Au sein du collège Lucie Aubrac de Tourcoing, la participation des élèves n’est pas qu’un vœu pieux, c’est même une dimension inscrite au cœur du projet d’établissement à travers une Charte du Vivre-Ensemble. Pour comprendre la priorité donnée à cet axe, il faut remonter à la création de ce collège, fruit de la fusion de deux établissements d’éducation prioritaire. À cette époque le nouvel établissement pâtit de la mauvaise réputation des « fusionnants », à juste titre car le climat scolaire ne cesse de se dégrader.
Face à ce constat, et dans la perspective d’intégrer des locaux flambant neufs dans les meilleures conditions, la communauté éducative s’est mise au travail pendant deux ans pour établir un projet d’établissement, à partir d’un long travail d’audit organisé et porté en interne. De ce diagnostic partagé est apparue la nécessité d’inscrire la participation active des élèves au cœur de la Charte du Vivre Ensemble. C’était le principal levier repéré pour améliorer le climat scolaire et répondre à la problématique de décrochage scolaire. Et pour que cette volonté ne reste pas à l’état de belles intentions inscrites sur un papier, nous avons pris le temps de réfléchir, instance par instance, espace par espace, à la concrétisation de cette priorité.
De nombreuses évolutions sont nées de ce travail collectif dans une démarche systémique : la création d’une Maison des Collégiens (nous y reviendrons), d’un conseil consultatif, véritable organe d’échange sur des questions qui concernent directement les élèves et sur lesquelles nous leur reconnaissons une expertise. Nous avons également mis en place un dispositif de médiation par les pairs qui consiste à former des élèves à la résolution des conflits pour qu’ils interviennent auprès de leurs camarades en cas de besoin (des élèves peuvent solliciter une médiation comme alternative à une prise en charge de leur conflit par les adultes). C’est également dans cette dynamique que nous avons créé les premières classes ateliers. Ces classes s’inspirent largement des pratiques de pédagogies coopératives dans lesquelles on favorise l’entraide, la responsabilisation et l’autonomie. Ces pratiques sont également celles que nous essayons de privilégier au sein du CDI aussi souvent que possible, les pratiques info-documentaires et la modularité de l’espace s’y prêtent bien.
Sous la houlette du professeur documentaliste, un collectif composé d’élèves, de collègues et de parents a réfléchi aux changements à apporter au CDI et aux modalités de participation active des élèves.
La première étape de cette démarche de co-construction a consisté à redéfinir les espaces au sein du CDI. Avec le groupe de travail, nous avons décidé de créer une ludothèque. Cet espace répondait à la fois au désir de vivre des moments de plaisir et de coopération inscrit dans la charte mais aussi à la nécessité d’inventer des nouvelles modalités d’être et de faire ensemble. La pratique ludique que nous expérimentons maintenant depuis cinq ans s’avère un levier très intéressant pour le développement des compétences psycho-sociales et l’amélioration du climat scolaire. À travers la pratique du jeu de société traditionnel les élèves apprennent à être ensemble, à communiquer, à se respecter et à respecter des règles. Le jeu permet également le développement de compétences diverses : anticiper, décrire, planifier, mémoriser… la liste est longue. Nous constatons à quel point cette pratique s’avère vite spontanée chez des adolescents naturellement joueurs. C’est aussi une réponse pertinente pour lutter contre l’omniprésence des écrans dans la vie des élèves.
L’autre espace proposé par les élèves a été le Fab-Lab dénommé « Espace Bidouille ». Pour être en cohérence avec nos priorités, nous avons décidé que cet espace serait géré par une Junior Association (voir encadré). Depuis 6 ans nous avions, au sein du collège, la pratique de ces associations gérées par des élèves pour concrétiser des projets. Chaque année, en octobre, au cours de la Semaine de la démocratie scolaire nous présentons le dispositif des Juniors Associations. Jusque-là elles étaient créées à l’initiative des élèves qui se manifestent spontanément pour créer des projets autour de leurs sujets de préoccupations : la solidarité avec un cousin handicapé ou un frère atteint d’une maladie rare, la volonté d’aider les Restos du cœur, de soutenir des personnes âgées ou encore la sensibilisation aux animaux. Au total nous sommes chaque année le berceau de 4 à 6 Juniors Associations et le Foyer Socio-éducatif met à leur disposition un volontaire en Service Civique recruté pour soutenir les pratiques de citoyenneté active. Pour la première fois une Junior Association allait s’occuper d’un espace (nous avons fait le même choix pour la Maison des Collégiens). Cette responsabilité comprend la gestion du matériel, la formation par les pairs (robotique, impression 3D, modélisation…) et l’animation du lieu. L’espace Bidouille est celui du « faire ensemble ». Lieu de création, de co-construction, de partage, de projet, il attire prioritairement des élèves ayant une forme d’intelligence peu reconnue et valorisée au sein de l’institution scolaire. La « bidouille » repose sur la mise en projet des élèves et sur une pédagogie du « learning by doing » assez éloignée des formes d’enseignement traditionnelles. Un matériel de base est mis à disposition des élèves : une imprimante 3D d’entrée de gamme, quelques petits outils, des cartes makey-makey, deux postes informatiques, mais aussi des vieux ordinateurs, des claviers usagés… et autres « vieilleries » qu’ils ont le droit de démonter pour essayer de comprendre « comment ça marche ? ».
Les élèves se sont très vite approprié l’espace. Il a été décoré par une des élèves de la Junior Association « Brico’brac » en reprenant les codes du sketchnote après un temps de réflexion collectif sur les usages possibles du lieu. Les élèves membres de la Junior Association bénéficient chaque semaine d’une heure de formation active par un intervenant extérieur de l’association Upcycle Commons dans le cadre d’une convention rémunérée grâce à une aide du département. Grâce à cette formation, ils sont en capacité de former d’autres élèves à leur tour. Ces élèves, qui pour la plupart n’étaient pas reconnus comme des élèves scolaires se retrouvent donc en position de transmettre et d’expliquer à leurs pairs. Cette reconnaissance a un impact fort sur l’estime de soi.
Au sein de la Junior Association qui compte une dizaine de membres de la 6e à la 3e les élèves ont commencé par définir les rôles de chacun. Outre le président qui a pour fonction « la représentation de la Junior Association auprès des adultes du collège et des partenaires » les élèves se sont positionnés pour devenir « trésorier », « secrétaire », « responsable matériel » ou encore pour devenir référent de tel ou tel projet. Avec l’intervenant extérieur, ils ont rédigé une charte de fonctionnement interne en se basant sur celle proposée par le MIT2. Cette charte définit aussi bien les responsabilités collectives : sécurité, fonctionnement, matériel… que l’état d’esprit qui doit régner dans ce lieu : partage des connaissances, entraide,… Avec le volontaire en Service Civique, ils ont mis en place une organisation du lieu, ils ont réfléchi au rangement du matériel et à la mise à disposition des ressources et des tutoriels en créant un petit site Intranet. Ensemble ils ont également défini un mode de fonctionnement par services et par groupes de projet. Les élèves se voient au minimum une fois par semaine mais peuvent organiser des réunions supplémentaires quand cela s’avère nécessaire pour prendre des décisions ou organiser des évènements. En tant qu’enseignant documentaliste mon rôle « officiel » est limité, on me demande d’être un facilitateur mais l’intérêt va bien au-delà. En occupant un espace du CDI les élèves développent une offre complémentaire de celles qui existaient. Quand ils mettent à disposition des ressources, ils enrichissent d’une certaine manière le fonds documentaire. Leur action facilite également le partenariat avec certains enseignants notamment en mathématiques et en technologie.
L’an passé les élèves ont tenu à fusionner pendant un temps le club jeux de société et la Junior Association Brico’brac pour se lancer dans la création d’un jeu utilisant les techniques de la bidouille. La Junior Association a présenté son idée lors d’un appel à projets de la municipalité et elle a remporté le premier prix de sa catégorie. Cet accès à des subventionnements ou le recours à des actions d’auto-financement est un autre aspect intéressant de ce modèle de structuration de projet.
Une autre Junior Association occupe le CDI, il s’agit de « yoLAu », le groupe de rédaction du webzine du même nom (www.yolau.com). Outre les bénéfices évidents en termes de responsabilisation, d’autonomie et d’émancipation, cette organisation en association facilite grandement l’organisation des sorties en reportage qui ont souvent lieu hors temps scolaire. La Junior Association bénéficie d’une assurance qui couvre ses activités, il est donc possible pour les collégiens de s’organiser et mener des actions pendant leur temps libre. Cette démarche leur offre donc à la fois une grande souplesse et une vraie sécurité.
Comme pour Brico’brac les élèves se répartissent des responsabilités au sein du collectif ce qui leur permet de développer de nombreuses compétences. Ces responsabilités les amènent à être en lien direct avec la direction de l’établissement, à gérer un budget, à planifier et organiser une sortie en reportage… Elle permet surtout d’impliquer chacun dans la réussite du projet, étant bien entendu avec les élèves au début de leur projet que des adultes seront disponibles pour aider, tutorer, accompagner mais qu’aucun ne se substituera aux prérogatives des jeunes. Ce contrat est à la base du fonctionnement en Junior Association. Il permet de baser la relation sur un postulat de confiance et de bienveillance.
Le FSE, dans cette dynamique d’établissement, a également ouvert son bureau associatif, à parité, à des élèves volontaires. C’est d’ailleurs le FSE qui soutient la création des Juniors Associations et qui s’acquitte des frais de dossier (15 €) dus au Réseau National des Juniors Associations (frais qui comprennent leur assurance). Les Juniors Associations peuvent également bénéficier d’un compte en banque et ainsi, apprendre à gérer leur trésorerie.
Les autres Juniors Associations de l’établissement fréquentent souvent le CDI notamment pour des recherches documentaires. C’est le cas par exemple des « Cuistots du Cœur » qui viennent trouver des recettes ou des « Explorateurs de l’Engagement3 » qui préparent leurs mobilités européennes et peaufinent leur démarche d’enquête (voir encadré). À travers ce mode de fonctionnement en associations de jeunes, les élèves vivent une expérience formatrice qui donne des outils et souvent la motivation pour envisager de poursuivre dans un parcours d’engagement plus durable. C’est aussi un levier efficace pour l’exercice d’une citoyenneté active tout en étant un temps de découverte et d’apprentissage.
La démarche d’engagement au sein des Juniors Associations s’inscrit pleinement dans la mise en œuvre de l’EMC et du Parcours Citoyen qui visent à développer chez les élèves, outre la citoyenneté, le sens de l’engagement. Des compétences du Socle peuvent être validées grâce à ce dispositif et des élèves de 3e peuvent choisir de passer leur oral du DNB sur leur Parcours Citoyen en prenant appui sur une expérience de vie associative. L’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI) est également régulièrement convoquée notamment dans le développement de compétences visant à rendre compte des activités associatives à travers le webzine de l’établissement ou via des sites Internet propres aux différents projets.
Le développement au sein de l’établissement d’une culture de la participation basée sur la confiance et la responsabilisation permet aux jeunes qui le désirent de concrétiser leur volonté d’engagement et de participation active. Cela libère indéniablement leur pouvoir d’initiative et d’action. Pour l’établissement cela influe sur le climat scolaire. Cela facilite aussi grandement l’ouverture de l’établissement sur son territoire et les interactions avec différents partenaires (collectivités, associations, institutions.)… Même si cela ne constitue en rien une méthode miracle et ne concerne pas encore assez d’élèves, c’est assurément une voie à explorer. Cette dynamique trouve naturellement sa place au sein du CDI qui est ce tiers lieu, espace d’apprentissage, de créativité et de liberté où doit pouvoir s’exprimer la curiosité et l’envie d’agir des élèves. Le professeur documentaliste s’y trouve conforté dans sa mission d’enseignant à travers la transmission de connaissances et de compétences en EMI et en EMC notamment et dans sa contribution « à l’éducation culturelle, sociale et citoyenne de l’élève4 ».
Nous le constatons chaque année, les jeunes fourmillent d’idées, de passions, qui peuvent se concrétiser dans des projets et des réalisations si on les accompagne sans les instrumentaliser et si on leur laisse des espaces et du temps. Les projets mis en œuvre n’aboutissent pas tous, ils ne sont pas exempts de difficultés et quelques fois d’échecs, mais c’est une école de l’autonomie, de la persévérance, de la responsabilité et de l’émancipation qui a peu d’équivalents et qui est pourtant vitale pour la démocratie.