Datavisualisation du budget des CDI

Quelle est la part dans le budget des établissements consacrée au fonctionnement du CDI ? Cette question, en apparence simple, ne l’est pas tant que cela dès qu’il s’agit de la quantifier de manière claire, par exemple en euros par élève, sachant que cette valeur ne recouvre ni les mêmes achats, ni les mêmes types ou tailles d’établissements, ni les mêmes réalités géographiques. Pour les uns, ce budget comprend tout : livres, abonnements, logiciels, papeterie, expositions ; pour les autres, il s’agit uniquement des commandes de livres excluant par exemple tout manuel ou série. Dans telle académie la moyenne est de tant alors que dans telle autre, elle est nettement différente.
Bref, un chiffre simple qui reflète également une politique documentaire.
Mais d’abord quel est ce budget ? Comment obtenir son montant ? Que peut-on en déduire ?
Le plus simple n’est-il pas de demander aux principaux intéressés, les professeurs documentalistes ?
C’est ce qui a été fait fin 2023.
Que pouvons-nous extraire des données de l’enquête1 ? Que disent-elles et que ne disent-elles pas ? Comment le passage au mode graphique peut-il mettre en lumière de nouvelles informations ?
Voici quelques éléments pour initier, très modestement, une réflexion à partir de diverses datavisualisations.

Objectifs

La fourchette par élève est connue. Selon les enquêtes2, la valeur moyenne du budget par élève varie grosso modo entre 4 et 7 €.
Peut-on aller plus loin ? Y a-t-il des éléments plus précis que l’on pourrait déterminer ? Que signifie cette moyenne ? Et d’ailleurs que recouvre exactement ce budget et à quoi le comparer ?
C’est ici que la datavisualisation peut peut-être nous aider.
Il s’agira donc moins de classer, quantifier, représenter visuellement les informations sous forme de tableaux ou de graphiques que de tenter d’en extraire de nouvelles informations.

Méthodes de l’enquête

Les données budgétaires sont fournies directement par les professeurs documentalistes. Ils ont été invités à les transmettre une première fois pour une enquête générale sur le CDI type en 2022 (voir https://emi.re/moncdi.html) puis plus spécifiquement sur le budget en décembre 2023. L’enquête a été lancée via la liste e-docs3.
Je profite de cette page pour remercier toutes celles et ceux qui y ont répondu pour leur esprit de coopération et de mise en commun qui rend ce type d’enquête possible. Elle a permis à d’autres moments de savoir combien nous étions4, nous, professeurs documentalistes, avant même d’avoir les chiffres officiels ou de tenter de déterminer une semaine type.
Les graphiques interactifs sans commentaire sont visibles à cette adresse : https://emi.re/datas-budget.html

API, UX et Datas…

Comment mettre en œuvre cette enquête ? Le questionnaire classique était exclu d’emblée. Trop «classique».
L’objectif était de rendre les résultats immédiatement visibles en ligne.
Évidemment, le corollaire de ce dépouillement en direct est le contrôle des valeurs. Et cela via diverses méthodes.
Pour saisir les données, un seul champ au départ, celui qui permet de renseigner l’UAI (ex RNE) de son établissement et de s’engager à fournir des données fiables.


Cette première saisie va afficher une fiche établissement préremplie. Les données sont issues de l’agrégation de nombreuses données ouvertes proposées par le MEN sur data.education.gouv.fr/.
Sur la page spécifique pour le budget, ne sont proposées que certaines informations, si elles sont connues, dont un plan de géolocalisation, diverses données administratives et l’effectif de l’établissement.

Il s’agit ici de simplifier au maximum la saisie. Un champ libre permet également de corriger ou compléter certaines données.

Ces données, sauf si elles sont trop manifestement aberrantes et mises de côté automatiquement via quelques algorithmes de contrôles, sont ensuite ajoutées à la base de données et un message alerte de la nouvelle saisie pour une nouvelle vérification.
La page https://emi.re/moncdi.html agrège ensuite les données qui sont actualisées à l’affichage (sauf pour certaines qui ont été consolidées).
Les technologies employées sont très classiquement des tables MySQL, PHP, JavaScript, HTML et css. Les données ont été consolidées début mai 2024 pour la rédaction de cet article.


Biais et imprécisions

Quels sont les biais ou imprécisions de ce type d’enquête ? Tout d’abord, la diffusion aux seuls abonnés de e-docs, qui ne constituent pas la totalité des professeurs documentalistes, n’est pas forcément représentative de l’ensemble de la profession. La confiance, ensuite, dans la précision et la véracité des saisies, les motivations de saisies ou de non saisies, le nombre de réponses…
Autant de modulations possibles et dont il faut bien évidemment tenir compte. D’autres biais, notamment liés aux insuffisances du nombre de données, ne permettent tout simplement pas de donner une information. Par exemple, une moyenne académique à partir de quelques valeurs.
Le nombre d’élèves par établissement est fluctuant et a souvent été corrigé à la marge par les professeurs documentalistes. Les établissements de moins de 80 élèves n’ont pas été retenus. Il existe également des CDI sans budget, ou avec des budgets extrêmement faibles. Ils n’ont pas été retenus.
Mais quelle est la part de ces CDI sans aucun budget ? Comment faudrait-il l’intégrer dans une moyenne ?
Une partie de ces imprécisions sont traitées via des indicateurs de type écart à la moyenne trop important ou irréalistes, et la non prise en compte de chiffres non signifiants. D’autres sont lissées du fait même des méthodes de calculs.
D’autres biais, enfin, ne peuvent tout simplement pas être pris en compte.
Au total il s’agit de tenter de trouver des résultats approchants et d’éliminer ceux intrinsèquement faux.
Mais toutes ces données ne restent évidemment qu’indicatives et doivent être prises pour telles. Il s’agira donc de ne pas surinterpréter les résultats et surtout de considérer les tendances, de comparer les établissements et les géographies.

Les réponses

Les données de la première enquête de 2022, plus de mille réponses, sont corrélées avec celles plus spécifiques sur le budget : 356 réponses dont 344 sont retenues pour le budget, 327 pour la partie abonnements et 95 pour la partie numérique. Selon les types de graphiques, certaines données peuvent être écartées.

Répartition des réponses par académie

Hormis la Guadeloupe, la Martinique, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis et Futuna, toutes les régions académiques ont répondu.

Nombre, type d’établissements

Ce sont essentiellement les collèges qui ont répondu, pour plus des deux tiers des réponses, suivis des lycées généraux et polyvalents pour terminer par les lycées professionnels et technologiques. En pourcentage le nombre des réponses est quasi celui de la répartition source MEN, 67 % contre 66 %, un peu inférieur pour les LEGT, 19 % contre 23 % et supérieur en LP 14 % contre 11 %.

 

Moyennes, écarts types, médianes…

Les moyennes de l’enquête sont de 5,01 € par élève, 4,51 € en collège, 5,63 € en LEGT et 5,78 € en LP.

Mais cette moyenne reste fortement caractérisée par les valeurs extrêmes et des résultats très hétérogènes comme le montrent écarts-types et coefficients de variation.


L’écart-type est assez élevé, 3.45, plus particulièrement marqué en LP (4,76), un peu moins en LEGT (3,56) et encore moins en collège (2,90).
L’écart-type est une mesure de dispersion des données autour de la moyenne. Plus il est grand, plus les données sont éloignées de la moyenne. Inversement, plus l’écart-type est petit, plus les données sont concentrées autour de la moyenne. Autrement dit, il montre une forte disparité des valeurs.


Cette dispersion est d’ailleurs confirmée à la fois par le coefficient de variation5 de 69 % et les valeurs de mini / maxi.


La médiane, valeur qui sépare la moitié de la distribution pour l’ensemble des données est de 4,75 € par élève,
4,33 € en collège, 5,91 € en LEGT et 5,63 € en LP. Autrement dit, 50 % des valeurs sont supérieures à ce chiffre, 50 % sont inférieures.

Ici, cela montre une répartition marquée par les valeurs basses et, en LEGT, avec une médiane supérieure à la moyenne tirée par quelques valeurs très élevées.

 

Répartitions, écarts à la moyenne

D’autres indicateurs nous permettent de mesurer la granularité et la répartition des données, notamment les droites de régression.
Les budgets augmentent-ils en fonction de la taille des établissements ? Cela semble évident, intuitivement : encore fallait-il le vérifier.


Plus le nombre d’élèves est important, plus le budget l’est. Ce truisme est confirmé par les droites de régression6. La droite de régression fournit une idée schématique de la relation entre les deux variables, ici la taille de l’établissement et la valeur du budget.
Mais, et en même temps, le budget par élève, lui, diminue, surtout en LEGT.


Et ce paradoxe apparent est aussi très prévisible.
Les budgets augmentent par taille d’établissement et permettent donc plus d’achats. Un élève d’un établissement plus grand dispose donc de plus de documents mais d’un budget par élève moins important.
Cela se retrouve d’ailleurs sur le terrain7. Les fonds des LEGT sont généralement les plus fournis.
Autrement dit, la valeur moyenne n’est pas suffisante en tant que telle, il faut également la corréler ou la pondérer avec la taille de l’établissement.
Le budget augmente avec la taille de l’établissement mais proportionnellement moins par élève qu’en valeur absolue. Pour comparer les valeurs par élève, il faut donc aussi comparer les tailles d’établissement.

Régions académiques

En plus de la forte variabilité entre les types d’établissements, une autre dispersion assez forte est celle que l’on constate dans les régions académiques. Que ce soient les médianes ou les moyennes, les budgets ne sont pas les mêmes selon les académies. Il faut toutefois pondérer les résultats du fait du faible nombre de réponses par région académique pour certaines d’entre elles (voir la rubrique réponses).

Abonnements

La dispersion des valeurs des budgets abonnements est encore plus forte que pour les livres, notamment en LEGT et LP.

Ressources numériques

Là encore une médiane (517 € / élève) très inférieure à la moyenne (901 €) avec quelques valeurs qui la «tirent» vers le haut. Une moyenne de 901 € par élève et toujours une plage de mini/maxi très élargie.

Comparaison vaut raison… ou pas

Que recouvrent ces valeurs ?

La première chose à noter c’est qu’un budget CDI n’est que rarement déterminé par une seule ligne du budget d’un établissement scolaire. Les abonnements peuvent être imputés sur des budgets disciplinaires, voire de sections, les petites fournitures intégrées ou à part, les logiciels imputés ou non.

Quelquefois, il n’existe pas de ligne spécifique pour le CDI, ce qui peut paraître avantageux ici, parce que cela évite les dépenses des disciplines par peur de baisse de budget, mais regrettable là, parce qu’un enseignant plus influent obtiendra par exemple la prise en charge de coûteux livrets pédagogiques non réutilisables en nombre.
Cinq euros par élève, ce n’est donc pas ce qui est consacré aux achats de ressources documentaires mais simplement une moyenne.

Cette moyenne, on l’a vu, permet de comparer les budgets entre établissements de taille identique et dans une même académie. Que ce soit en dehors de ces critères ou même de façon plus générale, la disparité des moyens est forte et tient bien plus à une politique et/ou à une négociation locale qu’à des consignes ou indications nationales, qui n’existent d’ailleurs pas.

En tout état de cause, un écart important à la moyenne reste un indicateur de gestion et de négociation.

Car, au final, il s’agit avant tout de négociations.

À quoi les comparer ?

Cette moyenne de 5 € est-elle importante en soi ? Certes non. Elle n’a de valeur que comparée à la moyenne ou la médiane mais aussi en la relativisant par rapport à d’autres dépenses.

Par exemple les bibliothèques publiques8.

La moyenne des dépenses documentaires par habitant s’élève à 2,09 €, selon un rapport élaboré par le ministère de la Culture Direction Générale des Médias et des Industries Culturelles – Service du Livre et de la Lecture Observatoire de la Lecture Publique.9
S’agissant d’une moyenne par habitant, 67.993.000 à la date de l’enquête pour 6.187.588 usagers inscrits dans les bibliothèques publiques, la moyenne par usager est de 23 € environ. Autrement dit, une valeur très nettement supérieure à celle des CDI.
Une autre valeur pour le coup bien plus comparable est celle des manuels scolaires. Pour l’académie de La Réunion cela représente 85 € par élève10 de lycée dans le secondaire pour les manuels numériques. Notons ici que les établissements font le plus souvent des achats de licences individuelles, ensuite activées, ou pas, mais dans tous les cas payées.

85 €, comparés aux 5 € pour le CDI, cela relativise la part consacrée à la culture et à la documentation.

En ce qui concerne les dépenses culturelles moyennes par ménage en 2017, elle était de 117 € pour les livres11.

Plus généralement, la dépense en fournitures scolaires s’élève en moyenne à 150 €, soit 20 % de la dépense des ménages. Moins importante dans le premier degré (entre 30 et 110 €) que dans le second (entre 200 et 390 €), elle est particulièrement élevée pour un élève de lycée professionnel en raison de la nécessité d’acheter des vêtements de travail et des matériels professionnels spécifiques.

Bref, au total, la part consacrée au fonds documentaire reste très faible, voire très très faible par rapport aux autres dépenses, notamment liés aux manuels scolaires et plus généralement à la lecture.

Micro vadémécum de la négociation du budget

Les différents tableaux de cette enquête peuvent servir d’argumentation et de base de négociation lorsque votre situation est clairement hors cadre. Quel est votre budget, comparé aux établissements de même type et de même taille de votre environnement ?

Que couvre ce budget ? Y a-t-il des achats qui relèvent clairement d’autres lignes budgétaires ? Le budget global souvent invoqué n’est intéressant que s’il vous permet de réaliser toutes vos commandes en fonction de votre politique. Toutes les dépenses n’ont pas vocation à être dans le compte 6186 – Bibliothèque des élèves…12
Par exemple, les fournitures scolaires, les achats de petits matériels, les logiciels documentaires n’ont rien à faire dans le budget livres pédagogiques13.

Le compte 618 « divers » correspond aux dépenses concernant la documentation et aux frais pour l’organisation de colloques, séminaires et conférences. Pour les EPLE, il comporte seulement deux subdivisions : le compte 6181 enregistre les dépenses de documentation générale et administrative (abonnement, ouvrages, ouvrages électroniques) ; et le compte 6186 « bibliothèque des élèves » enregistre les factures de documentation à destination des élèves et plus particulièrement celle du CDI, quelle que soit sa forme14.

Ensuite, il pourra être intéressant de séparer le budget en autant de parties et donc de lignes budgétaires que nécessaires : livres, périodiques, fournitures, numérique, autres frais, etc.

Enfin, il ne faut pas négliger le projet de politique documentaire du CDI, notamment dans son volet gestion/achats par exemple en le présentant au CA pour demander un budget CDI précis et fléché.

Que conclure ?

En l’absence de consignes nationales ou académiques, les budgets des CDI sont caractérisés par une grande disparité autour d’une moyenne de 5 € par élève environ. Ils sont le plus souvent tributaires de négociations ou de politiques documentaires locales. Il existe même des CDI sans budget. Les moyennes par élève dépendent donc à la fois des types d’établissements, de leur taille et de leur implantation géographique.
Comparés à d’autres dépenses (lecture publique, manuels scolaires), ils restent particulièrement bas et souvent noyés dans d’autres lignes budgétaires, et ce, pas toujours au bénéfice de la lecture. Les dépenses elles-mêmes couvrent, souvent, des achats très divers. Au total, outre la disparité, c’est l’écart entre le budget manuels scolaires et livres documentaires qui est particulièrement notable.

 

L’odyssée d’un clip vidéo contre le harcèlement scolaire

Et si on chantait ensemble contre le harcèlement scolaire ?
L’idée de ce clip vidéo contre le harcèlement durant moins de deux minutes, écrit et réalisé par les lycéens et lycéennes, pour les lycéens et lycéennes, n’est pas sortie de nulle part. Elle est le résultat d’une série d’actions qui a engagé depuis plusieurs années les élèves du lycée Jean Zay contre le harcèlement, et d’un projet que j’ai piloté avec Sylvie Paponnet, conseillère principale d’éducation.

Le harcèlement scolaire

Même si hélas l’actualité l’a mis sur le devant de la scène à la suite de suicides d’élèves, commençons par revenir sur le terme de « harcèlement », terme juridique qui désigne, en droit, un délit inscrit dans le Code pénal. De fait, selon Dan Olweus :

un élève est victime de harcèlement lorsqu’il est soumis de façon répétée et à long terme à des comportements agressifs induisant une relation d’asservissement psychologique qui se répète régulièrement, amenant des sentiments de peur ou de honte1.

Quand il y a à la fois répétitivité, mise à l’écart de la victime et rapport de force ou de nombre, on peut parler de cas de harcèlement. Étymologiquement, on songe à la herse qui creuse les sillons d’un champ pour le labourer, de la même manière que les auteurs de harcèlement traumatisent profondément les victimes, les mettant à nu et les laissant désarmées.

État des lieux dans notre lycée

Depuis 2017 a été mise en place au lycée l’action «ambassadeurs contre le harcèlement» (voir le dossier consacré au harcèlement coécrit avec mon ancien collègue CPE Yohan Haquin : InterCDI, novembre-décembre 2019, n° 282). Une formation des ambassadeurs est dispensée chaque année en novembre par le DAVL2. Ces ambassadeurs tiennent par exemple un stand d’information pendant les récréations et la pause méridienne lors de la journée internationale contre le harcèlement, qui a lieu souvent le premier jeudi de novembre. Ils sensibilisent une heure par an tous les délégués de classes des différents niveaux lors d’une plénière en amphi. Ils ont pu aussi avant 2020 sensibiliser certaines classes des collèges de notre secteur. Ils réalisent un sondage destiné à tous les élèves et personnels du lycée, sur le phénomène du harcèlement, pour adapter leurs actions en direction de classes à la demande des enseignants. Les années précédentes, ils avaient également participé au concours national avec trois vidéos successives, sans l’aide de professionnels, et toute une classe de seconde avait, en EMC, postulé au moyen d’une douzaine d’affiches.

Notre positionnement professionnel

Dès la mise en place des ambassadeurs au lycée, les deux conseillers principaux d’éducation successifs sont venus nous trouver pour nous proposer de travailler en étroite collaboration avec eux. Initialement un peu sceptique, quant à l’apport spécifique en information-documentation dans ce projet, j’ai vite écarté toute réticence en réalisant que nous étions, au-delà de ça, des enseignants à part entière, disponibles pour tous les élèves, et capables de travailler en équipe. Une fois n’est pas coutume, il s’agissait de travailler main dans la main avec nos collègues de la vie scolaire, pour oeuvrer à un climat scolaire plus serein, un mieux-vivre ensemble. Certes, souvent appelé en urgence, le CPE me laissait poursuivre l’atelier avec les ambassadeur.ices. Mais maintes fois aussi surgit une lecture possible, une recherche pour la mise en forme d’affiches de sensibilisation, un atelier d’écriture de scénario, qui nourrit la réflexion des élèves pour combattre ce fléau. Car tous les ateliers se sont toujours déroulés au CDI, et avec moi.

Fil conducteur

Notre objectif principal consistait à sensibiliser le plus d’élèves possible au phénomène de harcèlement et de libérer la parole. Cette année-là, ma collègue et moi avions remarqué que toutes les vidéos qui fonctionnaient particulièrement bien avec les élèves, avec un message efficace, consistaient en des vidéoclips. De là est né notre projet Chantons ensemble contre le harcèlement scolaire.

En mars, je pris l’initiative de déposer un dossier de demande de subvention régionale pour un projet 100 % citoyenneté, accompagné des CV des intervenants et de leurs devis de 3600 euros, incluant les 7 heures d’ateliers avec les élèves, les 12 heures de tournage avec deux professionnels, la location du matériel professionnel ainsi que la postproduction (montage son/image, mixage, étalonnage). La demande à la région s’élevait ainsi à 2590 €, le reste étant financé par l’établissement.
En avril, les ambassadeurs contre le harcèlement écrivaient, en deux séances de travail le mercredi, le texte d’une chanson avec un intervenant extérieur, Syrano (association Les doigts dans l’zen-19), sur le thème du harcèlement. Les élèves de 2de option musique, encadrés par leur professeur Alain Berthet, ont quant à eux composé la musique. Les élèves ambassadeurs ont été décisionnaires de l’écriture de la chanson, du message à faire passer à l’ensemble des élèves, et ont souhaité attirer l’attention sur les différents types de victimes et sur l’intolérance des auteurs.

Ma différence

Réveil matin, debout tremblant
Peut-être plus pour longtemps
Métro-boulot-fardeau.

8 h PD, 10 h taré,
16 h raté, 20 h brisé
Marco voulait s’affirmer,
Ce soir, il tait ses regrets.

Sortie des vestiaires, odeur de chlore,
Le regard des mecs jeté sur son corps,
D’un sifflement à un attouchement,
Que font-ils de ses sentiments ?

Inès a quelques kilos en trop,
Les gens pensent que c’est un défaut.
À cause d’eux, son corps la dégoûte ;
Elle veut le changer coûte que coûte.

Sur insta, Jo lit, lycée Jean Zay,
En face, bclt 12, anonyme.
Tu me dégoûtes, depuis juillet,
C’était rien mais je tombe dans les abîmes.

Lui, c’est Mouloud, Bougnoul, Voleur,
Demain, ce sera terroriste.
Son nom ignoré par la peur,
Il est pourtant pur comme une améthyste.

On passe notre temps à essayer d’affirmer notre singularité,
Mais on n’est pas prêt à accepter celle des autres.
Mais quand est-ce qu’on va accepter celle des autres.
(Tous ensemble) Mais quand est-ce qu’on va accepter
celle des autres ?

Clap du réalisateur sur une scène improvisée, ajoutée à la demande des élèves en fin de tournage – Photo Sandrine Leturcq

Mais pour être visible et entendue de tous les lycéens, la chanson méritait d’être tournée en vidéoclip. D’où le projet déposé à la région pour bénéficier de l’accompagnement d’un réalisateur professionnel. D’octobre à décembre, une poignée d’élèves, avec un noyau dur de trois élèves, a ainsi écrit en 5 heures au CDI. le scénario du vidéoclip avec l’aide de l’auteur-réalisateur, Senghte Vanh Bouapha de l’association Plan libre, et de moi-même. Pour chacun des couplets de la chanson, il s’agissait en effet de déterminer quel personnage, quelle interprétation, quelle situation mettre en scène et quels plans, soit 7 séquences.

Les élèves volontaires parmi les ambassadeurs ont ensuite préparé avec le réalisateur et moi, pendant une séance de 2 heures en décembre, la logistique du tournage : il s’agissait de bien indiquer pour chaque plan les acteurs et figurants présents, les décors et accessoires à prévoir. A été décidé également l’ordre de tournage des différentes séquences. Les différents rôles techniques (préparation des plans, des lumières, prises de son, script, etc.) furent distribués aux ambassadeur.ices contre le harcèlement.

La conseillère principale d’éducation et moi avons seules procédé à un casting ouvert à tous les lycéens de l’établissement. Force nous fut de constater que peu de garçons étaient volontaires, et il nous fallut faire preuve de persuasion pour trouver quelques éléments, même en figuration. C’est ainsi qu’une lycéenne endossa volontairement le rôle de Mouloud, un garçon.

Douze heures de tournage, avec l’auteur-réalisateur et son assistant, étaient prévues sur une journée et demie. Une matinée fut nécessaire en amont pour que j’apporte sur le lieu du tournage les accessoires, et surtout que j’aide à la mise en place du décor et des lumières. Ma collègue CPE, malade, ne put assister au tournage ; une collègue AED se chargea d’accompagner et d’encadrer les élèves avec moi. Ce tournage permit de concrétiser un projet qui n’était encore que sur le papier, et ce fut un moment formidablement excitant pour tout le monde de le voir prendre vie sous nos yeux, grâce au travail et à l’implication de chacun.e sur chacun des postes dont il avait la responsabilité. Ce fut évidemment un temps très fort, avec néanmoins un long temps de préparation et de mise en place, des répétitions et l’attente des acteurs et figurants.

Essais d’éclairages à l’aide de filtres de l’assistant-réalisateur avec les élèves et le réalisateur – Photo Sandrine Leturcq

On ne peut que se féliciter d’un constat pour ce type de projet : originaires de tous les niveaux sauf post-bac, des filières générale, technologique et professionnelle, tous les élèves participant à l’action, sans être forcément ambassadeurs, ont donc été sensibilisés à la question du harcèlement. Enfin les élèves de tous les horizons, qui ne se côtoient jamais habituellement, se trouvaient réunis pour créer un outil à la fois éducatif et artistique.

Une fois le tournage terminé, nous n’avions pas choisi l’option de faire assurer aux élèves le montage. Le projet nous semblait déjà suffisamment chronophage, puisque pour chaque atelier prévu pour ces élèves issus de différentes classes, ces derniers s’absentaient de cours, leurs absences étaient bien entendu justifiées pour conduite de projets mais devaient être rattrapées. Le monteur professionnel devait faire en sorte que le tout s’adapte à la durée de la chanson et aux contraintes données par le ministère pour le concours : la vidéo devait durer au maximum 2 minutes, générique compris. Les paroles de la chanson ont également été intégrées en sous-titrage, afin que les contenus soient accessibles au plus grand nombre. Quel que soit le support choisi, le générique devait intégrer le bloc des numéros d’appel (3020 et 3018), ainsi que le logo du programme pHARe3, tous téléchargeables sur le site Éduscol.

Lauréats du concours national

Quelques jours avant le délai fatidique de fin janvier, je téléchargeai le vidéoclip sur la plateforme institutionnelle PeerTube, pour le faire participer au concours national contre le harcèlement scolaire. Un mois après, le vidéoclip était sélectionné par le jury académique, avec une cérémonie de remise des prix prévue début juin au rectorat. Et en mai, nous apprenions que nous étions conviés à la Cérémonie nationale de remise des prix à l’amphithéâtre de la Sorbonne pour recevoir le Prix national de la vidéo contre le harcèlement avec les lauréats des autres catégories, en présence du ministre de l’Éducation nationale d’alors, Pap NDaye, et de Brigitte Macron. Une dizaine d’élèves, accompagnés par Sylvie Paponnet, Senghte Vanh Bouapha et moi-même se sont ainsi rendus à la Sorbonne pour présenter le vidéoclip et recevoir le Prix national. Ce haut lieu symbolique et la présence de ces importantes personnalités politiques ont énormément impressionné les élèves. C’est dans ce cas bien davantage le déplacement à Paris et le faste de la Cérémonie qui récompensent symboliquement les élèves de leur participation que le prix, 2000 euros, que le lycée reçoit pour financer d’autres actions.

Lors de la cérémonie de remise des prix à La Sorbonne par Mme Macron et M. Ndiaye – Photo Sandrine Leturcq

Après la Sorbonne et la Préfecture, nous eûmes la surprise d’être le 27 septembre invités à l’hôtel de Matignon par Élisabeth Borne, Première ministre, pour participer à la présentation du Plan de lutte contre le harcèlement à l’école. Une petite délégation accompagnée de ma collègue CPE, de notre proviseur et de moi-même s’y rendit ce jour-là, une élève ayant préparé un discours en tant que victime. En effet, n’étaient réunis à cette occasion que les dirigeants de différentes associations de victimes, ainsi qu’une influenceuse de réseaux sociaux, lesquels prirent tour à tour la parole devant la Première ministre et le ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal.

Dans la salle des ministres, les associations de victimes attendent l’arrivée
de Mme la Première Ministre et M. Attal, venus les écouter avant d’annoncer le plan pHARe et les nouvelles mesures contre le harcèlement scolaire – Photo Sandrine Leturcq

Un outil de sensibilisation pérenne

Depuis lors, notre clip vidéo est utilisé par les référents harcèlement des lycées français à destination des élèves de toute la France pour les sensibiliser. Mais il est surtout concrètement pour nous, comme défini dans notre objectif principal, diffusé sur les écrans du lycée et dans les classes pour débuter les interventions des ambassadeur.ices contre le harcèlement. Car ce clip vidéo était destiné dès le départ à être un support de travail au sein du lycée pour être montré dans les classes lors de la journée internationale contre le harcèlement en novembre. En effet les ambassadeurs contre le harcèlement ne peuvent pas intervenir dans toutes les classes ce jour-là, et cette vidéo constitue désormais une excellente amorce pour libérer la parole en classe, pour inciter les élèves à parler en tant que témoins ou victimes après-coup.

Il est vrai que la vidéo constitue selon moi un formidable outil pédagogique : pour les élèves qui la créent, elle leur permet de faire passer à leurs pairs un message longuement réfléchi et mûri, tout en s’essayant à toutes les étapes artistiques de ce média, en mode professionnel. Et pour les spectateurs, ce parcours visible de leurs camarades rend bien plus puissante la portée de leur message.

Ainsi ce Prix national a clos un travail de quatre ans avec des élèves extrêmement motivés. Certes ce projet semble un peu écarté de la transmission d’apprentissages info-documentaires – encore que -, mais en aucun cas de notre mission d’ouverture culturelle et éducative. Comme tout professeur d’une discipline ou d’une autre, chargé d’un enseignement transversal, d’une option ou d’une spécialité, nous pouvons également élargir nos champs d’investigation suivant nos compétences et appétences. L’I.A. ainsi que la désaffection de la lecture sur papier va progressivement modifier notre enseignement et notre gestion. Cherchons des terrains transversaux, pluridisciplinaires, fédérateurs avec l’équipe éducative, qui nous permettent de transmettre aux élèves de la curiosité, un esprit critique et méthodologique, de leur faire assimiler valeurs et savoirs jusqu’à pouvoir en faire jaillir une oeuvre artistique – nouvelle, clip-vidéo, danse, chanson, ce qu’il reste quand on a tout oublié… Une collègue professeure documentaliste est ainsi devenue coordinatrice pédagogique dans un lycée privé. Mettons véritablement « le CDI au coeur de l’établissement » et les professeurs documentalistes au coeur des enseignements.

Chargée désormais de multiples missions en plus de celle de professeure documentaliste au lycée, j’ai vu une solide équipe pHARe se former, et j’ai décidé de passer la main. Et puis, enthousiasmé par cet outil de sensibilisation complet, le proviseur a demandé de reconduire le projet, cette fois en faveur de l’égalité filles-garçons. C’est donc avec les ambassadeur.ices égalité des genres et l’association Plan libre, qu’un court-métrage Friendzone contre le sexisme ordinaire et le masculinisme toxique a vu le jour cette année, et fera l’objet d’un prochain article…

Quelques élèves invités à nos côtés à l’hôtel Matignon – Photo Sandrine Leturcq

 

Veille numérique

Éducation

Les mots clés de l’information

Le site France Terme, initié par le ministère de la Culture, recense les principaux termes de l’information et de la désinformation sous la forme d’un recueil téléchargeable au format pdf. Ceux-ci ont été publiés par la Commission d’enrichissement de la langue française au Journal officiel sur proposition d’un groupe d’experts en charge de la terminologie et de la néologie de la Culture et des Médias. Les 64 termes clés sont regroupés en 4 catégories : Information et désinformation, Acteurs de l’information et de la désinformation, De l’information à la communication et L’information à l’ère du numérique.
https://www.culture.gouv.fr/content/download/342383/6205004?v=1

Recherche d’information à l’ère de l’IA

L’URFIST (Unité Régionale de Formation à l’Information Scientifique et Technique) de Paris met en ligne des formations sous la forme de diaporamas sur la recherche d’information et l’intelligence artificielle générative. Ces formations analysent, entre autres, les utilisations, les intérêts et les limites de ces outils qui “facilitent” la recherche documentaire. Ces formations généralistes ne nécessitent pas de compétences particulières dans le domaine des intelligences artificielles.
https://urfist.chartes.psl.eu/ressources/au-dela-de-chatgpt-recherche-d-informations-academiques-et-intelligence-artificielle
https://urfist.chartes.psl.eu/ressources/chatgpt-et-les-autres-recherche-d-information-et-intelligence-artificielle

Accessibilité et pictogrammes

L’établissement public de coopération culturelle (EPCC), Livre et lecture en Bretagne, propose de nombreux outils et conseils pour une accessibilité universelle des lieux du livre. Il est possible de télécharger le guide des 27 pictogrammes créés par la graphiste Hélène Gerber.
https://www.livrelecturebretagne.fr/images/85/livret-pictos-llb-webmaj-2023.pdf
La rencontre professionnelle Bibliothèques créatives et participatives en Bretagne : vers des espaces inclusifs et durables (10 octobre 2024, Cesson-Sévigné) est en ligne sur le site de l’EPCC de Bretagne.
https://www.livrelecturebretagne.fr/


Lecture numérique

Application LOUISE

Les utilisateurs des réseaux Numilog et ePagine peuvent lire rapidement et aisément un livre numérique grâce à l’application Louise il suffit de renseigner son mail pour l’activer. L’application prend en compte tous les formats courants et intègre de nombreuses fonctionnalités (taille des caractères, couleur du fond, surlignage, synthèse vocale…). De plus, l’app LOUISE n’oblige pas les membres à utiliser les librairies partenaires et permet l’emprunt directement dans les bibliothèques numériques du réseau.
https://static.epagine.fr/docs/Notice_LOUISE.pdf

La découvrabilité

Cette notion qui vient du Québec peut se définir comme la capacité d’un contenu numérique à être accessible et repéré sur le web. En juillet 2024, l’Association des bibliothèques publiques du Québec a révélé dans un mémoire que les contenus francophones représentent 6,8 % du web. Parmi les 10 millions de sites internet les plus visités au monde, seuls 2.7 % sont francophones. Les contenus en chinois et en anglais sont largement dominants en termes de visibilité sur le net.
https://www.abpq.ca/pdf/Memoire_2024-07_ABPQ_decouvrabilite.pdf

Écologie

L’IA et l’écologie

Google, Microsoft et d’autres promoteurs d’intelligence artificielle mettent en avant les progrès de celle-ci dans l’analyse de données et la projection dans le futur pour s’adapter au changement climatique, décarboner les économies, anticiper les évènements naturels extrêmes (avalanche, canicule…), prévoir la météo… Néanmoins, une simple requête sur ChatGPT (IA conversationnelle) consomme 10 fois plus d’électricité qu’une recherche sur un moteur de recherche, selon l’Agence internationale de l’énergie ; sans compter que les autres IA génératives (image, son, vidéo…) consomment davantage. L’IA est intégrée progressivement dans toutes les applications, les réseaux sociaux, les moteurs de recherche et autres logiciels, ce qui a pour conséquence la construction de très nombreux centres de données gourmands en CO2 !

Escape game sur la poubelle

L’application Trizzy accompagne les consommateurs ou les élèves dans le tri des déchets de manière ludique en installant un espace game sur les bacs des poubelles. Ce jeu sur les poubelles connectées est actuellement déployé dans quelques villes (Grenoble, Dunkerque,…) et lycées (région PACA).


Réseaux sociaux

Les fausses nouvelles de X

Dès le rachat de Twitter, Elon Musk a réduit les équipes chargées de surveiller la propagation des fausses nouvelles et a assoupli les règles sur le sujet. Selon le Centre de lutte contre la haine en ligne (CDDH), 1,2 milliard de fake news ont été vues sur le réseau X au premier semestre 2024. L’IA Grok du réseau social X diffuserait également de nombreuses fausses informations.

CrowdTangle supprimé

Meta a supprimé CrowdTangle, son outil pour lutter contre la désinformation, sans raison apparente et sans outil de remplacement. Très performant et très utile pour les professionnels des médias, cet outil permettait de suivre en temps réel la propagation d’une fausse nouvelle sur Facebook et Instagram.


Droit et données personnelles

BDD d’OpenAI détruites

L’IA générative ChatGPT-3 d’OpenAI s’est entraînée sur de très nombreux fichiers dont plus de 100 000 ouvrages qui seraient protégés par un copyright. Un collectif d’auteurs américains poursuit en justice OpenAI et réclame l’accès aux bases de données de ChatGPT-3. La réponse de la société de Sam Altman au collectif d’auteurs est qu’elle ne peut plus transmettre les données car elles ont été détruites en 2022. Anticipant une issue défavorable au procès, OpenAI multiplie les accords avec l’édition et la presse pour accéder légalement aux contenus.

ONU et Russie pour un traité sur la cybercriminalité

Le 8 août 2024, l’ONU a approuvé la Convention des Nations Unies contre la cybercriminalité. Ce traité, proposé par la Russie en 2019, a pour objectif de lutter efficacement contre la cybercriminalité en renforçant la coopération entre les pays. Par exemple, tout crime passible d’au moins 4 ans de prison doit enclencher l’échange de preuves électroniques entre pays. Les défenseurs des droits humains craignent pour le sort des dissidents, des journalistes et des homosexuels, entre autres.

Intelligence artificielle

L’IAttérature

Le nombre de publications écrites ou coécrites par une IA ne cesse de croître dans l’autoédition. Par ailleurs, certains internautes malintentionnés usurpent l’identité d’auteur afin de vendre rapidement de fausses œuvres avant que la supercherie ne soit découverte. Lire des livres écrits par une machine est devenu une réalité pour les humains.

IA Perplexity et les médias

À la suite de nombreuses accusations de plagiat et d’utilisation de sources protégées, la start up Perplexity, financée par Nvidia et Amazon, entre autres, a dû s’excuser et nouer des partenariats avec des médias qui recevront une part des revenus publicitaires générés par ces utilisations abusives de sources. Les médias concernés sont Entrepreneur, Time, The Texas Tribune, Automattic, Fortune, Der Spiegel

Grok et les données des utilisateurs

Les données des utilisateurs du réseau social X alimentent l’IA Grok. Cochée par défaut dans les paramètres d’utilisation, cette option peut être désactivée sur n’importe lequel des navigateurs sauf sur l’application X des smartphones. En raison de sa non conformité au RGPD et à la suite d’une procédure engagée par la CNIL irlandaise, X a arrêté d’utiliser les données des internautes européens en août 2024.


No future

La consommation des Data center en Irlande

Les data centers en Irlande ne cessent de se répandre et de s’agrandir avec pour conséquence une augmentation croissante de la consommation électrique. Selon l’agence nationale des statistiques d’Irlande, la consommation totale des centres de données (21 %) a dépassé pour la première fois la totalité de celle des maisons urbaines (18 %). Par ailleurs, la consommation électrique des data centers va exploser, notamment avec le développement de l’intelligence artificielle.

 

Franquin, un prodigieux besoin de rire

La célébration du centenaire de la naissance de Franquin nous offre l’occasion de parcourir l’œuvre de ce maître du neuvième art, représentant emblématique de l’école de Marcinelle.
Un homme discret et modeste (comme un de ses personnages) qui toute sa vie resta fidèle à des valeurs humanistes. Un dessinateur qui s’adressa aux enfants avec un but : « L’éducatif, ce n’est pas de faire une biographie de Christophe Colomb, qui en somme était un sale esclavagiste et qui a provoqué une foule de saloperies. L’éducatif, c’est d’apporter le rire dans les familles où on ne rigole pas. »
Dans nos CDI, les collégiens secoués de spasmes silencieux à la lecture de Gaston Lagaffe ou les lycéens souriant à l’humour grinçant des « Idées noires » sont la preuve vivante que la mission qu’il s’est donnée est accomplie et qu’elle perdure par-delà les années.
Pour fêter cet anniversaire, en bonus, une playlist en hommage à Franquin.

Ces gens-là. Jacques Brel

André Franquin est né le 3 janvier 1924, à Etterbeek, commune voisine de Bruxelles. Sa mère fait trois fausses couches avant sa naissance. Lorsqu’il paraît, ses parents sont relativement âgés. Son père Albert, petit employé de banque, offre à sa famille une vie terne et austère. Avec une mère « lamentatoire » et un père de mauvaise humeur, faut vous dire qu’on ne rit pas chez ces gens là… André, sans frère ni sœur, ni cousins, trouve de la compagnie auprès des animaux qui peuplent la maison. Une tortue, un écureuil, des poules, des perruches, petit bestiaire que l’on retrouvera dans l’œuvre future. Le jeune garçon échappe à cette vie monotone en lisant des illustrés : Mickey, Robinson, Hop-Là. En lisant et surtout en dessinant. Dès son plus jeune âge, son trait suscite l’admiration de sa famille comme il le confie à Numa Sadoul :

Un oncle m’avait offert un de ces tableaux d’écolier, une planche noire supportée par un trépied. Il s’est fait que mon père a été frappé par un gribouillage que j’y avais inscrit, un dessin à la craie représentant un chien qui respirait une fleur. Mon père trouvait le dessin si beau qu’il est allé avec le tableau noir chez un ami photographe et qu’il l’a fait reproduire. Quand vous avez cinq ans et qu’on prend au sérieux votre œuvre au point d’en faire une photo, ça vous fait un certain effet.

André suit ses études dans la sévère école catholique Saint-Boniface d’Ixelles, école qui avait accueilli quelques années auparavant Hergé. Là, il ne rit pas beaucoup non plus. À la fin de ses humanités, son père, sans doute pour satisfaire des ambitions frustrées, souhaite qu’il devienne ingénieur (où ça ?) agronome (j’ai honte !). Grâce à une conspiration entre sa mère et des voisins, le jeune homme qui ne souhaite qu’une chose – dessiner – est inscrit en 1942 à l’école Saint-Luc pour y apprendre sérieusement le dessin. Dans cette institution d’art religieux, même s’il partage de bons moments avec ses camarades, André s’ennuie ferme et ne reste au final qu’un an. Quelque temps après la fermeture de l’établissement pour cause de bombardements, le dessinateur Eddy Paape (futur créateur de Jean Valhardi) recommande Franquin à la CBA (Compagnie belge d’actualités) un nouveau studio qui souhaite se lancer dans le dessin animé.

En septembre 1944, il est engagé comme animateur. Parmi ses collègues du studio, il rencontre Maurice De Bevere (Morris, dessinateur de Lucky Luke) et Pierre Culliford (Peyo, dessinateur des Schtroumpfs) avec lesquels il devient ami (pour la vie). Malheureusement, le rêve de dessin animé tourne court. Le patron de la CBA, soupçonné de collaboration avec les Allemands, est arrêté et le studio fermé.

L’Amérique, l’Amérique. Joe Dassin

Grâce à Morris, Franquin trouve du travail comme illustrateur aux éditions Dupuis, plus exactement dans les pages du Moustique, programme hebdomadaire de radio, d’humour et de détente. Il y rencontre Joseph Gillain (Jijé dessinateur des Aventures de Spirou) qui l’invite à venir travailler chez lui avec Morris et Will (Tif et Tondu). Jijé, leur aîné d’une dizaine d’années, déjà bien installé dans la profession, va jouer le rôle de maître auprès de ses jeunes recrues. Dans cet atelier, ils travaillent quotidiennement ensemble dans une ambiance familiale ponctuée de bons repas et de franches rigolades (enfin !). Submergé par le travail et voulant terminer son ambitieuse biographie de Don Bosco, Jijé confie à Franquin les Aventures de Spirou. Le jeune homme dessine, encore maladroitement, Fantasio et son tank, qui sera publié dans l’almanach Spirou de 1947.

Jijé, catholique convaincu, craignant une invasion soviétique et une troisième guerre mondiale, décide de s’exiler avec femme et enfants aux États-Unis. Il entraîne avec lui Franquin et Morris qui, eux, espèrent travailler pour Walt Disney. Ils débarquent à New York en 1948 et traversent les États-Unis dans une vieille Ford Huston. Le rêve de travailler pour Disney tombe rapidement à l’eau. À cette époque, le père de Mickey licencie plus qu’il n’embauche. La petite troupe, dont le visa est de courte durée, se réfugie au Mexique où elle réside durant quelques mois. Franquin, en pleine jeunesse, profite de cette escapade mexicaine pour faire la fiesta et s’abreuver de tequila avec son compère Morris. Ce qui ne l’empêche pas d’envoyer ses planches de Spirou par la poste. Au bout de quelque temps, il décide cependant de rentrer en Belgique où l’attend avec patience Liliane qu’il épouse en 1950. Morris reste encore un peu aux États-Unis, s’imprégnant des paysages qui lui serviront pour Lucky Luke.

Sur l’aventure mexicaine, on peut lire la bande dessinée Gringos Locos, scenario de Yann et dessin (magnifique ligne claire) d’Olivier Schwartz chez Dupuis. Yann, scénariste historique de Dupuis, s’est entretenu de nombreuses fois avec Franquin sur son voyage américain. Il s’est servi de ces conversations pour écrire son scenario. Après sa publication, les familles contestèrent sa version des faits, demandèrent un droit de réponse qui fut intégré à l’album. À lire, malgré tout.

Hotel California. Eagles
(ne pas oublier que Spirou est un groom)

Entre 1950 et 1969, Franquin va donc dessiner de nombreuses aventures de Spirou et Fantasio. Dans cette série, il peut aborder tous les genres : le polar avec La mauvaise tête (à condition, lui intime Charles Dupuis, de ne pas représenter d’armes à feu), l’espionnage avec Le Temple de Bouddha et l’aventure avec La Corne de Rhinocéros. Son Spirou va devenir la star de l’hebdomadaire qui porte son nom : il sera toujours plébiscité lors des référendums auprès des lecteurs du journal. Le dessinateur sent qu’une énorme responsabilité pèse sur ses épaules ou plutôt sur son crayon. Pour se soulager, il crée un atelier à Bruxelles, 15 avenue du Brésil, dans lequel travaillent les scénaristes Henri Gillain (le frère de Jijé), Rosy et Greg (le père d’Achille Talon) et les dessinateurs (pour les décors) Jidéhem et Will.

Franquin va créer des personnages qui deviendront rapidement iconiques. Pacôme Hégésippe Adélard Ladislas, comte de Champignac, savant fou, inventeur déjanté, grand amateur de champignons. Zorglub, autre savant dément mais du côté obscur de la force. Zantafio, cousin malfaisant de Fantasio. Seccotine, jeune journaliste se déplaçant en scooter, trop rare personnage féminin de la bande dessinée franco-belge. Enfin, le Marsupilami qui fait son apparition dans Spirou et les héritiers (1952). Cet animal légendaire, appartenant à la cryptologie, doit sa naissance à l’observation d’un contrôleur du tramway de Bruxelles qui devait faire dix choses à la fois. Le Marsupilami connaîtra un tel succès que le dessinateur en gardera les droits. On le retrouvera dans des séries parallèles et même en dessin animé.

En mai 1961, Franquin publie dans Spirou les premières planches de QRN sur Bretzelbourg, réquisitoire humoristique contre le militarisme. Empoisonné par l’inhalation d’un produit toxique, harassé par des années d’un travail de stakhanoviste, pressuré par des contraintes continuelles de livraison de ses dessins, il entre dans une profonde dépression. Dans la dernière planche qu’il livre, le sadique docteur Kilikil s’adresse d’une façon prémonitoire à Fantasio « Ze zont fos nerfs gu’il faut soigner ». Les lecteurs devront attendre avril 1963, pratiquement deux ans, pour connaître la fin de l’histoire. Durant toute cette période, l’artiste ne rit plus, il broie du noir.

En 1967, alors qu’il commence Panade à Champignac, Franquin sait que ce sera la dernière aventure de Spirou qu’il dessine. D’ailleurs l’histoire est si courte, trente sept planches, que pour sa sortie en album, il y ajoute Bravo les Brothers dans lequel Gaston Lagaffe offre à Fantasio un trio de chimpanzés qui vont ravager la rédaction. À tel point que Fantasio est obligé de prendre : « le tranquillisant que Franquin a oublié ici un jour » Magnifique preuve d’autodérision, s’il en est !

Dans Les aventures de Spirou et Fantasio, Franquin, grâce à un trait virtuose, impose son style : savant mélange de réalisme, de caricature et d’humour. Il excelle plus particulièrement dans les scènes d’action, de bagarre ou de poursuite.

Le dessinateur passe la main à Jean-Claude Fournier, dessinateur breton, qu’il a choisi et qui va proposer une vision plus poétique et écologique des aventures du célèbre groom.

Modeste et Pompon, pompon. Ludwig van Beethoven
(j’ai honte, heureusement il est sourd !)

En 1955, Franquin découvre que les éditions Dupuis lui ont dissimulé la réimpression d’un album de Spirou ainsi qu’un tirage supplémentaire de sept mille exemplaires d’un autre titre, ce qui représente pour le dessinateur un manque à gagner important. Lui qui en plus du succès de sa reprise de Spirou se décarcasse pour le journal, dessinant des bandeaux-titres de couverture, des culs-de-lampe, fournissant des illustrations de couverture pour les autres titres de Charles Dupuis, se sent trompé, pire, floué. Son attachement et sa fidélité à son éditeur paternaliste en prennent un coup. Il menace alors de le quitter avec perte et fracas. À la tête des éditions du Lombard et du journal Tintin, Raymond Leblanc, trop content de voler un auteur vedette à son concurrent, profite de l’occasion et ouvre grand sa porte à Franquin. Le dessinateur s’engage à fournir chaque semaine au journal une page gag de Modeste et Pompon. Il a choisi le nom de Modeste dans le calendrier et Pompon parce qu’elle porte des pompons dans les cheveux. Lorsqu’il rentre chez lui, après avoir signé son contrat, Liliane, son épouse, s’arrache les cheveux en constatant qu’il n’a rien négocié avec son nouvel éditeur, se contentant de recevoir ce que l’on donne à un débutant. Franquin n’a pas et n’aura jamais le sens des affaires.
Réconcilié avec Charles Dupuis qui a fait jouer les violons pour le récupérer, le dessinateur se voit contraint de livrer, en plus des deux planches hebdomadaires de Spirou, la page de Modeste et Pompon. Pour le seconder dans ce surplus de travail, Franquin s’associe à des scénaristes expérimentés tels Greg, Peyo et même René Goscinny, à qui il présente ainsi ses personnages : « Pompon est gentille, Modeste est un vantard sympa, mais question psychologie, il ne faut pas trop leur en demander ». Les autres personnages sont Félix, un ami représentant de commerce essayant de leur vendre des gadgets inutiles, les trois neveux de Félix, de petits diables sympathiques et deux voisins : l’un grincheux et l’autre casse-pied.

Dans cette série sur un jeune « couple » représentatif des classes moyennes, on découvre le goût du dessinateur pour le design inspiré de créateurs emblématiques de son époque. Ainsi le fauteuil « Lady » dessiné par le designer italien Marco Zanuso dans lequel Modeste lit son courrier ou son journal. Une série emblématique de la vie en banlieue durant les Trente Glorieuses, avec pour modèle l’« american way of life ».

En 1959, après 183 planches, Franquin, au bord du burn-out et du nervous breakdown, abandonne Modeste et Pompon à Dino Attanasio, heureux de se libérer ainsi d’une lourde charge.

Gaston y a l’téléfon qui son. Nino Ferrer

Dans le Spirou du 28 février 1957, un jeune homme entre timidement dans la rédaction, il est habillé avec élégance, nœud papillon, veste boutonnée, pantalon à pinces, chaussures de ville. On suit ses traces dans les marges du journal. Première apparition de Gaston.

Franquin a présenté au rédacteur en chef, le génial Yvan Delporte, l’idée d’un personnage de bande dessinée qui ne serait pas dans une bande dessinée. N’ayant rien à faire, il saboterait le journal par ses maladresses, par ses gaffes. Le rédacteur en chef, anarchiste et anticonformiste, saute avec joie sur cette idée saugrenue. Le mois d’après, Gaston a changé son élégante tenue pour un col roulé vert et un jean (les espadrilles viendront après), il fume tranquillement une cigarette (autres temps, autres mœurs !) tandis que Fantasio, le désignant, prévient ainsi les lecteurs :

« Attention depuis quelques semaines, un personnage bizarre erre dans les pages du journal. Nous ignorons tout de lui. Nous savons simplement qu’il s’appelle Gaston. Tenez-le à l’œil ! Il m’a l’air d’un drôle de type ! ».

Ce drôle de type multiplie les maladresses : il renverse de l’encre sur le concours de la semaine, place devant l’objectif son visage, obstruant ainsi un article ou lâche des souris dans le journal.

Un tel personnage qui ravit à la fois son créateur et les lecteurs ne pouvait rester indéfiniment limité aux marges de Spirou. Franquin trahit donc son idée originelle et l’intègre dans une série qui comprendra… 909 planches !

Le 15 décembre 1960, à la stupeur de ses jeunes lecteurs, Gaston est licencié par Monsieur Dupuis ! Il faut dire qu’il a introduit depuis plusieurs semaines une vache dans les locaux de la rédaction. Au bout de quelque temps, Fantasio lance un appel aux lecteurs : « Écrivez en masse, par milliers, écrivez à M Dupuis de reprendre Gaston. » L’appel est entendu, la rédaction reçoit plus de 7000 lettres, Gaston est réintégré. Franquin et Delporte se félicitent de leur mise en scène.

De 1957 à 1991, Gaston va assumer sa tâche première de saboter le bon fonctionnement de la rédaction par son goût du moindre effort, son éloge de la sieste, et par ses dangereuses inventions aux domaines d’application variées (cuisine expérimentale, chimie amusante, musique polyphonique). Il va également, au volant de sa Fiat 509, modèle 1925, rapidement semer la panique, aussi bien en ville, au grand dam de l’agent Longtarin, qu’à la campagne.

Parmi les personnages emblématiques de la série, outre Fantasio qui sera remplacé par Prunelle comme rédacteur en chef, on rencontre l’homme d’affaires Monsieur De Mesmaeker, victime d’un running gag l’empêchant de signer ses contrats, l’agent Longtarin dont l’idée fixe est de verbaliser Gaston, Mademoiselle Jeanne qui lui voue un amour platonique, Jules-de-chez-Smith-en-face, son ami du bureau d’en face, comme son nom l’indique et Joseph Boulier, caricature du comptable de Dupuis qui avait essayé d’escroquer Franquin. À ces personnages s’ajoutent un chat dingue et une mouette rieuse.

Gaston Lagaffe sert de porte-voix aux batailles que Franquin livre contre la bêtise humaine. Il part en guerre contre les parcmètres : « Tu paies pour rouler, tu paies pour t’arrêter ». Il s’oppose à Thierry Martens, nouveau rédacteur en chef de Spirou, qui publie des articles sur les maquettes d’avion nazis : « Je considère toute chose militaire comme épouvantablement stupide, démesurément absurde ». Un gag illustre cet antimilitarisme viscéral dans lequel Gaston désagrège un défilé militaire avec un sac de noix renversé. Par le biais de son personnage, le dessinateur soutient également des associations. Pour l’UNICEF, il crée un autocollant sur lequel Gaston tient dans ses bras un enfant africain décharné à qui il donne un biberon en forme de bombe, tout en déclarant : « Vous êtes certains que nous les aidons ? » Écologiste avant l’heure, il offre à Greenpeace une affiche intitulée Sauvons les baleines. Enfin, pour Amnesty International, il dessine une planche dans laquelle Gaston est frappé, électrocuté et torturé avant d’être déporté dans un camp de concentration.

En 2023, les éditions Dupuis, publient, contre la volonté d’Isabelle Franquin, la fille du dessinateur, Le retour de Lagaffe par Delaf, dessinateur canadien. Un album purement commercial dont on peut facilement se passer.

Back to black. Amy Winehouse
(avec modération si possible)

« Les Idées noires – déclarait Franquin – c’est Gaston tombé dans la suie. » Les premières Idées Noires paraissent dans le Trombone Illustré, cet ovni qui est venu dynamiter le magazine Spirou. À la fin des années 70, Delporte (qui n’est plus rédacteur en chef) et Franquin sont mécontents de la ligne éditoriale conduite par le rédacteur en chef trop conservateur à leurs yeux. Les deux amis arrivent à persuader Charles Dupuis (qui ne peut rien refuser à Franquin) d’intégrer à Spirou un supplément faussement clandestin agrafé au centre du journal. La rédaction est située dans un entresol dans la cour de l’immeuble Dupuis à Bruxelles. Malgré ses faibles moyens, Le Trombone illustré va accueillir de grands dessinateurs : Gotlib, Alexis, F’Murr, Rosinski et leur offrir un espace de liberté correspondant à l’évolution de la bande dessinée qui s’éloigne de l’enfance pour devenir adulte. C’est dans ce supplément que paraissent les premières Idées noires. L’expérience va durer seulement trente semaines, la cohabitation entre les deux journaux totalement opposés, l’un réac, l’autre anar, ne pouvant durer plus longtemps.

En 1977, Gotlib qui considère Franquin comme un de ses maîtres va accueillir les Idées noires dans les pages de Fluide Glacial, une revue qu’il a créée deux ans auparavant.

Contrairement à d’autres dessinateurs de sa génération, Franquin n’hésite pas à afficher ses convictions. S’il met en scène les peurs ancestrales de l’humanité (loup, foudre, monstre nocturne) il n’oublie pas des peurs bien plus contemporaines (pollution, capitalisme, nucléaire). Avec toujours comme ultime leçon : du pire, il faut toujours rire…

Ce dessinateur « engagé » va donc défendre de multiples causes à travers les Idées noires. L’antimilitarisme : un général convié par un marchand d’armes à prendre un cigare sur son bureau allume un obus antiaérien. La défense des animaux : une corrida dans laquelle le taureau a eu les deux oreilles et la « queue » du matador. L’anticléricalisme (se vengeant de sa jeunesse passée dans des institutions religieuses) : un prêtre apprenant que l’autocar rempli de pèlerins s’est écrasé au fond d’un précipice et que le petit chien de Madame Ramponneau a survécu s’écrie : « Un vrai miracle ». L’interdiction de la chasse : avec PANDAN-LAGL, la cartouche de sécurité pour lapins qui explose aux visages des chasseurs. L’abolition de la peine de mort : la sentence « Toute personne qui en tuera volontairement une autre aura la tête tranchée » s’appliquant à une succession infinie de bourreaux qui se guillotinent les uns après les autres.

Les Idées noires marquent une rupture technique dans l’œuvre de Franquin. Il s’inspire d’autres auteurs maîtres du noir et blanc comme Charles Elmer Martin, dessinateur du Saturday Evening Post ou du dessinateur italien Guido Buzzelli. La découverte du Rotring, stylo avec un réservoir d’encre, va le pousser dans un style à la fois plus fouillé et plus minutieux. Elles sont publiées en deux tomes en 1981 et 1984 chez Audie, la maison d’édition créée par Gotlib

Le 5 janvier 1997, Franquin n’a pas relié une corde entre un arbre et son cou, avant de se jeter en voiture dans la mer du haut d’une falaise afin que l’on dise à son enterrement :
« … je ne l’ai pas pris au sérieux quand il a parié qu’il mourrait pendu et noyé dans un accident de voiture… » (Idée noire n° 18).

Le 5 janvier 1997, il est mort bêtement d’un infarctus.
« Et ça ne l’a pas fait rire… »

 

Ressources 

Émissions de Radio

« Qu’est-ce que créer ? L’Art neuf de la bd » 4/5. QRN sur Bretzelburg de Franquin et Greg par François Schuiten. France Culture. Cours au Collège de France. Août 2023. 58 minutes.
Passionnante conférence du dessinateur des Citées Obscures. Visible également sur Youtube.

André Franquin (1924-1997) génial, modeste et discret. France Culture. Émission Toute une vie. Octobre 2014. 59 minutes.
Un portrait de l’artiste par José Louis Bocquet, journaliste et scénariste, Jean-Claude Menu, dessinateur et éditeur et Numa Sadoul, auteur d’Et Franquin créa Lagaffe.

Filmographie

Boujenah, Paul. Fais gaffe à Lagaffe. Société Nouvelle de Cinématographie (SNC), 1981, 85 minutes.
Nanar oubliable malgré la présence de Daniel Prévost dans le rôle de Prunelle.

Martin-Laval, Pierre-François. Gaston Lagaffe. Les Films du Premier ; Les Films du 24 ; UGC Images, 2018, 84 minutes.
Adaptation médiocre par un des Robin des bois.

Chabat, Alain. Sur la piste du Marsupilami. Pathe Distribut, 2012, 105 minutes.
Sans doute, le plus fidèle à l’esprit de Franquin. Mention spéciale à Lambert Wilson, dictateur sud-américain travesti en Céline Dion.

Musées/ Expositions

Maîtres de la BD européenne. BnF, 2000. Plusieurs planches sont consacrées à Franquin et à ses personnages. Exposition en ligne.
> http://expositions.bnf.fr/bd/index.htm

La BD à tous les étages. Centre Georges Pompidou, 29 mai au 4 novembre 2024.
Avec, entre autres, « Bande dessinée, 1964-2024 » une immersion exceptionnelle dans les multiples univers du neuvième art. Planches originales, dessins inédits, carnets de travail…
Avec notamment, pour le rire, des planches de Franquin, Gotlib, Bretécher, Catherine Meurisse…

Cité internationale de la bande dessinée et de l’image. Angoulême.
Elle propose un article très détaillé sur la BD
Gringos locos et les controverses qui ont accompagné sa sortie. Vous pourrez également consulter un dictionnaire de la BD, avec, par exemple, une entrée sur le « dessin vivant » à partir du personnage de Mademoiselle Jeanne.
> https://www.citebd.org/neuvieme-art/gringos-locos-la-legende-retournee
> https://www.citebd.org/neuvieme-art/dictionnaire

Le monde de Franquin. Cité des sciences et de l’Industrie, du 19 octobre 2004 au 31 août 2005. Le dossier de presse de cette exposition est téléchargeable :
> https://www.cite-sciences.fr/archives/francais/ala_cite/expo/tempo/franquin/divers/presse.html

Musée de la BD. Bruxelles
> https://www.cbbd.be/fr/accueil

Sitographie

Dupuis. Site de l’éditeur historique de Franquin.
> https://www.dupuis.com/

Franquin, Marsu productions. Site très complet sur la vie et l’œuvre du dessinateur.
> http://www.franquin.com/

Gaston Lagaffe. Éditions Dupuis : Site « officiel » de Gaston.
> https://www.gastonlagaffe.com/franquin.html

Franquin en 1971 : « Gaston est un grand travailleur ». INA, 2020, maj 2024. À l’occasion du centenaire de la naissance de Franquin et de l’édition par La Poste en 2024 d’un timbre représentant un autoportrait du dessinateur, l’INA propose de nombreuses vidéos sur celui-ci.
> https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/franquin-
bd-gaston-lagaffe

Dans les programmes

COLLEGE

Français, Cycle 3
Sixième : Culture littéraire et artistique : Littérature jeunesse, bande dessinée, notamment dans le cadre des thèmes suivants : « Héros/héroïnes et personnages ; Se confronter au merveilleux, à l’étrange ; Vivre des aventures ; Le monstre, aux limites de l’humain »
Bulletin officiel spécial n° 11 du 26 novembre 2015 modifié par Bulletin officiel n° 30 du 26-7-2018

Français, Cycle 4
Cinquième : Culture littéraire et artistique : « Héros/héroïnes et héroïsmes : On peut aussi exploiter des extraits de bandes dessinées »
Troisième : Culture littéraire et artistique « Dénoncer les travers de la société : on étudie des dessins de presse ou affiches, caricatures, albums de bande dessinée. » « Les caricatures sont-elles des insultes ou des dénonciations ? Lecture de dessins de presse ; dessins satiriques d’élèves sur l’actualité ou sur la vie du collège »
Bulletin officiel spécial n° 11 du 26 novembre 2015 modifié par Bulletin officiel n° 30 du 26-7-2018

Arts plastiques, Cycle 4
« Les genres hybrides ou éphémères apparus et développés aux XXe et XXIe siècles : bande dessinée » « la caricature »
Bulletin officiel spécial n° 11 du 26 novembre 2015 modifié par Bulletin officiel n° 30 du 26-7-2018

LYCEE

Français, Seconde
Le roman et le récit du XVIIIe siècle au XXIe siècle : « Pistes de prolongements artistiques et culturels, et de travail interdisciplinaire : bande dessinée, roman graphique »
BOEN spécial n° 1 du 22 janvier 2019

Programme de spécialité d’arts de première et terminale générales : arts plastiques et histoire des arts.
BOEN spécial n° 1 du 22 janvier 2019

Enseignement Moral et Civique, seconde – première – terminale
Dans le cadre des thèmes annuels des classes de :
• Seconde (également étudié en seconde professionnelle) : la liberté, les libertés
« découvrir la richesse et la variété des supports et des expressions »
« tolérance. Respect de la personne humaine. » « liberté d’expression » « L’engagement au regard des libertés » « Les enjeux éthiques : approches des grands débats contemporains »
• Première : la société
• Terminale : la démocratie
BOEN spécial n° 1 du 22 janvier 2019
• Terminale professionnelle : S’engager et débattre en démocratie autour des défis de
Société : « la liberté d’expression »
BOEN spécial n° 1 du 6 février 2020

 

Franquin © Dupuis

Les classiques en bande dessinée

Les classiques, caractérisés par leur pérennité, continuent de s’imposer par leur pertinence thématique et leur universalité narrative. Ces œuvres transcendent leur contexte original pour toucher des générations successives, abordant des valeurs humaines fondamentales tout en reflétant des préoccupations éthiques et esthétiques durables.
Comme le souligne le journaliste Christophe Averty dans un article du Monde : « On reconnaît les classiques à leur universalité : ils parlent à tous et traversent les âges sans prendre une ride. Les adaptations, au cinéma ou en bande dessinée, leur permettent de continuer à toucher de nouveaux publics1. »
Les genres de ces adaptations sont divers, incluant fables, contes, nouvelles et romans, couvrant une gamme de genres allant de l’aventure, comme dans Le Tour du monde en 80 jours, au fantastique, avec Dracula ou Le Horla, en passant par la poésie avec Le Petit Prince. Chaque adaptation offre une lecture renouvelée qui stimule ou provoque de nouvelles interactions et interprétations pour un dialogue fécond entre les textes. Elle permet aussi de redécouvrir des thèmes classiques sous un nouveau jour, de réévaluer des personnages à travers une perspective moderne, ou simplement de réactualiser une œuvre ancienne.

Dépoussiérer les classiques

Ces ouvrages qui nous paraissent indispensables à transmettre sont parfois difficiles d’accès : le vocabulaire trop soutenu, l’emploi des temps du passé trop suranné ou encore la narration trop lente en détournent les lecteurs potentiels.
Grâce au 9e art, il est possible de faire découvrir de manière plus facile certaines œuvres et d’éviter qu’elles prennent la poussière sur les rayonnages du CDI.
La bande dessinée, mêlant textes et images, permet donc de transmettre ces récits intemporels, facilitant l’entrée dans la lecture en encourageant les lecteurs à passer des images aux mots, à parcourir l’adaptation avant de se tourner vers l’original.
Il s’agit, ni plus ni moins que de fournir aux lecteurs ce que Maylis de Kerangal, interviewée par Le Monde, appelle un « tremplin ». « Ces textes m’ont ponctuellement accompagnée sous différentes formes, m’offrant comme un tremplin vers la langue classique2 », se souvient-elle.
Ainsi en est-il de l’ensemble des récits médiévaux connus sous le nom Le Roman de Renart. C’est avec plaisir que l’on suit les aventures du facétieux goupil, rusé et beau parleur, qui joue des tours pendables à Isengrin le loup, son rival de toujours. Cette fable de la littérature médiévale se prête bien à la bande dessinée car les histoires sont courtes, vivantes et pleines d’humour. Ici, le contexte du Moyen-Âge est présent, avec les décors et les costumes ainsi que la religion, et les dialogues sont adaptés afin d’être compréhensibles par un jeune public. Cette lecture vive, au graphisme dynamique et moderne, peut se prolonger par celle d’extraits de la farce elle-même.
D’autres adaptations seront utilisées de la même manière, par exemple Les Enfants du Capitaine Grant de Jules Verne, par Alexis Nesme. On y lit les aventures en mer et sur terre de Mary, 16 ans, et de son frère Robert, 12 ans, à la recherche de leur père disparu, le capitaine Grant. Ils vont voyager de l’Amérique du Sud jusqu’en Australie et en Nouvelle-Zélande. Cette bande dessinée réussit la gageure de transposer un roman de presque 1000 pages en un volume de 152 pages. On coupe donc à travers les descriptions en longueur de la faune et de la flore, et on passe sur les leçons d’histoire qui, bien qu’intéressantes, risquent fort d’en ennuyer plus d’un. Quant au dessin, il est extrêmement fin et les planches sont magnifiques, se rapprochant de la technique de la gravure. Les personnages transcrits en animaux anthropomorphes peuvent en dérouter certains, mais ils sont, par ce moyen, caractérisés de manière rapide.
Toujours pour les 11-15 ans, les romans autobiographiques de Marcel Pagnol, de La Gloire de mon père au Temps des Amours, en quatre BD sont une réussite. Sous la supervision de Nicolas Pagnol, celles-ci se veulent respectueuses du texte initial qui est dense, tout en faisant la part belle aux images de la Provence du début du XXe siècle, avec une très belle palette de couleurs dans les tons de jaune, ocre, vert et bleu ciel.

Au plus près des programmes

Nombre de bandes dessinées s’intègrent parfaitement aux programmes de français et donnent la possibilité d’explorer des œuvres et leurs contextes historiques, de découvrir des auteurs ou encore de s’initier à un genre littéraire. Beaucoup pourront être lues dans le cadre du cycle 3, comme Le Petit prince d’Antoine de Saint-Exupéry adapté par Joann Sfar. On y retrouve donc ce petit garçon qui s’aventure sur six planètes, à cause d’une rose cruelle et le développement de son amitié avec un aviateur en panne dans le désert du Sahara.
Autre adaptation à proposer aux élèves de 6e dans le cadre de la séquence sur les monstres, Sacrées sorcières de Roald Dahl, avec les dessins pleins d’humour de Pénélope Bagieu : on retrouve avec jubilation, sous son crayon acéré, l’histoire de ces sorcières difficiles à repérer et qui n’ont qu’un seul but : faire disparaître les enfants qu’elles haïssent !
Le fantastique, aussi, regorge de pépites : La Rivière à l’envers de Jean-Claude Mourlevat, adapté par Djet. Tomek, un adolescent de 13 ans, tient une épicerie dans son village. Une mystérieuse jeune fille, Hannah, entre un jour dans son magasin et lui demande s’il vend de l’eau de la Rivière Qjar, « l’eau qui empêche de mourir, vous ne le saviez pas ? ». Après le départ de Hannah, Tomek décide de partir à sa recherche, un voyage qui lui fera traverser des lieux magiques et rencontrer des personnages extraordinaires. Dans la deuxième partie, on suit Hannah à la recherche de cette rivière magique pour sauver sa passerine. Les dessins de Djet sont précis et lumineux, le découpage est original et dynamique, autant d’éléments qui invitent les lecteurs à s’immerger dans cette histoire merveilleuse pour un beau moment de lecture. Par ses planches oniriques, cet ouvrage offre aux lecteurs des possibilités narratives qui diffèrent du roman, modifiant la structure originale sans l’appauvrir pour autant.
Autre récit littéraire fantastique souvent lu en classe, Le Horla de Guy de Maupassant fait l’objet d’une belle interprétation par Guillaume Sorel. Le personnage central vit au bord de la Seine, lorsqu’il voit passer un trois-mâts brésilien. À la suite de cette vision, des événements étranges se produisent et le narrateur a l’impression d’être habité par un être maléfique qu’il surnomme le Horla. Le dessin à l’aquarelle joue avec brio sur la lumière et les ombres. De page en page, la descente aux enfers du héros, pris de folie, nous envoûte. Une BD difficile à lâcher qui devrait séduire les plus récalcitrants.
Les Misérables de Victor Hugo sont à ranger dans la séquence sur la fiction pour interroger le réel en classe de 4e. Les plus réticents à cette lecture-fleuve (3000 pages en Folio, 324 pages dans le texte abrégé à L’École des Loisirs) seront tentés par le manga de Sun Neko Lee ou par la BD de Maxe L’Hermenier, Siamh, et Lokky. L’action se déroule en France de la bataille de Waterloo (1815) aux émeutes de juin 1832. Hugo nous narre la vie de Jean Valjean, de sa sortie du bagne à sa mort. La BD de Maxe L’Hermenier retranscrit le contexte de l’époque, la misère dans laquelle vivent les personnages, les injustices et la violence de ces vies. Une belle réussite, fidèle à l’histoire, mais originale dans ses illustrations très détaillées et parfois très fortes.
Au cycle 4, les propositions ne manquent pas : La ferme des animaux de Georges Orwell adapté par Maxe L’Hermenier pour le texte et Thomas Labourot pour le dessin, introduit de manière intéressante l’ouvrage de Georges Orwell et sa dénonciation de la montée des totalitarismes en Europe. Dans ce récit, les animaux d’une ferme se rebellent contre leur fermier et décident d’instaurer l’autogestion mais bientôt cette utopie dégénère. Les illustrations toutes en rondeur peuvent surprendre face au texte et aux actions souvent violentes, mais le dessinateur sait aussi transcrire le caractère impitoyable du cochon Napoléon et de ses chiens de garde. Le scénario est fidèle au roman, mis à part la disparition de l’hymne « Bêtes d’Angleterre », et favorise le questionnement des lecteurs quel que soit leur âge.
Dans la veine naturaliste du XIXe siècle, les élèves découvriront le trait acéré d’Agnès Maupré qui adapte Au bonheur des dames d’Émile Zola. Qu’on se souvienne : Denise, une jeune femme provinciale, arrive à Paris après la mort de son père. Elle souhaite rejoindre le magasin de vêtements de son oncle, mais celui-ci ne peut l’embaucher à cause de la concurrence d’un nouveau grand magasin, le susnommé « Au bonheur des dames », dirigé par un certain Octave Mouret. Par besoin, elle y devient vendeuse et un amour naît entre elle et son patron. Au détour des pages, on observe la naissance de la société de consommation, les conditions de vie et le statut des femmes. Toute une époque se dévoile devant nous. Le dessin est parfois proche de la caricature (on pense à Honoré Daumier et autres caricaturistes du XIXe pour montrer les aspects négatifs de cette période révélés par le roman). Agnès Maupré fait aussi une large place au mouvement dans ses dessins, rendant la lecture très dynamique. Un album à conseiller aux élèves de 3e comme de 2de.
Les bons lecteurs se plongeront dans La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette, par Catel et Claire Bouilhac, aux illustrations simples de couleurs douces focalisées sur les personnages, pour une histoire d’amour qui a traversé les siècles. En effet, l’héroïne, Mademoiselle de Chartres, une jeune fille de 16 ans arrive à la cour du roi Henri II pour être présentée et trouver un bon parti. Elle se marie avec le prince de Clèves qu’elle n’aime pas. Peu de temps après, elle tombe amoureuse du duc de Nemours, un amour illégitime qui la conduira à se retirer au couvent, après la mort de son mari. Les lecteurs y retrouvent le contexte politique et social de l’époque ainsi que les idéaux des courants précieux et jansénistes du roman de Mme de Lafayette.

Multiples adaptations pour une lecture comparative

Les élèves peuvent lire les multiples adaptations récentes du Voyage au centre de la terre : pour les férus de mangas, on ne peut que conseiller celle en 4 tomes chez Pika de Norihiko Kurazono aux illustrations surannées, adaptées au contexte de l’histoire. Le travail sur les textures et les ombres est très soigné et la BD plutôt fidèle au texte : on y suit les péripéties d’Axel et de son oncle le professeur Lidenbrock, géologue et minéralogiste. Celui-ci, ayant déchiffré dans un vieux manuscrit un cryptogramme révélant qu’on peut atteindre le centre de la terre en empruntant la cheminée d’un volcan islandais éteint, s’embarque dans cette aventure avec son neveu. L’adaptation du même roman par le talentueux artiste italien Matteo Berton est un véritable régal. Imprimé en quatre couleurs Pantone qui collent au récit, les illustrations bénéficient de mises en pages variées et dynamiques, parfois très minutieuses avec la liste détaillée des fournitures emportées pour le voyage, parfois pleines de vie avec le mouvement des eaux ou encore la réfraction de la lumière par la roche. Enfin, la version de Patrice Le Sourd donne vie aux héros sous une forme animalière (des lapins cette fois !). Les dessins aux couleurs sépia sont délicats et la mise en page assez traditionnelle. En revanche, avec deux volumes de 48 pages, le texte est forcément bien tronqué.

Comme dans l’exemple ci-dessus, les classiques, souvent libres de droits, font l’objet de multiples possibilités. Nombre d’auteurs s’en emparent avec plaisir. Les raisons en sont la nostalgie d’une lecture d’enfance, la volonté de moderniser une œuvre aux valeurs toujours d’actualité, l’envie de donner sa propre perception du récit… « Car un texte n’est jamais un objet mort : il est capable de se réactiver à l’infini grâce aux sensibilités, aux imaginaires et aux différentes formes qu’on lui donne », rappelle Maylis de Kerangal3.
Ainsi, certaines histoires devenues des mythes modernes ne cessent d’être adaptées et réadaptées, telles Dracula, Frankenstein ou encore Ulysse. Au cinéma, Dracula, par exemple, a fait l’objet de plus d’une centaine de films, fidèles ou libres, de séries, de parodies, etc. Idem en bande dessinée avec près de 100 versions, toutes n’étant pas de très bonne qualité. Mais une adaptation récente, celle de Georges Bess, a fait beaucoup parler d’elle et à raison car l’auteur a su rendre honneur au mythe gothique de Dracula : tout en noir et blanc pour rendre l’ambiance encore plus sinistre, supprimant la structure épistolaire du récit d’origine, ce roman graphique raconte l’histoire d’un clerc de notaire, Jonathan Harker, envoyé par son employeur en Transylvanie pour conclure une affaire immobilière avec le comte Dracula. Mais, retenu prisonnier par la créature démoniaque, il est vampirisé par trois femmes qui l’empêchent de s’enfuir. Pendant ce temps-là, Dracula voyage jusqu’à Whitby en Angleterre où il séduit Mina Murray, la fiancée de Jonathan Harker et vampirise l’amie de celle-ci, Lucy Westenra. S’il s’éloigne très peu de l’histoire, George Bess excelle dans la composition des pages : gros plans d’un visage pour le magnifier, page de paysage d’un noir lugubre, multiples vignettes se bousculant pour mieux suggérer le mouvement … Cette bande dessinée offre un terrain unique pour explorer comment le langage visuel et le texte interagissent pour créer du sens. Le style de dessin, la palette de couleurs et la composition des planches jouent un rôle tout aussi important que le texte pour la narration de l’histoire. L’artiste a choisi d’utiliser des couleurs sombres et des lignes oppressantes pour refléter l’atmosphère d’angoisse et de terreur, ajoutant ainsi une couche d’interprétation au texte.
On retrouve le même artiste pour l’adaptation de Frankenstein, encore un mythe monstrueux incontournable. Le roman épistolaire de Mary Shelley raconte la création, par un jeune savant nommé Victor Frankenstein, d’un être assemblé à partir de chair morte. Horrifié par sa créature, le savant abandonne le monstre mais celui-ci se vengera. Comme dans le récit initial, Bess garde la forme de récits emboîtés. On retrouve ces mises en page dynamiques, moins surchargées que dans Dracula. Le fort encrage noir laisse place à une variation de nuances de gris pour plus d’ambiguïté.
On pourra se tourner vers une autre version récente de l’œuvre, celle de Marion Mousse chez Delcourt qui diffère esthétiquement de la précédente. L’illustration est plus ronde, la composition plus classique mais la version n’en est pas moins excellente. On est dans un autre univers artistique, moins gothique et moins fantastique mais tout aussi prenant.

Les mangas, nouvelle passerelle vers des textes difficiles

Les adaptations d’œuvres classiques en manga ne doivent pas être mises de côté. Elles ouvrent en effet plus facilement les portes vers certains genres littéraires délaissés, en proposant des ouvrages visuellement plus attractifs.
Par exemple, pour une première approche du théâtre shakespearien, pourquoi ne pas se tourner vers eux ? L’adaptation de Roméo et Juliette de Shakespeare par Megumi Isakawa offre une nouvelle perspective sur cette tragédie emblématique, rendant l’intrigue et les émotions des personnages plus accessibles à ceux qui pourraient trouver le texte original intimidant.
Dans le même esprit, Hamlet en manga capte l’essence de la pièce tout en simplifiant certains de ses aspects plus complexes, facilitant la compréhension des thèmes profonds de l’œuvre. Cette approche visuelle peut aider les lecteurs à saisir plus rapidement les dynamiques de pouvoir, la trahison, et le conflit interne, pivot central de cette tragédie.
La bande dessinée Arsène Lupin par Takashi Morita, qui s’inspire des romans de Maurice Leblanc, illustre parfaitement la manière dont l’adaptation de la littérature classique en manga peut revitaliser et rendre accessible des genres littéraires spécifiques, comme le roman policier, à un public jeune qui pourrait les percevoir comme désuets. Cette version de l’œuvre de Leblanc transforme Arsène Lupin en un personnage qui opère dans un cadre visuel dynamique, rendant les intrigues immédiatement captivantes. Le format manga, connu pour son rythme rapide et ses visuels attrayants, permet de surmonter les barrières que peut représenter la prose du XIXe siècle, en rendant l’histoire plus accessible. Les illustrations permettent de mettre en scène des éléments clés tels que les indices, les expressions des personnages et les scènes d’action, qui sont cruciaux pour le développement de l’intrigue et l’engagement du lecteur. Le récit dans ce tome 1 incorpore des éléments de mystère, d’espionnage et de romance, typiques des aventures de Lupin.
Les aventures d’Alice au pays des Merveilles, adaptées par Junko Tamura et publiées chez Nobi Nobi !, permettent aux élèves de s’immerger dans cet univers littéraire classique par le biais de ce médium visuel et narratif qu’ils connaissent et affectionnent. Alice, en proie à l’ennui auprès de sa sœur dans le jardin familial, est soudainement captivée par la vision d’un lapin blanc pressé qui consulte sa montre à gousset. Cette scène incite Alice à suivre le lapin, la menant à chuter dans un terrier pour le moins inhabituel. L’adaptation manga respecte la trame originale du récit de Lewis Carroll, tout en intégrant des épisodes moins familiers tels que le quadrille des homards ou l’épisode Cochon et poivre, enrichissant ainsi l’expérience de lecture. En préservant les éléments essentiels de l’histoire originale tout en les présentant dans un format plaisant, cette adaptation encourage non seulement la compréhension textuelle mais aussi la réflexion sur les thèmes universels de ce classique : le passage de l’enfance à l’âge adulte ; la logique et l’irrationalité qui reflètent les complexités et parfois l’absurdité du monde réel ; les changements physiques et psychologiques des adolescents, la rébellion contre l’autorité, etc. Autant de sujets qui contribuent à la portée intemporelle et universelle d’Alice au Pays des Merveilles, permettant au récit de résonner avec des lecteurs de différentes cultures et générations.
Les élèves ont aussi à leur disposition Les voyages de Gulliver de Jonathan Swift adaptés par Kiyokazu. Qu’on se souvienne : Lemuel Gulliver, chirurgien de marine, se retrouve à la suite d’un naufrage à Lilliput, une île où les hommes ne mesurent pas plus de 15 cm de haut. Il tente de réconcilier les habitants avec ceux de l’île voisine de Blefuscu, les motifs de leur guerre sans merci étant le côté par lequel il faut casser la coquille d’un œuf. Ensuite, il entreprend un deuxième voyage et se retrouve à Brobdingnag où il rencontre des géants. L’adaptation en manga a du succès, mais la satire sociale y est atténuée avec des dessins manquant d’originalité.
C’est d’ailleurs le principal reproche que l’on peut faire à cette collection qui a le mérite d’attirer les lecteurs de mangas vers les classiques. Leur promotion peut donc être considérée comme une stratégie pédagogique efficace pour stimuler l’imagination des élèves et les inviter à explorer ces œuvres littéraires. Cette approche ne se limite pas à la simple lecture ; elle engage les élèves dans une interaction profonde avec le texte, facilite leur immersion culturelle et leur compréhension plus profonde des nuances littéraires.

 

 

Bande dessinée à tous les étages !

Avant sa fermeture pour travaux courant 2025, le Centre Pompidou met à l’honneur le neuvième art en exposant les œuvres de cent-trente artistes du 29 mai au 4 novembre 2024 : une consécration pour cet art majeur. C’est l’occasion de découvrir de remarquables expositions telles que Bande dessinée, 1964-2024, La bande dessinée au musée ou encore Corto Maltese, une vie romanesque. Autre indice, parmi tant d’autres, qui montre que la bande dessinée est devenue un art incontournable mais aussi un objet d’enseignement, Benoît Peeters, illustre scénariste des Cités obscures et spécialiste reconnu de la bande dessinée, a été nommé titulaire de la chaire de création artistique au Collège de France, en 2022.

Voilà un signal fort pour le monde éducatif, notamment pour les professeurs documentalistes qui, depuis de nombreuses années, s’investissent avec les collègues d’autres disciplines dans des projets tels que le Fauve des lycéens, le Prix lycéen social’BD, par la mise en place d’ateliers sur la BD, l’invitation d’illustrateurs ou encore de scénaristes. Cet intérêt prononcé des professeurs documentalistes est également visible à travers leur attention particulière à constituer un fonds pointu et adapté aux élèves, mis en valeur par un aménagement remanié et une signalétique revisitée.

Ainsi, dans ce numéro, trois articles se penchent sur le neuvième art.
Le Thèmalire de Corinne Paris fait le point sur les classiques adaptés en bandes dessinées qui complètent désormais les classiques du rayon des romans. Cet engouement pour l’adaptation en BD s’étend d’ailleurs aux romans contemporains et aux essais, tel Une farouche liberté de Gisèle Halimi et Annick Cojean.
L’ouverture culturelle de Jean-Marc David rend hommage à Franquin, maître de la bande dessinée, à l’occasion de la célébration du centenaire de sa naissance. L’humour, sous toutes ses facettes, est au programme avec, entre autres, Idées noires mais aussi avec une playlist concoctée par Jean-Marc David et non pas par Bernard Lavilliers.
Sybil Nile s’intéresse, quant à elle, à la bande dessinée numérique, un médium de plus en plus apprécié par les adolescents avec la diffusion des webtoons et des scantrads, très souvent initiés par les communautés de fans. L’autrice nous présente ainsi une utilisation pédagogique des pratiques de fans via une séquence sur La Ferme des animaux.

En attendant InterCDI en BD, n’hésitez pas à consulter les nombreuses critiques de bandes dessinées des chroniqueurs du Cahier des livres.

Bonne lecture.

 

 

 

Appel à contributions : Lectures numériques

À l’heure où la lecture fait partie des priorités de l’école et s’inscrit dans les savoirs fondamentaux, il paraît important de s’intéresser à l’articulation entre lecture et numérique. Lecture sur écran, lecture sur support numérique, lecture électronique, lecture numérique, au pluriel ou au singulier, autant d’expressions qui montrent la réalité complexe de cette pratique qui pourrait être définie comme « l’activité qui consiste à lire des textes écrits (éventuellement accompagnés d’illustrations fixes ou animées) au moyen d’un dispositif numérique : ordinateur, tablette, smartphone, borne d’information ou autre ». (Rouet, 2018.)1

La circulaire de rentrée de 2024, qui envisage l’école du futur dans un univers où le numérique devient prégnant, souligne la nécessité de s’adapter au monde qui nous entoure : afin de donner le goût de lire et de prendre appui sur les nouvelles pratiques culturelles juvéniles, explorons les poten­tialités que nous offrent les modes de lecture numérique.

Comment le professeur documentaliste, à travers l’information documentation, peut-il s’emparer du numérique pour promouvoir la lecture ?
Trois axes pourront orienter notre réflexion : le premier, la lecture numérique en tant que pratique culturelle en évolution ; le deuxième, la pédagogie avec la lecture numé­rique, et le troisième, la place de la lecture numérique dans les espaces documentaires.
Pour ce numéro, sont attendues des propositions sur les thématiques suivantes :
• l’évolution des pratiques de lecture : de l’imprimé au numérique
• les pratiques de lecture numérique
• l’accès à une lecture numérique
• l’apprentissage par la lecture numérique
• l’enseignement de la lecture par le biais
du numérique
• les supports de lecture numérique au CDI
• les dispositifs et projets liés à la lecture numérique
• les limites et obstacles à une lecture numérique

Pour avancer sur cette question ensemble, partagez avec nous vos réflexions, projets, et pratiques professionnelles sur les lectures numériques.

 

Dates limites d’envoi des propositions de contribution

Intention d’article (court résumé et plan) : 13 janvier 2025
Article complet : 2 mars 2025

 

À l’adresse suivante

Intercdi.articles@gmail.com

 

 

 

Le professeur documentaliste, au cœur de l’inclusion

« Pour une école inclusive », tel est le slogan brandi depuis 2019 qui figure en titre de la circulaire n° 2019-088 du 5-6-2019. L’École inclusive se réduit-elle à un effet d’annonce ou à de beaux discours ? Qu’en est-il réellement sur le terrain de l’établissement scolaire ? Car il ne suffit pas de décréter l’inclusion pour parvenir à la réaliser. Supporter le rapport au handicap et à la différence n’est pas chose aisée pour tous les enseignants. Entre la culpabilité de ne pas réussir à mettre en œuvre le projet d’une école inclusive et l’objectif de ne laisser personne au bord de chemin, l’équilibre est parfois difficile à trouver.

L’élève « différent » peut parfois provoquer de l’appréhension mais comment répondre à ses besoins et l’accompagner au mieux ? Se pose souvent la question du temps et des moyens techniques et financiers qui freinent la mise en œuvre de l’inclusion et font oublier l’objectif central : le développement du vivre ensemble, la transmission d’une culture de l’égalité par l’innovation pédagogique et la créativité ainsi que l’envie d’accompagner tous les élèves.

Quel est le rôle du professeur documentaliste dans la mise en œuvre du projet d’une école inclusive ? Comment faire du CDI un lieu d’inclusion de tous les élèves ?

« Penser le CDI inclusif » suppose, pour le professeur documentaliste, de mobiliser toutes ses missions. Dans ce dossier, nous commencerons par analyser la politique institutionnelle sur l’inclusion à partir de regards croisés et critiques de chercheurs et d’acteurs institutionnels. « École inclusive », « éducation inclusive », « intégration », « parcours inclusif » : la circulation de nombreux termes et expressions qui évoquent le rapport de l’école à l’inclusion et ses enjeux invite également, dès l’ouverture du dossier, à une clarification terminologique et théorique.

« Penser le CDI inclusif » nous amènera ensuite à privilégier trois entrées spécifiques :

Celle de l’accessibilité au fonds et aux ressources. Comment le professeur documentaliste parvient-il à réorganiser les espaces documentaires du CDI pour favoriser l’inclusion de tous les élèves ? Telle est la question posée par les auteurs de la deuxième partie du dossier. En effet, repenser l’accessibilité du fonds et adapter l’accueil des usagers sont autant de sujets qui seront abordés dans la deuxième partie du dossier. Un focus sur un exemple de réaménagement des espaces documentaires du CDI d’un EREA permettra de mieux comprendre les besoins spécifiques des publics.

Celle de la lecture en tant que facteur d’inclusion. Les projets littéraires, vecteurs de dynamisme collectif, sont un levier pour la réussite de tous les élèves. L’accès à l’information et au contenu du fonds documentaire est une source d’inclusion en particulier pour les communautés LGBT+.

Celle de la pédagogie. À partir d’exemples concrets, nous verrons enfin qu’une pédagogie inclusive au service des apprentissages est possible. Une pédagogie documentaire fondée sur l’information-documentation et sur la mise en œuvre de projets artistiques et culturels, sur le travail de l’oral, favorise la mobilisation et l’initiative de tous les acteurs de l’établissement scolaire comme un gage d’inclusion de tous les élèves.

Les onze articles qui composent ce dossier témoignent d’une dynamique inclusive au sein des établissements scolaires qui invite les enseignants à se réinventer et la communauté éducative à faire preuve de tolérance et d’acceptation de l’autre à l’heure où l’actualité nous impose de réfléchir à la question du vivre ensemble et de l’égalité de tous.

Du CDI inclusif à la société inclusive, il n’y a qu’un pas… à nous de le franchir.

L’entrée progressive du paradigme inclusif à l’École

L’entrée du paradigme inclusif à l’École s’inscrit dans une évolution à la fois terminologique et conceptuelle qui a eu lieu au tournant du XXIe siècle. Pour le comprendre, il paraît d’abord nécessaire de faire un détour socio-historique. En effet, « l’inclusion scolaire ne s’oppose pas seulement à l’exclusion, mais aussi à l’intégration ». (Armstrong, 2006, p. 73.) Si l’exclusion n’est aujourd’hui plus de mise, le principe d’éducabilité (Meirieu, 1991) étant désormais reconnu, la prise en compte de la diversité des élèves a évolué. Il s’agira ensuite de préciser les conditions nécessaires à la mise en place d’une École inclusive. En effet, le paradigme inclusif comporte une radicalité dans son principe mais aussi dans les pratiques pédagogiques qu’elle appelle.

1. Changement de paradigme : de l’intégration à l’inclusion

Cette première partie aborde les principaux enjeux liés à l’École inclusive qui ont évolué au cours du temps.

1.1 De l’intégration scolaire…

Le paradigme intégratif a débuté en France avec la promulgation de la loi du 30 juin 19751. Durant cette période, les élèves en situation de handicap ne bénéficiaient d’aucune adaptation scolaire, d’aucune mesure compensatoire pour suivre les enseignements dispensés. Leur réussite en milieu scolaire ordinaire était uniquement à leur charge (Göranson, 2012). S’ils n’étaient pas en mesure de suivre l’enseignement ordinaire, leur expérience scolaire se résumait à celle d’un simple « visiteur » (Plaisance, 2012 ; Ebersold & Mauguin, 2016 ; Bedoin, Despois & Givras, 2018). Ces élèves intégrés qui ne pouvaient pas suivre une scolarisation en milieu ordinaire ne bénéficiaient que d’un accès physique à l’école. Ils finissaient par être «  »exclus » d’une école ordinaire, non pensée pour des besoins éducatifs particuliers » (Pelletier, 2020, p. 18) et se retrouvaient orientés vers l’enseignement spécialisé.

1.2 … au principe d’inclusion

Le paradigme inclusif, alternatif à celui intégratif (Lansade, 2023), trouve sa source dans les textes des grands organismes internationaux des années 1990. La Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous (EPT), adoptée en Thaïlande en 1990, présente une vision de l’éducation reposant sur l’universalité et l’équité. La Déclaration de Salamanque, en 1994, reprend dans son article 2 le concept d’EPT en stipulant que l’école ordinaire doit accueillir tous les élèves en tenant compte de leurs besoins. La Charte de Luxembourg (1996) poursuit cette ligne directrice en déclarant que « l’école pour tous et pour chacun entend s’adapter à la personne et non l’inverse ». L’École a donc la responsabilité de mettre en place les conditions de réussite pour tous les élèves (Albrecht, Ravaud & Stiker, 2001). Cette réussite dans le milieu scolaire ordinaire ne dépend plus seulement des efforts fournis par l’élève en situation de handicap, mais aussi et surtout des ajustements pédagogiques mis en place (Rousseau & Prudhomme, 2010).
Le paradigme inclusif a suscité en France de nombreux débats dans les discours politiques et au sein de la communauté scientifique. L’acception du terme « inclusion » ne faisait pas consensus dans les années 2000. Éric Plaisance et ses collègues (2007) ont expliqué sur ce point que « le vocabulaire de l’inclusion n’est guère utilisé en français pour désigner des processus concernant des personnes. Il est au contraire courant en langue anglaise, souvent couplé à l’expression éducation inclusive, de plus en plus adoptée dans les organismes internationaux. » (p. 159.) C’est ainsi que Jean-François Chossy (2003), député de la Loire, a choisi le terme d’intégration dans son rapport sur « la situation des personnes autistes en France » plutôt que celui d’inclusion « […] qui veut dire clairement “renfermer dans…” ». (p. 35.) La même année, Yvan Lachaud (2003), député du Gard, s’indignait, quant à lui, dans son rapport sur « l’intégration des enfants handicapés », de l’usage du terme d’intégration scolaire : « […]  il n’est pas concevable qu’un individu ait besoin d’intégrer la communauté nationale, sauf à en être étranger ». (p. 106.)
Au cœur de cette dissonance terminologique et conceptuelle, les auteurs de la loi du 11 février 20052 ont fait le choix de ne pas mentionner le terme « inclusion ». Sans citer explicitement le terme inclusion, ce texte législatif a néanmoins permis d’ouvrir la voie au paradigme inclusif. Il a fait entrer le champ du handicap dans le droit commun (Bedoin & Janner-Raimondi, 2017), en dotant les personnes en situation de handicap de deux types de droits : un droit à la compensation quels que soient l’origine et la nature de la déficience, l’âge ou le mode de vie (article 11) ainsi qu’un droit à l’inscription, pour tous les enfants en situation de handicap, dans leur école de quartier (article 19).

1.3 De l’inclusion scolaire…

Huit ans après la promulgation de la loi de 2005, les auteurs de la loi du 8 juillet 20133 ont explicitement mentionné le syntagme « inclusion scolaire » dans leur article 2 : « Il [le service public de l’éducation] veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. » La loi de 2013 reconnaît l’éducabilité de tout enfant (article 2) et concerne un public d’élèves à besoins éducatifs particuliers (BEP), plus large que les élèves en situation de handicap4.
Serge Thomazet, Corinne Mérini et Elvire Gaime (2014) proposent une synthèse sur le changement qui s’est opéré entre la loi de 2005 et de celle de 2013 : « l’école inclusive est avant tout un principe, contenu en tant que tel dans la loi du 11 février 2005 et dont les termes sont entrés dans la prescription avec la loi du 8 juillet 2013 ». (p. 69.) Serge Ebersold (2009) développe ce dernier point ainsi : « le terme [inclusion] désigne désormais l’exigence faite au système éducatif d’assurer la réussite scolaire et l’inscription sociale de tout élève indépendamment de ses caractéristiques individuelles ou sociales ». (p. 79.) La diversité des besoins éducatifs de chaque apprenant, au-delà d’une situation de handicap, doit donc être accueillie et prise en compte par les enseignants. L’École doit ainsi trouver dans la diversité des profils de ses élèves, la singularité de chacun pour offrir un enseignement accessible à tous. Pour atteindre cet objectif, Charles Gardou (2012) confie une mission délicate mais essentielle à l’École : celle de réussir à « conjuguer les singularités, sans les essentialiser ». (p. 43.) L’École inclusive apporte une plus-value, selon Émilie Chevallier-Rodrigues et ses consœurs (2019) : « une lecture en positif de la diversité en induisant un réel enrichissement des pratiques pour donner à tous les élèves les moyens de se saisir pleinement de leur scolarité ». (p. 142.) Pour que la diversité soit vectrice d’enrichissement, Diane Bedoin (2016) souligne qu’il est essentielle de maintenir une grande vigilance quant aux conditions d’accueil réservées aux enfants en situation de handicap. Martine Janner-Raimondi (2017) précise que cet accueil nécessite « la prise en compte d’une spécificité de besoin(s), articulée à une non-stigmatisation ainsi qu’à une considération égale entre les êtres humains ». (p. 79.) En replaçant ces propos dans un contexte scolaire, les concepts de non-discrimination et d’équité doivent être couplés à la prise en compte de ces besoins éducatifs particuliers. Il faut identifier la spécificité de ces besoins pour les élèves en situation de handicap, condition sans laquelle un statut d’élève ne peut être reconnu. Godefroy Lansade (2017) ajoute que, dans le paradigme inclusif, cet accueil doit être pensé selon trois dimensions : « physique, sociale et épistémique ». (p. 18.) Tout enfant a, en effet, un droit d’accès physique pour suivre un parcours scolaire dans son école de quartier. Il doit aussi pouvoir tirer parti d’une socialisation avec ses pairs et doit enfin pouvoir bénéficier d’une accessibilisation des savoirs pour progresser dans ses apprentissages (Thomazet, 2008).

1.4 … à la scolarité inclusive

Dans la loi du 26 juillet 20195, nous pouvons repérer un nouveau glissement terminologique et conceptuel qui s’opère entre « une inclusion scolaire » (loi de 2013) et « une scolarisation inclusive » (loi de 2019). À notre connaissance, les législateurs n’ont pas pris le soin d’expliciter ce qu’ils entendaient par scolarisation inclusive, pensée pour chaque enfant qu’il soit en situation de handicap ou non.
Au-delà des termes employés et des concepts qu’ils recouvrent, Serge Thomazet (2008) considère que la mise en place de l’École inclusive implique une « véritable rupture avec les pratiques traditionnelles ». (p. 129.) Nous allons, à présent, nous attacher à définir ces transformations structurelles et profondes permettant à l’École de devenir inclusive.

2. Changement de pratiques induit par l’École inclusive

Cette seconde partie traite des pratiques liées à l’École inclusive qui rompent avec la forme scolaire traditionnelle (Vincent, 1994) sur plusieurs points. Ces pratiques inclusives impliquent que l’École accueille la diversité dans toute sa richesse.

2.1 École inclusive et partenariat

La mise en place de l’École inclusive est une œuvre commune nécessitant l’implication de tous les partenaires, membres de la communauté éducative.
Philippe Tremblay (2020) précise que, dans une École inclusive, tous les professionnels sont amenés à collaborer « à l’intérieur et à l’extérieur de ses murs ». (p. 104.) Deux types de partenariat sont nécessaires pour que l’École puisse fonctionner dans un paradigme inclusif : le co-enseignement (Tremblay, 2015) et l’intermétier (Thomazet & Mérini, 2014).
Le partenariat au sein de l’équipe pédagogique prend la forme du co-enseignement. Nous reprenons la définition que Philippe Tremblay (2015) a proposée : « Un travail pédagogique en commun, dans un même groupe, temps et espace, de deux enseignants partageant les responsabilités éducatives pour atteindre des objectifs spécifiques et partagés ». (p. 108.) Cette définition à spectre large du co-enseignement comprend tout travail réalisé conjointement par plusieurs enseignants, voire professionnels, sur un même espace-temps, nommé « chronotope d’apprentissage » (Colleoni & Spada, 2021, p. 68).
Le partenariat tourné vers les personnels extérieurs à l’École se développe, quant à lui, sous la forme d’intermétier. L’espace d’intermétier se définit, selon Serge Thomazet et Corinne Mérini (2014), comme une forme de travail collectif se mettant en place entre l’école, le secteur médico-social et la famille. L’éducation inclusive rassemble des professionnels de divers horizons œuvrant de concert à sa mise en place. Ces liens partenariaux s’entrecroisent et relient inextricablement l’École et la société.
Ces deux formes partenariales étayent un des principes fondateurs de l’éducation inclusive : il n’est pas concevable de « faire reposer la réussite du tournant inclusif sur les seules épaules des enseignants ». (Ployé, 2018, p. 144.) C’est ainsi que l’École doit se définir « en tant que projet, c’est donc un objet partagé ». (Thomazet, Mérini & Gaime, 2014, p. 70.) Ce projet commun nécessite un partenariat et un engagement de tous les membres de la communauté éducative : ils sont tous responsables.

2.2 École inclusive et conception universelle

L’École se doit d’accueillir tous les élèves (Déclaration de Salamanque, 1994) tout en s’adaptant à la singularité de chaque apprenant (Charte de Luxembourg, 1996). La conception universelle de l’apprentissage (CUA) permet un accueil sans discrimination à l’École. Elle prend, en effet, en compte la diversité des besoins de tous les élèves.
Ce sont les architectes en premier qui ont souligné l’intérêt d’adopter une conception universelle dans la construction des bâtiments en pensant leur accessibilité en amont et non en aval. Cette conception s’écarte d’une logique réparatrice, car elle est « proactive, [il faut agir] sans attendre que les obstacles se fassent ressentir » (Odier-Guedj et al., 2023, p. 134). Par exemple, la rampe d’accès permet, contrairement aux escaliers, un accès sans entrave physique ou physiologique que l’on soit en situation de handicap ou non (Gardou, 2011).
La conception universelle de l’apprentissage (CUA) rend accessible, quant à elle, les savoirs et les compétences. Elle est définie selon trois principes par le Center for Applied Special Technology (CAST, 2017). Il faut, tout d’abord, prévoir « une représentation des informations par le biais de divers moyens ; [ensuite, permettre] aux élèves d’avoir des choix dans leur manière de démontrer ce qui est appris [et enfin, laisser] la possibilité pour les personnes de s’engager dans les activités de diverses façons ». Dans ce cadre, Greta Pelgrims et Jean-Michel Perez (2016) invitent les membres de la communauté éducative à renoncer « au mythe de l’homogénéité [cognitive dans les classes d’élèves] » (p. 13) pour reconnaître « une hétérogénéité universelle ». (p. 13-14.) Cette CUA traite ainsi conjointement deux grands défis pour les enseignants : celui de proposer un enseignement accessible à tous, tout en restant ambitieux pour tous les élèves (Bergeron, Rousseau & Leclerc, 2011). Les adaptations pédagogiques (Rousseau & Prudhomme, 2010) proposées initialement aux élèves en situation de handicap ne constituent pas un travail supplémentaire pour l’enseignant, dans la mesure où elles conviennent à tous les élèves. Charles Gardou (2012) corrobore ce point de vue : « ce qui est facilitant pour les uns est bénéfique pour les autres ». (p. 38.) C’est pour cette raison que Mel Ainscow (2020) considère que l’éducation inclusive est bénéfique pour tous, c’est « comme une manière de parvenir à une amélioration générale du système éducatif » (p. 8, selon notre traduction).

2.3 École inclusive et société inclusive

La responsabilité de la mise en place de l’École inclusive repose sur la diversité de ses acteurs. L’École ne peut être inclusive que si la société est inclusive (Gardou, 2012). Pour ce faire, elle doit mobiliser tous ses membres pour qu’ils œuvrent activement et conjointement à sa mise en place. Cette mobilisation doit, in fine, « accueillir l’altérité pour co-construire du commun ». (Bedoin & Janner-Raimondi, 2017, p. 32.) Ce commun se rassemble dans une diversité sans discrimination. Cette diversité doit être considérée « non [comme] une difficulté pour la société, mais [comme] une source de bien-être social, de développement économique et un vecteur de matérialisation des droits de l’homme. » (Ebersold, Plaisance & Zander, 2016, p. 10.) Ainsi, « un consensus semble se profiler autour de cette idée que la diversité relève d’un besoin vital pour les hommes […] ». (Bedoin & Janner-Raimondi, 2017, p. 33.)
C’est de la construction d’un monde durable dont il est question. Sur ce point, la définition onusienne des dix-sept objectifs de développement durable (ODD) à l’horizon 2030 permet d’interconnecter cette construction avec la mise en place d’une éducation sans discrimination qui est le propre d’une éducation inclusive. En effet, « l’éducation occupe une place centrale dans le Programme de développement durable ». (Tawil et al., 2017, p. 7.) Elle se hisse à la quatrième place sur les dix-sept objectifs constitutifs de ce « plan d’action pour l’humanité, la planète et la prospérité » (ibid, p. 7). L’ODD4 « assure à tous une éducation de qualité inclusive et équitable et promeut des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ». (Tawil et al., 2017, p. 11.) Luis Ma Naya et ses confrères (2022) considèrent ainsi que l’ODD4 ouvre la voie à « une nouvelle culture éducative dans et pour l’égalité et l’équité. » (p. 128.) Ainsi, une société inclusive dans sa dimension équitable est la condition sine qua non pour que le monde perdure et qu’il soit viable.

En guise de conclusion : l’École inclusive comme processus

Il s’agit de comprendre l’inclusion à travers des processus complexes, interactifs et dynamiques. C’est pourquoi, nous parlons de « parcours inclusifs » pour rendre compte des actions et des moyens mis en œuvre pour y parvenir ainsi que des expériences vécues par les sujets directement concernés (Bedoin & Janner-Raimondi, 2017 ; Bedoin, Lemoine et Zoïa, 2022). Nous entendons souligner que la mise en place de l’éducation inclusive s’inscrit dans la durée. Elle nécessite l’engagement de tous les acteurs concernés (élèves, parents, enseignants, accompagnants, etc.), soutenus et accompagnés dans la prise en compte de la diversité par des moyens suffisants, octroyés par une société aux ambitions inclusives. « Ainsi, dans peu de temps, ne nous parlerons plus d’écoles inclusives, mais simplement d’écoles. » (Tremblay, 2020, p. 105.)

 

 

Regards croisés de l’institution sur l’inclusion et le CDI inclusif

Nous avons choisi de rencontrer trois acteurs de l’Éducation nationale autour de quatre questions dans des entretiens individuels. Ils nous apportent ainsi leur éclairage sur la question de l’inclusion et le rôle du professeur documentaliste dans un CDI inclusif.

Les directives institutionnelles récentes mentionnent que la société doit être « pleinement inclusive en intégrant la dimension du handicap dans la mise en œuvre des politiques publiques, afin de favoriser l’accessibilité universelle, l’accès aux droits, la lutte contre les discriminations et la participation des personnes en situation de handicap à la cons­truction des solutions qui les concernent » : pourquoi cet intérêt institutionnel pour l’inclusion ? Qu’est-ce qui l’explique et le justifie ?
(Circulaire n° 6375/SG relative à la mise en œuvre de la politique interministérielle pour l’inclusion
des personnes handicapées.)

Fabienne Ouvrard Avant tout, ce qui l’explique c’est l’augmentation du nombre d’élèves à besoins éducatifs particuliers (BEP) et également, en démocratie, la nécessité de donner à tous les élèves leur chance afin que l’école assure sa mission de service public. Il faut une école de l’égalité des chances et de réussite pour tous les élèves et donc l’accès aux apprentissages, y compris pour les élèves en situation particulière. L’école doit construire le parcours de chaque élève, quelle que soit son origine et ses aptitudes.

Sandra Barrère C’est une question démocratique : la société étant plurielle, il importe que l’institution soit elle-même représentative de cette pluralité.
La société, elle est faite de… gens et de personnes qui ne sont pas des standards. Il y a une pluralité qui s’exprime par la diversité des histoires, des origines, des langues, des cultures, des genres, des problématiques de santé, de handicap. Il est important que l’institution soit en phase avec la pluralité de la société. Si elle ne s’adresse qu’au garçon blanc et en bonne santé, on n’est pas dans un service public inclusif. On est dans un service public qui est intrinsèquement sexiste, voire sexiste et raciste et capacitiste. Donc oui, la réponse c’est au nom de la question démocratique et de la représentation de la pluralité du vivant.

Daniel Gillard C’est tout récent. C’est-à-dire que l’école s’insère dans la loi, le cadre légal et réglementaire le plus générique. Simplement, il est nécessaire de rappeler ça régulièrement parce que l’enjeu pour l’institution, enfin l’école en tant qu’Institution, est double.
Le premier enjeu, d’abord, c’est la manière d’approcher ça. C’est-à-dire que, est-ce qu’on approche ça par l’accessibilité ou est-ce qu’on approche ça par la compensation ?
On l’approche souvent par la compensation. Je crois que c’est un des problèmes. Si on prend la difficulté scolaire, comment est-ce qu’on traite la difficulté scolaire ?
Au lieu de la traiter, par exemple, en faisant de la différenciation et en donnant à tous les élèves les mêmes choses à faire, mais avec des aides, qui soient des aides variées et adaptées, on va donner des tâches de niveaux différents ou on va faire du tutorat. Et bien c’est pareil pour le handicap.
On va se retrouver dans une situation où, au lieu d’adapter systématiquement les supports, les tâches, mais avec l’idée d’avoir les mêmes objectifs, on va multiplier les compensations humaines, par exemple. Mais structurellement, on ne change pas. Donc ça, c’est la première chose. Et il faut le rappeler régulièrement.
Et quelque part, ces rappels institutionnels, c’est presque des rappels à l’ordre. Parfois un petit peu… Comment dire ? Un petit peu terrifiés, un petit peu désabusés, en disant, ben voilà, on demande depuis des décennies maintenant de faire de l’accessibilité et on ne fait que de la compensation.
Le deuxième rappel à l’ordre… C’est une situation pour laquelle on fait sans arrêt ces retours institutionnels qui sont un peu ritualisés. Je disais, en sept ans d’inspecteur, c’est pratiquement tous les ans qu’on a au mieux une circulaire, au pire un décret, voire une loi complémentaire qui nous dit, attention, il faut s’occuper des situations de handicap. Mais c’est parce qu’on n’arrive toujours pas aussi à insérer ça dans le droit commun.
Oui, je vais conclure en disant que cette histoire de mauvais rapport aux droits communs et cette histoire de passer davantage par la compensation que par l’accessibilité, elle vient profondément d’une mauvaise compréhension de ce qu’est une situation de handicap, c’est-à-dire que la situation née de la difficulté que génère le trouble par rapport à une situation donnée.

Quelle(s) approche(s) de l’inclusion est/sont avancée(s) par l’insti­tution ? Quelle définition donne-t-elle ? Et quelles sont les attentes pour la mise en œuvre au sein de l’école et des CDI ?

Fabienne Ouvrard L’inclusion doit donner à tous les élèves le droit à l’instruction, à l’éducation et à la culture (dans toutes ses dimensions). Une école inclusive est une école qui accueille, qui scolarise, qui s’adapte aux besoins éducatifs particuliers. Après une période ségrégative, puis une période intégrative, progressivement, s’est développée sous le terme d’inclusion une conception de la scolarisation au plus près de l’école ordinaire, qui suppose non seulement l’intégration physique (l’établissement spécialisé se déplace dans l’école) et sociale (les élèves à besoins particuliers partagent les récréations, repas, ateliers récréatifs… des élèves des filières régulières), mais aussi pédagogique, afin de permettre à tous les élèves d’apprendre dans une classe correspondant à leur âge, et ceci quel que soit leur niveau scolaire (Thomazet, « De l’intégration à l’inclusion. Une nouvelle étape dans l’ouverture de l’école aux différences », Le français aujourd’hui 2006/1 (n° 152), p. 19-27. DOI 10.3917/lfa.152.0019).
Au sein des écoles et des CDI, il s’agit de poursuivre et de rendre possible cet objectif d’inclusion en favorisant la réflexion collective, en travaillant en collaboration pluri-catégorielle (direction, professeurs, documentaliste, partenaires divers). Il faut se donner les moyens de mettre en œuvre cette réflexion pour avoir un pilotage et un environnement adaptés au public accueilli. Il faut aussi former les équipes à l’inclusion.

Sandra Barrère Il me semble que l’institution, quand elle parle d’inclusion, s’adresse ou, du moins, traite spécifiquement la question du handicap alors qu’il faudrait avoir une vision beaucoup plus large de l’inclusion. La définition inclusive de l’inclusion, si je puis me permettre, c’est effectivement la possibilité d’inclure la pluralité de tout. C’est-à-dire imaginer la question pas seulement du genre mais la question sociale, la question des origines, de la diversité et des identités de genre. C’est-à-dire qu’ici il est important qu’on puisse se reconnaître, que tout le monde puisse se reconnaître. C’est-à-dire que le jeune, imaginons, qui se pose des questions sur son identité de genre, puisse avoir des modèles identificatoires qui puissent le rassurer sur le fait qu’il a pleine légitimité à l’école. Oui. Et donc je pense qu’il est important que l’on puisse se reconnaître. Et ça, ça passe par une politique éducative qui saisit cette pluralité de manière très approfondie.

Daniel Gillard On va surtout la définir par ce qu’elle n’est pas. C’est-à-dire qu’elle n’est pas l’intégration. En fait, le système éducatif français, il a connu trois phases. La phase pour les élèves en situation de handicap, la phase de la ségrégation, c’est-à-dire qu’ils étaient placés dans des établissements à part médico-social. La phase de l’intégration, c’est-à-dire qu’on les mettait à l’école. Mais dans des dispositifs à part. Même chose d’ailleurs pour la difficulté scolaire… Alors d’ailleurs, on ne les appelait pas des dispositifs, on les appelait des structures.
L’inclusion, donc, ce n’est ni la ségrégation, ni l’intégration, c’est le fait de scolariser les élèves dans le droit commun, comme les autres, en leur offrant soit des compensations, soit de l’accessibilité. Alors, l’accessibilité, par exemple, c’est l’Ulis. L’Ulis est une structure d’accessibilité. Enfin, c’est un dispositif, mais est un dispositif d’accessibilité.
La compensation, c’est l’aide de la peine, du handicap, de la difficulté.
Problème, en fait, ce que l’institution promeut, prioritairement, parce que c’est la politique nationale, c’est l’accessibilité. Et ce n’est pas l’éducation nationale, c’est la politique étatique qui est une politique dite d’accessibilité. Sauf que la politique d’accessibilité, dans la réalité, c’est complexe, c’est complexe, au niveau des adultes et c’est complexe parce que c’est coûteux. Ça veut dire, par exemple, qu’il faut mettre tous les bâtiments aux normes.
Et quand on parle du CDI, combien de CDI sont au premier étage, sans ascenseur par exemple ? Combien de CDI ne sont pas suffisamment indiqués en termes également de signalétique ?
Et combien de CDI ne sont pas aménagés en interne pour une signalétique accessible à tous ?
C’est une évolution profonde des mentalités. Les enseignants sont prêts à la compensation. Et d’ailleurs, ils citent souvent un système qui travaille beaucoup avec la compensation qui est le système italien. Le système italien où il y a pratiquement un personnel pour un élève en situation de handicap sauf que le problème, c’est que la compensation, on s’en rend compte, c’est très coûteux aussi. Et c’est coûteux à long terme parce qu’on voit que les élèves italiens, handicap ou pas, quelles que soient les situations, ont des mauvais résultats. Des résultats encore pires que les élèves français à Pisa. On n’est pas forcément les plus mauvais de ce point de vue-là.
Pourquoi ? Parce qu’effectivement, c’est d’abord une révolution des mentalités qu’il faut faire. Et ce qui bouge le plus lentement, ce sont les mentalités, par définition.
L’institution, dans son pilotage, elle a deux gros défauts. D’abord, elle décrète de manière centralisée, sans prendre en compte et sans expliquer et sans faire travailler le terrain et sans faire confiance à l’intelligence du terrain. Et puis deuxième chose, l’institution part du principe que finalement, si les enseignants n’y arrivent pas, ce n’est pas parce qu’ils sont mal formés ou parce que les conditions qu’on leur impose sont parfois trop compliquées.
L’institution leur demande de faire de la différenciation et c’est compliqué. Et c’est chronophage de faire de la différenciation. Et en plus, il faut des compétences didactiques, pas seulement pédagogiques, mais didactiques, que beaucoup d’enseignants n’ont pas. Et il faut répondre à la demande des parents qui en demandent beaucoup pour leur enfant. Les parents dans notre société actuelle, ils ne demandent pas de la différenciation, ils s’en moquent de la différenciation. Ils demandent de l’individualisation. Voilà. Et les enseignants ont parfois tendance à y céder. Et c’est délétère parce que d’abord, vous ne ferez jamais 30 plans de travail pour 30 élèves. Et en plus, vous perdez ce qui fait le sel de l’école.
Il faudrait quand même le redire souvent, Vygotsky, il a dit, non seulement on apprend mieux avec les autres, mais on apprend mieux en plus quand les autres ne sont pas d’accord avec soi.

Comment voyez-vous le rôle des CDI et la contribution des professeurs documentalistes pour favoriser l’inclusion des élèves ?
Le CDI peut-il être inclusif ? Comment considérer le CDI inclusif  aujourd’hui ?

Fabienne Ouvrard Le CDI doit être inclusif et en capacité d’accueillir et d’accompagner tous les publics scolarisés. Un axe du projet d’établissement peut définir son rôle à ce sujet. Les professeurs documentalistes doivent être formés à cette prise en charge et travailler (coanimer) avec les enseignants des séances au CDI. Le professeur documentaliste peut par exemple travailler avec le professeur d’UPE2A pour accueillir et accompagner des élèves non francophones ou ukrainiens. On peut aussi imaginer un travail en EMI pour ces élèves.

Sandra Barrère Ah mais ce rôle est absolument déterminant, parce que justement, un CDI c’est un endroit où on va trouver de la documentation, c’est-à-dire c’est une fenêtre sur le monde. Et donc suivant que cette fenêtre est plus ou moins ouverte, la pluralité est plus ou moins représentée. Et je vois bien, dans le domaine de l’égalité des genres, l’importance qu’il y a à avoir dans un CDI des livres qui traitent de ces questions, des guides sur l’éducation aux sexualités, par exemple, parce qu’il n’y a pas une sexualité qui serait hétéronormée, il y a des sexualités. C’est-à-dire qu’il est important que le jeune gay puisse se sentir à l’aise et donc représenté à travers les documents qu’il y trouvera. Il est important que le jeune trans lui-même se sente représenté. Il est important qu’il y ait des livres qui traitent de la sexualité. Qu’il y ait des fictions qui traitent de la question du sexisme, je veux parler de livres, mais aussi de DVD.
C’est vrai que le CDI peut hautement contribuer au caractère inclusif d’un établissement et donc d’une politique éducative du respect et de l’égalité. Je pense aussi au rôle du prof doc ou de la prof doc dans le domaine de l’EMI par exemple. On a des exemples assez bouleversants de web radio dans lesquels les jeunes documentent ces questions, conduisent des interviews, travaillent la question non seulement du genre mais du lien intergénérationnel. C’est formidable, c’est comme ça qu’on construit une culture plurielle. C’est précieux ça, qu’une culture de l’égalité et du respect ait donc aussi une conscience citoyenne respectueuse de la pluralité.
Donc oui, la part du prof doc, mais aussi du CDI dans un établissement, elle est absolument centrale. Si la jeune ado qui se sent lesbienne ou le jeune ado qui se sent gay n’a pas de figure d’identification, comment peut-on imaginer de l’inclure ?
Donc voilà, toutes ces choses doivent être pensées de manière un peu rigoureuse à travers une politique d’acquisition qui représente la pluralité des humains. Et ça, ça vaut pour le genre, ça vaut pour l’orientation sexuelle, ça vaut pour tout en fait. Oui, l’orientation au niveau des métiers. Mais ça vaut pour la diversité des couleurs, ça vaut pour la biodiversité, on va dire.

Daniel Gillard Alors, évidemment que le CDI peut être inclusif, mais un premier point, c’est le fait que le désarroi des professeurs documentalistes n’est pas suffisamment pris en compte. Donc déjà, il y a effectivement, pour moi, un travail préalable, mais qui serait de l’ordre de la reconnaissance mutuelle.
C’est-à-dire, le CDI doit être un espace inclusif, mais de la même manière que dans le reste du collège, ça ne va pas de soi. Deuxième chose, alors après, travailler le CDI comme espace inclusif, ça nécessite de penser au préalable le CDI comme un système. C’est-à-dire qu’il y a un espace, il y a des données et des ressources, et il y a des missions. Et un professeur documentaliste ne peut pas penser le CDI comme espace inclusif autrement que dans le cadre d’une politique documentaire d’établissement et d’un projet de CDI.
Alors, quelques points de réflexion par rapport à ça.
D’abord, un CDI inclusif, ça serait dans l’idéal, ce serait un CDI qui serait pensé à l’avance, dont la place dans les restructurations de l’établissement serait pensée à l’avance.
Pourquoi est-ce que le CDI n’est pas pensé systématiquement comme ayant une place centrale dans l’établissement ?
Pourquoi le CDI n’est-il pas pensé au rez-de-chaussée ?
Pourquoi le CDI n’est-il pas pensé comme un espace lumineux et de taille suffisante ?
Pourquoi le CDI n’est-il pas pensé en lien avec la vie scolaire ?
Ça devrait être un pôle unique avec grosso modo un pôle central. Il y aurait la vie scolaire avec bureau des CPE, bureau des AED, salle de permanence bien centralisée, le CDI et un lien direct avec la salle de permanence permettant aussi de penser ça comme des lieux où on peut passer de l’un à l’autre, y compris au sein d’une même heure en fonction des besoins.
Et puis on y ajouterait d’ailleurs l’infirmerie. Voilà, un ensemble qui est un pôle à la fois vie scolaire et médico-social.
Ça pour moi, c’est la condition numéro un pour que le CDI soit inclusif, c’est-à-dire qu’il trouve sa place réelle, le CDI, c’est le cœur du réacteur. Et plus l’établissement est petit, plus le CDI est le cœur du réacteur.
Deuxième point, il y a une politique de ressources pensées déjà en fonction de la particularité du public scolaire et pas seulement du handicap. La politique documentaire, ça commence par « Quels sont les besoins spécifiques ? » En termes d’accès à la culture, à la lecture, aux ressources documentaires. Et du coup, quel est mon public ? Et donc la politique d’achat, la politique d’abonnement, la politique de diffusion, elle est pensée.
Ensuite, troisième condition, c’est un CDI où les actions du prof doc sont ciblées, et il s’insère dans les actions déjà en place. Donc, imaginons un collège, par exemple, piloté, où les parcours avenir, citoyen, EAC… font l’objet d’une programmation de sixième ou en troisième avec, chaque année, des programmations dans les parcours.
Et enfin, quatrième point là-dessus, quatrième condition, c’est un CDI qui a été aménagé pour ce faire.
Voilà, donc les quatre points : un CDI qui est placé correctement, un CDI qui a une politique documentaire, un CDI qui a intégré les parcours et l’EMI évidemment et un aménagement et un fonctionnement spécifique du CDI.
Alors, en fait, ce n’est pas vraiment une question de CDI inclusif. C’est une question de CDI. C’est une question de politique de droit.
C’est une question de documentation… Voilà. Avec toutes les difficultés qu’il y a pour faire comprendre ça aux autres enseignants et à toute la communauté pédagogique.

Quelles préconisations donnez-vous dans un contexte où les professeurs documentalistes regrettent le peu de reconnais–sance pour leur mission en EMI notamment ? Quelles pistes proposez-vous pour développer l’inclusion au CDI ?

Fabienne Ouvrard Je pense à de la formation d’abord, une sensibilisation à l’ensemble de la communauté éducative après un travail fait (à valoriser), une réflexion à mener en conseil pédagogique. Un travail plus proche avec les professeurs principaux, les professeurs d’Ulis, d’UPE2A. Sans doute il faudrait repenser l’espace du CDI (avec le dépôt de projet NEFLE) pour qu’il soit plus adapté à la diversité des publics.

Sandra Barrère Je vois deux, trois idées. J’ai déjà parlé de Web radio : travailler à l’acquisition de compétences en EMI, ça me paraît très important. Il y a des exemples absolument prodigieux d’émissions de radio, de réalisation de webzines, etc. Je pense aussi à la constitution des corpus et donc à la question des règles que l’on se donne dans l’acquisition des ouvrages, tout cela doit être fait très soigneusement. Mais aussi la manière dont on visibilise ces acquisitions dans l’espace, non seulement au sein du CDI, mais également en dehors du CDI. Il peut y avoir une politique d’exposition, d’affichages, etc. Avec des semaines à thème, etc. Voilà. Et c’est sans parler de tous les jours, les droits des femmes le 8 mars, la prévention des LGBTphobies le 17 mai, les violences faites aux femmes le 25 novembre, tous ces temps sont des moments névralgiques pour mettre en œuvre une politique inclusive au CDI. C’est le cœur de l’établissement, bien sûr.
Oui, et puis dans le cadre de cette politique d’acquisition, il y a des points de vigilance qui doivent s’exercer, notamment relativement à l’émergence de phénomènes culturels qui sont un peu problématiques. Je pense à la Dark Romance, par exemple. Donc là, je pense qu’il faut avoir une vigilance toute particulière, soit parce qu’on n’acquiert pas ces choses, soit, si elles existent dans le fonds, parce qu’on accompagne par un discours critique la lecture de ces documents. Et ça, c’est indispensable parce que cette tendance qui émerge de la lecture de Dark Romance est de nature à me poser question. Donc, il est très très important d’entraîner l’esprit critique des jeunes pour toutes ces raisons.

Daniel Gillard Alors, je n’ai jamais été sollicité sur des problématiques didactiques spécifiques liées à la documentation. En fait, mais ce n’est pas la documentation. C’est de manière générale.
C’est-à-dire que quand on vous sollicite didactiquement pour les élèves en situation de handicap ou en grande difficulté scolaire, on voit bien la politique actuelle, c’est le français et les maths. Il n’y a pas de réflexion didactique actuelle. Actuellement, sur les spécificités que pourrait avoir ce travail-là en EMI, on touche le problème qui est le problème fondamental de la discipline. D’abord. Il y a deux corpus disciplinaires en réalité dans la documentation. Il y a les compétences info-documentaires avec la recherche documentaire au sens large. Et c’est peu reconnu comme étant un corpus de savoir, y compris par les autres professeurs.
Et puis après, il y a l’EMI. Alors, je ne dirais pas qu’il existe un manque de corpus, il y a des ressources nécessaires qui mettent en lien les grandes thématiques de l’EMI avec notamment le socle. Mais, comme c’est une matière, comme c’est un enseignement qui n’est pas inscrit dans les programmes. L’EMI souffre non pas d’un manque de reconnaissance, mais d’un manque de connaissance.
Donc la réflexion, mais peut-être que je me trompe, qui n’a pas encore été conduite, c’est quelle adaptation ? Pour l’EMI. C’est-à-dire, vraiment dans le cadre des enseignements adaptés. Quelle adaptation pour l’EMI ? Et ça, par contre, oui, c’est un vrai sujet, parce que ça existe dans toutes les disciplines.
Alors, du coup, des pistes de réflexion. Je voudrais les livrer comme ça, parce que c’est en lien avec la réflexion actuelle que font les IPR EVS. Pour moi, la piste d’entrée pour les professeurs documentalistes, c’est la lecture. Alors, je sais qu’il y a beaucoup, beaucoup de réticences là-dessus. Parce que les professeurs documentalistes, ils vont dire, attendez, ce n’est pas notre première mission.
Pour moi, la lecture, dans le sens, aide à la lecture-compréhension, aide justement à l’interprétation des textes, aide aux inférences, aide à la mise en réseau.
Et là, on commence à rentrer justement dans les compétences info-documentaires et à l’aide à l’intertextualité. Alors, à tel point d’ailleurs qu’on a demandé pour l’an prochain à ce qu’un des IPR EVS soit associé au groupe maîtrise de la langue des IPR EVS.
On fait reconnaître la spécificité des professeurs documentalistes en entrant par la lecture non pas en les transformant en profs spécialisés qui vont apprendre à lire, parce que ça, c’est la crainte effectivement des collègues. Et c’est une crainte que je partage et que je comprends.

Je tiens à remercier mesdames Fabienne Ouvrard et Sandra Barrère et monsieur Daniel GILLARD d’avoir pris le temps de m’accorder un entretien sur le sujet de l’inclusion et de son articulation avec le CDI. J’espère avoir respecté leurs propos lors de la retranscription de nos échanges et du travail de réécriture.