Appel à contribution pour le dossier de septembre/octobre 2023
Nous envisageons de réaliser un dossier sur le thème des neurosciences/neuromythes, en lien avec les questions de formation et l’EMI. Nous recherchons des retours d’expérience(s) de professeur.e.s documentalistes ayant mis en oeuvre des séances mobilisant les neurosciences. Voici quelques mots clés en lien avec cette thématique : métacognition, cogni’classes, biais cognitifs/fake news, mémorisation, attention, motivation, bibliothérapie, gestion des émotions (méditation, confiance en soi…).
Date limite d’envoi des propositions de contribution
16 avril 2023
Pour une préparation optimale du numéro, n’hésitez pas à contacter la rédaction au plus tôt
En 1972, Roger Cuchin conçoit et réalise une revue pour la profession : il envoie 1000 numéros pilotes dans les SDI, lesquels suscitent un tel engouement chez les documentalistes en poste que cela se concrétise par la parution en 1973 du numéro 1 d’INTER SDI. Il ne pouvait s’imaginer que la revue serait encore présente et active 50 ans plus tard. Lui rendre hommage, dans ce double numéro anniversaire d’InterCDI (N° 300), relève de l’évidence.
Depuis la création de la revue, de nombreux collègues et collaborateurs ont participé à sa réalisation et plus largement au développement de l’association CEDIS (Centre d’étude de la documentation et de l’information scolaires), rendant ainsi possible par leur implication pérenne et fructueuse une telle longévité. Cette permanence est assez remarquable pour être soulignée ; elle est bien évidemment liée au parti pris affiché par la revue depuis ses débuts, à savoir promouvoir et défendre une profession méconnue, en dépit de sa richesse et de ses multiples facettes.
Un bond dans le passé vous entraînera à la découverte de la genèse de la revue et de son évolution ; vous appréhenderez la construction progressive de la profession ainsi que le positionnement de la revue comme acteur principal aux côtés des collègues et des autres organisations de notre métier, à travers une sélection d’extraits. Au gré de la lecture, vous suivrez les étapes essentielles de l’évolution de la profession : installation des CDI, circulaire de missions de 1986, reconnaissance d’un rôle pédagogique institutionnalisé par le CAPES de documentation en 1989, dispositifs pédagogiques interdisciplinaires, circulaire de mission de 2017 avec, entre autres, la prise en compte des heures d’enseignement.
De retour au temps présent, vous lirez les témoignages de professeurs documentalistes débutants ou plus expérimentés qui ont accepté de nous livrer leur ressenti, leurs doutes, leurs désillusions, leurs envies et leurs espoirs concernant leur métier. Certains ont choisi d’évoquer principalement leurs débuts, avec parfois beaucoup d’humour et de recul, d’autres ont voulu porter un regard critique sur l’ensemble du métier. Ces témoignages donnent un aperçu de la grande résilience de la profession et de la capacité d’adaptation du professeur documentaliste.
Enfin, vous serez invités à explorer un futur où nous avons choisi de questionner des stagiaires sur leurs prises de fonction, les évolutions du métier, leur regard sur la profession et leurs attentes par rapport à la revue. Par ailleurs, une architecte s’est penchée sur l’évolution architecturale des CDI, à laquelle font écho les interrogations d’une professeure documentaliste sur les reconfigurations en cours et leur adéquation avec les pratiques pédagogiques, notamment au regard des attentes et besoins du terrain. Et puis, pourquoi ne pas rêver notre métier avec Mathilde, professeure documentaliste en 2032, afin de le construire ensemble pour toute la communauté éducative.
Soyez assurés qu’InterCDI continuera à donner la parole à l’ensemble des collègues qui souhaitent apporter leur contribution à nos travaux et réflexions.
Nous dédions ce numéro anniversaire à la famille Cuchin et à tous ceux qui ont collaboré à la naissance de la revue InterCDI.
Impossible de célébrer le cinquantième d’InterCDI sans rendre hommage à celui qui imagina, créa et porta notre revue : Roger Cuchin. Un honnête homme comme on l’entendait au XVIIe siècle. Un homme complet, à la fois manuel et intellectuel. Un entrepreneur toujours prêt à se lancer dans de nouveaux défis. Un homme confraternel qui a œuvré, sans compter sa peine ni son temps, pour aider ses collègues. À cette occasion, nous avons rencontré Madeleine, son épouse, et Sylvie, une de ses filles, dans leur pavillon d’Étampes qui servit de premier local à la revue. Merci à Madeleine qui nous a reçu avec gentillesse et à qui il faut rendre un juste hommage, tant elle a œuvré auprès de son mari. Merci à Sylvie qui nous a confié une partie des Mémoires de son père écrites pour sa famille. Voici le récit de la naissance d’InterCDI.
Roger Cuchin est né en 1918, à Paris. Son père meurt de la tuberculose, peu de temps après sa naissance. Sa mère, employée à la RATP, le place alors à Étampes chez une nourrice qui deviendra, pour lui, une deuxième mère. Étampes, une ville à laquelle il restera attaché toute sa vie. Il rentre à l’école primaire à l’âge de sept ans et va poursuivre une excellente scolarité.
À tel point qu’il est reçu au concours de l’École normale de Versailles en 1938. Pour son premier poste, il est nommé à Brétigny-sur-Orge. Puis, pendant l’occupation allemande, l’inspecteur d’académie, le nomme, malgré son jeune âge, directeur d’une école à Étampes, en remplacement de l’ancien directeur, fait prisonnier. Il met en place des méthodes d’apprentissage plus actives que celles utilisées traditionnellement. Il invite ses élèves à pratiquer des activités de manipulation, en relation avec l’étude du milieu local. Les enfants réalisent des frises chronologiques, des cartes géographiques, ou encore un journal. Il les emmène sur le terrain, notamment sur les bords de la rivière qui traverse Étampes pour calculer son débit, à l’aide de bouchons flottants.
Dans le même temps, il cultive plusieurs passions. Il dessine, fait du modélisme, bricole. Sous l’Occupation, il fonde un orchestre de jazz symphonique amateur. Il en est le chef d’orchestre et propose, trois fois par an, de petites comédies musicales dont il est l’auteur. Les recettes de ces spectacles sont destinées à l’envoi de colis aux prisonniers de guerre. Dans les années 60, il crée le Club des Cinéastes Amateurs du Sud de l’Île-de-France (CASIF). À ses passions individuelles, il associe toujours des aventures collectives avec ce souci de partage et de pédagogie qui l’a toujours animé.
À partir de 1945, Roger Cuchin participe à l’expérience des « classes nouvelles » au collège d’Étampes. La pédagogie de ces « classes nouvelles » repose sur le recours aux documents et à l’utilisation des moyens audiovisuels. Dans une classe de sixième, ils sont trois enseignants pour un effectif, très réduit pour l’époque, de 25 élèves… Dans cette classe sans programmes imposés, Roger Cuchin enseigne les mathématiques, les sciences et la géographie. À ce sujet, il crée un modèle permettant de faire réaliser par les élèves la maquette d’une région en relief. Cette maquette intitulée « Géomodélisme » a failli être commercialisée en 1957.
Durant l’année scolaire 1957-1958, le premier CDI (appelé alors Centre Local de Documentation Pédagogique) est ouvert au lycée Janson de Sailly par la volonté de son proviseur, Marcel Sire. Il est géré par Jean-Gabriel Gaussens, professeur d’histoire-géographie qui devient, de fait, le premier documentaliste. Il s’agit de mettre fin à l’éparpillement des documents dans les établissements scolaires, de rassembler les livres autrefois stockés dans les bibliothèques de classe et d’assurer la gestion du matériel et des documents audio visuels qui, de plus en plus, font leur apparition dans les collèges et les lycées. En avril 1958, Roger Cuchin visite avec curiosité et enthousiasme ce premier CLDP du lycée Janson de Sailly.
En octobre 1958, vingt-cinq postes de « documentalistes-bibliothécaires » sont ouverts dans toute la France. Une chargée de mission du ministère demande au proviseur du lycée Geoffroy-Saint-Hilaire d’Étampes si un enseignant accepterait de se voir confier un CLDP à créer sur place. Sans hésitation Roger Cuchin accepte ce poste, faisant du lycée d’Étampes un pionnier de cette nouvelle institution, après Janson de Sailly.
En 1960, ils sont une soixantaine. Pour vaincre leur isolement, ces pionniers créent l’Amicale des Documentalistes de l’Éducation nationale (l’ADEN). Roger Cuchin, qui a réalisé des années durant la revue de l’association de cinéastes amateurs, prend alors en charge la rédaction du bulletin de liaison de l’amicale, qu’il ronéote au lycée, avec la complicité de son chef d’établissement qui déclarera, à maintes occasions et avec humour, que « si Roger Cuchin n’existait pas, il faudrait l’inventer ».
En 1962, on dénombre deux-cent-onze documentalistes à l’œuvre dans les lycées classiques et modernes et six dans les lycées techniques.
Dans les années qui suivent, sous l’impulsion de Marcel Sire, devenu inspecteur général de la vie scolaire, les Services de Documentation et d’Information se multiplient.
Parallèlement, l’ADEN se développe et se penche sur la possible création d’un statut, car, comme l’écrit Roger Cuchin en 1968 : « Dix ans d’existence de l’Institution des Services de Documentation n’ont pas pour autant tracé une ligne claire et admise par tous, ni un cadre sûr et pratique pour tous les aspects de notre multiple activité ». Pour l’ADEN, il s’agit de militer pour une définition précise des missions du documentaliste-bibliothécaire. Le bulletin maintenant publié à Paris s’assoupit cependant peu à peu.
En 1971, gentiment pris à partie par des collègues avec qui il visite le Louvre et qui regrettent la disparition de ce lien entre collègues, Roger Cuchin décide de créer une revue pratique au service des SDI. « Une revue véritable paraissant huit fois par an et qui donnerait des nouvelles des services, de ce qui s’y fait, s’y crée, s’y utilise… Des recettes, des questions, des adresses, des initiatives prises ici et là… », écrit-il dans ses Mémoires. Un beau projet de retraite active dans le prolongement de son activité professionnelle !
Roger Cuchin pose alors les bases du « Centre d’étude de la documentation et de l’information scolaire, le CEDIS ». Il annonce clairement que le but de cette association (sans but lucratif) est de produire une revue qui n’entend faire concurrence ni aux syndicats ni à la FADBEN, mais qui en serait au contraire le complément. En octobre 1972, voulant tester l’intérêt réel que peut susciter une telle revue, Roger Cuchin adresse 1000 exemplaires du numéro 0 aux 1000 SDI existants. Il reçoit rapidement 300 demandes d’abonnement, ce qui lui ouvre le sésame pour poursuivre l’aventure.
Ce numéro 0, sous une couverture dans le style de l’art cinétique de Vasarely, se présente comme une revue technique de la Documentation et de l’Information scolaires. En guise d’éditorial, Roger Cuchin adresse « une lettre à nos collègues documentalistes ». Dans cette lettre, il précise les buts du CEDIS : « L’étude des moyens destinés à faciliter l’accomplissement des fonctions de documentation et d’information présentes dans les établissements ; la diffusion des conclusions de ces études et des matériels et publications dont elles ont pu susciter la création ; l’organisation des services destinés à répondre aux questions d’ordre technique posées par ses membres et l’harmonisation des tâches professionnelles spécifiques de la documentation et de l’information scolaires ». Le CEDIS y est présenté comme « votre assistant documentaliste ». Les premières rubriques présentes : Audiovisuel, qui annonce des bancs d’essai et des fiches techniques, Action culturelle, consacrée au Musée des Arts et Traditions populaires, Information, comment la faire circuler et La Documentation administrative (J.O., B.O.E.N., R.L.R.). Dans le numéro 1 apparaît (heureusement) une rubrique Pédagogie (curieusement rédigée par un proviseur !). Dans ce numéro 0, on trouve également les premières publicités pour le GIDEC (déjà), pour L’École des lettres, et les éditeurs Hachette et Nathan. Enfin les illustrations sont signées par Jean Ollier, un collègue, et par un jeune dessinateur d’Étampes, âgé de 22 ans, Christian Binet, futur créateur de Kador et des Bidochon (cf. Lettre à Christian Binet dans ce numéro anniversaire).
La fabrication de la revue, au démarrage, est plus qu’artisanale, réalisée dans le pavillon de Roger Cuchin à Étampes, elle se fait en famille. Une activité fiévreuse emplit très vite la maison : « Je revois encore la table de notre salle à manger, encombrée de bulletins d’abonnement, de fichiers, de chèques… Je revois Madeleine (son épouse) reporter sur les premiers états, les noms et adresses des abonnés, Bétine (sa mère adoptive) plier et mettre sous enveloppe lettres d’information, bulletins d’abonnement, puis revues… », écrit-il dans ses Mémoires. Madeleine, sa plus « proche collaboratrice », commence un peu à « râler » ; elle s’étonne un peu du désintéressement de son époux et du temps qu’il consacre au CEDIS. En effet, les frais de téléphone, d’électricité, de déplacements en voiture pour la revue sont pris sur le budget familial. D’autant que Roger avance également sur son argent propre les fonds nécessaires à l’impression et aux envois aux abonnés des 8 premiers numéros. Cet argent lui sera bien entendu remboursé ultérieurement, et heureusement, au fur et à mesure de la rentrée des abonnements.
Avec ce numéro 0, l’odyssée d’InterCDI est lancée. D’une simple aventure familiale (même sa nièce figurera parmi les premières salariées et s’impliquera durant de longues années) Roger Cuchin aura transformé l’essai en une belle entreprise associative qui mobilisera une communauté fidèle d’acteurs aux talents divers durant de longues années. Il l’accompagnera jusqu’à l’âge de 80 ans, toujours avec cet esprit altruiste et d’abnégation qui le caractérisait, et passera la main presqu’avec tristesse, tant c’était l’œuvre de sa vie…
L’équipe d’InterCDI, dans la cour du lycée Fénelon à Paris, 1995
De gauche à droite : Mmes Dalimier, Cretin, Douheret, Leplat, Michaut, Jullien, Sourdillon, Roussy, Philippe, Degas, MM. Viry, Fondanèche, Cuchin, Daveau, Ollier, Francès.
Vous vous étonnez sans doute de voir Robert et Raymonde Bidochon nous souhaiter un joyeux anniversaire. Pourquoi ce célèbre couple se retrouve-t-il dans votre revue ? Ma lettre à Christian Binet vous apportera quelques explications sur cette présence incongrue.
Lettre à Christian Binet_____________________________________________________________
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_____________________________________________________________Lettre à Christian Binet
À travers ce dossier, c’est une plongée dans les archives d’InterCDI qui est proposée, organisée autour d’extraits d’articles, reproduits pour beaucoup dans leur forme initiale, afin de coller au plus près des évolutions de la revue (choix éditoriaux, contenus, mise en forme). La réflexion se situe dans le prolongement des écrits de Marie-Laure Sourdillon pour Les Cahiers de l’ISP en 19991 et de Claude Viry dans Perspectives documentaires en éducation en 20032, article qui développe un volet du texte (p. 9-11) initialement paru dans le « Spécial Technologies au CDI » d’InterCDI de juillet-août 19993.
Nous avons opté pour une entrée chronologique, consacrant un quatre pages à chaque décennie, ce qui est forcément réducteur, au regard de la variété et de la richesse des réflexions qui sont au cœur de la revue. Pour chaque décennie, nous avons procédé à une lecture thématique, autour de grandes questions/problématiques significatives des évolutions en cours, à la fois en termes d’étapes, et de réflexions initiées par des chercheurs et des professionnels, comme autant d’éléments constitutifs de la construction de la profession.
Des options fondatrices du créateur de la revue, Roger Cuchin, aux évolutions ultérieures, en continu, dans un contexte de mutations institutionnelles, techniques, sociales, culturelles…, il s’agit de rendre compte de la manière dont InterCDI a contribué/contribue (en quoi et comment) à cette construction : dans une démarche qui se veut ambitieuse et prospective, attentive à être force de proposition, et de prendre une part active aux débats du moment, conjuguant ouverture, créativité, attention portée à l’humain, et prenant en compte les contextes.
Au-delà du balayage des différents champs de la fonction, sous des rubriques aux intitulés parfois changeants en fonction des décennies*, ce sont des réalités complexes et évolutives que donnent à voir les articles, en lien avec les questions qui agitent la profession, et, plus généralement, l’école et la société : certaines reviennent de manière récurrente, sous de nouveaux habillages, en phase avec les avancées de la réflexion. Sont ainsi convoqués, dans une articulation théorie/pratique, des articles d’auteurs variés, parmi lesquels des contributeurs réguliers (des chercheurs, des praticiens, membres de l’équipe CEDIS ou « fidèles » extérieurs à la rédaction). Bien plus qu’un simple espace d’échanges et de mutualisation de pratiques, c’est un InterCDI moteur de la construction de la profession (v. note 2) qui ressort de cette synthèse ; un espace de réflexion, interrogateur de l’existant (CDI, profession, info-doc, école, technique, social…), croisant articles théoriques, résultats de recherche, notes de lecture, enquêtes, analyse de pratiques et de dispositifs, récits d’expériences…
Les élèves qui entrent en sixième ont beaucoup de mal à s’habituer à vouvoyer les professeurs et à les appeler « Madame » ou « Monsieur ». Ainsi, les premiers jours, je les reprenais patiemment en leur apprenant à me vouvoyer et à m’appeler par mon nom de famille, comme ils doivent le faire en entrant au collège. Un jeune garçon, débordant d’énergie, avait particulièrement du mal à s’adapter à ces nouvelles règles. Très gentil, ça lui semblait tellement naturel de tutoyer tout le monde. Amusée, je lui rappelais à nouveau : « Nathan, tu sais que tu dois m’appeler “Madame” et me vouvoyer ? »
Déconcerté, il me regarda droit dans les yeux et me répondit : « Ça veut dire quoi “vouvoyer” ? » Et là, je ne pus réprimer un sourire. Effectivement, si on entend à longueur de journée « Il faut nous vouvoyer », mais qu’on ne sait pas ce que ça signifie, ça paraît tout de suite plus compliqué à faire ! Peu convaincu par mon explication, il a essayé de faire un effort, mais aujourd’hui encore il lui arrive de nous tutoyer !
Dès que possible, c’est-à-dire quasiment à chaque heure, je descends en permanence récupérer des élèves qui souhaitent venir au CDI. C’est souvent un moment de frustration pour ceux qui ne sont pas désignés et cela me met régulièrement mal à l’aise de devoir faire un choix. Le CDI possède un nombre de places limité et il y a souvent plus d’élèves qui veulent venir que le nombre de places disponible. Comment départager les élèves, alors qu’ils disent tous vouloir travailler, lire ou faire un exposé ?
Chacun a sa méthode et, pour ma part, j’essaie de mélanger les élèves, en prenant à la fois ceux que je sais calmes et travailleurs et des élèves dont je me doute d’avance que l’occupation principale sera le bavardage ou l’utilisation du pc !
Un jour, un élève a insisté pour venir au CDI. Il vint me chercher juste avant de descendre en permanence en me disant :
« Madame, est-ce que vous pouvez venir nous chercher pendant cette heure ?
– Oui, je descends dans 5 min, lui répondis-je, (le temps que tous les élèves soient rangés et installés en permanence).
– Est-ce que vous pourrez me prendre s’il vous plaît ?
– D’accord, mais va te ranger correctement en permanence. »
La règle veut que les élèves qui ne sont pas rangés en permanence, au moment où je descends pour les récupérer, ne soient pas pris au CDI. Cela évite qu’ils traînent dans les couloirs en prétendant aller au CDI.
Alors que je choisissais les élèves en permanence et que je cédais en prenant plus d’élèves, malgré le quota atteint, car certains élèves me disaient vouloir travailler, ce même garçon qui avait insisté pour venir me regarda avec un air déçu et me dit :
« C’est bon, Madame, je vais retourner en permanence.
– Pourquoi ? Toi qui voulais absolument venir il y a encore quelques minutes !
– Il y a trop de monde au CDI, ça ne va pas être bien. »
Surprise par sa réaction, je l’autorisai d’un signe de tête à retourner en permanence et me fis la réflexion de ne plus déroger au quota que je m’étais fixé. Non seulement, c’est plus facile à gérer pour moi, dès lors qu’il y a un nombre acceptable d’élèves, mais c’est également mieux pour les élèves eux-mêmes. Ils se sentent bien au CDI lorsque celui-ci constitue un environnement calme et propice au travail et à la lecture. Sa réaction me montre que les élèves eux-mêmes en sont conscients et, malgré leur frustration de ne pas être pris quand je viens les chercher, ils savent que lorsqu’ils viendront au CDI, ce sera en petit nombre et dans de bonnes conditions.
L’un des sujets qui me pose problème cette année, c’est bien de comprendre les cas particuliers auxquels j’ai affaire dans mon établissement, comme, par exemple, les élèves ULIS, mais aussi les enfants qui vivent en foyer ou qui sont victimes de violence physique ou morale à la maison. En effet, je n’ai pas reçu de formation pour comprendre ces élèves à besoins particuliers et j’en ressens un manque notable.
Je m’en suis précisément rendu compte au cours d’une discussion avec une amie au sujet d’un problème que je rencontrais avec un de mes élèves. Celui-ci devait rendre plusieurs livres au CDI et, après plusieurs rappels, considérant les livres comme perdus, je lui ai transmis une facture. Connaissant sa situation, je ne m’attendais pas à ce qu’il paie cette facture, mais c’était une manière de lui faire remarquer que son retard allait finir par poser problème. Sa réaction ne fut toutefois pas celle que j’attendais : il me rit au nez en me disant qu’il les rendrait quand Lui l’aurait décidé. Je décrivis davantage cet enfant à mon amie qui travaille dans la protection de l’enfance et elle m’expliqua : « L’enfant dont tu me parles est typiquement un enfant “abandonniste” ; il pense que s’il vit en foyer c’est uniquement de sa faute, pas celle de ses parents ou d’une autre personne, mais spécifiquement la sienne. Et il fera tout pour se mettre dans des situations qui l’accusent, pour se prouver que c’est bien lui le problème. Pour se donner raison. Laisse tomber tes livres, c’est le seul rapport qu’il a su construire avec toi, car c’est le seul rapport qu’il cherche à construire. Il faut que tu trouves le moyen de construire une autre relation avec lui que celle dans laquelle il est en faute. »
Mon approche n’était donc pas la bonne et je me rendis compte que n’ayant aucune expérience, aucune connaissance dans ce domaine, je n’aurais pas su qu’il fallait agir autrement sans cette explication. Il me semble impératif que je me forme à la psychologie de l’enfant et il serait intéressant d’ajouter ce domaine aux formations pour devenir enseignant.
Les « piliers du CDI » sont les élèves qui sont toujours présents, quel que soit le temps qu’il fait dehors, et qui deviennent à tour de rôle mes petit.e.s « assistant.e.s », au point qu’il m’arrive de devoir inventer des tâches à réaliser pour ne pas les décevoir lorsqu’ils viennent au CDI pour « me seconder » !
Un jour, j’aidais une élève à choisir un livre dans le CDI. J’avais missionné trois copines pour ranger les quelques livres qui étaient posés sur mon bureau. L’une d’elle, Inès, vint me voir au bout de quelques minutes, toute fière : « Madame ! J’ai rangé votre bureau ! » m’annonça-t-elle avec un grand sourire ! Je ne pus réprimer une grimace en me disant « oh la la, pourvu que je sache retrouver mes papiers ! » Je lui répondis : « Merci, mais j’espère que je vais savoir retrouver mes affaires ! » Elle rigola et me dit : « Oui oui, ne vous inquiétez pas ! ». Maintenant, je prends l’habitude de ranger très régulièrement mon bureau pour qu’elles n’aient pas l’impression que ce soit le bazar !
Une autre élève, Marion, aime particulièrement remettre les bandes dessinées dans les bacs, une fois que celles-ci sont sorties de quarantaine. Depuis le début de l’année, avec la crise sanitaire actuelle, j’ai organisé sous mon bureau des cartons de quarantaine étiquetés selon le jour où me sont rendus les livres. Ainsi, le jeudi, je remets habituellement les livres du lundi, et ainsi de suite. La petite Marion attend donc patiemment le jeudi matin pour pouvoir ranger les bandes dessinées dans les bacs, en fonction du nom de leur auteur. Cependant, un jour j’ai permis à une autre élève, qui avait une heure de permanence et qui voulait m’aider, de ranger les livres sous mon bureau. Elle les rangea tous sans exception et plus vite que je ne le pensais ! Quelle ne fut pas la déception de Marion à la récréation, lorsqu’elle découvrit que les bandes dessinées avaient déjà été remises dans les bacs ! Mais toute gentille elle me dit : « Ce n’est pas grave, mais la prochaine fois, dites-lui bien qu’elle peut ranger tous les autres livres, mais qu’il faut me laisser les bandes dessinées ». Je culpabilisai. Toutefois, il est difficile de satisfaire tout le monde !
Lors d’une récréation, Sofia vint me retrouver au CDI. Marion était près de moi et me racontait sa matinée. Sofia nous vit et, trop contente, posa son cartable sur le sol en disant : « Marion, Madame, j’ai une surprise pour vous ! ». Marion et moi nous nous regardâmes et fîmes les gros yeux, tout étonnées ! Sofia sortit de son sac deux sucettes et nous les tendit ! Surprise et très contente de ce petit geste je m’exclamai : « Ouah trop bien ! Merci beaucoup ! ».
Je crois bien que j’étais plus contente que la petite Marie, bien que je n’aime pas particulièrement les sucettes !
Depuis le début de l’année, je donne des cours d’éducation aux médias et à l’information à une classe de sixième, le mercredi matin, en demi-groupe. J’alterne en changeant de groupe en fonction des semaines A et B. J’ai pu obtenir cette classe de 6e à l’année pour leur éviter d’avoir une heure de trou annuelle. L’objectif que je me suis fixé est de créer une émission de webradio en remettant sur pied la webradio non utilisée du collège qui se trouve au CDI.
Tandis que je discutais avec un surveillant de mes projets avec cette classe, quel ne fut pas son étonnement lorsqu’il apprit que je donnais des cours ! Je lui expliquais alors mes fonctions et mes missions au sein de l’établissement et les différents projets que je commençais à mettre en place. Il était agréablement surpris de ma polyvalence, mais cela montre que, malheureusement, notre travail au sein de l’établissement n’est pas encore connu de tous nos collègues et le peu de retour que j’ai eu des parents d’élèves me montre, également qu’eux non plus ne savent pas ce que nous enseignons.
Dernièrement, j’ai rendu un petit contrôle de connaissance aux élèves. D’habitude, je les sermonne, car ils n’apprennent pas leurs leçons et ce depuis le début de l’année, mais, cette fois-ci, je préférai encourager leurs efforts. Je remis les devoirs aux élèves et deux d’entre elles, Alice et Louise, étaient plutôt fières, car elles avaient eu tout juste. Adèle, qui n’avait pas validé toutes les compétences, s’étonna d’un air boudeur qu’on puisse avoir tout juste. Je demandai alors aux filles si cela avait été difficile et elles répondirent que non, qu’elles avaient juste appris le cours. J’ajoutais qu’effectivement, il suffisait de passer une heure par semaine à apprendre le cours pour réussir mes devoirs. Je précisai également que Sofia avait, elle aussi, eu quasiment tout juste et, pourtant, elle n’avait révisé qu’une heure avec moi, juste avant le contrôle. Le groupe entier me regarda et Adèle répéta : « Vous êtes en train de dire que Sofia a eu tout juste et qu’elle a juste travaillé une heure avec vous ? ». Je répondis : « Oui, tout à fait. Je lui ai montré une bonne méthode pour apprendre et cela l’aide beaucoup à mémoriser le cours ». « Madame, moi aussi je veux faire une heure avec vous pour avoir tout juste à vos contrôles ! », s’exclama Adèle. D’autres élèves hochèrent la tête et je me fis la réflexion qu’il serait intéressant de mettre cela à exécution : peut-être fallait-il reprendre avec eux leur méthode d’apprentissage ?
Le tutorat que je propose à Sofia s’est installé de lui-même, naturellement. Alors qu’elle s’était assise à côté de moi pour réviser le premier petit contrôle que je leur avais proposé au début de l’année, je l’observais. Elle écrivait soigneusement sur une feuille uniquement les réponses notées dans les trous de sa fiche de cours (fiche à trous que nous remplissons ensemble pendant le cours pour que les élèves aient une trace). J’attendis un moment avant de lui poser des questions sur sa méthode d’apprentissage, mais en voyant qu’elle n’apprenait que ces « réponses » sans qu’il y ait de sens (par exemple, pour la définition d’un média, elle apprenait la définition « un moyen de communication » sans le relier à « un média est »), je finis par l’interrompre. Je lui proposai alors de créer des cartes pour mémoriser son cours, au recto, le terme à définir (un média), au verso, la définition (un moyen de communication, etc.). Prenant l’exercice pour un jeu, Sofia s’y prêta joyeusement (d’autant plus qu’elle a une bonne mémoire, si tant est que ce qu’elle apprend puisse faire sens dans son esprit). Une fois les cartes faites, je l’interrogeai et, toute fière, elle essaya de me donner les bonnes réponses. Cette méthode lui a permis de progresser. Je renouvellerai cette heure de tutorat avec elle l’année prochaine.
Nous avons obtenu la labellisation classe média pour l’an prochain et nous allons créer une classe média en 5e. Plusieurs collègues m’accompagnent dans ce projet : un professeur de technologie, la professeure d’éducation musicale, une enseignante de français et la médiatrice du collège. Les élèves auront une heure en demi-groupe par semaine en atelier et travailleront également sur le projet en classe entière avec leurs enseignants respectifs. Nous souhaitons remettre en marche la web radio du collège et cela nécessitera un petit réaménagement du CDI qui sera fait prochainement. Nous devons encore nous réunir afin de mettre au point un projet commun pour l’année et déterminer le rôle de chacun.
Plusieurs anecdotes me viennent à l’esprit, mais voici celle qui retranscrit le mieux la relation entre les élèves et le livre.
L’année dernière, le quart d’heure lecture a été instauré dans mon collège, mais avec la crise sanitaire, c’est la première année où les collègues essaient véritablement de mettre en place ce projet. Les enseignants sont mitigés quant aux bienfaits du quart d’heure lecture qui est assez difficile à mettre en place et à soutenir tout au long de l’année. Beaucoup d’élèves voient cela comme une contrainte et n’ont pas toujours de livre ou font semblant de le lire lorsqu’ils en ont un. Ils ont également du mal à choisir un livre selon leurs envies, privilégiant le plus petit livre ou le premier livre venu, évitant ainsi une punition potentielle s’ils viennent en classe sans livre.
Pour essayer d’aider les élèves dans leur choix, j’ai organisé pour plusieurs classes une séance au CDI leur permettant de choisir un livre. Pour cela, je leur ai distribué en amont des fiches lecteurs pour connaître leurs goûts et leurs envies. J’ai ensuite recherché dans le CDI les livres correspondant à leurs critères et j’ai organisé des tables de sélections thématiques. En arrivant au CDI, j’expliquai aux élèves les différentes sélections que j’avais faites et j’en profitai pour présenter certains livres. Tout au long de l’heure, les élèves étaient libres de parcourir les différentes tables mais aussi les rayons à la recherche d’un livre qui leur plairait. Ils pouvaient également me demander conseil, ce que firent quelques-uns d’entre eux. Une élève en particulier me demanda Les malheurs de Sophie. Je lui rapportai le livre en question, contente de l’avoir trouvé et alors que je le lui tendais elle me dit : « Je dois lire tout ça ? ». Le livre qu’elle n’avait pas encore en main, certes un peu vieux, faisait moins de deux cents pages. Étonnée, je lui répondis : « Il n’est pas si gros que ça et l’écriture est assez large. Il va se lire plus vite que tu ne penses. » Elle ne le prit pas.
Les élèves ont pour la plupart de grandes difficultés avec la lecture et il m’est arrivé à plusieurs reprises que l’on me fasse cette remarque. Certains d’entre eux lisent quelques pages et me rendent le livre sans l’avoir terminé. Lorsque des élèves que je ne connais pas bien me rendent un livre, je leur demande toujours :
« Est-ce qu’il t’a plu ?
– Oui, me répondent-ils la plupart du temps.
– Tu l’as lu en entier ?
– Presque, mais je ne l’ai pas terminé (le marque page est au début ou à la moitié du livre).
– Pourquoi tu n’es pas allé plus loin si tu as aimé l’histoire ? Veux-tu l’emprunter plus longtemps pour pouvoir le terminer ?
– Non c’est bon, ça m’ennuyait ou “J’ai perdu le fil”. »
L’an prochain, je vais mettre en avant quelques livres audio sur des tablettes pour que les élèves en difficulté puissent entrer dans la lecture différemment. J’aimerais également faire venir une conteuse professionnelle et faire tout un travail autour du conte.
Pour conclure, cette année est passée extrêmement vite ! J’avais plein d’idées de projets et de séances à mettre en place en arrivant au collège en septembre et je m’aperçois que je n’ai pas pu faire la moitié de ce que j’avais programmé. Il me faut également revoir à la baisse mes attentes vis-à-vis des élèves, lorsque je donne des cours d’EMI. J’ai une très bonne équipe dans mon établissement, toujours partante pour les projets. Enfin, je suis en train de réaménager le CDI et de repenser la disposition des livres dans les rayonnages pour les mettre davantage en valeur et attirer un peu plus l’œil des élèves.
C’est de retour à mon emploi dans une société d’export de films où je comblais un ennui passager en me baladant sur Twitter et les internets que j’approfondis mes recherches. J’ai lu avec étonnement et un enthousiasme grandissant un article rédigé par une future collègue dans Rue 89 et ai pris conscience de la potentielle richesse du métier1. Il faut dire que mon passé d’élève ne rendait pas totalement grâce au métier de professeure documentaliste. Dans le collège rural et catholique où je traînais mes faux jeans Levis 501, le CDI, petite salle encombrée et poussiéreuse, était ouvert occasionnellement par la personne qui faisait office de CPE, fan de chantage et d’humiliation. Dans le beau lycée tout neuf où, interne, je traînais mes jeans à patte d’éph’, le magnifique CDI était l’endroit où je découvris que des femmes pouvaient écrire des livres reconnus par la critique et pas vendus uniquement dans les supermarchés (ce n’est pas en cours de français que j’aurais pu le découvrir) et Nancy Huston, Anaïs Nin et Simone de Beauvoir vinrent à moi au hasard des rayons de ce CDI circulaire et lumineux. J’y ratais mes premiers TPE en première et y réussis mes seconds TPE en terminale, en partie grâce aux deux profs-docs plutôt discrètes et passionnées. Cependant, ingrate adolescente allergique à l’autorité, je les évitais le plus possible, en particulier lorsque je divaguais sur internet (déjà) pour aller sur les blogs de mes idoles de l’époque Gustavo Kuerten et Brian Molko alors que c’était INTERDIT ! Je faisais un usage intensif des ressources du lieu mais fuyais comme la peste les deux enseignantes qui représentaient pour moi l’autorité et la bourgeoisie culturelle qui n’étaient pas (encore) mon monde. Quinze ans plus tard, me voyais-je à leur place ? Pas vraiment, mais les échanges avec deux professeures documentalistes rencontrées sur Twitter (dont l’autrice de l’article susmentionné) passionnées par leur métier, qui prirent le temps de répondre à mes questions naïves (« on a les mêmes vacances que les enseignants ? ! ») me firent comprendre que j’étais sur la bonne piste. Travailler dans une bibliothèque, ce lieu qui me faisait systématiquement l’effet d’une faille spatio-temporelle ? Apprendre aux élèves à s’égarer sur internet (oui, je sais, on dit sérendipité en vrai) ? Conseiller des livres sans obliger qui que ce soit à en lire un ? Lutter contre le déterminisme social par la culture, l’information et la littérature ? Faire des commandes de livres plus élevées qu’un demi-smic ? Cela me faisait rêver. Une inconnue subsistait : les élèves. Avais-je envie de travailler avec des enfants/adolescent.es ? Me retrouver avec des tripotées d’élèves potentiellement aussi pénibles que je l’avais été à cet âge m’intimidait.
C’est une formidable conseillère pôle emploi qui me permit de tester mes rêves dans la réalité, et quelle réalité choisit-elle ! Je me retrouvai contractuelle dans un collège rural catholique de 200 élèves, la température du CDI ne dépassa pas les 14 degrés avant mai et je mis deux jours à accéder aux codes pour me connecter à mon poste informatique. Mes nouveaux collègues très attentionnés mais trop humbles me demandèrent avec une réelle compassion, le premier jour, de quoi j’avais été victime dans ma vie passée pour me retrouver avec eux. Mais, dès le début (enfin après avoir caché le crucifix derrière un meuble…), je m’y sentis à ma place, comme jamais je ne l’avais été.
Je me lançais avec passion et maladresse dans des séances d’initiation à la recherche documentaire, accompagnais les obsessions numériques des habitués geeks du lieu, me plongeais dans la littérature jeunesse pour conseiller ces sagas accrocheuses à des élèves addicts, réussis à bulletiner quelques revues (ou plutôt à abîmer la base de données…). J’avais été sélectionnée après un entretien avec le chef d’établissement et je n’étais clairement pas prête pour ce métier. Reine de l’esbroufe en entretien d’embauche, il était quelque peu irresponsable de me lâcher en responsabilité sans formation. La seule compétence info-documentaire que j’avais développée dans ma vie professionnelle antérieure était donc de traîner sur internet. L’apport des collègues assez engagé.es pour partager leurs travaux et questionnements sur divers blogs et listes de diffusion fut décisif dans mon atterrissage en douceur sur le terrain.
CDI du collège Voltaire à Ussel
Je me rendis aussi compte avec grande surprise que j’adorais travailler avec des collégien.es mais bim ! les résultats du concours me rappelèrent que je ne pourrais pas faire ce travail très longtemps sans me former sérieusement. C’est la même formidable conseillère pôle emploi qui me conseilla la formation de master MEEF et qui me permit par je ne sais quelle manœuvre d’être étudiante et de percevoir l’allocation chômage. Je passai ensuite deux années à l’ESPE où le courage des enseignant.es et le soutien des camarades me permirent d’avoir peu d’échecs à vous raconter sur cette période. Je décidai également de mettre mon esprit râleur dans ma poche, d’adhérer sans recul aux contenus et méthodes d’enseignement, pour pouvoir consacrer mon énergie à l’absorption de savoirs et à l’acquisition de techniques, postures et savoir-faire et réussis le concours cette fois-ci. L’année de stage fut idyllique sur le plan professionnel : j’ai réussi pour la première fois de ma vie à rendre un mémoire sans en avoir honte, mes tutrices ont su recadrer mes pratiques avant que les embrouilles ne pointent le bout de leur nez et mes collègues m’ont transmis les gestes professionnels qui, cerise sur le gâteau, correspondaient à mes valeurs ; rien de drôle à raconter du coup ! Je me retrouvais bonne élève, pour la première fois.
Puis j’ai été lâchée dans le grand bain, dans un lycée, avec deux conseils répétés par mes formatrices que je m’empressai de ne pas écouter. « Il est essentiel d’avoir des relations cordiales avec les agents qui s’occupent de l’entretien du CDI » et « La première année, ne te lance pas dans trop de projets, prends le temps d’observer ».
Pour cette première recommandation, l’échec arriva vite. L’homme de service qui s’occupait du CDI voulait me saluer en me serrant la main, puis en me faisant la bise, puis en me faisant la bise et en me touchant l’épaule et le dos. Je refusai vite cette intimité non consentie, inappropriée et glaçante. Et il devint moins cordial. Chaque passage de balai était notamment l’occasion d’un débranchage en règle de mon poste informatique ; il tenta de m’interdire de déplacer les tables et chaises du CDI, interrompit des séances et déglingua durablement notre bureau. #MeToo n’était pas encore passé par là et je ne pensai même pas à en parler à ma hiérarchie. Cela dura une longue année. Le sexisme ordinaire, c’était cela aussi la découverte du métier sur le terrain. Peut-être qu’un jour, ce genre de comportement ne sera plus toléré dans la fonction publique. J’ai combattu le sexisme que j’ai subi à ma manière, en parlant, en répliquant, en expliquant, en posant des limites, mais toute l’année, cet homme a continué à utiliser son pouvoir pour me nuire. Il a ensuite été absent longtemps, et à son retour, j’ai tout raconté à ma hiérarchie. Mais est-ce moi qui suis en échec ou y a-t-il un problème systémique dans notre société ? De fantastiques personnes prennent maintenant soin du lieu, avec professionnalisme ; nos relations sont très cordiales, j’ai appris qu’éviter le conflit n’était pas toujours constructif.
La deuxième recommandation était de prendre le temps d’observer avant de me lancer ; sage conseil avec le recul, que je m’empressai de ne pas suivre. L’équipe était très dynamique, très volontaire et avait très envie de travailler avec les professeures documentalistes. Pas très sûre de moi, au fond, j’essayais de montrer que je pouvais me rendre utile mais je n’avais pas pris conscience de notre emploi du temps chargé : accueillir toutes les demi-classes des 8 secondes, dispenser 12 h de TPE par semaine et mettre en place de nombreux projets pérennes allaient poser problème. J’avais envie de petits bouts de cours magistraux, et ma collègue non. Je ne l’écoutais pas assez et notre attelage fut quelquefois bancal. Trop critique envers l’aménagement du lieu, je bousculais ses habitudes, encouragée par un chef d’établissement qui pensait que nous mettre en compétition nous rendrait plus performantes. Je me lançais même dans la commande du nouveau mobilier, dès la première année.
Je voulais trop bien faire, être la bonne élève que j’étais à l’ESPÉ alors que j’aurais dû prendre le temps d’observer et de m’adapter, profiter du moindre contrôle de l’institution pour ne pas me précipiter. Par exemple, c’est mieux de connaître un.e collègue et sa réputation avant de s’embarquer pour des séances en coanimation ! Quel cauchemar d’ajuster une évaluation à deux ! Ma posture, autoproclamée chamallow (peu de règles, anéantir les espoirs de rébellion facile en étant gentille jusqu’à l’écœurement) hérissait le poil de certains collègues qui n’avaient pas tout à fait la même posture d’autorité, et je les comprends…
Je me suis formée et j’ai formé à Trello, Piktochart, Canva, Genially, Padlet, Pearltrees, Esidoc, Calameo, Parcoursup, Twitter, Adage, Cned, Eléa, Pix, Viaéduc, Netvibes, Whatsapp, Discord, Framapad, Pronote, Peertube, Dotclear. Cela a été utile, quelquefois. Souvent, pas vraiment.
Je voulais transmettre (ou saupoudrer…) le plus de compétences info-documentaires possible, surévaluant nettement mes capacités de travail d’autant plus limitées que je devins au cours de ces premières années parent de deux jeunes enfants avec un intérêt limité pour le sommeil et illimité pour les otites et autres maladies en « -ite ».
Et puis la réforme du lycée vint tailler dans mon enthousiasme un peu ébouriffant, en supprimant mon plus grand plaisir professionnel : les TPE. C’était pour moi le lieu où nous pouvions à la fois transmettre des compétences, apprendre à connaître les élèves sur un temps long, donner le goût de la recherche et faciliter le travail en groupe en travaillant avec des collègues d’une façon souple. Pouvoir suivre des élèves sur l’année est un luxe pour les profs docs et permet également de créer des relations de confiance avec les élèves qui ensuite font plus souvent appel à nous.
Je pris conscience que des habitudes construites de longue date pouvaient s’écrouler à la suite d’un caprice ministériel, et que l’inertie supposée de l’éducation était un mythe. L’attribution de l’EMI aux enseignant.es d’Histoire-Géo-EMC et de la culture numérique aux enseignant.es de SNT finit de me décourager. C’est comme si ce que nous avions appris à faire à l’ESPÉ devenait caduc. Nous mettre en situation permanente de remise en question pour s’assurer que jamais nous ne serions suffisamment sûr.es de nous pour nous sentir compétent.es me fit l’effet d’une douche froide professionnelle. Je commençai à comprendre pourquoi certain.es collègues étaient aussi ronchons !
L’absence de prime informatique pour les professeures documentalistes acheva de me renfrogner, et je pris conscience que la vision de ce que j’estimais être le cœur de notre métier n’était pas nécessairement partagée en haut lieu. Que peut-être, un jour, je serais rattachée à une collectivité territoriale, soumise aux aléas politiques, ou que mon métier disparaîtrait.
Je décidai donc d’être patiente cette fois, d’observer les conséquences de cette réforme au sein du lycée et mon engagement s’exprima à l’extérieur du lycée, effrayée cependant par le « devoir d’exemplarité ». Puis je changeais de tactique pédagogique : finies les tentatives de massification et d’uniformisation ; je suis alors partie à la recherche d’interstices pour continuer à transmettre ce qui m’animait professionnellement. Il ne fallait surtout pas faire de beaux projets bien brillants récupérés ensuite : mon travail serait bricolé, bancal avec des objectifs plus flous et plus de liberté pour les élèves. Il serait surtout ancré dans mon lycée, inspiré par les façons de faire de collègues plus rodés et inspirants et par les besoins exprimés par les élèves.
CDI du collège Voltaire à Ussel
Avec un groupe extrêmement motivé d’élèves que j’avais réussi à accrocher, grâce au projet fantastique d’une collègue dans lequel j’avais beaucoup de mal à trouver ma place, mais qui voulait bien de moi quand même, nous avions créé le journal du lycée « Les grenouilles enragées » sur l’ENT. Les contenus étaient plus sages que le titre le prévoyait, mais la liberté d’expression acquise au fur et à mesure est une de mes fiertés professionnelles. Qui penserait qu’un de mes grands plaisirs serait qu’une élève puisse parler du problème de l’hétéro-pénétrativité comme norme de l’éducation sexuelle et affective au lycée ? Qu’on publierait une caricature de Zola en crop top ? Qu’une élève éviterait de justesse le décrochage scolaire pendant le confinement grâce aux liens tissés dans le groupe ? Et que d’autres élèves prendraient la relève ? Qu’elles feraient un reportage époustouflant sur les coulisses de la philharmonie de Paris un dimanche de concert ? Qu’une élève ferait un compte-rendu hilarant du meeting d’un candidat à l’élection présidentielle ? Qu’un autre raconterait ses expériences de désobéissance civile au sein du mouvement climat ? Que des élèves dyslexiques me dicteraient avec entrain des comptes-rendus de matchs de foot ? Et que leurs travaux seraient abondamment lus et commentés !
Ce que je considère comme mes réussites professionnelles, qui rentrent toutefois dans le cadre de nos missions, ont eu lieu dans de nombreux interstices hors des cadres, dans des « bricolages », comme dirait Michel de Certeau (les SIC ont laissé quelques heureuses traces dans mon cerveau). Donc fini les échecs pour cet article, voici mes petites réussites, celles qui me motivent suffisamment pour continuer à bulletiner et à cataloguer alors que j’aime autant cela qu’une douche froide un dimanche pluvieux. Une de mes formatrices nous répétait que notre métier ne consistait pas à appliquer des recettes, des techniques, à copier des séances toutes faites. Ces réussites sont pour beaucoup liées aux hasards et aux rencontres, et j’ai appris peu à peu à lâcher prise.
En voici quelques exemples :
Un élève, aux prises avec des parents très éduqués et racistes, a trouvé de la force dans la lecture de La Place d’Annie Ernaux.
Une collègue a appelé son fils Aliocha après que ma collègue de russe et moi-même lui avions chaudement conseillé le roman d’Henri Troyat.
Grâce au talent de ma collègue, super forte en conception graphique, j’ai réussi à concevoir une affiche pour le spectacle de théâtre dont l’esthétique est presque réjouissante.
Une élève veut que je continue de lui recommander des livres qui lui « retournent le cerveau ».
Des élèves ont appris que toucher les cheveux de leurs camarades sans leur consentement n’était pas uniquement irrespectueux mais pouvait être aussi raciste.
Des élèves en difficulté ont interviewé en autonomie, sans pression, une chercheuse en biologie, pendant leurs vacances.
J’ai assisté émue à la première recherche sur internet d’une élève de sixième.
On a organisé une friperie gratuite pour le festival de l’écologie qui a déringardisé les habits de seconde main, permis à des élèves de milieux modestes d’offrir de jolis habits et accessoires à leur famille, sensibilisé à l’impact de la fast-fashion sur nos conditions écologiques et sociales d’existence et fait prendre conscience aux élèves qui ont organisé l’évènement qu’on pouvait avoir un impact sur notre société avec peu de moyens et beaucoup d’enthousiasme.
J’ai laissé pousser les herbes sauvages sur mes mollets, et ne les cache pas sous des pantalons, pour montrer qu’on peut être professionnelle sans se laisser dominer par les règles de « beauté » en vigueur.
On a fraudé une grande institution culturelle pour que nos élèves puissent rentrer avec des tickets individuels et non scolaires, car cette belle institution n’avait pas répondu à nos nombreuses demandes de devis. Et quand on nous a demandé si on était un groupe scolaire, on a menti, devant nos élèves.
J’ai averti plusieurs élèves du mépris de classe et du racisme qu’il pouvait y avoir dans certaines filières d’études supérieures, puis je les ai suffisamment convaincus qu’ils trouveraient des alliés qu’ils avaient les ressources pour y arriver. Finalement ils ont tenté l’expérience.
De nombreux élèves, un peu fatigués, un peu tristes, un peu en décalage ont trouvé refuge dans notre CDI chamallow.
Bref je suis devenue une heureuse et épanouie dame du CDI. Jusqu’à quand ?
Le CDI. Au départ, il s’agit ni plus ni moins d’une bibliothèque présente dans l’établissement scolaire, au service du livre et du travail individuel. Un lieu sans prétention où le silence est roi, où l’élève vient souvent seul. Rien d’original : il s’agit du modèle qui existait déjà dans les bibliothèques publiques, dont le CDI ne faisait que reprendre les codes.
Cependant, les usagers sont ici des jeunes, des adolescents : un profil déjà bien particulier qui manifestera des usages et des demandes bien spécifiques. Mais surtout, ces derniers demeurent dans l’établissement et vont être, tôt ou tard, confrontés au lieu documentaire. Ainsi, plusieurs générations d’adolescents ont fréquenté durant leur scolarité (de gré ou de force) le CDI et force est de constater, en discutant avec eux, que le lieu ne laisse pas indifférent.
En tant que professeurs documentaliste nous côtoyons quotidiennement des jeunes avec qui nous discutons et échangeons, qui empruntent des livres et fréquentent le lieu avec plaisir parce qu’ils s’y sentent bien. J’irai même plus loin en disant que, pour certains élèves, le CDI représente un espace de liberté, d’épanouissement et même de sécurité.
Pourtant, peu le savent et rares sont ceux qui réalisent à quel point ce lieu est indispensable. Tous les jours, nous sommes entourés d’élèves et de collègues pas forcément au fait de notre travail et de l’importance du CDI tel que nous le percevons en tant que professionnel de l’information-communication et de la documentation. Il s’agit d’un combat quotidien que nous menons pour redonner au lieu tout le respect qu’il mérite et prouver (!) que oui, nous sommes bien des enseignants et des professionnels investis et que nous méritons salaire et respect. Ainsi tout doit être mis sur la table : notre métier, nos fonctions, le lieu et ce qu’il peut apporter à l’élève et à la communauté enseignante. Voilà plusieurs années que l’école se transforme à grande vitesse (notamment via le numérique, maintenant incontournable dans nos pratiques), pense l’autonomie des établissements, réforme les épreuves nationales, renforce l’importance de la laïcité et des valeurs républicaines, du climat scolaire et la lutte contre le harcèlement.
Nul doute que nous avons notre place dans cet avenir et que le CDI a le potentiel pour devenir la plaque tournante de ces priorités. Alors profitons-en et pensons le futur, en commençant par notre propre rôle.
Prof doc, qui es-tu, où es-tu, y es-tu ?
Dystopie : le CDI du futur est-il indissociable du professeur documentaliste ? Rien n’est moins sûr. La France reste le seul pays où existe cette fonction si particulière. Cette double casquette (enseignant et documentaliste), censée être notre point fort, s’est avec le temps retournée contre nous pour devenir un poids dans notre quotidien.
En qualité de professeur, nous n’avons pas le même traitement que nos collègues : pas de prime (informatique, charge de professeur principal), pas d’heures supplémentaires, pas d’agrégation, pas de corps d’inspection spécifique, pas de discipline à part entière.
Cela pose évidemment le problème de la légitimité professionnelle du professeur documentaliste. Dès le départ, le traitement ne joue pas en notre faveur et, malheureusement, implique ces discours clichés que l’on peut entendre sur notre métier.
Quand bien même notre circulaire précise et inscrit noir sur blanc la mission d’enseignement qui nous incombe, cette dernière est conditionnée par notre volonté de faire cours, parfois sur l’insistance des chefs d’établissements, notamment en collège. En l’état, il est donc normal que notre reconnaissance en tant qu’enseignant soit égratignée par comparaison avec nos collègues qui eux ont un programme et des heures inscrites à la DHG. En qualité de documentaliste, ce n’est pas forcément mieux. À ce jour, il n’existe aucune passerelle entre professeur documentaliste et les métiers de bibliothèque.
Nous remplissons les conditions d’accès au concours interne des bibliothèques de la fonction publique d’État et de la fonction publique territoriale (comme n’importe quel enseignant), mais pour le concours interne de bibliothécaire d’État, il n’est pas sûr que nous soyons éligibles. En effet, le site du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche indique :
« Le concours interne est ouvert, aux fonctionnaires et aux agents publics qui justifient au 1er janvier de l’année du concours de quatre années de service public, dont deux années au moins dans un service technique ou une bibliothèque. »
Professeur documentaliste donc, mais ni vraiment professeur ni vraiment documentaliste. Faut-il garder cette double identité ? Faut-il trancher dans le vif et n’avoir qu’une seule casquette ?
À l’heure actuelle, la reconnaissance en tant qu’enseignant ne peut se faire qu’en interne, par l’investissement personnel mais aussi en fonction de l’environnement dans lequel nous évoluons et, notamment, selon les rapports que nous entretenons avec l’équipe éducative et les chefs d’établissement. C’est d’autant plus vrai lorsque nous arrivons en exercice dans un nouvel établissement où parfois, plusieurs années sont nécessaires pour obtenir du crédit auprès des collègues et de la direction.
C’est un sujet sensible dans la profession et, récemment, l’APDEN a sondé les intéressés sur cette question, entre autres sur les heures d’enseignement obligatoire : nous attendons les résultats. Certains pensent que cette sacro-sainte reconnaissance ne viendra que si nous disposons d’un volume horaire inscrit dans la DHG pour enseigner. Mais quid du programme, de la matière, de la formation initiale et continue ? Beaucoup de questions vont se poser ; malgré tout, à partir du moment où nous avons passé le CAPES, il est logique qu’en tant que professeur certifié par un diplôme d’État, nous ayons un devoir d’enseigner régulièrement une matière qui nous est propre et de contribuer activement à l’acquisition de compétences que nous seuls serions à même d’évaluer. Pas de panique : le futur de notre profession est encore lointain ; nous sommes pour le moment les seuls à nous y intéresser !
Sauver le prof doc ou le CDI ?
Revenons au CDI : comment assurer la gestion d’un lieu si nous devions, par exemple, enseigner 18 h chaque semaine ? La réponse est simple : on ne peut pas. À moins d’embaucher davantage de professeur documentaliste et d’aide documentaliste, afin qu’un relais s’instaure et que le CDI puisse rester ouvert avec une grande amplitude horaire. Cependant, difficile de croire que le recrutement de personnel va s’intensifier, sauf si la charge de gestion est attribuée à des vacataires ou à des contractuels sans expérience ni goût particulier de la fonction. Est-ce une bonne chose ? Oui pour l’amplitude d’ouverture, mais quid de l’importance et de la présence d’un professionnel diplômé et dévoué aux élèves ?
Cela dit, une chose est sûre : si les heures d’enseignement peuvent ne pas être dispensées, il est obligatoire d’avoir une personne en charge de la gestion du lieu. La fonction de « documentaliste » continuera donc toujours d’exister tant que le lieu CDI demeurera.
Et ce lieu ne disparaîtra pas : en considérant notre pays et son rapport très intime avec la culture, notamment avec le monde du livre, il semble très improbable que l’établissement du futur ne dispose pas d’un centre de documentation à part entière. Au vu des changements qui attendent l’éducation nationale dans les années à venir, ce dernier va (doit) forcément évoluer, tout en gardant cette fonction de lieu de travail et de lecture avec un accès aux livres qui demeure une volonté forte de l’école républicaine à la française.
S’en tenir à ces seules fonctions semble être tout de même très réducteur. Si l’on prend en compte l’évolution et les changements qui ont eu lieu ces dernières décennies dans le monde des bibliothèques, nul doute que nous allons assister (et cela a déjà commencé dans quelques établissements scolaires) à de grands bouleversements en termes d’usages et de services proposés dans les centres dits de culture et de documentation.
Service, le mot est barbare et heurte l’oreille du professeur documentaliste. Pourtant, à l’image des bibliothèques qui sont progressivement devenues médiathèque, ludothèque, voire cybercafé, il semble que le CDI (pourtant un lieu scolaire) tende vers ce genre d’hybridation. Il y a quelques années, en 2012, on nous parlait du 3C (concept équivalent à celui des Learning center) comme le futur du CDI : un lieu ayant pour but de favoriser l’autonomie des élèves, grâce à la présence d’espaces identifiés et modulables où les ressources seraient accessibles en continu, grâce à une amplitude horaire maximale.
Aujourd’hui, le concept a perdu de l’élan et finalement, on ne parle plus du tout ni des 3C… ni même du CDI. Le mot est absent des textes de réformes, des vademecum et des projets académiques et nationaux. De fait, chaque établissement, selon ses moyens, prend le soin de faire évoluer le CDI comme il le souhaite. Ainsi, pouvons-nous visiter des CDI avec des espaces dédiés à des expositions ou à des travaux d’élèves, d’autres avec des salles infos et de réunions, d’autres avec des espaces ludo-créatifs ; d’autres avec des FAB-LAB (lieu où sont mis à disposition toutes sortes d’outils, notamment des machines pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d’objets), ou d’autres avec uniquement des livres et des ordinateurs. Il est important de préciser que derrière chaque CDI, il y a un professeur documentaliste qui est force de proposition dans son établissement : sa détermination peut faire aboutir à de grands résultats pourvu qu’on accepte de l’écouter.
Soyons optimistes : nous avons cette chance incroyable d’avoir pour responsabilité un lieu particulièrement intéressant et relativement modulable. Nous pouvons nous inspirer des médiathèques, des bibliothèques universitaires ou des centres de documentation à l’étranger pour trouver des idées et les mettre en application.
Dépasser les murs de l’ÉPLE
Le CDI est un lieu indissociable de l’établissement scolaire. Pour le faire évoluer il faut donc mener une veille active pour connaitre et appréhender les avancées et tendances dans le milieu de l’éducation : à nous d’anticiper notre place et le rôle du CDI dans les réformes à venir. Mais il serait tout de même dommage de ne pas regarder ce qu’il se passe dans le monde des bibliothèques. Le CDI du futur, si on observe attentivement ce qu’il se passe dans les médiathèques, sera probablement hybride et élargi dans ses fonctions. Le concept d’hybridation n’est pas nouveau : pour avoir un aperçu de ce que cela veut vraiment dire, prenons l’exemple de la bibliothèque centrale d’Helsinki Oodi, inaugurée en 2018, élue bibliothèque de l’année en 2019 par La Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques. À son sujet, la maire-adjointe de la ville a déclaré : « Ayant contribué à l’alphabétisation de notre nation […] puis à l’épanouissement d’un système éducatif performant, la bibliothèque s’adapte et devient davantage un lieu de socialisation et de création1. »
De nos jours, la quasi-totalité des bibliothèques et médiathèques a adopté un modèle hybride : à la fois un lieu documentaire qui permet un usage solitaire pour son propre travail ou son loisir et un espace social dont le but est de faire rencontrer, réfléchir et interagir à des fins de débat et de création ou tout simplement de socialisation. Entre autres, nous trouvons dans cette fameuse bibliothèque d’Helsinki : une salle de cinéma, des salles pour des réunions associatives, familiales et politiques ; un espace de jeux pour enfants, des ordinateurs et tablettes à disposition, un petit café-restaurant, des salles de repos, un lieu pour faire des impressions 3D, des pièces avec des consoles de jeux vidéo… Et aussi quelques livres.
L’exemple est extrême mais il existe, tout en étant loué pour sa modernité, son architecture et son ambition.
Le troisième étage de la bibliothèque d’Oodi. Si vous voulez être au calme, passez votre chemin !
Cependant cela peut prêter à sourire d’imaginer tout ça en établissement scolaire, pour plusieurs raisons.
D’une part, car le CDI est implanté dans un lieu dédié à l’éducation où l’usager est un élève. Quel est l’intérêt de proposer aux élèves des jeux de sociétés et consoles de jeux vidéo au CDI ? Le débat est ouvert. De plus, proposer plus de services veut dire plus de personnel et de plus grands espaces. Les Learning center, 3C ou médiathèques, résolument modernes, ne peuvent exister sans ce travail essentiel d’architecture des lieux, de création d’espaces prédéfinis et modulables, ouverts et aérés afin d’être confortables et accueillants.
Dans le cas des établissements scolaires, les choses sont un peu différentes : comment faire dans des établissements (et ils sont en écrasante majorité) qui ne peuvent ni s’agrandir, ni faire construire, ni même rénover ? Qui va financer tout cela ? Certainement pas l’établissement scolaire où d’année en d’année on constate une baisse des crédits alloués au fonctionnement du CDI. Il n’y a plus que les départements ou les régions pour nous venir en aide, mais il n’est pas rare que dans les cas de demandes de matériels, fournitures et autres mobiliers nos demandes restent lettre morte. Quant à l’extension des bâtiments, cela est possible uniquement pour certains établissements scolaires particulièrement chanceux et bien situés.
Cette question d’hybridation remet donc en cause l’espace même au CDI, qui est modulable, certes, mais dans une certaine mesure seulement. C’était également le point faible du concept de 3C : son existence et son fonctionnement impliquait des espaces à la hauteur des ambitions, mais la réalité est souvent insurmontable.
À titre personnel, le lieu dans lequel j’exerce fait 100 m², dans un lycée urbain où le manque d’espace est une réelle problématique : pas de salles de réunions, pas de foyer ni d’auditorium. Si l’on souhaite proposer une exposition, un coin jeux de société ou de repos il n’y a que le CDI, mais je dois alors obligatoirement le fermer ou en limiter l’accès pour permettre un fonctionnement… relatif. À moins que j’enlève ces livres qui prennent beaucoup de place ? C’est peut-être cela, finalement, le CDI du futur.
Cynique. Mais pas tant que cela au fond : bien sûr que nous sommes d’accord avec l’idée d’agrandir l’espace, de proposer plus de services pour rendre le lieu moderne, agréable et ultra fonctionnel… mais que l’on nous donne les moyens de le faire. Dans la même veine, pas besoin d’être très perspicace pour deviner cette volonté de passer au tout numérique : via le prêt de tablettes, la généralisation des manuels numériques et des bornes wifi, la mise en place de catalogue de e-books pour la lecture en ligne. Toutes ces nouveautés se généralisent dans les établissements scolaires et ça ne risque pas de s’arrêter. L’aspect lecture et prêt d’ouvrages, fonction historique pour tout centre de documentation qui se respecte, perd de sa vigueur et n’est plus considéré comme un atout pour l’élève et l’établissement. Le cynisme, c’est de finalement présenter le grand projet actuel à savoir « La lecture grande cause nationale » et ne pas évoquer une seule fois le CDI et le professeur documentaliste2.
Cet oubli est symptomatique de notre manque de visibilité et de l’indifférence actuelle à l’égard du CDI. Une seule solution : convaincre. Convaincre de notre efficacité en tant que professionnels de l’information et de la documentation, en tant qu’enseignant ; convaincre de l’importance du lieu pour les élèves. En l’absence de directives claires de la part de nos hiérarchies et des gouvernements, nous sommes contraints de repenser le lieu par nous-mêmes, ce qui n’est pas une si mauvaise chose en soi, car nous serons force de proposition.
Hybridation ou cacophonie ?
Nous disions donc, un CDI hybride. Nous pourrions d’ailleurs aller plus loin : aujourd’hui, le lieu bibliothèque a pour ambition d’être ouvert sur le monde, accessible à tous, utile pour tous. L’objectif est de satisfaire les usagers, mais aussi, il faut le dire, d’attirer ceux qui ne sont jamais venus. Et pour cela, il faut séduire en proposant notamment un panel de services où n’importe quel citoyen (ou futur citoyen) peut y trouver son intérêt. Il s’agissait jadis de briser cette image d’austérité et d’élitisme qui collait à la peau du mot « bibliothèque ». Le pari est réussi et maintenant, familles et particuliers trouvent dans la médiathèque bien plus qu’un simple accès aux livres.
Comme je l’ai évoqué au tout début, le grand chantier selon moi pour le CDI est l’amélioration de son image. Nous exerçons dans ce lieu 30 heures par semaine, mais il est parfois difficile, malgré nos efforts, de faire venir et d’attirer certains élèves (et ils sont nombreux à ne jamais venir). Pourtant, je pense que tous les professeurs documentaliste font des efforts pour rendre le lieu agréable, fonctionnel et propice au travail, au calme, à la curiosité intellectuelle. Ces élèves ont-ils une image du CDI comme lieu d’austérité et de « travail forcé » ? Est-ce simplement une méconnaissance du lieu et de son rôle ? Pendant la période de révision du bac cette année, une élève de terminale a toqué à la porte de mon CDI puis m’a demandé avec mille précautions, la tête seulement dépassant de la porte, si elle avait le droit de venir travailler. Je ne l’avais jamais vue en trois ans, pourtant il n’y a que 400 élèves dans mon établissement. Bien évidemment, les élèves ont le droit de ne pas venir au CDI. Mais cela veut dire qu’ils n’y trouvent absolument pas leur intérêt. Voilà qui mérite que l’on mène des enquêtes dans nos établissements pour justement comprendre le pourquoi du comment !
Nous pourrions, pour attirer davantage les élèves au CDI, proposer davantage d’espaces ludiques et sociabilisants. Mais là encore, il y a de quoi débattre : contrairement à une médiathèque, le CDI est implanté dans un établissement scolaire, à destination d’élèves qui sont tout de même là pour travailler. Peut-on travailler ou réviser convenablement dans un lieu où d’autres élèves jouent, discutent, fabriquent, se prélassent ou encore écoutent de la musique ?
Le CDI du futur devra prendre en compte deux paramètres fondamentaux qui peuvent paraître opposés l’un à l’autre : il devra être dédié au travail, à la révision, à l’acquisition de compétences essentielles au parcours scolaire de l’élève, mais aussi à l’amélioration du climat scolaire et à la mise à disposition d’espaces ludiques, créatifs et sociaux. Ce deuxième point reprend l’idée de la bibliothèque troisième lieu : ce concept, apparu dans les années 80, suppose que dans la société actuelle il n’y a pas assez de lieux où se rencontrer en dehors de la maison et du travail. Appliqué aux bibliothèques ou au CDI, le concept sous-entend que le lieu doit favoriser les rencontres informelles, la convivialité, pour se situer au plus près des demandes des usagers, ceci afin de contribuer à créer du lien social et de favoriser le vivre-ensemble. Le concept est attirant, mais encore faut-il (nous l’avons déjà dit) avoir la possibilité logistique de le faire : la contrainte des espaces demeure encore et toujours prégnante ; chaque innovation dans le monde des bibliothèques semble s’orienter vers le crédo « de plus grands espaces pour de multiples usages ». Et quand c’est impossible, que doit-on faire ? Supprimer ou diminuer les espaces existants3 ?
Dans les petits CDI, il va être compliqué d’installer des fablabs, des espaces de créations et de discussions. CDI du lycée professionnel Claret (Toulon)
Mais ce n’est pas fini : il est devenu impossible, pour n’importe quel professionnel de l’éducation, de ne pas prendre en compte le contexte grandissant de la transition technologique et du tout numérique. Qu’on le veuille ou non, nous assistons à une multiplication des ressources, des outils et des pratiques exclusivement utilisables via la connexion à Internet ou à un outil numérique. La modernisation de l’école suit son cours et il est impensable qu’un élève sorte du système scolaire sans de solides bases informatiques, compétence indispensable pour tout étudiant, et même tout salarié. Mais n’est-ce justement pas cette frénésie du tout numérique qui nuit aux relations humaines, au vivre ensemble, au partage, à l’ouverture culturelle et humaniste ? Là encore il y de quoi débattre, mais la frénésie des outils numériques n’a de cesse de s’intensifier et concerne maintenant tous les âges. Il n’est pas rare de trouver, comme dans le réseau des médiathèques de Paris, des tablettes numériques à disposition des enfants pour « valoriser l’édition de littérature numérique, favoriser le divertissement et le loisir, développer des ateliers créatifs en lien avec les autres ressources de la médiathèque4 ».
Dans le même temps, on perçoit également la volonté de faire du lieu un exemple en matière d’écologie et de développement durable. Pour rendre ces deux axes compatibles, il va falloir être très inventif. Tout est sur la table et le CDI se transforme et s’adapte en fonction des sensibilités du professeur documentaliste qui généralement a toute latitude pour organiser et penser son lieu de travail. L’un de nos plus grands combats, peu importe notre ancienneté ou le type d’établissement où l’on exerce, est de parvenir à sensibiliser les chefs d’établissements et collègues sur le rôle même du CDI dont le potentiel en termes d’apprentissage et de climat scolaire est parfois sous-estimé. C’est un travail d’équipe, à inscrire dans le projet d’établissement.
Mettre le CDI à la place qu’il mérite
Une grande mission sacrée attend donc le CDI : il va s’ouvrir à tous et imposer ses fonctions et son utilité auprès des élèves et personnels. Il deviendra le lieu référence qui servira de valeur étalon au prestige de l’établissement, comme c’est le cas actuellement pour les médiathèques et leur ville. Et celui ou celle qui aura la responsabilité du lieu devra connaître les élèves ; faire preuve d’empathie et de discernement pour les accompagner dans leur parcours éducatif, culturel et citoyen ; être constamment à l’écoute des nouveautés en terme de pédagogie et d’éducation aux médias ; être force de proposition pour l’amélioration du climat scolaire ; mettre à disposition des ressources et les communiquer à tous ; permettre à l’élève de s’exprimer et encourager, valoriser son implication durant tout son parcours scolaire.
Par un concours de circonstances absolument incroyable, ce professionnel existe déjà. Bien qu’on ne le voie pas toujours.
Le CDI du futur, tant qu’il aura en son sein des professionnels dévoués et formés, continuera toujours de proposer aux élèves un accès au savoir, à la connaissance mais aussi au bien-être et à la sérénité. Le métier évoluera probablement et il est nécessaire que le professeur documentaliste obtienne la reconnaissance qu’il mérite en tant qu’enseignant, car telle est sa mission, avec un volume horaire inscrit dans le marbre et en ayant les mêmes droits que les autres professeurs. Depuis plusieurs années, nous constatons avec effroi la multiplication des fake news, de la désinformation, des problématiques de cyberharcèlement et une confusion générale concernant la liberté d’expression et de la laïcité. Or, nous sommes les plus indiqués pour enseigner l’EMI et les valeurs citoyennes aux élèves. Ne plus former, intervenir dans la classe d’un collègue de manière sporadique, mais enseigner sur la durée. Quant au CDI ? Pourquoi ne pas imaginer un volume horaire de 9 h par semaine, afin que nous ayons la possibilité de gérer le CDI malgré nos heures d’enseignement ? (Comme nous le faisons depuis toujours.) Tout cela est possible. Une fois cette reconnaissance acquise, nous serons enfin considérés non pas comme un « soutien important », une « aide précieuse », un « partenaire indispensable » (des termes condescendants auxquels nous nous sommes malheureusement habitués avec le temps), mais comme une force de décision incontournable et audible auprès de nos hiérarchies, qui nous feront confiance et nous soutiendront lorsque nous déposerons sur leur bureau le projet du nouveau CDI.
Chers élèves, collègues, chefs d’établissements et professionnels de l’éducation : nous sommes prêts à vous proposer le CDI du futur. Faites-nous confiance, écoutez-nous, soutenez-nous, vous ne le regretterez pas !