Introduction
Les professionnels de la documentation occupent une place stratégique et centrale au sein des organisations en raison de leur niveau de formation et de la relation privilégiée qu’ils entretiennent avec l’information, à savoir leur « sensibilité informationnelle » pour reprendre l’expression de Claude Baltz (2003, p. 152). En tant qu’experts de la pédagogie de l’information-documentation, centrés sur l’éducation des élèves, les professeurs documentalistes sont également sensibles au contexte actuel de l’information et de ses désordres, auxquels s’ajoutent la crise sanitaire et son lot de désinformation. Sur le terrain de l’établissement scolaire, leur mandat pédagogique n’a jamais trouvé autant de légitimité à s’exercer. Un mandat conforté par leur circulaire de missions réactualisée en 2017 qui place, en premier axe, leur fonction d’« enseignant et maître d’œuvre de l’acquisition par tous d’une culture de l’information et des médias2 » en reconnaissant ainsi leur expertise pédagogique dans le champ des Sciences de l’information et de la communication (SIC). À ce titre, ils forment « tous les élèves à l’information documentation » en tant que champ d’intervention distinct de l’ÉMI. Le décret sur les ORS3 devrait conforter la légitimité de ce mandat pédagogique, mais comment s’applique-t-il sur le terrain de l’établissement scolaire et selon quelles modalités ? Sept ans après la parution du décret, où en sont les professeurs documentalistes à ce sujet ? Pour le savoir, nous avons envoyé un sondage anonyme sur les listes de diffusion académique et nationale des professeurs documentalistes à la suite duquel nous avons recueilli 276 réponses4. Nous préciserons tout d’abord le profil des répondants avant de proposer, ensuite, une lecture explicative du décret à partir de leurs témoignages. Leurs mots, qui constituent la matière première de notre réflexion, conduiront le lecteur, dans un dernier temps, à entrer en profondeur dans les résultats du sondage. Entre modestie et résistance, la mise en mots du décret sur les ORS dit « quelque chose » de la manière dont les professeurs documentalistes se perçoivent et se considèrent comme enseignants.
Qui sont les 276 répondants ?
En raison de la période chargée de fin d’année scolaire, nous avons opté pour un sondage court et articulé uniquement autour de deux questions : une question fermée, afin d’identifier le type d’établissement des répondants et une question ouverte visant à recueillir leurs témoignages spontanés :
« Appliquez-vous le décret ORS dans votre établissement ? Si oui, merci d’indiquer de manière explicite les modalités de son application (récupération horaire hebdomadairement, mensuellement, en fin d’année, paiement en heures péri-éducatives, autres…). Si non, merci d’indiquer explicitement les obstacles que vous rencontrez quant à son application. »
172 répondants sont professeurs documentalistes en collège, 50 exercent en lycée général et technologique, 26 en lycée professionnel et 28 au sein de structures mixtes.
Nous les avons répartis en trois catégories :
– 60 % déclarent ne pas appliquer le décret sur les ORS. Ce chiffre est identique à celui obtenu par le SNES à la suite de l’enquête menée en janvier-avril 20205.
– 31 % déclarent l’appliquer.
– 9 % ne répondent pas précisément à la question : oui et non, partiellement, occasionnellement, en partie, à demi, officieusement…
Le graphique ci-dessous indique la répartition des trois catégories en fonction du type d’établissement.

Décryptage, précisions et éclairages
J’ai mis le BOEN en copie au chef d’établissement, la première fois, il a répondu que c’était statutaire et ne s’y opposerait pas. Prof doc en lycée général et technologique
Le décret du 20 août 2014 relatif aux ORS des enseignants est un acte réglementaire pris par le gouvernement et signé du Premier ministre. En tant que représentant de l’État, le chef d’établissement est le garant de l’application des textes normatifs au sein de l’établissement scolaire. Ce décret abroge celui de 1950 qui régissait jusqu’alors le statut et les services des enseignants en incluant désormais les professeurs documentalistes dans un texte commun à tous les enseignants. Leur service hebdomadaire y est clairement défini. Nous soulignons cette avancée même si l’application du décret peut se révéler inégale sur le terrain ; nous y reviendrons dans un instant.
L’article 2 du décret définit ensuite les obligations réglementaires de service qui diffèrent selon le corps des enseignants [certifiés, agrégés, professeurs de lycée professionnel (PLP), professeurs des écoles (PE), professeurs d’éducation physique et sportive (EPS)] puis, par dérogation à ces obligations, l’article précise les dispositions particulières qui s’appliquent aux professeurs « de la discipline de documentation » :
« Par dérogation aux dispositions des I et II du présent article, les professeurs de la discipline de documentation et les professeurs exerçant dans cette discipline sont tenus d’assurer : – un service d’information et documentation, d’un maximum de trente heures hebdomadaires […] – six heures consacrées aux relations avec l’extérieur qu’implique l’exercice de cette discipline6. »
Qu’ils soient ainsi certifiés (18 h) ou agrégés (15 h), recrutés par la voie du CAPES de documentation ou non, les professeurs documentalistes doivent un service hebdomadaire de 30 h dans l’établissement. Le décret prend donc en considération le fait que de nombreux enseignants de corps différents (PLP, PE, EPS…), déjà titulaires d’un autre concours, se sont orientés vers la documentation.
Qu’est-ce qu’une « heure d’enseignement » ?
Je souhaitais récupérer mes heures pédagogiques, nous avons eu un désaccord avec le chef d’établissement. L’inspectrice a tranché : seules les heures d’AP, inscrites à l’emploi du temps des élèves, peuvent être récupérées. Je n’interviens pas dans le cadre de l’AP. Prof doc en collège
La mention « heure d’enseignement » apparaît officiellement dans le décret :
« Ce service peut comprendre, avec accord de l’intéressé, des heures d’enseignement. Chaque heure d’enseignement est décomptée pour la valeur de deux heures pour l’application du maximum de service prévu à l’alinéa précédent7 ».
L’information-documentation n’étant pas une discipline institutionnalisée, cette mention peut effectivement prêter à confusion comme en témoigne ce prof doc en collège. Pour la préciser, un détour par la circulaire d’application du décret du 29 avril 2015 semble nécessaire. Celle-ci précise que les heures d’enseignement correspondent « aux heures d’intervention pédagogique devant élèves telles qu’elles résultent de la mise en œuvre des horaires d’enseignement définis pour chaque cycle », et ce, « quel que soit l’effectif du groupe d’élèves concerné8 ». Conséquemment, et compte tenu de la situation singulière des professeurs documentalistes, nous définissons la mention « heure d’enseignement » comme une heure de face à face pédagogique devant élèves, prévue dans les grilles horaires du cycle, quel que soit le nombre d’élèves, en présence ou en l’absence d’enseignants disciplinaires, dans ou hors du CDI. Le décret étant silencieux sur ces deux derniers points, il convient d’envisager ces éventualités.
Si l’on s’en tient alors à la définition du décret de 2014 et de sa circulaire d’application de 2015, les « heures d’enseignement » des professeurs documentalistes ne dépendent absolument pas d’un quelconque emploi du temps hebdomadaire CDI inscrit à l’emploi du temps des élèves. Une précision s’impose, puisque cet élément peut constituer un point de désaccord entre les professeurs documentalistes et leur hiérarchie comme en témoigne le prof doc en collège. L’information-documentation n’étant pas une discipline institutionnalisée, elle n’a donc pas d’horaire d’enseignement dédié pour chaque cycle. Par conséquent, et pour être en cohérence à la fois avec le décret sur les ORS et la circulaire de missions, un professeur documentaliste qui assure une heure d’enseignement devrait se trouver alors :
– en face à face pédagogique devant élèves, ce qui signifie en situation de transmettre des notions info-documentaires qui visent l’appropriation de savoirs et de compétences propres à « une culture de l’information et des médias » lesquels sont inscrits dans les programmes disciplinaires ;
– en face à face pédagogique sur une heure dédiée à un enseignement disciplinaire et/ou aux dispositifs éducatifs officiels tels que les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) en collège, l’Accompagnement Personnalisé (AP) en collège et en lycée ou le chef d’œuvre en lycée professionnel.
Nous savons pourtant que, dans les faits, des professeurs documentalistes obtiennent des heures dédiées ajoutées à l’emploi du temps des élèves. Mais ce cas n’est pas pris en considération par le décret sur les ORS. Situer son action pédagogique dans ce cadre revient, dès lors, à prendre un risque, puisque la récupération des heures d’enseignement effectuées pourrait être acceptée ou refusée selon la volonté du chef d’établissement. Inscrire son action pédagogique dans des horaires « officialisés », dédiés aux enseignements disciplinaires et/ou aux dispositifs éducatifs, revient ainsi à limiter ce risque en situant son intervention pédagogique « dans la norme » édictée par le décret.
1 heure d’enseignement effectuée = 2 h de récupération sur le service hebdomadaire de 30 h
Je suis dans un établissement de près de 700 élèves. La Principale voulait que je prenne les 6e toute l’année. Je lui ai dit OK si j’applique le décret (même si je ne demandais pas 7 heures de récup, donc 7 h de fermeture du CDI), elle m’a rétorqué que ce décret ne s’appliquait pas pour ces heures de 6e. Elle refuse également que je fasse une banque de temps pour récupérer quand il y a moins de travail. Concernant les heures faites avec mes collègues, jamais je n’ai décompté. Prof doc en collège
Le décret sur les ORS précise enfin qu’1 heure d’enseignement devant les élèves vaut 2 heures « de service de documentation et d’information ». Chaque heure d’enseignement effectuée étant ainsi décomptée pour la valeur de 2 heures du service hebdomadaire de 30 h. Le prof doc en collège déclare, ci-dessus, assurer 7 heures d’enseignement par semaine. Si le décret s’appliquait « strictement », les 7 heures d’enseignement comptant pour 14 h de service, ses obligations hebdomadaires passeraient donc de 30 h à 23 h9. Ce témoignage n’est pas le seul à soulever les difficultés d’application du décret et notamment l’impossibilité d’une application « stricte ». D’autant plus qu’un seul poste de certifié de documentation à 30 h ne permet déjà pas une ouverture du CDI sur l’ensemble des horaires d’ouverture de l’établissement. Pourtant 31 % des répondants déclarent appliquer ce décret. Comment s’y prennent-ils alors ? Pour le savoir, entrons plus en profondeur dans les résultats du sondage.
Entre application officielle et petits arrangements officieux
Application officielle : bricolages et braconnages
Oui. Temps de présence prévue de 28 h hebdomadaire au lieu de 30 h et souplesse d’emploi du temps en fin d’année quand il n’y a plus d’élèves. (C’est en théorie, parce qu’en pratique, j’ai bien du mal à ne pas faire beaucoup plus d’heures). Prof doc en lycée général et technologique
L’expression « application officielle » désigne une application du décret qui fait l’objet d’un accord établi et reconnu dont les modalités sont acceptées par le chef d’établissement et le professeur documentaliste puis diffusées à l’ensemble de la communauté éducative. Une diversité de modalités d’application ressort des témoignages des répondants qui affirment appliquer le décret sur les ORS :


– 60 % disent effectuer une récupération hebdomadaire : leurs services se situant entre 24 h minimum et 28 h maximum au lieu de 30 h ;
– 16 % déclarent récupérer leurs heures durant les derniers jours de l’année. Parmi-eux, 4 répondants disent juxtaposer cette récupération en fin d’année scolaire avec un décompte hebdomadaire à l’instar de ce prof doc en lycée général et technologique ;
– 11 % déclarent être payés en heures supplémentaires (notamment en lycée), en heures péri-éducatives, en heures de vacation ou en heures dédiées à des dispositifs tels que devoirs faits (notamment en collège)10. Parmi-eux, 2 répondants disent juxtaposer une récupération hebdomadaire avec un paiement en heures péri-éducatives ;
– 9 % déclarent ensuite capitaliser leurs heures sous la forme d’un « réservoir » dans lequel ils piochent, au coup par coup, en fonction de leurs besoins, sous la forme d’une demande d’autorisation d’absence sans récupération. Un professeur documentaliste en collège nous en donne une illustration précise :
Chaque fin de mois, je fais un bilan écrit à mes chefs d’établissement des heures d’enseignement effectuées. Ces heures constituent un «réservoir» dans lequel je pioche en cas de besoin : absence maladie d’une journée, absence personnelle, arrêt quelques jours avant la fin de l’année… Concrètement, cette année, j’en ai récupérées environ 40 %. Prof doc en collège
Parmi-eux, 3 répondants affirment cumuler ce réservoir avec un décompte hebdomadaire.
– 2 % enfin disent récupérer mensuellement et trimestriellement leurs heures mais sans préciser le volume horaire global récupéré.
Alors même que ces professeurs documentalistes disent appliquer le décret sur les ORS, certains soulèvent par ailleurs les difficultés rencontrées face à un texte impossible à appliquer à la lettre qui génère des inégalités de traitement au sein de la profession. 9 % considèrent que l’application du texte dépend, d’une part, du bon vouloir du chef d’établissement et qu’il convient, d’autre part pour 5 % des répondants, de renégocier à chaque changement de direction. Cette situation conduit les professeurs documentalistes à toute sorte de bricolages, sous la forme d’empilement de modalités de récupération pour faire valoir leur droit à la reconnaissance des heures d’enseignement effectuées. Si le décret fait mention explicitement d’une récupération hebdomadaire, force est de constater que des modalités d’application variées sont mises en œuvre. Cette diversité témoigne de braconnages, à savoir de manières de faire singulières et originales en fonction des réalités concrètes de terrain et de la place de chacun au sein de son établissement scolaire. Des braconnages qui peuvent conduire à la résistance face aux difficultés d’application du décret comme l’illustrent les propos des répondants de la troisième catégorie (voir graphique supra).
Application « officieuse » : des braconniers ou des résistants ?
Oui je récupère 2 h dans mon emploi du temps hebdomadaire, sans accord préalable de la direction, qui ne m’a jamais fait de remarque à ce sujet. Prof doc en lycée général, technologique et professionnel
9 % des sondés ne répondent pas précisément à la question posée relative à l’application ou pas du décret. Dans cette troisième catégorie, des témoignages font état de récupérations horaires « officieuses » dont le prof doc en lycée ci-dessus. Finalement, que peut-on opposer à un enseignant qui ne fait qu’appliquer la loi ? 24 % des répondants de cette catégorie déclarent effectuer un décompte hebdomadaire et, parmi-eux, 16 % précisent que ce décompte est de 28 h/semaine au lieu de 30 h. Un sentiment de colère et d’injustice s’exprime à travers leurs témoignages face à un statut bâtard, à l’invisibilité de leur travail, de leur fonction, et face à ce qu’ils ressentent comme du mépris. Cette colère conduit certains d’entre eux, dont ce prof doc en lycée, à développer des stratégies de résistance qui sont le signe du combat mené sur le terrain pour faire valoir leur droit à la reconnaissance de leur mandat enseignant au prix de petits arrangements officieux avec le chef d’établissement qui prennent la forme d’accords ponctuels et tacites demeurant néanmoins fragiles car non pérennes. En effet, ces répondants savent parfaitement qu’en cas de changement de direction, les compteurs seraient remis à zéro les obligeant, sans doute, à entamer de nouvelles négociations.
Toutefois ces petits arrangements officieux ne sont pas propres à cette troisième catégorie puisque 4 % des répondants, qui déclarent ne pas appliquer le décret, font état de récupérations horaires sans accord « officiel » avec leur hiérarchie. Zoomons sur la catégorie la plus importante de notre échantillon.
Quels sont les éléments qui font obstacle à l’application du décret ?
(S’est) rendu coupable de fermer le CDI aux usagers
J’hésite beaucoup à demander l’application du décret car je rechigne à fermer le CDI pour compenser des heures d’enseignement qui ont déjà impliqué une fermeture du CDI au grand public pour des séances prévues avec des classes : cela fait un peu «double peine» pour les autres élèves qui peuvent avoir le sentiment de voir tout le temps le CDI fermé ! Ce décret n’est donc pas forcément la meilleure approche. Prof doc en collège
60 % des répondants déclarent ne pas appliquer ou ne pas parvenir à obtenir l’application du décret. La question de l’ouverture du CDI demeurant le point de discorde principal entre chefs d’établissements et professeurs documentalistes dans les négociations portant sur cette application. 26 % n’appliquent pas le décret en raison du refus du chef d’établissement tandis que 25 % affirment refuser volontairement cette application à cause de la fermeture du CDI qu’elle occasionnerait. Le témoignage ci-dessus illustre parfaitement cette situation. Le dilemme auquel est confronté tout professeur documentaliste qui souhaite appliquer le décret, entre l’accueil des usagers – qui le contraint alors à limiter les temps de fermeture du CDI – et la reconnaissance de sa fonction enseignante – mais sans pour autant léser les usagers – se traduit par l’expression d’un sentiment de culpabilité qui peut le conduire à une forme d’auto-censure. Ce sentiment de culpabilité n’est cependant pas l’apanage des 60 % qui déclarent ne pas appliquer le décret puisque parmi ceux qui disent l’appliquer, la fermeture du CDI reste encore une préoccupation majeure :
Je compte les heures à priori pour l’année (projets, EPI, AP) et je répartis. Je m’arrange pour ne pas trop dépasser (environ 80 heures) afin de ne pas trop fermer. Je répartis les fermetures 1 h/jour et 2 heures le vendredi pm. Prof doc en collège (qui applique le décret)
Ce prof doc en collège détaille ainsi les stratégies de comptage opérées pour minimiser l’impact de sa récupération sur l’ouverture du lieu. Si une application « stricte » du décret paraît difficile, faut-il pour autant que les professeurs documentalistes renoncent à faire valoir leur droit à la reconnaissance des heures d’enseignement effectuées ? L’application du décret semble s’accompagner d’une réflexion qui porte, d’une part, sur l’appartenance du professeur documentaliste au lieu CDI (qui revient à confondre le lieu et la personne), et d’autre part, sur les obstacles à l’exercice de son mandat pédagogique qui sont induits par l’amalgame de son temps de service avec l’ouverture du lieu. Les professeurs documentalistes sont-ils les seuls habilités à ouvrir et fermer le CDI pour en assurer la fonction d’accueil ? Portent-ils seuls la responsabilité de cette « double peine », exprimée par le prof doc en collège, en introduction de cette partie, ou s’agit-il plutôt d’une responsabilité partagée qui incomberait en premier lieu au chef de l’établissement ?
Si la circulaire de missions précise que « les heures d’enseignement sont effectuées dans le respect nécessaire du bon fonctionnement du CDI », elle ne dit pas, en revanche, que ce « bon fonctionnement » dépend du seul service du professeur documentaliste, ainsi que de sa seule responsabilité, d’autant plus que cette circulaire précise, de surcroît, que les modalités d’intervention pédagogique des professeurs documentalistes s’étendent au-delà des frontières du CDI :
« Le professeur documentaliste contribue à l’acquisition par les élèves des connaissances et des compétences définies dans les contenus de formation […], en lien avec les dispositifs pédagogiques et éducatifs mis en place dans l’établissement, dans et hors du CDI11. »
Dans le cadre d’une négociation visant ainsi l’application du décret, la mention « dans et hors du CDI » permettrait de plaider en faveur d’une responsabilité partagée du lieu et pour que le service hebdomadaire de 30 heures, qui incombe au professeur documentaliste, ne soit pas considéré comme un temps d’ouverture/fermeture du lieu. S’il est souhaitable enfin qu’un dialogue se mette en place avec la hiérarchie pour que le « bon fonctionnement » du CDI soit assuré, celui-ci ne peut se passer d’une réflexion sur l’amalgame du professeur documentaliste au lieu CDI tout autant que sur l’équilibre de ses missions.
Enseignement + ouverture culturelle + accueil des usagers et gestion des ressources = réflexion sur l’ordre des priorités
J’avoue que je n’ai pas voulu aller me battre auprès de mes chefs pour le faire appliquer…. Encore des arguments, des tensions, voire des conflits…. Je me suis épargné ça… Prof doc en collège
23 % des répondants qui déclarent ne pas appliquer le décret justifient cette non-application en raison de la position inconfortable d’être dans la demande, de réclamer une « faveur », d’avoir à se justifier. « Encore des arguments » nous dit ce prof doc en collège alors qu’un professeur documentaliste dit ne pas vouloir mendier l’application d’un texte qu’on ne devrait pas argumenter tandis qu’un autre avoue ne pas oser demander. Comme ce prof doc en collège, 8 % craignent que leurs demandes ne débouchent sur une situation de conflit et renoncent, de ce fait, à faire valoir leur droit à la reconnaissance des heures d’enseignement effectuées, d’autant que les témoignages soulignent l’isolement et le manque de soutien de l’inspection à ce sujet. 2 % disent ne pas appliquer le décret eu égard à l’opposition des inspecteurs tandis que 5 % évoquent l’inertie de l’inspection établissements et vie scolaire (EVS). Un manque de soutien qui renforce encore davantage l’isolement des professeurs documentalistes.
5 % déclarent ensuite ne pas appliquer le décret parce qu’ils assurent un nombre trop important d’heures d’enseignement qui impliquerait, ipso facto, une fermeture presque complète du CDI :
Avec presque 12 heures de séances devant élèves chaque semaine, je ne vois pas cela du tout réalisable. Prof doc en collège
Des professeurs documentalistes manifestent leur crainte de se voir retirer des heures d’enseignement parfois durement acquises en cas d’application du décret. Cette situation qui constitue pourtant une double infraction au regard de l’axe 1 de la circulaire de mission et du décret sur les ORS, appelle le soutien des enseignants disciplinaires de l’établissement lequel peut se révéler un précieux atout pour constituer une force de négociation afin d’arriver à un accord dans l’intérêt de la communauté. Toutefois l’absence de réflexion quant à l’équilibre des missions et à l’ordre des priorités, que les professeurs documentalistes se fixent, peut conduire à des contradictions flagrantes illustrées par le témoignage du prof doc en collège ci-dessus. Alors que le décret sur les ORS rappelle la quotité de service d’un certifié de discipline qui est de 18 h (hors EPS) et d’un agrégé qui est de 15 h, ce professeur documentaliste accepte d’exercer 12 h d’enseignement en plus des autres missions afférentes à la fonction de professeur documentaliste et sans reconnaissance des heures d’enseignement effectuées. Avec 12 heures d’enseignement par semaine, comment parvient-il à concilier les missions d’accueil des usagers au CDI, de gestion des ressources documentaires et d’ouverture culturelle de l’établissement ?
Le témoignage de ce prof doc en collège, qui n’est pas un témoignage isolé, soulève un certain nombre de questionnements : toutes les activités pédagogiques menées par les professeurs documentalistes donnent-elles forcément lieu à ce « face à face pédagogique » évoqué précédemment lors du décryptage du décret (voir point 1) ? Toutes les activités pédagogiques menées placent-elles forcément les professeurs documentalistes en situation de transmettre des savoirs et compétences info-documentaires selon un scénario pédagogique élaboré en amont et pour lequel il possède une expertise ? En définitive, qu’est-ce qu’« enseigner » et « transmettre » signifient pour les professeurs documentalistes ? Une application du décret qui prendrait en compte le « bon fonctionnement du CDI » devrait inclure une réflexion sur l’équilibre des missions qui incombent aux professeurs documentalistes et sur le rapport de chacun à la fonction enseignante.
La politique documentaire pourrait, à cet égard, s’avérer utile pour réfléchir sur cet équilibre puisqu’elle comprend « la définition des modalités de la formation des élèves » comme le stipule la circulaire de missions de 2017. D’autant plus que, parmi les raisons avancées par les répondants qui refusent volontairement l’application du décret, 4 % disent manquer de temps pour assumer toutes les tâches inhérentes à leur fonction et 4 % estiment leur charge de travail trop lourde pour un seul poste de professeur documentaliste. Sur ces deux points pourtant, le manque de moyens et les sous-effectifs impactent l’ensemble des enseignants quelles que soient leurs disciplines. La politique documentaire pourrait alors devenir le point d’appui d’une réflexion concernant l’équilibre des missions qui incombent aux professeurs documentalistes dont, prioritairement, la formation des élèves. Elle serait enfin un garde-fou essentiel face à une application du décret qui dépendrait du seul bon vouloir d’un chef.
Du manque d’information à la méconnaissance de ses droits
Parmi les raisons invoquées justifiant la non-application du décret figure, dans une moindre mesure, le manque d’information qui fait obstacle, selon nous, à la constitution d’une réelle force de négociation12. 2 % des répondants, qui déclarent ne pas appliquer le décret, avancent ne pas connaître son existence tandis que 3 % déclarent que les heures d’enseignement effectuées ne correspondent pas à la définition qu’en donne le décret. Sur ce dernier point, nous renvoyons à notre explication de la mention « heure d’enseignement ». Les répondants soulèvent ensuite deux éléments liés tout d’abord à la préparation des séances pédagogiques au CDI puis à la co-animation avec les enseignants de disciplines qui entraveraient, selon eux, l’application du décret. Concernant le premier élément, 5 % affirment ne pas appliquer le décret à cause du temps de préparation de leurs séances qui se déroule au CDI alors que, dans ce cas précis, le décret s’applique au même titre qu’un enseignant qui corrigerait ses copies ou préparerait un cours durant un temps d’évaluation des élèves. Concernant la co-animation pédagogique, lorsque deux enseignants disciplinaires assurent un enseignement en commun, chacun est payé une heure. Pourquoi le professeur documentaliste ne serait-il pas logé à la même enseigne que ses collègues ?
Pour finir, le manque de clarté du texte est un facteur de difficultés pour 5 % des 276 répondants. Si les témoignages soulèvent en effet l’existence d’un texte flou et interprétable, ces caractéristiques ne sont pas propres au décret sur les ORS. Les recherches menées dans le champ des SIC par Claire Oger et Caroline Ollivier-Yaniv ont soulevé les contraintes qui pèsent sur la production des discours institutionnels et les procédés de lissage qui dessinent les contours d’un discours neutre en apparence caractérisé par un effacement de toute réalité de terrain et de toute trace de conflictualité (Oger et Ollivier-Yaniv, 2006). L’imprécision du décret ne serait-elle pas liée, avant tout, à la singularité pédagogique des professeurs documentalistes ? Sans classes attitrées, sans discipline institutionnalisée, sans heures dédiées, pourtant… ils enseignent. Car quelle que soit la position des 276 répondants à l’égard du décret, seul 1 % dit ne pas assurer (ou très peu) d’heures d’enseignement tandis que 22 % affirment en assurer plus qu’ils n’en déclarent réellement.
Conclusion
Entre modestie et résistance, la mise en mots du décret sur les ORS par les professeurs documentalistes dévoile leur rapport singulier et unique à la fonction enseignante. Dans ce texte de 2003 qui nous paraît si actuel, Claude Baltz soulevait le niveau d’exigence de la formation des professionnels de l’information-documentation en posant ce questionnement qui nous sert de réflexion conclusive : « A-t-on alors vraiment pris la mesure de la qualité des compétences ainsi constituées et, par contrecoup, du sous-emploi relatif de la plupart des documentalistes, une fois en activité ? » (2003, p. 149). Un sous-emploi préjudiciable à la mise en œuvre d’une éducation à l’information et aux médias qui constitue pourtant un enjeu de société. Une éducation que seuls des enseignants formés, experts dans la pédagogie de l’information, du document et des médias dans une société où les technologies du numérique investissent la vie des élèves, sont en mesure d’assumer, d’assurer et d’en être les garants. Ils sont en cela des « cartographes et (…) passeurs de l’archipel des savoirs » (p. 153) pour reprendre les mots de Claude Baltz…
« Quand la documentation s’éveillera… ».
MÉMENTO
Rémunération, primes, indemnités, décompte d’heures…
Je suis professeur documentaliste,
voici ce à quoi je n’ai pas droit
– Indemnité de suivi et d’orientation des élèves (ISOE) : Taux annuel part fixe : 1 213,56 € / + part modulable (variable en fonction du niveau) pour la rémunération des fonctions de professeur principal ou référent.
> Décret n° 2021-1101 du 20 août 2021 modifiant le décret n° 93-55 du 15 janvier 1993 instituant une indemnité de suivi et d’orientation des élèves en faveur des personnels enseignants du second degré
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043950839
– Heures Supplémentaires à l’année (HSA) : Taux variable en fonction du corps et du grade (1 379,42 € pour 1 h à l’année pour un certifié classe normale). Heures supplémentaires annuelles, imposables dans la limite de 2 heures hebdomadaires en sus de leur maxima de service, qui figurent sur la VS (Ventilation de Service) signée au début de l’année et sont payées toute l’année, même pendant les vacances ou en période d’arrêt maladie. Ces heures concernent « L’ensemble de ces enseignants, à l’exception des professeurs documentalistes ».
> Missions et obligations réglementaires de service des enseignants des établissements publics d’enseignement du second degré. Circulaire n° 2015-057 du 29-4-2015
https://www.education.gouv.fr/bo/15/Hebdo14/MENH1506031C.htm
– Heures Supplémentaires Effectives (HSE) : Taux variable en fonction du corps et du grade (39,91 € par heure pour un certifié classe normale). Heures de face-à-face pédagogique ponctuelles :
« Situation particulière des professeurs documentalistes [..] Les intéressés ne peuvent bénéficier d’heures supplémentaires ».
> Missions et obligations réglementaires de service des enseignants des établissements publics d’enseignement du second degré. Circulaire n° 2015-057 du 29-4-2015
https://www.education.gouv.fr/bo/15/Hebdo14/MENH1506031C.htm
– Prime d’équipement informatique : 176 € par an.
> Décret n° 2020-1524 du 5 décembre 2020 portant création d’une prime d’équipement informatique allouée aux personnels enseignants relevant du ministère chargé de l’éducation et aux psychologues de l’éducation nationale.
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042614334
Je suis professeur documentaliste,
voici ce à quoi j’ai droit
– Décompte des heures d’enseignement (article 2 du décret ORS : chaque heure est « décomptée pour la valeur de deux heures » et pondération des heures d’enseignement (Article 6, 7, 8 du Décret ORS 2014).
– Indemnité de Sujétions Particulières (ISP). 1000 €/an, versée mensuellement.
> Arrêté du 17 février 2021 modifiant l’arrêté du 14 mai 1991 fixant le taux de l’indemnité de sujétions particulières allouée aux personnels exerçant des fonctions de documentation ou d’information dans un lycée, un lycée professionnel ou un collège :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043178888
– Indemnité Éducation Prioritaire : taux annuel. Part fixe : REP+ = 5 114 € / REP = 3 302 €. Part modulable : jusqu’à 702 €.
> Décret n° 2021-825 du 28 juin 2021 modifiant le décret n° 2015-1087 du 28 août 2015 portant régime indemnitaire spécifique en faveur des personnels exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes « réseau d’éducation prioritaire renforcé » et « réseau d’éducation prioritaire ».
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043711782
– Indemnité pour Missions Particulières (IMP) : 5 taux annuels forfaitaires de 312,50 €, à 3 750 €, en fonction de la mission (coordination, référent culture, numérique, décrochage, de tutorat…) et de la charge effective de travail.
> Circulaire n° 2015-058 du 29-4-2015. Modalités d’attribution de l’indemnité pour mission particulière (IMP).
https://www.education.gouv.fr/bo/15/Hebdo14/MENH1506032C.htm
– Accompagnement éducatif : Taux horaire : 30 €. Ne donne lieu à rémunération que si l’heure intervient en dépassement de la durée du travail réglementaire. Par exemple : « Devoirs faits » en collège.
> Décret n° 96-80 du 30 janvier 1996 relatif à la rémunération des personnes assurant les études dirigées ou l’accompagnement éducatif hors temps scolaire. Modifié par Décret n°2009-81 du 21 janvier 2009
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000191170/
– Indemnité pour activités péri-éducatives : Taux horaire 23, 81 €. Pour rémunérer les heures consacrées à « l’accueil et l’encadrement des élèves en dehors des heures de cours ».
> Décret n° 90-807 du 11 septembre 1990 instituant une indemnité pour activités péri-éducatives en faveur des personnels enseignants des écoles, collèges, lycées et établissements d’éducation spéciale et des personnels d’éducation
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000351634/
– Vacation : taux horaire : 13,72 € pour rémunérer un intervenant qui se voit confier « de manière ponctuelle, des tâches spécifiques d’enseignement, de formation, d’animation ou d’accompagnement de nature pédagogique ».
> Décret n° 2012-871 du 11 juillet 2012 relatif à la rémunération des intervenants chargés à titre accessoire de diverses tâches organisées par les écoles et les établissements d’enseignement relevant du ministère en charge de l’Éducation nationale : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000026174830/
Il est tout à fait possible de cumuler décompte, IMP et rémunérations d’heures ponctuelles.
















chaud que d’habitude l’hiver (c’est-à-dire la météo) et un climat plus chaud qui entraîne des réactions en chaîne (le climat). Jean-Marc Jancovici, dans son ouvrage Le changement climatique expliqué à ma fille, reprend très clairement la différence entre ces deux éléments. Sous la forme d’une discussion entre un père et sa fille, il explique tout d’abord que le climat change, et revient sur des définitions importantes comme l’effet de serre. Il aborde également la thématique de la montée des eaux et des conséquences du réchauffement des océans, la fonte des glaciers et des banquises. Enfin, il rappelle que les ressources sont épuisables et bientôt épuisées, comme celles qui servent à produire notre énergie (pétrole, gaz, charbon, etc.). Il rappelle également que certaines énergies sont plus polluantes (et participent davantage au dérèglement) que d’autres.
Le monde sans fin est une bande dessinée d’une approche plus ludique, dans laquelle Christophe Blain, le dessinateur (dessinateur de la BD Quai d’Orsay, 2010), se met en scène, discutant avec Jean-Marc Jancovici. Cette BD est composée de trois grandes parties : l’énergie, le climat, la culpabilité. La première partie sur l’énergie nous fait réaliser que tout ce que nous utilisons dans notre quotidien, nos appareils électroniques, bien sûr, mais aussi tous nos objets, consomment ou ont consommé de l’énergie avant d’arriver jusqu’à nous. Nous apprenons ainsi ce qu’est l’énergie et la place centrale qu’elle occupe au sein de la société. La seconde partie concerne le climat et notamment les causes et conséquences du dérèglement climatique. Jean-Marc Jancovici explique que les humains agissent sur trois des gaz à effet de serre qui participent à ce dérèglement. Il revient ensuite sur les conséquences d’une augmentation de 2 à 5 degrés, non seulement pour la planète (les océans, la biodiversité, etc.), mais aussi pour les populations. Il fait également une comparaison très intéressante des différents moyens de fabriquer de l’énergie. La troisième partie n’est pas là pour culpabiliser le lecteur (contrairement à son titre ironique). Au contraire, Jean-Marc Jancovici nous rassure : il n’est pas question d’arrêter de manger de la viande, mais de changer nos manières de consommer : par exemple, consommer moins, mais de meilleure qualité et de manière locale, changer nos habitudes de transport, modifier notre manière de construire nos logements et enfin faire des achats raisonnés.
Pour aller plus loin, nous pouvons conseiller Polar vert. L’histoire se passe en Bretagne, Klervi, une jeune lycéenne, retrouve son frère et son cheval inertes sur une des plages proches de chez eux. Elle court les sauver, sachant pertinemment que la plage est recouverte d’algues vertes et que celles-ci peuvent tuer. Elle s’évanouit et est secourue in extremis. Toutefois, le monde de Klervi sera à jamais chamboulé : son frère est dans le coma, son cheval est mort, elle devient à la fois un témoin important dans l’enquête policière en cours au sujet de l’accident de son frère et aussi un suspect dans le trafic d’espèces protégées que mène la famille de son petit ami. Les deux jeunes gens et leurs amis deviennent des activistes critiquant l’implication des grandes industries dans la prolifération des algues vertes et l’inaction des politiques face à l’urgence climatique. 















imaginaires d’Agnès Marot ou quand Internet rapproche et crée des amitiés fortes. Ce récit met en scène trois adolescents qui se rencontrent via les réseaux et fondent un groupe. Des adolescents aux parcours et origines bien différents mais qui vivent des situations difficiles : phobie sociale, poids des traditions et maladie. Pas larmoyant mais plutôt optimiste et frais, ce roman est une ode à l’amitié, même si elle est virtuelle. Grâce à sa forme qui mêle différents supports : échanges de mails, extraits Whats’app, Twitter, photos Snapchat et même journal intime, ce récit actuel se lit d’une traite. Il sera apprécié par les plus jeunes (6e et 5e) et montre que la présence sur les réseaux sociaux ne doit pas remplacer celle dans la vraie vie. Sophie Rigal-Goulard dans 15 jours sans réseau, explore avec esprit ces nouveaux besoins et confirme l’addiction qu’ils suscitent. Émilie et sa famille partent en vacances dans la Creuse pour se couper des réseaux. C’est le choix de ses parents mais pas celui d’Émilie et ses frères, accros à Internet. Comment vivre ces vacances sans wifi ? Défi insurmontable ? Pas si sûr car les adolescents vont finir par s’habituer et réinventer leur quotidien. Ce roman choisit l’angle de l’humour pour aborder cette addiction de plus en plus prégnante chez les jeunes (et les moins jeunes) et cela fonctionne bien. Pas simple de se couper du monde et la tentation est grande de retourner sur la toile, qui, par bien des aspects, il faut le reconnaître, nous simplifie la vie. Le ton est juste et l’autrice ne rejette pas en bloc Internet ; elle essaie adroitement de proposer des alternatives, ce qui est plutôt plaisant. Une lecture fluide et facile dès la 6e. Enfin dans Le monde selon Walden de Luc Blanvillain, l’original Walden, collégien, devient malgré lui la superstar des réseaux sociaux. Il utilise cette notoriété soudaine pour servir de bonnes causes : qu’elles soient humanitaires, écologiques… Mais cette surmédiatisation finit par l’ennuyer, d’autant plus qu’il devient aussi une cible économique, ce qu’il ne souhaite pas. Il veut reprendre le contrôle de sa vie. Un récit drôle et intelligent pour parler du pouvoir des réseaux sociaux à mettre entre les mains des élèves de 6e ou 5e. L’écrivain réussit à ne pas stigmatiser, juste à amener à réfléchir par soi-même en mettant en lumière les côtés positifs et négatifs de ces outils numériques. Une belle illustration, comme dans l’ouvrage d’Henry David Thoreau, qu’il faut s’abstraire du monde et de ses désirs pour devenir réellement soi-même.
Quand Marion se laisse séduire par Enzo, le caïd du collège, elle, si solitaire et sensible, rayonne. Mais le bonheur est de courte durée, puisqu’elle comprend qu’elle a été victime d’une machination de la part d’Enzo et ses copains. Ces derniers l’ont filmée alors qu’Enzo l’embrassait et ont publié la vidéo suggestive sur YouTube. C’est l’enfer pour Marion qui décide de se venger. Tel est le thème du roman La fille seule dans les vestiaires des garçons d’Hubert Ben Kemoun. Ce dernier évoque la cruauté des adolescents et la surexposition que provoquent les réseaux sociaux. Un fait qui restait isolé auparavant fait dorénavant le buzz sur Internet avec des effets dévastateurs chez celui qui en est victime. C’est un récit incisif où l’on ressent vraiment les émotions de l’héroïne. 

Samantha Bailly, la jeune Lolita est une influenceuse beauté populaire, jusqu’au jour où elle disparaît des réseaux. Prudence, une admiratrice de la première heure, s’interroge sur ce soudain silence. Qu’est-il arrivé à la célèbre youtubeuse ? Un roman qui fait alterner les voix des deux adolescentes de même que le temps (la disparition de la jeune fille étant la date de référence). Ce thriller montre à quel point les deux jeunes filles sont dépendantes des réseaux : l’une est rattrapée par la célébrité qu’elle ne peut plus assumer seule, l’autre est une fan inconditionnelle qui vit au travers des vidéos de la youtubeuse. L’occasion de dénoncer les aspects pervers du système : chantage commercial, dénigrement des internautes, narcissisme… Dans Les enfants sont rois de Delphine de Vigan, ce sont deux enfants qui sont piégés dans la folie YouTube. Mélanie, leur maman, expose sur sa chaîne « Happy Récré » les faits et gestes de ses bambins comme le déballage de cadeaux, les « yes challenge » au cours desquels leur maman dit oui à tout et autres mises en scène. Dans cette course aux followers, elle oublie les vrais besoins de ses enfants qui deviennent des marchandises. Mais un jour, sa fille est enlevée et l’enquête cherche à déterminer qui pourrait lui en vouloir. Un livre glaçant sur la triste réalité des enfant youtubeurs victimes de leurs parents. Intimité familiale exhibée, opportunité lucrative avec le placement de produits, enfants instrumentalisés, Delphine de Vigan explique ce nouveau phénomène médiatique et esquisse les répercussions psychologiques chez ces jeunes stars du Web.
prouver : est-ce sa consultation qui affecte la santé mentale ou les personnes déjà fragiles qui passent plus de temps en ligne ? C’est l’éclairage que nous apporte Christine Deroin avec son roman (Dé)connexions. Enzo, Manon et Clément se rencontrent via les réseaux sociaux et décident de se retrouver autour d’un jeu en ligne. Ils ont des profils bien différents mais sont tous les trois dépendants des écrans jusqu’à berner leurs parents, devenir insomniaques, refuser les vraies relations et même fuir avec des inconnus. « Saison Psy » est une collection intelligente et originale où chaque épisode du récit est ponctué par l’analyse d’un psychologue. Grâce au regard de ce professionnel, le jeune prend conscience des origines, des enjeux, des signes et des conséquences d’une addiction aux écrans et réseaux sociaux. Accessible dès la 6e, ce docu-fiction ne dénigre pas Internet mais met en garde contre la boulimie et l’asphyxie. Serge Tisseron, éminent psychiatre et spécialiste des questions autour de l’usage d’Internet, propose aux collégiens un Guide de survie pour accros aux écrans. À partir de quinze situations que rencontrent les parents et ados connectés, il explique pourquoi une surconsommation d’Internet est dangereuse et prodigue des conseils pour apprendre à gérer son temps. Plutôt que de diaboliser les outils numériques, il souhaite montrer les avantages d’un usage raisonné des écrans. Il aborde, à travers de multiples exemples, les questions d’Éducation aux Médias et à l’Information comme le droit à l’image, l’identité numérique, le pistage et les publicités… Un outil indispensable que l’on peut exploiter avec les élèves avec plusieurs chapitres consacrés aux réseaux sociaux.










