Enseignement scientifique, oral et carte mentale…

Comment proposer aux élèves une démarche créative afin de préparer une prestation orale ? Cartographier, scénariser pour mieux oraliser. Cet article propose une réflexion sur l’utilisation de la carte mentale dans le cadre de l’enseignement scientifique en première.

Le programme d’enseignement scientifique a été mis en place à la rentrée 2019 (arrêté du 17 janvier 2019, modifié par l’arrêté du 30 mai 2023, paru au Journal Officiel du 17 juin 2023) : deux heures par semaine autour de trois matières (SVT, physique-chimie et mathématiques). C’est un enseignement qui permet de « raconter une aventure de l’esprit humain, lancé dans une exploration du monde (la science pour savoir) et dans une action sur le monde (la science pour faire) » (Bulletin Officiel, 22 juin 2023, n° 25, Annexe p. 1). Outre les connaissances scientifiques, sont étudiées les dimensions historiques ainsi que les effets et les grands enjeux sur le monde contemporain.

En première, cet enseignement est destiné à l’ensemble des élèves, quels que soient leurs choix de spécialité ; aussi ces 2 heures sont-elles différemment identifiées par les lycéens à « sensibilité plus ou moins scientifique ».
Le programme mentionne que cet enseignement cherche à « contribuer au développement en chaque élève d’un esprit rationnel, autonome et éclairé, capable d’exercer une analyse critique face aux fausses informations et aux rumeurs ».
Cela m’a semblé, en tant que professeure documentaliste, une formidable occasion pour développer les compétences info-documentaires orales et numériques des élèves dans un cadre interdisciplinaire. C’est dans cette perspectives que le choix a été fait d’adopter une démarche créative, mobilisant la carte mentale comme support aux apprentissages mis en œuvre dans ce contexte.
J’exposerai tout d’abord les choix pédagogiques effectués dans le cadre d’une collaboration avec un enseignant de physique. Puis j’évoquerai plus spécifiquement la carte mentale comme outil d’aide à la hiérarchisation et à l’organisation des connaissances, avant de présenter le déroulé des séances en m’attachant à mettre en évidence et à caractériser la part prise par la démarche créative en cours de processus. Je terminerai par un bilan de la séquence.

Enseignement scientifique et Lumières, au centre des « explorations »…

Après qu’un collègue, professeur de physique, et moi-même avons échangé, nous avons décidé de concevoir un projet qui permette une démarche plus personnelle et motivée des élèves, quelle que soit leur sensibilité.
Il s’agissait de les engager à construire une problématique à partir d’un sujet original choisi par eux ou d’autres proposés par nous afin d’aboutir à une présentation constituant un entraînement au Grand oral.
Nous souhaitions lier cette démarche à des thématiques abordées en enseignement scientifique en présentant des axes de recherche principaux : la question de l’âge de la terre, les grandes expéditions scientifiques, la notion de progrès…
Or, nous rencontrons dans le programme d’enseignement scientifique les mêmes thématiques que celles traitées par les acteurs des Lumières. Certaines sont scientifiques comme la question de l’âge de la terre, de sa « forme » ou l’origine de notre planète, la question de la vaccination… ; d’autres sont davantage d’ordre social et politique, comme les débats de société nécessitant une compréhension des raisonnements et des notions.
En seconde, les élèves ont tous suivi en histoire un enseignement sur « Les lumières et le développement des sciences » (chapitre 1 du thème 4 : « Dynamiques et ruptures dans les sociétés des XVIIe et XVIIIe siècle » ; arrêté du 17-1-2019 publié au Bulletin Officiel spécial n° 1 du 22 janvier 2019).
Nous avons donc introduit le projet en accompagnant les thématiques d’une présentation des principaux acteurs des Lumières (Diderot, d’Alembert, Condorcet, Émilie du Chatelet…). Il s’agissait d’aider les lycéens à mieux saisir le contexte pour élaborer une problématique. Le but n’était pas de produire un copier-coller d’une biographie ou d’un événement mais bien de construire son besoin d’information, et de se questionner par rapport à ses propres connaissances ou à ses intérêts plus marqués. Un corpus trop large peut provoquer une errance chronophage.
Il est ainsi nécessaire de se questionner, de repérer le problème à résoudre. Pour cela, il est fondamental que l’élève soit véritablement impliqué dans cette démarche.

La carte mentale, un outil d’aide à la hiérarchisation et à l’organisation des connaissances

La carte mentale, ou carte heuristique (du grec heuriskein, trouver), est le terme retenu pour traduire mind map ; la technique dite de mindmapping (cartographie mentale) a été popularisée par le psychologue anglais Tony Buzan qui associait dans les années 70 la représentation visuelle d’idées ou de concepts au fonctionnement cérébral (Buzan & Buzan, 2016).
La carte mentale est présentée comme un outil favorisant l’organisation et la représentation structurée des idées, la mémorisation des savoirs et le développement de la créativité. L’un de ses principaux intérêts est de permettre une visualisation arborescente et hiérarchisée des informations (Le Deuff, 2011). Elle comporte aussi une dimension esthétique : par les modes d’agencement variés des idées, par le recours aux couleurs et aux dessins, les élèves réalisent une production qui peut leur apporter satisfaction.
Se sont aussi développées des solutions logicielles et des applications en ligne qui présentent l’avantage d’être très modulables et interactives, l’outil numérique facilitant l’organisation des informations collectées (liens vers des sites web et intégration de courtes vidéos). (Nobis, 2014.)

Figure 1 – Carte mentale « Diffusion des savoirs au XVIIIe »

Une préparation progressive à l’oral : cartographier, scénariser pour mieux oraliser

Avant la première séance, les lycéens ont été invités à s’organiser en binômes ou en trinômes (l’heure de cours accueillant un demi groupe classe).
Chaque séance est évaluée ; les critères sont annoncés aux élèves afin de les motiver de façon continue.

Problématiser et cartographier (séance 1)

Selon la sensibilité de chacun, les élèves sont partis de l’examen du corpus de documents (chapitres de livres, articles… : voir la liste jointe) ou ont réfléchi en groupe pour dégager une problématique (la technique des 3QOCP leur a été rappelée).
Des consignes avaient été présentées sur un Padlet auquel ils pouvaient se référer : Présentation générale, Déroulé des séances, Consignes de travail.

Figure 2 – Padlet de consignes

Lors de cette séance, les échanges ont porté sur « l’acceptabilité » des problématiques. Il est bien évident que la problématique pouvait être modifiée jusqu’à la séance suivante en fonction des recherches et des constats du groupe. C’est un exercice que les lycéens ne maîtrisent pas complètement bien qu’il soit nécessaire dans nombre de disciplines.
Réaliser et s’appuyer sur une carte mentale (sur papier ou sur support numérique), lors de cette première étape, est un exercice exigeant mais très efficace pour générer des idées et les organiser. L’outil carte mentale présent dans l’ENT numérique permet d’évoluer dans un cadre sécurisé.
Des consignes ont été données : choisir des intitulés courts et signifiants, ne pas trop développer l’arborescence (développer au-delà de 3 niveaux créerait de la confusion dans le contexte de cet exercice : « servir d’appui à un oral »).
Sur ce support, les élèves peuvent déplacer certaines informations vers une catégorie plus adéquate ou ôter celles qui seraient redondantes. La carte permet la mémorisation des prises de notes et/ou le relevé de citations pertinentes.
Bien évidemment, cette démarche s’accompagne d’une recherche documentaire qui répond au besoin d’information (dans une encyclopédie, sur le portail du CDI). Les élèves peuvent ainsi diversifier leurs mots-clés, questionner leur sujet et mieux construire leur équation de recherche.
Pour ce faire, il leur était rappelé de mener activement des recherches tout en construisant leur carte. Certains élèves avaient des difficultés à élaborer leur schéma heuristique, cherchant des idées sans se soucier d’investiguer.
En tant que professeure documentaliste, c’est de nouveau l’occasion de revenir sur le degré de fiabilité des informations et d’évoquer la pertinence de la recherche documentaire à l’aide d’un logiciel dédié (Esidoc) par rapport à la requête sur Internet.
C’est aussi l’occasion de souligner l’importance de la citation des sources et les modalités de présentation de références biblio-sitographiques.
C’est au cours de cette première étape que nous constatons véritablement l’hétérogénéité de la classe (compréhension des consignes, rapidité de recherche…) malgré la présentation détaillée des acteurs étudiés (Buffon, Lavoisier, d’Alembert, Condorcet, Diderot, Voltaire, Rousseau…) et la sélection des thématiques.

Référencer (séance 2)

Les élèves doivent alors confirmer leur problématique et finaliser une sito-bibliographie.
Leur est présentée la norme usitée dans Esidoc même s’ils pourront employer une norme simplifiée. Ce sont de nouvelles difficultés pour certains qui ont du mal à isoler un article de périodique ou une page de site Internet.
Après avoir créé une « collection » sur Pearltrees (disponible dans l’ENT), nous leur demandons de collaborer : ils peuvent ajouter des « éléments » (documents sur tout type de support) dans leur propre collection ; c’est une incitation au stockage et à l’organisation des documents qui sont ainsi plus aisément identifiables et référençables.
Dans l’optique de la production orale, nous avons choisi d’utiliser la plateforme Genially afin de créer une présentation interactive qui pourra servir de support. C’est un outil qui facilite la hiérarchisation des documents tout en les rassemblant dans une production unique. C’est au cours de cette séance que le fonctionnement de la plateforme leur est expliqué.

Hiérarchiser et organiser (séance 3)

Entre les séances 2 et 3, les lycéens doivent donc se familiariser avec l’outil Genially et préparer les documents qu’ils ont retenus (textes, images ou schémas élaborés) sous forme numérique et facilement exportable.
Il y a trop souvent une perte de temps dans les manipulations de documents ; les séances doivent permettre les échanges sur l’évolution des problématiques et les problèmes de reformulation plutôt que sur les soucis de format.
Le grand intérêt d’une présentation interactive est qu’il faut concevoir un menu et des liens de hiérarchisation de premier ou second degré ; il s’agit d’organiser sa pensée, de moduler sa documentation selon l’organisation générale (synthétiser un texte, modifier ses choix d’image, rectifier un schéma…).
Dans le cadre de ce travail, le menu peut souvent s’adapter aux éléments génériques de la carte mentale.
Nous avons été agréablement surpris par les choix documentaires de certains groupes qui ont fait preuve de maturité en illustrant leurs arguments par des éléments totalement appropriés (faisant un réel effort de synthèse textuelle, réfléchissant à l’agencement des liens hypermédia, manifestant une bonne compréhension de la nécessité d’un élément graphique représentatif…).

Mettre en forme (séance 4)

Lors de la séance de finalisation, selon l’achèvement des productions, nous intervenons pour échanger et conseiller les lycéens. Certains en sont au stade de la simulation d’oral et prennent conscience véritablement de la navigation adaptée ou non de leur présentation ; d’autres mettent un point final à la conception de leur production.
L’ajout d’icônes, d’illustrations est une aide à la mémorisation des informations à présenter. La prise de parole s’en trouve facilitée car l’élève formule ses phrases à partir d’expressions-clés figurant sur le menu.

Oraliser (séance 5)

La dernière séance est consacrée à la présentation orale des travaux ; les lycéens ont été prévenus des critères d’évaluation et ont donc pu s’organiser en connaissance de cause (les critères : la fiabilité des éléments de connaissance présentés, la capacité d’argumentation, la précision de l’expression, le partage du temps de parole et la posture).
Il ne s’agit pas d’un « Grand oral » personnel mais d’une préparation qui tient compte du groupe.
À ce stade, le support graphique s’avère être un bon outil au service de la communication orale : il aide à la construction et à l’exhaustivité de l’argumentation, et permet l’accès direct à des exemples pertinents.
Nous avons noté une diversité de comportements mais la plupart se sont emparés de cette occasion pour présenter une prestation dynamique et informée.
Cette séance permet une évaluation formative collective où les élèves apprennent les uns des autres.
À la suite de ces oraux, la majorité des productions a été présentée dans le hall du lycée sous la forme de posters, accompagnés d’un QR code renvoyant vers la présentation interactive, ce qui a valorisé les élèves auprès de leurs pairs.

Figure 3 – Buffon et l’« évolution »
Figure 4 – Lavoisier, fondateur de la chimie moderne
Figure 5 –Posters équipés de QR codes

Pour conclure : une démarche créative stimulante aux effets bénéfiques

La carte mentale est une aide précieuse pour les élèves lors de leur préparation à l’oral. Elle leur a permis de dépasser une approche linéaire de la prise d’informations et d’adopter un cheminement plus arborescent, stimulant pour le cerveau, par associations d’idées autour de la thématique principale ; elle a également été un support efficace et une aide pour ordonner les différents éléments collectés et/ou générés, et structurer leur pensée en vue de la communication finale. Ils ont ainsi pu gagner progressivement en assurance dans leur démarche, et acquérir une méthode.
Pour autant, certains élèves ont parfois eu du mal à effectuer cette démarche, ils doivent être aiguillés vers des pistes de problématiques. Nous avions déjà resserré les propositions et mis à disposition un corpus de documents à explorer ; sans cela, les laisser livrés à des recherches Internet serait chronophage et inefficace.
Nous anticipions aussi que l’usage d’un outil numérique de création de contenus interactifs focaliserait l’attention de nombre d’élèves ; aussi l’avons-nous introduit progressivement en en présentant les usages sans pour autant concentrer l’attention sur la production finale.
De même, il a fallu modérer les citations de références de sites web en évoquant de nouveau la nécessaire validation et structuration des contenus.
L’évaluation a été continue, séance après séance (respect des consignes et des délais, participation active dans les groupes…), ce qui permet, en tant que professeure documentaliste, de voir notre évaluation « spécifique » reconnue (recherche documentaire, sito-bibliographie, organisation des données, structuration des connaissances…).
Tous les lycéens n’ont pas la même aisance lorsqu’il s’agit de problématiser, d’effectuer des recherches et de présenter leurs travaux, mais la démarche adoptée (arborescence, menu, hiérarchisation des liens…) a souvent facilité leur présentation orale. Et elle leur a permis d’expérimenter des outils et des méthodes qui pourront être réutilisées dans d’autres contextes disciplinaires, hors enseignement scientifique.