La gastronomie : l’eau à la bouche

« Cuisiner et manger, c’est se cultiver, partager des savoirs et des mondes, transmettre des histoires de vie », écrit Jacky Durand, journaliste à Libération dans un article récent1, en avant-propos de son interview d’Éric Roux, chroniqueur culinaire, membre de l’association l’Étonnant Festin.
Et ce dernier de commencer l’entretien par ces phrases : « Cette histoire de cuisine propos culturel, nous ne faisons que l’emprunter au sociologue Marcel Mauss, son inventeur. Si cuisiner est un fait social total c’est qu’il ne peut se limiter à l’assiette et aux recettes. Il est plus important pour nous de voir dans la cuisine l’ensemble des valeurs et des usages organisés en prescriptions, interdits, esthétiques, désirs de goûts, symboliques partagés par le plus grand nombre, une culture populaire ».
Il est vrai que cuisiner et se nourrir est un univers à part entière en France. On pourrait presque dire que 67 millions de Français équivalent à 67 millions de gastronomes quand on voit la pléthorique production de livres, d’émissions de radio et de télévision, de blogs, de sites web, d’ateliers, de conférences, de festivals et de chroniques, sur le thème de la cuisine, de l’alimentation et de la gastronomie. Ajoutons à cela que, selon le magazine Forbes2, les Français passent en moyenne deux heures par jour à table, ce qui fait de nous les champions du monde en la matière. Notre territoire compte plus de 175 000 restaurants et nous allons en moyenne deux fois par mois au restaurant.
Sans compter que l’UNESCO a inscrit notre gastronomie au patrimoine immatériel mondial en 20103. De besoin vital, l’alimentation est devenue un véritable monde, merveilleux et complexe, qui embrasse de multiples aspects : culturels, historiques, sociétaux ou encore économiques ; l’occasion de réfléchir à notre hygiène alimentaire et aux stéréotypes de genre présents dans le monde gastronomique, mais également de comparer notre cuisine, nos coutumes culinaires à celles du monde entier. Les ressources et les pistes pédagogiques sont nombreuses, de quoi mettre l’eau à la bouche à nos élèves et à nos collègues.

 

MUSÉES – EXPOSITIONS

Le Musée Escoffier de l’Art Culinaire à Villeneuve-Loubet Village
Récemment labellisé « Maisons des Illustres ». Dix salles : souvenirs, ustensiles d’époque, tables dressées, potager provençal, collection de plus de 3000 menus anciens et modernes, etc.
https://www.musee-escoffier.com/

Musée du chocolat à Paris
Le musée raconte l’origine et l’évolution du chocolat à travers une collection d’un millier d’objets. Il détaille également les méthodes de fabrication du chocolat, les ingrédients utilisés et l’évolution de sa fabrication au fil des siècles.
https://www.museeduchocolat.fr/

Cité internationale de la gastronomie et du vin à Dijon
Visite libre des quatre expositions «À la table des Français». 1750 m² d’exposition pour décrire les mille facettes du « bien manger » et du « bien boire » à la française. À ces expositions permanentes s’ajoute l’exposition temporaire « C’est pas du gâteau, les secrets de la pâtisserie française ».
https://www.citedelagastronomie-dijon.fr/

Musée national de céramique à Sèvres
Une collection de référence de près de 50 000 œuvres.
Exposition en ligne « À Table ! Le repas, tout un art » qui retrace la manière dont l’opulence et l’élégance des dîners de l’Ancien Régime se sont diffusées et transmises jusqu’à nos jours, au point de constituer un idéal de bonheur et un rite social.
https://www.sevresciteceramique.fr/musee/expositions-en-ligne/exposition-en-ligne-a-table-le-repas-tout-un-art.html?_preview=1

Gastronomie médiévale, BnF, exposition en ligne
Gastronomie médiévale, alimentation, cuisine, repas en images ; arrêt sur nourriture et médecine, festins et banquets, manger en chrétien, etc. Quelques recettes.
http://expositions.bnf.fr/gastro/index.htm
Exposition « Louis De Funès En Fait Tout Un Plat ! » au musée Louis de Funès à Saint-Raphaël
Du 25 juin 2022 au 31 mai 2023. Organisée autour de la reconstitution de l’usine Tricatel de L’Aile ou la cuisse et de la célèbre table de M. Septime dans Le Grand Restaurant, cette exposition est un hommage aux films de Louis de Funès qui ont pour recette l’art culinaire.
https://museedefunes.fr/la-gastronomie-louis-de-funes-en-fait-tout-un-plat/

Exposition en ligne « 25 enfants du monde entier posent à côté de ce qu’ils mangent en une semaine »
Gregg Segal a photographié ces enfants pour illustrer et documenter la disparité des habitudes alimentaires à travers le monde.
https://greggsegal.com/P-Projects/Daily-Bread/1/caption

INSTITUTIONS, ASSOCIATIONS

Institut Européen d’Histoire et des Cultures de l’Alimentation, Tours
Créé en 2001 à l’initiative du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, il s’agit d’une agence de développement scientifique pour encourager la recherche et la formation universitaires relatives aux « cultures et patrimoines alimentaires ».
https://iehca.eu/fr/

BnF – GALLICA, Paris
De nombreuses ressources sur les différents sites ou sites partenaires de la BnF, des blogs également, quelques exemples :

Livres de recettes, menus manuscrits, cartes gastronomiques, manuels de métiers de bouche, affiches publicitaires…
https://www.bnf.fr/fr/gastronomie#bnf-billets-de-blog

Degrange, Isabelle, Carte : Tour de France 2022 de Gallica – Étape 6 : la tournée des spécialités culinaires in le blog Gallica, 7 juillet 2022. Cette carte gastronomique de la France a été établie par Alain Bourguignon, chef de cuisine.
https://gallica.bnf.fr/blog/07072022/tour-de-france-2022-de-gallica-etape-6-la-tournee-des-specialites-culinaires?mode=desktop

Le chocolat : usages, culture, biologie, etc. Le XIXe siècle, âge d’or de la gastronomie française.
https://www.bnf.fr/fr/gastronomie#bnf-bibliographies

Fresque : Essentiels de la gastronomie. Cette frise chronologique présente les textes essentiels de l’art culinaire, de l’Antiquité au début du XXe siècle.
https://gallica.bnf.fr/html/und/arts-loisirs-sports/essentiels-de-la-gastronomie?mode=desktop

Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire : il propose des ressources, notamment un vadémécum « Éducation à l’alimentation et au goût » et de nombreuses vidéos.
https://agriculture.gouv.fr/education-lalimentation-les-outils-educatifs-sur-le-programme

Cité internationale de la Gastronomie et du Vin de Dijon, en liaison étroite avec l’Institut de la vigne et la chaire Unesco « culture et traditions du vin », elle constitue un pôle moteur en matière de valorisation et de promotion de la culture de la vigne et du vin.
https://repasgastronomiquedesfrancais.org/dijon/

Patrimoine-Lyon, Association Historical-Cities
Histoire de la gastronomie de la région, les mères lyonnaises, les bouchons et spécialités, les vignobles autour de Lyon. Répertorie d’autres sites sur la gastronomie lyonnaise (les toques blanches lyonnaises, portraits de chefs, les bouchons lyonnais, par exemple)
https://www.patrimoine-lyon.org/traditions-lyonnaises/la-gastronomie-lyonnaise

Carte gastronomique de la France, Alain Bourguignon : Carte gastronomique de la France. Texte d’Alain Bourguignon. Dessinée par l’ingénieur géographe Thiebaut. Éditée par E. Girard, 17 rue de Buci, Paris.1929. Source: Bibliothèque nationale de France. Domaine public

MANIFESTATIONS

Semaine du Goût, mi-octobre
Depuis 1990, la Semaine du Goût est l’événement référent de la transmission et de l’éducation au goût pour le plus grand nombre.
https://www.legout.com/

Journées Nationales de l’Agriculture
18, 19 et 20 juin 2023 sur l’ensemble du territoire. Chaque citoyen pourra découvrir son patrimoine agricole et alimentaire en visitant des sites de production, d’enseignement agricole, d’expérimentation, de recherche et des sites de transformation. Livret pédagogique à télécharger.
https://journeesagriculture.fr/

Rencontres François Rabelais à Tours, 17 et 18 novembre 2023 : « la cuisine a-t-elle un genre ? »
Organisées par l’Institut Européen d’Histoire et des Cultures de l’Alimentation, les Rencontres François Rabelais constituent l’un des temps forts du Forum Alimentation & Culture. Elles s’appuient sur les Sciences de l’Homme et de la Société (Histoire, Géographie, Sociologie, etc.) et portent, à l’occasion d’ateliers et de tables rondes, un regard sur la cuisine d’aujourd’hui et de demain.
https://iehca.eu/fr/manifestations-culturelles/les-rencontres-francois-rabelais

Festival Arrière-Cuisines, en juillet, Tours
Pensé comme une manifestation-phare de la Cité internationale de la Gastronomie, orienté tout public et qui allie les thèmes de l’alimentation, du cinéma et de l’image.
https://repasgastronomiquedesfrancais.org/2022/06/13/festival-arriere-cuisines/

Prix Littéraire de la Gastronomie Antonin Carême, en décembre
Il récompense le meilleur ouvrage unissant littérature et gastronomie européenne.
https://www.prixantonincareme.com/

Salon mondial du chocolat et du cacao, du 28 octobre au 1er novembre 2022, Porte de Versailles à Paris.
https://www.salon-du-chocolat.com/

Salon du chocolat, 30 octobre 2013, Georges Biard, Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

DANS LES PROGRAMMES

Code de l’éducation
L. 312-17-3 du Code de l’éducation : « une information et une éducation à l’alimentation et à la lutte contre le gaspillage alimentaire (…) sont dispensées dans les établissements d’enseignement scolaire, dans le cadre des enseignements ou du projet éducatif territorial (…) ».

L’éducation à l’alimentation et au goût en tant qu’éducation transversale.
Dans le cadre de l’axe « éducation à l’alimentation » du Programme national pour l’alimentation (PNA), dispositif « les classes du goût » depuis 2012, parcours en huit séances sur les thèmes suivants : les cinq sens, le goût, l’olfaction, la vue, le toucher et l’ouïe, la multi sensorialité, le patrimoine alimentaire, l’étiquetage et les signes officiels d’identification de la qualité et de l’origine : 
https://agriculture.gouv.fr/decouvrir-lalimentation-par-les-cinq-sens-les-classes-du-gout

CESC (comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté) : il permet d’organiser des actions dans le cadre de la politique éducative et de prévention de l’établissement. Circulaire n° 2016-114 du 10 août 2016.

CVC et CVL : ces conseils sont obligatoirement consultés sur les questions de restauration, d’hygiène, de santé et de sécurité.

COLLÈGE

Sciences et Technologie, cycle 3
BO spécial n° 11 du 26 novembre 2015. Nouvelles dispositions publiées
au BO n° 30 du 26 juillet 2018.
Le vivant, sa diversité et les fonctions qui le caractérisent : expliquer les besoins variables en aliments de l’être humain ; l’origine et les techniques mises en œuvre pour transformer et conserver les aliments. Item « Consommer en France – Satisfaire les besoins alimentaires ».

SVT, cycle 4
BOEN n° 31 du 30 juillet 2020
Thématique : le corps humain et la santé : l’importance de l’alimentation pour l’organisme (besoins nutritionnels). Groupes d’aliments, besoins alimentaires, besoins nutritionnels et diversité des régimes alimentaires.

EPS, cycle 3 
BO spécial n° 11 du 26 novembre 2015
Par la pratique physique, les élèves s’approprient des principes de santé, d’hygiène de vie, de préparation à l’effort (principes physiologiques).

Langues vivantes, cycle 3 et 4
BO spécial n° 11 du 26 novembre 2015
Découvrir les aspects culturels d’une langue vivante étrangère et régionale.

LYCÉE GENERAL ET TECHNOLOGIQUE

Langues vivantes, Première et terminale
Bulletin officiel spécial n° 1 du 22 janvier 2019
Formation culturelle et interculturelle, Espace privé et espace public, Mots-clés : égalité homme-femme, lieux de convivialité.
https://cache.media.education.gouv.fr/file/SP1-MEN-22-1-2019/70/3/spe585_annexe-2CORR_1063703.pdf

SVT, Seconde
Bulletin officiel spécial n° 1 du 22 janvier 2019
Corps humain et santé, Microbiote humain et santé, habitudes alimentaires.
https://cache.media.education.gouv.fr/file/SP1-MEN-22-1-2019/00/8/spe647_annexe_1063008.pdf

LYCÉE PROFESSIONNEL

Arts appliqués et cultures artistiques, CAP
BO spécial n° 5 du 11 avril 2019.
Contribution au chef-d’œuvre : Design d’objet (design culinaire, etc.).

Langues vivantes. CAP et Bac pro
BO spécial n° 5 du 11 avril 2019
Thèmes d’étude pour l’acquisition des repères culturels et savoirs lexicaux associés : spécificités alimentaires et spécialités culinaires nationales et régionales ; tourisme, grandes régions touristiques, formes d’hébergement et de restauration.

Prévention-santé-environnement (PSE) et EPS, CAP et Bac pro
CAP : BO spécial n° 5 du 11 avril 2019
Première et terminale professionnelle : BO spécial n° 1 du 6 février 2020.
L’enseignement de la PSE contribue aux actions prioritaires d’éducation et de prévention dans les domaines de la santé, du travail et de l’environnement. La formation en PSE et le parcours des élèves en EPS sont liés par des objectifs communs : la santé et l’équilibre de vie, les principes de base d’une alimentation équilibrée, etc.
En PSE : Thématique A : L’individu responsable de son capital santé ; Les pratiques alimentaires ; La sécurité alimentaire.

Jean Paris – Aphorisme de Brillat-Savarin Avant 1900 – Domaine public via Wikimedia Commons

PISTES PÉDAGOGIQUES

Au collège, en lien avec l’histoire-géographie, les arts plastiques, les langues et cultures de l’Antiquité. Travail sur l’art culinaire dans l’Antiquité ou au Moyen-Âge.
Activités autour de l’exposition en ligne de la BnF, par exemple, ou recherche d’images libres de droit pour un diaporama, une exposition, etc.

En lien avec la géographie, les langues vivantes.
Cartographie des ressources alimentaires (production, transport, conservation)
Cartographie des cultures et alimentations

En lien avec l’éducation physique et sportive, les mathématiques, la chimie, la technologie.
Sport et sciences, alimentation et entraînement. Recherches documentaires autour de la diététique des grands sportifs.
Recherches documentaires sur l’importance des repas dans la journée.

En lien avec l’EMC ou l’orientation, dans le cadre de l’heure de vie de classe avec les professeurs principaux : travail autour des métiers de la gastronomie. Rencontres, interviews, création d’un blog ou d’un journal en ligne. Portraits de chefs et cheffes : création d’un Padlet, d’affiches pour une exposition.

En lien avec les langues vivantes, les langues vivantes régionales, la géographie.
Comparaison ou spécificité des cultures culinaires d’un pays à l’autre ou d’une région à l’autre (sous forme d’affiches). Recherche autour des fêtes (Les recettes de Carnaval, Le repas de Noël dans différents pays, etc.), les plats dits typiques.

En EMI 
L’alimentation, discours et représentations : image du corps et représentations culturelles dans les médias ou les publicités (vision idéalisée du corps), question du genre, iconisation des chefs et cheffes, lutte contre les stéréotypes, etc.
Étude des médias dits « traditionnels » (magazines, télévision, etc.) et des médias en ligne.
Étude des publicités-stéréotypes.
EMI/EMC : Le genre dans les formations professionnelles autour des métiers de la cuisine, de l’accueil et du service.
EMI/EMC : Sexisme et violence en cuisine.
La communication publicitaire et le goût : Décoder les images.

Journée internationale de la francophonie 2023
Faire une exposition avec les élèves sur les spécialités culinaires francophones en utilisant une carte.
Effectuer une recherche pour trouver les points communs entre ces plats (type d’ingrédients, de composition, de cuisson, de valeur nutritive, notamment).
Mener une réflexion argumentée sur les aspects historiques (plat ancien ou moderne, anecdotes), sociologiques (plat riche ou pauvre, lié à une certaine couche sociale) et symboliques (plat lié à une fête, à un évènement spécial, etc.) en relation avec ces plats. Exemples de travaux : organiser un débat autour de la citation de Brillat-Savarin « Dis-moi ce que tu manges et je te dirai ce que tu es » ou encore : effectuer une recherche documentaire sur le sens et l’origine des expressions imagées utilisant un aliment dans la langue française.

Semaine du Goût
Faire venir les artisans du quartier ou des parents d’élèves professionnels du goût ou rechercher un(e) professionnel(le) (chef(fe), boulanger(e), primeur(e), agriculteur(trice), poissonnier(e)…) depuis le site de la Semaine du Goût, pour organiser une leçon du goût.
Faire un livret de recettes avec les élèves allophones.
Faire un « menu littéraire ».


ARTICLES DE PRESSE

Bocuse, Paul. De la gastronomie française comme point d’ancrage des relations internationales, Géoéconomie, N° 78, 2016.

Darnault, Maïté, Fonteneau, Eva et Lacasse, Marie-Eve. Les Cités de la gastronomie, une recette à peaufiner, Libération, 6 mai 2022.

Ferguson, Priscilla. Identité et culture : la gastronomie en France, revue de la BNF N° 49, 2015.

La gastronomie, un Art à partager, L’éléphant : Hors-série gastronomie, 2021.

La cuisine et la table, une culture française, L’Histoire : collections N° 97, octobre-décembre 2022.

L’art de bien manger : dossier, Sciences humaines 338, 2021, p. 28-49.

Parmi les nombreux magazines sur l’art culinaire, voici une sélection qui pourra servir de supports pédagogiques : 180° ; Arts et gastronomie ; Bottin Gourmand ; Cuisine et vins de France ; Pâtisserie et Cie ; Saveurs ; YAM

FILMOGRAPHIE

FICTIONS

Akin, Fatih. Soul Kitchen. Corazón International, Dorje Film / Norddeutscher Rundfunk (NDR) / Pyramide Productions, 2010, 99 min.

Axel, Gabriel. Le Festin De Babette. Production : Just Betzer et Bo Christensen, 1987, 102 min.

Batra, Ritesh Batra. The Lunchbox. Sikhya Entertainment / DAR Motion / Pictures / Arte France Cinéma, 2013, 104 min.

Bird, Brad. Ratatouille. Pixar Animation Studios, 2007, 111 min.

Ferreri, Marco. La Grande Bouffe. Mara films, 1973, 130 min.

Hallström, Lasse. Le Chocolat. David Brown Productions / Fat Free Limited / Miramax Films, 2001, 121 min.

Joffé, Roland. Vatel. Légende Entreprises / Gaumont / Canal+, 2000, 103 min.

Kawase, Naomi. Les Délices De Tokyo. 2016, 108 min.

DOCUMENTAIRES

Allante, Philippe et Brissaud, Sophie. Le bonheur est dans l’assiette, Saisons 1 et 2. Arte France / Petit Dragon, 2012 et 2014, 3 h 35 et 4 h 18.
Tout autour du monde, cinq chefs s’appuyant sur des traditions culinaires et une agriculture respectueuse de la terre inventent la gastronomie de demain.

Colville, Charles. La cuisine est-elle le propre de l’Homme ? Arte, 51 min.

Frédiani, Vérane. À La Recherche des femmes chefs. Francologie Ltd, 2017, 105 min.

Maistre, Gilles de. Les alchimistes aux fourneaux. Mai-Juin Production / Arte France, 1 h 24.
Gastronomie moléculaire, physico-chimie du goût… La science fait sa révolution dans les cuisines des grands chefs.

Olivier, Julien. Auguste Escoffier ou la naissance de la gastronomie moderne. Imagissime / Arte, 2016, 1 h 30.

Spurlock, Morgan. Super-Size Me. Diaphana films, 2004, 100 min.

Valluet, Matthieu. Repas de fête. Arte France / Doc en Stock, 2013, 10 épisodes, 4 h 19.

TÉLÉVISION

On pourra distinguer deux types d’émissions : les narratives dans lesquelles la préparation d’un plat constitue l’étape centrale d’un scénario qui a pour effet de donner une signification particulière à la réalisation de la recette ; les démonstratives qui font de l’exécution d’une recette face aux caméras un exercice à visée pédagogique.

Émissions narratives : Le Meilleur Pâtissier Saison 11 ; Top Chef saison 14 ; L’Académie des Gâteaux ; Chefs à domicile.

Émissions descriptives : Les Carnets de Julie ; Petits Plats en Équilibre ; Saveurs de saison ; Cuisine des Terroirs.

RADIO

Beauchamp, Antoine et Triou, Natacha. Eurêka : Gastronomie : tous·tes à table ! France Culture, 12 juillet 2022, 56 min.
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/eureka/gastronomie-tous-tes-a-table-6870779

Chassol, Christophe et Gervais, Suzanne. Les 4 saisons, France musique émission, 27 avril 2022, 24 min.
https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/la-quatre-saisons-n-est-pas-qu-une-pizza/gastronomie-3669697

Gaudry, François-Régis. On va déguster, France Inter, Du lundi au vendredi : 55 min.
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/on-va-deguster

Mattéo Caranta. Les bonnes choses, France Culture, Le dimanche de 12 h à 12 h 30 : 29 min.
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-bonnes-choses

Marx, Thierry et Thomasson, Bernard. « À la carte », France Info, les samedis, 4 min.
https://www.radiofrance.fr/franceinfo/podcasts/a-la-carte

 

Macarons Pierre Hermé, Chau Doan, Flickr

 

 

Enfants et adolescents au cœur de la Seconde Guerre mondiale

Cachés ou sacrifiés, en fuite ou enfermés, les enfants ont vécu la guerre à leur manière, victimes de la folie des grands. Qu’ils soient Allemands ou Français, Lituaniens ou Anglais, ils ont tous quelque chose à nous raconter. Ils nous apportent un éclairage souvent différent sur le conflit, un autre point de vue. À travers leurs regards naïfs, étonnés, apeurés, ils évoquent une guerre quotidienne, qui les a touchés certes, différemment, mais souvent aussi fortement que les adultes. Leurs récits permettent à nos lecteurs de s’identifier plus facilement, et de rendre cette période historique plus accessible. Des histoires fortes, émouvantes, incontournables.

Se cacher

Les enfants adorent se cacher, dans d’interminables jeux et d’improbables cachettes. Mais durant la guerre, se cacher n’est plus un jeu, et devient une implacable nécessité. Dans son magnifique roman Amer chocolat1, Marie-Thérèse Boiteux nous plonge au cœur de l’enfance de jeunes belfortains, dont le paisible quotidien va être bouleversé à jamais. Alors que la Libération approche, et que les conditions de vie sont de plus en plus difficiles dans l’Est de la France, la Croix Rouge helvétique réussit à envoyer près de 13000 enfants du nord de la Franche-Comté en Suisse. Beaucoup d’entre eux garderont le souvenir du chocolat qui les attendait à l’arrivée. Un roman puissant, émouvant, dont les faits furent vécus par l’autrice.

C’est également un déracinement qui attend beaucoup d’enfants anglais lorsque le gouvernement décide de les protéger en les envoyant à la campagne. Cet épisode est relaté dans le roman Dix battements de coeur2 de N. M. Zimmermann. Isabella White vit dans les beaux quartiers de Londres, et son quotidien va basculer lorsqu’elle est envoyée dans la campagne anglaise pour être protégée. Ce voyage lui permettra de découvrir la raison du lien étrange qui la lie à Andrew, le fils de l’assistant de son père. Un très beau roman, à mi-chemin entre fantastique et histoire.

Fuir pour se cacher, Roma Ligocka et Iris Von Finckenstein le racontent dans le récit La petite fille au manteau rouge3. Originaire d’une famille juive de Pologne, la jeune Roma se retrouve enfermée dans le ghetto de Varsovie. Elle parviendra s’en échapper en 1943. Son récit raconte l’histoire de ces nombreux mois passés à se cacher et à fuir. Un récit fort et captivant, nous permettant d’appréhender la guerre à travers les yeux innocents d’une jeune enfant.

Le thème de la cachette est bien entendu très largement évoqué dans le roman La vie d’Anne Frank4, de Janny van der Molen. L’auteur y retrace la vie d’Anne Frank et de sa famille, dans un récit illustré de dessins et de photographies d’époque. Un texte fluide, accessible même aux lecteurs les plus récalcitrants.

Fuir…

Pour beaucoup d’enfants et d’adolescents, la fuite fut le seul moyen de survie. Dans son autobiographie Après la rafle5, Joseph Wiesmann nous raconte sa fuite du camp de transit de Beaune-la-Rolande. Après avoir lutté pendant près de cinq heures contre les barbelés, Joseph arrive à sortir du camp ; il connaîtra ensuite une vie cachée en famille d’accueil. Entre dénonciation et maltraitance, l’auteur raconte ici son enfance brisée.

La fuite, c’est également ce que vont connaître quatre adolescents aux destins croisés, dans l’inoubliable roman Le sel de nos larmes6 de Ruta Sepetys. Ils ont dû fuir leur pays, fuir la guerre et ses atrocités, fuir leurs racines, leur vie. Leurs destins sont différents, et même opposés, mais leurs chemins vont les conduire au Wilhelm Gustloff, un navire qui aurait pu être la promesse d’une nouvelle vie. Le destin en a décidé autrement. Un récit captivant, sur un épisode assez peu connu de la guerre qui fut pourtant la plus grande catastrophe maritime de l’Histoire.

Résister

On ne peut commencer ce paragraphe sans songer à Luna, l’héroïne du roman Chante Luna7 de Paule du Bouchet. Cette jeune adolescente, passionnée de musique et de chant, a quatorze ans lorsque l’Allemagne envahit la Pologne. Enfermée dans le ghetto de Varsovie, elle va peu à peu prendre part à sa défense, entrer en résistance, et, grâce à la beauté de sa voix, jouera un rôle essentiel dans la vie du ghetto. Un roman magnifique.

Même si elle est déjà une grande adolescente en 1939, comment ne pas parler de Sophie Scholl ? Dans son roman Mon amie Sophie Scholl8, Paule du Bouchet retrace la vie de cette jeune fille hors du commun. L’histoire est narrée par Elisa, une amie de Sophie qui raconte la vie de Sophie et la sienne à partir de 1943, date à laquelle Sophie Scholl est arrêtée avec deux autres résistants. Son récit évoque les profondes fractures de la société allemande de l’époque, la Nuit de cristal, et toutes les difficultés des relations humaines dans une période aussi dangereuse.

Être capturé

Les récits de captivité d’enfants et adolescents sont nombreux. Dans le roman Je m’appelle Marie9, Jacques Saglier retrace l’histoire véridique de la famille de Marie, une jeune avignonnaise. C’est un matin de l’été 1943 qu’elle et sa famille sont arrêtés et emprisonnés à Marseille. Après les camps et les gymnases, la famille sera finalement enfermée dans les entrepôts Levithan de Paris. L’une des forces de ce roman est de rendre particulièrement vivante la solidarité de la famille et leur union face à des forces qui les dépassent. Un très beau roman.

C’est également tout un monde d’enfermement, dans des conditions particulièrement précaires et difficiles, que relate le roman Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre10 de Ruta Sepetys. Lorsqu’elle est arrêtée par la police stalinienne, la jeune Lina quitte la Lituanie pour être déportée avec sa famille dans un camp de Sibérie. Les conditions de transport sont épouvantables, et à l’arrivée dans les camps, il va falloir lutter contre les éléments, l’adversité, la précarité. Un roman particulièrement fort, et dont le lecteur ne peut sortir indemne.

L’impensable

Imaginer un enfant dans un camp de concentration est juste inconcevable. Dans son témoignage incontournable, Une petite fille privilégiée11, Francine Christophe raconte son enfance au camp de Bergen-Belsen ; une enfance « privilégiée », en tant que fille de prisonnier. Un témoignage bouleversant, servi par une écriture magnifique. L’auteure nous y raconte le quotidien du camp, les mille petites choses qui ont fait que la survie se faisait tant bien que mal, au milieu des pires horreurs. Un témoignage essentiel. L’épisode du morceau de chocolat, donné à une femme qui venait de donner la vie dans le camp, reste gravé dans les mémoires.

Non moins essentiels sont les témoignages de Simone Veil. On retiendra particulièrement le livre L’aube à Birkenau12, nous offrant un témoignage recueilli par David Teboul. Il est le fruit d’une longue collaboration entre Simone Veil et l’auteur, fondée sur un travail alliant confiance et rigueur historique. L’ouvrage, abondamment illustré, nous livre un témoignage poignant et particulièrement vivant. De nombreuses notes historiques enrichissent l’ouvrage, en particulier les photographies de la venue de Simone Veil dans le camp d’Auschwitz.

Ginette Kolinka a aussi laissé un témoignage essentiel. Le récit Ginette Kolinka, survivante du camp de Birkenau13 a été adapté du texte Retour à Birkenau par Ginette Kolinka et Marion Ruggieri. Arrêtée en mars 1944 et déportée dans le sud de la Pologne, Ginette Kolinka va survivre pendant plusieurs mois dans le camp d’Auschwitz-Birkenau. Elle raconte dans cet ouvrage la vie quotidienne dans le camp, et son ressenti d’enfant face à des lieux et des évènements inconcevables. 

Du côté de la fiction, le roman de John Boyne, Le garçon en pyjama rayé14, donne aussi une grosse claque au lecteur. On y suit l’histoire de Bruno, un petit garçon dont les parents s’installent dans une maison au milieu de nulle part. Bruno s’éloigne peu à peu de la maison, mais se heurte très rapidement à des barbelés. Il fera alors la connaissance d’un autre garçon, étrangement vêtu d’un pyjama rayé de bleu et de blanc. La conversation s’engage, mais, bien vite, les adultes vont s’en mêler… Un camp de concentration vu par un regard d’enfant, innocent et tellement loin de son imaginaire. Glaçant et percutant.

Et du côté allemand ?

En se plaçant de l’autre côté de la barrière, la fiction permet parfois de décaler les repères. Dans le roman Il n’est si longue nuit15, Béatrice Nicodème rédige un roman choral dans lequel plusieurs jeunes Allemands apportent chacun un éclairage différent sur le conflit. Tous sont plein de rêves, dans la fougue de leur jeunesse. Certains croient à l’idéal hitlérien, d’autres l’abhorrent. Leurs destins vont se croiser, et aucun d’entre eux n’en sortira vraiment indemne. Un roman bouleversant, qui se lit d’une seule traite.

Roman choc également que Le garçon au sommet de la montagne16 de John Boyne. Au début de la guerre, Pierrot vit à Paris dans sa famille, et la guerre est très loin de ses préoccupations. Mais, après la mort de ses parents, le jeune garçon part vivre en Allemagne, dans une maison tout en haut d’une montagne. Et ce qui pourrait n’être qu’un simple chalet de montagne s’avère être un endroit beaucoup plus glaçant… Pierrot est au Berghof, la résidence d’Adolf Hitler. Il va dès lors devenir le témoin de l’évolution de la guerre et de la création des camps. Dérangeant et captivant tout à la fois.

Pour terminer cette sélection, un roman choc. Max17 de Sarah Cohen-Scali. Le jeune Max est né le 20 avril 1936 dans un Lebensborn. Un centre dans lequel des femmes sélectionnées mettent au monde de « purs » aryens. Dès sa naissance, Max devient le parfait petit soldat hitlérien, prêt à tout pour servir son Führer, jusqu’au bout… Le récit mené à la première personne rend la lecture d’autant plus dérangeante. C’est fort, très fort. Une claque de lecture, qui laisse le lecteur sur le carreau.

 

Sœurs en écriture

Appoline Haquet et Alice Brière-Haquet sont deux jeunes femmes, sœurs dans la vie et sœurs dans l’écriture. Elles sortent chez l’éditeur Poulpe Fictions un ouvrage sur les femmes artistes, « 100 % bio – Les femmes artistes, vues par une ado ». Elles nous racontent la genèse du livre, les choix qu’elles ont faits, leur duo d’écrivaines et surtout les raisons pour lesquelles ce sujet leur tient à cœur à toutes les deux. 

Quels sont vos parcours respectifs ? Présentez-vous !

Appoline : J’ai depuis toujours eu un intérêt pour l’art. J’ai fait des études d’histoire de l’art à l’université, puis après un master 1 je me suis orientée vers la sociologie : j’avais besoin de comprendre le monde autrement que par le prisme de l’art. Outre mes études, ce sont mes voyages et mes expériences professionnelles qui ont été importants dans ma vie et dans ma perception du monde, ils m’ont fait grandir et ont augmenté considérablement ma curiosité.

Alice : Ma passion pour l’histoire de l’art est née d’un livre sur Van Gogh que j’ai reçu pour mes 9 ans… Mais je n’en ai pas pour autant fait ma formation principale. La filière n’était pas proposée par l’université de Caen et, à 18 ans, je n’avais pas le courage d’Appoline pour trop m’éloigner de ma famille. J’ai donc fait des études de lettres. L’histoire de l’art est pourtant toujours restée en filigrane, j’ai suivi les conférences proposées par l’École du Louvre au Musée des Beaux-Arts de Caen, puis des cours en candidat libre au Trinity College. Mon mémoire portait sur des romans de peintres, et ma thèse laissait une large place à l’illustration. C’est en m’intéressant au travail des illustrateurs et illustratrices que j’ai eu l’idée de leur écrire des textes et que je suis entrée dans le monde de l’édition jeunesse. L’album est un merveilleux médium où textes et images se mêlent pour laisser place à une troisième voix.

Pourquoi avez-vous écrit sur ce sujet ? Est-ce une commande ? Ou ce sujet vous tient-il à cœur ?

Appoline : Oui c’est une commande. Le sujet s’est construit à travers les échanges entre Alice et la maison d’édition. Lorsqu’elles ont eu l’idée des femmes artistes, ma sœur m’a proposé de participer au projet. C’était à la fois intimidant mais aussi très stimulant. Ce sujet me tient à cœur, parce que c’était un moyen pour moi de concrétiser mes études en histoire de l’art autrement que dans ma tête. Je suis heureuse d’avoir pu partager ces connaissances.

Alice : Pour un gros projet comme cela, il vaut mieux être d’emblée suivi par une maison d’édition ! Mais le sujet me tenait particulièrement à cœur (mes éditrices me connaissent bien, hihi) et j’ai tout de suite pensé à faire appel à l’expertise d’Appoline qui a une formation solide sur la question.

À quel public s’adresse-t-il ?

Appoline : Je pense qu’un public du CM2 à la 5e l’apprécierait.

Alice : Oui, techniquement, on peut dire cycle 3 et collège, mais j’ai aussi eu des retours d’adultes assez enthousiastes, qui avaient eu le sentiment d’apprendre plein de trucs ! Pour moi, la littérature jeunesse est surtout une littérature familiale : l’idée étant de s’adresser à tous.

Que pensez-vous de la place des femmes artistes dans les livres aujourd’hui ?

Appoline : Elles sont de plus en plus présentes je pense, parce que les mouvements féministes se font entendre ; il n’empêche qu’encore aujourd’hui, les femmes ne sont pas reconnues de la même façon que les hommes, alors, continuons d’en parler.

Alice : Il existe encore, même au sein de la littérature jeunesse, qui est majoritairement portée par des femmes (autrices, éditrices, médiatrices du livre, etc.), un gros déséquilibre. Il suffit de regarder les sélections lors des prix, ou la composition des tables rondes dans les salons. Les hommes sont clairement surreprésentés, et il est rare que l’on arrive simplement à la parité !

Comment avez-vous choisi les artistes ?
Les artistes sont essentiellement occidentales, pourquoi ?

Appoline : Nous avons commencé par mettre une vingtaine de nom d’artiste chacune en commun, puis nous avons choisi ensemble. Personnellement, j’ai choisi les artistes en fonction de ma formation, et c’est pour ça qu’elles sont majoritairement occidentales, parce qu’à l’université, c’est ce qu’on nous enseigne. J’aurais pu m’en détacher, mais j’ai choisi de parler de ce que je maîtrisais le mieux, tout en me posant des questions en permanence pour tenter d’inclure le plus de cultures possible. Ce sont des choix réellement complexes à faire et qui peuvent entraîner des maladresses, ça a été peut-être pour moi la plus grande difficulté, quoique ce soit aussi formateur.

Alice : Comme le dit Appoline, cela a été assez cornélien… Entre l’envie de parler des artistes que l’on aime et que l’on connaît, et qui sont, de par notre culture majoritairement occidentale, le désir d’inclure des visages et des parcours nouveaux, la peur de ne pas être juste sur des thématiques que nous maîtrisons mal… C’était clairement le plus difficile.

Le fil conducteur sous forme fictionnelle est-il un peu inspiré de votre histoire familiale (si ce n’est pas indiscret !) ?

Appoline : Pas du tout ahah ! Nous avons grandi dans une famille monoparentale, notre mère est éducatrice, rien à voir avec l’art. Quoique, c’est vrai qu’elle fait bien les crêpes et qu’elle raconte bien les histoires, comme la mère d’Angèle et Michelle. Tout ce qui est fictionnel est né des idées d’Alice et des miennes.

Alice : Et elle joue à Candy Crush ! En effet, nous ne venons pas du tout d’un milieu artistique… mais pour ce qui est du joyeux bordel, des punchlines débiles, et de l’amour inconditionnel, je pense qu’on s’est pas mal inspiré de notre famille, oui.

Que pensez-vous de cette forme fictionnelle ?
Une forme documentaire n’aurait-elle pas été plus adaptée ?

Appoline : Qu’elle est fun, et que ça rend plus accrocheur. Peut-être qu’une forme documentaire aurait été plus adaptée, mais un peu ennuyeuse.

Alice : C’est vraiment le parti pris de la collection 100 % Bio, et c’est un équilibre délicat à trouver. Cela nous a valu pas mal d’allers-retours avec les éditrices, mais je crois que le livre y gagne vraiment. Cela permet d’avoir un vrai point de vue et d’oser des prises de position qui auraient pu être plus problématiques dans un documentaire pur.

Où doit-on ranger votre livre dans un CDI ? Au rayon « romans « ou au rayon « documentaires » ?

Appoline : Au rayon roman documentaire ? Oupsi, je ne sais pas, toutes les informations qui sont dites dedans ne sont pas inventées, mais en même temps, il y a une histoire qui, elle, est fictionnelle… Bref, je ne sais pas.

Alice : Haha, aucune idée ! Chacun son job.

Était-ce plus simple d’adopter le déroulé chronologique ?

Appoline : Je crois que oui, ça permet aux enfants de se repérer dans le temps. Je sais que personnellement, j’avais du mal plus jeune à réaliser cette gymnastique entre les siècles. Ou alors, on aurait pu écrire plusieurs livres en fonction des siècles.

Alice : J’y tenais beaucoup. Comme Appoline, j’ai mis longtemps à comprendre la logique d’ensemble des siècles, alors que tout fait sens ! Il n’y aurait pas eu de Renaissance sans le Moyen Âge, pas de Classique sans le Baroque, pas de Romantisme sans les Lumières, etc. Il est plus intéressant, je trouve, de comprendre comment naissent les idées, que d’enregistrer simplement lesdites idées.

Avez-vous découvert des informations que vous ignoriez quand vous avez écrit ce livre ? Si oui, lesquelles ?

Appoline : J’ai plutôt tenté de synthétiser mes connaissances, et ça a été très cool de revenir à l’histoire de l’art, c’est un petit cocon pour moi. Je trouve ça inspirant d’apprendre des vies d’autres personnes.

Alice : Personnellement, plein !! Merci Google et Appoline.

Aviez-vous des informations dont vous teniez absolument à parler ? Et si oui, pourquoi ?

Appoline : Écrire sur les femmes artistes, c’était pour moi une mission ! Ce sujet était une occasion en or pour prendre la parole, et je tenais à être le plus inclusive possible. Je crois que, comme dit plus haut, ça m’a aussi permis de me réaliser combien c’est complexe de se détacher de ses propres connaissances, de chercher à n’oublier personne tout en parlant depuis mon point de vue.

Alice : Pour ma part, je tenais vraiment à actualiser le propos, à replacer le questionnement dans la société d’aujourd’hui. Pas juste dire « Bouh, à l’époque les femmes n’avaient pas de chance », mais montrer comment nous sommes les héritières de ces siècles et ces siècles de sexisme… Les débats autour du mot « autrice » en sont parfaitement représentatifs.

Quelle est(sont) votre(vos) artiste(s) préférée(s) ? Pourquoi ? Leur consacrez-vous quelques lignes dans votre ouvrage ?

Appoline : Des artistes préférées, je ne pense pas, mais une période qui me plaît particulièrement, je dirais la deuxième moitié du XIXe siècle. En fait si, j’ai comme de nombreuses personnes une admiration particulière pour Frida Kahlo, je trouve sa vie, sa force, sa personnalité fascinantes.

Alice : Argh, question difficile… En termes de peinture, je suis comme la maman d’Angèle, fan de la Renaissance italienne, j’aurais donc tendance à choisir Artemisa Gentileschi. Mais en termes de personnalité, mon cœur va à Rosa Bonheur et à sa façon de destroy toutes les normes du patriarcat.

J’ai beaucoup aimé le chapitre textile. Comment en avez-vous eu l’idée ?

Appoline : De mon côté j’ai eu cette idée, même si c’est Alice qui a écrit ce chapitre, en me rappelant le travail d’une copine de promotion quand j’étais en master d’histoire de l’art (coucou Kaith). Elle a réalisé un mémoire sur cet art, elle était si passionnée par son sujet, j’aimais beaucoup qu’elle m’en parle. Elle me disait que ce n’était pas assez étudié, et c’est vrai. C’est un « art féminin » par excellence, donc invisibilisé, c’était important d’écrire dessus pour ce thème.

Alice : L’invisibilisation des femmes passe aussi par la dévalorisation de leurs outils, et c’est encore honorer le puissant que de se battre avec ses propres armes. Il me semblait vraiment important de laisser une place de choix à ce médium qui a permis à nos ancêtres de s’exprimer, et qui fait aujourd’hui l’objet d’une reconquête par les artistes contemporaines.

Vous avez un peu éludé les femmes peintres de l’abstraction ? Trop difficile pour les lecteurs ?

Appoline : C’est peut-être plus une question de choix, on parle déjà beaucoup, beaucoup des artistes du XIXe-XXe, donc on ne pouvait pas parler de tout. J’aurais aimé parler des artistes expressionnistes aussi.

Alice : On a parlé de l’artiste russe Natalia Gontcharova et de Sonia Delaunay : à mon sens, elles représentent bien, de manières différentes, ce travail vers l’abstraction.

Est-ce difficile d’écrire à deux ? Comment vous êtes-vous réparties les tâches ?

Appoline : Notre expérience de l’écriture n’est pas la même, donc c’était assez déséquilibré à ce niveau, mais aussi intéressant de travailler à deux parce qu’on avait des choses différentes à apporter. Sur les conseils d’Alice, pour écrire un chapitre, je rédigeais un premier jet, puis, je revenais sur le texte plusieurs fois. Ensuite, je lui envoyais le texte et elle le retravaillait. Je faisais pareil de mon côté avec ses écrits, même si je dois avouer que j’avais du mal à apporter des modifications parce que j’étais souvent en mode « waaaw c’est parfait ! » quand je lisais ses textes.

Alice : C’était un vrai bonheur, je savais pouvoir compter sur Appoline pour l’expertise, mais j’ai été surprise de découvrir en plus une plume ! Elle a une manière d’écrire très vivante, un vrai style. Franchement, mes retours étaient purement quantitatifs : ce n’est pas facile, quand on maîtrise bien un sujet, de résister à la tentation de tout dire. De son côté, elle m’encourageait à préciser tel ou tel point, à ne pas me satisfaire des raccourcis que mon côté amatrice m’incitait à prendre. La collaboration a été très fructueuse. Sinon, d’un point de vue purement technique : on se répartissait les chapitres pour proposer un premier jet, puis on revenait sur le travail de l’autre. C’était très naturel.

Si c’était à refaire, vous recommenceriez à travailler toutes les deux ?

Appoline : J’aimerais beaucoup, c’était une chouette expérience.

Alice : Avec grand plaisir !!

Quels sont vos projets d’ailleurs ? D’autres livres à venir ? Sur les femmes artistes ?

Appoline : Pour le moment, pas de projet de livre pour moi, mais un mémoire à écrire, aaaaaahhh. Mais en réalité, il faudrait peut-être d’autres livres de ce type sur les femmes artistes, il y en a tellement, et il y a tellement à dire !

Alice : Actuellement je travaille sur mon deuxième roman (roman YA, le premier étant Phalaina, sorti en 2020 au Rouergue) et sur la collection Philonimo (des albums de philo pour les tout-petits) qui va bientôt sortir trois nouveaux titres (sur Hobbes, Popper et Kant… pour un public de maternelles…. J’adore ce genre de challenge  . Pas de projet sur les femmes artistes pour l’instant, mais il y aurait largement de quoi faire… Peut-être via des albums ? J’aime particulièrement ce format qui sait se rendre accessible au plus grand nombre. À réfléchir.

100 % bio – Les femmes artistes, vues par une ado

Biographie romancée jeunesse art – dès 10 ans
Appoline Haquet, Alice Brière-Haquet, Melody Denturck
Date de parution : 24/02/2022
EAN : 9782377422487
168 pages
Format : 140 x 210 mm
Prix : 12,95 €
Poulpe Fictions
Collection : 100 % Bio

Lorsque Michelle, collégienne, se rend au musée lors d’une sortie scolaire, elle est marquée par un fait accablant : très peu d’œuvres sont signées par une artiste. Les femmes ont-elles moins créé que les hommes ? Pourquoi connaît-on si bien Léonard de Vinci, Picasso et Michel-Ange… et très peu de femmes artistes ? Avec sa sœur Angèle, Michelle décide de mener l’enquête et réparer cette injustice. Elle nous emmène sur la piste de femmes talentueuses, aux parcours souvent incroyables et aux œuvres inoubliables. De la Préhistoire jusqu’à l’époque contemporaine, les autrices nous présentent un panorama documenté en peinture, sculpture, broderie ou photographie…
On apprécie de suivre une héroïne pleine de pep’s, qui se pose de multiples questions sur les femmes artistes. Entre fiction et documentaire, le livre est vivant et très facile à lire, tout en étant une vraie source d’informations. Cet ouvrage met – ou remet – en lumière des femmes oubliées ou ignorées, et fait le point sur un certain nombre d’assertions fausses. Un bon point de départ pour réfléchir à la place des femmes artistes, et plus généralement à la place des femmes dans notre société, aux regards qui sont portés sur elles et leurs productions, depuis des siècles.

 

 

Appoline Haquet
Alice Brière-Haquet

Appel à contribution : Neurosciences/Neuromythes

Appel à contribution pour le dossier de septembre/octobre 2023

 

Nous envisageons de réaliser un dossier sur le thème des neurosciences/neuromythes, en lien avec les questions de formation et l’EMI. Nous recherchons des retours d’expérience(s) de professeur.e.s documentalistes ayant mis en oeuvre des séances mobilisant les neurosciences. Voici quelques mots clés en lien avec cette thématique : métacognition, cogni’classes, biais cognitifs/fake news, mémorisation, attention, motivation, bibliothérapie, gestion des émotions (méditation, confiance en soi…).

 

 

Date limite d’envoi des propositions de contribution

16 avril 2023

 

Pour une préparation optimale du numéro, n’hésitez pas à contacter la rédaction au plus tôt

 intercdi.articles@gmail.com

InterCDI, 50 ans avec les professeurs documentalistes

En 1972, Roger Cuchin conçoit et réalise une revue pour la profession : il envoie 1000 numéros pilotes dans les SDI, lesquels suscitent un tel engouement chez les documentalistes en poste que cela se concrétise par la parution en 1973 du numéro 1 d’INTER SDI. Il ne pouvait s’imaginer que la revue serait encore présente et active 50 ans plus tard. Lui rendre hommage, dans ce double numéro anniversaire d’InterCDI (N° 300), relève de l’évidence.

Depuis la création de la revue, de nombreux collègues et collaborateurs ont participé à sa réalisation et plus largement au développement de l’association CEDIS (Centre d’étude de la documentation et de l’information scolaires), rendant ainsi possible par leur implication pérenne et fructueuse une telle longévité. Cette permanence est assez remarquable pour être soulignée ; elle est bien évidemment liée au parti pris affiché par la revue depuis ses débuts, à savoir promouvoir et défendre une profession méconnue, en dépit de sa richesse et de ses multiples facettes.

Un bond dans le passé vous entraînera à la découverte de la genèse de la revue et de son évolution ; vous appréhenderez la construction progressive de la profession ainsi que le positionnement de la revue comme acteur principal aux côtés des collègues et des autres organisations de notre métier, à travers une sélection d’extraits. Au gré de la lecture, vous suivrez les étapes essentielles de l’évolution de la profession : installation des CDI, circulaire de missions de 1986, reconnaissance d’un rôle pédagogique institutionnalisé par le CAPES de documentation en 1989, dispositifs pédagogiques interdisciplinaires, circulaire de mission de 2017 avec, entre autres, la prise en compte des heures d’enseignement.

De retour au temps présent, vous lirez les témoignages de professeurs documentalistes débutants ou plus expérimentés qui ont accepté de nous livrer leur ressenti, leurs doutes, leurs désillusions, leurs envies et leurs espoirs concernant leur métier. Certains ont choisi d’évoquer principalement leurs débuts, avec parfois beaucoup d’humour et de recul, d’autres ont voulu porter un regard critique sur l’ensemble du métier. Ces témoignages donnent un aperçu de la grande résilience de la profession et de la capacité d’adaptation du professeur documentaliste.

Enfin, vous serez invités à explorer un futur où nous avons choisi de questionner des stagiaires sur leurs prises de fonction, les évolutions du métier, leur regard sur la profession et leurs attentes par rapport à la revue. Par ailleurs, une architecte s’est penchée sur l’évolution architecturale des CDI, à laquelle font écho les interrogations d’une professeure documentaliste sur les reconfigurations en cours et leur adéquation avec les pratiques pédagogiques, notamment au regard des attentes et besoins du terrain. Et puis, pourquoi ne pas rêver notre métier avec Mathilde, professeure documentaliste en 2032, afin de le construire ensemble pour toute la communauté éducative.

Soyez assurés qu’InterCDI continuera à donner la parole à l’ensemble des collègues qui souhaitent apporter leur contribution à nos travaux et réflexions.

Nous dédions ce numéro anniversaire à la famille Cuchin et à tous ceux qui ont collaboré à la naissance de la revue InterCDI.

 

Roger Cuchin, fondateur d’InterCDI

Impossible de célébrer le cinquantième d’InterCDI sans rendre hommage à celui qui imagina, créa et porta notre revue : Roger Cuchin. Un honnête homme comme on l’entendait au XVIIe siècle. Un homme complet, à la fois manuel et intellectuel. Un entrepreneur toujours prêt à se lancer dans de nouveaux défis. Un homme confraternel qui a œuvré, sans compter sa peine ni son temps, pour aider ses collègues. À cette occasion, nous avons rencontré Madeleine, son épouse, et Sylvie, une de ses filles, dans leur pavillon d’Étampes qui servit de premier local à la revue. Merci à Madeleine qui nous a reçu avec gentillesse et à qui il faut rendre un juste hommage, tant elle a œuvré auprès de son mari. Merci à Sylvie qui nous a confié une partie des Mémoires de son père écrites pour sa famille. Voici le récit de la naissance d’InterCDI.

Roger Cuchin est né en 1918, à Paris. Son père meurt de la tuberculose, peu de temps après sa naissance. Sa mère, employée à la RATP, le place alors à Étampes chez une nourrice qui deviendra, pour lui, une deuxième mère. Étampes, une ville à laquelle il restera attaché toute sa vie. Il rentre à l’école primaire à l’âge de sept ans et va poursuivre une excellente scolarité.

À tel point qu’il est reçu au concours de l’École normale de Versailles en 1938. Pour son premier poste, il est nommé à Brétigny-sur-Orge. Puis, pendant l’occupation allemande, l’inspecteur d’académie, le nomme, malgré son jeune âge, directeur d’une école à Étampes, en remplacement de l’ancien directeur, fait prisonnier. Il met en place des méthodes d’apprentissage plus actives que celles utilisées traditionnellement. Il invite ses élèves à pratiquer des activités de manipulation, en relation avec l’étude du milieu local. Les enfants réalisent des frises chronologiques, des cartes géographiques, ou encore un journal. Il les emmène sur le terrain, notamment sur les bords de la rivière qui traverse Étampes pour calculer son débit, à l’aide de bouchons flottants.

Dans le même temps, il cultive plusieurs passions. Il dessine, fait du modélisme, bricole. Sous l’Occupation, il fonde un orchestre de jazz symphonique amateur. Il en est le chef d’orchestre et propose, trois fois par an, de petites comédies musicales dont il est l’auteur. Les recettes de ces spectacles sont destinées à l’envoi de colis aux prisonniers de guerre. Dans les années 60, il crée le Club des Cinéastes Amateurs du Sud de l’Île-de-France (CASIF). À ses passions individuelles, il associe toujours des aventures collectives avec ce souci de partage et de pédagogie qui l’a toujours animé.

À partir de 1945, Roger Cuchin participe à l’expérience des « classes nouvelles » au collège d’Étampes. La pédagogie de ces « classes nouvelles » repose sur le recours aux documents et à l’utilisation des moyens audiovisuels. Dans une classe de sixième, ils sont trois enseignants pour un effectif, très réduit pour l’époque, de 25 élèves… Dans cette classe sans programmes imposés, Roger Cuchin enseigne les mathématiques, les sciences et la géographie. À ce sujet, il crée un modèle permettant de faire réaliser par les élèves la maquette d’une région en relief. Cette maquette intitulée « Géomodélisme » a failli être commercialisée en 1957.


Durant l’année scolaire 1957-1958, le premier CDI (appelé alors Centre Local de Documentation Pédagogique) est ouvert au lycée Janson de Sailly par la volonté de son proviseur, Marcel Sire. Il est géré par Jean-Gabriel Gaussens, professeur d’histoire-géographie qui devient, de fait, le premier documentaliste. Il s’agit de mettre fin à l’éparpillement des documents dans les établissements scolaires, de rassembler les livres autrefois stockés dans les bibliothèques de classe et d’assurer la gestion du matériel et des documents audio visuels qui, de plus en plus, font leur apparition dans les collèges et les lycées. En avril 1958, Roger Cuchin visite avec curiosité et enthousiasme ce premier CLDP du lycée Janson de Sailly.

En octobre 1958, vingt-cinq postes de « documentalistes-bibliothécaires » sont ouverts dans toute la France. Une chargée de mission du ministère demande au proviseur du lycée Geoffroy-Saint-Hilaire d’Étampes si un enseignant accepterait de se voir confier un CLDP à créer sur place. Sans hésitation Roger Cuchin accepte ce poste, faisant du lycée d’Étampes un pionnier de cette nouvelle institution, après Janson de Sailly.

En 1960, ils sont une soixantaine. Pour vaincre leur isolement, ces pionniers créent l’Amicale des Documentalistes de l’Éducation nationale (l’ADEN). Roger Cuchin, qui a réalisé des années durant la revue de l’association de cinéastes amateurs, prend alors en charge la rédaction du bulletin de liaison de l’amicale, qu’il ronéote au lycée, avec la complicité de son chef d’établissement qui déclarera, à maintes occasions et avec humour, que « si Roger Cuchin n’existait pas, il faudrait l’inventer ».

En 1962, on dénombre deux-cent-onze documentalistes à l’œuvre dans les lycées classiques et modernes et six dans les lycées techniques.

Dans les années qui suivent, sous l’impulsion de Marcel Sire, devenu inspecteur général de la vie scolaire, les Services de Documentation et d’Information se multiplient.

Parallèlement, l’ADEN se développe et se penche sur la possible création d’un statut, car, comme l’écrit Roger Cuchin en 1968 : « Dix ans d’existence de l’Institution des Services de Documentation n’ont pas pour autant tracé une ligne claire et admise par tous, ni un cadre sûr et pratique pour tous les aspects de notre multiple activité ». Pour l’ADEN, il s’agit de militer pour une définition précise des missions du documentaliste-bibliothécaire. Le bulletin maintenant publié à Paris s’assoupit cependant peu à peu.

En 1971, gentiment pris à partie par des collègues avec qui il visite le Louvre et qui regrettent la disparition de ce lien entre collègues, Roger Cuchin décide de créer une revue pratique au service des SDI. « Une revue véritable paraissant huit fois par an et qui donnerait des nouvelles des services, de ce qui s’y fait, s’y crée, s’y utilise… Des recettes, des questions, des adresses, des initiatives prises ici et là… », écrit-il dans ses Mémoires. Un beau projet de retraite active dans le prolongement de son activité professionnelle !

Roger Cuchin pose alors les bases du « Centre d’étude de la documentation et de l’information scolaire, le CEDIS ». Il annonce clairement que le but de cette association (sans but lucratif) est de produire une revue qui n’entend faire concurrence ni aux syndicats ni à la FADBEN, mais qui en serait au contraire le complément. En octobre 1972, voulant tester l’intérêt réel que peut susciter une telle revue, Roger Cuchin adresse 1000 exemplaires du numéro 0 aux 1000 SDI existants. Il reçoit rapidement 300 demandes d’abonnement, ce qui lui ouvre le sésame pour poursuivre l’aventure.

Ce numéro 0, sous une couverture dans le style de l’art cinétique de Vasarely, se présente comme une revue technique de la Documentation et de l’Information scolaires. En guise d’éditorial, Roger Cuchin adresse « une lettre à nos collègues documentalistes ». Dans cette lettre, il précise les buts du CEDIS : « L’étude des moyens destinés à faciliter l’accomplissement des fonctions de documentation et d’information présentes dans les établissements ; la diffusion des conclusions de ces études et des matériels et publications dont elles ont pu susciter la création ; l’organisation des services destinés à répondre aux questions d’ordre technique posées par ses membres et l’harmonisation des tâches professionnelles spécifiques de la documentation et de l’information scolaires ». Le CEDIS y est présenté comme « votre assistant documentaliste ». Les premières rubriques présentes : Audiovisuel, qui annonce des bancs d’essai et des fiches techniques, Action culturelle, consacrée au Musée des Arts et Traditions populaires, Information, comment la faire circuler et La Documentation administrative (J.O., B.O.E.N., R.L.R.). Dans le numéro 1 apparaît (heureusement) une rubrique Pédagogie (curieusement rédigée par un proviseur !). Dans ce numéro 0, on trouve également les premières publicités pour le GIDEC (déjà), pour L’École des lettres, et les éditeurs Hachette et Nathan. Enfin les illustrations sont signées par Jean Ollier, un collègue, et par un jeune dessinateur d’Étampes, âgé de 22 ans, Christian Binet, futur créateur de Kador et des Bidochon (cf. Lettre à Christian Binet dans ce numéro anniversaire).

La fabrication de la revue, au démarrage, est plus qu’artisanale, réalisée dans le pavillon de Roger Cuchin à Étampes, elle se fait en famille. Une activité fiévreuse emplit très vite la maison : « Je revois encore la table de notre salle à manger, encombrée de bulletins d’abonnement, de fichiers, de chèques… Je revois Madeleine (son épouse) reporter sur les premiers états, les noms et adresses des abonnés, Bétine (sa mère adoptive) plier et mettre sous enveloppe lettres d’information, bulletins d’abonnement, puis revues… », écrit-il dans ses Mémoires. Madeleine, sa plus « proche collaboratrice », commence un peu à « râler » ; elle s’étonne un peu du désintéressement de son époux et du temps qu’il consacre au CEDIS. En effet, les frais de téléphone, d’électricité, de déplacements en voiture pour la revue sont pris sur le budget familial. D’autant que Roger avance également sur son argent propre les fonds nécessaires à l’impression et aux envois aux abonnés des 8 premiers numéros. Cet argent lui sera bien entendu remboursé ultérieurement, et heureusement, au fur et à mesure de la rentrée des abonnements.

Avec ce numéro 0, l’odyssée d’InterCDI est lancée. D’une simple aventure familiale (même sa nièce figurera parmi les premières salariées et s’impliquera durant de longues années) Roger Cuchin aura transformé l’essai en une belle entreprise associative qui mobilisera une communauté fidèle d’acteurs aux talents divers durant de longues années. Il l’accompagnera jusqu’à l’âge de 80 ans, toujours avec cet esprit altruiste et d’abnégation qui le caractérisait, et passera la main presqu’avec tristesse, tant c’était l’œuvre de sa vie…

 

L’équipe d’InterCDI, dans la cour du lycée Fénelon à Paris, 1995
De gauche à droite : Mmes Dalimier, Cretin, Douheret, Leplat, Michaut, Jullien, Sourdillon, Roussy, Philippe, Degas, MM. Viry, Fondanèche, Cuchin, Daveau, Ollier, Francès.

 

 

 

Lettre à Christian Binet

Vous vous étonnez sans doute de voir Robert et Raymonde Bidochon nous souhaiter un joyeux anniversaire. Pourquoi ce célèbre couple se retrouve-t-il dans votre revue ? Ma lettre à Christian Binet vous apportera quelques explications sur cette présence incongrue.

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_____________________________________________________________Lettre à Christian Binet

 

 

InterCDI, acteur et moteur de la construction de la profession

À travers ce dossier, c’est une plongée dans les archives d’InterCDI qui est proposée, organisée autour d’extraits d’articles, reproduits pour beaucoup dans leur forme initiale, afin de coller au plus près des évolutions de la revue (choix éditoriaux, contenus, mise en forme). La réflexion se situe dans le prolongement des écrits de Marie-Laure Sourdillon pour Les Cahiers de l’ISP en 19991 et de Claude Viry dans Perspectives documentaires en éducation en 20032, article qui développe un volet du texte (p. 9-11) initialement paru dans le « Spécial Technologies au CDI » d’InterCDI de juillet-août 19993.
Nous avons opté pour une entrée chronologique, consacrant un quatre pages à chaque décennie, ce qui est forcément réducteur, au regard de la variété et de la richesse des réflexions qui sont au cœur de la revue. Pour chaque décennie, nous avons procédé à une lecture thématique, autour de grandes questions/problématiques significatives des évolutions en cours, à la fois en termes d’étapes, et de réflexions initiées par des chercheurs et des professionnels, comme autant d’éléments constitutifs de la construction de la profession. 
Des options fondatrices du créateur de la revue, Roger Cuchin, aux évolutions ultérieures, en continu, dans un contexte de mutations institutionnelles, techniques, sociales, culturelles…, il s’agit de rendre compte de la manière dont InterCDI a contribué/contribue (en quoi et comment) à cette construction : dans une démarche qui se veut ambitieuse et prospective, attentive à être force de proposition, et de prendre une part active aux débats du moment, conjuguant ouverture, créativité, attention portée à l’humain, et prenant en compte les contextes.
Au-delà du balayage des différents champs de la fonction, sous des rubriques aux intitulés parfois changeants en fonction des décennies*, ce sont des réalités complexes et évolutives que donnent à voir les articles, en lien avec les questions qui agitent la profession, et, plus généralement, l’école et la société : certaines reviennent de manière récurrente, sous de nouveaux habillages, en phase avec les avancées de la réflexion. Sont ainsi convoqués, dans une articulation théorie/pratique, des articles d’auteurs variés, parmi lesquels des contributeurs réguliers (des chercheurs, des praticiens, membres de l’équipe CEDIS ou « fidèles » extérieurs à la rédaction). Bien plus qu’un simple espace d’échanges et de mutualisation de pratiques, c’est un InterCDI moteur de la construction de la profession (v. note 2) qui ressort de cette synthèse ; un espace de réflexion, interrogateur de l’existant (CDI, profession, info-doc, école, technique, social…), croisant articles théoriques, résultats de recherche, notes de lecture, enquêtes, analyse de pratiques et de dispositifs, récits d’expériences…

 

 

 

 

 

 

Professeure documentaliste néotit’ en 2022

Les élèves qui entrent en sixième ont beaucoup de mal à s’habituer à vouvoyer les professeurs et à les appeler « Madame » ou « Monsieur ». Ainsi, les premiers jours, je les reprenais patiemment en leur apprenant à me vouvoyer et à m’appeler par mon nom de famille, comme ils doivent le faire en entrant au collège. Un jeune garçon, débordant d’énergie, avait particulièrement du mal à s’adapter à ces nouvelles règles. Très gentil, ça lui semblait tellement naturel de tutoyer tout le monde. Amusée, je lui rappelais à nouveau : « Nathan, tu sais que tu dois m’appeler “Madame” et me vouvoyer ? »
Déconcerté, il me regarda droit dans les yeux et me répondit : « Ça veut dire quoi “vouvoyer” ? » Et là, je ne pus réprimer un sourire. Effectivement, si on entend à longueur de journée « Il faut nous vouvoyer », mais qu’on ne sait pas ce que ça signifie, ça paraît tout de suite plus compliqué à faire ! Peu convaincu par mon explication, il a essayé de faire un effort, mais aujourd’hui encore il lui arrive de nous tutoyer !

Dès que possible, c’est-à-dire quasiment à chaque heure, je descends en permanence récupérer des élèves qui souhaitent venir au CDI. C’est souvent un moment de frustration pour ceux qui ne sont pas désignés et cela me met régulièrement mal à l’aise de devoir faire un choix. Le CDI possède un nombre de places limité et il y a souvent plus d’élèves qui veulent venir que le nombre de places disponible. Comment départager les élèves, alors qu’ils disent tous vouloir travailler, lire ou faire un exposé ?

Chacun a sa méthode et, pour ma part, j’essaie de mélanger les élèves, en prenant à la fois ceux que je sais calmes et travailleurs et des élèves dont je me doute d’avance que l’occupation principale sera le bavardage ou l’utilisation du pc !

Un jour, un élève a insisté pour venir au CDI. Il vint me chercher juste avant de descendre en permanence en me disant :
« Madame, est-ce que vous pouvez venir nous chercher pendant cette heure ?
– Oui, je descends dans 5 min, lui répondis-je, (le temps que tous les élèves soient rangés et installés en permanence).
– Est-ce que vous pourrez me prendre s’il vous plaît ?
– D’accord, mais va te ranger correctement en permanence. »
La règle veut que les élèves qui ne sont pas rangés en permanence, au moment où je descends pour les récupérer, ne soient pas pris au CDI. Cela évite qu’ils traînent dans les couloirs en prétendant aller au CDI.
Alors que je choisissais les élèves en permanence et que je cédais en prenant plus d’élèves, malgré le quota atteint, car certains élèves me disaient vouloir travailler, ce même garçon qui avait insisté pour venir me regarda avec un air déçu et me dit :
« C’est bon, Madame, je vais retourner en permanence.
– Pourquoi ? Toi qui voulais absolument venir il y a encore quelques minutes !
– Il y a trop de monde au CDI, ça ne va pas être bien. »
Surprise par sa réaction, je l’autorisai d’un signe de tête à retourner en permanence et me fis la réflexion de ne plus déroger au quota que je m’étais fixé. Non seulement, c’est plus facile à gérer pour moi, dès lors qu’il y a un nombre acceptable d’élèves, mais c’est également mieux pour les élèves eux-mêmes. Ils se sentent bien au CDI lorsque celui-ci constitue un environnement calme et propice au travail et à la lecture. Sa réaction me montre que les élèves eux-mêmes en sont conscients et, malgré leur frustration de ne pas être pris quand je viens les chercher, ils savent que lorsqu’ils viendront au CDI, ce sera en petit nombre et dans de bonnes conditions.

L’un des sujets qui me pose problème cette année, c’est bien de comprendre les cas particuliers auxquels j’ai affaire dans mon établissement, comme, par exemple, les élèves ULIS, mais aussi les enfants qui vivent en foyer ou qui sont victimes de violence physique ou morale à la maison. En effet, je n’ai pas reçu de formation pour comprendre ces élèves à besoins particuliers et j’en ressens un manque notable.

Je m’en suis précisément rendu compte au cours d’une discussion avec une amie au sujet d’un problème que je rencontrais avec un de mes élèves. Celui-ci devait rendre plusieurs livres au CDI et, après plusieurs rappels, considérant les livres comme perdus, je lui ai transmis une facture. Connaissant sa situation, je ne m’attendais pas à ce qu’il paie cette facture, mais c’était une manière de lui faire remarquer que son retard allait finir par poser problème. Sa réaction ne fut toutefois pas celle que j’attendais : il me rit au nez en me disant qu’il les rendrait quand Lui l’aurait décidé. Je décrivis davantage cet enfant à mon amie qui travaille dans la protection de l’enfance et elle m’expliqua : « L’enfant dont tu me parles est typiquement un enfant “abandonniste” ; il pense que s’il vit en foyer c’est uniquement de sa faute, pas celle de ses parents ou d’une autre personne, mais spécifiquement la sienne. Et il fera tout pour se mettre dans des situations qui l’accusent, pour se prouver que c’est bien lui le problème. Pour se donner raison. Laisse tomber tes livres, c’est le seul rapport qu’il a su construire avec toi, car c’est le seul rapport qu’il cherche à construire. Il faut que tu trouves le moyen de construire une autre relation avec lui que celle dans laquelle il est en faute. »
Mon approche n’était donc pas la bonne et je me rendis compte que n’ayant aucune expérience, aucune connaissance dans ce domaine, je n’aurais pas su qu’il fallait agir autrement sans cette explication. Il me semble impératif que je me forme à la psychologie de l’enfant et il serait intéressant d’ajouter ce domaine aux formations pour devenir enseignant.

Les « piliers du CDI » sont les élèves qui sont toujours présents, quel que soit le temps qu’il fait dehors, et qui deviennent à tour de rôle mes petit.e.s « assistant.e.s », au point qu’il m’arrive de devoir inventer des tâches à réaliser pour ne pas les décevoir lorsqu’ils viennent au CDI pour « me seconder » !

Un jour, j’aidais une élève à choisir un livre dans le CDI. J’avais missionné trois copines pour ranger les quelques livres qui étaient posés sur mon bureau. L’une d’elle, Inès, vint me voir au bout de quelques minutes, toute fière : « Madame ! J’ai rangé votre bureau ! » m’annonça-t-elle avec un grand sourire ! Je ne pus réprimer une grimace en me disant « oh la la, pourvu que je sache retrouver mes papiers ! » Je lui répondis : « Merci, mais j’espère que je vais savoir retrouver mes affaires ! » Elle rigola et me dit : « Oui oui, ne vous inquiétez pas ! ». Maintenant, je prends l’habitude de ranger très régulièrement mon bureau pour qu’elles n’aient pas l’impression que ce soit le bazar !

Une autre élève, Marion, aime particulièrement remettre les bandes dessinées dans les bacs, une fois que celles-ci sont sorties de quarantaine. Depuis le début de l’année, avec la crise sanitaire actuelle, j’ai organisé sous mon bureau des cartons de quarantaine étiquetés selon le jour où me sont rendus les livres. Ainsi, le jeudi, je remets habituellement les livres du lundi, et ainsi de suite. La petite Marion attend donc patiemment le jeudi matin pour pouvoir ranger les bandes dessinées dans les bacs, en fonction du nom de leur auteur. Cependant, un jour j’ai permis à une autre élève, qui avait une heure de permanence et qui voulait m’aider, de ranger les livres sous mon bureau. Elle les rangea tous sans exception et plus vite que je ne le pensais ! Quelle ne fut pas la déception de Marion à la récréation, lorsqu’elle découvrit que les bandes dessinées avaient déjà été remises dans les bacs ! Mais toute gentille elle me dit : « Ce n’est pas grave, mais la prochaine fois, dites-lui bien qu’elle peut ranger tous les autres livres, mais qu’il faut me laisser les bandes dessinées ». Je culpabilisai. Toutefois, il est difficile de satisfaire tout le monde !

Lors d’une récréation, Sofia vint me retrouver au CDI. Marion était près de moi et me racontait sa matinée. Sofia nous vit et, trop contente, posa son cartable sur le sol en disant : « Marion, Madame, j’ai une surprise pour vous ! ». Marion et moi nous nous regardâmes et fîmes les gros yeux, tout étonnées ! Sofia sortit de son sac deux sucettes et nous les tendit ! Surprise et très contente de ce petit geste je m’exclamai : « Ouah trop bien ! Merci beaucoup ! ».
Je crois bien que j’étais plus contente que la petite Marie, bien que je n’aime pas particulièrement les sucettes !

Depuis le début de l’année, je donne des cours d’éducation aux médias et à l’information à une classe de sixième, le mercredi matin, en demi-groupe. J’alterne en changeant de groupe en fonction des semaines A et B. J’ai pu obtenir cette classe de 6e à l’année pour leur éviter d’avoir une heure de trou annuelle. L’objectif que je me suis fixé est de créer une émission de webradio en remettant sur pied la webradio non utilisée du collège qui se trouve au CDI.
Tandis que je discutais avec un surveillant de mes projets avec cette classe, quel ne fut pas son étonnement lorsqu’il apprit que je donnais des cours ! Je lui expliquais alors mes fonctions et mes missions au sein de l’établissement et les différents projets que je commençais à mettre en place. Il était agréablement surpris de ma polyvalence, mais cela montre que, malheureusement, notre travail au sein de l’établissement n’est pas encore connu de tous nos collègues et le peu de retour que j’ai eu des parents d’élèves me montre, également qu’eux non plus ne savent pas ce que nous enseignons.

Dernièrement, j’ai rendu un petit contrôle de connaissance aux élèves. D’habitude, je les sermonne, car ils n’apprennent pas leurs leçons et ce depuis le début de l’année, mais, cette fois-ci, je préférai encourager leurs efforts. Je remis les devoirs aux élèves et deux d’entre elles, Alice et Louise, étaient plutôt fières, car elles avaient eu tout juste. Adèle, qui n’avait pas validé toutes les compétences, s’étonna d’un air boudeur qu’on puisse avoir tout juste. Je demandai alors aux filles si cela avait été difficile et elles répondirent que non, qu’elles avaient juste appris le cours. J’ajoutais qu’effectivement, il suffisait de passer une heure par semaine à apprendre le cours pour réussir mes devoirs. Je précisai également que Sofia avait, elle aussi, eu quasiment tout juste et, pourtant, elle n’avait révisé qu’une heure avec moi, juste avant le contrôle. Le groupe entier me regarda et Adèle répéta : « Vous êtes en train de dire que Sofia a eu tout juste et qu’elle a juste travaillé une heure avec vous ? ». Je répondis : « Oui, tout à fait. Je lui ai montré une bonne méthode pour apprendre et cela l’aide beaucoup à mémoriser le cours ». « Madame, moi aussi je veux faire une heure avec vous pour avoir tout juste à vos contrôles ! », s’exclama Adèle. D’autres élèves hochèrent la tête et je me fis la réflexion qu’il serait intéressant de mettre cela à exécution : peut-être fallait-il reprendre avec eux leur méthode d’apprentissage ?

Le tutorat que je propose à Sofia s’est installé de lui-même, naturellement. Alors qu’elle s’était assise à côté de moi pour réviser le premier petit contrôle que je leur avais proposé au début de l’année, je l’observais. Elle écrivait soigneusement sur une feuille uniquement les réponses notées dans les trous de sa fiche de cours (fiche à trous que nous remplissons ensemble pendant le cours pour que les élèves aient une trace). J’attendis un moment avant de lui poser des questions sur sa méthode d’apprentissage, mais en voyant qu’elle n’apprenait que ces « réponses » sans qu’il y ait de sens (par exemple, pour la définition d’un média, elle apprenait la définition « un moyen de communication » sans le relier à « un média est »), je finis par l’interrompre. Je lui proposai alors de créer des cartes pour mémoriser son cours, au recto, le terme à définir (un média), au verso, la définition (un moyen de communication, etc.). Prenant l’exercice pour un jeu, Sofia s’y prêta joyeusement (d’autant plus qu’elle a une bonne mémoire, si tant est que ce qu’elle apprend puisse faire sens dans son esprit). Une fois les cartes faites, je l’interrogeai et, toute fière, elle essaya de me donner les bonnes réponses. Cette méthode lui a permis de progresser. Je renouvellerai cette heure de tutorat avec elle l’année prochaine.

Nous avons obtenu la labellisation classe média pour l’an prochain et nous allons créer une classe média en 5e. Plusieurs collègues m’accompagnent dans ce projet : un professeur de technologie, la professeure d’éducation musicale, une enseignante de français et la médiatrice du collège. Les élèves auront une heure en demi-groupe par semaine en atelier et travailleront également sur le projet en classe entière avec leurs enseignants respectifs. Nous souhaitons remettre en marche la web radio du collège et cela nécessitera un petit réaménagement du CDI qui sera fait prochainement. Nous devons encore nous réunir afin de mettre au point un projet commun pour l’année et déterminer le rôle de chacun.

Plusieurs anecdotes me viennent à l’esprit, mais voici celle qui retranscrit le mieux la relation entre les élèves et le livre.

L’année dernière, le quart d’heure lecture a été instauré dans mon collège, mais avec la crise sanitaire, c’est la première année où les collègues essaient véritablement de mettre en place ce projet. Les enseignants sont mitigés quant aux bienfaits du quart d’heure lecture qui est assez difficile à mettre en place et à soutenir tout au long de l’année. Beaucoup d’élèves voient cela comme une contrainte et n’ont pas toujours de livre ou font semblant de le lire lorsqu’ils en ont un. Ils ont également du mal à choisir un livre selon leurs envies, privilégiant le plus petit livre ou le premier livre venu, évitant ainsi une punition potentielle s’ils viennent en classe sans livre.
Pour essayer d’aider les élèves dans leur choix, j’ai organisé pour plusieurs classes une séance au CDI leur permettant de choisir un livre. Pour cela, je leur ai distribué en amont des fiches lecteurs pour connaître leurs goûts et leurs envies. J’ai ensuite recherché dans le CDI les livres correspondant à leurs critères et j’ai organisé des tables de sélections thématiques. En arrivant au CDI, j’expliquai aux élèves les différentes sélections que j’avais faites et j’en profitai pour présenter certains livres. Tout au long de l’heure, les élèves étaient libres de parcourir les différentes tables mais aussi les rayons à la recherche d’un livre qui leur plairait. Ils pouvaient également me demander conseil, ce que firent quelques-uns d’entre eux. Une élève en particulier me demanda Les malheurs de Sophie. Je lui rapportai le livre en question, contente de l’avoir trouvé et alors que je le lui tendais elle me dit : « Je dois lire tout ça ? ». Le livre qu’elle n’avait pas encore en main, certes un peu vieux, faisait moins de deux cents pages. Étonnée, je lui répondis : « Il n’est pas si gros que ça et l’écriture est assez large. Il va se lire plus vite que tu ne penses. » Elle ne le prit pas.

Les élèves ont pour la plupart de grandes difficultés avec la lecture et il m’est arrivé à plusieurs reprises que l’on me fasse cette remarque. Certains d’entre eux lisent quelques pages et me rendent le livre sans l’avoir terminé. Lorsque des élèves que je ne connais pas bien me rendent un livre, je leur demande toujours :
« Est-ce qu’il t’a plu ?
– Oui, me répondent-ils la plupart du temps.
– Tu l’as lu en entier ?
– Presque, mais je ne l’ai pas terminé (le marque page est au début ou à la moitié du livre).
– Pourquoi tu n’es pas allé plus loin si tu as aimé l’histoire ? Veux-tu l’emprunter plus longtemps pour pouvoir le terminer ?
– Non c’est bon, ça m’ennuyait ou “J’ai perdu le fil”. »

L’an prochain, je vais mettre en avant quelques livres audio sur des tablettes pour que les élèves en difficulté puissent entrer dans la lecture différemment. J’aimerais également faire venir une conteuse professionnelle et faire tout un travail autour du conte.

Pour conclure, cette année est passée extrêmement vite ! J’avais plein d’idées de projets et de séances à mettre en place en arrivant au collège en septembre et je m’aperçois que je n’ai pas pu faire la moitié de ce que j’avais programmé. Il me faut également revoir à la baisse mes attentes vis-à-vis des élèves, lorsque je donne des cours d’EMI. J’ai une très bonne équipe dans mon établissement, toujours partante pour les projets. Enfin, je suis en train de réaménager le CDI et de repenser la disposition des livres dans les rayonnages pour les mettre davantage en valeur et attirer un peu plus l’œil des élèves.