du judo (Oupus 1, L’Association). Le choix de marier Platon à Placid et Muzzo est une idée assez iconoclaste, une blague en soi. L’exercice réalisé donne-t-il à voir différemment Placid et Muzo ou Platon ? Le dialogue entre Socrate et Alcibiade transposé dans la bouche de Placid et Muzzo (un ours nigaud et un renard rusé) sonne étrangement, mais le choix du thème – la lutte contre un ennemi – est raccord visuellement avec la scène de judo. Il est aussi incontestable que la forme dialoguée du texte platonicien s’intègre parfaitement dans la structure séquentielle de la bande dessinée. En tout cas, l’hybridation s’avère ici un bon exercice de désacralisation d’un texte considéré comme austère, ou de réflexion sur une bande dessinée animalière considérée comme simpliste.
Les auteurs du blog Phylacterium tenaient une rubrique intitulée « Dimanches oubapiens », dans laquelle ils expérimentaient ce type d’hybridation, arguant que « Les produits d’une hybridation sont souvent étranges et garnis de poésie surréaliste2 ». On y voit entre autres une planche des Watchmen où Rorschach, le super-héros sombre et dérangé de la série, écrit dans son journal intime3. Mais c’est la voix de Marjanne Satrapi de Persepolis qui vient s’insérer dans la scène pour lui donner une sorte de fraîcheur. En même temps, ce texte, qui décrit la désillusion de son arrivée en Autriche, s’ajuste d’une certaine façon à cette planche où déambule un personnage solitaire à l’identité trouble. L’hybridation apparaît comme une contrainte intéressante, dans la mesure où elle recombine des relations texte/images, et qu’elle oblige le lecteur à se questionner pour trouver du sens.

Placid et Muzzo font du judo (Oupus 1, L’Association)

La substitution iconique

La substitution iconique consiste à changer les images. Gilles Ciment s’est essayé à l’exercice en réalisant une substitution iconique philatélique des Bijoux de la Castafiore d’Hergé, associée à une réduction en deux planches de l’album4. Gilles Ciment, oubapien, raconte avoir acheté un sac de timbres et avoir composé ce nouveau montage avec les timbres disponibles en cherchant des similitudes ou des évocations possibles. C’est ainsi que les personnages sont toujours identiques : Haddock apparaît sous les traits d’un timbre représentant Franco, alors que Tintin est représenté par le roi d’Espagne et la Castafiore par la reine d’Angleterre. Les motifs importants sont représentés ponctuellement : la chaise roulante du capitaine, la guêpe ou le perroquet. Le texte est intégralement conservé. C’est assez astucieux et ludique, cela donne envie au lecteur de comparer avec l’original ou de faire appel à sa mémoire. G. Ciment, dans Confidences oubapiennes sur le site neuviemeart2.0, précise : « Pour quelqu’un comme moi, qui ai la contrainte supplémentaire de ne pas savoir dessiner, c’est plus facile d’obtenir un effet auprès du lecteur avec quelque chose qui est connu de lui. Je ne peux faire des exercices qu’en détournant, et en recyclant. L’auteur le plus connu et le plus identifiable une fois détourné, c’est Hergé5. »
Effectivement, Tintin est un des personnages le plus détournés, puisque parmi les plus connus (avec Mickey). Mais c’est aussi un personnage lisse, bien-pensant, qui se prête aux propos corrosifs. Ici, plus que le personnage, ce sont les albums mêmes qui sont mis en avant et les qualités narratives de Hergé qui favorisent particulièrement le détournement. Killofer, auteur de bande dessinée et oubapien, souligne que « la construction des planches (d’Hergé) est d’une rigueur impeccable. Les détournements n’en ont que plus de force. Quand on travaille sur un exercice, on se trouve comme un cuisinier qui va faire son marché. Hergé, c’est toujours du bon produit6. »

La réduction

Les Oubapiens pratiquent un autre type de détournement des albums de Tintin : la réduction. Il s’agit de raconter un album en quelques cases sélectionnées. Les Cigares du Pharaon peut ainsi être résumé en 6 cases extraites de l’album (Oupus 1. L’Association. cf. visuel joint). L’exercice est en lui-même un travail d’analyse pour le créateur et un moment de jeu pour le lecteur. Que nous dit cette planche de Tintin ? Elle est muette, les seuls signes textuels présents sont des points d’exclamation et d’interrogation. Tintin traverse des situations dans lesquelles il s’interroge ou reste surpris. « Pour le résumé des Cigares du Pharaon, je n’ai utilisé que les images où Tintin ne comprend rien. C’était une façon de dire que, dans cet album, Tintin est constamment perdu, il ne fait que suivre les événements en se demandant ce qui se passe. Dans l’exercice, on dit quelque chose sur la matière première7 ». Le lecteur saisit cette interprétation faite par l’auteur de l’hybridation, celle d’un héros dépassé par les événements. Et cela le ramène à sa propre interprétation de la bande dessinée originale. Cette pratique produit donc une lecture assez excitante pour le lecteur, engageant un jeu de remémoration des scènes, de relecture et de comparaison. La contrainte de la réduction permet donc un jeu aussi bien autour de l’œuvre qu’autour de l’image d’un personnage. En transformant l’œuvre, en la détournant, l’auteur oubapien amène le lecteur vers la critique et la relecture.
On pourrait pratiquer avec des élèves toutes ces substitutions : inventer de nouveaux dialogues sur une planche imposée, avec un texte libre ou sous contrainte, croiser des textes et des planches, résumer une œuvre en quelques cases…

Ces jeux oubapiens, basés sur le détournement de bande dessinée, ont recours aux raccourcis, à la substitution, à la disparition de morceaux de l’œuvre citée (texte ou image). Ils citent les œuvres en les fragmentant ou en les cachant. Mais, contrairement au plagiaire, qui gomme l’idée même d’une source, ils supposent la présence de l’œuvre originale. De manière paradoxale, souligne un oubapien, « la pratique de l’oblitération du modèle source crée pour le lecteur un jeu mémoriel potentiellement riche ». C’est ce que le détournement oubapien semble en effet provoquer sur le lecteur : outre le sourire que provoque l’exercice et son jeu de décalage, c’est le retour aux sources.
Si la citation et le détournement d’images ou d’œuvres culte développent un grand plaisir de réappropriation de ces œuvres, tant du côté du détourneur que du lecteur, cette pratique soulève des problèmes juridiques en France qu’a priori ne rencontrent pas les membres de l’Oubapo, qui se livrent à des exercices ponctuels et peu médiatisés.

Les Cigares du Pharaon résumé en 6 cases extraites
de l’album (Oupus 1. L’Association. )

Détournement et Justice

Le détournement d’images pose en effet un problème juridique en France. Si la parodie est protégée par un statut d’exception, il n’en est pas de même pour le détournement. Nous entrons là, en effet, dans le domaine de la citation qui est soumis au droit d’auteur, c’est-à-dire à l’autorisation de l’auteur ou des ayants droit. C’est ce que nous allons voir avec deux exemples de détournements condamnés par la Justice.

Un Faux Graphiste est un jeune étudiant bruxellois, qui n’est pas réellement graphiste mais étudiant en littérature. Il a commencé à publier sur le web en 2015 avec une page Facebook qui, au bout d’un an d’activité, rassemblait plus de 30 000 fans8. Il y détourne des affiches de films et réalise des montages divers avec un humour certain. Mais son œuvre majeure, ce sont les détournements de Tintin. L’idée est de décontextualiser les images originales avec des répliques qui leur donnent un sens radicalement différent. C’est ainsi que Tintin peut se transformer en journaliste voyeur, assoiffé de sensationnalisme, Haddock en hipster, les Dupond & Dupont en fans de « rap alternatif » et de « bière bio » et le professeur Tournesol en galeriste recherchant des graffeurs à exposer9…
Un Faux Graphiste choisit une ou plusieurs planches, qu’il scanne. Il réarrange les cases avec Photoshop tout en restant respectueux de la forme et de la typographie originale. Et il y injecte de nouveaux textes, cherchant à créer des dialogues décalés, surfant sur l’actualité ou jouant avec l’image des célèbres personnages.
L’aspect hommage à Hergé est très visible, mais aussi dangereux : la pratique du détournement n’est pas protégée par le droit comme l’est la parodie. Même si l’esprit parodique y est présent, c’est le cadre de la citation qui prévaut ici et l’auteur peut être accusé d’être dans l’illégalité. C’est ce que s’est empressée de souligner la société Moulinsart SA, qui gère les droits de l’œuvre d’Hergé et qui a demandé à Un Faux Graphiste de stopper ces détournements en février 2016. Moulinsart a effectivement le droit (d’auteur) pour elle. Elle seule a l’autorisation de reproduire l’œuvre. Il n’existe que deux exceptions possibles à ce droit d’auteur : le droit de citation, qui est une disposition destinée aux journalistes ou aux enseignants qui vont publier un extrait dans le but d’expliquer l’œuvre, et le droit de parodie, dont on aurait pu penser qu’il s’applique ici. Mais la parodie est un détournement à vocation humoristique dont les règles sont définies. Si l’on se moque de Tintin, on doit immédiatement le voir, c’est-à-dire que le dessin – et pas seulement le texte – doit être modifié. Deux conditions que ne remplit pas Un Faux graphiste qui se sert de Tintin comme tremplin pour raconter tout autre chose. La pratique du détournement, quand on utilise les cases directement, sans les redessiner, ne peut pas être considérée comme de la parodie ou de la caricature. Un Faux Graphiste a donc stoppé ses détournements de Tintin mais a continué de sévir sur le net différemment. Deux recueils édités par Delcourt condensent officiellement « le meilleur » de sa production iconoclaste. Il travaille désormais sur des illustrations en noir et blanc du début du XXe siècle (et sur des gravures plus anciennes), sur des extraits de comics ou fumettis de série B de tous genres, qui sont surtout libres de droits.

Un Faux Graphiste

Autre exemple de détournement toujours axé sur la figure culte de Tintin : Le Petit XXIème. Un micro blog puis un tumblr sont ouverts en février 201410. Les deux auteurs, longtemps restés anonymes, se sont avérés être des journalistes. Leur objectif : commenter l’actualité à partir des cases de Tintin en jouant sur les similitudes et les décalages avec la période actuelle. (le nom Le Petit XXIème a été choisi par rapport au Petit Vingtième qui était un supplément au journal Le Vingtième Siècle, où l’on trouvait Les Aventures de Tintin).
Le blog a connu son petit succès, le fait que les auteurs ne publiaient qu’une image par jour évitait un effet d’accumulation et pouvait jouer sur une éventuelle attente du lecteur. Les auteurs ont ainsi commenté leur succès : c’est « un exercice intellectuel réjouissant » procurant le plaisir « d’établir des liens entre une œuvre patrimoniale et une actualité effervescente » et « de retrouver des souvenirs de lectures enfantines qui donnent envie de se remettre à lire l’œuvre d’Hergé11 ».
Cela n’a évidemment pas plu à la société Moulinsart qui, au lieu d’y voir une forme de réactualisation des œuvres d’Hergé, a exigé le retrait des images en expliquant : « la jurisprudence considère une case des albums de Tintin comme une œuvre à part entière. Or, la citation s’entend par nature d’un extrait, d’un passage, d’une œuvre constituant un tout12 ». Donc, pas de citation autorisée. En France, la Cour de Cassation a pour l’instant toujours écarté l’idée que l’on puisse « citer des images ». Pour la Cour, la loi indique que la citation doit être courte. Or, réaliser une « citation graphique » revient à montrer l’image dans son intégralité, même si elle est reproduite en petit format ou en faible résolution. Donc, citer une image sans autorisation de l’auteur ou des ayants droit constitue un acte de contrefaçon. C’est bien ce dont Le Petit XXIème était accusé. Les auteurs ont dû retirer toutes les images citées de leur tumblr. Mais le compte twitter a été actif jusqu’en septembre 2018. Et de nombreuses images sont encore visibles sur le net.
Pourtant, même si les images de Tintin ne sont pas matériellement modifiées, on pourrait considérer Le Petit XXIème comme une œuvre transformative. Il y a bien transformation, parce que la recontextualisation opérée donne un nouveau but aux vignettes : produire un commentaire décalé de l’actualité. La loi s’est penchée à plusieurs reprises sur cette notion d’œuvre transformative sur laquelle elle bute encore. Cet exemple du Petit XXIème montre la nécessité de faire évoluer un droit français dépassé par les usages, en particulier numériques. C’est probablement dans l’intérêt de la liberté d’expression et de création, mais aussi dans l’intérêt des œuvres elles-mêmes. Dans le cas de Tintin, Quentin Girard, un des deux journalistes qui géraient ce tumblr, souligne qu’« empêcher les réutilisations créatives, c’est finalement couper les œuvres de leur temps et précipiter leur déclin dans la mémoire13 ».

Patrick Buisson a bien enregistré Nicolas Sarkozy. Renvoie au titre dans
Le Monde, 06/03/2014. @lepetitXXI

Le détournement est donc une pratique plus périlleuse que la parodie puisqu’elle expose ses auteurs à la possibilité d’une interdiction de publier, que les auteurs ou ayants droit de l’œuvre originale sont en mesure d’imposer. Il n’en reste pas moins que ces détournements mettent ou remettent en valeur des œuvres et rendent hommage aux artistes détournés. Les détourneurs de bande dessinée, en particulier oubapiens, proposent de regarder l’œuvre détournée d’un œil neuf et, par le jeu qu’ils instaurent, revigorent la lecture et incitent à la relecture.

 

Oubapo

Cette dimension ludique et pédagogique encourage chacun de nous à expérimenter ces jeux qui libèrent et stimulent nos envies de narration, de partage, de création. Tout en nous rappelant que dans le jeu, ce qui est important, c’est de jouer, et sûrement pas d’atteindre un objectif fixé d’avance.

De l’OuLiPo à l’OuBaPo*

« L’Ouvroir de littérature potentielle » est un groupe de recherche en littérature expérimentale fondé en 1960 par l’écrivain Raymond Queneau et le scientifique François Le Lionnais. Cette double paternité situe l’Oulipo au croisement des mathématiques et de la littérature : il s’agit d’associer la création littéraire aux techniques des mathématiques. Queneau a ainsi composé un célèbre texte combinatoire intitulé Cent mille milliards de poèmes en écrivant dix sonnets puis en disposant chaque vers sur une bande de papier autonome, ce qui permet d’obtenir 1014 poèmes, soit cent mille milliards. À travers la définition de Raymond Queneau, « l’auteur oulipien est un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir », se devinent les notions de jeu et de motivation, mais aussi d’expérimentation scientifique et l’idée que les procédés techniques sont les outils de création comme de sortie du labyrinthe1. C’est que la gratuité du jeu et l’arbitraire même du procédé génèrent des idées et stimulent la créativité.
La recherche oulipienne consiste donc à inventer des règles, des contraintes formelles et à les traduire sous forme de textes qui permettent, d’une part, de créer des œuvres nouvelles, d’autre part, d’exhumer les potentialités d’œuvres existantes et produites par d’autres. « Par potentialités, il faut entendre les richesses secrètes ou cachées qu’elle [l’œuvre] recèle, qui ne peuvent apparaître qu’en lui appliquant de nouvelles contraintes2 ». On pourrait aussi résumer la perspective oulipienne par l’expression « mettre la langue sous corset pour faire jaillir l’imaginaire ».
Un exemple connu de ces contraintes littéraires est la méthode S + 7 : en remplaçant, à l’aide d’un dictionnaire, chaque substantif d’un texte par le septième qui le suit dans le dictionnaire, on obtient un nouveau texte. La Disparition de George Pérec (publié en 1969) est aussi très souvent cité comme le texte qui résume le mieux les contraintes que s’imposent les chercheurs de l’OuLiPo : le récit entier est écrit sans qu’y figure une seule fois la lettre e, la plus fréquente de la langue française.
À l’intersection de tous les ouvroirs potentiels se situe un OuXPo virtuel imaginé par François Le Lionnais, dans lequel se sont inscrits de nombreux ouvroirs : l’OuPeinPo (Ouvroir de peinture potentielle), l’OuMuPo (musique potentielle), l’OuTraPo (théâtre), l’OuCuiPo (cuisine), l’OuCiPo (cinéma) et L’OuBaPo (bande dessinée).

Fondée en 1992, sous l’égide de la maison d’édition l’Association, « l’Ouvroir de Bande Dessinée Potentielle » regroupe des auteurs créant des bandes dessinées sous contrainte artistique délibérée. Les membres fondateurs sont : François Ayroles, Anne Baraou, Gilles Ciment, Jochen Gerner, Thierry Groensteen, Patrice Killoffer, Étienne Lécroart, Jean-Christophe Menu et Lewis Trondheim. Deux types de contraintes, héritées de l’Oulipo, sont expérimentées : les contraintes génératives qui permettent de créer des bandes dessinées inédites et les contraintes transformatives qui modifient des œuvres existantes. Les contraintes s’appliquent aussi bien à l’échelle de la case ou du strip que de la planche ou de l’album entier. Une œuvre oubapienne peut tout aussi bien se limiter à une contrainte précise ou en réunir plusieurs. On pourra trouver la liste de ces contraintes (liste non exhaustive car toujours en construction), leurs définitions et représentations sur le site d’Etienne Lecroart4 (membre fondateur de l’OuBaPo et également OuLiPien) ainsi que dans les Oupus publiés par l’Association qui regroupent les productions des membres de l’OuBaPo (6 recueils édités depuis 1997). On peut également s’initier avec Matt Madden et ses 99 exercices de style, variations autour d’une même anecdote, dans la filiation du célèbre livre de Raymond Queneau (L’Association).

Planche extraite de 99 exercices de style, Matt Maden, ©L’ Association

Si certaines contraintes sont directement héritées de l’OuLiPo, d’autres sont spécifiques à l’univers de la bande dessinée et ont d’ailleurs été parfois expérimentées avant la création de l’OuBaPo. Ainsi, Gustave Verbeck avec The Upside-downs of Little Lady Lovekins and Old Man Muffaro expérimente dès 1903 la réversibilité : une même planche est conçue pour se lire à l’endroit puis à l’envers. Et « des auteurs contemporains peuvent se montrer oubapiens sans appartenir à l’Ouvroir, comme Marc-Antoine Mathieu quand il utilise une contrainte de plurilecturabilité5 dans L’Origine. Si les contraintes ont été pratiquées massivement avant l’Oubapo et continuent de l’être en dehors de lui, c’est que la bande dessinée est en elle-même un médium riche de contraintes, qui invite assez spontanément à faire jouer ses codes graphiques et narratifs6 ».
D’après Etienne Lecroart, l’expérimentation oubapienne permet de créer avec un plaisir puissance 3. « Imaginer une contrainte est un plaisir. La mettre au point en procure un second. Enfin, la réaliser en offre un troisième7 ! » Le plaisir du jeu est, en effet, au cœur de cette pratique et il suffit de s’y risquer soi-même pour immédiatement le ressentir (cf. ateliers ci-après).
Du fait de la vigueur de leurs contraintes, certaines productions oubapiennes peuvent revêtir un caractère forcé, entre exercice de style et pure performance. Mais il n’en reste pas moins que ces créations nourrissent le discours critique sur la bande dessinée. Du fait de la diversité des membres de l’OuBaPo (auteurs et/ou théoriciens), la pratique est formalisée et stimulée par la théorie critique. « Ce n’est sans doute pas un hasard si la naissance de l’Oubapo et le renouvellement théorique sur la bande dessinée, porté entre autres par Thierry Groensteen, sont contemporains8 ». Les contraintes oubapiennes qui peuvent obliger à la répétition comme à l’oblitération et jouer sur les textes comme sur les dispositifs visuels amènent à déconstruire la grammaire et la syntaxe propres à la bande dessinée. « L’Oubapo, en isolant, pour les faire jouer, des codes comme la répétition des personnages d’une case à l’autre, l’ellipse ou le cadrage, aide à mieux comprendre la bande dessinée et contribue à questionner, voire à faire glisser les conceptions que l’on s’en fait. Certains exercices oubapiens de restriction, en produisant des planches muettes ou sans images, ont notamment rendu caduque l’idée reçue qui voulait que la bande dessinée soit une simple alliance de textes et d’images9 ».
Si la bande dessinée oubapienne contraint les auteurs à emprunter de nouvelles voies et ainsi à se renouveler, elle amène aussi le lecteur à changer ses habitudes de lecture. En effet, il faudra accepter d’être surpris : pas de personnage par exemple ou de mise en scène fictionnelle auxquels s’attacher. Le lecteur devra s’aventurer dans le jeu des codes, parfois cachés, modifier son sens de lecture, manipuler éventuellement le livre. Bref, plus qu’un lecteur, il devient un joueur et un enquêteur, à l’affût des signes et des indices qui lui donneront la ou les clés de compréhension. Un méta-lecteur, décodeur, capable de percer le mystère et d’en éprouver de ce fait, du plaisir. « Peut-être l’un des principaux résultats que l’on peut attendre des travaux de l’Oubapo est-il justement, sinon d’amorcer la mutation du lecteur en critique, en tout cas de susciter sur le médium un regard plus averti, d’inviter à une lecture plus vigilante, plus investigatrice et plus réflexive10 ». En décodant et en jouant, le lecteur se sent plus intelligent, et peut-être le devient-il effectivement !
Il semble bien que L’OuBaPo engage une pédagogie de la bande dessinée. En proposant d’explorer les contraintes et les codes de la bande dessinée, la démarche oubapienne invite à voir ce médium comme un terrain de jeu graphique et/ou narratif. Un terrain de jeu sur lequel nous pouvons aisément nous inviter avec nos élèves.

Compte rendu d’ateliers oubapiens

Focus sur deux ateliers : le premier réalisé dans le cadre du stage Préac BD d’Angoulême et animé par Étienne Lecroart (pour les adultes, mais réalisable avec des élèves) ; l’autre organisé au Lycée Touchard avec des élèves (Terminale) dans le cadre de la classe de français. Ces ateliers, inspirés des pratiques de l’Oubapo, proposent d’explorer de façon nouvelle les possibilités narratives du médium bande dessinée. Ils se révèlent d’une grande richesse pédagogique.

Strip collectif sous la forme du cadavre exquis

Étienne Lecroart propose au groupe installé en rond une réalisation collective en quatre cases avec un mot imposé par case. Ce mot est tiré au sort dans un corpus préparé par l’intervenant. Chaque participant réalise une case avec, comme contrainte, ce mot imposé. Ce mot, qu’il figure ou non dans le texte associé à l’image réalisée, doit servir de support à l’inspiration. Puis, chacun passe sa feuille au voisin de gauche qui réalise à son tour une case avec un nouveau mot tiré au sort (soit du même corpus, soit d’un autre). Et ainsi de suite, jusqu’à la réalisation des quatre cases. À la fin, les participants sont invités à lire, à montrer et à commenter au groupe les strips réalisés. Et puis, on recommence, car l’exercice est assez court (un temps maximum – quelques minutes – est donné par l’intervenant pour réaliser une case).

Ce que j’ai observé durant cet atelier : Les participants, même persuadés de ne pas savoir dessiner et d’être incompétents, se prêtent rapidement au jeu. Le fait que le dessin doive être expressif et non parfait, qu’il puisse être ramené à des « bonhommes patates », produit un effet décomplexant. L’aspect ludique, qui crée une émulation individuelle et collective, élimine les enjeux éventuels et permet d’être désinhibé par rapport au processus de création et d’inspiration. « En étant focalisé sur la contrainte, on se libère » (E. Lecroart). Les mots imposés des corpus sont interprétables, leur sonorité ou leur polysémie vont engager naturellement les participants à des prises de liberté : créations de jeux de mots, poésie… (Le terme métaphore du corpus Figures de style a été ainsi transformé en Méta Fort). Les mots imposés peuvent donner lieu ensuite à des discussions autour de leur définition, de leurs différents sens possibles, des représentations ou des stéréotypes qu’ils engagent, des notions de dénotation et connotation… La réinterprétation graphique du même personnage, par exemple, par quatre participants n’est pas un obstacle à la lisibilité du strip et, au contraire, dévoile la richesse des traits et des dessins, même sommaires.

Exemple d’un strip réalisé avec les termes suivants imposés : Longueur. Moyen
Âge. Plus. Révolution. Mots extraits des corpus Histoire et Mathématiques.

Planche muette

Une planche dont les textes d’origine ont été effacés est choisie par chaque participant (plusieurs choix sont possibles parmi des planches extraites d’albums de Tintin, Snoopy, etc). Un mot (ou plusieurs) est tiré au sort, qui devra figurer impérativement dans le texte inventé. Le but est bien évidemment de ne pas rechercher les dialogues probables de la planche d’origine, mais de créer quelque chose de nouveau, de drôle, d’inattendu…
Ce que j’ai observé durant cet atelier : encore moins d’inhibition chez les participants, du fait qu’il n’y a pas de dessin à réaliser ! L’humour prévaut souvent dans les dialogues des participants. C’est le (ou les) mot(s) imposé(s) qui crée(nt) les situations inventives et libèrent les participants de la logique ou de l’esprit originel de l’œuvre. L’exercice me paraît a priori encore plus simple à mettre en place avec des néophytes en bande dessinée.

Strip réalisé par un élève

En classe / Le contexte

Avec un professeur de lettres, nous avons réinvesti ces ateliers dans une classe de Terminale du Lycée Touchard. Ces élèves ont été sensibilisés toute l’année à la bande dessinée. Ils ont participé à Une Case en Plus, prix BD départemental : ils ont été amenés à lire plusieurs albums et à étudier au moins un titre en classe (dans ce cas, Le joueur d’échecs de Stephan Zweig, adapté par David Sala dont ils ont dû analyser plusieurs planches). Ils ont été initiés au lexique de l’image, aux notions de découpage et de mise en page. Au niveau pratique, ils ont été confrontés à l’adaptation d’un extrait de texte (L’Adversaire d’Emmanuel Carrère) qu’ils ont mis en scène sous la forme d’une planche de bande dessinée.
Les exercices oubapiens peuvent constituer une excellente introduction à l’étude de la narration en bande dessinée. Dans cette classe, pour des raisons annexes, ils ont été introduits en cours et en fin de séquence. Vu la sensibilisation des élèves à la bande dessinée durant l’année, il n’y a eu aucun problème de compréhension ni de réalisation dans ces ateliers. Les élèves savent par exemple distinguer un texte relevant du commentaire narratif d’un texte relevant du dialogue et en créer ; ils ont aussi une idée de l’ellipse narrative.

Intérêts pédagogiques des ateliers oubapiens

– L’exercice consistant à compléter des planches muettes s’est révélé à la fois récréatif et stimulant pour les élèves. Beaucoup ont voulu choisir plusieurs planches pour renouveler l’exercice. Nous avons compilé les travaux pour que chaque élève puisse lire ce que les autres avaient réalisé.
– En termes d’apports pédagogiques à la classe de français, un tel exercice se révèle bénéfique puisqu’il permet à l’élève :
* de réinvestir un savoir acquis en cours (vocabulaire, sens de la narration, ellipse, etc.)
* de faire travailler et de valoriser son imagination, capacité souvent exclue de la classe au profit de lectures « analytiques ».
* de montrer une autre facette de sa personnalité : non plus l’élève qui attend ou suit le cours, mais l’élève qui participe à un projet collectif au sein de la classe et dont les choix sont pris en compte, à la fois pour lui-même et pour le groupe.
– Cette même classe a participé au concours Remplis ta bulle (organisé par l’académie de Limoges et la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême). Ce concours, inspiré par les travaux de l’Oubapo, propose aux élèves de construire une histoire en deux planches en s’appropriant l’ensemble des cases spécialement conçues pour l’occasion par Étienne Lecroart. Nous avons choisi l’option 1 du concours, soit une réalisation individuelle consistant à organiser une double planche avec l’ensemble des 18 cases proposées par l’auteur (cases visibles et téléchargeables à partir de divers sites académiques, cf. bibliographie).
L’exercice n’est pas sans difficulté. Il ne suffit pas de mettre en œuvre et de respecter les contraintes, il faut aussi raconter une histoire qui soit lisible pour un lecteur. Or, parmi les 18 cases proposées, certaines semblent n’avoir aucun lien avec les autres. La difficulté pour les élèves est de créer des relations entre ces images imposées. Cela nécessite une certaine familiarité avec la narration en images : connaître le potentiel des ellipses, être capable de jouer avec la nature polysémique des images (images métaphoriques, images mentales et pas seulement images descriptives). Le texte qui fera le lien entre ces images disjointes – en particulier le commentaire narratif – prend ici toute sa valeur. Parmi les difficultés rencontrées notamment par les élèves, citons la chute narrative, difficile à maîtriser. L’exercice permet ainsi aux élèves de se confronter au schéma narratif.
L’intérêt pédagogique de cet exercice est la représentation concrète de ce qu’est fondamentalement un récit, à savoir un début et une fin, et surtout une fin surprenante, similaire aux « nouvelles à chute » de Guy de Maupassant, par exemple. C’est pourquoi, à travers l’agencement de vignettes, on réfléchit à la réalisation d’un scénario, à la fois plausible et structuré (jeux sur les temps, les analepses, les prolepses, les ellipses, etc.), tel qu’on peut le rencontrer dans un texte. Cela donne des clés de lecture pour analyser les textes en profondeur, puisqu’ayant pratiqué un montage autour d’un récit, on va chercher à faire apparaître par la suite, dans une démarche réflexive, le plan prévu par un auteur, ce qu’il a voulu mettre en valeur. L’élève reviendra sur la manière dont il a placé ses vignettes pour faire avancer son histoire. Réfléchir de manière ludique sur la narration permet ainsi de mieux la comprendre, de l’appréhender différemment. Devenir soi-même scénariste, même pour un travail donné, c’est concevoir de l’intérieur les principes de construction d’un récit, l’échafaudage délicat d’un texte, c’est donc, déjà, en donner une analyse plus juste, puisque réfléchie en amont.

On voit que ces exercices oubapiens ne nécessitent pas de grands prérequis de la part des élèves. On peut espérer que tous ont déjà lu une bande dessinée et ont intégré la notion d’ellipse entre les images. Il est conseillé de débuter par les planches aux textes effacés avec termes imposés, puis de très vite passer à d’autres expériences et évidemment d’élaborer avec son groupe classe ses propres contraintes. On peut même imaginer une sorte de jeu par équipes où chaque groupe imposera ses règles aux autres.
Le must serait de créer un projet associant professeurs d’arts plastiques, de lettres et de mathématiques. Car chacun pourra nourrir l’atelier avec sa discipline. L’aspect ludique désinhibe et suscite l’envie d’expérimenter encore et encore.

Et seuls restent les ados…

Accident

Deux romans classiques ont inauguré ce genre en utilisant le prétexte de l’accident pour isoler leurs groupes de jeunes protagonistes. Tout d’abord, l’indémodable Deux ans de vacances de Jules Verne, paru en 1888 et qui met en scène un groupe d’une dizaine de jeunes garçons dont le bateau fait naufrage et s’échoue sur une île déserte, obligeant les rescapés à s’organiser pour survivre. Inspiré de l’aventure de Robinson Crusoé, ce texte ajoute toutefois, au jeune âge de ses personnages, les aléas liés à la vie en communauté. Le groupe est ainsi sujet à de fortes tensions menant à la création de différents clans, jusqu’à ce que ceux-ci soient contraints de s’unir lorsque l’île est attaquée.
Après, cette fois-ci, un accident d’avion, les héros de Sa majesté des mouches de William Golding, édité en France en 1956, font face aux mêmes difficultés que leurs prédécesseurs. Ils sont isolés sur une île inconnue où il leur faudra apprendre à survivre ensemble sans perspective de sauvetage. Les réactions sont alors les mêmes – des clans se forment, des chefs se révèlent, des rébellions couvent –, mais l’auteur va plus loin en menant son groupe jusqu’aux frontières, et au-delà, de la barbarie. Ici la question des rapports de pouvoir et de l’inhumanité qui surgit quand plus aucun contrôle n’est exercé est poussée à l’extrême.
Plus récente, la série Horizon de Scott Westerfeld s’appuie sur le même ressort dramatique en ajoutant toutefois une dimension fantastique au récit. En effet, le tome 1, Crash, débute par l’accident d’avion qui ne laisse pour survivants que huit adolescents, et l’environnement dans lequel ils se réveillent diverge complètement de ce à quoi on aurait pu s’attendre : tombé au-dessus de l’Arctique, l’avion et ses passagers se retrouvent mystérieusement perdus au milieu d’une jungle non identifiée. Par ailleurs, les épreuves auxquelles ces derniers devront faire face ne semblent pas toujours naturelles, mais seront l’occasion dans ce récit de faire plutôt valoir les qualités de chaque personnage et d’afficher des valeurs de solidarité. L’origine de tout cela est-elle vraiment due au hasard ou les adolescents sont-ils devenus malgré eux les sujets d’une expérimentation dont ils ne savent rien ?

Image tirée du film de Peter Brooke, Sa majesté des mouches,
adaptation du roman de William Golding (1963)

Expérimentation

La mise en quarantaine volontaire de groupes d’enfants ou d’adolescents par des adultes se retrouve fréquemment dans les romans dystopiques et de science-fiction. Aucunement le fruit du hasard, cette situation est entièrement mise sur pied, pour différentes raisons, par des personnes de pouvoir et revêt alors un caractère particulièrement cruel.
La série la plus connue utilisant cette configuration est bien sûr Hunger Games, de Suzanne Collins. À des fins purement récréatives, le Capitole organise et met en scène des jeux mortels télévisés qui nécessitent d’enfermer dans une immense arène 24 jeunes poussés à s’entre-tuer. Plus ou moins livrés à eux-mêmes (ils gardent tout de même un faible lien avec l’extérieur grâce au « coach » de leur équipe et aux cadeaux, s’ils ont la chance d’en recevoir), les adolescents de 11 à 18 ans reproduisent des comportements liés aux différences de classes sociales qui régissent leur société, et mettent en place des systèmes de défenses entre rivalité, alliances et solidarité.
Le cycle L’Épreuve de James Dashner débute avec Le Labyrinthe, son premier volume, dans lequel un adolescent, Thomas, se réveille dans un lieu inconnu qui s’avère justement être… un labyrinthe. S’apercevant qu’il n’y est pas seul, il rejoint un groupe de jeunes, présents pour certains depuis plusieurs années. Ceux-ci se sont organisés en société et ont mis en place une méthode pour tenter de trouver une issue. C’est ainsi que Thomas intègre l’équipe des coureurs qui s’activent tous les jours dans les couloirs, en échappant aux araignées mécaniques géantes, pour tenter de dessiner un plan de leur prison.
Sur le même principe, Em, l’héroïne de la saga The Generations de Scott Sigler, se réveille, amnésique, dans un cercueil. Autour d’elle, d’autres cercueils, desquels sortent d’autres adolescents, persuadés qu’ils ont douze ans quand ils en ont en réalité dix-sept. L’enjeu, là encore, est de parvenir à garder le groupe soudé pour trouver un moyen de s’échapper et comprendre de quelle machination ils sont la cible.
Cette thématique, propice à la création de séries dystopiques young adult et principalement portée par une production anglo-saxonne, se retrouve aussi dans le roman de Jeanne-A. Debats, Pixel noir. Pixel, un jeune génie de l’informatique, vit dans à une époque évoluée où l’on traite les graves problèmes de santé en plongeant les personnes dans un Virtuel de Repos, pour les soigner sans qu’ils souffrent. Victime d’un accident, il est plongé dans le coma et se retrouve à évoluer dans une réalité virtuelle en compagnie d’autres adolescents. C’est l’occasion pour lui, alors qu’il se trouve confronté à des luttes de pouvoir, de mettre à jour les failles de cette technologie et de tout mettre en œuvre pour sauver la vie de tous ceux qui y sont coincés.

Conquête spatiale

Comme dans Hunger Games, la saga Phobos, de Victor Dixen, met en scène une sorte de télé-réalité. Dans celle-ci, six jeunes sont filmés au cours de leur voyage pour Mars, un aller sans retour, dans le but de créer la première colonie humaine sur la planète rouge. Les quatre tomes permettent d’observer les relations qui se nouent, souvent tronquées par les manipulations des commanditaires du programme spatial, entre les personnages et leurs conséquences sur l’évolution de l’aventure.
C’est presque le même scénario que l’on retrouve dans 172 heures sur la Lune, écrit en un volume par Johan Harstad quelques années plus tôt. Cette fois-ci, les adolescents, en huis clos dans une fusée, ne sont que trois et se dirigent tout droit vers la Lune. Encore une fois, le groupe est soumis à des aléas aussi bien techniques que fantastiques.
Enfin, Les 100 de Kass Morgan, adopte le procédé inverse. Ici, alors que la population est exilée depuis plusieurs siècles dans une colonie spatiale à la suite de la contamination radioactive de la planète bleue, cent adolescents condamnés à mort sont renvoyés sur Terre pour tester la viabilité du lieu. Si seuls quatre personnages sont choisis pour être les narrateurs de cette histoire, le récit est forcément marqué par le nombre, beaucoup plus important, de protagonistes, et les actions des différents clans qui se forment.

Catastrophes

L’un des scénarios privilégié pour arriver à la disparition complète des adultes est celui de la catastrophe, amenant alors les personnages à évoluer dans un univers post-apocalyptique.
À cet égard, la série U4 s’avère particulièrement intéressante. Quatre tomes, écrits par quatre auteurs, mettent en scène quatre héros et héroïnes faisant partie des quelques adolescents ayant survécu à un virus. Le reste de la population mondiale a succombé et ceux qui vivent toujours se retrouvent coupés les uns des autres, dès lors que les moyens de communication ont aussi été coupés. Jules, Koridwen, Yannis et Stéphane, bien que ne se connaissant pas, ont toutefois le même objectif, celui de rejoindre Paris le 24 décembre pour arrêter la catastrophe, comme le leur a demandé un mystérieux personnage via une plateforme de jeu vidéo. Les quatre volumes suivent ainsi chacun de ces jeunes à travers leur périple pour rejoindre la capitale.
Seuls au monde, d’Emmy Laybourne, nous propose une version environnementale du roman de catastrophe. Poussés à se réfugier dans un supermarché par une tempête hors du commun, Dean et Alex font partie des rares enfants et adolescents qui survivent au déchaînement climatique qui plonge la ville dans le chaos. Le tome 1, Les Rescapés du Greenway, s’attache ainsi, comme bien d’autres romans avant lui, à décrire les mécanismes de survie et la nouvelle organisation de ce petit groupe, tandis que les opus suivants mettront un terme à ce huis clos en faisant sortir les protagonistes du supermarché où ils s’étaient installés.

Disparition mystérieuse des adultes

Enfin, certains auteurs ne s’embarrassent pas de justifications pour laisser les enfants et les adolescents entre eux et procèdent à la disparition pure et simple des adultes pour une raison qui reste
mystérieuse.
La bande dessinée Seuls, de Gazzotti et Vehlmann, est la première production à laquelle nous pensons lorsque cette thématique est abordée. Le premier volume, intitulé La Disparition, met justement en place ce procédé par le regard de cinq enfants qui s’aperçoivent un matin que le reste de la population s’est tout simplement évaporé. C’est en partant à la recherche de leurs proches qu’ils vont se rencontrer et former alors leur propre clan. D’autres bandes d’enfants feront leur apparition au fil des tomes, alliées ou ennemies. L’intrigue, liée à la disparition des habitants, commence à se dénouer assez tôt dans la série, mais d’autres événements prennent ensuite le dessus et alimentent le suspense.
Survivre de Jeanne Bocquenet-Carle suit un procédé similaire. Le lecteur est amené à suivre le parcours de sept jeunes (deux enfants et cinq adolescents), alors que les adultes ont soudainement disparu. Pour se mettre en sécurité, le petit groupe devra affronter bandes armées, intempéries et animaux sauvages. Si le résumé de ce roman ressemble à celui de nombreux autres, ce texte présente tout de même une particularité dans l’environnement proposé : l’aventure se déroulant en Bretagne, l’autrice a pu distiller des éléments issus des légendes celtiques.
Pour finir, la série Gone de Michael Grant, débute par une situation tout aussi improbable dans une petite ville de Californie où tous les habitants de plus de 15 ans disparaissent d’un coup. L’un des personnages principaux, Sam, voit notamment son professeur d’Histoire se volatiliser devant sa classe. Tout au long des six tomes (d’autres sont à venir), les survivants sont enfermés dans leur ville, sans savoir ce que sont devenus les adultes. C’est ainsi qu’ils doivent s’organiser comme une communauté, dans un contexte de plus en plus marqué par le fantastique et les rivalités.
Les mécanismes des romans pour adolescents construits autour de la thématique de la disparition des adultes présentent un modèle de récit récurrent. Les ressorts sont souvent les mêmes, ainsi que les rôles des personnages. Et par-dessus tout, il semble que la fonction de ces ouvrages est toujours de véhiculer les mêmes principes : en plaçant les protagonistes dans un environnement exceptionnel, où les problématiques liées à la survie sont exacerbées, l’auteur s’attelle systématiquement à promouvoir des valeurs de solidarité, d’amitié et d’humanité.