Cultiver le bien-être des jeunes par le développement des compétences psychosociales

Pour Catherine Gueguen, pédiatre : « La mise en œuvre de ces compétences psychosociales est une vraie révolution éducative. Grâce à l’acquisition de ces compétences, l’enfant et l’adolescent progressent sur tous les plans : personnel, social et intellectuel. Ils s’épanouissent, savent avoir des relations satisfaisantes et améliorent leur réussite scolaire et ceci, même s’ils viennent de milieux très défavorisés, ce qui est un élément essentiel1 ». L’objectif est de donner des outils au jeune pour grandir heureux, épanoui et résilient. Car, s’il n’a pas toujours la main pour choisir les situations, il peut en revanche être outillé pour ne pas les subir et décider comment y répondre. Il est alors essentiel que l’approche ne soit pas que théorique, mais que l’élève expérimente les concepts dans une approche « tête, cœur, corps ».

Dès lors on peut s’interroger sur le rôle spécifique que peut avoir le professeur documentaliste, dans le développement des CPS. Nous reviendrons sur la définition de ces compétences puis sur le cadre institutionnel dans lequel le professeur documentaliste peut intervenir, enfin nous proposerons un éventail d’actions possibles et de ressources disponibles.

Compétences Psychosociales (CPS) de quoi parle-t-on ?

De nombreux termes désignent les Compétences Psychosociales (CPS) : life skills, soft skills, compétences sociales et émotionnelles ou socio-émotionnelles… Elles ont pour caractéristiques communes de désigner des compétences qui peuvent être enseignées et renforcées toute la vie. Elles concernent à la fois le rapport à soi et aux autres.
C’est dans les années 1990, que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit la notion de CPS dans un document consacré au développement de ces compétences en milieu scolaire : « La capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental, en adaptant un comportement approprié et positif, à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement2 ».

Depuis, d’autres définitions ont été proposées. J’ai choisi de présenter la plus récente, issue d’un rapport de Santé publique France publié en 2022 : « Les compétences psychosociales : état des connaissances scientifiques et théoriques3 ». Il propose un cadre de référence théorique s’appuyant sur l’état des connaissances actuelles, réalisé avec l’appui d’un comité de spécialistes scientifiques. Il sera complété par la suite, par des guides et des supports pratiques. Ce document définit les CPS comme « un ensemble cohérent et interrelié de capacités psychologiques (cognitives, émotionnelles et sociales), impliquant des connaissances, des processus intrapsychiques et des comportements spécifiques, qui permettent d’augmenter l’autonomisation et le pouvoir d’agir, de maintenir un état de bien-être psychique, de favoriser un fonctionnement individuel optimal et de développer des interactions constructives ».

Ce rapport identifie dix compétences et propose de les regrouper en trois catégories : compétences cognitives, émotionnelles et sociales, synthétisées dans ce schéma. Cette classification est particulièrement utile, car elle permet d’organiser les thématiques d’intervention autour des CPS.

Quels points d’appui dans les textes officiels ?

Voici un récolement de ceux-ci, non exhaustif, j’ai volontairement choisi les extraits les plus récents et signifiants :

• À la rentrée 2016, le nouveau Socle commun de connaissances et de compétences fait apparaître les CPS, en les rattachant au domaine 3 « La formation de la personne et du citoyen » : « l’élève exprime ses sentiments et ses émotions en utilisant un vocabulaire précis /…/ confiance en sa capacité de réussir et à progresser /…/ résoudre les conflits sans agressivité », « l’élève est capable de faire preuve d’empathie et de bienveillance ». Ce domaine 3 est également en lien avec deux parcours éducatifs : le parcours citoyen de l’élève et le parcours éducatif de santé.

• Le guide d’accompagnement pour la mise en œuvre du Parcours éducatif de santé (2016) indique que « le développement des compétences psychosociales des élèves /…/ est un levier pour la prévention et l’accompagnement du développement d’individus responsables et libres. C’est pourquoi le renforcement de ces compétences peut rentrer dans le cadre du parcours éducatif de santé4 ». Ce guide propose d’ailleurs en annexe un tableau de synthèse très intéressant, mettant en parallèle les CPS et les compétences du socle, renforçant ainsi l’aspect transdisciplinaire des interventions autour des CPS.

• Ces sources trouvent aussi écho avec le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat de l’éducation5, qui rappelle le rôle de l’ensemble de la communauté éducative « au service de la réussite de tous les élèves ». Les items 3 et 6 sont de précieux points d’appui : Item 3 – Connaître les élèves et les processus d’apprentissage : « Connaître les concepts fondamentaux de la psychologie de l’enfant, de l’adolescent et du jeune adulte. Connaître les processus et les mécanismes d’apprentissage, en prenant en compte les apports de la recherche. Tenir compte des dimensions cognitive, affective et relationnelle de l’enseignement et de l’action éducative. ». Dans l’item 6 – Agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques : « Apporter sa contribution à la mise en œuvre des éducations transversales, notamment l’éducation à la santé, l’éducation à la citoyenneté […] Contribuer à assurer le bien-être […] des élèves. »

• Naturellement, notre circulaire de mission nous invite à nous investir dans la mise en œuvre des parcours et à contribuer à l’éducation citoyenne de l’élève6.

• Enfin, le 19 août 2022, le gouvernement a diffusé une instruction interministérielle relative à « La stratégie nationale multisectorielle de développement des compétences psychosociales chez les enfants et les jeunes – 2022-2037 ».

Par ailleurs, le 30 mars 2023, est paru au Bulletin officiel un texte pour déployer des expérimentations autour des compétences socio-comportementales dans l’enseignement et la formation professionnels7.

Sur le plan local, les projets académiques peuvent aussi être de précieux points d’appui. Ainsi, le projet du Rectorat de Versailles, pour la période 2021-2024, met l’accent sur trois piliers : apprendre, s’épanouir, se transformer. L’objectif 2 invite à « un travail spécifique sur les compétences sociales et comportementales qui jouent un rôle central dans la capacité à apprendre et, plus encore, dans la réussite professionnelle. L’académie met donc résolument l’accent sur le développement de compétences comme l’estime de soi, la coopération, la persévérance, l’autonomie dans et hors la classe. Elle encourage les démarches pédagogiques qui les valorisent8 ».

Contribuer à l’enseignement des CPS et favoriser leur développement

Le rapport de Santé publique France, cité plus haut, invite à des enseignements spécifiques, formels ou informels des CPS, afin « d’accroître le bien-être psychologique, d’améliorer le fonctionnement individuel et relationnel, de construire des relations saines et positives, d’adopter des comportements favorables à la santé et de réduire les comportements à risque. […] Elles sont aussi associées à l’amélioration du climat scolaire, la réussite scolaire ».
Proposer un programme explicite autour des CPS peut surprendre et pourtant cela existe depuis de nombreuses années aux États-Unis, au Québec, au Royaume-Uni, en Belgique … C’est d’ailleurs en découvrant un reportage sur l’un de ces programmes, mené dans un collège allemand, que l’idée m’est venue d’explorer ce sujet et de me former9.

Les connaissances scientifiques montrent que pour qu’un cycle d’intervention autour des CPS puisse avoir des effets à court et long terme, il doit s’inscrire dans la durée et comporter plusieurs séances sur plusieurs années (avec un minimum de 20 h/an)10. La progression doit être structurée, à la fois au sein des différentes séances de la séquence, mais aussi au sein du cycle. Par sa spécificité d’intervention, le professeur documentaliste peut être force de proposition pour élaborer une progression pédagogique sur plusieurs années.

Avant de commencer ces séquences, il faut co-construire un ensemble de règles afin de créer une dynamique de groupe positive. Le respect de l’autre est le principe de base, chacun doit également se sentir libre de se tromper, de se questionner, d’exprimer sa pensée, ses émotions… L’écoute active est également indispensable, tout comme le respect du rythme de chacun. Il est essentiel, pour faire preuve d’empathie, d’être dans l’écoute, l’accueil et le non-jugement, tant de la part de l’adulte que des jeunes entre eux.

Il s’agit ensuite de créer une routine, une structure qui peut, par exemple, être la suivante :
1 – Météo des émotions
2 – Réactivation des séances précédentes
3 – Brainstorming sur la CPS travaillée
4 – Expérimentation par une activité ludique
ou créative
5 – Rétroaction, partage

Les séances de groupe durent en général 55 min. Afin de rendre visible qu’il s’agit d’un temps particulier, le cadre peut évoluer : soit en sortant de la salle de classe pour un autre lieu, comme le CDI, soit en proposant de s’asseoir sur des tapis de sol, ou encore sur des ballons …

Zoom sur une expérimentation : Programme Optimiste Personnalisé (POP)

Dans l’ensemble scolaire où j’exerce, je fais partie des enseignants qui mènent depuis quelques années des expérimentations de séances explicites autour des compétences psychosociales. Nous sommes plusieurs à nous être formés en psychopédagogie, d’autres en yoga dans l’éducation, en pensée visuelle, en gestion mentale ou encore en communication bienveillante. À la rentrée 2022, sous l’impulsion du chef d’établissement, une équipe d’enseignants volontaires s’est créée, coordonnée par une professeure de lettres. Ensemble, nous avons conçu un Programme Optimiste Personnalisé (POP). Ce projet est soutenu par la Cellule Académique Recherche Développement Innovation (CARDIE) et nous venons de le référencer sur le portail de l’innovation et de l’expérimentation pédagogiques : Innovathèque11.

Depuis septembre ce programme est proposé chaque semaine dans deux classes pilotes de 6e et une de 2de, les créneaux sont inscrits à l’emploi du temps. Les séances ayant lieu en demi-groupe, les 6e ont une séance POP tous les 15 jours et les 2de une séance par mois. L’objectif est de participer au bien-être des élèves en développant leurs compétences psychosociales. La programmation des séances s’organise autour de trois axes : connaissance de soi, apprendre à apprendre et gestion des émotions. Ils collent donc aux trois thématiques de Santé publique France citées plus haut. C’est dans les ateliers destinés aux collégiens que j’interviens. Voici le programme des ateliers qui ont été menés en 6e cette année :
• Comment je me sens ?
• Je bouge donc j’apprends !
• Qu’est-ce qui se passe dans ma tête ?
• Ma peur et moi
• Mes rêves
• La roue des émotions
• Communication bienveillante
• Plein la tête ! (Émissivité / réceptivité)
• Cultiver la joie !
• Dire merci ! (Gratitude)
À chaque séance, une synthèse est distribuée aux élèves, afin de garder une trace dans leur lutin des concepts et outils découverts.

Sketchnote de la séance « Comment je me sens ? »

Concrètement, que fait-on dans une séance ?
Exemple : « Cultiver la joie ! »

Accueil : Météo des émotions

Activité 1 : Mes sources de joie
Construction de la cocotte ci-contre + jeu en binôme

Activité 2 : Brainstorming :
Comprendre et nommer la joie

• Toutes les émotions sont utiles (il n’y a pas d’émotion négative ou positive, mais une émotion agréable ou désagréable)
• Joie : une boussole nous oriente vers ce qui nous fait du bien ou nous indique que nos besoins sont satisfaits
• Vocabulaire de la joie : différentes intensités

Activité 3 : La joie … ça fait quoi ?

Dessiner les contours de sa main sur une feuille (activité individuelle) :
Paume : décrire la situation
Pouce : sensations physiques ressenties
Index : pensées qui nous ont habité
Majeur : paroles qu’on a prononcées
Annulaire : gestes et comportements
Auriculaire : nom de l’émotion
Partage : Quand une émotion nous traverse, notre corps réagit, nos pensées s’activent et entraînent des réactions expressives et comportementales.
Comment reconnaître la joie ? quels signes dans notre corps ? notre tête ? notre cœur ?

POP est aussi décliné à la carte dans d’autres classes : du primaire au lycée, pour des interventions ponctuelles ou sur plusieurs séances, à la demande des enseignants. Enfin, une soirée a été organisée avec les familles des classes pilotes afin que les jeunes puissent partager leurs vécus.
Autre possibilité pour le professeur documentaliste pour cultiver les CPS : proposer des ateliers sur la pause méridienne. C’est la solution retenue par plusieurs collègues. Certes, ce format ne touche que les élèves volontaires, mais c’est une façon de commencer à semer des graines sur ces habiletés, de susciter la curiosité chez des collègues, afin d’envisager un cadre d’intervention plus large dans un deuxième temps. C’est d’ailleurs parce que j’ai été inspirée par l’expérience et l’ouvrage de Mathilde Bernos, professeure documentaliste, que je propose cette année un club « Respiration Créative », avec pour objectif d’utiliser la créativité pour cultiver les CPS.

Dans le cadre de sa mission d’ouverture culturelle, le professeur documentaliste peut également prendre appui sur des semaines thématiques, comme la « Semaine du bonheur à l’école », pour proposer différentes interventions. Cette opération a été lancée en 2020 par le laboratoire BONHEURS de Cergy université et a lieu autour du 20 mars. Un livret est diffusé à cette occasion, proposant de nombreuses idées d’activités autour de cinq thèmes : connaissance de soi ; conscience des émotions ; réguler ses émotions ; relations constructives : savoir s’affirmer ; développer des attitudes et comportements prosociaux.

Enfin, pour favoriser l’acquisition des CPS, le professeur documentaliste peut proposer au CDI un fonds spécifique avec une sélection de ressources documentaires, de fictions, mais aussi des jeux de société. Idéalement, un rayonnage est clairement identifié, avec des ressources présentées ou expérimentées préalablement afin de susciter la curiosité. Une sélection d’audios de relaxation et de ressources pour accueillir ses émotions peut être publiée sur le portail e-sidoc.
Concernant l’organisation spatiale dans le CDI, commun aux collégiens et lycéens, nous disposons de deux petites salles vitrées que nous avons appelées « bulles ». Elles peuvent accueillir quatre élèves maximum pour la réalisation d’un travail de groupe, la pratique d’un jeu de société ou pour un temps calme. On peut aussi installer dans le CDI ou dans une petite salle attenante des assises différentes comme des poufs, des ballons ou des tapis de sol permettant de s’adapter au besoin du moment de l’élève. Pour cultiver le bien-être, il est possible de mettre à disposition des coloriages comme des mandalas pour la concentration, des casques antibruit pour faciliter la reconnexion à soi, des balles anti-stress, un bocal de citations positives…

Pour conclure, les CPS sont des habiletés qui se développent au gré des expériences vécues, pour mieux vivre avec soi et avec les autres. Elles vont soutenir le pouvoir d’agir des jeunes et leur bien-être dans toutes ses dimensions : physique, physiologique, social et émotionnel. Elles vont bien sûr avoir un impact positif sur le climat scolaire en favorisant des interactions sociales positives. Pour Laure Reynaud, co-fondatrice de Scholavie « un élève qui sait gérer son stress, maitriser ses émotions, qui se montre créatif, ouvert d’esprit et curieux, est un élève plus actif, engagé dans son apprentissage et dans sa relation à l’autre. C’est aussi un élève qui réussit mieux ». Dès lors, on peut dire que l’apprentissage des CPS est aussi important que l’apprentissage des savoirs académiques, dont elles contribuent d’ailleurs à l’acquisition. Les CPS sont transversales, car elles dépassent le champ des disciplines, mais aussi car elles sont mobilisables dans différentes situations. Le professeur documentaliste, par son rôle singulier au sein d’un établissement, a toute sa place dans le développement des compétences psychosociales. Par sa relative liberté d’intervention, il peut insuffler des projets sur ces thématiques, avec des modalités de mise en œuvre et de partenariats au sein de la communauté éducative très variées. En tant qu’enseignant, il peut intervenir dans le cadre des compétences communes à tous les professeurs mais également dans le champ spécifique de ses différentes missions : en proposant une programmation de séances sur le temps long autour des CPS, en recourant à des pratiques diversifiées d’enseignement et de communication – brainstorming, sketchnoting, cartes mentales, jeux – notamment, en initiant des projets d’ouverture culturelle, en développant un fonds spécifique, ou encore en créant un environnement éducatif favorable au développement des compétences psychosociales des élèves.

 

 

 

Apprendre en conscience et en confiance au CDI avec les neurosciences

Cet article se propose, dans un premier temps, de faire le point sur les grands apports des neurosciences cognitives, puis de témoigner, dans un second temps, du changement de pratiques qu’elles impliquent pour la professeure documentaliste que je suis.
Pour y voir plus clair, commençons par un tour d’horizon des dernières découvertes. Si elles balaient certains neuromythes, elles confirment aussi ce que Freinet, Piaget, Montessori, Jonask avaient déjà mis en évidence en leur temps.

Neurosciences cognitives : les essentiels

De quoi parle-t-on ?

Les neurosciences cognitives s’intéressent aux grandes fonctions mentales comme la perception, la mémoire, le raisonnement, le langage, les émotions, la motricité, la communication. Elles ont pour but l’étude des propriétés de ces fonctions mentales, des mécanismes psychologiques qui les sous-tendent, et des mécanismes biologiques qui les rendent possibles.

Notre cerveau : un immense réseau de connexions

Le cerveau est un dispositif complexe de traitement de l’information : filtrage, focalisation de l’attention sur certaines données, mise en forme, combinaison selon des modalités et stratégies mentales (dites heuristiques) diverses : association, analogie, induction, abduction.
Il est structuré dès la naissance et ses différentes aires sont activées très tôt.
Le neurone est l’unité de traitement de l’information. Le nombre total de neurones dans l’encéphale est de l’ordre de 100 milliards pour un organe pesant 1,3 à 1,4 kg.
Les neurones communiquent entre eux par signaux électriques, appelés influx nerveux. Ces derniers émettent des connexions avec d’autres neurones par l’intermédiaire de terminaisons, les synapses. Chaque neurone établit environ 10 000 contacts avec d’autres cellules nerveuses.

Plastique et fantastique !

La neuroimagerie a permis de mettre en évidence un phénomène important : la plasticité cérébrale.
Elle repose sur trois composantes :

– La plasticité synaptique
L’apprentissage correspond au renforcement de l’activité synaptique entre deux neurones. Stimulés, les synapses se renforcent, non stimulés, ils disparaissent. Le nombre de voisins connectés d’un neurone peut être multiplié par 10, par 100, de 1000 à 100 000 par les expériences vécues ou l’entraînement.
Jean-Pierre Changeux et Stanislas Dehaene ont démontré que lors de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, un circuit neuro-culturel inédit se forme : l’action de l’école modifie la configuration cérébrale.

– La plasticité neuronale
Si le stock définitif de neurones est à peu près constitué à la naissance, de nouveaux neurones vont naître uniquement dans certaines zones du cerveau comme l’hippocampe, mais en nombre limité.

– La plasticité des zones du cerveau
La surface de certaines zones cérébrales peut être augmentée en fonction de certaines activités.
Ainsi, la macrostructure du cerveau humain est la même pour tous, sans distinction de genre, l’apprentissage modifie la configuration du cerveau de l’apprenant et cela tout au long de sa vie. Chaque apprenant peut créer des connexions nouvelles et améliorer ses capacités cognitives même si cela devient plus difficile avec l’âge. La « spécialisation » légendaire des esprits viendrait plutôt du temps que nous consacrons, ou pas, aux apprentissages concernés (Dehaene, 2013).
Ainsi, l’idée que nous n’utilisons que 10 % des capacités de notre cerveau ou que les garçons sont naturellement meilleurs en mathématiques est totalement erronée.

Il n’y a pas de mauvaise mémoire !

Mnésis est un modèle néostructural intersystémique de la mémoire humaine, proposé par les psychologues Francis Eustache et Béatrice Desgranges en 2003. Il établit qu’il existe 5 familles de mémoire.

Les cinq familles de mémoire

Ces différentes formes de mémoire sont complémentaires, elles participent toutes en système à l’exécution des tâches cognitives.
La mémoire de travail, mémoire à court terme, a une importance particulière : elle retient temporairement les informations et les manipule pour les tâches cognitives telles que l’apprentissage, le raisonnement et la compréhension (Baddeley, 1993). Mais sa capacité est limitée par l’empan mnésique : elle ne peut travailler qu’avec 5 à 9 items, au-delà elle est en surcharge cognitive. L’hétérogénéité des élèves et donc de leurs acquis explique que, face à la même tâche ou leçon à mémoriser, certains seront en surcharge cognitive. Le vocabulaire est d’ailleurs l’un des premiers facteurs de surcharge cognitive, plus particulièrement chez les élèves issus de milieux défavorisés. La compréhension ne dépend pas d’un degré d’intelligence préexistant mais plutôt de la capacité à stocker, rappeler et mettre en lien par analogie une série d’informations et procédures, disponibles en mémoire et transférables.

Quatre fameux piliers

Le laboratoire Neurospin, dirigé par Stanislas Dehaene, est un centre de recherche pour l’innovation en imagerie cérébrale situé sur le site du CEA Paris-Saclay. Ses travaux ont mis en évidence quatre piliers pour l’apprentissage : l’attention, le retour sur l’erreur, l’engagement actif, la consolidation mnésique (passage de la mémoire à court terme vers la mémoire à long terme).

1 – L’attention ou contrôle exécutif
L’attention, d’une importance capitale, agit comme un filtre : elle laisse donc passer beaucoup d’informations. Très fragile, elle cède facilement aux distracteurs. Comme l’indique Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche à l’INSERM spécialiste de l’attention, elle se travaille et se développe. Cela commence par une prise de conscience des moments où nous devons être attentifs et à quoi nous devons l’être.
En effet, contrairement à certains neuromythes, on ne peut en aucun cas être multitâche sauf dans le cas d’une procédure automatisée (je peux conduire en récitant un texte, faire du vélo en pensant à la déclaration d’amour que je souhaite faire…).
Pour favoriser l’attention, il est important de poser un cadre sécurisant : les travaux de Daniel Favre et de Francis Eustache ont montré que l’état émotionnel des adolescents est indissociable de leurs apprentissages et peuvent totalement les parasiter.
Selon JP Lachaux, les distractions (sonores, visuelles…) doivent être évitées, les différents canaux sensoriels sollicités. Par exemple on écrira les points essentiels à retenir d’une séance sur un tableau blanc en même temps que l’on énoncera ceux-ci à voix haute. Le tableau doit rester clair, lisible, éviter les surcharges. Chaque fois que cela est possible, on essaiera d’ancrer les apprentissages dans le concret par des exemples. On veillera également à éviter les doubles tâches et à privilégier un enseignement fractionné plutôt que massif.
La chercheuse américaine Adele Diamond a également identifié des activités favorisant l’attention : les jeux, y compris certains jeux vidéos, les sports aérobie, les entraînements moteurs sur le modèle de ceux de Montessori, la pratique d’un instrument de musique, le yoga, la méditation.

2 – L’engagement actif
Rien de tel pour mémoriser de nouvelles connaissances que de s’interroger, émettre des hypothèses, faire des expériences pour essayer de vraiment comprendre de quoi on parle. L’auto-évaluation et les pédagogies actives favorisent donc les apprentissages.
On privilégiera donc les tests de questionnement, le mise en forme (schémas, cartes mentales…), tout ce qui peut éviter à notre cerveau d’être passif (simple relecture d’un cours).

3 – Le retour sur l’erreur
Notre cerveau n’apprend que s’il reçoit des signaux d’erreur qui lui indiquent que son modèle interne doit être rectifié. L’erreur est donc non seulement normale, mais indispensable à l’apprentissage. Le retour sur l’erreur doit être le plus proche possible de l’erreur dans le temps afin de permettre au cerveau de formuler une nouvelle hypothèse.

4 – La consolidation des apprentissages et l’importance du sommeil pour l’optimisation de la mémoire
Nous avons défini plus haut l’empan mnésique : afin de libérer de la mémoire de travail pour se mobiliser sur de nouvelles tâches, il faut que les informations passent dans la mémoire à long terme, que ce soit en mémoire sémantique (exemple : sens des mots) ou en mémoire procédurale (exemple : lecture). Les travaux du psychologue allemand Hermann Ebbinghaus qui publia en 1885 la Courbe de l’oubli expliquent le phénomène suivant : lorsqu’une information est emmagasinée depuis peu, pour éviter son oubli, il faut la réactiver assez rapidement. Lorsque le cerveau recherche la notion en mémoire, la trace de cette recherche se stabilise dans le cerveau, la connexion à cette information devient plus rapide et se fixe. Ensuite on peut espacer les rappels de cette notion avec des intervalles de plus en plus grands afin qu’elle passe en mémoire à long terme. Plus récemment le chercheur cognitiviste américain Steve Masson a démontré que, non ravivée, la trace mnésique finit par disparaître.

Vive la sieste !

Autre élément indispensable à la mémorisation : le sommeil et en particulier la sieste. Le sommeil fait partie de notre algorithme d’apprentissage et permet la consolidation. Des périodes de sommeil, même courtes, favorisent les apprentissages. Si la sieste disparaît de l’école après l’école maternelle, on peut imaginer de courts moments de mise au calme des esprits avec des applications telles que Petit bambou ou tout simplement des moments de silence…

Réfléchir c’est résister

Le contrôle de la pensée suppose de trouver un équilibre entre deux systèmes de pensée : le système 1, système de mécanisme automatique rapide et intuitif, prédictif, qui conduit souvent à des erreurs ; le système 2, algorithmique, qui fait appel à la réflexion, à la logique (Kahneman, 2012). Olivier Houdé, directeur du Laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant (La PsyDé) avance l’idée de l’existence d’un troisième système : le système de résistance cognitive (inhibition). Celui-ci permet la pensée réfléchie. Il est nécessaire à la résolution de problèmes complexes ainsi qu’à la pensée critique que nous tentons de développer chez nos élèves.

Olivier Houdé propose d’entraîner les élèves à travailler leur système de résistance en leur apprenant à déjouer les biais cognitifs. Il donne notamment l’exemple d’un biais courant en mathématiques : Sylvie a 25 billes, elle en a 5 de plus que Paul. Combien Paul a-t-il de billes ? Beaucoup d’enfants répondront 25 à cause du biais « + = addition ». Cette résistance cognitive passe par un apprentissage de l’inhibition avec alerte sur le risque d’erreur. La plateforme « Léa » propose également de nombreux entraînements de ce type.

Shootons nos élèves à la dopamine !

Mis en évidence dans les années 50 par les travaux de Skinner, le circuit de la récompense qui permet la production de dopamine (hormone du plaisir et du bien-être) a donné lieu à des recherches sur la motivation. Pour qu’un élève retrouve le chemin de la motivation, il faut activer son circuit de la récompense qui le conduira, par anticipation de l’activation de ce circuit, à être motivé pour une tâche. Une motivation intrinsèque qui n’est possible que si la tâche à accomplir est atteignable, c’est-à-dire ni trop facile ni trop difficile. Le travail en ceintures proposé en son temps par Houry dans le cadre des pédagogies coopératives repose d’ailleurs sur ce principe d’individualisation des rythmes et des objectifs.

Connaître et comprendre son cerveau

L’apprentissage du fonctionnement de son cerveau par l’apprenant, c’est-à-dire la métacognition, la réflexion et le retour réflexif sur son apprentissage, est indispensable.
Comme le précise Stanislas Dehaene au micro de Laure Adler dans son émission l’Heure Bleue en novembre 2021, ces découvertes ne constituent nullement des recettes miracles ou exclusives mais représentent plutôt des fondamentaux sur lesquels s’appuyer dans la construction de scenarii pédagogiques.
De nombreux groupes de recherche s’appuyant sur les sciences cognitives ont déjà vu le jour : dans le premier degré, les groupes GFA, (Groupes de formation action) qui travaillent en partenariat avec le laboratoire d’Olivier Houdé, dans le secondaire le dispositif Léa ; les Cogniclasses pilotées par Jean-Luc Berthier, ancien enseignant et chef d’établissement, devenu spécialiste des neurosciences cognitives.
Tous ces groupes et laboratoires de recherche encouragent la métacognition : il s’agit de former les élèves au fonctionnement de leur cerveau en apprentissage.

Comment intégrer ces pistes dans nos pratiques ?

Professeure documentaliste au collège Irène Joliot Curie à Aigues-Mortes, j’ai été formée aux neurosciences cognitives dès 2011, j’ai intégré ensuite un cercle d’études dédié de 2017 à 2019. J’ai alors ressenti le besoin et le désir d’enrichir ma pratique puis de repenser l’espace CDI à la lumière des apports des neurosciences. Les formations suivies m’ont permis de franchir certains pas dans le changement de mes pratiques alors que j’hésitais jusque-là. Disons qu’elles m’ont offert une légitimité.

Poursuivre sur la voie de la pédagogie de projets et de la pédagogie active

Les formations que j’ai suivies ont montré que la pédagogie de projet, dans laquelle nous, professeurs documentalistes, sommes très souvent engagés, favorise les apprentissages : fractionnement de ceux-ci, objectifs à court et long terme, développement de compétences pour une production finale, travail en îlots, développement de plan d’action, carnet de bord, mise en activité de l’élève… J’ai donc poursuivi mon engagement dans des projets.
J’ai retravaillé plusieurs de mes séances pour les ludiciser, proposer un travail en ceintures, rendre les élèves plus autonomes et acteurs, en essayant de mobiliser leur attention.

Ludicisation et travail par ceintures en sixième

J’ai par exemple remplacé la traditionnelle (et parfois rébarbative) séance de visite du CDI par un escape game. Enfermés dans le CDI par un groupuscule malveillant tentant de détruire la connaissance et d’emprisonner les lecteurs, les élèves, par îlots, doivent résoudre trois énigmes successives conduisant à la découverte de trois mots. Ces mots permettent de construire une formule qui sera échangée contre la clé du CDI. Le contexte du jeu avec environnement sonore a été conçu sur un genially.
Chaque équipe se connecte, visionne le genially et découvre sa première énigme (un parcours par équipe pour éviter que les équipes se retrouvent toutes au même endroit). Première étape pour chaque équipe : trouver son carnet de bord et distribuer les rôles. Les cotes des romans ou documentaires deviennent des codes à déchiffrer (des panneaux expliquant la construction des cotes ont été installés au CDI pour faciliter l’autonomie de élèves), des mots sont à trouver sur la quatrième de couverture ou sur une page indiquée. Chaque parcours suppose de comprendre la signalétique du CDI et d’en découvrir les différents espaces.

Copie d’écran : découverte de la feuille de route sur genially

Au sein de chaque îlot, chaque élève a un rôle précis : scribe, maître du temps, maître des émotions. Chaque équipe a droit à deux jokers. Pour résoudre les énigmes, il est important de se contrôler, de réfléchir et de résister, donc d’être attentif. La séance suivante est consacrée à un debriefing avec rappel des notions vues, des connaissances et compétences acquises.

Par ailleurs, la séquence d’initiation à e-sidoc repose sur le travail en ceintures, adapté pour chaque classe de sixième à un projet dans lequel la classe est impliquée. Chaque ceinture oblige à une navigation dans e-sidoc et l’élève doit répondre à des questions. Le niveau de difficulté augmente avec les ceintures.
Les élèves ayant validé une ceinture peuvent passer à la ceinture suivante ou devenir tuteur et aider un camarade. Les élèves travaillant en autonomie, je dispose de plus de temps pour accompagner les plus fragiles.

Développer l’esprit critique en classe de troisième

Dans le cadre d’un travail sur l’esprit critique en classe de 3e avec des collègues de SVT et de français, nous avons développé une séance sur les biais cognitifs afin de travailler l’inhibition mise en évidence par Olivier Houdé. Nous nous sommes inspirés pour cette séance du travail de l’association Cortecs, pour l’autodéfense intellectuelle.
Les élèves doivent associer une affirmation repérée sur un article ou un site à un biais cognitif couramment utilisé :

Exemple 1
« Je veux un bon climat ! Et nous allons en avoir un ! »
Citation de Donald Trump le 17 octobre 2018
Biais : L’illusion de contrôle
Méthode : tendance des humains à surestimer leur capacité à contrôler et à influencer les événements.

Exemple 2
« Ivar Giaever et Kary Mullis, sont climatosceptiques et ils ont obtenu le prix Nobel, c’est bien que le changement climatique est une imposture ! »
Biais : l’argument d’autorité
Méthode : Invoquer une personnalité faisant, ou semblant faire, autorité dans le domaine concerné.

Exemple 3
« Si 35 % des Français* se déclarent climatosceptiques ça prouve que le débat sur le changement climatique n’est pas terminé. »
*sondage publié en 2013 par le Commissariat général au développement durable à partir des données du baromètre d’opinion sur l’énergie et le climat en 2013
Biais : l’appel à la popularité
Méthode : Invoquer le grand nombre de personnes qui adhèrent à une idée.

Favoriser la métacognition

Avec deux collègues de SVT nous avons développé deux séances consacrées à la métacognition, proposées aux classes de sixième en amont des premières heures de « devoirs faits ». Elles reposent sur des apports théoriques, des tests et des vidéos de sensibilisation. Dans ce cadre, nous leur présentions des vidéos de sensibilisation à l’attention disponibles sur Youtube.
Whodonnut : https://www.youtube.com/watch?v=ubNF9QNEQLA
Gorilles : https://www.youtube.com/watch?v=vJG698U2Mvo

Nous utilisons également le test de Stroop.
Dans le cadre de « devoirs faits » toujours, les élèves disposent d’outils très simples sous forme de fiches de questionnement quintilien pour faciliter leur mémorisation. Ils rédigent des questions sur leurs cours ainsi que les réponses puis s’autotestent ou se testent entre pairs (des tableaux blancs et des feutres ont été mis à disposition s’ils le souhaitent).

Test de Stroop

Un espace et des ressources adaptées

Le fonds physique et numérique du CDI a été enrichi afin de faciliter la métacognition l’objectif étant, à terme, d’en faire un tiers lieu facilitateur d’apprentissages.
J’ai d’abord constitué un fonds dédié à la métacognition en direction des élèves, constitué des ouvrages suivants :
Houdé, Olivier, Borst, Grégoire, Laurent, Mathilde. Mon cerveau, Nathan, 2021
Borst, Grégoire., Cassoti, Mathieu. C’est (pas) moi, c’est mon cerveau. Un livre pour comprendre enfin ce qui se passe dans ta tête. Nathan, 2019.
Lachaux, Jean-Philippe. Les petites bulles de l’attention : se concentrer dans un monde de distractions. Odile Jacob, 2016.
Pasquinelli, Ellena. (2015). Mon cerveau, ce héros, Mythes et réalités. Le Pommier, 2015.

Parallèlement, je m’appuie sur un fonds numérique avec des sites dédiés tels que :
Sciences cognitives : des enjeux multiples pour l’humain [en ligne]. Les Savanturiers, 2019 [consulté le 10/03/2023]. 1 vidéo : 2 min 41 s. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=EjZKwKoppLs&list=PLyIiAQ7OL4c0NpTiEcuTwvorUFrq8U5Po&index=4
Savoir apprendre, la catégorisation [en ligne]. Les fondamentaux, 2021 [consulté le 10/03/2023]. 1 vidéo : 2 min 03 s. Disponible à l’adresse : https://lesfondamentaux.reseau-canope.fr/video/francais/orthographe/savoir-apprendre/savoir-apprendre-la-categorisation

Très utiles pour le testing, j’utilise et je propose à mes collègues divers outils numériques.
Parmi eux, Plickers, qui permet de sonder une classe ou un groupe d’apprenants sans que ces derniers soient équipés d’ordinateurs, tablettes ou smartphones. Les questions s’affichent au tableau, les élèves répondent sous forme de QR code imprimés…
Pour fabriquer des QCM, j’utilise Kahoot, application en ligne compatible RGPD, ou encore Quizlet ou Socrative qui proposent des modes ludiques assez prisés des élèves, notamment le mode « race » de Socrative grâce auquel on visualise l’avancée des équipes (sous forme de fusées) en temps réel.

Exemple de question dans un quizz kahoot en sixième

Il existe d’autres outils parmi lesquels :
Quizinière. Cet outil, proposé par Canopé, propose de nombreuses activités et facilite la différenciation pédagogique : textes à trous, QCM, dessins, enregistrements audios, vidéos, formules mathématiques, etc. Avantage notable : sa conformité au Règlement général sur la protection des données.
La plateforme Wooflash, rubriques « mes cours », propose des flashcards et autres outils de testing.
Anki, une application téléchargeable d’autotesting qui permet aux élèves de créer des paquets de questions puis de s’autotester selon des reprises expansées ; il s’adresse plutôt au niveau lycée.

Un aménagement du CDI repensé

Deux tableaux blancs avec feutres de couleur (malheureusement sans roulettes ce qui m’oblige à les porter régulièrement pour les déplacer) ont été installés : les élèves peuvent les utiliser en binômes ou en équipe pour résoudre des problèmes, des exercices, réviser un cours, se tester sur du vocabulaire. Ils sont très friands de cette modalité.
Les élèves peuvent travailler au choix sur de petites tables basses dont j’ai fait l’acquisition, allongés sur une estrade, à une table classique, assis par terre…
À la rentrée prochaine, le CDI va être équipé d’assises mobiles au sol, de quatre chaises de travail à roulettes et d’un paravent pour s’isoler ou isoler un groupe.

Offrir un cadre sécurisant et apaisé

L’accueil au CDI a été ritualisé : j’accueille chaque début d’heure les élèves devant l’entrée du CDI en les saluant individuellement, ils rentrent par groupe de cinq, nous faisons l’appel, puis chacun m’explique brièvement son projet du jour au CDI. Ce sas permet une décompression et facilite l’entrée dans le lieu, l’apprentissage de ses règles, le respect de son cadre.
Mes séances débutent et se terminent souvent par une météo du groupe.
Un espace zen a été créé, proposant fidgets, coussins à piquots, balles souples, ou encore coloriages et roue des émotions. Il sera enrichi prochainement par un fat boy et des coussins.
Pour favoriser des moments de détente, il n’est pas rare que mes séances pédagogiques débutent par un peu de relaxation, avec ou sans musique en m’aidant parfois de l’application Petit Bambou.
De la même façon, une heure du conte bimensuelle a été instaurée sur la pause méridienne : les élèves peuvent s’allonger, se déchausser, amener leur coussin ou plaid en attendant que la commande arrive, et même, s’endormir…

Apprendre avec le jeu

M’appuyant sur l’expérience de collègues, une formation dédiée et le catalogue Canopé, j’ai développé une ludothèque adaptée. Les jeux sont autorisés, sur la pause méridienne uniquement pour l’instant, mais je pense expérimenter à la rentrée prochaine l’ouverture d’autres créneaux horaires.
On trouvera dans ce tableau quelques jeux pouvant être utilisés mais cette liste est loin d’être exhaustive ou prescriptive.


L’objectif de ces aménagements est de permettre d’offrir à chacun la possibilité de trouver une modalité et des ressources facilitant son entrée, sa progression et son autonomie dans les apprentissages.
Ainsi les neurosciences cognitives apportent un éclairage nouveau sur les apprentissages. Les pistes issues des travaux de nombreux chercheurs peuvent baliser notre propre chemin de recherche pédagogique et nourrir notre réflexion sur l’aménagement de nos centres de ressources en constante mutation. Elles apportent des clés pour la formation à l’esprit critique et l’économie de l’attention, au cœur de notre métier. De nouveaux champs d’investigation sont déjà ouverts parmi lesquels les compétences psychosociales, qui, elles aussi, pourraient nous amener à repenser les CDI dans un futur proche.

 

Un groupe Zèbres pour les élèves à Haut Potentiel

Les élèves à haut potentiel, des élèves à besoins éducatifs particuliers

Un élève à haut potentiel intellectuel n’est pas forcément un élève brillant scolairement, mais un enfant qui se caractérise par un fonctionnement cognitif particulier. Il pense autrement, ses processus d’apprentissage, de compréhension, ainsi que sa sensibilité sont particuliers.

Une diversité de profils

Aucun terme ne rend compte d’une manière satisfaisante des particularités de ces élèves. « Surdoué » laisse entendre une capacité hors norme (alors qu’un enfant HPI n’est pas forcément brillant en tout). « Génie » est évidemment encore plus connoté, notamment sur le plan historique, et est à écarter. « Précoce » ou « Intellectuellement Précoce » implique une avance par rapport à l’âge réel de l’enfant, et il existe effectivement souvent un décalage ; mais un enfant précoce deviendra adulte, or cette sensation de décalage subsiste à l’âge adulte. Gifted (doué) ou Talented  (talentueux) utilisés aux États-Unis et au Canada impliquent la notion de don, de talent inné qu’il faudrait à tout prix développer pour en faire quelque chose. L’expression « HPI » est souvent utilisée et a été popularisée par une série télévisée, au risque peut-être d’en faire une caricature.

« Zèbre » est le terme inventé par Jeanne Siaud-Facchin (2008), psychologue clinicienne et psychothérapeute, pour définir les « singularités » de ces personnes, et c’est celui que nous avons privilégié pour nommer un groupe de parole créé au sein du collège. Les élèves eux-mêmes n’apprécient pas toujours ce qualificatif animal et en ont inventé un nouveau : le groupe « Quetzalcoatl », dieu serpent à plumes des Aztèques, qui selon eux signifie le mieux leurs centres d’intérêt communs pour la mythologie, l’histoire ancienne, les animaux et les dinosaures. C’est tout dire de la curiosité et de la vivacité d’esprit de ces élèves…
Les personnes à haut potentiel se caractérisent par un score aux échelles psychométriques très supérieur à la moyenne (QI > 130 alors que la moyenne est à 100) et par une pensée en arborescence (une idée en entraîne plusieurs autres, alors que la plupart des gens fonctionnent de manière linéaire). Concrètement, leur cerveau fonctionne plus rapidement et plus efficacement. Ils comprennent vite, ont un sens critique très développé, un raisonnement pertinent, surprennent parfois par leurs connaissances. Aucune liste ne peut prétendre définir parfaitement cette population, puisque ce sont des personnes au profil hétérogène, mais certaines caractéristiques semblent revenir d’un sujet à l’autre (Revol, Poulin & Perrodin, 2015). Les HPI sont curieux, sensibles à l’injustice, aiment faire plusieurs choses à la fois, passer rapidement d’une activité à une autre ; ils ont souvent des centres d’intérêt très forts (et variables), des passions ciblées qu’ils ont du mal à partager avec les autres, une mémoire exceptionnelle, une énergie débordante.

Le haut potentiel peut être couplé avec une hypersensibilité, d’autant plus difficile à gérer que le traitement cognitif prend chez eux le pas sur le ressenti émotionnel (Brasseur & Cuche, 2021) : un événement mineur peut alors déclencher un cataclysme émotionnel (pleurs, cris, crise de colère, crise d’angoisse…). Ils ressentent souvent les émotions des autres (hyper empathie). Ce sont aussi leurs cinq sens qui sont exacerbés et leur font ressentir les sons, les couleurs, les odeurs, de façon plus intense (l’enfant qui n’aime pas la vinaigrette en sent l’odeur depuis l’étage de la maison…). Leurs réactions à ces stimuli sont parfois jugées excessives par l’entourage non HP, alors qu’ils ne les maîtrisent pas.

Toutes ces informations et ces sensations extrêmes arrivent dans le cerveau sans toujours être filtrées correctement : c’est ce que l’on appelle le « déficit d’inhibition latente » (le cerveau peine à hiérarchiser et à faire le tri) qui donne au zèbre l’impression épuisante d’en avoir « plein la tête », de ne jamais pouvoir mettre le cerveau en pause (d’où des insomnies fréquentes)… et de poser à l’adulte des tas de questions cruciales au moment où il faudrait dormir, telles que « pourquoi les escargots n’avancent jamais à reculons ? » (question d’une enfant de 2 ans et demi).

Les HPI ont une mémoire surprenante… pour les domaines qui les intéressent ! Des données anodines pour les autres, des souvenirs lointains sont parfaitement nets, alors qu’apprendre les tables de multiplication (ou tout autre sujet pour lequel ils ne perçoivent pas d’intérêt immédiat) peut être un véritable problème. Il y a souvent un enjeu émotionnel derrière l’apprentissage (faire plaisir à un enseignant qu’on aime beaucoup). En revanche, ce qui n’a pas de sens pour l’élève zèbre, ce qui paraît sans but, sans utilité immédiate, est très difficilement mémorisable. Or, si les connaissances qui présentent un intérêt immédiat sont enregistrées directement sans méthode d’apprentissage particulière, cela peut poser problème dans les études supérieures, quand il devient nécessaire d’être plus rigoureux.

Ceux que l’on appelle les « zèbres » se sentent souvent en décalage par rapport au groupe, sans pouvoir expliquer pourquoi. Ils ont le sentiment d’être incompris par leurs pairs, d’être des « extraterrestres » selon leurs mots, de ne pas parler la même langue. Cela peut parfois provoquer un rejet de la part des autres qui perçoivent la personne HPI comme différente, bizarre, avec pour conséquences possibles l’isolement et un risque accru de harcèlement.

Quelques idées reçues à dépasser

Pour autant, HPI ne signifie pas systématiquement réussite scolaire : avoir un QI supérieur à la moyenne ne signifie pas tout savoir et tout maîtriser ; on estime même qu’un surdoué sur trois est en échec scolaire (chiffre qui doit être nuancé car les enfants interrogés sont ceux qui viennent consulter, autrement dit ceux qui ne vont pas bien). Les élèves HPI peuvent avoir du mal à entrer dans les apprentissages, parce qu’ils arrivent intuitivement au résultat sans être capables de l’expliquer, se découragent, se désintéressent du scolaire, ou même, pour une part importante d’entre eux, parce qu’ils souffrent de dyslexie. Ce serait un non-sens de dire, par exemple, « Je ne crois pas qu’il soit surdoué car dans mon cours il a de mauvais résultats » ou « Il n’est pas si bon que ça ». À l’inverse, un très bon élève n’est pas forcément synonyme de surdoué.

Une autre idée reçue est qu’un élève HPI s’en sortira toujours bien et n’a pas besoin de soutien. C’est faux ! Les HPI peuvent éprouver anxiété, mésestime de soi, voire être dans le décrochage scolaire. Leur cursus scolaire doit parfois être aménagé, pour leur permettre de s’épanouir et de réussir leur scolarité. Ces élèves peuvent parfois être perçus comme provocateurs, insolents, parce qu’ils discutent les règles qui ne leur semblent pas justes ou remettent en cause le savoir du professeur, font preuve d’une logique imparable ou ont un sens de l’humour mal perçu par l’enseignant. Ils peuvent ainsi avoir un rapport conflictuel avec l’autorité, surtout quand ils ont perdu confiance et estiment que cette autorité est infondée. Ils peuvent être dissipés et perturbateurs quand ils ne comprennent pas l’intérêt du travail scolaire. Enfin, ces élèves ont parfois du mal à comprendre les consignes, qu’ils interprètent littéralement : récemment, à l’occasion de la cérémonie de remise des diplômes du brevet, le chef d’établissement a demandé aux élèves de lever la main pour signaler dans quel lycée ils étaient à présent scolarisés. J’ai alors vu un ancien élève qui, à la question du principal, « Il est où le lycée en forêt ? » a pointé la direction du lycée au lieu de lever la main pour se signaler comme ses camarades…

Par ailleurs, ces élèves peuvent s’imposer à eux-mêmes une grande pression en ce qui concerne leurs résultats scolaires, ce qui peut conduire à une déception démesurée quand ils n’atteignent pas les objectifs qu’ils se sont donnés. L’échec est vu comme humiliant et destructeur, l’erreur comme une preuve de manque d’intelligence, qui risque de décevoir. La croyance fausse qu’être intelligent signifie réussir sans travailler, ce que l’élève HP réalise d’abord sans peine étant donné sa grande mémoire et sa bonne compréhension, risque de l’empêcher de « s’y mettre » quand cela devient nécessaire. Ne pas être conforme à l’attente (qu’il s’imagine être celle) de sa famille, de ses enseignants, peut générer une grande dévalorisation et une mésestime de soi. D’où un perfectionnisme excessif, ou au contraire une absence de prise de risque pour éviter d’être déçu et de décevoir. La pression qu’ils s’imposent à eux-mêmes pour faire les choses parfaitement les conduit parfois à saborder leur travail, tout comme l’ennui, la difficulté à se concentrer sur une seule chose et l’éparpillement. À quoi bon faire les exercices si la leçon est bien comprise ? Pourquoi rendre un devoir qui ne constitue aucun challenge pour eux ?

Comment les repérer alors ?

Seul un psychologue peut proposer une identification à l’aide du test WISC-IV (voir lexique). Mais il existe une grille disponible en ligne sur le site Éduscol (cf. bibliographie) qui peut aider les enseignants à repérer ces élèves en fonction de critères liés aux capacités de compréhension, à la curiosité et aux connaissances, à la créativité et aux interrelations. L’inventaire d’identification des enfants précoces de Jean-Charles Terrassier, disponible en ligne, permet également de repérer ces élèves avec un système de points qui permet de faire l’hypothèse de la précocité. Une association parentale (ANPEIP : Association Nationale Pour les Enfants Intellectuellement Précoces ; AFEP : Association Française pour les Enfants à Haut Potentiel) peut être sollicitée pour présenter à l’équipe pédagogique les caractéristiques et particularités des élèves à haut potentiel intellectuel. Attention, les filles sont souvent moins faciles à repérer car elles sont généralement scolaires, s’adaptent, sont moins dans le rejet et la colère explosive. Elles rentrent en définitive plus facilement dans le moule. Par ailleurs, ces élèves développent parfois un « faux self », une fausse image d’eux-mêmes qui leur permet de passer inaperçu et de donner l’impression de s’intégrer… au détriment de leur véritable personnalité. Enfin, inutile de poser la question directement à l’intéressé car les zèbres, enfants ou adultes, développent souvent un « sentiment d’imposture » qui leur fait nier leurs capacités et trouver des « excuses » extérieures à leurs réussites.

Tout cela vous rappelle quelque chose ? C’est normal, pour plusieurs raisons. On estime (voir Éduscol) que l’on trouve en moyenne un à deux élèves à haut potentiel par classe, et nous avons forcément eu affaire à certains d’entre eux. De plus, certaines des caractéristiques des HPI énoncées plus haut sont également des qualités requises pour exercer le métier de professeur documentaliste. De là à supposer que notre profession est particulièrement riche en adultes HPI ? Hypothèse envisageable – même si à notre connaissance aucune étude n’a été menée sur le sujet : curiosité dans tous les domaines, empathie qui pousse à s’intéresser aux autres et à leur venir en aide, goût pour les projets, la nouveauté, les défis intellectuels, esprit multitâches et pluridisciplinaire, appétence pour les activités créatives, goût pour les livres et l’informatique, énergie débordante… Ce sont là autant de caractéristiques que l’on retrouve chez les personnes à haut potentiel, et qui peuvent trouver une mise en application évidente dans le métier de professeur documentaliste.

Enfin, le quotient intellectuel est en grande partie génétique, même s’il peut également être influencé par l’environnement, et des adultes HPI ont de fortes probabilités d’avoir des enfants HPI (Brasseur & Cuche, 2021, chapitre 2). C’est d’ailleurs souvent en tentant d’aider leurs enfants à résoudre des problématiques liées à leur haut potentiel que les parents se découvrent un QI également supérieur à la norme.
Vous vous reconnaissez dans ces caractéristiques ? Pas de panique, toute une littérature existe sur le sujet (voir bibliographie) pour vous venir en aide et vous éclairer. Vous n’êtes pas concerné ? Cela ne vous empêchera pas d’être un professeur documentaliste de qualité, et de lire ces quelques pistes pour bien accueillir les enfants à haut potentiel au CDI.

Quel accueil au CDI pour les élèves à Haut Potentiel ?

Si les élèves HPI sont au nombre de un à deux par classe en moyenne, cela limite fortement les probabilités pour qu’ils retrouvent un camarade HPI dans leur classe, sauf volonté particulière de l’équipe pédagogique de repérer et de réunir ces élèves. Isolés, ces enfants différents risquent de peiner à s’intégrer, voire dans des cas extrêmes de souffrir de harcèlement. Dans tous les cas, ils risquent de trouver inconfortable leur sentiment d’être à part, unique. C’est pourquoi, dans le collège, un « groupe zèbres » a été mis en place, à l’initiative de quelques enseignants1. Il se réunit tous les mois au CDI pour fournir un espace de parole à ces élèves.

La création d’un groupe Zèbres : mise en œuvre et principes

Ce groupe a été créé dans l’intention de favoriser l’intégration de ces élèves et de leur permettre de se sentir enfin « normaux » et reconnus dans leur différence, de discuter avec d’autres sans devoir se dissimuler derrière un « faux self », de mieux comprendre leur propre fonctionnement. Le groupe s’est tellement accru au fil des ans que les trois enseignantes à l’origine du projet (enseignante de chinois, CPE et professeure documentaliste) ont pris la décision en 2021 de le diviser en deux : « petits zèbres » (6e-5e) et « grands zèbres » (4e-3e). Chaque réunion commence par un « Quoi de neuf ? » qui permet aux élèves de raconter un événement qui les a marqués personnellement pendant le mois. Nous leur demandons de verbaliser leurs émotions : est-ce que cela les a rendus tristes, anxieux, heureux, fiers ? Il s’agit d’accueillir leurs émotions, sans les juger, et d’analyser objectivement la situation. Les autres réagissent, conseillent, aident à mettre des mots sur les ressentis, proposent des liens avec leurs propres expériences. Un « bâton de parole » contribue à canaliser la discussion qui est vite foisonnante et deviendrait sans cela totalement inaudible. Nous ne sommes pas trop de trois adultes pour encadrer la dizaine d’élèves (ou plus) concernés.

Eleanore – 5e

Un problème s’est rapidement posé l’année de la mise en place du groupe : qui choisir pour en faire partie ? Le groupe doit rester gérable et à effectif raisonnable pour fonctionner, alors que les élèves non-HPI sont curieux de ce « club zèbres » qui permet aux membres d’être dispensé de cours pendant les réunions (avec rattrapage obligatoire, ce qui est rarement un problème pour ces élèves) et souvent désireux d’en faire partie. Les élèves concernés n’ont pas forcément bénéficié d’un test de QI à l’extérieur ou par la psy-EN, mais ils présentent la plupart des caractéristiques de la grille (Éduscol) de repérage et éprouvent des difficultés qui peuvent être liées au haut potentiel. Certains noms sont proposés par les familles, par les enseignants de la classe, ou encore par les enseignants de primaire au moment du passage en 6e. Il ne s’agit pas de diagnostiquer (ils ne sont pas malades), de se substituer à un thérapeute ou à un professionnel de la psychologie, mais de contribuer à identifier ces élèves qui font partie des « élèves à besoins éducatifs particuliers » (circulaire n° 2014-068 du 20-5-2014), et qui demandent à ce titre à être accompagnés, toujours avec l’accord des parents et en lien avec l’équipe éducative.

Armand – 6e

Une démarche de projet, des activités sollicitant imagination et créativité

Les réunions du groupe zèbres sont l’occasion pour ces élèves de présenter aux autres des exposés sur leurs passions s’ils le souhaitent (jeux vidéo, animaux, astronomie…). Des débats sont organisés : débats « mouvants » avec un carton « oui » ou « non » qui rassemblent les élèves du même avis, mais qui peuvent changer de « camp » au fil de la discussion ; questionnement autour des « philo-fables » de Michel Piquemal (2008) qui permettent de s’interroger ensemble sur des sujets comme la vérité, le bien et le mal, ou le jugement des autres.

Enfin, l’un des objectifs du dispositif est également d’aider ces élèves à s’intégrer parmi les autres. Nous leur proposons donc chaque année de mener à bien un projet ayant des répercussions sur l’établissement entier, pour leur permettre de se mettre en valeur : réalisation d’une vidéo montrant avec humour les spécificités des élèves « zèbres » (ce n’est pas un animal, ce n’est pas un génie qui sait tout, ce n’est pas quelqu’un qui réussit tout sans peine…), présentée à l’ensemble des classes ; mise en place d’un « concours des talents » où chaque élève du groupe a pris en charge une thématique de son choix (dessin, échecs, cuisine) pour en faire la promotion, aider à la mise en place des inscriptions, choisir la récompense et les modalités du concours, superviser le déroulement ; participation à une émission de radio locale pour présenter les élèves à haut potentiel ; réalisation et mise en place d’un escape game à destination d’un autre groupe d’élèves. Tous ces événements permettent aux élèves zèbres de se sentir bien dans l’établissement, avec leurs spécificités. De nombreuses ressources existent pour guider les activités proposées à ces élèves, qui ont pour point commun d’encourager la créativité et l’imagination, tout en développant l’estime de soi, l’apaisement et la communication non violente (Guy, 2019). Le dossier Éduscol propose notamment un enrichissement des parcours et la valorisation des talents. Une bibliothèque concernant les élèves à besoins particuliers (haut potentiel mais aussi TDAH, troubles du spectre autistique, dyslexiques…) peut être proposée en ce sens en salle des professeurs.

D’une manière plus générale, les élèves zèbres peuvent être des appuis précieux au CDI car, outre le fait qu’ils apprécient souvent la lecture, ils font généralement preuve de créativité, d’imagination et débordent d’idées : on peut compter sur eux pour participer aux clubs, aux ateliers, à des concours, réorganiser l’affichage du CDI, mettre en place des projets, ou encore participer à la politique d’acquisition dans les domaines qui les passionnent. Le CDI peut être une bulle d’air pour ces élèves, à condition que le professeur documentaliste soit occasionnellement prêt à discuter de « schiste carbonifère » avec un passionné de fossiles, ou des dieux imprononçables de la mythologie nordique avec un autre.

Or, ce qui est un atout au CDI peut parfois être un handicap en cours : lors d’un contrôle, on demande souvent aux élèves de restituer le cours et de répondre aux questions pour vérifier leurs connaissances, pas de faire preuve d’originalité. Les tâches de restitution simple et de répétition peuvent être fastidieuses pour un cerveau qui a compris et enregistré l’information du premier coup : un approfondissement et un enrichissement des parcours sont alors envisageables. On peut par exemple demander à ces élèves d’approfondir le cours par un exposé, qui peut prendre plusieurs formes (affiche, diaporama, mais aussi maquette ou autre réalisation) ou de créer eux-mêmes de nouveaux exercices pour les autres (plutôt que de faire d’autres exercices du même type pour « passer le temps »). L’apprentissage par projet, l’utilisation de la carte mentale, sont des outils qui fonctionnent. L’exposé sous forme orale ou écrite permet aux élèves de réaliser des recherches supplémentaires, et de synthétiser, ce qui n’est pas forcément évident pour eux.

Je me rappelle d’un élève «zèbre» à qui j’avais demandé de réaliser une affiche expliquant les principes de base de l’héraldique, qui serait exposée lors d’une journée médiévale au collège. Cet élève s’est passionné pour son sujet au point de connaître des termes de description très pointus (« contre-fascé », « gironné », « parti mi-coupé » …), il est reparti ravi du CDI, mais n’a jamais réalisé l’affiche. Le risque pour le haut potentiel est évidemment de se laisser entraîner par sa passion, jusqu’au hors-sujet. Ce qui serait difficilement réalisable sur un temps de cours classique est largement admissible dans l’espace du CDI, qui invite aussi à se perdre dans les rayonnages, pour apprendre, rêver ou laisser parler sa créativité.

Gabrielle – CE2

Avec le yoga, les mots prennent corps

La mise en place du projet s’est basée sur plusieurs constats. Le dispositif UPE2A (Unité Pédagogique pour Élèves Allophones Arrivants) accueille des jeunes isolés, angoissés par leur situation et accumulant des tensions dues à leurs problèmes d’expression. En fin d’année, ils doivent réussir le DELF (Diplôme d’Études en langue française), une source de stress supplémentaire pour eux. Chaque semaine, les élèves allophones vont se rendre au dojo du lycée pour pratiquer le yoga et apprendre la langue française durant une heure. Ils seront accueillis en parallèle au CDI en fonction des besoins par la professeure documentaliste.

Exprimer ses émotions, se sentir en sécurité dans un établissement étranger, apprendre le vocabulaire du corps humain, l’amélioration de la compréhension de la langue française (conjugaison et expressions en rapport avec le corps) dans un état de détente sont les objectifs de ce projet. Il est un exemple concret d’expériences de yoga au service d’un public particulier. Les techniques utilisées sont un support d’apprentissage et de mise en réussite de l’élève dans sa globalité. Elles peuvent se vivre dans différentes situations, au dojo, en classe ordinaire, en demi-groupe au CDI ou en ateliers. Chaque semaine, les élèves allophones vont pratiquer le yoga pour se détendre tout en apprenant le vocabulaire des émotions et du corps humain. Cette pratique de bien-être va leur permettre d’inscrire profondément les mots dans leur corps en ressentant et en sollicitant les zones corporelles de diverses manières. Les séances sont liées au programme de Français Langue Étrangère (FLE) et de Français Langue Seconde (FLS) : elles l’enrichissent et le consolident. La professeure documentaliste travaille ainsi en amont avec le groupe pour préparer le vocabulaire des relaxations et proposer des lectures en état de détente.

Les effets du yoga sur notre organisme

Les études sur les effets du yoga sont récentes1. Elles mettent en évidence que sa pratique, comme beaucoup d’autres activités physiques, améliore la coordination, renforce les muscles et la circulation sanguine. Mais sa grande particularité est le développement d’une meilleure conscience de son corps et de sa respiration. Le souffle est à la base de toutes les techniques de gestion du stress. Des étirements légers soulagent les douleurs, une respiration calme apaise le système nerveux, ce qui favorise un sentiment de relaxation. Les exercices ont un effet stimulant sur l’humeur et aident à mieux gérer le stress.

La plupart des personnes qui s’orientent vers la pratique yoga recherche un mieux-être (un apaisement du mental et des tensions dans leur corps) et des techniques qui vont atténuer leur anxiété. Mais que se passe-t-il dans notre organisme ?

Le système nerveux central régule les fonctions vitales, celui-ci est composé d’un sous-système excitateur, le sympathique, et d’un autre apaisant et ralentisseur, le parasympathique. Ces deux sous-systèmes doivent s’équilibrer. En situation de stress, le sympathique rentre en action. Le corps a besoin de phases de récupération et de calme, c’est à ce moment-là que le système para-sympathique doit intervenir. La synchronisation du souffle avec les mouvements et le travail postural réactivent celui-ci et permettent un retour au calme.

À partir de 2010, une équipe de l’université de Boston dirigée par Chris Streeter2 a orienté ses recherches sur la molécule messagère GABA (acide gamma-aminobutyrique). Celle-ci atténue l’excitabilité des cellules nerveuses. Leurs études mettent en évidence qu’une pratique régulière du yoga (3 fois par semaine) augmente le niveau de GABA dans le thalamus, la station centrale de communication des stimuli dans le cerveau. Ce taux plus élevé serait responsable d’une augmentation du sentiment de bien-être.

Une étude menée par Britta Hölzel, psychologue à l’hôpital de la Charité de Berlin, s’est intéressée à la structure du cerveau3. L’hippocampe, important dans les processus d’apprentissage et le traitement des informations, a augmenté de volume après plusieurs semaines d’entraînement avec des exercices de yoga. Cela indique que les cellules nerveuses y sont plus interconnectées. En revanche, il a été démontré l’atrophie de cette zone chez les personnes exposées à un niveau de stress élevé.

Les chercheurs ont également repéré que l’amygdale, une glande qui réagit aux menaces et à la douleur, serait réduite en volume avec la pratique de la méditation et du yoga. Les modifications en volume de ces zones seraient à l’origine d’un effet anti-stress.

Yoga avec les élèves allophones

Le premier objectif d’une séquence de yoga est d’amener l’élève à ressentir un mieux-être et un état de détente. Ensuite ils doivent s’approprier des outils pour qu’ils puissent reproduire cet état en autonomie. Le deuxième objectif est d’améliorer leur apprentissage en favorisant la concentration et la mémorisation. « Pas d’attention sans tension » a dit Micheline Flak fondatrice du RYE (Recherche du yoga dans l’éducation) fondé en 1978 et agréée par l’Éducation nationale en 2013, dans son premier livre à destination des enseignants4. Les exercices proposés aux élèves sont inspirés par la formation que j’ai suivi avec le RYE.

À chaque intervention, que ce soit en classe ou au dojo, la structure de la séquence est identique, ritualisée, basée sur les six premières étapes de l’échelle de Patanjali (Yoga-Sutras, texte fondateur qui codifie la pratique traditionnelle du Yoga).

En suivant celles-ci, les tensions physiques et mentales s’apaisent. De la place s’est libérée pour de nouveaux apprentissages, l’élève est plus apte à se concentrer.

Les 6 premières étapes de Patanjali adaptées en milieu scolaire

La démarche est de partir d’un mot, de le ressentir dans son corps, de le dire à voix haute puis de l’écrire. Les exercices se font en marchant, en position assise ou allongée. Les élèves disposent d’une ardoise qu’ils utilisent régulièrement pour écrire les mots.

La séance est organisée toujours de la même façon. On commence par les Yamas. Les élèves assis en cercle, dessinent sur leur ardoise un symbole correspondant à leur état émotionnel. Progressivement ils peuvent choisir des mots étiquettes pour enrichir leur vocabulaire et s’exprimer à voix haute s’ils le veulent. Ils apprennent régulièrement les prénoms des nouveaux arrivants, les premiers arrivés dans le groupe viennent en aide s’ils le peuvent aux autres. Progressivement ils s’expriment soit par le dessin soit par le mime soit à voix haute sur ce qu’ils ressentent et aiment faire… ils apprendront à se connaître, à faire des compliments et à en recevoir. Des mots et des expressions en rapport avec le regard sont abordés comme « se faire un clin d’œil », « froncer les sourcils » … les élèves vivent les mots en les passant à leurs voisins.

Viennent ensuite les Niyamas : Les automassages. Les élèves vont se toucher les parties du corps en répétant à voix haute le mot correspondant. Progressivement, des verbes d’action sont intégrés comme « masser », « frotter », « tapoter », « caresser » … puis la conjugaison en fonction de leur avancée en cours de FLE (Français Langue Étrangère) : « Je masse mon pied, tu masses ton pied ». Suivent les Pawanamuktasanas : l’élève va solliciter une articulation, la nommer, elle ainsi que son action à voix haute. Prenons la marche : au signal, l’élève pose la partie du corps annoncée au sol. À voix haute l’élève répète en conjuguant et en exécutant l’action. Par exemple : « je marche », « tu marches » ou encore « je glisse », « je recule », « je cours ». Comme pour les automassages, l’exercice évoluera avec leur niveau de conjugaison. Plus tard, des expressions seront abordées et vécues en marchant, puis « stop », au signal les élèves se mettent : dos à dos, les yeux dans les yeux, main dans la main…

Les asanas quant à eux sont des postures ; on privilégie celles d’équilibre et les guerriers 1 et 2. Avec un travail autour du vocabulaire et de la symbolique de l’arbre, les élèves sont invités à créer leur propre posture et à constituer une forêt avec l’ensemble du groupe. L’objectif est qu’ils s’enracinent tout en faisant partie de leur environnement. C’est également une posture qui demande calme et concentration, elle permet de détecter les pensées perturbantes qui se traduisent par de petites pertes d’équilibre.

Les postures des guerriers 1 et 2 vont leur permettre de trouver de la force et de la confiance. Ils se fixeront une intention qu’ils se répéteront avec conviction durant la réalisation de celles-ci (par exemple : je travaille mon français tous les soirs 30 minutes). Ces deux postures procurent une impression de stabilité et de force dans une attitude ouverte et positive.

Enfin, les pranayamas, c’est-à-dire la respiration et son vocabulaire, sont abordés dès les premiers cours. Les exercices sont guidés dans un premier temps à voix haute par l’enseignant ou avec l’utilisation d’un repère sonore (un petit hand drum par exemple), visuel (des exercices de cohérence cardiaque projetés sur le mur du dojo) ou kinesthésique (avec le mouvement des doigts, des mains ou des bras). L’objectif est qu’ils prennent conscience de leur respiration et qu’ils allongent l’expiration afin de s’apaiser.

La séquence se termine par la relaxation ou Prathyahara. Celle utilisée est de type yoga nidra, détente du corps mais l’esprit reste éveillé pour visualiser et être attentif.

L’élève allongé sur le dos, immobile, va vivre des relaxations en fonction de son niveau de vocabulaire. Les rotations de la conscience dans le corps deviendront de plus en plus détaillées en fonction des mots connus sur le corps humain. La deuxième partie de la relaxation va évoluer en fonction du niveau de langue des élèves. Dans un premier temps, de la musique est utilisée pour apporter de la détente. Progressivement des visualisations sont proposées sur des mots. La fraise par exemple : imaginez une fraise, sa couleur, son goût, les lettres du mot, le mot écrit entièrement. Ensuite des histoires un peu plus longues sur l’arbre et la forêt avec au préalable un travail sur le vocabulaire utilisé avec la professeure documentaliste. Pour finir, lorsque les élèves sont bien habitués à l’exercice, ce temps est consacré à l’écoute active : l’élève doit lever le bras lorsqu’il entend par exemple des verbes conjugués au participe passé. À ce moment-là, des liens sont faits avec des textes travaillés en cours de français langue étrangère et des livres sont présentés au CDI par la professeure documentaliste. La lecture d’extraits de ces livres adaptés à leur niveau de langue est faite par celle-ci durant le yoga nidra.

Exemple d’une relaxation finale : celle-ci est adaptée tout au long de l’année en fonction de l’avancée du niveau de l’apprentissage du français des élèves (annexe 1)

En suivant ces étapes, le cours de yoga est un moment où chacun prend le temps de ressentir son état intérieur et son corps. En état de détente, les élèves apprennent du vocabulaire en vivant les mots en mouvement ou en visualisation. Ce moment propice aux apprentissages permet de mémoriser les mots dans notre organisme tout entier. Le mouvement et la posture laissent une empreinte profonde dans notre mémoire.

Grâce au travail interdisciplinaire (FLE, FLS, documentation, yoga) les mots prennent corps. Les collègues qui participent au projet suivent les stages de formation « Yoga en classe » que je propose dans mon établissement.

Les élèves allophones sont ravis de se retrouver pour bouger, se détendre et en même temps apprendre. Pour eux, c’est une façon différente d’être en cours. Adil témoigne en disant : « quand j’oublie un mot, je me revois faire et il revient ».

Cette expérimentation met en avant des techniques qui peuvent être transposables à différentes situations scolaires : intégration plus rapide d’une langue vivante, mémorisation de leçons en histoire par exemple, ou encore apprentissage de la lecture et du vocabulaire chez les plus jeunes.

 

 

 

Veille éditoriale

Un CDI qui a du chien ?

Quelques bibliothèques de province et une bibliothèque universitaire d’Angers expérimentent l’accueil de nos amis à quatre pattes dans leurs locaux. Ainsi, la bibliothèque de Munster propose aux enfants une animation mensuelle : « Lire avec le chien ». L’enfant lit en tête-à-tête une histoire au chien, expérimentant ainsi la lecture à voix haute. En collège, on envisagera donc l’achat de Cabot-Caboche de Daniel Pennac et en lycée de Mon chien stupide  de John Fante. Si la présence d’un animal peut apaiser et détendre nos élèves, attention, cependant, à ceux qui sont allergiques aux poils d’animaux. Un pit-bull, chien à poil court donc moins allergisant, présentera également l’avantage de faire régner un certain calme dans nos CDI. À étudier.

Encore un chien !

Le Petit théâtre des opérations est une série de bande dessinée historique publiée chez Fluide Glacial dans laquelle Julien Hervieux, professeur d’histoire, rend hommage, sous une forme décapante, à des héros oubliés des deux guerres mondiales. Ces destins héroïques, retracés entre 4 et 6 planches, sont illustrés par Monsieur Chien, digne successeur de Marcel Gotlib. En parallèle de cette série désopi­lante, Fluide Glacial propose à la location une exposition de 21 panneaux. Panneaux sur lesquels on découvre, entre autres, les portraits de Douglas Bader, aviateur cul-de-jatte et de Simon Häyä, un Finlandais de 1,52 m, qui, en 1939, lors de l’invasion de la Finlande par l’Union soviétique va abattre au fusil 500 ennemis. On découvre également comment répondre, enfin, à ces questions existentielles : pourquoi monte-on dans les avions par la gauche ? et à quoi servaient les teckels communistes ? Pour connaître les conditions de location, vous pouvez contacter Valentine Veron (vveron@fluide glacial.com). Comme dirait Monsieur Chien : « Apprendre en se poilant, y a rien de mieux ! Ouaf, ouaf ! ».

Quand les magazines deviennent éditeurs de livres

Plusieurs revues se lancent sur le marché de l’édition de reportages au long cours espérant ainsi diver­sifier leurs revenus. La revue XXI propose ainsi, dans un format léger de 96 pages pour 9 euros, deux premiers titres : À la base c’était lui le gentil sur les rixes adolescentes et La part du chien sur les soldats en situation post-traumatique qui trouvent réconfort auprès de chien de la SPA (cette veille éditoriale est décidément canine). Médiapart s’associe aux éditions du Seuil pour lancer la collection « Enquête de sens ». Son premier titre La Haine ordinaire « racontera ce que le racisme, l’islamophobie et l’antisé­mitisme, alimentés par de plus en plus de médias et d’hommes politiques, font aux personnes vivant en France ». Quant à la revue Society voguant sur le goût pour les faits divers qui font le succès de certaines séries Netflix elle propose chez 10/18 la collection « True Crime ». Espérons que pour une fois le crime paiera…

Le Routard, 50 ampoules au pied

Cette année, le célèbre guide fête son 50e anniversaire. Au fil des années, le routard de la couverture a coupé ses cheveux et s’est embourgeoisé. Avec ses 55 millions de livres vendus, il pourra bientôt abandonner son sac à dos pour une valise à roulettes Samsonite ou Delsey (publicité gratuite). Pour se diversifier, l’éditeur a lancé, récemment, un magazine et une collection « Les beaux livres du routard », dont, à l’occasion de cet anniversaire, Les cinquante voyages à faire dans sa vie. On the road again…

Cap / Pas Cap / Handicap

C’est le titre de la revue Nouvelles du livre jeunesse parue à la fin de 2022, toujours disponible sur son site. Au sommaire de ce numéro, des articles sur les représentations du handicap dans la littérature jeunesse et une bibliographie de cent livres sur le sujet. Parmi ces livres parus entre 2000 et 2022, on peut retenir, entre autres, Les Étincelles invisibles d’Elle McNicoll à l’École des loisirs et Wonder de R. J. Palacio en Pocket jeunesse pour le collège et La vie commence aujourd’hui de Christophe Léon à La joie de lire pour le lycée. Un petit maillon dans l’inclusion.

Lucie au pays des Dys

Lucie Mrozec est une jeune femme multidys. Notre collègue, Isabelle Grout, l’a accompagnée pour écrire son témoignage, centré sur son parcours scolaire éprouvant. Elle a cherché à rendre le vécu parfois douloureux de Lucie en restant au plus près de ses mots (maux). Ce témoignage émouvant, autoédité en ligne, est disponible grâce à la plate-forme Librinova. Il apporte une réflexion sur le système scolaire et l’école inclusive et a donc toute sa place dans nos CDI pour nous éclairer, ainsi que les collègues de discipline, sur ces troubles cognitifs encore trop méconnus. Vous pouvez en acheter une version papier : Mrozec, Lucie, Grout, Isabelle. Lucie au pays des dys : j’aurais préféré m’appeler Alice. Librinova, 2022. 112 p. ISBN : 979-10-405-2821-0.13,90 €
– Fnac.com : https://www.fnac.com/a18114200/Lucie-Mrozek-Lucie-au-pays-des-Dys#omnsearchpos=1
– Amazon.fr : https://www.amazon.fr/dp/B0BLHFWJRZ/
– Et d’autres sites en ligne comme leslibraires.fr, cultura.com
et en librairies physiques.
Un livre à commander et à recommander.

Les Ateliers Henri Dougier

Sans doute ne connaissez-vous pas cette récente maison d’édition créée par Henri Dougier, fondateur des éditions Autrement, revendues depuis à Flammarion. Parmi les différentes collections qui la compo­sent on peut en retenir trois qui trouveront leur place dans les CDI de lycée. « Autobiographie d’un mythe », illustrée de nombreuses œuvres d’art, donne la parole à Œdipe, Vénus ou Icare… « Le roman d’un chef d’œuvre » retrace les circonstances de la naissance des tableaux de Bruegel, Goya, Frida Khalo et de bien d’autres. « Lignes de vie d’un peuple », avec ses 50 titres, combat les préjugés et les clichés en envoyant des auteurs autour du monde. Non les Mongols ne vivent pas tous dans une yourte, les Argentins ne dansent pas tous le tango et les Napolitains ne sont pas tous maffieux ! Des ouvrages édités avec soin pour un prix relativement modique.

Faisons des économies

Étant donné le budget de nos CDI, plus proche du PIB du Burundi que de celui des États-Unis, on ne peut que saluer l’initiative de certains éditeurs de proposer des bandes dessinées à petit prix. Panini comics offre les héros Marvel à 6,99 €. Dargaud édite une version intégrale des trois tomes de Pablo de Birmant et Oubrerie, en format de poche, à 9,50 € au lieu de 39 €. Urban Comics Nomad propose deux chefs d’œuvre dystopique à 9,90 € : V pour Vendetta de David Lloyd et Watchmen d’Alan Moore. Futuropolis met en vente des albums de son fonds, joliment édités, dans un plus petit format à 10,90 €, parmi lesquels on peut retenir Lulu femme nue de Davodeau et La Déconfiture de Rabaté. Casterman, enfin, dans le cadre de sa collection Angoulême 50e édition, offre des classiques du roman graphique à 12 €, parmi eux Ici-même de Forest et Tardi et Kiki de Montparnasse de Bocquet et Catel. Avec toutes les économies ainsi réalisées vous pourrez vous réabonner plus facilement à InterCDI. Merci qui ?

Simenon en bande dessinée

En 2020, le scénariste Jean-Luc Fromental s’était inspiré du séjour en Arizona de Georges Simenon pour écrire l’album De l’autre côté de la frontière publié chez Dargaud. Après sa lecture, John Simenon, son fils et ayant droit, lui propose d’adapter quelques-uns des romans « durs » de son père. José Bocquet, associé à ce projet, se lance en premier avec Le passager du Polaris (dont il dit : « c’est Mort sur le Nil au milieu des icebergs »). L’album est mis en image par Christian Cailleaux. Jean-Luc Fromental, quant à lui, s’associe à Bernard Yslaire pour La Neige était sale, un roman très noir sur la rédemption d’un jeune assassin. Les deux scénaristes s’associent ensuite pour raconter dans Simenon, l’ostrogoth l’arrivé du romancier et de sa compagne Tigy dans le Paris des Années folles. Jacques de Loustal en est le dessinateur. Un dessinateur fin connaisseur de l’écrivain liégeois puisqu’il a illustré les différents tomes de l’intégrale de cet auteur chez Omnibus. Au final, huit albums devraient être publiés chez Dargaud. Étant donné la qualité des scénaristes et des dessinateurs, cette série devrait rencontrer un grand succès.

Sylvain et Sylvette orphelins

Qui ne connaît pas ces deux enfants vivant dans une chaumière isolée où ils ont trouvé refuge après avoir perdu leur mère lors d’une cueillette de champignons ? Qui ne connaît pas les quatre compères, le renard, le loup, l’ours et le sanglier qui essaient vainement de voler leurs provisions. Leur père, le dessinateur, Jean-Louis Pesch est décédé à l’âge de 94 ans. En 2022, ne trouvant pas de successeur, il met un point final à leurs aventures dans l’album La Belle aventure dans lequel les enfants retrouvent leur mère. Jean-Louis Pesch s’est éteint après avoir dessiné, depuis 1957, 48 000 pages et vendus 20 millions d’albums. De quoi être dans le livre des records !

Heidi à l’UNESCO !

Eh oui, la petite orpheline suisse a quitté ses verts alpages pour trouver refuge dans cette vénérable institution dans le cadre du Registre international Mémoire du Monde. Les archives de l’écrivaine Johanna Spyri, conservées à Zurich, contenant plus de 1000 documents (manuscrits, illustrations, photos) sont inscrites à ce registre chargé de préserver le patrimoine documentaire mondial. Les documents sur cette fillette, âgée de 143 ans, y côtoieront ceux de Charles De Gaulle, des Frères Lumière et du Père Castor. Avec eux, elle ne va pas s’ennuyer…

Arcturus

Thomas Pesquet n’a peur de rien. Après avoir parcouru la galaxie, le prince de l’espace vient de créer Arcturus (nom d’une étoile de la constellation du Bouvier, à ne pas confondre avec le héros de Goldorak), une société qui va gérer ses droits. Il pourra ainsi facturer ses conférences, prodiguer son expertise à des entreprises audiovisuelles et éditer des ouvrages de fiction ou des documentaires. Jusqu’à présent, il était le héros d’une bande dessinée de Marion Montaigne vendue à 480 000 exemplaires, et avait offert ses photos vues du ciel pour un album de Reporters sans frontières et aux Resto du cœur (La Terre entre nos mains 200 000 exemplaires). Nul doute à avoir sur la viabilité de cette nouvelle maison d’édition. Attention cependant, le port du masque sera obligatoire chez Arcturus qui est également le nom du nouveau variant du Covid…

Et pour terminer : on tuera tous les affreux !

On se souvient que Boris Vian est mort d’une crise cardiaque dans un cinéma après la projection de l’adaptation de J’irai cracher sur vos tombes. Et bien, on peut supposer qu’il va succomber une seconde fois en apprenant que son roman Et on tuera tous les affreux a été adapté en jeu vidéo. Le joueur incarne Rocky, un jeune bellâtre qui refuse toutes les avances d’éventuelles prétendantes souhaitant préserver sa virginité pour le jour de ses vingt ans. Le soir de son anniversaire, il est kidnappé… Ce jeu, développé sous le nom (visant l’international) de To hell with the Ugly, est produit par Arte, gage quand même d’une certaine qualité.

 

 

 

 

Sources :

actualitte.com
actuabd.com
livrehebdo.fr

 

 

L’orientation

L’adolescence et les premières années de l’âge adulte sont des périodes décisives durant lesquelles se décide l’orientation des jeunes. Mais, qu’entendons-nous par le mot « orientation » ? Selon le dictionnaire Larousse, il s’agit d’une « action (visant à) orienter quelqu’un dans ses études, dans le choix de son futur métier » ou de la « voie choisie par ou pour quelqu’un, en particulier dans le cadre des études ». Retenons donc que cette orientation scolaire ou professionnelle peut être choisie ou subie. Tout l’enjeu pour les jeunes réside dans la question du choix d’un avenir qui leur correspond en dehors de toute pression. Dès lors, dans notre sélection de livres pour la jeunesse, quatre thématiques se dégagent : le rapport à la famille ; les stéréotypes liés aux métiers ; la question de la passion dans l’orientation ; les premiers pas dans le monde du travail1.

 

La famille : entre soutien et conflit

La famille figure au premier rang des interlocuteurs des jeunes quant à leur orientation. Si certains adolescents sont soutenus dans leur choix d’orientation par leur famille, d’autres voient leur choix critiqué, parfois même on leur impose un avenir qu’ils n’ont pas choisi.

Avec Sur le vif, Elizabeth Acevedo fait de la famille un soutien solide au projet d’avenir d’Emoni, une lycéenne de 17 ans vivant à Philadelphie aux États-Unis. L’adolescente est très douée en cuisine et rêve depuis son enfance de devenir cheffe de son propre restaurant. Ainsi, quand son établissement scolaire rouvre aux inscriptions un cours optionnel d’arts culinaires, Emoni devrait être la première à s’y inscrire. Pourtant, la jeune femme hésite face au coût financier considérable du séjour de fin d’étude en Espagne alors qu’elle doit travailler après les cours pour aider financièrement sa grand-mère chez qui elle vit et subvenir aux besoins de sa petite fille de deux ans. En effet, tombée enceinte à l’âge de quatorze ans et rapidement séparée du père de sa fille, Emoni assume quasi seule la garde d’Emma. Le soutien des membres de sa famille est alors essentiel pour permettre à Emoni de concilier vie privée et vie étudiante. Finalement, Sur le vif est un roman qui porte un regard bienveillant sur les rapports entre les membres de la famille et les adolescents quant à leurs choix d’avenir.

Au contraire, dans le roman En équilibre de Morgane Moncomble, les parents cherchent à imposer leur choix à leur fille. Lara, 17 ans, est membre actif d’un club de cirque et est particulièrement douée en cerceau aérien. Ses parents tolèrent qu’elle pratique cette activité qu’ils jugent futile, à condition qu’elle étudie pour intégrer la très cotée et très sélective université de Columbia à New York pour perpétuer la lignée familiale d’architectes. Mais Lara, elle, aimerait secrètement être admise à l’école des arts du spectacle du Circadio. Ainsi, le jour où sa sœur jumelle, Amelia, lui annonce vouloir arrêter le cirque, Lara est désespérée. L’adolescente ne sait pas si elle sera capable de séduire seule les recruteurs du Circadio qui seront présents au spectacle de fin d’année du club. En parallèle, Casey Thomas, l’un de ses camarades de classe, est confronté au même problème, puisque ses parents tiennent un cabaret et souhaiteraient que leur fils reprenne l’affaire alors qu’il aimerait quant à lui étudier à l’université. Alors que Lara visionne avec nostalgie d’anciennes vidéos de ses spectacles, elle remarque la présence et le talent de Casey durant les représentations. Elle va convaincre son camarade de classe de devenir son partenaire lors du spectacle de fin d’année en échange de son aide pour persuader les parents de ce dernier de le laisser intégrer l’université. Mais, tandis que les parents de Lara lui imposent leur vision de son avenir, les parents de Thomas soutiennent contre toute attente le choix de leur fils.

Une mère cherche également à imposer à sa fille la même voie professionnelle que la sienne dans Désorientée de Marine Carteron. Louise, élève de terminale, hésite à se connecter à Parcoursup pour connaître le résultat de ses vœux. Si Louise est aussi insensible à son sort, c’est qu’elle n’a pas vraiment choisi ses vœux : la moitié lui ont été imposés par sa mère ; l’autre par sa conseillère d’orientation. Indifférente aux réponses positives des plus prestigieuses universités françaises, la seule chose qui l’enthousiasme est d’être 38e sur liste d’attente pour la très réputée prépa Hypo-Chartes. Ainsi, Louise retarde le moment de choisir une orientation qui lui semble tellement décisive pour le reste de sa vie. Sa mère la presse d’accepter une des propositions des établissements d’enseignement supérieur, espérant ainsi revivre ses années estudiantines. Finalement, solution radicale, l’adolescente décidera de couper les ponts avec sa famille pour prendre le temps de choisir son avenir.

Cette pression exercée par les parents, caricaturée par l’absurde, est aussi présente dans le roman Plus tard je serai moi de Martin Page. Séléna est une collégienne qui se cherche. Mais, un jour, ses parents décident abruptement qu’elle deviendra une artiste. Ils feront tout pour pousser leur fille à s’engager dans cette voie jusqu’à rendre la situation ridicule et épuisante pour Séléna. Tout comme Louise, Séléna n’a pas encore de projet d’orientation mais va se battre pour pouvoir choisir son avenir. Là aussi, cette situation conduira l’adolescente à s’éloigner de ses parents, malgré l’amour qu’elle leur porte.

À quoi tu ressembles ? est quant à lui un recueil de nouvelles dont plusieurs récits traitent de l’orientation. Dans « Benjamin en juin : demandez le programme ! », Benjamin va jouer sa première représentation en interprétant le personnage de Nikki pour le spectacle de fin d’année. En participant à l’atelier théâtre depuis la rentrée et en y prenant beaucoup de plaisir, il s’oppose à ses parents qui voient dans les activités artistiques une perte de temps pour les études. Depuis son enfance son père se moque de ses imitations de personnages de films et sa mère lui répète qu’il est destiné à une brillante carrière. Dans « Dix ans plus tard : du sang neuf sur la scène des dinosaures », le père de Benjamin reçoit une invitation de son fils à un show que ce dernier organise. Sans nouvelles depuis quelques années, il est surpris que son fils travaille dans le milieu du spectacle alors qu’il est persuadé que celui-ci doit déjà être très occupé par sa carrière dans la politique ou dans la com’. Son fils si brillant occupe certainement un meilleur poste que ses camarades comme Théo devenu un simple commis dans une agence immobilière. Mais, comme le dira Benjamin sur scène, « Je suis comme je suis… pas celui sorti du scénario qu’ils avaient imaginé pour moi… ». Une belle conclusion qui résume bien le désir de ces jeunes de choisir leur avenir.

Stéréotypes et orientation

Les choix d’orientation des jeunes souffrent du regard plein d’a priori de leur entourage, notamment familial. Les préjugés de classe, de genre et de race pèsent lourd sur leur avenir.

Stéréotypes de genre et de classe seront les obstacles à franchir pour Louis Feyrères, le héros de Maïté coiffure de Marie-Aude Murail. Louis est un élève de troisième en difficulté, qui s’ennuie au collège. Parce qu’il n’a pas trouvé de stage, sa grand-mère lui propose de travailler dans le nouveau salon de coiffure où elle se rend, « Maïté coiffure ». L’ambiance, le contact avec les clients et la virtuosité des coups de ciseaux de Fifi vont le passionner et le décider à devenir coiffeur. Mais son père, un chirurgien réputé, s’oppose violemment à ce choix. Pour lui, caissiers comme coiffeurs ne sont rien d’autre que des analphabètes méprisables. Malgré ses préjugés de classe, le regard de son père changera face à la réussite sociale de Louis qui ouvrira plusieurs salons et lancera une gamme de produits esthétiques rencontrant un immense succès.

Dans Mon âme frère de Gaël Aymon, Camille, élève de seconde dans un lycée privé réputé, n’a pas le niveau pour passer en première. Tandis que ses parents tiennent à ce qu’elle se reprenne en lui mettant la pression, Camille ne fait rien, n’a envie de rien. Après un séjour chez sa tante agricultrice, Camille se souvient de ses rêves d’enfant : travailler un jour dans une ferme. Mais pour son père, c’est hors de question : faire ses études dans un lycée agricole serait synonyme d’échec. Camille est soutenue par l’équipe pédagogique et notamment par la conseillère d’orientation. Finalement, au terme de la journée portes ouvertes d’un lycée agricole où Camille et ses parents se rendent, la famille trouve un compromis : l’adolescente pourra aller dans ce lycée mais devra suivre des cours généraux afin de ne pas se fermer de portes.

La question des stéréotypes de genre est au cœur du court roman de Claudine Aubrun, Le garçon rose malabar. Les trois enfants de cette histoire sont à l’école primaire. L’institutrice leur donne un devoir avec pour consigne : « Quel métier voulez-vous faire plus tard ? ». À leur âge, ils doivent déjà penser à leur avenir et ils sont confrontés au poids des stéréotypes de genre. En effet, Rudy souhaite devenir un rappeur en survêtement rose. Alice, quant à elle, rêve d’être conductrice de TGV. Et enfin, Gabriel a pour ambition de devenir sage-femme. Ensemble, ils osent assumer leurs rêves devant toute leur classe. En faisant venir à l’école un ami de ses parents exerçant le métier de ses rêves, Gabriel fera tomber les préjugés de ses camarades. Une première lecture sur l’orientation pour les plus jeunes.

Le racisme peut également miner les rêves d’avenir des adolescents. Dans Yzé : danse avec le hasard, l’héroïne est une adolescente de 17 ans. Son rêve : devenir Étoile dans le monde de la danse classique. Mais voilà Yzé est Martiniquaise et vit loin de Paris, « là où ça se passe ». Quand elle arrive dans la capitale pour un stage, malgré son talent, elle se retrouve noyée dans la masse des danseuses. Lors de répétitions, certains chorégraphes lui font remarquer qu’elle n’est pas assez « classique ». Sa couleur de peau la fait trop ressortir sur scène ! Révoltée, elle fera tout pour devenir une danseuse étoile reconnue par ses pairs.

Passion et orientation

Certains choix d’orientation passionnent les adolescents. Si les métiers artistiques sont souvent présentés comme des choix de passionnés, d’autres filières plus originales suscitent également des vocations.

Le manga Blue Period de Yamaguchi Tsubasa évoque les études menant aux métiers artistiques dans le Japon contemporain. Yatora Yaguchi est un lycéen excellent élève mais sans vraie passion. En voyant la peinture d’une de ses camarades de classe, il est subjugué et décide de rejoindre le club d’arts plastiques de son établissement. L’art va devenir sa passion et l’adolescent va vite ambitionner de rejoindre une école d’arts. Mais face à un concours très sélectif, Yatora va devoir redoubler d’efforts face à ceux qui dessinent et peignent depuis bien plus longtemps que lui. Au fil des tomes, nous suivons Yatora du cours préparatoire au concours des écoles d’arts jusque dans sa scolarité dans la très réputée école d’art Geidai. La question de l’orientation dépasse ici la passion pour l’art, notamment à travers l’histoire captivante des personnages secondaires de ce manga. Au mois de juin 2023, la série est en cours avec 13 tomes parus en France.

Pour rester dans le domaine des arts, Parler comme tu respires d’Isabelle Pandazopoulos traite du métier de sculpteur. Sybille, 15 ans, est bègue. Mais ce qu’elle n’arrive pas à exprimer par les mots, elle va l’exprimer avec ses mains. L’incendie de la cathédrale de Notre-Dame de Paris l’obsède, elle veut participer à sa reconstruction. Contre l’avis de ses parents, elle décide de devenir tailleuse de pierres. Elle part dans les Vosges, dans le lycée professionnel Camille-Claudel de Remiremont, le seul lycée français à former à tous les métiers de la pierre (taille, gravure, sculpture). La passion et la réussite de Sybille, « tailleuse de pierre, spécialisation monuments historiques », vont lui permettre, à la fin du roman, de communiquer avec les autres malgré son handicap. Un roman sur un choix d’orientation artistique original.

Mais la passion peut être inattendue. Dans Silver Spoon : la cuillère d’argent d’Hiromu Arakawa, Yûgo décide de s’inscrire dans un lycée agricole loin de chez lui, afin de fuir la pression exercée par son père sur ses études. Excellent élève, Yûgo pense pouvoir être le meilleur dans son nouvel établissement mais déchante vite car la très grande majorité des élèves sont des enfants de paysans. Yûgo va tout découvrir du monde de la ferme, multiplier les expériences – élever un cochon, rénover un four à bois et organiser une pizza-party, devenir le président du club d’équitation du lycée – et se passionner pour l’élevage d’animaux. Cette passion incitera l’adolescent à créer sa propre entreprise avec un camarade de classe à la fin du manga. Silver Spoon est l’histoire de la naissance d’une passion et il se dit que le titre a suscité des vocations dans l’élevage au Japon. Une série complète en 15 tomes.

 

Premiers pas dans le monde professionnel

Les œuvres narrant les premiers pas dans le monde professionnel témoignent d’expériences traumatisantes mais, fort heureusement aussi, de premiers métiers épanouissants.

Toutes les premières expériences ne sont pas heureuses. Moi vivant, vous n’aurez jamais de pauses : ou comment j’ai cru devenir libraire de Leslie Plée est une bande dessinée autobiographique retraçant la première expérience professionnelle malheureuse de l’auteure. C’est chez un psy, les larmes aux yeux, que nous faisons sa connaissance. En déménageant à Rennes pour se rapprocher de son copain, elle décroche son premier contrat en CDI dans « une grande surface de produits culturels ». Mais dès les premiers jours, c’est la désillusion : c’est un travail à la chaîne, répétitif et abrutissant. À quoi bon avoir fait des études si c’est pour passer ses journées à étiqueter des produits ? Elle se retrouve face à des managers despotes donnant des ordres contradictoires et confiant des missions irréalisables. Dans cette BD, Louise Plée nous montre les dérives d’un management purement capitaliste, dont le seul but est de faire toujours plus d’argent, quitte à gérer la librairie comme un Mc Donald’s. La maltraitance de Louise est telle qu’elle fait un burn-out et qu’elle quitte l’entreprise.

Le romancier Vincent Cuvellier, âgé de 40 ans lors de l’écriture, se confie sur son parcours dans La fois où je suis devenu écrivain. Après la troisième, il est orienté vers un BEP commerce. Mais, âgé de 16 ans, l’adolescent n’est plus prioritaire pour intégrer cette formation professionnelle — il est 17e sur liste d’attente. Vincent pointe donc à l’ANPE où le conseiller ironise sur son souhait d’intégrer une formation pour un « CAP écrivain » ou un « BEP poète maudit » et lui propose plutôt de postuler à un BEP secrétariat-bureautique, ce qu’il refuse. Vincent connaît alors un premier succès littéraire en étant récompensé par le prix du jeune écrivain de Toulouse. Mais après ce premier succès d’estime, Vincent n’écrit plus pendant dix ans et enchaîne les expériences professionnelles. Pigiste dans un journal pendant plusieurs années, il se voit refuser le poste de journaliste titulaire car il n’a pas fait ses études dans une école de journalisme. Cet échec va conduire Vincent à tout quitter pour percer dans le monde littéraire. « J’allais enfin devenir écrivain. J’allais enfin devenir qui je suis » : ainsi, le chemin peut être long vers la réussite.

Dans le manga First Job, New Life ! de Nemu Yoko, nous suivons les premiers pas dans le monde du travail de Tamako. Après un premier entretien d’embauche catastrophique, le patron, fantasque, décide de l’embaucher alors qu’elle n’est clairement pas la candidate la plus compétente pour ce poste. Mais elle fera tout pour être à la hauteur de ses nouvelles fonctions. Tamako fait des erreurs, est assaillie de doutes, mais prendra confiance en elle au fil des pages et des expériences. La série, en quatre volumes, se termine par la démission de Tamako qui décide de monter sa propre entreprise de design graphique.
Un bel exemple pour conclure ce thèmalire puisque Tamako, à force de persévérance, prend enfin son envol.

 

 

 

Dossier : neurosciences/neuromythes

Dossier de septembre/octobre 2023

Le dossier de la rentrée sera consacré au thème des neurosciences/neuromythes, en lien avec les questions de formation et l’EMI : analyses et réflexions scientifiques – retours d’expérience(s) de professeur.e.s documentalistes ayant mis en oeuvre des séances mobilisant les neurosciences. Voici quelques mots clés en lien avec cette thématique : métacognition, cogni’classes, biais cognitifs/fake news, mémorisation, attention, motivation, bibliothérapie, gestion des émotions (méditation, confiance en soi…).

 

Prendre son regard en main

« [Le photographe] doit avoir et garder en lui quelque chose de la réceptivité de l’enfant qui regarde le monde pour la première fois ou du voyageur qui pénètre dans un pays étrange. » (Bill Brandt)

Alors que l’année scolaire se termine, une année qui, pour la première fois depuis trois ans, s’est déroulée selon un fonctionnement sanitaire normal, une année à nouveau jalonnée de projets et de sorties, nous souhaitons placer ce numéro sous l’égide de l’ouverture au monde et du changement de regard qu’elle implique.
Ainsi, cette envie de s’échapper, de prendre l’air, peut se traduire par de nouvelles pratiques pédagogiques tournées vers l’extérieur, comme le démontre avec érudition Laure Pillot dans un article sur le CDI hors les murs. Favorisant l’autonomie, la démarche de projet et la mise en mouvement des élèves qui augmentent ainsi leur pouvoir d’agir, ses propositions sont autant stimulantes pour l’esprit que concrètes dans leur mise en œuvre.
Prendre l’air mais aussi la plume pour reprendre en main ses projets : c’est le cas dans l’exemple proposé par Christine Thiollet qui présente une pratique participative avec la création des éditions Je Vous aime. Quelle belle initiative de la part de lycéens que de fonder leur propre maison d’édition, d’en définir l’identité, d’organiser les moyens matériels pour la concrétiser, puis d’y diffuser leurs écrits littéraires !
Prendre la plume également dans l’interview qui vous est proposée en Gros Plan. L’évasion dans l’écriture, à la conquête d’une identité qui questionne et bouleverse, s’incarne ainsi dans Le royaume lointain d’Amina Richard. Notre collègue professeure documentaliste vient de publier son premier roman aux éditions Stock et partage avec nous les étapes de la création littéraire et de l’écriture de soi, qui l’amèneront sur les traces de son père au Sénégal.
Gros plan qui nous amène enfin à faire un double focus sur la photographie. Quoi de mieux pour l’ouverture au monde que d’analyser une photographie de presse pour ne jamais détourner les yeux ? Ainsi, la fiche pratique que nous vous soumettons, adressée aux élèves, permet de lister les différents critères de la lecture réflexive d’une photo. Quant au thèmalire signé Bénédicte Langlois, il assure une intéressante porte d’entrée par la fiction dans le monde des images. Prendre son regard en main, ne serait-ce pas là une possible définition de la photographie ?
Ouvrons les yeux au monde en prenant la tangente, tout en affûtant notre capacité à nous mettre en action, que ce soit par le biais de la photographie, de la littérature ou d’un CDI qui prend l’air. L’air de rien, cela change tout.

Un CDI hors les murs ?

Introduction : un CDI en Anthropocène

« Si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu’il vous faut » : cette formule de Cicéron (Ier siècle avant notre ère) peut servir de point de départ à notre réflexion sur l’articulation entre missions des professeurs documentalistes et enseignement en extérieur. Dans la lignée des propositions formulées dans un précédent article consacré au « CDI vert » (Pillot, 20211), nous proposons ici de réfléchir à l’opportunité de l’enseignement en extérieur pour repenser certains de nos usages professionnels, afin de montrer que nos missions ne se cantonnent pas exclusivement au lieu avec lequel nous, professeurs documentalistes, sommes si souvent associés.

Dans une perspective plus large, nous sommes convaincue que le sujet de la classe dehors est un outil éducatif de premier ordre à l’heure de l’Anthropocène. Ce néologisme, littéralement l’âge des humains, est désormais utilisé par de nombreux scientifiques pour désigner l’époque géologique nouvelle dans laquelle l’humanité est entrée depuis que les activités humaines ont un impact global significatif – et, pour une part, irréversible – sur le système géologique planétaire. Il s’agit d’une thématique dont s’empare peu à peu l’éducation nationale, rejoignant en cela de nombreux chercheurs, dont parmi les plus accessibles Nathanaël Wallenhorst (Hétier & Wallenhorst, 2022), et acteurs de l’éducation populaire, comme l’a montré une formation de la Ligue de l’enseignement sur le sujet au mois de décembre 2022. Le bulletin de veille Apprendre en anthropocène, éduquer à la biodiversité d’Anne-Françoise Gibert (IFÉ, 2022) va dans le même sens, développant une partie de son argumentaire autour de l’enseignement en plein air. On peut dès à présent noter qu’une part écrasante du sujet et de son traitement scientifique comme médiatique concerne les élèves du primaire. Les bienfaits du plein air sur les apprentissages des plus jeunes élèves font désormais l’objet d’un consensus scientifique bien établi. Les éléments de controverse qui subsistent sont marginalement d’ordre politique – en témoigne le dernier numéro de la revue Carnets rouges – plus généralement pratiques, liés alors aux difficultés de mise en place et, transversalement cette fois, relatifs à l’âge des élèves concernés (Mottint, 2023). Ils impliquent de préciser d’emblée le contexte des développements qui suivent. Ils se basent sur des expériences vécues ou observées dans des établissements ruraux, de centre-ville ou en zone « politique de la ville » qu’ils visent à mettre en perspective dans l’optique de ne pas restreindre la pratique du dehors à un type de public ou d’EPLE, à des conditions particulièrement favorables ou, au contraire, difficiles. De même, ils proviennent pour l’essentiel de temps pédagogiques menés en co-animation ou co-intervention, une donnée qui, sans être essentielle, facilite grandement l’exercice de la sortie régulière. Pour terminer sur ce cadrage de départ, la question du dehors est moins souvent posée pour les adolescents et donc pour les publics scolaires des collèges et lycées. Sur le terrain, la situation évolue cependant, et de plus en plus d’enseignants du secondaire s’engagent dans l’enseignement en extérieur.

Les professeurs documentalistes peinent parfois à trouver leur place dans ces expérimentations. Convaincue que cette situation résulte de la méconnaissance de notre métier par le reste de la communauté éducative et de celle des possibilités de la classe dehors par une partie de notre profession, nous proposons de mener une première exploration du sujet avec cette contribution. Il ne peut être question ici de lister toutes les pistes relatives à l’information-documentation, au fonds ou à l’ouverture culturelle offerte par le plein air tant elles sont nombreuses et spécifiques à chaque situation. Nous nous contenterons de proposer quelques exemples tirés de notre propre expérience, de relayer des façons de mettre en œuvre des propositions de plein air, dans les cursus d’information-documentation et avec nos collègues, et enfin de conclure sur l’intérêt de repousser les freins qui peuvent exister quant à cette pratique, en montrant sa capacité d’empouvoirement et de réappropriation de certains aspects du métier. Nous le ferons en tentant de répondre à la question suivante : en quoi la pratique de la classe dehors peut-elle devenir un pivot dans les missions du professeur documentaliste auprès des élèves et contribuer à leur réussite, ainsi qu’à la reconnaissance des spécificités de notre profession ?

Une jeunesse confinée : la nécessité du dehors

L’extinction de l’expérience de nature : un constat alarmant

Depuis le premier confinement et la décision du gouvernement français d’interdire la fréquentation des espaces verts publics aux citadins pendant plusieurs semaines, la question de l’accès à la « nature »2 (Descola, 2005) a pris une place croissante dans les différentes sphères du débat public. Et ce, à juste titre, puisque les mérites de la fréquentation des arbres, de la marche pieds nus sur l’herbe, des fameux « bols d’air pur » ont été éprouvés, malheureusement par le manque, par des millions de nos concitoyens. Les élèves et les jeunes en général ont été frappés de plein fouet par cette longue « privation de nature ». Et pour cause, elle s’inscrit dans un processus plus long et insidieux que le journaliste nord-américain Richard Louv a désigné sous le vocable nature deficit disorder. L’extinction de l’expérience de nature qu’il évoque dans son ouvrage Last Child in the Woods en 2005 à propos de ses jeunes concitoyens s’applique aussi aux jeunes Français. On ne compte plus, depuis la sortie de son livre, les études qui établissent que le temps passé en extérieur est devenu portion congrue par rapport à celui dédié aux activités indoor et qui sont rappelées dans le livre de Mathieu Chéreau et Moïna Fauchier-Delavigne, L’enfant dans la nature (2019). Tant et si bien que nombre d’adultes aujourd’hui, qui ont grandi en étant privés de nature dans les années 80-90, ne sont plus en mesure de transmettre leur expérience. Cette situation touche de fait le monde de l’enseignement. Suivant la répartition des EPLE et les puissantes dynamiques de périurbanisation, les lieux de résidence des différents acteurs de la communauté scolaire sont pour la plupart de plus en plus éloignés des espaces dits « naturels », tels que les bois et les cours d’eau. Et que penser de ces dizaines de milliers d’élèves du secondaire qui, en ville ou à la campagne, passent de leur lieu de résidence au collège ou au lycée par le biais de transports en commun ou de cars scolaires et entrent en classe dès leur sortie du bus ? Si en plus leur récréation se passe en intérieur, on perçoit bien le peu d’interactions avec le dehors auxquelles peuvent être confrontés les adolescents. Et parmi eux, ceux qui – délaissant une cour peu accueillante ou trop violente – comptent parmi les plus fervents acteurs des CDI ! Loin d’être anecdotique et de la caricature de l’adolescent qui préfère sa chambre au jardin, la perte de l’expérience de nature est un réel problème de société. En effet, cette coupure avec l’extérieur induit un désintéressement progressif quant à la situation critique de notre environnement et aux façons de le protéger. Réintroduire cette expérience est, sans l’y limiter, l’un des objectifs majeurs de la classe dehors.

Le « tout numérique » : un modèle de société qui questionne, jusque dans les enseignements

Face au constat de l’extinction de l’expérience de nature, le sentiment d’inquiétude qui touche les professionnels de l’éducation est légitime. Perte de concentration, hyperactivité, immunité altérée, les symptômes sont nombreux. Ils sont majorés par l’activité qui occupe les plages temporelles auparavant dédiées au dehors : la surexposition aux écrans. Comme l’a récemment rappelé le Conseil national du numérique (CNNUM) dans son rapport Votre attention s’il vous plaît, dans un contexte d’économie de l’attention les mécanismes de l’addiction au numérique sont de plus en plus puissants. Les adolescents sont l’une des cibles préférées des sites marchands et des algorithmes. Les épisodes de confinement successifs ont également confirmé, s’il en était besoin, l’attachement profond que leur portent les élèves, du gaming aux réseaux sociaux. En bref, l’addiction aux écrans des jeunes et des adolescents, entretenue notamment par les GAFAM est devenue un problème de santé publique. À la lecture de ce constat, la protection des élèves apparaît comme une urgence. Les pouvoirs publics s’en sont effectivement saisis comme dans la récente campagne « 0-3 ans, 0 écran » et les différentes sensibilisations dans le cadre des programmes de lutte contre les violences en ligne pour les plus grands. Dans les faits, on constate que la prévention du temps d’exposition pendant l’enfance baisse face à celle qui concerne les contenus parcourus et échangés à l’adolescence. De fait, alors que l’institution scolaire est très impliquée dans la lutte contre le harcèlement en ligne et la protection des données personnelles chez les élèves de collège et de lycée, la question de la présence des écrans dans leur journée est moins prise en charge. L’usage du smartphone est certes interdit en collège depuis la loi du 3 août 2018 mais, pour certains élèves, la journée reste occupée par de nombreuses heures passées devant les écrans d’ordinateurs et les projections au tableau.

Il n’est pas ici question de revenir sur la controverse autour de la numérisation des enseignements actuellement en cours3. On peut simplement constater que de ce fait, la durée d’exposition augmente en permanence. Or, les professeurs documentalistes sont en première ligne de la formation aux usages numériques. Il s’agit de l’un des grands attendus de notre profession et le CDI est souvent identifié comme le lieu de connexion majeur de l’établissement par les élèves. S’il faut bien sûr réaffirmer la nécessité d’offrir une formation aux enjeux du web et aux pratiques numériques en général dans le cadre des progressions en information-documentation, force est de constater que l’usage des écrans hors séances pédagogiques est souvent un point de conflictualité dans les usages et le respect des occupations de chacun. Parmi les pistes de régulation, celle de la déconnexion, totale à certaines heures ou partielle dans certaines zones, émerge de plus en plus souvent dans les échanges professionnels. Le professeur documentaliste apparaît, à raison, à l’avant-garde de cette problématique et nous verrons plus loin comment le recours aux espaces extérieurs peut l’aider dans cette voie.

Votre attention s’il vous plaît, un précieux document édité par le CNNum,
indispensable à la compréhension de l’économie de l’attention

Bâti scolaire et passoires thermiques : une opportunité pour le dehors ?

Au moment où nous dressons le constat de l’importance de repenser le dehors dans nos missions et pratiques éducatives, la question du lieu est bien sûr centrale. Le bâti scolaire français fait l’objet d’une très grande diversité. Réaffectation de certains lieux en EPLE, époques de construction, variations démographiques, matériaux disponibles et évolution politique des collectivités sont autant de facteurs jouant dans la variété des solutions adoptées. Les CDI ne sont pas en reste et à cette histoire de l’architecture scolaire s’ajoute celles liées aux évolutions du métier. Les plus anciens ont été conçus pour un public enseignant, d’autres agrandis ou au contraire amputés à l’occasion de chantiers de rénovation, tous ou presque conçus conformément à la vision que leur concepteur a de notre métier (proche de la vie scolaire ou plutôt de la salle des professeurs, par exemple). Là aussi, la situation évolue et des architectes s’emparent différemment de la question, comme l’ont montré l’exposition itinérante Travaux d’école (Chiron et al., 2020) et plusieurs projets de concertation récents. Une enquête du Ministère intitulée « Bâtir l’école ensemble » et dont les premières analyses sont disponibles sur le site gouvernemental « Bâti scolaire » a réaffirmé en 2022 l’intérêt des différents acteurs sur ces questions. Il est de plus motivé très concrètement par la multiplication des épisodes météorologiques extrêmes (tempêtes, canicules, vagues de froid) et la hausse du prix de l’énergie auxquels écoles, collèges et lycées font parfois difficilement face. Comme pour le parc immobilier en général, la rénovation énergétique du bâti scolaire est donc un enjeu majeur des années à venir.

Dans l’attente de travaux de rénovation, les collègues de disciplines sont de plus en plus nombreux à avoir recours au dehors. Le secondaire reste certes en marge, comparativement à la maternelle et à l’élémentaire où les demi-journées en extérieur sont légion dans de plus en plus de classes, mais un mouvement de fond est perceptible au collège et au lycée. Dans les deux cadres, les périodes de déconfinement, où les salles étaient trop difficiles à aérer et les masques rangés en extérieur, ont contribué à accélérer le mouvement. Au terme de trois années pédagogiquement éprouvantes, le constat des conséquences de l’épidémie sur les jeunes est donc sans appel. Moins de nature et plus d’écrans rendent urgent d’améliorer leurs conditions d’étude rendues difficiles par la multiplication des canicules. Et bien sûr, à la fois, les conditions de travail pour leur enseignant ! Il est donc grand temps de prendre la mesure des bienfaits du dehors pour les élèves et des possibilités simples et rapides de mettre en place un enseignement de ce type, pour l’ensemble de la communauté éducative.
Le constat est bien là et concerne l’ensemble de la communauté éducative, qui trouverait grand bénéfice à sortir de son espace de pratique habituel. Engageante pour tous, l’entreprise peut sembler encore plus complexe à mener de la part d’une profession pour laquelle le lieu et la fonction sont aussi imbriqués que pour la nôtre. La confusion entre le professeur documentaliste et la mission de gestion des ressources mène à le considérer comme seul responsable de la démarche de mise en place d’une politique documentaire, alors que la communauté éducative tout entière devrait en théorie s’y engager. De fait, de nombreux établissements ne disposent pas d’une politique documentaire clairement identifiée. En résulte une situation peu satisfaisante pour le professeur documentaliste qui se voit confondu avec un lieu qu’il n’a pas toujours les moyens de gérer comme il le souhaiterait.

S’il n’est évidemment pas question de délaisser le volet pédagogique pour trouver davantage d’heures à consacrer à la gestion du fonds, l’accumulation des missions est de plus en plus mal vécue par de nombreux collègues. On comprend que dans ce contexte, l’assimilation au seul « lieu CDI » et au fonds puisse être source d’incompréhension et de difficultés de communication au sein des équipes. Or, nous pensons justement qu’en nous permettant une réappropriation du lien à notre lieu d’exercice, les principes de la classe dehors sont l’une des pistes vers une nouvelle valorisation de notre travail et de notre image professionnelle, utile à nos revendications.

Notons qu’un certain flottement sémantique existe dans la circulaire quant à la définition de notre périmètre physique d’activités de gestion. Le CDI est qualifié tantôt d’« espace », tantôt de « lieu » sans que la différenciation soit explicite. Si l’on s’en tient à la définition des géographes du site Géoconfluences : « Un lieu est une portion d’espace sujette à des appropriations singulières et à des mises en discours spécifiques. »4 C’est ce qui semble effectivement bien être le cas des CDI : des zones de l’espace scolaire appropriées de façon variable par les usagers, selon l’heure de la journée, la période ou les projets et à propos desquelles significations et charges symboliques peuvent être aussi fortes que diverses. Toujours dans le même article, il est précisé qu’« au sens strict, un lieu n’a pas d’étendue ou une étendue limitée : on le parcourt à pied et on peut l’embrasser du regard. Mais alors que le paysage mobilise principalement le regard, on fréquente, on parcourt un lieu, on y agit ». De ce fait, la restriction de nos missions pédagogiques et de gestion aux quatre murs de la salle du CDI ne va pas de soi. Elles peuvent être transposées à d’autres lieux dans ou hors de l’EPLE tant que les activités – au sens d’« actions » – menées le sont dans les mêmes objectifs de formation info-documentaire et d’ouverture culturelle que celles traditionnellement proposées dans le CDI.

En bref, il s’agit en transposant nos usages, nos façons de travailler hors les murs, de manifester notre spécificité pédagogique. Celle d’être en mesure de penser l’enseignement en relation avec l’environnement qui l’accueille, qu’il s’agisse d’étagères plus ou moins bien garnies de livres, d’une salle informatique, d’un parc ou d’une cour de récréation. Et de pouvoir le faire, soit depuis le CDI où la plupart des ressources sont concentrées, soit dans la périphérie de ce centre, en exerçant notre capacité à en identifier de nouvelles, dans une topographie élargie. En refusant de nous laisser cantonner à un seul lieu de l’EPLE, nous réaffirmons notre démarche pédagogique et notre aptitude à proposer un enseignement différent de celui de nos collègues par le fond de notre démarche et pas seulement par sa forme. Au biais qui nous conduit trop souvent à être considérés comme des techniciens de la salle du centre de documentation avec lequel nous sommes confondus, nous proposons d’opposer la vision d’un professeur documentaliste expert dans l’utilisation de l’espace scolaire. Et au cliché d’un gestionnaire de fonds débordé et peu à l’écoute de ses élèves (le fameux « chuuuut »), une relation fondée sur l’idée de proposer à l’usager une expérience pédagogique, sensible et engageante pour les apprentissages comme plusieurs contributions du dossier « Questionner les manières d’habiter les espaces documentaires d’accès aux savoirs : une approche sensible » le soulignent (Revue Cossi, 2019). À ce titre, l’enseignement en extérieur peut constituer un excellent moyen de réaffirmer que l’espace scolaire a un rôle fondamental et donner un nouveau sens au recours à différents lieux de l’EPLE, y compris au CDI.

Du diagnostic à la pratique : identifier ses besoins et se former

Faire le point sur ses besoins : le temps du questionnement

Le plein air est un facteur de bien-être physique et mental pour les élèves et, si l’on en croit leurs retours, pour les collègues qui ont pris cette habitude de travail. Comme pour toute évolution dans une pratique professionnelle, la volonté de mettre en place une part de nos missions en extérieur implique de procéder au diagnostic de la situation actuelle et des attentes de la communauté pédagogique et éducative pour l’avenir. Sur quels axes de nos missions souhaitons-nous travailler ? À destination de quel public ? Selon quel cadrage pédagogique avec les collègues ? Autant de questions qui pourraient décourager plus d’un collègue mais dont nous sommes familiers dans le cadre des projets documentaires initiés. Forts de notre expérience, nous pouvons nous consacrer aux spécificités de notre travail de professeur documentaliste. Comment transposer en extérieur une progression où le numérique est généralement très présent ? De quelle façon proposer aux élèves une expérience du fonds aussi fluide qu’entre les quatre murs de notre lieu de travail ? Peut-on faire une part de gestion documentaire au dehors ou comment déplacer des panneaux d’exposition sans risquer de les voir endommagés par la pluie ? Les questions se suivent et ne trouvent pas nécessairement de réponse, voire essuient des refus dus à la méconnaissance de ce dispositif pédagogique de la part de la hiérarchie.

Cela étant, l’approche par besoin de remédiation peut être préférable en ce qu’elle permet d’avancer pas à pas. La transposition des méthodologies de travail en extérieur est coûteuse en énergie ? Dont acte, exigeons d’elle qu’elle nous aide à résoudre certaines situations peu satisfaisantes que nous rencontrons au quotidien. À propos de la consultation du fonds par les élèves pour commencer, des étagères « romans » peu consultées hormis pour la table des nouveautés peuvent trouver un second souffle dans un autre lieu, par roulement. Une série jamais utilisée s’emporter dans les sacs à dos pour un déplacement à proximité du collège ou dans la cour pour un temps de lecture partagée. Un ouvrage documentaire difficile à lire mais très utile pour l’une de nos progressions faire l’objet d’un arpentage, ce mode de lecture collaboratif développé dans l’éducation populaire. Les possibilités sont tout aussi variées concernant l’ouverture culturelle. Les expositions qui nécessitent tant de communication et de manutention ne trouvent pas leur public ? Une partie d’entre elles peut être plastifiée pour être exposée dehors et créer un cheminement vers le CDI. Posée en termes de résolution des préoccupations du quotidien, la place du dehors apparaît comme un outil très transversal et susceptible de servir nos différentes missions.

Une pédagogie hors les murs : quels savoirs pour quel public et quel profil d’enseignant ?

Au diagnostic de l’adéquation entre les activités menées au CDI et nos missions s’ajoute celui des savoirs et des publics concernés. La première image qui vient à l’esprit lorsque l’on évoque la classe dehors est souvent relative à des élèves assis dans l’herbe et s’affairant à observer les insectes qui s’y meuvent. La réalité est plus diversifiée et ne se limite pas aux savoirs relatifs aux sciences naturelles. Si ces derniers sont très importants à acquérir, d’autres éléments peuvent contribuer à la reconnexion des élèves à la nature. Être attentif à la sensation du vent, aux bruits, même très urbains, qui les entourent, ou à la position dans laquelle le corps se trouve lors d’un exercice oral debout est très engageant pour un élève et peut se réaliser dans tous les cadres disciplinaires, information-documentation compris. Dans ce dernier cas, songeons également aux documents que nous choisissons lors de ces moments en plein air. Qu’il s’agisse de documentaires ou de romans, ils peuvent être écrits au moyen d’un vocabulaire rendant compte d’une relation différente au vivant et contribuer activement à la reconnexion des élèves à leur environnement.

Revenons au public concerné pour souligner que l’on effleure ici l’un des problèmes récurrents de la profession, celui du nombre d’usagers touchés par nos actions. Qu’il s’agisse du public des expositions, de la consultation du fonds ou du nombre de classes qui ont accès aux séances, l’impression de ne s’adresser qu’à une petite partie des élèves et, mécaniquement, d’en exclure une large part est récurrente dans les échanges professionnels. Le fait de transposer une partie des activités en plein air peut-il avoir un rôle à jouer sur ces aspects ? Notons pour commencer que les élèves réagissent souvent différemment en intérieur et en extérieur. Dans ce cadre peu habituel, ils développent un autre regard et parfois un nouvel intérêt pour les activités qui leur sont proposées. Plus encore, des élèves en difficulté sur le plan des apprentissages scolaires peuvent trouver à l’extérieur une autre façon de s’impliquer dans leur travail. D’autant plus lorsque l’évaluation s’y fait par compétences, puisque des aptitudes différentes de celles cultivées en intérieur sont sollicitées en plein air, telles que l’observation, l’écoute ou la mobilisation physique. Quelques années d’expérience nous ont convaincue que ce qui s’apprend dehors est assimilé, mémorisé puis réinvesti différemment, y compris par la suite en intérieur. Et que le plein air offre des possibilités de différenciation pédagogique beaucoup plus larges, y compris pour les élèves les plus scolaires qui, déstabilisés par ce nouveau cadre, peuvent éprouver des difficultés à s’y adapter. Ainsi, grâce à l’enseignement en plein air, la question du nombre d’élèves touchés se pose différemment. Il n’est plus question de compter en nombre de classes impactées, d’un point de vue quantitatif. Grâce à la pratique du plein air, c’est la perception de chaque élève dans une classe qui est modifiée, de façon qualitative. En cela, elle offre un lien privilégié avec les élèves et les collègues qui peuvent être amenés à co-animer ces séances. Une configuration qui nous est familière dans le cadre habituel du CDI et qui peut aisément être réinvestie en extérieur.

Avec cette question de la co-animation se pose celle des collègues avec lesquels les professeurs documentalistes peuvent être amenés à travailler sur ces séances en plein air. Précisons d’emblée que la menée de cours en extérieur est particulièrement adaptée à la présence de plusieurs enseignants, pour favoriser la différenciation que nous venons d’aborder. C’est d’ailleurs le cadre dans lequel nous avons travaillé la plupart du temps pour ces raisons. Reste à identifier les collègues candidats à une sortie régulière parmi les membres de l’équipe éducative. Deux profils se distinguent à ce sujet. Le premier concerne les enseignants dont le contenu disciplinaire est déjà lié au dehors. En SVT, le jardinage pédagogique ou l’observation de certains milieux justifient des sorties régulières, comme en histoire-géographie où la réalisation de cartes ou d’enquêtes peuvent constituer des cadres intéressants à investir pour la profession. On peut, dans le premier cas, proposer des progressions autour du document de collecte ou de la classification et dans le second un développement sur les outils libres de cartographie ou les différents codages de l’information et le passage de l’oral à l’écrit, parmi de très nombreux exemples. Les enseignants d’EPS sont quant à eux les véritables professionnels du dehors au sein des établissements. Un travail avec eux offre des perspectives de co-animation originales entre information-documentation et pratique sportive des élèves, pourquoi pas portées dans le cadre de l’enseignement de spécialité au lycée, en alternant séances au CDI et dans la cour.

En parallèle de ces collègues concernés jusque dans leurs programmes ou leur méthode d’enseignement, il existe une catégorie, bien plus vaste, qui regroupe tous ceux pour qui le dehors offre des possibilités inattendues. En mathématiques, avec des prises de mesure ou des exercices sur la géométrie dans l’espace, en français pour offrir un temps de lecture privilégié aux élèves, en philosophie pour débattre debout et prendre conscience des mouvements du corps, en langues vivantes pour acquérir le vocabulaire de la description, les cas de figure sont innombrables et méritent tous d’être explorés. Retenons pour lors que toutes les disciplines sont concernées et peuvent tirer bénéfice de quelques séances, voire séquences en extérieur. Cela induit que la préservation du vivant via la transmission de l’expérience de nature ne concerne pas que les collègues de SVT ou les plus aguerris en géographie physique. L’ensemble des enseignants peuvent y contribuer en proposant à leurs élèves de sortir à une fréquence régulière. Il en est de même pour les professeurs documentalistes. Ils sont nombreux à avoir reçu une formation en sciences humaines et sociales, et il leur est possible de la réinvestir en extérieur tout autant que les collègues de SVT, d’EPS ou d’histoire-géographie. Par ailleurs, leurs capacités à gérer un lieu est précieuse dès lors qu’il s’agit justement d’en changer. En effet, les professeurs documentalistes sont coutumiers des interactions avec leur environnement immédiat lors des échanges avec les élèves. Il en est de même pour les changements de posture physique des usagers lors d’une même heure de cours, ce qui n’est pas toujours le cas des collègues de discipline. Aussi, l’approche par compétences pratiquée depuis longtemps dans les progressions d’information-documentation s’avère particulièrement payante en plein air et permet de valoriser les apprentissages qui s’y épanouissent particulièrement telles que l’écoute, l’attention ou la coopération. Enfin, le rôle de support du professeur documentaliste pour certains de nos collègues reste valable dehors. De la même façon qu’il aurait à mener la barque lors des moments de recherche documentaire, il peut prendre en charge de nombreuses catégories d’informations récoltées et analysées dehors. Plus encore, en rendant plus difficile l’usage des écrans, le fait d’enseigner en extérieur affranchit le professeur documentaliste de son rôle de spécialiste du numérique donné par certains collègues et qui a le défaut de régulièrement le limiter à guider les élèves sur ordinateur ou à les dépanner, hors de tout contenu info-documentaire.

La formation : par qui et sur quels aspects ?

Lors des premières sorties, il est donc possible d’avoir à interagir avec un collègue lui aussi novice quant au dispositif pédagogique du plein air. Pour que les choses se passent au mieux et qu’un projet de classe dehors s’installe dans la durée, nous ne pouvons que conseiller de se former à l’exercice auprès des spécialistes de la question. De très nombreuses associations ont pour objet d’accompagner à la sortie nature et peuvent être un grand soutien lorsque les séances ont un objectif naturaliste. Des réseaux comme le FRENE ou les GRAINE régionaux permettent de retrouver facilement les associations situées à proximité. Les programmes de sciences participatives tels que « Vigie nature école » portés par le Muséum national d’Histoire naturelle ou les observations de microplastiques de la Fondation Tara océan sont intéressants pour la récurrence des sorties, la place donnée à l’information et la qualité scientifique.

Concernant la pratique orale en extérieur et la lecture, les DAAC peuvent également être des relais efficaces et mettre en lien avec des associations de spectacle vivant qui peuvent aider à la prise de parole en extérieur. L’Institut coopératif de l’école moderne (ICEM) relaie pour sa part les initiatives liées à la pédagogie Freinet tout en proposant des formations à celle-ci. Dans la même ligne, la Fabrique des Communs Pédagogiques (FabPéda) a, depuis le premier déconfinement, un rôle fédérateur des initiatives autour de la classe dehors.

Enfin, et même si cette liste n’est pas exhaustive, les questions transversales de pratique en extérieur ont donné lieu à plusieurs dossiers réalisés par le réseau Canopé ainsi qu’à des formations Magistère, de la maternelle au lycée (Pillot & Chanard, 20225). Sans dénier l’apport de ces formations en ligne, y compris pour les collègues éloignés des centres de formation, il faut souligner que rien ne remplace la rencontre en présentiel avec des acteurs de l’éducation en extérieur. À ce titre, plusieurs académies réfléchissent à proposer des sessions « classes dehors » dans leur PAF, pour le moment destinées aux collègues du premier degré.

Visuel de présentation de la formation « Enseigner dehors dans le secondaire » disponible sur la plateforme Magistère

Conclusion : le CDI hors les murs, dépasser les freins et limites

Parvenue au terme de cette contribution, nous n’avons que brièvement abordé les problèmes concrets qui se posent à la profession en termes de sortie. Comment s’absenter du lieu auquel le professeur documentaliste est si souvent associé sans que cela soit considéré comme une défaillance ? Ou déplacer régulièrement des livres dans la cour du collège ou du lycée sans mettre en jeu sa santé au travail ? Peut-on sortir lorsqu’il pleut et comment gérer un groupe déjà compliqué en intérieur ? Ces questions sont légitimes mais ne peuvent appeler de réponse globale tant les situations sont spécifiques à chaque configuration d’établissement. On peut toutefois apporter au débat la notion de santé au travail. Nous nous sommes efforcée de présenter le dehors comme une corde de plus à l’arc qui permet au professeur documentaliste de se conformer à la circulaire de mission. Cela ne doit pas constituer une contrainte supplémentaire. Un froid hivernal est souvent plus supportable qu’une canicule et une pluie légère qu’un épisode de vent fort si tant est que tous les participants soient bien équipés, ce qui est loin d’être toujours le cas. Il vaut mieux alors, parfois, décaler une sortie prévue. De même, il convient d’être très attentif, par temps froid, aux élèves en situation de précarité énergétique à leur domicile et pour lesquels les salles de cours, même peu confortables, constituent peut-être la seule occasion d’être au chaud dans la journée. Dans un registre plus léger mais important quant aux conditions de travail, vous constatez que les élèves apprécient la sieste contée ou le fait de lire à l’ombre, dans la cour de récréation pendant leurs heures de permanence ? Ils peuvent donc participer à l’installation et au rangement en fin de séance sans que la manutention ne repose que sur le professeur documentaliste, l’acquisition d’un petit chariot pouvant aider dans bien des situations. La gestion d’un groupe pose souci ? L’emmener aux abords immédiats de l’établissement peut permettre de changer radicalement le cadre habituellement générateur de conflits.

La question du lieu de sortie est souvent décisive. Les configurations de cour de récréation sont très inégales et, hormis quelques rares exemples très récents, elles n’ont pas été pensées pour la pédagogie de plein air. Plusieurs solutions s’offrent aux collègues qui souhaiteraient extérioriser des séances. La première est de trouver un espace, non loin de l’établissement, et qui serait plus accueillant que ce que propose le collège ou le lycée. Les différents supports dispensés par Canopé ou la Fabpéda sont une aide pour éclaircir ce point, notamment du point de vue des autorisations. Un passage sur le site web de l’Office français pour la Biodiversité (OFB) donnera toutes les informations quant au montage de projet d’une aire marine ou terrestre éducative (AME et ATE), en partenariat avec une association. Il est également possible de demander à avoir accès à des zones de l’établissement interdites aux élèves lorsqu’ils ne sont pas sous la surveillance d’un adulte, car beaucoup d’EPLE en disposent. Par ailleurs, nous avons vu que le contenu des séances en extérieur ne requérait pas forcément la présence de faune ou de flore. Un environnement minéral peut tout aussi bien se prêter aux séances en plein air, dès lors qu’un peu d’ombre est disponible en cas de fort ensoleillement ainsi qu’une protection contre le vent et la pluie. Que les sorties se passent sur une terrasse, une pelouse ou dans la cour, un soin particulier doit dans tous les cas être porté au confort des élèves et de leurs enseignants. En pleine croissance, les adolescents ont besoin d’être bien installés, de préférence avec une possibilité de poser leur dos contre un dossier ou une surface rigide (mur, muret, chaises apportées pour l’occasion, tronc d’arbre, clôture, etc.), au moins lors des premières séances. Autoriser le mouvement, entre différents petits groupes par exemple, contribue également au confort de tous.

La quête du lieu propice peut aussi se traduire par un projet collectif de l’établissement, via le réaménagement de la cour. Sur la partie architecturale d’un tel dispositif, l’un des rôles du professeur documentaliste peut être de porter à la connaissance des différents acteurs la documentation disponible. Nous renvoyons ici transversalement aux ressources mises en ligne par les mairies, les CAUE, la page « Bâti scolaire » du Ministère et Canopé. Plus spécifiquement, le site de l’Enssib propose lui aussi des pistes intéressantes quant à l’achat de mobilier pour les bibliothèques souhaitant « sortir » leur salle de lecture, qui mériteraient d’être transposées au cas des CDI. Mais surtout, s’agissant de projets de longue haleine et aussi transversaux, leur inscription dans la partie « ouverture culturelle » de l’établissement est tout à fait possible. En collaboration avec les acteurs du collège ou du lycée intéressés, il est très stimulant d’accompagner les élèves souvent demandeurs sur le montage de ces projets. C’est par exemple ce qui a été proposé aux éco-délégués du lycée Renaudeau (Cholet 49). Réunir de l’information sur le sujet et les attentes de leurs camarades, communiquer autour du projet ont été autant de compétences travaillées avec l’équipe du CDI et des collègues de discipline en EMC notamment. Ces séances ont heureusement abouti, grâce au soutien de la Région Pays-de-la-Loire et de la direction de l’établissement, à la déminéralisation d’une partie de la cour en 2022, un projet pionnier dans le paysage des lycées français. En plus de la satisfaction de voir leur demande prise en compte par la collectivité, les éco-délégués ont eu celle de planter, avec de nombreux camarades, une mini-forêt à cet emplacement, grâce à une campagne de mécénat menée par une association locale (MiniBigForest). La pédagogie très différenciée menée en extérieur par le CDI à destination d’un petit groupe, comme nous le mentionnions plus haut, a ainsi eu des répercussions sur un ensemble beaucoup plus vaste d’élèves.
Ce type de projets, comme tous ceux qui concernent l’extérieur, contribue de façon évidente à développer l’autonomie des élèves. Plus encore, il leur permet de réaliser toute la portée de leurs actions et le fait de percevoir leur faculté à changer le cours des choses. Qu’il s’agisse d’empouvoirement, d’agentivité ou de capacitation, avec les spécificités de chacun de ces concepts (Maury & Hedjerassi, 2020), il est reconnu que la mise en action contribue très largement à faire baisser les émotions négatives telle que l’éco-anxiété, ce trouble ressenti par de plus en plus d’adolescents à l’égard de la crise de la biodiversité et du changement climatique. En tant que professeurs documentalistes, jour après jour, il est possible d’aider à créer ce sentiment de reprise en main de leur vie chez les élèves, dans la cour ou dans un jardin de la même manière qu’au CDI et de contribuer à proposer une éducation à l’Anthropocène de qualité. Après les épreuves que furent les confinements et leur suite pour nombre d’entre nous, faisons le pari de les accompagner sur le chemin de la construction d’un futur souhaitable grâce au dehors. Et puisqu’à plusieurs, on est plus fort, profitons de l’organisation des Rencontres Internationales de la Classe Dehors organisées à Poitiers du 31 mai au 4 juin pour nous rencontrer et oser cette pratique pédagogique enthousiasmante par bien des points.

Affiche des Rencontres internationales accueillies par la ville de Poitiers à la fin du printemps. FabPéda CC BY SA NC

 

Création d’une maison d’édition par des lycéens Les Éditions Je Vous aime

« Partout où il n’y aura rien, lisez que je vous aime »
Denis Diderot, Lettres à Sophie Volland, lettre du 10 juillet 1759

Tout est parti d’une boutade.
Les conditions d’exercice dans mon lycée (deux sites distants de dix bonnes minutes de marche, deux CDI distincts, journée continue) m’ayant amenée à développer la pédagogie de projet, je monte souvent des concours littéraires. En 2018-2019, j’en avais lancé un sur le thème Horizons, ouvert aux élèves du lycée, et en 2019-2020, un autre sur le thème Ruptures, qui, le confinement venu, a abandonné son caractère sélectif pour s’ouvrir à tout texte et aux contributions adultes. Nous avions besoin en cette période d’isolement forcé de maintenir un lien qui ne soit pas purement utilitariste et atténue l’angoisse.
Deux élèves, lauréats du premier concours, garçons passionnés de littérature et écrivains en herbe, avaient pris l’habitude de me rencontrer hebdomadairement au CDI pour que je corrige et améliore leur manuscrit en cours d’écriture. C’était un album illustré pour enfants. À des fins d’édition. Nous l’avons envoyé à plusieurs éditeurs, en vain, mais nous persévérions. Ce texte était sentimental, comme il convient au genre, fleur bleue parfois, tellement qu’un jour, en riant, je leur lance : « Vous devriez fonder les Éditions Je Vous aime ! » et nous voilà plaisantant, imaginant les noms de nos collections et nos futurs slogans publicitaires (trash).
Quelques mois plus tard, ils reviennent au CDI et me lancent : « Madame, on le fait ! » … Comme quoi le professeur documentaliste peut être un détonateur.
De deux élèves, nous sommes passés à quatre, puis cinq (trois filles et deux garçons). Une association loi 1901 a été créée pour les Éditions Je Vous aime, j’ai appris à cette occasion, grâce à eux, que des mineurs pouvaient le faire – car ils étaient tous mineurs – à condition d’avoir au moins 16 ans. Au bureau de l’association ne figurent que les élèves, les professeures documentalistes ne sont qu’adhérentes. Les statuts ont pour objet de promouvoir les jeunes talents artistiques, dans des domaines autres que la littérature, ce qui nous permettait d’ouvrir le champ des éditions. Sur le site de l’administration française (service-public.fr) on peut faire toutes les démarches en ligne et tout est gratuit, même la publication au Journal Officiel des associations1. Rien n’a posé de réelles difficultés, si ce n’est qu’en attendant d’avoir un compte bancaire, les Éditions Je Vous aime ont utilisé celui du père du président.
Puis nous avons préparé notre première publication : un livre issu d’un concours d’écriture libre sur le thème choisi par les élèves Adolescence.

Raphaël, Rosa, Mme Rousselle

Très vite, Nathalie Rousselle, professeure documentaliste sur l’autre site du lycée, nous a rejoints et nous avons fait connaître le concours à l’intérieur de l’établissement par les canaux de communication habituels (ENT, affichage, professeurs principaux, équipe de lettres…) pendant que les élèves créaient un compte Instagram pour les éditions et une adresse mail. Nous avons reçu 29 textes, de tout genre littéraire et de moins de cinq pages (en théorie !).
Nous avons donc dû choisir parmi ces 29 textes ; le jury, composé des élèves-éditeurs, de Nathalie Rousselle et de moi-même, s’est réuni un mercredi après-midi au CDI pour en juger. Il serait difficile de relater cette première séance, où la précision de l’argumentaire rivalisait avec le sens de la formule et de la pique qui fait mouche ! Agrémentés de carambars et de boissons sucrées, les débats étaient âpres : tous les textes (dont chacun avait préalablement pris connaissance) étaient lus à haute voix et commentés. On les éliminait au fur et à mesure en les jetant au centre de la table, bref une séance avec la fougue d’un tripot !
Toute forme étant acceptée, nous n’avions pas de critères préétablis, il nous a fallu les inventer ensemble, au-delà des traditionnels « premier, deuxième et troisième » prix ou « Prix coup de cœur ». Et cela a été l’occasion de définir notre ligne éditoriale : obligation d’avoir un destinataire, le lecteur (donc élimination des textes écrits « pour soi », même quand ils avaient des qualités littéraires), priorité à l’originalité et au style, notion « subjectivo-objective » ! Le jury a retenu huit textes, en prose, parfois poétiques, parfois théâtraux ou narratifs, tous personnels.
Les huit lauréats étaient en grande majorité des élèves du lycée, plus un texte sous pseudonyme dont le mystère n’a été dévoilé que bien plus tard.
La question financière s’est très vite posée, dès qu’un imprimeur a été trouvé (par les élèves) pour éditer le premier titre Adolescences. Que toutes les mamies soient ici publiquement remerciées pour le coup de pouce qu’elles ont donné, elles ont constitué en grande partie notre trésorerie initiale !
Nous avons ainsi édité une centaine d’exemplaires de ce premier titre, vrai livre avec un vrai ISBN, illustré par une élève-éditrice et vendu 15 euros. Tous les exemplaires sont partis très vite, sur l’un ou l’autre site du CDI, ou lors des séances de signatures et les lectures organisées au lycée. C’est au CDI également que nous avons fait la cérémonie de remise des prix, pendant laquelle chaque auteur a reçu un exemplaire du livre et une lithographie personnalisée par notre illustratrice en souvenir.

Lili et Lukas

Nous avions pris un rythme de croisière, avec une réunion hebdomadaire au CDI : nous discutions avec les élèves de l’avancée des choses, des tâches à accomplir (correction des textes, relations avec l’imprimeur, avec les auteurs, mise en page, dates et organisation des lectures, publicité…) ainsi que de leurs projets littéraires personnels, car bien entendu cette aventure n’aurait jamais été possible si les élèves n’avaient pas été passionnés de littérature et d’art en général.
De mon côté, j’ai cherché à donner un maximum de rayonnement à nos éditions. Le journal Le Parisien qui avait été contacté a publié un bel article sur le projet, et un rendez-vous a été pris avec la maire de l’arrondissement qui nous a reçus, grandement encouragés et a versé une subvention annuelle de 3000 euros.
Cela nous a permis de sortir le second livre assez rapidement, Version infinie, un recueil de poésie illustré par l’autrice elle-même, Rosa Carrier, une élève membre fondatrice de l’association.
Il nous a été moins facile de le vendre, au prix de onze euros, car il n’avait qu’un auteur (donc moins de familles et mamies…) et aussi parce que la poésie est un genre plus difficile, même dans un lycée très versé dans les arts comme le nôtre, avec des classes à horaires aménagés en musique, en danse et la spécialité et l’option théâtre… il nous en reste encore quelques-uns. Avis aux amateurs ! Le journal municipal a interviewé l’autrice au sujet de sa passion de l’écriture et des Éditions Je Vous aime. Nous avons organisé à nouveau des lectures et des signatures, musicalisées par les élèves eux-mêmes, au lycée et à la petite librairie Le Guillemet avec laquelle nous travaillons.
Nathalie Rousselle a eu l’idée de nous mettre en contact avec le centre d’animation municipal Beaujon de notre secteur. De là est née une collaboration qui continue encore aujourd’hui, et l’idée de faire des Éditions Je Vous aime un laboratoire de création artistique pour la jeunesse. Le chargé de programmation du centre nous a aiguillés vers une autre subvention de la mairie de Paris qui soutient les projets des jeunes, Quartier libre, subvention que nous avons obtenue.
Parallèlement, nos jeunes éditeurs créaient le site internet des Éditions Je Vous aime et nous lancions le second concours d’écriture sur le thème Désir. Les élèves ont conçu affiches et flyers. Et cette fois les participations sont arrivées non seulement de Paris, mais de toute la France et même du Luxembourg.
Le nombre de textes reçu augmentant et le niveau littéraire également, il convenait d’envisager la réunion du jury sur un autre modèle que la première : une seule réunion ne permettait plus la lecture à haute voix in extenso de la quarantaine de textes reçus. Nous avons dû organiser deux réunions, une première « éliminatoire » et une seconde pendant laquelle nous avons imaginé le libellé des prix correspondants à chaque texte des treize auteurs retenus, avec humour et imagination, car nous commencions à nous sentir à l’étroit dans les formes habituelles du concours. Quelques exemples de libellés : Prix de la chute, Prix Chanel numéro 5, Prix Icare, Prix du mandat d’arrêt, Prix du casting, Prix de la chromo, etc. Les critères étaient les mêmes que pour la constitution du premier livre : hardiesse et originalité, sur le fond comme sur la forme, engagement personnel dans le texte, intentionnalité manifeste de s’adresser à un lecteur. Trois jeunes filles ont illustré le recueil de dessins en couleur.
La mairie du huitième arrondissement a mis à notre disposition la salle des mariages pour la remise des prix qui s’est donc déroulée dans la magnificence des ors de la République.
Le recueil Désir, sorti en avril 2022, est en vente sur le site des éditions2 et au lycée.
Cette année, notre troisième concours d’écriture a été lancé en septembre sur le thème Exploser le cadre ! Les textes pouvaient être envoyés, jusqu’à fin janvier, par mail à editionsjvm@gmail.com ou par lettre au lycée Racine en mentionnant le concours. Il fallait seulement avoir moins de 25 ans et écrire 5 pages maximum. Il donne lieu à notre quatrième livre.
Le jury s’est réuni fin janvier pour une après-midi de travail pendant laquelle nous avons sélectionné 8 textes sur les 33 reçus. C’est un bon cru, les textes étaient nombreux à être de qualité. Pour les départager, les débats ont porté, cette fois-ci, sur l’importance accordée à l’interprétation, plus ou moins serrée, du thème, sur l’originalité de la forme, et même sur les potentialités que le texte, même imparfait, laissait deviner de son auteur. Du vrai travail d’édition donc ! Trois des auteurs choisis ont été sollicités pour améliorer leur texte en fonction des propositions qui ont été faites. Le recueil est disponible au lycée et sur le site des éditions.

Sur le vif ! Paroles d’élèves

« Tout est parfaitement visible, comme au cinéma. Et quelle peinture économique et sociale. Il y a du Balzac ! On tient là un romancier, j’en suis sûr ! » (Balthazar à propos d’un texte qui ne faisait pas – encore – consensus.)

« Je ne sais pas si ce thème est rebattu, peut-être, mais le texte est intéressant du point de vue psychanalytique et la chute, moi, m’a surprise. Je ne m’y attendais pas du tout. » (Rosa, défendant un texte contre tous.)

« Les textes sont imparfaits, c’est normal. Mais il vaut mieux choisir un texte avec un rapport discret au thème qui demande moins de retravail, qu’un autre, en plein dans le thème, mais qui risque de ne rien donner après réécriture. » (Raphaël, sur le fait de savoir si être loin du thème est rédhibitoire ou pas.)

« Ce n’est pas grave si je suis éliminé ! Comme on peut envoyer des textes jusqu’à l’âge de 25 ans, j’ai encore quatre ans pour m’améliorer ! » (Lukas, qui n’a pas participé au jury car il a concouru.)

Balthazar et Raphaël

Les Éditions Je Vous aime ont fait également un appel à projet cette année, qui ne constitue pas un concours, pour une exposition collective sur le même thème, d’œuvres d’arts plastiques (photographie, dessin, peinture, collage…).

Les élèves à l’origine du projet éditorial ont toujours fait preuve d’un grand bouillonnement créatif. Et dès 2022, deux d’entre eux, Balthazar Pouilloux et Rosa Carrier, ont, pour le premier écrit, et pour la seconde co-mis en scène, un seul en scène, Fugue, joué à l’espace Beaujon par Balthazar, sur la question du viol dont sont victimes parfois… les hommes.

Depuis, la vocation d’incubateur artistique des Éditions Je Vous aime ne cesse de s’affirmer : le projet en cours est d’adapter Le Petit Prince de Saint-Exupéry en opéra. Deux élèves écrivent le livret et mettent en scène, des élèves ou anciens élèves du lycée, musiciens ou élèves au conservatoire régional de musique, composent, orchestrent, jouent ou chantent et un professeur de musique dirige le chœur. La représentation aura lieu à la salle Gaveau à Paris, le 11 juin à 16 h.
Les membres fondateurs des Éditions Je Vous aime qui ont vu le jour en 2020 sont maintenant étudiants et ont quitté le lycée. Le pari est désormais de faire vivre la maison d’édition en intégrant les nouveaux élèves qui ont rejoint l’aventure cette année, et de trouver un mode de fonctionnement démocratique permettant aux envies de chacun de s’exprimer et aux talents de tous de s’épanouir.
Souvent, les professeurs documentalistes pâtissent des nouvelles réformes au sens où les collègues de discipline, obsédés par l’idée de « tenir le rythme » et finir le programme, écrasés par les nouvelles tâches liées aux diverses procédures informatiques, n’ont plus le temps de collaborer avec eux : ce que les Éditions Je Vous aime démontrent, c’est qu’il suffit de réaliser à quel point nos élèves sont brillants, passionnés, entreprenants et ambitieux pour pouvoir, à leurs côtés, jouer notre rôle de catalyseur.