Lecture, écriture : une correspondance créative

Lecture et écriture se complètent et se nourrissent l’une de l’autre : on écrit, on lit pour soi, pour donner à écrire ou à lire ou encore pour donner à voir. À ces mouvements se rattachent les idées d’appropriation, de transmission et de création artistique qui sont au cœur de ce numéro, envisagées tant du point de vue du professeur documentaliste que de celui de l’élève.
Pascale Gossin nous emmène tout d’abord à la découverte du carnet de lectures : « geste intellectuel à la portée de tous », à la fonction mémorielle, cet écrit intime facilite la rencontre avec les œuvres tant fictionnelles que documentaires, que ce soit dans le cadre d’une lecture personnelle ou collective. Il suit l’élève de la maternelle à la terminale et occupe le devant de la scène dans la seconde partie des épreuves anticipées de français : cette question de la restitution orale est approfondie avec la fiche élève de Sophie Dreneau Se préparer au Grand oral.
Fruit d’une réflexion sur la lecture des œuvres patrimoniales, l’ouvrage Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ? de Sarah Alami, paru aux éditions Tsarines, témoigne plus loin d’une volonté de partage d’expérience avec ses pairs. Notre note de lecture est centrée sur les collaborations possibles entre professeurs de lettres et professeurs documentalistes. Elle s’accompagne de la présentation de l’auteure et de l’éditrice, Nina Blanchot, également professeure de lettres. Professeure, auteure, éditrice : trois fonctions qui jalonnent le parcours de Sandrine Leturcq, professeure documentaliste, et sur lesquelles elle revient dans un entretien avec Jean-Marc David : gros plan sur la maison d’édition associative Carnets de Sel, créée en 2018.
L’ouverture culturelle est consacrée au comédien et au dramaturge Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1622-1673) dont nous célébrons le double anniversaire en 2022-2023 : une occasion de (re)découvrir la vie et les œuvres de ce talentueux peintre de la nature humaine, s’il en est. Nous terminons par la rencontre, dans le cadre d’un projet sur la bande dessinée, Une Case en Plus, entre trois classes professionnelles du Lycée Touchard-Washington, au Mans, et Nadia Nakhlé, auteure de Les oiseaux ne se retournent pas. Un récit original, puisqu’il a été envisagé sous une forme triple : une bande dessinée, un spectacle et un film d’animation.

Au nom de toute l’équipe d’Intercdi, je vous souhaite une très bonne rentrée.

Le carnet de lectures : récit de vie et incitation à la lecture

Méthodologie de notre recherche, définition du concept

La revue de littérature réalisée pour rédiger cet article montre que cette pratique d’écriture n’est en rien novatrice. Les artistes et auteurs d’hier et d’aujourd’hui crayonnent ou retranscrivent leurs pensées, recopient des mots, des phrases glanées. Un chercheur a particulièrement travaillé ce type d’écrits. Il s’agit de Andrei Minzetanu, ancien élève de l’École normale supérieure, docteur en littérature comparée. Ses travaux portent principalement sur la théorie de la lecture. Il a publié en 2016 un ouvrage intitulé Carnets de lecture : Généalogie d’une pratique littéraire. Ce texte a été fondamental pour la rédaction de cet article tout comme la lecture des programmes d’enseignement et les documents d’accompagnement. Trois d’entre eux sont entièrement consacrés à ce sujet :

Le carnet de lecteur pour le cycle 3, disponible sur :
https://eduscol.education.fr/document/16438/download
Carnet d’écrivain au collège, disponible sur :
https://eduscol.education.fr/document/16570/download
Le carnet de lecture au lycée, disponible sur :
https://eduscol.education.fr/document/24406/download

Des blogs et sites, notamment académiques, montrent des exemples de pratiques, voire vendent des cahiers clés en main. Précédemment professeure documentaliste et actuellement maîtresse de conférences, j’ai invité mes élèves et aujourd’hui les étudiants à tenir un carnet de lectures. Cette pratique conforte ma réflexion.

Appellation

Pour définir l’objet de cette étude, il faut au préalable s’entendre sur son appellation. Cahier ou carnet ? Lecture ou littérature ? Carnet de lecteurs ? Journal du lecteur ? La revue de littérature effectuée en amont de la rédaction de cet article montre que chaque auteur choisit une de ces appellations, qui correspondent toutes à un même objet : un support écrit sous format papier ou numérique sur lequel le lecteur laisse des traces de ses lectures. Les vocables utilisés pour nommer cet objet ne sont pas dénués de sens. Un journal n’est pas un carnet. Un carnet n’est pas un cahier. Une trace de lecture n’est pas forcément la trace d’une lecture littéraire. Exclure de l’exercice les lecteurs d’écrits informatifs m’apparaît improductif. L’usage du singulier ou du pluriel des substantifs n’est pas anodin non plus. Dans les programmes officiels, l’appellation est « carnet de lecteur » pour le cycle 3, « carnet d’écrivain » pour le collège, « carnet de lecture » pour le lycée. Il serait judicieux de normaliser la façon de nommer l’objet, afin de souligner la continuité de son usage au fil de la scolarité. On notera par ailleurs, qu’une fois de plus, un terme générique masculin (le lecteur) est retenu. Afin de gagner en fluidité, l’appellation « carnet de lectures » sera retenue dans ce propos. J’ai fait le choix du vocable « lectures » au pluriel, parce que le mot « littérature » apporte une connotation trop fictionnelle. Je pense qu’il ne faut pas évincer les lectures documentaires ou issues de la presse. Le « s » invite à une variété de textes. Par ailleurs, le format cahier paraît plus approprié, surtout en début de scolarité.

Définitions

Lorsque l’on compare les définitions recueillies, l’on note évidemment l’influence de l’appropriation professionnelle de l’objet. Ainsi Catherine Floury et Laurence Gras-Davy (professeures et maîtresses formatrices des écoles) indiquent que, selon elles, il s’agit d’un
« espace ouvert et personnel (cahier, carnet, livre… peu importe le nom qu’on lui donne et le format qu’on lui prête) dans lequel sont consignées les traces de lecture de l’élève, ainsi que les traces de lecture de la classe. Il représentera une mémoire des œuvres lues. C’est également un support utile dans les situations d’échanges littéraires » (Floury & Gras-Davy, 2010).
Jean-Luc Despretz retient des éléments identiques, à savoir que le support a pour fonction de garder mémoire des traces de lectures personnelles ou collectives. Pour sa part, il insiste sur le caractère intime de cet écrit :
« Le carnet de lecture est une mémoire des œuvres lues. Le carnet de lecture est un support utile dans les situations d’échanges littéraires. Il relève plus de la prise de notes, de la création, de la réflexion, que de la fiche de synthèse. C’est un cahier personnel avec un caractère ‘intime’ » (Despretz, 2016).
Cet objet recueille des traces, révèle des pratiques et des postures issues d’un geste de lecture, d’une pensée, d’une idée, d’une émotion. On y note ce que l’on ne veut pas oublier, ce qui a raisonné en soi.

Historique

L’utilisation de carnets émaille l’histoire de l’écriture et de la lecture. Andrei Minzetanu retrace l’historique de cette pratique qu’il qualifie d’« intellectuelle un peu clandestine » (Minzetanu, 2016, p. 11). Il montre qu’elle est « attestée depuis l’Antiquité (Pline l’Ancien, Aulu-Gelle, Athénée de Naucratis), et très en vogue à la fin de la Renaissance (au point où l’on a pu parler de notebook culture) et à l’âge classique (Jeremias Drexel, Vincent Placcius, etc.) » (Minzetanu, 2016, p. 11). De nombreux auteurs témoignent du recours à ces carnets, supports de réflexion et d’écritures. Andrei Minzetanu dresse une liste foisonnante de pratiques dont je ne cite ici qu’un court extrait :
« les carnets d’aphorisme (Joubert), carnets de choses vues (Hugo), carnets de listes (Joyce, Perec), carnets d’autoanalyse (Henry James, Beckett), carnets de guerre (Sartre), carnets de poésie (Andre du Bouchet), carnets d’idées (Michelet, C. Noica), journal de pensée (H. Arendt), cahiers philosophiques (S. Weil), journal de travail (Brecht, L. Rebreanu), carnets de glossolalies (Artaud), carnets de captivité (Levinas, Gramsci), carnets de voyage (Gide, Barthes), carnets intimes (Jouhandeau), carnets à l’usage du grand public, le bloc-notes (Mauriac, le Dietario de Père Gimferrer), carnets de témoignage (F. Bon), carnets virtuels (L’Autofictif d’Eric Chevillard). » (Minzetanu, 2019, p. 13).
Nous avons dans cette liste, une belle perspective de séquence pour le second degré. En s’appuyant sur le texte de Andrei Minzetanu, l’on pourrait demander aux élèves de retrouver des fac-similés de ces écrits. Cela suppose une recherche dans le catalogue de la BnF. Ils découvriraient ainsi un de nos trésors nationaux et de ce fait la valeur que peut avoir un texte. La phase de mutualisation, où chacun présenterait les carnets d’un auteur, permettrait des échanges riches, une prise de conscience de l’échelle du temps et des immuables questions philosophiques de l’humanité.

Le format

Tout est possible ! Collages, graphies, photos, vidéos (sur le format booktubeur)… Les carnets « haut de gamme », de type Moleskine, les feuilles reliées par des anneaux ou cousues (comme le faisait Stendhal dans le cadre de ses carnets de voyages), le choix du support d’écriture et les techniques retenues pour l’expression. Cette liberté de modalités d’expression laisse place à la créativité, apporte une donnée plastique à l’exercice. Elle révèle le profil du lecteur, le temps qu’il a accordé à son carnet, son goût pour le scrapbooking. Le site pinterest propose toute une gamme de techniques (https://www.pinterest.fr/celrobin/cahier-de-litt%C3%A9rature/). La craie hâtive, blog d’une enseignante qui vise à mutualiser les pratiques, propose cette forme de production.

http://craiehative.eklablog.com/le-cahier-de-litterature-a117690360

Ce modèle, comme tous ceux que j’ai trouvés sur le net, apparaît trop réducteur. Remplir un formulaire, une carte d’identité du texte lu, n’a pas sa place dans un exercice qui a pour objectif de libérer la parole. Laissons l’élève identifier comme il le veut le livre qu’il évoque. Le carnet de lectures n’est pas une occasion d’apprendre les normes de citation. Évitons de brider l’expression : « Pour le dire plus directement, le carnet matériel ne doit pas nous empêcher de voir ce que l’on pourrait appeler le ‘carnet mental’, le carnet que l’écrivain ou le lecteur a dans la tête. » (Ferrer & Minzetanu, 2016, p. 220).
J’ai demandé à des étudiants de tenir un carnet de lectures, le résultat montre à quel point les supports rendus sont différents les uns des autres. Certains d’entre eux ont utilisé une écriture manuscrite, d’autres ont imprimé des textes dactylographiés, beaucoup se sont lancés dans le scrapbooking.

Exemples de la multiplicité des supports de carnets

La fonction

Les auteurs, philosophes, artistes qui utilisent ce type de support, lui attribuent une fonction mémorielle. Ils y laissent une trace de leurs pensées ou de celles glanées tant dans leurs lectures que dans leurs promenades, rencontres… c’est l’essence même des carnets comme le mentionne Andrei Minzetanu :
« La question qui m’a occupé était celle d’un geste particulier de lecture, celui du lecteur qui tombe sur une phrase qui le bouleverse, qui l’intrigue d’une manière ou d’une autre, et qu’il a envie de prélever et de garder dans un carnet spécialement conçu à cet effet » (Ferrer & Minzetanu, 2016, p. 221).

Ces textes ne sont donc pas aboutis. Ce sont des traces tant textuelles qu’imagées, de rencontres émotionnelles ou cognitives. L’auteur s’engage, y pose ses interrogations, son appréhension du monde. Un questionnaire initié par la plateforme Babelio, à ce sujet, conforte cette notion d’engagement. Les enquêtés mentionnent que : « Parler de soi n’est pas un obstacle, [dans un cahier de littérature] bien au contraire, pour 95 % des réponses » (Demougin, 2016, p. 2). Cette position reste à relativiser dans la mesure où les participants à cette enquête étaient des convaincus, ils fréquentent le site Babelio.
La rédaction d’un carnet de lectures résulte d’un geste intellectuel à la portée de tous. On y écrit à partir de soi, on se projette, on s’implique.

Une pratique pédagogique

Andrei Minzetanu affirme que cette pratique relève d’un héritage de la pédagogie jésuite d’une part, et d’autre part, d’une habitude sociale :
« Le carnet comme une pratique intériorisée dans l’univers scolaire et qui doit beaucoup, au moins en France, à la pédagogie jésuite ; ici, l’objectif est d’insérer le geste de lecture dans un ensemble plus vaste de pratiques et de comportements culturels, dans ce que l’on pourrait appeler un ‘habitus lettré’. » (Minzetanu, 2019, p. 17).
On comprend mieux pourquoi cette démarche didactique est reprise dans les instructions officielles de l’Éducation nationale. Quelles sont les consignes données dans les programmes d’enseignement ? Quelle place occupent les carnets de lectures dans les pratiques scolaires ?

Que disent les documents institutionnels ?

Au fil de l’évolution des programmes, le carnet de lectures ne cesse d’y figurer. Viviane Bouysse, inspectrice générale de l’Éducation nationale, donne des précisions, qui valorisent encore plus cet écrit, en incitant les enseignants à en faire un écrit qui fait le lien durant toute la scolarité :
« La construction du parcours de littérature de jeunesse à l’école maternelle, par exemple, doit figurer dans le projet d’école et laisser des traces dans les supports de travail des élèves. Cahier de comptines et de poésies et carnet de littérature, en particulier, suivent les élèves d’année en année, à l’école maternelle puis à l’école élémentaire. Il appartient aux enseignants de tenir compte de ce qui a été fait et de poursuivre le travail, en l’enrichissant et en l’infléchissant éventuellement. » (Bouysse, 2006, p. 4).
On notera cette idée de continuité, de fil rouge, à travers la scolarité. Le carnet trouve sa place à tous les niveaux d’enseignement : de la petite section de maternelle à la terminale :
« Le cahier de littérature [en maternelle] est un document individuel qui peut contenir des documents communs à la classe mais qui doit ménager une place importante à une approche personnelle de la littérature. Le cahier de littérature suit l’élève et s’enrichit au fur et à mesure de l’évolution de l’élève dans sa scolarité. » (CRDP, Strasbourg, 2011).
Plus tard, le document d’application publié sur Éduscol (2016) et intitulé « Carnet de lecteur », destiné au cycle 3 précise la fonction qui lui est donnée : « à la fois de donner envie de lire, de stimuler la lecture et de donner des repères dans l’avancée des lectures en invitant la subjectivité du lecteur à s’exprimer ». Au collège, les documents institutionnels l’assimilent à un exercice de lecture/écriture, sous la forme du carnet d’écrivain (MEN, 2016). Au lycée, le carnet reprend la force qu’on lui donnait à l’école primaire. « Ces écrits d’appropriation peuvent prendre des formes variées : restitution des impressions de lecture (préparatoire ou postérieure aux commentaires) ; jugement personnel sur un texte ou une œuvre. » (MEN, 2019). Ses fonctions sont précisées plus loin :
« Le carnet de lecture, et les activités qu’il engage, permet de donner sa place à une lecture personnelle et engagée de l’œuvre ; il peut à partir de là servir de point de départ pour construire en classe une culture littéraire nourrie par des notions précises. Les notes de lecture, les citations prélevées et commentées, les impressions des élèves amènent une réflexion sur le genre et l’écriture du texte donné à lire. » (Éduscol, 2019).
Il est présenté comme : « un espace de liberté qui vise à susciter le plaisir littéraire et à encourager les pratiques d’écriture. Un espace de création artistique » (Éduscol, 2019). Nous retiendrons donc qu’à travers les cycles, le carnet de lectures est considéré comme une modalité majeure de restitution de lectures.

La didactique

Il est aisé de trouver sur le net, des comptes-rendus d’expériences d’écritures de carnets de lectures, relevant de tous les niveaux scolaires. Je retiens celle de Magali Le Sénéchal. Elle invite ses élèves à y collecter des traces de toutes les activités culturelles vécues. Les lectures scolaires et personnelles y trouvent leur place.

Le Sénéchal, Magali (2019). Le journal de lecture. Récit d’une expérience en seconde. Angers, lycée Bergson. http://docplayer.fr/197354402-Le-journal-du-lecteur.html

Cet exercice relève du portfolio. Il permet à l’élève de prendre conscience de la dimension culturelle, intellectuelle qu’il donne à sa vie. Il bâtit ainsi son autoportrait. La distinction faite entre lectures personnelles et lectures scolaires interroge. Sur quoi repose-elle ? Cette nuance peut induire un jugement de valeur. Il y aurait les lectures prescrites, donc de qualité ou dans tous les cas, différentes des autres. Cette catégorisation apparaît contestable.
Catherine Floury et Laurence Gras-Davy relèvent un autre intérêt à l’utilisation de carnets : « Ces cahiers de lecture peuvent faire des aller et retour entre la maison et l’école […]. [Ils] deviendr[aient] ainsi la mémoire des rencontres littéraires de l’élève au cours de son parcours à l’école primaire. » (Floury & Gras-Davy, 2010). Elles soulèvent la question du lieu de stockage. Où l’élève range-t-il ce cahier ? À l’école ? À la maison ?
Cette question du lieu de dépôt soulève un aspect fondamental : celui du regard que s’autorise l’enseignant sur cet écrit intime. Si nous pensons comme Bruner que « Le récit est ainsi un ‘véhicule dans le processus d’éducation’ » (Bruner, 1996, p. 149), nous affirmons aussi qu’il faut savoir mettre des limites. Comment est-il possible qu’un élève puisse livrer ses ressentis sans sentir la présence, tel l’œil de Caïn, de son professeur ? Il va stratégiquement écrire ce qu’il pense que l’enseignant souhaite lire : soit un récit propre et académique. « La didactique ne peut donc faire l’impasse sur la question des conditions nécessaires pour que les carnets, écrits intermédiaires, soient pour tous des lieux d’expérimentation de la fonction réflexive de l’écriture. » (Bishop & Doquet-Lacoste, 2017, p. 190). Nous savons que l’émotion est une des quêtes du lecteur, alors de quel droit l’enseignant va-t-il sonder les écrits de ses élèves pour prendre connaissance de mots, phrases, informations… qui les ont fait vibrer ?

Quelle est la place du.de la professeur.e documentaliste ?
Enseignant.e à part, il.elle noue une relation particulière avec les élèves, dans tous les cas, différente de celle de ses collègues. Pourrait-il.elle être l’enseignant.e qui initie ou accompagne l’utilisation d’un carnet de lectures ? Et pourquoi pas ?
J’ai indiqué précédemment la volonté institutionnelle de faire de cet objet un lien inter-cycles. Pourquoi le.la professeur.e documentaliste, s’il.elle le souhaite, ne serait-il.elle pas ce professeur.e qui faciliterait la liaison, du cours moyen à la sixième, puis de la troisième à la seconde via cet écrit ? Il.elle pourrait se rendre dans les classes de CM2 et/ou de troisième ou accueillir ses futur.e.s élèves dans le centre du collège et/ou du lycée. Conduire une séance d’incitation à la lecture et à l’écriture et laisser du temps aux écoliers et/ou collégiens pour réagir dans leur carnet. La symbolique est forte. Le cahier de lectures serait ainsi un pont marquant la continuité de sa formation. Il occuperait une place majeure dans le curriculum. D’une part l’accès à la littératie que permettent les CDI en serait renforcé, d’autre part la figure du.de.la professeur.e documentaliste en sortirait enrichie. Il.elle accueillerait de façon privilégiée l’élève dans son nouvel établissement. J’ai conscience de l’immensité de la tâche, des contraintes matérielles, et sais qu’il est très souvent impossible de s’adresser à tous les élèves accueillis dans un établissement d’enseignement. Une autre piste de réflexion repose sur l’organisation d’un espace spécifique où les élèves pourraient trouver du matériel de qualité pour travailler la dimension plastique du carnet. Il s’agirait alors de mettre à leur disposition du matériel de papeterie (feuilles de couleurs, colles, ciseaux, tampons, encres, pinceaux, peintures…) ainsi que des livres sélectionnées judicieusement pour leur force, leur qualité plastique, leur originalité et leur brièveté. Régulièrement renouvelés, ils pourraient être des déclencheurs. Je pense à des albums sans textes, des romans graphiques, des nouvelles, des témoignages, des mangas, à la presse…. Pourquoi ne pas permettre aux élèves, le temps d’une heure, de feuilleter textes et/ou images et d’y sélectionner ce qu’ils considèrent comme étant leur perle puis d’en prélever une trace, qu’ils déposeront dans leur carnet. Le.la professeur.e documentaliste pourrait proposer de conserver ces carnets dans une armoire. Ils resteraient ainsi à l’abri des regards.
Le descriptif d’une des épreuves du baccalauréat est à l’opposé de ce que je défends, à savoir la valeur intime du cahier. Pourtant le candidat est invité à s’y référer pour indiquer au jury le livre qu’il a apprécié.
« Le carnet de lecture permet à l’élève de garder une trace personnelle du travail qu’il a conduit en classe et à la maison sur ses lectures. La seconde partie de l’entretien aux épreuves anticipées de français engage le candidat à présenter l’œuvre lue dans l’année qu’il a le plus appréciée. L’examinateur est amené à l’interroger sur sa présentation et sur les éléments d’appréciation qu’il aura exposés, il l’aide à nuancer son propos et à justifier son choix. L’élève pourra bien sûr, lors de son entretien, se souvenir de ce qui, dans le carnet qu’il aura tenu tout au long de l’année, témoigne de sa lecture de l’œuvre qu’il a choisi de présenter et de l’appropriation que son travail lui aura permis d’approfondir. » (MEN, juillet 2019, Les cercles ou rendez-vous de lecture, p. 5).

Conclusion

« Si le carnet continue à susciter un certain intérêt, c’est parce qu’il maintient une relation complexe avec le livre et l’œuvre à venir. » (Minzetanu, 2019, p. 15).  Je suis convaincue que cet exercice pluridisciplinaire de lecture/écriture/arts plastiques est à favoriser. Pour l’avoir pratiqué avec des étudiants de master, je peux témoigner de la force émotionnelle qu’il dégage. Ceux d’entre eux qui se déclaraient hermétiques à ce geste, se sont finalement pris au jeu et témoignent de leur surprise. « Je suis donc un lecteur ? » écrit l’un d’eux.

 

 

Molière (1622-1673)

Molière a droit en 2022-2023 à un double anniversaire : celui du quadri-centenaire de sa naissance (1622-2022) mais aussi celui des 350 ans de sa mort en 2023. Ces années Molière donnent lieu à de multiples événements et hommages pour célébrer celui qui a tant marqué l’histoire de la langue française qu’elle en est même dénommée « langue de Molière ». « L’Illustre Molière » comme le titre la NRP évoque dans ses pièces des thèmes et enjeux de société qui restent toujours d’actualité et font de ces comédies une satire transposable à nos travers contemporains. Face au panorama de ressources, spectacles, expositions et parutions qui accompagnent les célébrations autour de Molière 2022, gardons en tête le formidable pouvoir cathartique du théâtre qui, grâce aux procédés comiques utilisés, dénonce inégalités sociales et faiblesses humaines. Étudier l’œuvre de Molière permet de travailler avec les élèves de multiples compétences en lecture, écriture, mais aussi de développer l’oralité et d’affûter leur esprit critique. Les textes du dramaturge reflètent par ailleurs une période historique et artistique foisonnante qui peut faire l’objet de nombreux ponts interdisciplinaires notamment dans le cadre du parcours d’éducation artistique et culturelle. Si « Molière s’est donné le mot de la fin1 » en mourant quasiment sur scène, ces répliques n’ont certainement pas fini de résonner en nous.

Événements autour du 400e anniversaire de la naissance de Molière

Programme anniversaire

Ministère de la Culture : programme détaillé des événements partout en France autour du 400e anniversaire de la naissance de Molière.
https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Celebration-du-400e-anniversaire-de-la-naissance-de-Moliere

Et également sur France info :
https://www.francetvinfo.fr/culture/spectacles/theatre/400-ans-de-moliere-des-celebrations-en-france-et-un-peu-partout-dans-le-monde_4917867.html

Plateforme Molière 2022

Ce site rassemble en particulier tous les colloques et congrès dédiés à Molière au cours de l’année 2022. On peut citer entre autres : le colloque Retours sur Molière à la Sorbonne qui s’est déroulé en janvier 2022 ; le programme universitaire Molière 2022 à Montpellier avec des conférences, des webinaires et des spectacles ; les 27-28 juin, et 11-12 juillet : Molière par la scène en partenariat avec la Maison Française d’Oxford et la ville d’Avignon ; les 17-19 novembre 2022, le colloque international Molière et les acteurs comiques : art et techniques de la création scénique à l’Université Rennes 2 ; le 29 novembre : « Les deux Baptistes », Molière et Lulli/Lully à l’Université de Florence.
https://moliere2022.org/

© Molière 2022 à Montpellier – Printemps des Comédiens

Sélections de spectacles en 2022

La Comédie Française (Paris) consacre toute la saison 2022 à Molière : au programme, un grand nombre de ses pièces (Le malade imaginaire, L’Avare, Monsieur de Pourceaugnac, Le médecin volant, Le misanthrope, Dom Juan etc.) mais aussi des pièces qui s’inspirent de la vie du dramaturge ou adaptent librement plusieurs de ses textes : Singulis, le silence de Molière ; On ne sera jamais Alceste ; Le crépuscule des singes ; Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et…
https://www.comedie-francaise.fr/fr/saison/moliere-2022

À noter : la pièce Le Tartuffe ou l’hypocrite (mise en scène par Ivo van Hove, avec Denis Podalydès) n’est pas le texte classique qui est habituellement joué (Le Tartuffe ou l’imposteur). Il s’agit ici de la première version de la pièce censurée en 1664. Cette pièce sera en tournée dans toute la France en 2022.
https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/le-tartuffe-ou-lhypocrite

Retrouvez également le programme des pièces prévues dans le cadre du cycle Molière du Château de Versailles :
https://www.chateauversailles-spectacles.fr/tag/moliere_t218/1

Dehors Molière ! ou l’école de la rue, de la Compagnie Casus Délires. Spectacle qui a gagné l’appel à projet « Poquelin, pour aujourd’hui ou pour demain » dont le but est de diffuser l’œuvre de Molière dans l’espace public :
https://www.casusdelires.com/dehors-moliere/

Tartuffe, mise en scène par Macha Makeïeff, Théâtre de la Criée, Marseille. En tournée dans toute la France en 2022 :
https://www.theatre-lacriee.com/programmation/saison/tartuffe.html

La Ville de Pézénas dans l’Hérault met également à l’honneur Molière, en proposant un Festival Molière en juin 2022, des journées du Patrimoine centrées sur la figure de Molière à travers cette ville dans laquelle il a séjourné, et diverses animations tout au long de l’année :
https://www.ville-pezenas.fr/billetterie-culture/theatre-et-expos/

Les rencontres de l’Illustre Grenier – Comédie française. Un programme de rencontres, tables-rondes et débats autour de l’œuvre du « Patron » des lieux. À retrouver ensuite en ligne sur :
https://www.comedie-francaise.fr/fr/les-illustres-greniers

Les rencontres de l’Illustre Grenier : lecture du Roman de Monsieur de Molière de Mikhaïl Boulgakov par Sylvia Bergé.

Expositions

Trois expositions issues des collections de la Comédie Française se sont déroulées de janvier à juillet 2022 : Molière aux mille visages ; Molière sur scène ; Molière aux mille couleurs (costumes). Vous pouvez retrouver les pièces maîtresses de ces expositions en ligne sur le site de la Comédie Française.
https://www.comedie-francaise.fr/fr/exposition_en_cours

© Collections de la Comédie française. M. Jourdain, maquette de costume de Charles Bétout, mise en scène du Bourgeois Gentilhomme en 1938

Molière en costumes – Centre national du costume de scène, à Moulins, du 26 mai au 6 novembre 2022. Les œuvres du dramaturge sont vues au travers de 150 costumes qui dressent un panorama original de ses pièces.
https://www.cncs.fr/

Molière, le jeu du vrai et du faux – Bibliothèque nationale de France, site Richelieu du 27 septembre 2022 au 15 janvier 2023. Cette exposition regroupe documents d’archives, manuscrits originaux, œuvres d’art, costumes, pour retracer la vie et l’œuvre de Molière.
https://www.bnf.fr/sites/default/files/2022-01/CP_Moliere_BnF_2022.pdf

Molière en musiques – Bibliothèque-Musée de l’Opéra du 27 septembre 2022 au 15 janvier 2023. En partenariat avec l’Opéra National de Paris et la Comédie Française, cette exposition de la BnF se centre sur le rôle de la musique dans les œuvres de Molière, notamment avec la création de la comédie-ballet et les liens du dramaturge avec les compositeurs de son temps.
Galerie de la bibliothèque-musée de l’Opéra | BnF – Site institutionnel

Molière, la fabrique d’une gloire nationale (1622-2022) – Versailles (Espace Richaud) exposition qui s’est déroulée du 15 janvier au 17 avril 2022 : avec en prolongement l’inauguration d’une statue contemporaine de Molière dans la cour d’entrée du Château de Versailles réalisée par l’artiste Xavier Veillhan.
https://moliere2022.org/files/versaillesfabrique.pdf

Ressources numériques

Dossier Lumni sur Molière : des articles synthétiques sur sa biographie et son œuvre, ainsi que plusieurs courtes vidéos explorant certaines de ses plus célèbres pièces et les éléments marquants de son héritage sur l’histoire du théâtre.
https://www.lumni.fr/dossier/moliere

La Comédie Française : dossier très complet sur Molière, éléments biographiques détaillés, œuvres, critiques littéraires et personnages, Molière vu par ses contemporains, l’héritage et l’influence de Molière en Littérature.
https://www.comedie-francaise.fr/fr/moliere

Ressources Éduscol : « Molière à la croisée des Lettres et des Arts ». Une sélection de ressources pédagogiques, des pistes bibliographiques et filmographiques, les liens vers tous les événements de l’année Molière.
https://eduscol.education.fr/2558/moliere-la-croisee-des-lettres-et-des-arts

Opération Molière jusqu’en 2023 :
Des capsules vidéo, des dossiers issus du Réseau CANOPÉ, de Théâtre en acte, de la Comédie-Française, des ressources de la BnF et du site theatre-contemporain.net, mais aussi des séquences pédagogiques produites par l’ANRAT (Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale).
http://operati.cluster030.hosting.ovh.net/

Théâtre en acte de Canopé : dossier sur Molière, composé d’interviews de comédiens et de metteurs en scène ainsi que des pistes pédagogiques en lien avec la base Éduthèque. 
https://www.reseau-canope.fr/edutheque-theatre-en-acte/auteur/moliere-1.html

Dans les programmes scolaires

Collège

BO spécial n° 11 du 26 novembre 2015. Annexe 2 Programme d’enseignement du cycle de consolidation (cycle 3).
https://www.education.gouv.fr/bo/15/Special11/MENE1526483Aannexe2.htm

Français : « En 6e, le corpus des œuvres à étudier est complété par des lectures cursives au choix du professeur, de genres, de formes et de modes d’expression variés, dont le théâtre. Outre la lecture de pièces, la mise en voix, voire la théâtralisation, est recommandée. »

BO spécial n° 11 du 26 novembre 2015, annexe 3 : programme d’enseignements du cycle des approfondissements (cycle 4).
https://www.education.gouv.fr/bo/15/Special11/MENE1526483Aannexe3.htm

Exemple d’EPI cité dans les programmes : thématique « Culture et création artistiques » – en lien avec l’histoire, la géographie, l’enseignement moral et civique, l’histoire des arts, les arts plastiques et l’éducation musicale.

5e, 4e : « La société sous Louis XIV, à travers Molière. » Projets autour par exemple des châteaux de Vaux-le-Vicomte et de Versailles : récits, saynètes, poésies, textes documentaires (lecture et écriture), recherches (éducation aux médias et à l’information).

Histoire-géographie – cycle 4. Thème 3 : Transformations de l’Europe et ouverture sur le monde aux XVIe et XVIIe siècles

« Du Prince de la Renaissance au roi absolu. (François Ier, Henri IV, Louis XIV) : À travers l’exemple français, on approfondit l’étude de l’évolution de la figure royale du XVIe au XVIIe siècle, déjà abordée au cycle 3. »

Lycée

BO n° 5 du 4 février 2021 :
https://www.education.gouv.fr/bo/21/Hebdo5/MENE2036974N.htm

1re Générale et technologique.
Objet d’études : « Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle ». Œuvre et parcours du programme limitatif de l’épreuve anticipée du bac de Français : 2021-2024. « Molière, Le Malade imaginaire / parcours : spectacle et comédie. »

BO n° 26 du 1er juillet 2021 :
https://www.education.gouv.fr/bo/21/Hebdo26/MENE2117455N.htm

Enseignement de spécialité Théâtre :
Le programme limitatif 2021-2022 de l’enseignement de théâtre mettait à l’étude les femmes, au travers de trois comédies de Molière : L’École des femmes (1662), Le Tartuffe (1664) et L’Amour médecin (1665).

Pistes pédagogiques

Utiliser la controverse sur la prétendue paternité des pièces de Molière écrites par Corneille comme exemple d’une théorie du complot littéraire. Ce travail permet d’allier EMI et lettres pour déconstruire les étapes de la désinformation et les corrélations erronées tout en s’interrogeant sur la notion de paternité des œuvres. On peut s’appuyer sur le site « Molière auteur des œuvres de Molière : Molière-Corneille » et, plus particulièrement, sur la partie consacrée aux anomalies inventées dans les biographies des deux dramaturges.
http://moliere-corneille.huma-num.fr/presentation/
et une vidéo sur Lumni :
https://www.lumni.fr/video/corneille-a-t-il-ecrit-les-pieces-de-moliere-un-algorithme-repond#containerType=folder&containerSlug=moliere

Reprendre l’idée du projet de l’association 10 sur 10 (centre théâtral francophone polonais) en l’adaptant au milieu scolaire. Lancer le défi aux élèves de trouver autour d’eux des traces de Molière (plaques de rue, statues, références à l’un des personnages, noms d’établissement ou de lieux culturels etc.) et se photographier devant de façon originale. Cela peut prendre la forme d’un concours ou simplement d’une animation ponctuelle pour valoriser l’héritage et l’influence de Molière.
https://www.10sur10.com.pl/concours-rendez-vous-moliere/

Réaliser une exposition sur Molière entièrement conçue par les élèves : recherches documentaires au CDI en petits groupes pour recueillir des informations, synthèse et mise en forme pour réaliser des panneaux documentaires illustrés portant sur la biographie du dramaturge, son œuvre, le contexte historique (Louis XIV et la Cour), les différents personnages, la filmographie et les adaptations des œuvres de Molière, les grands thèmes de société abordés dans ses pièces et leur écho dans l’actualité etc. On peut par ailleurs proposer aux élèves de sélectionner eux-mêmes les ouvrages (livres documentaires, adaptations en BD par exemple) qui constitueront une table thématique à côté de l’exposition.

En prolongement de cette exposition, pour ajouter de l’interactivité et travailler sur les compétences orales, on peut imaginer que les élèves lisent à voix haute certaines scènes et dialogues de Molière, s’enregistrent et proposent ainsi sous forme de QR codes des jalons audios qui illustrent leur exposition. De même, ces enregistrements peuvent être disposés un peu partout dans le CDI ou l’établissement, à l’occasion d’une semaine de temps fort autour de Molière.

Créer un événement culturel à l’échelle de l’établissement pour célébrer l’année Molière avec par exemple des brigades théâtrales de quelques élèves qui vont déclamer des passages célèbres de ses pièces dans les différentes classes de l’établissement, à l’instar de ce qui se fait déjà pendant le Printemps des Poètes avec les Brigades d’intervention poétique.

Écriture d’articles pour le journal de l’établissement autour de Molière, avec par exemple un questionnaire sur le modèle « Quel personnage de Molière seriez-vous ? » qui dresserait une typologie de caractères en fonction des personnages principaux choisis dans les pièces du dramaturge.

Filmographie

Biopics et films historiques

Belmont, Véra. Marquise. France. 1997. 2 h 16.

Corbiau, Gérard. Le Roi danse. Belgique. 2000. 1 h 55.

Guitry, Sacha. Si Versailles m’était conté. France. 1954. 2 h 45.

Le Guay, Philippe. Alceste à bicyclette. France. 2013. 1 h 44.

Mnouchkine, Ariane. Molière. France. 1978. 4 h 10.

Tirard, Laurent. Molière. France. 2007. 2 h.

Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres… Téléfilm d’après Molière mis en scène par Julie Deliquet. Diffusion France Télévisions. [Date de diffusion non communiquée à l’heure où nous écrivons ces lignes.]

Documentaires

Duguet, Claire. L’Heure de Molière. Viva productions, France 3. 2009. 52 minutes.

Fraudreau, Martin. Les enfants de Molière et de Lully. Alpha productions. 2005. 51 minutes.

Guirado, Eric. L’Autre Molière. Lato Sensu Productions et France tv Aura. 52 minutes. Diffusé sur France 3, disponible en replay jusqu’au 20 janvier 2023.
https://france3-regions.francetvinfo.fr/documentaire-l-autre-moliere-la-lecon-de-theatre-en-52-minutes-2423326.html

Captations théâtrales

Captations filmées de la Comédie française en DVD :
https://boutique-comedie-francaise.fr/20-moliere

Retransmission de pièces de Molière à la télévision dans les archives de l’INA :
https://madelen.ina.fr/selection/6752/moliere-prince-de-laudace-et-du-rire

Captations filmées diffusées au cinéma dans le cadre de l’année Molière (Pathé/Comédie Française) :
L’Avare ; Le Tartuffe ou l’hypocrite ; Le Bourgeois Gentilhomme ; Le Malade imaginaire.
https://www.moliere400.film/

Le site Cyrano.éducation permet de visionner en streaming des captations de pièces de théâtre du répertoire classique, dont huit pièces de Molière (création gratuite de compte pour les enseignants, et accessible directement depuis l’ENT en Ile-de-France).
https://www.cyrano.education/content?categorie[]=1771

Vidéos en ligne

Théâtre à la table. Le principe : après quatre jours de répétitions à la table, c’est-à-dire en lecture simple, sans mise en scène, une captation en direct est diffusée dès le cinquième jour. Il s’agit de montrer au public les premiers moments de construction d’une pièce, des premières lectures à l’appropriation du texte et des personnages. Dans la cadre de la saison Molière 2022, retrouvez sur YouTube dans le courant de l’année huit pièces de Molière en captations filmées sous cette forme.
https://www.youtube.com/watch?v=abN7U5Yiy4Y

Film court du programme RePlay. Dom Juan de Molière – Acte 2 – Scène 5, 6, 7. 2020, 7 minutes.  Réalisateur : Matthias Castegnaro. La Blogothèque, Arte France.
https://www.arte.tv/fr/videos/089924-006-A/replay-dom-juan-7-8/
Cette scène marquante de Dom Juan présentée en un seul plan séquence permet de réinterpréter le texte dans un univers très contemporain.

Arte TV. Programme court : Gymnastique – Pourquoi l’église n’aimait pas Molière ? Épisode 22/30, 2020, 6 minutes. La Blogothèque, Arte.
https://www.arte.tv/fr/videos/093029-025-A/gymnastique/

Radio / Podcast

Molière, le chien et le loup. Philippe Collin – podcast en 10 épisodes sur France Inter, en association avec la Comédie-Française. Y sont détaillés la vie tumultueuse de Molière, de ses débuts à sa fin tragique, en passant par ses liens avec Louis XIV, les scandales qu’il a provoqués et les mystères qui restent associés à son nom.
https://www.franceinter.fr/emissions/moliere-le-chien-et-le-loup

Expodcast : les musiques de Molière. Réalisé par Suzanne Gervais, en partenariat avec le Centre de Musique Baroque de Versailles, France Musique, le Château de Versailles et la Comédie-Française, ce podcast allie vidéo, documents d’archives, audio, immersions numériques, pour développer un parcours interactif autour des musiques qui ont rythmé la vie de Molière. À noter la présence d’un parcours Junior pour les 9-14 ans. L’ensemble est fluide et attractif, une bonne façon d’aborder l’œuvre de Molière au travers de différentes pièces musicales.
expodcast.cmbv.fr/fr

France Culture : « L’auteur le plus joué au monde n’a pas besoin d’entrer au Panthéon », entretien avec Georges Forestier, par Benoît Grossin et récapitulatif des podcasts parlant du dramaturge.
https://www.franceculture.fr/theatre/400-ans-de-moliere-lauteur-de-theatre-francais-le-plus-joue-au-monde-na-pas-besoin-dentrer-au

RFI : Florian Riva et Patrice Martin. Depuis 400 ans, Molière sans frontières, 07/01/2022. Un article, des podcasts et vidéos qui éclairent l’influence de Molière sur les écrivains, les comédiens et les lecteurs du Maghreb et plus globalement de l’Afrique. Un angle un peu différent pour aborder l’œuvre du dramaturge.
https://www.rfi.fr/fr/connaissances/20220107-depuis-400-ans-moli%C3%A8re-sans-fronti%C3%A8res

 

Note de lecture : Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ? De Sarah Alami

Pourquoi certaines œuvres littéraires classiques, dites « patrimoniales1 », traversent-elles les siècles ? Qu’ont-elles de si particulier, que d’autres textes, tombés dans l’oubli, ne possèdent pas ? Et comment amener des lycéens à se les approprier ? Peut-être en leur proposant de jouer un rôle actif dans l’étude de celles-ci, à savoir, notamment, en sollicitant leur avis et en les invitant à réfléchir sur des sujets toujours d’actualité.
C’est ce que propose Sarah Alami dans Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ? (et autres questions piquantes pour profs de lettres)… uniquement pour les profs de lettres ? À y regarder de plus près, pas si sûr… d’où notre choix de nous arrêter sur cet ouvrage : destiné aux professeurs de lycée, il se révèle un outil précieux dans le cadre de la collaboration entre le professeur documentaliste et le professeur de français.

Ce livre se divise en cinq chapitres, lesquels correspondent aux séquences pédagogiques conçues par l’auteur à partir d’une œuvre ou d’un corpus de textes : « Comment étudier un classique sans s’ennuyer en classe ? (Jean Racine, Phèdre, 1677) » ; « Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ? (Collectif de poètes, Blason anatomiques du corps féminin, 1543) ; « Comment lire de gros livres avec les élèves ? » (Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857) ; « Comment se mettre dans la peau d’un auteur ? (Montesquieu, Lettres persanes, 1721) et « Comment enseigner l’autonomie ? » (Regards sur l’école et corpus de texte). Chaque séquence est accompagnée d’une introduction et d’un plan détaillé ; logiquement divisée en plusieurs séances, elle comporte également des extraits des œuvres étudiées. Surtout, une rubrique intitulée « Penchons-nous sur… » aborde des points méthodologiques qui constituent autant de portes d’entrée pour le professeur documentaliste, tel « Susciter le désir de lire » (chapitre 3) ou encore « Mener un atelier d’écriture » (chapitre 4).
Voici quelques pistes pouvant mener, entre autres, à des séances de coanimation : la première séquence pose la question de la culpabilité du héros tragique et repose sur l’idée de faire le procès de Phèdre ; les objectifs des séances 3 et 5 (« Interroger la responsabilité du héros tragique » et « Réfléchir aux enjeux d’un procès et étudier les failles du personnage tragique ») conviennent à l’organisation d’un débat argumenté.
Par ailleurs, afin de permettre aux élèves d’entrer en littérature, on pourra leur proposer, parallèlement à la lecture de la pièce de Jean Racine, celle de la bande dessinée Phèdre (texte intégral de Jean Racine, éditions Petit à Petit ISBN 9791095670278) ; cette dernière offre, de plus, la possibilité de mettre en regard des planches de bande dessinée et des scènes théâtrales pour réfléchir sur les choix du dessinateur Armel et sur la question de l’adaptation.
La seconde séquence porte sur le blason : la séance 4 « Le concours de contreblasons, contraction de textes et écrits d’appropriation » peut conduire à la création de podcasts, lesquels permettent, en outre, de travailler la lecture à voix haute. Le procès dont le roman Madame Bovary a fait l’objet, abordé dans la troisième séquence, conviendrait particulièrement à la réalisation d’une émission de radio sur la question de la place de la femme.
L’étude des Lettres Persanes de Montesquieu dans la quatrième séquence et la séance 5 dont l’objectif est « Peut-on rire de sujets graves ? » nous invite à réfléchir sur le fanatisme religieux et à travailler sur la caricature. Outre les ressources de la Bnf, citées par l’auteure, la découverte de EENCRE, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot, D’Alembert et Jaucourt (1751-1772) – http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/ –, dans le cadre d’une recherche sur les Lumières, pourra être très enrichissante. Quant à la séance 6 « Être en avance sur son temps, initiation à la recherche documentaire », le titre parle de lui-même !
Les possibilités de collaboration, vous l’aurez compris, sont donc multiples, et il nous semble que s’il est à conseiller à nos collègues de lettres, cet ouvrage permet également aux professeurs documentalistes d’être force de proposition.

 

 

ALAMI, Sarah. Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ? (Et autres questions piquantes pour profs de lettres). Paris : Tsarines, 2021, 233 p. (C’est comme ça qu’on s’en sort), 22 euros. ISBN : 9782957925605.

Carnets de sel, une nouvelle maison d’édition

Les professeur.e.s documentalistes sont un maillon essentiel de la chaîne du livre. Notre rôle de passeur est au cœur du métier et en fait la richesse. Certain.e.s d’entre nous souhaitent également être en amont de cette chaîne en devenant écrivain.e. Nous les avions rencontré.e.s dans un précédent numéro (InterCDI 262-63). Sandrine Leturcq, quant à elle, est non seulement professeure documentaliste et autrice, mais également depuis peu éditrice. Elle nous fait part de cette passionnante aventure.

Sandrine Leturcq, en 2018, vous avez décidé de créer une maison d’édition à vocation nationale. Quelle singularité éditoriale voulez-vous développer ?

Notre maison d’édition a été créée en février 2018 sous la forme d’une association autour d’une idée commune, la volonté de promouvoir la création, l’échange et la rencontre littéraires et artistiques. Elle accompagne en amont ses auteurs, souvent en émergence.
Et en aval elle voulait se rendre visible dans des espaces où on ne la voit pas habituellement, et favoriser ainsi une approche populaire en accompagnant le livre dans des espaces ouverts : festival de musiques, salon du bio, échanges en live entre auteurs et lecteurs sur Internet à l’occasion de sorties officielles. Carnets de Sel désire, dès que ce sera possible, organiser des échanges artistiques et littéraires citoyens via des événements réguliers.

Avec qui avez-vous mené ce projet ?

Nous nous sommes lancés dans l’aventure à trois : Clément Sayous, Julien Crosnier et moi-même. Depuis plusieurs années, Clément et moi avions envie de monter une maison d’édition associative. Julien a provoqué notre rencontre et favorisé la création de la maison d’édition en février 2018 sur un mode associatif. Depuis 2019, Julien Crosnier et moi-même dirigeons la maison d’édition et ses collections avec l’appui d’un comité de lecture.

Pourquoi ce nom : Carnets de sel ?

À l’origine (depuis septembre 2005), je rédigeais des carnets de lectures, de rencontres et de voyages sur un blog plutôt littéraire, intitulé Carnets de sel (http://carnetsdesel.fr/blog/). « Carnets » car j’ai toujours des dizaines de carnets chez moi, pour noter tout : des voyages, des lectures, des extraits, des œuvres vues dans les musées, des idées de textes… « Sel » pour, comme Hergé, relier les deux initiales de mon prénom et de mon nom. Et puis, le sel, c’est le sel de la vie, l’échange… Cela prenait finalement beaucoup de sens. Avec cette nouvelle aventure qui commençait, j’ai choisi de mettre ce blog en pause, en me tournant vers Babelio et Instagram (Carnets de lectures), mais la charge de travail parallèle m’a également fait arrêter ces activités chronophages de chroniqueuse.
Au moment où nous avons voulu créer une maison d’édition, Clément Sayous, Julien Crosnier et moi, nous avons cherché pendant plusieurs mois, presque un an, un nom pour cette maison d’édition, et le nom de Carnets de sel nous a paru finalement être le meilleur choix, une maison d’édition qui d’une part n’hésite pas à mettre son grain de sel, à s’engager, et d’autre part qui constitue ce petit grain qui relève le goût de lire.

Avez-vous suivi une formation aux métiers de l’édition ? Est-ce nécessaire ?

Nous n’en avons pas suivi, non. J’avais pour moi la formation universitaire littéraire et l’expérience de 20 ans de notre métier, qui connaît tout de même bien le livre ! Et puis je connaissais les relations presse en faisant des chroniques depuis très longtemps aussi dans le Cahier des livres.
Clément Sayous est graphiste, créateur de sites internet et vidéaste, ce qui nous a permis de créer une belle charte graphique pour nous identifier, d’avoir un site internet et de commencer notre chaîne Youtube, avec un jingle, etc.
Julien Crosnier a 20 ans d’expérience dans le secteur culturel et l’économie sociale et solidaire (ESS), et il a accompagné pendant de nombreuses années des artistes en développement pour leur trouver un modèle économique. Il a par ailleurs une maîtrise en gestion.
Nous embrassions donc à nous trois les trois aspects incontournables du métier d’éditeur. Depuis le départ de Clément, Julien a consacré du temps à se former sur Adobe InDesign et au vocabulaire technique permettant les relations avec l’imprimeur.
Enfin, nous avons tous une activité artistique (écriture, danse, musique…), ce qui peut nous permettre d’entretenir une relation privilégiée avec les auteurs.

Pour parler comme un banquier, quel était votre business plan ?

Notre activité est pour l’instant peu risquée, car nous n’avons pour le moment aucun salarié, notre business plan a consisté et consiste toujours à rentabiliser chaque titre en nous appuyant sur des campagnes de précommandes et sur des demandes de subventions. Nous avons obtenu des aides sélectives en région centre Val de Loire (CICLIC) et pour un de nos prochains ouvrages une aide du Centre national du livre. Il s’agit d’aides sélectives dont nous ne pourrions pas nous passer pour publier nos livres et faire connaître la maison d’édition.
Quand le moment sera venu, c’est-à-dire quand notre catalogue sera un peu plus étoffé et que Carnets de sel sera mieux reconnue par les acteurs de l’édition, un premier emploi sera créé.

Sur quels critères avez-vous choisi votre impri­meur ? Quelle attention particulière portez-vous à la fabrication de vos livres ?

Nous avons un imprimeur par type d’ouvrage publié. Nous avons choisi une Scop dans le Morvan, Laballery, pour les ouvrages brochés tels que les romans et les essais. Pour la bande dessinée nous travaillons avec Lesaffre qui est un imprimeur belge avec une belle notoriété dans la BD. Les albums jeunesse représentent les ouvrages les plus coûteux et les plus noyés dans l’offre souvent imprimée à grand tirage et en Chine, pour obtenir de moindres coûts. Nous avons choisi un imprimeur européen qui fabrique de beaux ouvrages reliés. Les imprimeurs français sont pour l’instant trop chers au vu de nos tirages modestes : dès que nous pourrons économiquement produire tous nos ouvrages en France, nous le ferons.

Par qui êtes-vous distribué, où peut-on trouver vos livres ?

Les éditions Carnets de sel sont distribuées par Amalia, diffuseur indépendant, que nous avons rencontré lors d’un des rares salons auxquels nous avons pu participer depuis la crise sanitaire. (http://www.amalia-diffusion.com/)
Vous pouvez, par ailleurs, trouver nos livres en commande auprès de votre libraire ou sur notre site web www.carnetsdesel.fr

Comment faites-vous connaître Carnets de sel ?

La période COVID a freiné et freine toujours nos velléités au niveau de notre présence dans les espaces publics, festivals, salons… même si nous avons réussi à être présents sur quelques festivals maintenus (BD Boum, l’Autre monde, Livre O cœur…).
Néanmoins, nous envoyons des exemplaires à la presse régionale et nationale. Nous sommes bien identifiés par la presse régionale (quotidien, radios, France 3) ; nous avons obtenu des chroniques jeunesse sur Ricochet et Télérama a mentionné notre bande dessinée dans les 15 BD à offrir pour Noël 2020. Le Graal de la profession ! Par ailleurs, nous travaillons aussi avec un professionnel des droits à l’international.
Enfin Canal BD nous a largement soutenus lors de la publication de notre bande dessinée sur tout le réseau national des librairies spécialisées.

De quelle façon choisissez-vous les livres que vous éditez ?

Fin 2018, pour lancer la maison d’édition sans avoir encore reçu de manuscrit, j’avais fait une commande à Marceau Chenault, après avoir lu l’une de ses publications professionnelles, un essai de vulgarisation hybride sur le qi gong. Le temps qu’il rédige cet essai, nous avons aussi, au tout début, choisi l’un de mes romans qui a essuyé les plâtres, puisque nous n’étions absolument pas connus, sans diffuseur, et qu’il donnait à penser aux libraires qu’il s’agissait presque d’auto­édition. Ce n’est plus du tout le cas depuis. Peu à peu les manuscrits arrivent, nous demandons aux auteurs d’envoyer un pdf à manuscrit@carnetsdesel.fr pour leur faire faire des économies. Nous recevons surtout des récits jeunesse et des romans, rarement des essais et des projets de bandes dessinées. Nous essayons enfin d’alterner les sorties dans les différentes collections : roman, jeunesse, BD, essai, jeunesse, recueil de nouvelles.

Pourquoi avoir choisi d’éditer des livres de nature aussi différente qu’un roman, un essai, une bd, des nouvelles ?

C’est un choix tout à la fois téméraire et original que nous avons assumé dès le début. Nous ne savions pas alors à quel point il nous serait reproché, notamment par les institutionnels. En effet la plupart des maisons d’édition se spécialisent dans un domaine pour, par la suite, une fois bien installées sur leur modèle économique, ajouter une par une des collections. Le fait d’ouvrir notre catalogue à quatre collections était un pari risqué, car cela signifiait réussir à être identifié par les libraires alors que nos sorties étaient éloignées de plus de 6 mois pour chaque collection. Pourquoi avoir fait ce choix ? Parce que cette maison d’édition a été créée par rapport à ce que nous aimions lire, à ce que nous avions envie de défendre, et nous ne voulions pas nous retrouver enfermés à l’intérieur d’un genre ou d’un thème, comme on nous l’a pourtant suggéré.

Comment rémunérez-vous vos auteurs ?

Nous les rémunérons en droits d’auteurs avec en sus des avances sur droit que nous ne leur défalquons pas. Nous leur redistribuons 10 % par exemplaire vendu, ce qui fait partie des rémunérations honnêtes ; ils peuvent aussi nous acheter nos ouvrages avec une remise de 40 % pour les revendre au prix du livre. Le contrat d’édition leur est favorable, puisque nous avons choisi celui proposé par la SDGL et l’avons encore amélioré dans leur sens, pour ne pas les « emprisonner chez nous ». Ainsi la cession des droits de leur ouvrage n’est que de 5 ans ; ensuite, s’ils sont plus connus, ils peuvent aller ailleurs ou rester chez nous. Et enfin, nous leur établissons un contrat par droit accordé : droit pour le texte en France, un autre contrat pour le livre numérique plus tard, un autre contrat pour la traduction de l’ouvrage, etc. etc.

Après trois ans de fonctionnement, quels bénéfices (je ne parle pas de bénéfices financiers) avez-vous retiré de cette expérience ?

Une bien meilleure connaissance des rouages de la chaîne du livre et des solutions alternatives qui émergent, afin de questionner par exemple :
Le rapport auteur/éditeur ;
La coopération entre acteurs, au-delà des enjeux financiers ;
Les enjeux écologiques du secteur ;
La juste répartition de l’argent générée par la création.

Quelles erreurs faut-il éviter ?

1/ Ne pas trop écouter les sceptiques, mais écouter les acteurs de terrain passionnés : si l’on croit en son projet éditorial, se fier à son intuition, moteur pour avancer, mais prendre en considération les avis des libraires, éditeurs et autres professionnels passionnés.
2/ Ne pas brûler les étapes, une maison d’édition indépendante a besoin de temps pour s’affirmer.
3/ Ne pas forcément créer une maison d’édition en pensant à une éventuelle reconversion professionnelle, mais plutôt faire cela par passion et voir si la sauce prend.

Quels sont les projets de Carnet de sel ?

En 2022 nous avons publié un album jeunesse, L’Enfant au pinceau de Jonathan Sauvé, et un roman, Impulsion de Bernard Henninger. En 2023 nous avons prévu la nouvelle bande dessinée de Stanislas Gros, La Prisonnière. Peut-être dénicherons-nous également une perle parmi les romans qui nous sont envoyés.

 

Sandrine Leturcq, Stanislas Gros, Julien Crosnier

 

 

Veille éditoriale

Maus

Le conseil d’école du comté de Tennessee a demandé que la bande dessinée Maus d’Art Spiegelman soit retirée des programmes en raison de huit mots vulgaires et d’une souris nue dans une baignoire ! Le conseil a également dénoncé la « description de violences et de suicides » que l’on peut trouver dans cet album, prix Pulitzer 1992. Le tapage journalistique autour de cette censure a été tel que les Américains qui ne connaissaient pas encore ce chef-d’œuvre du neuvième art se sont précipités dans les librairies pour l’acheter. Heureusement, on n’a pas tous en nous quelque chose de Tennessee…

Livres suspendus

Vous connaissez le café suspendu, une tradition solidaire italienne de la région de Naples qui consiste à payer deux cafés, l’un pour soi et le second pour un éventuel autre client du bar qui n’aurait pas les moyens d’en consommer un. La maison d’édition Marotta & Cafiero applique ce principe dans la librairie qu’elle a ouverte à Scampia, dans la banlieue de Naples. Sa devise : là où on vendait de la drogue, aujourd’hui on vend des livres. Elle a récolté plus de 12 000 euros pour offrir des livres à des familles qui n’en avaient pas les moyens.
Qu’est-ce qu’on dit ?
Grazie mille !

Anne, ma sœur Anne

Suite de la publication chez Harper Collins de Qui a trahi Anne Frank ? On pensait enfin savoir qui avait dénoncé la jeune juive. Après cinq années d’enquêtes menées par un ancien du FBI, aidé d’une trentaine d’experts, le mystère de cette dénonciation était dévoilé par l’historienne canadienne, Rosemary Sullivan. Un notaire juif, Arnold van den Bergh, aurait protégé de la déportation sa propre famille en livrant les Frank et leurs amis. Dès sa parution, des historiens néerlandais contredisent cette thèse, démentant que le notaire ait pu avoir accès à une liste secrète des juifs cachés dans Amsterdam, le conseil juif instauré par les nazis dont faisait partie le notaire n’ayant jamais possédé une telle liste. Devant la polémique, l’éditeur néerlandais a suspendu son impression.
Anne, ma sœur Anne, il faudra encore attendre…

Big Mac Book

Depuis 2015, McDonald’s a distribué en France plus de 80 millions de livres pour enfants. Avec la disparition des jouets en plastique des boites de Happy Meal, la firme américaine privilégie le papier et le carton. Depuis l’an dernier, outre des livres distribués dans ses boites, McDonald’s instaure les Mercredis à lire. Le premier mercredi du mois, les enfants, en plus du livre ou du jouet choisi avec leur Happy Meal, reçoivent un album. Ces albums de littérature jeunesse, sélectionnés par un comité d’experts, proviennent d’éditeurs différents pour qui cela représente une manne bienvenue. Dommage que nos chers bambins soient obligés d’avaler un steak haché sanguinolent entre deux tranches de pains spongieuses pour avoir le plaisir de recevoir un livre. Après le green washing, le champion de la malbouffe invente le book washing !

Happy Birthday !

Les éditions Delachaux et Niestlé ont été fondées en 1882, à Neufchâtel, en Suisse, par l’imprimeur Adolphe Nietslé et les frères Eugène et Paul Delachaux. Rapidement, les trois hommes spécialisent leurs publications dans les sciences naturelles. Avec la collection Les guides du naturaliste, l’éditeur, depuis les années 50, propose des ouvrages de synthèse d’une grande rigueur scientifique permettant d’identifier la faune et la flore d’une région. Leur best-seller : Le guide des oiseaux d’Europe de Roger Tory Peterson. Vous retrouvez dans chaque cahier des livres d’InterCDI, sous la plume de notre collègue Danielle Boisson, la présentation de leurs nouveautés. Les éditions Delachaux et Niestlé devront prévoir un gros gâteau d’anniversaire si elles veulent y planter 140 bougies !

Queen Kong Théorie

Virginie Despentes associée à la photographe Axelle Le Dauphin lancent une nouvelle maison d’édition : La Légende éditions. Les deux femmes entendent ainsi : « promouvoir la représentation et la visibilité de la culture queer et féministe ». Dans ce but, elles souhaitent créer un collectif de recherche, de défense, d’archivage et de diffusion de cette culture. La maison d’édition devrait publier 9 livres par an.
Dans le même temps, au moment où Grasset, son éditeur historique, risque de tomber dans l’escarcelle du groupe Bolloré, l’autrice de King Kong théorie soutient activement le collectif « Stop Bolloré ». Ce collectif rassemble des membres et des organisations de la société civile qui s’inquiètent de la concentration des médias et de l’édition en France et des dangers que cela représente pour la démocratie.

Une enseigne pour les bibliothèques

L’Association des directrices et directeurs de bibliothèques municipales et de groupements intercommunaux des villes de France (ABDGV) a lancé un appel à candidatures pour concevoir une signalétique simple rendant les bibliothèques facilement identifiables sur tout le territoire. Dans le cahier des charges, il est précisé que l’enseigne doit être conçue comme un signe repérable depuis la rue comme le logo de La Poste, comme la croix verte d’une pharmacie ou encore la carotte des buralistes. L’enseigne sert avant tout à identifier dans l’espace public un lieu, un bâtiment pour dire : « Ici se trouve une bibliothèque ». Cette enseigne devra être contemporaine, lisible, mémorisable et son coût de fabrication ne devra pas dépasser 1000 euros HT, afin d’être à la portée de toutes les villes.

T’as le look Coco

La célèbre, géniale et talentueuse Coco Chanel fait l’objet d’un manga intitulé Miroirs, publié aux éditions Kazé. Les deux auteurs, Kaiu Shira au scénario et Posuka Demizu au dessin, ont choisi de mettre en images des moments clés de la vie de la couturière. Nul doute qu’ils ne vont pas présenter la créatrice de la petite robe noire comme une patronne despotique, un membre des services secrets allemands sous l’Occupation ou une antisémite notoire, ce qu’elle était également. Comme disait Jean Cocteau : « Les miroirs devraient réfléchir avant de renvoyer les images ».

Une nouvelle Gaffe !

À l’occasion du festival d’Angoulême, les éditions Dupuis ont annoncé le retour de Gaston Lagaffe. L’éditeur belge qui fête cette année ses 100 ans le confie à Delaf, dessinateur canadien des Nombrils. L’album doit sortir en octobre 2022 et sera tiré à 1,2 millions d’exemplaires. Franquin s’étant toujours opposé à une reprise de son personnage, l’intérêt de cette opération s’avère purement commercial. Isabelle Franquin qui ne possède pas les droits de ce personnage vendu par son père est opposée au projet et entend faire reconnaître son droit moral. La bataille juridique des avocats des deux camps promet d’être homérique. Après Astérix, Corto Maltese, Blake et Mortimer, arrêtons de déterrer les cadavres pour leur faire les poches. M’enfin !

Le P’tit Nobel

Marie-Aude Murail a reçu le prix Hans Christian Andersen, décerné par l’IBBY (International Board on Books for Young People). Ce prix, remis depuis 1956, est souvent surnommé « le petit Nobel ». L’autrice de Sauveur & Fils est la seconde française à recevoir ce prix prestigieux après René Guillot, auteur quelque peu oublié de Crin-Blanc. Une récompense hautement méritée pour la qualité d’écriture et la diversité des thèmes que l’on retrouve dans ses romans. Avec Oh boy ! (Indispensable en collège) elle a été une des premières à aborder l’homosexualité en littérature pour adolescents. En 2013, Marie-Aude Murail publiait, à l’École des loisirs, 3000 façons de dire je t’aime ; le jury, en la récompensant, vient d’en ajouter une autre !

Les dédicaces enfin rémunérées

Selon la Ligue des auteurs professionnels, 53 % des auteurs de BD vivent avec moins que le Smic. Les femmes sont encore plus mal loties : 50 % des autrices vivent sous le seuil de pauvreté. C’est pourquoi les auteur.e.s ont salué le protocole pour la rémunération des dédicaces qui a été signé par le ministère de la Culture, le Syndicat national de l’édition, la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit et par certains festivals de bandes dessinées. Déjà évoquée dans le rapport Racine, cette mesure instaure : « une rémunération des auteurs de bande dessinée pour les actes de création réalisés dans le cadre de leur participation à des salons et festivals ». Un forfait de 226 € brut par festival leur sera donc versé. C’est toujours ça de pris !

Bibliothèque Universitaire

La Bibliothèque Sorbonne Nouvelle a ouvert ses portes le 9 mai. Située au 8 avenue de Saint Mandé à Paris, elle est l’œuvre du célèbre architecte Christian de Portzampac. Elle propose plus de 1000 places dont certaines réparties dans une quarantaine de salles insonorisées. Le bâtiment évolutif et modulable peut s’adapter selon les besoins. Il abrite un fonds de 450 000 livres, 1 100 bd, 8800 films et séries, 22 000 ebooks. Cette nouvelle bibliothèque est dotée d’un budget de 1,5 million d’euros et emploie 80 agents. De quoi rendre jaloux nos CDI les mieux lotis !

Allumer le feu !

Si, selon Pierre Reverdy, « Le poète est un four à brûler le réel », les éditeurs de poésie, eux, renaissent de leurs cendres. Ainsi, la collection Points Poésie a connu une progression de plus de 60 % entre 2020 et 2021. Cette collection publie, sous la direction de l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou, 8 à 9 titres par an. Vous y trouverez notamment The Flame de Leonard Cohen. Chez Actes Sud, Cyril Dion, militant écologiste essaie poétiquement d’éteindre le réchauffement climatique en publiant le recueil À l’orée du danger chez Actes Sud. Enfin, l’éditeur La ville brûle publie une anthologie féministe mise en images par l’artiste Diglee intitulée Je serai le feu ! Cette anthologie réunit 50 poétesses du XIXe, XXe et XXIe siècle. Certaines d’entre elles très connues, d’autres tombées dans l’oubli. Alors achetez de la poésie pour vos CDI, suivez les conseils d’Isabelle Grout dans le cahier des livres et vous pourrez, en regardant vos élèves, voir grandir la flamme dans leurs yeux.

 

Une rencontre intimiste, Nadia Nakhlé autrice de « Les oiseaux ne se retournent pas »

Trois classes professionnelles du Lycée Touchard-Washington ont accueilli Nadia Nakhlé, autrice de Les oiseaux ne se retournent pas, en janvier 2021, au Mans1. Cette rencontre s’inscrivait dans le cadre d’un projet sur la bande dessinée, Une Case en Plus (cf. encadré 1). L’autrice a expliqué aux élèves son parcours, son ambition de raconter l’exil des enfants et, à travers différents supports, la violence à laquelle ils sont confrontés. Elle a présenté ses sources d’inspiration, de l’histoire familiale aux témoignages sur le terrain. La lecture de son roman graphique a donné lieu à un travail d’analyse de l’œuvre, d’écriture poétique et de production plastique autour de la calligraphie arabe2.

Un récit sur l’exil et l’espoir

« Nous souffrons d’un mal incurable qui s’appelle l’espoir. » Cette citation de Mahmoud Darwich, figure emblématique de la poésie palestinienne, ouvre le récit. Elle y introduit ce thème central de l’espoir qui, contre vents et marées, porte l’héroïne dans son périple.
Dans un pays du Moyen-Orient (jamais nommé) ravagé par la guerre, une orpheline de 12 ans, Amel, est poussée par ses grands-parents à l’exil. Elle change d’identité et devient Nina. Dans ce voyage vers l’inconnu, elle est prise en charge par une famille. Mais à la frontière, elle se retrouve seule dans un camp de réfugiés. Elle y rencontre Bacem, déserteur et joueur de oud. Ils se lient d’amitié. Bacem écrit pour elle un poème (dont le premier vers donne son titre au récit). Il lui apprend à jouer du oud et promet qu’ils resteront ensemble. Mais lors de la traversée vers les côtes européennes sur une mer agitée, l’embarcation clandestine prend l’eau, et le précieux instrument tombe. Amel plonge pour le récupérer. Elle évite la noyade… mais l’instrument est brisé et Bacem disparaît. Guidée par des oiseaux qui lui parlent dans ses rêves depuis le début du récit, Amel continue son chemin, seule, vers la France.

Un récit décliné sous trois formes

L’originalité de ce récit repose sur la triple forme sous laquelle il a été envisagé par l’autrice, dès son origine : une bande dessinée, un spectacle (un concert associant musiciens, comédiens récitants et projections animées) et un film d’animation : « les différentes formes du projet se complètent3 ». Cette déclinaison est liée au parcours personnel de Nadia Nakhlé : en effet, celle-ci a débuté dans le cinéma d’animation et la mise en scène de spectacle. « Je me suis formée dans un studio de cinéma d’animation. Je prenais des cours en parallèle de dessin, de sculpture tout en travaillant. Je n’ai pas fait un cursus classique avec une école d’art » […] « Le dessin, la musique et le cinéma d’animation sont pour moi les plus appropriés pour dénoncer avec pudeur les atrocités de la guerre, comme celles des camps de réfugiés, mais aussi pour exprimer l’espoir et l’imaginaire d’un enfant4 ».
Lors de l’écriture, elle travaille énormément avec le compositeur de la musique du spectacle, Mohamed Abozekry, joueur de oud. « Je lui envoyais des textes, il m’envoyait sa musique, un jeu de pingpong permanent ». La musique a une place essentielle dans le récit, puisqu’un des personnages principaux est un joueur de oud. Et l’instrument lui-même a un rôle dramatique : la jeune Amel est initiée à son jeu, elle manque de mourir pour le repêcher. Jeune adulte, elle va devenir musicienne et exprimer sa rage de vivre par la musique. « C’était donc essentiel pour moi qu’il existe un spectacle musical… J’ai eu naturellement envie de faire exister cette musique ».
Nadia Nakhlé met en scène le récit avec sa compagnie Traces & Signes. Le spectacle, soutenu par une résidence à Stéréolux (Nantes), est présenté pour la première fois le 27 janvier 2020, avant de partir en tournée dans toute la France5. « Tout est millimétré dans ce travail pour que tous les éléments, qu’ils soient musical, visuel ou sonore, se répondent ».
L’album, paru en mars 2020 aux éditions Delcourt, est la première bande dessinée de Nadia Nakhlé. Bien qu’elle ait toujours dessiné, depuis l’enfance, elle n’a pas choisi de faire des études artistiques après l’obtention de son baccalauréat. « Le dessin n’était pas très bien vu dans ma famille. J’ai donc fait des études de droit car j’avais des rêves de justice ». C’est donc avec une certaine appréhension liée à son inexpérience qu’elle s’est lancée dans la réalisation de l›album en 2016. « Je suis une personne qui doute tout le temps en termes de création. J’avais beaucoup d’appréhension et de pression. J’avais l’impression de ne pas avoir droit à l’erreur, avec le poids de ma famille qui était tout à fait contre mon choix de carrière artistique ».
La bande dessinée recevra finalement un très bon accueil critique. Elle est récompensée par de nombreux prix. Réimprimée plusieurs fois et vendue à plus de 15 000 exemplaires, c’est une belle réussite pour cette jeune autrice. « Ce qui m’a le plus touchée, ce sont les réactions de [jeunes] lecteurs de vos âges qui m’envoyaient des messages via Instagram. Je trouvais intéressant d’avoir des retours de lecteurs de cet âge et aussi de réfugiés qui étaient heureux qu’on parle de leur histoire ».
L’autrice souligne qu’une fois le livre fini, elle a éprouvé un sentiment d’inachevé et d’incomplétude. À présent, elle est heureuse qu’il ne lui appartienne plus et qu’il passe de mains en mains. « Quand je le réouvre à présent, c’est comme si je le redécouvrais. Le temps passe, on oublie ce qu’on a créé. Le livre vit sa vie sans moi. Et il va avoir une autre vie à travers le spectacle et le film d’animation ».

Spectacle « Les oiseaux ne se retournent pas » : https://lc-saint-louis.loire-atlantique.e-lyco.fr/actualites/p-e-a-c-les-oiseaux-ne-se-retournent-pas-4/

Sensibiliser à un sujet d’actualité : la situation des enfants qui fuient leur pays en guerre

« Le roman graphique m’est apparu comme la forme idéale pour porter un récit à la fois intimiste et universel6. »
Nadia Nakhlé opte délibérément pour une histoire intemporelle et universelle aux allures de conte : lieux, durées et dates ne sont pas précisés. Ce flou permet au lecteur de s’immerger dans le récit. La narration à la première personne favorise l’empathie avec le personnage principal.
Aux élèves qui lui demandent si le récit se passait en Syrie, elle répond : « Cela pourrait être la Syrie, la Palestine, le Liban, l’Afghanistan… Je ne voulais pas entrer dans un conflit politique, c’est pour cela que je ne cite pas de nom de pays. Je voulais plutôt donner une dimension universelle à cette histoire, je veux parler à la fois de la douleur de l’exil, et de l’espoir de ces enfants ».
Avec ce récit, Nadia Nakhlé souhaite sensibiliser le lecteur à un sujet d’actualité : la situation des enfants qui fuient leur pays en guerre et qui arrivent seuls dans le pays d’immigration. « Au moins un quart des personnes cherchant refuge en Europe sont des enfants, et des milliers d’entre eux sont des enfants isolés ».
Elle dénonce les abus et les violences qui s’exercent sur ces enfants et plus particulièrement sur les filles, proies faciles pour le proxénétisme. À travers le parcours d’Amel, son intention est de montrer qu’il existe un avenir possible pour ces enfants réfugiés. Amel signifie « espoir » en arabe, précise-t-elle.
L’autrice souligne que l’enfance est le thème central de ses créations ; elle rappelle que Les Oiseaux ne se retournent pas s’ouvre sur une citation de Saint-Exupéry : « Je suis de mon enfance comme d’un pays », une pensée dont elle se sent proche. Elle tente de représenter ce moment de l’existence dans toute sa complexité et toute sa créativité. La bande dessinée, par le pouvoir des images, permet d’évoquer l’imaginaire des enfants.
Elle est indignée par le sort des enfants réfugiés qui vivent dehors, dans les rues en France. Elle rappelle que notre pays a signé une convention des droits de l’enfant, qu’à ce titre, il se doit de protéger les enfants, mais que cette protection est bien en dessous des nécessités de la situation actuelle. Elle ajoute qu’elle est proche de deux associations : La Cimade (association de solidarité et de soutien aux migrants) et Amnesty International, toutes deux partenaires du projet Les oiseaux ne se retournent pas.

Page 23, Les oiseaux ne se retournent pas© Delcourt, 2020

 

Un travail de recherche documentaire et d’enquête sur le terrain

La première source d’inspiration de Nadia Nakhlé a été son histoire familiale. Son père d’origine libanaise fuit le Liban en guerre et arrive en France assez jeune. Sa mère d’origine argentine fait partie d’une famille d’exilés. « Dans ma famille, la guerre est très présente. En allant au Liban, je voyais les traces de la guerre. Mais c’est en vieillissant que j’ai ressenti le besoin de parler de ce sujet. Ce livre est un écho de l’actualité et de ma vie familiale ».

Nadia Nakhlé montre quelques clichés qui ont servi de documentation. Les élèves reconnaissent dans la photo d’une rue en ruine de Homs une des premières planches de l’album. « Mon père est d’origine libanaise mais est né à Homs en Syrie. En voyant les images de cette ville détruite par les bombardements, j’ai été bouleversée. D’où ce désir de faire passer cette mémoire, mais surtout de transmettre l’espoir de ceux qui tentent d’échapper à cette guerre7 ». « Enfant, quand j›allais au Liban, j’étais fascinée par cette capacité de ma famille à ne jamais sombrer dans le chagrin, ne jamais se morfondre, ne jamais s›apitoyer sur son sort, mais toujours avancer, tracer sa route, même entre les bombes8 ».

Page 9, Les Oiseaux ne se retournent pas © Delcourt, 2020

De 2016 à 2018, pour pouvoir parler de son sujet avec précision et véracité, Nadia mène un travail de recherche documentaire et d’enquête sur le terrain. « Je suis allée dans un camp de réfugiés palestiniens au Liban. En France, je suis allée à Grande-Synthe et dans la jungle de Calais. Il y avait beaucoup d’enfants errants après le démantèlement du camp. Ils essayaient de passer en Angleterre mais ils étaient sans cesse rattrapés ».
Nadia s’inspire de ce qu’elle a vu, rapportant des scènes (la distribution de nourriture dans le camp) ou croquant des décors. Elle recueille des témoignages, en particulier de petites filles.
« Ce n’est pas évident, car elles se cachent. Mais en tant que femme, c’était plus simple de parler… On ne parle jamais des filles quand on parle de l’exil bien qu’il y en ait énormément. Elles sont souvent embrigadées dans des réseaux de prostitution, c’est souvent très compliqué pour elles car elles sont des proies très faciles… On estime que les enfants au cours de l’exil ont été au moins violés sept fois ».
Nadia précise s’être inspirée d’une jeune érythréenne qu’elle a rencontrée pour plusieurs séquences concernant Amel.
Ces témoignages sont douloureux, mais, en même temps, derrière cette douleur, il y a toujours l’espoir de l’enfance : « Toutes ces petites filles que j’ai rencontrées avaient une volonté d’apprendre, un désir énorme d’aller à l’école, de vivre une vie normale ».
Ce sujet de l’exil et des mineurs isolés est compliqué et difficile à aborder et sa proximité avec l’actualité en fait un sujet à vif. « J’ai essayé de l’aborder avec pudeur sans rentrer dans l’atrocité de la guerre, et la violence comme dans les médias… J’ai voulu mettre de la poésie dans ce projet sans nier les souffrances de la guerre et sans dénigrer la réalité ». La recherche de cet équilibre imprègne tout l’album.

Page 125, Les oiseaux ne se retournent pas © Delcourt, 2020

Un récit onirique et poétique : esthétique et techniques

Dès son feuilletage, l’album impressionne par sa mise en page originale et son esthétique : un style épuré, des teintes sombres, rehaussées de quelques touches de couleurs ; des fonds noirs, ornementés dans les marges de motifs floraux, d’envolées d’oiseaux, d’enluminures ; des images sur lesquelles s’entrelacent textes poétiques, voix off et calligraphie. Des techniques graphiques variées s’entremêlent (gravure, peinture, dessin). Pleines pages ou cases flottantes donnent lieu à des variétés de parcours de lecture. Interrogée sur ses techniques et ses sources d’inspiration esthétique, l’autrice répond aux élèves en s’appuyant sur des exemples d’images projetées.
Nadia Nakhlé explique que son récit fait référence à une œuvre poétique persane intitulée La Conférence des Oiseaux (parfois traduite par Le Cantique des oiseaux). Cette œuvre publiée en 1177 est attribuée à Farîd al-Dîn Attâr, un poète soufi persan. Ce récit initiatique et mystique raconte l’histoire de 30 000 oiseaux partis à la recherche du Symorgh, leur roi (ou reine car il n’y a pas de genre dans cette langue). Guidés par la huppe fasciée, messagère des âmes, qui connaît les secrets des mondes invisibles, les oiseaux affrontent des épreuves symbolisées par sept vallées : Amour, Connaissance, Dénuement…. À la fin du voyage, les oiseaux rescapés découvrent que le Symorgh n’est autre que le reflet d’eux-mêmes. Cette histoire initiatique est à mettre en parallèle avec celle d’Amel qui, au cours des sept chapitres qui composent le livre, doit affronter ses peurs et se mettre en quête de sa propre identité. « Je voulais nourrir mon récit de cette mythologie de contes et légendes d’Orient ».
L’autrice projette aux élèves plusieurs miniatures persanes : « il y a comme une actualité de ces dessins malgré leur âge. Je m’en suis inspirée pour créer le monde imaginaire des oiseaux dans lequel l’enfant se réfugie ». Elle se réfère également à l’art de l’estampe japonaise, en particulier Ito Jakuchu, grand amateur d’oiseaux9.
Questionnée sur ses lectures, Nadia Nakhlé confie qu’elle s’est mise tardivement à la lecture, préférant dessiner. Si elle lit des essais et des romans, ses préférences vont à la poésie, au rap et au slam, c’est une écriture imagée qui lui convient. Les citations qui figurent en tête de chaque chapitre sont pour l’autrice des moyens de rendre hommage à des poètes qui ont connu l’exil (Marmoud Darwich, Khalil Gibran) tout en proposant des clés d’entrée au lecteur.
« Je fais beaucoup de gravures sur cuivre, certaines planches s’inspirent de cette technique ». Nadia Nakhlé explicite le procédé de l’eau forte (l’image est creusée sur une plaque de métal à l’aide d’un acide), qui permet de mettre en valeur des détails et de procurer une connotation intimiste. Si le noir est sa couleur préférée, Nadia Nakhlé confirme avoir « choisi de mettre une couleur en avant en fonction de chaque chapitre et d’accorder une fonction symbolique à la couleur tout en jouant avec les contrastes que procurent les fonds noirs ». La focalisation à partir de certaines touches de couleurs permet de valoriser le point de vue de l’enfant, de montrer les objets qui sont importants à ses yeux. « Le cerf-volant rouge de l’enfant symbolise ainsi la terre natale et la guerre. La couleur bleue du foulard d’Aida qui fuit une dictature est associée à l’espoir ; le sac à dos jaune est associé aux souvenirs… ». Nadia Nakhlé ajoute que tous les détails ont un sens symbolique.
L’autrice précise les différentes étapes de réalisation de son album qui font appel à un ensemble de techniques mixtes. Le story board est écrit et/ou dessiné sous forme de croquis, sur papier. Le dessin est ensuite retravaillé sur papier et sur écran. La tablette Wacom dont le stylet est sensible à une grande variété de pressions permet de créer des pinceaux et des crayons au rendu naturel. « La numérisation intervient surtout pour l’étape de colorisation » […] « Sur le papier, j’utilise lavis, encre et crayon ». Le format d’origine est plus important que celui de l’album, il permet de développer un grand niveau de détails sur le dessin qui sera ensuite réduit à l’impression.

Page 58, Les oiseaux ne se retournent pas © Delcourt, 2020

Projets passés et à venir

Nadia Nakhlé évoque le clip de Zebda, intitulé Comme un guitariste chilien, en hommage à Victor Jara, chanteur-compositeur-guitariste, assassiné sous la dictature de Pinochet, qu’elle a coréalisé (avec Xavier Perez). Elle a conçu les images d’animation et les effets visuels qui illustrent le texte de Kateb Yacine, Poussières de Juillet, soutenu par l’instrumental La Partida de Victor Jara. On y retrouve les thèmes chers à l’autrice (enfance, déracinement, guerre) et son style graphique. Le clip a été regardé par une classe, pour préparer la rencontre10.
L’autrice présente sa seconde bande dessinée, parue en septembre 2021, intitulée Zaza Bizar. Le récit existait auparavant sous la forme d’un spectacle qui jouait sur l’interaction entre les dessins et le jeu des comédiens. Élisa, surnommée Zaza Bizar par les enfants de son école, souffre de troubles du langage (dysphasie). Elle s’enferme dans le silence et développe son propre langage, celui de son imaginaire, propre à l’affranchir du monde réel. Au fil des pages de son journal intime, Zaza nous livre son quotidien, ses peurs, l’incompréhension des adultes, les moqueries des élèves, mais aussi ses joies et ses rêves11. « Dès la création du spectacle, j’avais en tête cette forme d’un journal intime dessiné12 », souligne Nadia Nakhlé qui prépare une nouvelle bande dessinée pour 2023 qui s’intitulera Les Notes rouges, et où la musique occupera également une place essentielle.
Pour le film d’animation de Les oiseaux ne se retournent pas, il est prévu que le storyboard soit fini en mars 2022 et qu’une équipe travaille à la réalisation du film pendant un an et demi pour une sortie prévue en 2025. Nadia Nakhlé décrit les différents métiers qui composent une équipe qui peut compter jusque 300 personnes et qui engage des énormes budgets, contrairement à la bande dessinée.

 

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Une case en plus

Une Case en Plus est un prix BD inter-établissements, créé en 2008, initié et piloté par un groupe de professeurs documentalistes de la Sarthe. Il s’adresse aux élèves de 3e, 2de de lycée général et professionnel et 1re de lycée professionnel du département (une dizaine d’établissements chaque année).

Objectifs :
• Améliorer les pratiques de lecture des jeunes : être lecteur, être capable d’évaluer sa lecture, être critique, créer à partir de sa lecture ;
• Promouvoir la bande dessinée en milieu scolaire : lancer une dynamique pour favoriser la mise en place de séquences pédagogiques autour de la bande dessinée avec les enseignants de disciplines diverses ;
• Mutualiser les séquences pédagogiques mises en place via un blog (Le Dock).

 

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Déroulé pédagogique Les oiseaux ne se retournent pas

Cette séquence autour de l’album Les Oiseaux ne se retournent pas s’inscrit dans le cadre d’un dispositif intitulé Une Case En Plus, créé par un groupe de professeurs documentalistes de la Sarthe (cf. encadré 1). Elle a été conçue et réalisée en coanimation avec une professeure de lettres-histoire du lycée professionnel, pour une classe de 3e prépa-métiers, composée de 16 élèves, globalement faibles lecteurs et peu accoutumés à la lecture de bande dessinée (hormis deux élèves). Dans le cadre du projet Une Case en Plus, les élèves ont bénéficié de plusieurs séances autour de la bande dessinée où ils ont manipulé des albums. Ils ont été ainsi amenés à identifier les différents acteurs d’une bande dessinée et à décrypter des images (rallye bd, énigmes/jeux autour des albums de la sélection). Très peu d’élèves ont lu l’album avant la séance.

Découverte de l’album par le prologue (2 h)

La couverture puis les planches qui composent le prologue (p. 7 à 16) sont projetées aux élèves. Le cours est dialogué, des questions leur sont posées sur chaque planche. L’objectif de cette première séance est de donner des clés pour repérer et analyser les spécificités de la narration et du graphisme de Nadia Nakhlé. Avec l’idée que lors les séances ultérieures, les élèves s’approprieront ces outils.
Au-delà de la description de la scène montrée (qui fait quoi ? quand ? où ?), il s’agit d’être attentif au découpage des planches (agencement – pleine page, double planche – présence ou absence des cadres aux cases, présence d’ornements), à la mise en scène des images (cadrages, points de vue, plans), aux textes (nature des textes, voix off, dialogue, commentaire narratif, forme et format des caractères typographiques), aux couleurs (leur rôle, l’assignation d’une couleur à un objet). Un temps est pris pour noter les informations dans un tableau proposé, le tout permettant de nourrir l’écriture d’une synthèse collective.
Les élèves prennent conscience très rapidement que l’histoire n’est pas racontée de façon chronologique. Elle se déroule comme dans un rêve ou un souvenir, par association ou contraste d’images et/ou de motifs. La mise en scène est onirique et métaphorique, basée sur des oppositions (hommes en armes/enfant, avions/cerf-volant) et des répétitions textuelles ou graphiques. Le prologue introduit le personnage narrateur de la petite fille, Amel, et les thèmes de la guerre et de l’exil. La thématique des oiseaux traitée de façon réaliste et symbolique, est également présente. L’ambiance sombre et triste est accentuée par les fonds noirs et la répétition de motifs graphiques.

Page 13, Les oiseaux ne se retournent pas © Delcourt, 2020

Analyse de la bande dessinée (2 h)

En classe, les élèves lisent en binôme et analysent la suite du récit (chapitre 1, p. 17 à 48). Un document sous forme de questions et tableaux à compléter guide leur lecture et leur analyse. Il s’agira de faire un résumé du chapitre, de s’interroger sur la citation mise en exergue, de relever les couleurs en évaluant leur rôle esthétique et symbolique, de relever la nature des différents textes, d’apprécier le graphisme des personnages mis en scène (particularités du dessin et effets sur le lecteur). Tous les points travaillés dans la séance précédente sont réinvestis. La conclusion est orientée vers des hypothèses de lecture. Cette étude, axée sur la mise en scène élaborée par l’autrice, se traduit par une attention minutieuse à porter aux détails narratifs et graphiques. Elle peut paraître fastidieuse et longue, mais elle nous semble essentielle pour apprendre à mener une analyse correcte et argumentée des planches. Au vu de leurs réactions, il semble que les élèves prennent conscience de l’importance des détails que recèlent les dessins et du pouvoir de suggestion des images.
Nous avions prévu d’organiser la suite de la lecture sous forme de classe puzzle (dispositif pédagogique particulier1), ce qui aurait permis de diviser la classe en quatre groupes. Chaque groupe travaille sur des chapitres différents du livre, puis mutualise leurs études. Mais pressés par le temps, et la rencontre avec l’autrice se rapprochant, nous nous sommes concentrés sur la préparation de cette rencontre, sous la forme d’une interview collective puis de sa restitution. Lors de la rencontre, Nadia Nakhlé a d’abord proposé de montrer, sous forme de diaporama, la façon dont elle travaille, puis, elle s’est prêtée au jeu des questions/réponses. Les élèves ont ensuite présenté à leur tour leur travail de création graphique, inspiré de son œuvre.

Création graphique (2 h)

L’album présente de nombreux poèmes aux ornementations décoratives très riches, autour du motif des oiseaux et de la musique, la plupart s’inspirent d’une œuvre poétique persane du 12e siècle de Farid-Ud Dîn-Attar, Le langage des oiseaux (parfois traduit par Le Cantique des oiseaux). Ce poème initiatique et mystique, entrecoupé de contes et d’anecdotes, est considéré comme un des ouvrages majeurs de la littérature persane. Il a été illustré par des enlumineurs et traduit dans de nombreuses langues. Nous avons donc proposé aux élèves de rédiger à leur tour de courts poèmes, en s’inspirant d’une image de leur choix extraite de l’album.
Un intervenant (professeur d’arabe) est venu animer un atelier de calligraphie arabe. Il a présenté les différents styles calligraphiques arabes, en insistant sur l’aspect figuratif que peut revêtir la calligraphie. En réalisant des entrelacs avec des mots écrits ou en utilisant la micrographie, les calligraphes parviennent à produire des images figuratives, un art qui rappelle le calligramme. Puis les élèves ont découvert quelques lettres arabes et ont écrit leur prénom (avec un modèle préparé par l’intervenant). Certains ont tenté de composer une lettrine calligraphiée pour la première lettre de leur poème. Celui-ci a ensuite été écrit en couleur argent ou doré, sur une carte noire. En vis-à-vis, figure l’image extraite de l’album. Toutes les doubles cartes réalisées par chaque élève ont été reliées ensemble pour fabriquer un recueil sous la forme d’un livre accordéon. Ce travail est présenté à l’autrice et chaque élève lit son texte. Touchée par cette production, elle prend en photo ces travaux qui s’inspirent de son album. L’ensemble sera présenté dans l’exposition finale, regroupant tous les travaux d’élèves d’Une Case en Plus.

Point de vue de l’enseignante de lettres-histoire impliquée dans le projet

« D’un premier abord, le volume du roman graphique Les oiseaux ne se retournent pas peut faire craindre une certaine répulsion chez des élèves peu lecteurs, voire en difficultés, comme ceux de 3e prépa-métiers.
Mais accompagnés pour entrer dans l’œuvre, ils franchissent le pas et se surprennent eux-mêmes à prendre plaisir au récit textuel et iconographique, à la richesse de ses détails et à son pouvoir onirique. Son caractère elliptique et sa dimension symbolique ménagent les lecteurs les plus sensibles et respectent leur degré de maturité en offrant différents niveaux de lecture. Sa dimension esthétique et son ancrage dans l’Orient aiguisent la curiosité des élèves et se prêtent à toutes sortes d’explorations culturelles et de réalisations en classe, que la variable temps peut venir alors limiter.
Une œuvre multiforme, qui peut inspirer de grands projets pédagogiques, sans compter une participation éventuelle de sa jeune autrice, attentive à éveiller une sensibilité artistique, mais aussi une conscience du monde dans lequel les élèves grandissent. »

(Hélène Delmotte, enseignante en lettres-histoire)

 

Page 138, Les Oiseaux ne se retournent pas © Delcourt, 2020

 

 

DOSSIER : 50 ans d’Intercdi, retour vers le futur

Dans le numéro double 299-300 nous fêterons le cinquantième anniversaire d’InterCDI.

À cette occasion, l’équipe de la rédaction tient tout d’abord à vous remercier de votre fidélité et revient vers vous pour solliciter vos témoignages sur le lien particulier qui vous unit à InterCDI. Faites-nous part de ce qui vous a marqué dans la vie de la revue, de votre participation à cette aventure associative, de ce qui vous a été utile dans le cadre de votre pratique professionnelle, mais également de vos souhaits pour les numéros à venir.

Ce numéro est tourné vers l’avenir. Penser l’avenir c’est s’appuyer sur le passé – « le passé est la lanterne du futur » selon les mots de Hacène Mazouz –, c’est s’ancrer dans le présent pour envisager des continuités et jeter des ponts vers ce qui n’est pas encore, ce qui peut advenir et qui est souhaitable.

Avec vous, demandons-nous ce que sera, demain, le métier de professeur documentaliste. Un enseignant à part entière, producteur de contenu pédagogique ? Un spécialiste des médias ? Un organisateur de projets ou de contenus culturels ? Le CDI du futur sera-t-il écologique ? numérique ? ludique ? en réseau ? hors les murs ?

Le CDI sera-t-il Black Mirror ou Wonderful World ?

Des bulles de silence dans le désert des bruits

« Tu fais des bulles de silence dans le désert des bruits ». Ce vers de Paul Eluard (Facile, 1935) pourrait constituer une citation intéressante à mettre en exergue au CDI pour allier Printemps des Poètes et règles de vie du lieu, en un clin d’œil poétique. Cette phrase peut également s’apparenter au fil conducteur de ce numéro d’Intercdi.
Bruit et silence, le yin et le yang de nos vies au CDI, la beauté du doux bourdonnement des élèves au travail ou du calme après la déferlante de la récréation ; l’agacement et l’agressivité des décibels qui montent lorsque l’espace est saturé de sons. Comment gérer cet éternel dilemme ? Timothée Mucchiutti s’est penché sur cette question dans sa fiche pratique, grâce à une réflexion sur l’aménagement de l’espace et sur l’éducation à la santé par la sensibilisation au bruit et à ses risques auprès des élèves.
Le silence du temps qui s’étire et qui paresse ensuite, dans l’ouverture culturelle de Sophie Dremeau qui donne un avant-goût de vacances, en proposant par exemple aux lecteurs estivaux de se mettre en scène avec le livre emprunté pour les vacances, de manière à créer une carte postale poétique exposée au CDI à la rentrée suivante. Le silence des non-dits et des secrets de famille ou a contrario le bruit des jeux d’une fratrie font également écho au thémalire de Mélanie Davos qui dresse une sélection de fictions sur la famille.
Envelopper nos existences d’un silence documentaire qui effacerait toute trace numérique, c’est ce qu’analyse Olivier Le Deuff dans son article Indexation des connaissances versus indexation des existences. Citant Colin Koopman, « le scénario est effrayant : tout le monde autour de vous est bien attaché à ses données alors que [si] vous êtes sans données, sans informations, et par conséquent vraiment sans défense, que feriez-vous de vous-même ? Que pourraient faire de vous les autres ? » Comment combiner la transparence permanente des individus indexés à l’aune des algorithmes numériques et la nécessaire classification des connaissances, au fondement même du savoir ? Pour y répondre, Olivier Le Deuff convoque la figure tutélaire de Guillaume de Baskerville (Le Nom de la Rose, U. Eco), personnage qui était « mû par l’unique désir de la vérité, et par le soupçon (…) que la vérité n’était pas ce qu’elle lui paraissait dans le moment présent ». Une définition possible de l’ÉMI, en quête d’esprit critique et de fiabilité de l’information ?
Enfin, la calme concentration du lecteur attentif alors que l’imagination galope dans son esprit ou le bruit effervescent d’une animation ludique autour du Défi Babélio : voilà de quoi nourrir nos envies d’activités de promotion de la lecture, grâce à l’article de Corinne Paris sur le désormais célèbre défi participatif. Une manne d’idées et de possibilités à explorer autour de cette sélection annuelle de romans et de BD… avant d’aller fureter dans la première librairie ouverte sur le métavers, comme le signale, entre autres pépites, la veille numérique de Gabriel Giacomotto.
Silence, on lit, on indexe, on réfléchit, on agit !

Indexation des connaissances versus indexation des existences

L’histoire de l’indexation est marquée par différentes manières de comprendre et de savoir. Nous souhaitons montrer ici que l’action d’indexer et d’organiser l’information n’est pas nécessairement liée à une volonté de rendre la connaissance accessible à tous, mais qu’elle est souvent guidée par le désir d’en savoir plus sur ce que font les individus.
Qu’est-ce qui est désormais le mieux indexé ? Les connaissances et leurs supports (ouvrages, périodiques, etc.) ou bien nos différentes activités personnelles sur les réseaux ? Les acteurs commerciaux du web se montrent plus intéressés par les secondes et déploient en conséquence des méthodes pour y parvenir.
Faut-il pour autant accepter cette intrusion dans nos vies privées ? Pour répondre à ces interrogations, nous nous proposons d’apporter un regard rétrospectif sur les processus d’indexation qui s’inscrivent depuis longtemps dans une tension entre indexation des connaissances et indexation des existences.
Les lecteurs d’InterCDI connaissent bien l’histoire de l’organisation des connaissances, ses grands acteurs et leurs réalisations, notamment en ce qui concerne les enjeux classificatoires. On songe bien entendu à Bacon, Harris, Dewey, Otlet, Ranganathan, ainsi qu’à toutes les méthodes d’indexation entre les classifications décimales, les vedettes-matière et les thésaurus.
Mais si l’organisation des connaissances a veillé à améliorer l’accessibilité informationnelle par des méthodes de classement optimisées, ses travaux et avancées ont souvent été source d’inspiration pour des motifs moins louables. Si le but premier était de classer l’information et d’organiser les connaissances pour faciliter la « retrouvabilité » (findability) et la compréhension des domaines de savoir sous des formes de type encyclopédique, les méthodes d’organisation des connaissances eurent également une influence sur la formation des esprits des individus. Cependant, ces enjeux de formation s’accompagnent également de stratégies de contrôle, ce que montre Ronald Day à propos de l’indexation :

« Je soutiens que l’indexation et l’indexation documentaire jouent un rôle majeur et croissant dans l’organisation de l’identité personnelle et sociale et de la valeur et dans la réorganisation de la vie sociale et politique. Ce phénomène a entraîné une réécriture des psychologies personnelles et sociales de la tradition occidentale des deux dernières années et modifie les notions de soi et de la personnalité, les textes et la textualité, le jugement personnel et le rôle de la critique dans la pensée et la politique. Aujourd’hui, ces fondements de la pensée des Lumières, tels que les pouvoirs naturels individuels, l’absence de surveillance et les droits de la parole, sont systématiquement dépassés et effacés avec l’aide importante de systèmes documentaires au service du pouvoir et du profit de l’État et de l’entreprise, à la fois au sein des états démocratiques et non démocratiques3 » (Day, 2014).

Le Nom de la Rose

Cette tension est parfaitement illustrée par l’opposition entre deux personnages du Nom de la Rose, le franciscain Guillaume de Baskerville et le dominicain Bernard Gui. Pour la resituer, rappelons que le héros du roman d’Umberto Eco est un détective de la période médiévale qui utilise des méthodes dignes de Sherlock Holmes et s’inscrit dans la lignée de Guillaume d’Ockham, célèbre désormais pour « le rasoir d’Ockham » qui renvoie au fait de chercher la solution la plus simple quand elle existe, ce qui signifie également qu’il n’est pas nécessaire d’inventer de nouveaux mots ou concepts quand on en dispose déjà de pertinents. Guillaume de Baskerville est un moine franciscain, ancien inquisiteur, dont la logique repose sur la recherche de la vérité des faits et dont le narrateur du Nom de la Rose, Adso de Melk, donne la description suivante :

« Alors je ne savais pas ce que frère Guillaume cherchait, et à vrai dire je ne le sais toujours pas aujourd’hui, et je présume que lui-même ne le savait pas, mû qu’il était par l’unique désir de la vérité, et par le soupçon – que je lui vis toujours nourrir – que la vérité n’était pas ce qu’elle lui paraissait dans le moment présent » (Eco, 1982).

L’inquisiteur dominicain, Bernard Gui, présente un tout autre visage que celui de Guillaume de Baskerville. C’est d’abord un personnage réel, connu pour ses missions contre les hérésies dans le sud de la France. Ce n’est pas la vérité des faits qui l’intéresse, mais la préservation du dogme. Il lui faut donc traquer tout ce qui pourrait s’en détourner et qui constituerait alors des erreurs, étymologiquement des hérésies. L’inquisiteur traque le faux pour le dénoncer et pour le condamner :

« Bernard a été pendant des années le maillet des hérétiques dans la région de Toulouse et a écrit une Practica officii inquisitionis heretice pravitatis à l’usage de tous ceux qui devront poursuivre et détruire vaudois, béguins, bougres, fraticelles et dolciniens. » (Eco, 1982).

L’opposition de style est une opposition idéologique qui explique pourquoi, actuellement, ces deux positions s’affrontent avec des méthodes parfois communes, mais des visées qui diffèrent. Le rapport à la foi de Guillaume de Baskerville et de Bernard Gui apparaît distinct. En effet, la confiance envers les autres repose sur le doute chez le franciscain, tandis qu’elle repose sur le soupçon chez le dominicain. La recherche de la vérité suppose une volonté d’absolu, voire d’éclaircissement personnel pour mieux comprendre l’univers. La méfiance vis-à-vis des autres implique une crainte envers l’avenir et la peur que des pensées autres et nouvelles viennent pervertir les représentations qui ont mis tant de temps à être construites et qui sont également l’assurance de la solidité des dogmes et des pouvoirs qui y sont associés. Si Guillaume de Baskerville ne sait pas exactement ce qu’il recherche, Bernard Gui sait parfaitement ce qu’il cherche à défendre.

Le Janus bifront de l’indexation

L’enjeu indiciaire, dont le but est de relever des indices pour éventuellement aboutir à des révélations, est essentiel dans les deux types d’indexation. La position de Guillaume de Baskerville consiste à lever le voile (étymologiquement, la révélation) pour accéder à une vérité difficile d’accès parce que les coupables ne veulent justement pas être identifiés, tandis que la position de Bernard Gui repose sur la nécessité de mettre en évidence ce qui est hors norme : l’anomalie ou l’erreur qui doit être poursuivie. Les deux culpabilités qui en résultent n’ont rien à voir l’une avec l’autre, même si elles reposent sur un travail qui consiste à accumuler des preuves.
Le travail de recherche documentaire apparaît même en opposition. À une logique indiciaire somme toute scientifique, tant il s’agit de rapporter des éléments à comparer à d’autres et à construire des hypothèses, s’oppose une logique indiciaire qui traque les éléments contraires au dogme, car l’hérésie est assimilée à une forme de virus qu’il faut éradiquer. L’éradication passant par la destruction des écrits et parfois par celle de ceux qui les ont produits.
L’indexation est ainsi un Janus bifront avec des périodes plus ou moins fastes pour l’un des deux côtés. Mais ils sont parfois difficiles à distinguer. Les bascules étant rapides entre les deux ; les progrès de l’organisation des connaissances permettant d’imaginer de nouvelles prérogatives pour l’indexation des existences.
Plusieurs épisodes de l’histoire info-documentaire illustrent bien cette tension. Un des plus emblématiques repose sur l’utilisation détournée d’un travail documentaire bibliographique d’ampleur : la bibliographie universelle compilée par Conrad Gesner (1516-1565), un véritable catalogue de ressources en langue latine, grecque, hébraïque et arabe. Conrad Gesner informe son lecteur qu’il n’a pas cherché à vérifier la véracité de tous les ouvrages recensés considérant ainsi que chacun des ouvrages présente un intérêt potentiel pour le lecteur. Ce formidable travail de recensement va être utilisé par l’inquisition quelques années plus tard pour mettre en place l’index des livres interdits, index librorum prohibitorum en 1559. Conrad Gesner est également mis à l’index dans le même mouvement, car il est calviniste. L’index ainsi produit requiert des preuves documentaires que sont les ouvrages qui sont alors lus et examinés pour être mis au ban. Ils constituent les preuves de l’hérésie. On passe ainsi en quelques années du catalogue des ouvrages potentiellement pertinents au catalogue des ouvrages ouvertement dangereux aux yeux des autorités ecclésiastiques.

Index librorum prohibitorum, 1564.

La pratique des listes de livres interdits se rencontre à plusieurs reprises. Les nazis vont ainsi établir des listes spécifiques pour mener des autodafés et pour expurger tous les travaux qu’ils jugent néfastes, notamment les ouvrages d’auteurs juifs. En France, de telles listes sont alors établies avec l’aide des collaborationnistes français en septembre 1940. C’est le cas de la liste Bernhard puis de la liste Otto4. Des saisies ont alors lieu dans les librairies et la liste s’allonge avec l’intégration d’auteurs marxistes après la rupture du pacte germano-soviétique ainsi que des auteurs britanniques et américains.
Toujours dans cette perspective de détournement bibliographique, un autre exemple à citer est magnifiquement illustré par le film sur John Edgar Hoover réalisé par Clint Eastwood (Eastwood, 2011). J. Hoover, futur dirigeant du FBI réalise une démonstration de sa vision de l’institution en montrant à sa secrétaire sa capacité à retrouver rapidement une information au sein de la Bibliothèque du Congrès. Il lui annonce alors qu’il désire procéder de même pour le FBI. C’est ainsi qu’il développe le premier fichier national des empreintes digitales. Les fiches et les fichiers prisés par les bibliothécaires et les documentalistes deviennent des instruments potentiels pour d’autres types de fichage.
Les acteurs de la documentation eux-mêmes peuvent parfois être tentés par le « côté obscur » de l’indexation. Paul Otlet, lui-même, n’y échappe pas. Il envisage ainsi d’utiliser des logiques classificatoires dans un article de 1906 intitulé « De quelques applications non bibliographiques de la classification décimale » :

« Mais en dehors des Tables de la classification bibliographique décimale, le principe même du classement décimal peut recevoir mainte application intéressante. Son emploi pour l’établissement du casier judiciaire et pour le signalement anthropométrique paraît devoir retenir spécialement l’attention. On n’ignore pas l’importance qu’a prise l’identification des délinquants : elle permet de reconstituer leur histoire en dehors de leurs propres allégations ; elle rend vaine toute tentative de dissimulation de nom ; elle ne fait plus la police tributaire d’un simple interrogatoire. On sait qu’en France, M. Bertillon a attaché son nom à un système d’identification basé sur des mensurations et des caractères physiques : on mesure, par exemple, la taille, l’envergure des bras, la longueur de l’index ; on note les dimensions crâniennes, la couleur de l’iris, etc. Ces bases objectives échappent au mensonge.
La méthode consiste à attribuer à chaque individu anthropométré (délinquants, conscrits, etc.) un numéro classificateur basé sur les éléments récognitifs les plus caractéristiques de leur personne physique et inscrits en quelque sorte dans leurs organes. On pourra toujours retrouver ensuite, sous le même nombre classificateur, dont les éléments de formation sont invariables, tous les documents (photographies, pièces, rapports, etc.) ayant trait à un même individu. » (Otlet, 1906, p. 96).

Paul Otlet envisage les moyens de caractériser un individu de façon unique, non sans prendre appui sur des théories anthropométriques dont les présupposés racistes et les fondements guère scientifiques ont été plusieurs fois démontrés depuis.
On pourrait citer d’autres types de détournement comme les travaux bibliométriques et scientométriques dont le but est d’abord de comprendre la science telle qu’elle se fait, et qui peu à peu est devenue synonyme de classement et de gestion managériale de la science. C’est l’usage détourné de la scientométrie qui mérite d’être discuté, pas la scientométrie elle-même. Il en va de même pour l’indexation qui demeure essentielle et nécessaire, tout comme les métadonnées.

Faut-il lutter contre l’indexation ?

Les risques ainsi décrits, faut-il alors considérer que l’indexation serait potentiellement néfaste au point d’envisager de l’interdire ou tout au moins de la limiter ? Faut-il casser alors les systèmes d’indexation ? L’expansion des métadonnées et des dispositifs de production d’indexation des activités personnelles s’observe sur la plupart des sites et dispositifs en ligne, au point d’ailleurs qu’on constate également que des prérogatives « régaliennes » se banalisent. Des sociétés privées du web parviennent de plus en plus à procéder à des contrôles d’identité comme c’est le cas parfois sur Facebook ou Google, notamment quand il s’agit de récupérer un compte à la suite d’une usurpation d’identité, ou, plus fréquemment, sur Airbnb qui souhaite vérifier l’identité de ses clients pour se prémunir contre des abus. Il reste qu’on ne sait pas toujours quels sont les vérificateurs, et ce d’autant plus que parfois le contrôle s’exercerait par des systèmes de vérifications algorithmiques, notamment quand il s’agit de comparer la photo de la pièce d’identité avec celle de la webcam. Il est probable que ces données sont en fait vérifiées par des tiers fort mal payés à l’autre bout de la planète. Le vol de données est alors une crainte légitime et ce, d’autant que les indexations en tout genre prolifèrent, notamment en matière de données de santé. Comment se prémunir contre le fait que les données de type ADN finissent par transiter d’entreprise en entreprise au point de se voir refuser un prêt ?
Cependant, s’il faut clairement développer des stratégies de prudence, de méfiance, voire de résistance, il semble qu’il faille également préserver l’essence des processus documentaires et des enjeux organisationnels, notamment en considérant que le travail d’indexation des personnes peut s’avérer également bénéfique pour les individus, car il s’agit aussi de pouvoir leur accorder des droits. Faire disparaître totalement ces processus revient au final à considérer que l’identité devient volatile, qu’il n’existe plus de nationalité, de reconnaissance associée :

« Que se passerait-il si vous perdiez définitivement l’accès à toutes vos données d’un seul coup ! Au-delà du simple vol d’identité ou de l’égarement des données, imaginez un scénario de suppression permanente des données personnelles. Cette perspective, une fois réfléchie, est vraiment effrayante. Que feriez-vous si vous deviez, d’une manière ou d’une autre, vous détacher définitivement de toutes vos données personnelles ! Que feriez-vous si vous deveniez d’une manière ou d’une autre définitivement non reconnue par tous les systèmes de données ! C’est précisément ce que la personne informationnelle redoute le plus : l’effacement permanent et irréversible de la totalité de ses informations personnelles et donc de son identité informationnelle. Pas de permis de conduire, pas de passeport, pas de numéro de compte bancaire, pas de rapport de crédit, pas de relevé de notes d’université, pas de contrat de travail, pas de carte d’assurance médicale, pas de dossier médical et, au fond, pas de certificat de naissance enregistré. Le scénario est effrayant : tout le monde autour de vous est bien attaché à ses données alors que vous êtes sans données, sans informations, et par conséquent vraiment sans défense. Que feriez-vous de vous-même ! Que pourraient faire de vous les autres ! Que pourrait faire la bureaucratie lorsque vous lui faites part de votre détresse, étant donné qu’aucune bureaucratie ne peut traiter un sujet autrement que par ses informations !5 » (Koopman, 2019, p. 4)

La recherche de l’équilibre

Une position équilibrée apparaît ici nécessaire en plaidant pour une éthique de l’indexation qui repose sur des décisions politiques plutôt que sur des stratégies d’ethics washing.
L’enjeu est aussi de plaider pour un renouveau de l’organisation des connaissances qui a toujours été un domaine d’innovation et d’exploration, mais qui s’avère actuellement dominé en la matière par les recherches au niveau de l’indexation de nos activités privées et personnelles à des fins marketing ou policières. Le couplage des index et des algorithmes permet à des catalogues comme ceux d’Amazon ou de Netflix d’anticiper au mieux les besoins des usagers en privilégiant des logiques qui sont celles d’une « économie de la jouissance » qui est éloignée des formes pensées pour accéder à la connaissance.
Comment réinjecter de l’innovation et un intérêt grandissant au profit d’une écologie de la raison ! On espère apporter quelques solutions dans les prochaines années aux lecteurs d’InterCDI.
L’indexation n’est pas le territoire réservé des professionnels de l’information, comme les questions algorithmiques ne concernent pas seulement les informaticiens et les mathématiciens. Cela implique de nouvelles formes de collaborations et de recherche-développement pour que les instruments de l’indexation et de l’algorithmique ouvrent des potentialités classificatoires et de nouveaux moyens de manipulation de l’information à des fins intellectuelles.
Guillaume de Baskerville n’a pas dit son dernier mot.