Le numérique sauvera-t-il la lecture chez les jeunes ?

Concentrant symboliquement les valeurs de la culture et du savoir, la lecture occupe de longue date une position centrale dans les politiques culturelles, éducatives voire civiques, par une série d’implicites qui placent sous le sceau de l’équivalence les notions de culture et de construction de la citoyenneté, de culture humaniste et de littérature, de patrimoine commun et de lien social. Dans les années 80, les travaux psychanalytiques, repris plus largement par les sciences sociales (Petit, 2002), ont ajouté à cette centralité l’affirmation selon laquelle la lecture de livre était un besoin fondamental et psychiquement structurant, doctrine largement diffusée dans les institutions culturelles et éducatives. Cette centralité tranche – tout en permettant d’en donner la mesure – avec les diagnostics alarmistes qui se sont multipliés depuis le tournant des années 1990 concernant les évolutions générationnelles des rapports à la lecture, qui venaient faire écho aux discours portant sur les rétrovolutions et le retour des anti-lumières (Amselle, 2010 ; Sternhell, 2006)1.
Dans ce contexte, la révolution numérique a soufflé un vent d’optimisme (Mercier, Boisson et Leray, 2024). La numérisation des loisirs, en rendant les contenus culturels accessibles plus facilement et dans toutes les situations (ou presque), a en effet permis un accroissement des formes de participation culturelle, en particulier (mais pas seulement) des jeunes, comme on l’a vu notamment durant le confinement (Jonchery et Lombardo, 2020). Le numérique a favorisé la diffusion des pratiques en amateur des jeunes – les plateformes d’écriture se sont multipliées comme Wattpad, Narrer, Scribay, De plume en plume, etc. (Montgenot et Cordier, 2023) – tandis que les médiations du livre étaient également prises en charge par des amateurs sur les réseaux socio-numériques comme booktube, BookTok et Bookstagram (Parmentier, 2022). Ainsi avec le numérique, les frontières, autrefois étanches, entre création, médiation et consommation se sont brouillées et des activités autrefois étrangères les unes aux autres, sont devenues connexes (Flichy, 2010).

Ces transformations ont nourri une croyance en la puissance « immanente » du numérique : celui-ci serait capable d’attirer à lui des jeunes qui se détournaient de la lecture de livre et de presse sur support papier, par la (seule) vertu spontanée de leur penchant « naturel » pour les technologies et de leur attachement « unanime » aux outils numériques, smartphone en tête. Autrement dit : la lecture numérique sauverait la lecture d’une distance croissante et irréversible des jeunes par rapport aux lectures sur papier, notamment de livres. Qu’en est-il vraiment ?

Les paradoxes de l’optimisme technologique

Notons que l’optimisme technologique qui préside parfois aux discours portant sur les lectures numériques n’est pas sans paradoxe. D’abord, parce que ces derniers se développent en parallèle de la diffusion de normes éducatives visant au contraire à tenir les enfants éloignés des écrans numériques2. Ensuite, parce que la multiplication de l’offre de lectures et plus largement de loisirs (notamment numériques) crée les conditions d’une concurrence accrue entre les pratiques de loisirs, avec différentes logiques de temps affectées aux diverses activités (temps individuel/collectif, calme/actif, etc.) et avec des bénéfices de nature différente qui en sont retirés (cohésion de groupe, moment de rêverie, apprentissage, etc.).

Cette concurrence accrue entre pratiques de loisirs s’accompagne d’une mutation de la lecture elle-même dans l’écosystème culturel en régime numérique (Garcia, Jonchery, Octobre, à paraitre 2025 ; Berry, Jonchery, Louguet, à paraître 2026). D’abord, dans la fiction comme dans l’information, les formats brefs et/ou sériels se sont multipliés : on est bien loin de l’étalon romanesque qui pourtant continue de marquer (implicitement) les diagnostics pessimistes sur l’évolution de la lecture chez les jeunes. Ensuite, les succès lectoraux d’aujourd’hui n’ont pas un lien évident avec la constitution d’une « culture générale », comme en atteste par exemple la ferveur qui entoure la Dark Romance, pas plus qu’ils n’ont de lien évident avec la formation du citoyen éclairé, comme en témoigne l’attraction exercée par la presse people. Enfin, la puissance du transmédia, y compris numérique, a été fortement exploitée au sein des industries culturelles, altérant la prééminence de la forme écrite sur les formes audiovisuelles en termes de légitimité culturelle comme de diffusion d’un accès aux contenus fictionnels ou informatifs : les lectures « stars » sont connues, plus souvent qu’autrefois, grâce à leurs adaptations cinématographiques, quand elles n’en sont pas tout bonnement issues, et la presse se lit largement via ses reprises sur les réseaux sociaux et accompagnées de vidéos.

La lecture en baisse

Depuis plusieurs décennies, de nombreuses enquêtes attestent de la baisse tendancielle de la lecture chez les jeunes, notamment de la lecture de livres. Christine Détrez (1998) a montré, à travers une enquête qualitative longitudinale auprès de collégiens et de lycéens, que les garçons bons élèves, traditionnellement proches du pôle de la lecture (papier), étaient de moins en moins forts lecteurs de livres. De leur côté, François Dumontier, François de Singly et Claude Thélot, analysant les résultats des enquêtes Loisirs 1967 et 1987-1988 de l’INSEE, signalaient que « pratiquement tous les étudiants de 1967 lisaient au moins un livre par mois alors qu’ils n’étaient plus que deux sur trois dans ce cas en 1987, tandis que les trois quarts d’entre eux étaient de gros lecteurs (au moins trois livres par mois) contre seulement un tiers vingt ans plus tard » (Dumontier, Singly, Thélot, 1990, p. 65). D’autres travaux signalaient que, parmi les activités de loisirs préférées des collégiens, la lecture de livres paraissait déclassée, car même chez les enfants des catégories supposément lectrices (cadres, professions intellectuelles, etc.), les livres étaient supplantés par les bandes dessinées et la vie de groupe prenait le pas sur les activités méditatives et solitaires (Singly, 1993). Bernard Lahire (2002) a également observé cette distanciation à l’égard du livre chez les étudiants supposés être de forts lecteurs du fait de leur présence durable dans le système éducatif, matrice socialisatrice au livre. En outre, l’analyse générationnelle menée par Olivier Donnat (2011) sur les données de l’enquête Pratiques culturelles, confortée par Philippe Lombardo et Loup Wolff (2020) quelques années plus tard, a démontré que la part des très forts lecteurs de livres (qui en lisent plus de 20 par an) ainsi que la part des lecteurs de presse baissaient alors même que l’accès au livre et à la presse s’était généralisé, que ce soit au domicile ou dans les équipements dédiés (bibliothèque, librairie, etc.), et que le niveau de scolarisation avait lui aussi fortement augmenté. Cette baisse affecte particulièrement, selon ces auteurs, les jeunes générations, victimes de deux effets : un effet de génération négatif (qui fait que chaque génération arrive avec un niveau de lecture moins élevé que la génération précédente) et un effet d’âge négatif (les âges scolaires/universitaires sont plus propices à la lecture que les âges ultérieurs, plus soumis à des contraintes temporelles – professionnelles et familiales – puis à des empêchements physiques – baisse de la vue, etc.). Enfin, plus récemment, l’enquête portée par le Centre national du Livre sur les rapports à la lecture des 7-19 ans (Mercier, Boisson et Leray, 2024) indiquait que les lectures contraintes de ces derniers (c’est-à-dire les lectures liées à la formation ou à l’emploi) baissaient de même que leurs lectures loisir, alimentant une nouvelle fois l’hypothèse d’une mise en danger de la lecture sous les coups de butoir des écrans, auxquels ces jeunes consacrent bien plus de temps (11 minutes par jour à la lecture, contre 3 h 11 aux écrans selon cette enquête).

L’examen attentif des résultats de l’enquête Pratiques culturelles de 2018 ne contredit pas ces constats, bien au contraire. Ces derniers indiquent sans conteste que les jeunes de 15-24 ans lisent différemment de leurs aînés, en volume, en nature et en modalité (tableau 1). Si la lecture de livres reste présente dans leurs agendas culturels, notamment du fait de leur proximité avec le monde scolaire, les jeunes se distinguent surtout de l’ensemble de la population en étant moins lecteurs de presse et nettement plus lecteurs de BD, comics, mangas : près de 6 sur 10 lisent des livres (soit 3 points de moins que la moyenne de la population), un peu plus de 4 sur 10 privilégient la presse pour se tenir informés (- 7 points par rapport à la moyenne) et près de 4 sur 10 lisent des BD, comics, mangas (+ 17 points par rapport à la moyenne). Par ailleurs, ils sont dans l’ensemble des lecteurs de livres moins investis – ils sont moins nombreux que la moyenne à avoir lu plus de 20 livres au cours des douze derniers mois (– 4 points), moins nombreux à en avoir lu entre 10 et 19 (– 3 points) et, parmi ceux qui se considèrent comme lecteurs, ils sont moins nombreux que la moyenne de la population à en avoir lu quotidiennement (– 14 points, soit deux fois moins). À rebours, ils sont des lecteurs de BD, mangas et comics plus investis (+ 9 points pour ceux qui en ont lu plus de 10 en un an).

Tableau 1 : Les pratiques de lecture (en %)

Champ : Personnes âgées de 15 ans et plus vivant en ménages ordinaires. France métropolitaine.
Source : enquête sur les pratiques culturelles 2018, France métropolitaine, DEPS
Note de lecture : En 2018, 59 % des 15-24 ans ont lu au moins un livre au cours des 12 derniers mois, ce taux est de 62 % pour l’ensemble de la population

Entre cultures juvéniles et cultures scolaires : quelle place pour la lecture ?

Pour comprendre l’évolution de la place de la lecture chez les jeunes, il faut revenir aux conditions de socialisation de la jeunesse qui façonnent leur rapport à la culture, lesquelles s’appréhendent au croisement de deux univers en tension : celui des cultures juvéniles et celui de la culture scolaire (ou celui des références culturelles des jeunes et celui de la culture générale (Houdé, 2024)). En effet, la place de la lecture dans les loisirs des jeunes est affectée par l’importance, croissante au fil des générations, des univers médiatiques et numériques, notamment parce que ces derniers prennent en charge les fonctions fictionnelles et informationnelles, autrefois monopoles du livre et de la presse. D’un côté, les produits audiovisuels comme les séries télé nourrissent une grande part du rapport à la fiction des jeunes, et sont des pourvoyeurs de références communes inter- et intra-générationnelles (Glevarec, 2012) ; de l’autre, les vidéos scientifiques, les chaines Youtube spécialisées (en sciences, en histoire, en philosophie…) ou encore les sources collaboratives (Wikipédia en tête) sont devenues un mode central d’accès au savoir chez les jeunes, y compris sous des formes participatives (Perronnet, 2022).

En outre, en matière de lecture comme dans d’autres registres, l’autonomie des cultures juvéniles par rapport aux prescriptions culturelles, prescriptions scolaires en tête (Mercier, Boisson et Leray, 2024), n’a fait que croître depuis que les cultures juvéniles se développent de plus en plus tôt dans la vie de l’enfant (Berthomier et Octobre, 2025), à la fois comme espace d’une autonomie négociée en famille et comme lieu de construction de soi (Glevarec, 2009 ; Corsaro, 2010) et que les médias, notamment participatifs, y ont pris une place majeure. Ainsi, si l’école et l’université façonnent toujours un univers culturel prescriptif promouvant un rapport au livre « de qualité », ainsi qu’un mode de lecture (analytique, concentrée, silencieuse et continue), ce modèle est mis en difficulté face à l’hétérogénéité des profils des élèves et de leurs cultures familiales, mais aussi face à la concurrence de l’audiovisuel, dans le rapport à la fiction comme au savoir. Mais il n’en va pas seulement de l’affaiblissement de la prescription scolaire : les prescriptions familiales ont également changé, depuis que les parents d’aujourd’hui, enfants des cultures médiatiques d’hier, sont déjà moins lecteurs que leurs prédécesseurs. Si la socialisation familiale au livre fait bien partie de la « bonne volonté culturelle », largement soutenue par les normes éducatives, celle-ci est très diversement appropriée selon les familles (Berthomier et Octobre, 2018, 2019 et 2020).

Les transformations liées au numérique

Cette autonomisation des cultures juvéniles, marquée par le sceau du numérique, ne doit pas faire croire que la numérisation des pratiques est uniforme. Ainsi, les résultats de l’enquête Pratiques culturelles 2018 indiquent que, bien qu’ils soient nés dans l’univers du « tout numérique » (Lombardo et Wolff, 2020), les jeunes n’entrent pas dans la lecture via le numérique (liseuse, tablette). Le numérique ne prend en effet qu’une part minime dans la lecture de livre, à l’image de celle prise dans l’ensemble de la population (parmi ceux qui se considèrent comme lecteurs de livres et qui ont lu des livres au cours des 12 derniers mois, qu’il s’agisse de jeunes ou pas, un peu plus d’1 sur 10 lit en format numérique) : dans le domaine du livre, le papier reste la norme. Plus qu’une substitution, on observe des effets de cumul en matière de lecture de livres entre papier et numérique : 84 % des jeunes lecteurs de livres numériques en lisent aussi sur papier (ce qui correspond également au niveau moyen dans la population totale). Les jeunes ne développent donc pas un rapport spécifique ni particulièrement favorable au livre numérique.

Les transformations liées au numérique dans les jeunes générations sont plus nettes en revanche s’agissant de la lecture de presse : dans l’ensemble, près de 4 jeunes sur 10 lisent la presse numérique (+ 7 points par rapport à la moyenne de la population), la lecture informationnelle tirant le meilleur parti des possibilités d’interactivité du numérique, dont les jeunes sont friands. De plus, une substitution numérique/papier semble s’opérer chez les jeunes pour la lecture informationnelle de presse, ce qui est moins le cas chez les plus âgés : 82 % des jeunes qui lisent la presse numérique ne lisent pas de presse papier (contre 73 % dans l’ensemble de la population). À cette substitution papier/numérique s’ajoute aussi un passage du payant au gratuit, puisque près de 4 jeunes sur 10 lisent la presse gratuite (+ 9 points de plus que la moyenne).

L’acte de lire est également transformé par le numérique : les lectures numériques renforcent la part des lectures « segmentées » (non linéaires, usant de liens hypertextes, en situation de polyactivité ou encore en mobilité), dont les formes peuvent être brèves, cursives, discontinues, etc. Pourtant, elles ne sont en rien des « pseudo-lectures » que l’on pourrait opposer terme à terme aux « vraies lectures », dont le modèle étalon serait la lecture de livre papier (des lectures lentes, attentives, approfondies, etc.). Dans les faits, certaines lectures numériques sont tout aussi minutieuses que les lectures papier, les lectures de livres ne correspondent pas toutes, loin de là, à la représentation implicite d’une lecture analytique, concentrée, continue et solitaire, et les lectures numériques développent des fonctionnalités « actives », absentes du support papier, qui reconfigurent l’acte de lire (Mauger, 2020). Par ailleurs, les pratiques d’écriture se sont démocratisées, créant leur propre lectorat numérique et leur discours amateur/expert. Cette réalité protéiforme, où le numérique s’est invité sous de multiples aspects (production, diffusion, réception), invite à déconstruire les implicites relatifs à la « bonne lecture » (la manière de lire), au « bon texte » (la qualité esthétique du texte) ou encore au « bon usage des lectures » (à vocation intellectuelle, émancipatrice, ou d’élévation morale et excluant a priori les lectures plaisirs, légères, ayant comme fin de « se faire du bien » (Lévy, 2015)).

Lire oui, mais quoi ?

Si les rapports au livre des jeunes se distinguent de ceux du reste de la population, ce n’est pas seulement en termes de rôle, de positionnement dans les univers culturels ou encore de support (numérique versus papier) mais également en matière de goûts (graphique 1). On l’a dit, les plus jeunes privilégient nettement la BD (près de la moitié d’entre eux en lit, soit 18 points de plus que la moyenne dans l’ensemble de la population) et les mangas (lus par plus d’un tiers d’entre eux ; + 25 points) et les comics (lus par un quart, + 15 points). En matière de romans, les jeunes qui se déclarent lecteurs sont particulièrement friands de science-fiction, de fantastique ou de fantasy, ensemble de catégories de livres qui rassemble plus de 4 sur 10 d’entre eux (soit + 21 points, soit le double de la moyenne), ainsi que d’œuvres de la littérature française ou étrangère, notamment sous l’impulsion des injonctions scolaires et universitaires, qu’un tiers d’entre eux lit (soit + 8 points que la moyenne). Leurs lectures de livres les mènent aussi vers les romans policiers ou d’espionnage, que plus d’un tiers lisent (ce qui les situe à un niveau inférieur à l’ensemble de la population : – 6 points). Leur rapport à l’actualité ou aux questions de société passe également par le livre mais moins que pour leurs aînés (un dixième d’entre eux lit des livres portant sur ces sujets, soit – 10 points que la moyenne de la population) tout comme leur rapport à l’histoire : ils lisent moins de romans historiques ou de biographies romancées que la moyenne (- 7 points à chaque fois). Ils sont également moins intéressés que la moyenne par la vie propre du champ littéraire, puisqu’ils lisent moins de romans contemporains (parmi ceux qui se déclarent lecteurs, 1 jeune sur 6 en lit, soit – 11 points) ou de prix littéraires (1 sur 10 en lit, soit – 10 points).

Graphique 1 : Genres de livres lus par les jeunes (en %)

Champ : Personnes âgées de 15 ans et plus qui se déclarent lecteurs, vivant en ménages ordinaires. France métropolitaine.
Source : enquête sur les pratiques culturelles 2018, France métropolitaine, DEPS
Note de lecture : quarante huit pour cent des jeunes de 15 à 24 ans déclarent lire des BD, ce taux est de 30 % pour l’ensemble des 15 ans et plus.

La réalité de la lecture de presse n’est pas moins diverse puisque les centres d’intérêt des jeunes les portent vers des sujets distincts de l’ensemble de la population (graphique 2) : si plus de 6 jeunes de 15-24 ans sur 10 lisent la presse d’abord pour y chercher des informations politiques ou sur la société, et un peu plus de 4 sur 10 pour y chercher des informations sur l’économie, c’est moins que dans l’ensemble de la population (respectivement – 12, – 8 points et – 11 points). Leur jeune âge fait également qu’ils s’intéressent moins que la moyenne aux questions de santé, plutôt liées au vieillissement (questions qui attirent plus d’un tiers d’entre eux, soit – 15 points), mais également aux sujets liés à la vie familiale, comme la cuisine (sujet qui intéresse un quart d’entre eux, soit – 13 points) ou bien encore aux enfants et à l’éducation (sujet qui intéresse un peu plus d’un cinquième d’entre eux, soit – 7 points), ou aux voyages (ce sujet intéresse moins d’un tiers des jeunes, soit -7 points). Dans ce dernier cas, notons que c’est sans doute le support presse qui est en cause, les blogs, Instagram et autres sites d’influenceurs-voyageurs étant légion et faisant le plein chez les jeunes. L’éclectisme de leurs centres d’intérêt pour la presse est moindre que celui de l’ensemble de la population : ils sont moins nombreux à être intéressés par huit thèmes ou plus sur les quatorze proposés dans le questionnaire (- 5 points). En revanche, certaines thématiques retiennent plus leur attention que leurs aînés : le sport (plus de 6 jeunes lecteurs de presse sur 10 s’y intéressent, soit + 10 points), les sciences et les médias (ces deux thèmes retiennent l’attention de près de la moitié d’entre eux, soit respectivement + 7 et + 13 points), mais aussi la mode (un tiers d’entre eux, soit + 15 points) et la beauté (un quart d’entre eux, soit + 11 points). Enfin, les sujets touchant les arts et la culture sont des motivations de lecture de la presse pour un tiers des jeunes (soit – 3 points).

Graphique 2 : Centres d’intérêt des jeunes en matière de presse (%)

Champ : Personnes âgées de 15 ans et plus lecteurs de presse, vivant en ménages ordinaires. France métropolitaine.
Source : enquête sur les pratiques culturelles 2018, France métropolitaine, DEPS
Note de lecture : Parmi ceux qui lisent la presse, 65 % des jeunes de 15 à 24 ans s’informent sur la politique, ce taux est de 77 % pour l’ensemble des 15 ans et plus.

La lecture pour quel modèle d’honnête homme ou d’honnête femme au XXIe siècle ?

Si, sur le temps long, l’acte de lecture au quotidien n’a jamais été aussi développé (pages web, journaux, magazines, mails, sms, prospectus, etc.), la place de la lecture (rapportée à l’étalon que représente la littérature pour le livre ou la presse d’information généraliste pour la presse), quant à elle, semble donc plus minoritaire. L’information généraliste est concurrencée par des myriades d’informations plus spécialisées et l’information circule beaucoup sur les réseaux sociaux, la littérature voit de nouveaux genres gagner en attractivité (SF, fantasy, dystopie, romance, etc.), les textes usent des capacités de convergence multimédiatique offertes par le numérique (par exemple avec l’insertion d’audiovisuel dans le texte), le secteur de la bande dessinées a été transformé par l’avènement des scantrads et des webtoons5… tout ceci concourt à une transformation de l’acte de lire. La baisse tendancielle de la lecture de livre et de presse chez les jeunes attestée sur le long terme (Donnat et Lévy, 2007 ; Lombardo et Wolff, 2020), l’évolution des goûts (vers des genres et centres d’intérêt moins légitimes) et le faible transfert entre support papier et support numérique doivent se comprendre à l’aune de transformations plus larges qui affectent la construction du rapport au savoir, la formation du citoyen et la définition de l’honnête homme ou honnête femme à laquelle les politiques publiques de la lecture sont liées.

Les humanités classiques – incarnées par le livre – ont longtemps occupé une place essentielle dans la culture générale, étant placées au cœur des curriculums qui instituaient les mécanismes de tri scolaire et de distinction sociale (Mauger, 1992) : leur centralité se trouve aujourd’hui ébranlée par la montée en puissance de l’économie médiatico-publicitaire (Donnat, 2004) et la domination des registres technico-scientifiques dans les curriculums depuis la seconde massification scolaire. Dans cette évolution au long cours, la révolution numérique a accéléré la transformation des contours de l’honnête homme ou de l’honnête femme du 21e siècle : aptitude à s’orienter dans l’océan informationnel, capacité à construire une pensée autonome et à favoriser des choix éclairés semblent prendre une place majeure dans la définition de la « culture générale » sur laquelle un récent rapport de l’Académie des sciences morales et politiques s’est penché (Houdé, 2024). Dans une société dite « de la connaissance » où les sciences tiennent une place de choix dans la compétition des savoirs, où l’on anticipe des transformations profondes du monde du travail, susceptibles de questionner la spécificité de l’apport humain par rapport à celui de la machine apprenante, la hiérarchie des valeurs se transforme, dans un contexte d’accélération des temps sociaux (Rosa, 2013), qui s’accommode mal des caractéristiques de la lecture savante (analytique, solitaire, linéaire et concentrée). Dans cet écosystème techno-orienté, de nouveaux capitaux, techno-scientifiques, assurent plus sûrement l’accès aux positions sociales et économiques les plus valorisées que la possession de capitaux culturels classiques (Wagner, 1998) : la réactivité, la rapidité et la plasticité dispositionnelle sont plus valorisées que le recul, la distance et le temps long ; l’aptitude à combiner des savoirs épars plus que celle à analyser (c’est le mythe du réseau intelligent, émergeant de la somme des contributions « individuelles », « banales », supposé « démocratique » (Rosenfeld, 2025), contre la figure de l’expert). Ce qu’on appelle les humanités technico-scientifiques, celles qui s’imposent dans les processus de sélection des sociétés contemporaines, prônent ainsi un rapport à la lecture différent de celui porté par les humanités littéraires, en privilégiant les lectures utilitaires, informatives et pratiques plutôt que les lectures érudites ou esthétiques. Ainsi, le lien autrefois puissant entre lecture de livre et diplôme ou classe sociale supérieure (Coulangeon, 2021) s’est-il distendu, affaiblissant par là même la fonction sociale cohésive de la lecture. Et ce, d’autant que l’essor des médias de masse, articulé à la globalisation culturelle (Cicchelli et Octobre, 2021), valorise de nouveaux capitaux, informationnels et cosmopolites (Prieur et Savage, 2013), conférant à la lecture un nouveau rôle : celle-ci vise non plus à approfondir un sujet mais à transmettre des éléments de compréhension sur un grand nombre de thèmes, non plus à édifier le citoyen mais à alimenter l’ensemble de ses centres d’intérêt. En d’autres termes, la formation de l’honnête homme au XXIe siècle semble ne plus passer par la construction d’un rapport savant à la lecture6.

Avec la prolifération d’IA génératives, de nouvelles questions se posent, qui ont trait à la différence de nature entre homme et machine : les frontières de la créativité, de l’émotion, de la sensibilité sont fondamentalement interrogées quand les IA créent7, ou déjouent désormais en nombre le test de Turing8 (même si elles restent pour le moment le plus souvent spécialisées dans un domaine et appliquent une stratégie de contournement pour entretenir l’illusion d’une compétence dans un domaine qu’elles ne connaissent pas). C’est donc la question de la sensibilité qui se trouve placée au centre des interrogations (et non plus seulement celle de l’accès au savoir), voire de l’aptitude de la lecture (sur papier) à proposer des moments de déconnection, qui peuvent devenir de nouvelles formes de distinction dans un monde en permanence connecté. Et si la liberté était dans le papier ?

 

 

Les jeunes et la lecture numérique : Entre diversité des formats et nouveaux modes de consommation

Depuis plusieurs années, le Centre National du Livre (CNL) met en lumière les pratiques de lecture des jeunes, pointant du doigt que les jeunes lisent toujours dans le cadre de leur loisir, mais que ce temps de lecture se réduit. Ces rapports affichent, au fil du temps (entre 2016 et 2024), des perceptions et des pratiques en constante évolution chez les jeunes qui se tournent davantage vers les technologies numériques. Ainsi, la lecture connaît de grands changements, passant d’une lecture traditionnelle à une lecture numérique pouvant être définie comme une « activité qui consiste à lire des textes écrits (éventuellement accompagnés d’illustrations fixes ou animées) au moyen d’un dispositif numérique : ordinateur, tablette, smartphone, borne d’information ou autre » (Rouet, 2018). C’est alors que l’on assiste à une transformation de notre manière de lire avec les outils numériques (Octobre, 2015). Il apparaît donc nécessaire, en tant que professeur documentaliste et acteur dans la promotion de la lecture auprès des élèves (axe 3 de la circulaire de mission de 2017), de s’intéresser à ces pratiques de lecture juvéniles afin de proposer des contenus pédagogiques qui suscitent leur intérêt et qui suivent les évolutions sociétales. Dans cet article, nous explorerons les outils numériques et applications utilisés par les jeunes, ainsi que les nouveaux modes de prescription littéraire. Des pistes pédagogiques seront également proposées.

UNE DIVERSITÉ DES OUTILS ET DES CONTENUS LUS PAR LES JEUNES

Lorsque nous lisons les rapports du Centre National du Livre de 2022 et 2024, nous remarquons que les jeunes lisent moins, 2 h 11 par semaine en 2024 contre 3 h 14 en 2022. En effet, la lecture est mise en concurrence avec les écrans, devant lesquels les jeunes passent 3 h 11 par jour. Les activités sur écran sont diverses (aller sur les réseaux sociaux, jouer à des jeux, regarder une vidéo…) ; parmi celles-ci, on compte la lecture sur écran. En effet, d’après l’étude de 2024 du CNL, tandis que l’utilisation de la tablette (30 %), de l’ordinateur portable (30 %) ou encore de la liseuse (22 %) décline, l’utilisation du smartphone est de plus en plus renforcée (57 %) pour la lecture de livres numériques. D’ailleurs, les 16-19 ans utilisent massivement le smartphone (76 %).

Fig.1 Outil utilisé pour la lecture

Les jeunes se tournent vers une version numérique de ces livres. Le livre numérique, autrement appelé “e-book” est « un ouvrage édité et diffusé sous forme numérique, destiné à être lu sur un écran, composé directement sous forme numérique ou numérisé à partir d’imprimés ou de manuscrits ». Il répond également de la loi sur le prix unique du livre numérique, promulguée en mai 2011 (dictionnaire de l’Enssib). Mais il existe aussi le livre audio appelé audiobook. Il s’agit cette fois-ci d’un texte (qu’il soit publié ou non) dont la lecture a été enregistrée à haute voix, que ce soit par l’auteur, un comédien, un lecteur professionnel, un groupe ou une synthèse vocale. Il existe d’abord sous forme écrite avant de se transformer en un produit sonore (Gatineau, 2015). Ce qui ressort de l’étude menée par le CN, c’est l’augmentation de ces nouvelles pratiques de lecture chez les jeunes, puisque 76 % des jeunes lecteurs de livres numériques et 78 % des jeunes auditeurs de livres audio aiment, voire adorent en lire ou en écouter.

Fig 2. Jeunes déclarant aimer voire adorer en lire/en écouter

À noter que la lecture sur écran attire plutôt des 16-19 ans, tandis que le livre audio est plutôt plébiscité par les moins de 10 ans. Cependant, 50 % des non-lecteurs de livres numériques et 58 % des non-auditeurs déclarent détester en lire ou en écouter. Ainsi, bien que cette pratique semble se répandre, de nombreux lecteurs semblent encore réfractaires à cette pratique de lecture. En effet, dans une étude que j’ai pu mener dans le cadre de mon master MEEF auprès de collégiens, certains avançaient comme raisons les difficultés à se concentrer. En effet, la mauvaise visibilité du texte sur l’écran, la faible qualité de la typographie et de la mise en page(s), la navigation via les liens hypertextuels ainsi que la difficulté à intégrer les différentes opérations de lecture participent à une surcharge cognitive1. D’autres élèves avançaient la préférence pour l’objet livre, qu’ils peuvent tenir dans leurs mains, sentir (texture et odeur), ce qui n’est pas le cas d’un livre audio ou numérique (Ortin, 2023).

Fig 3. Jeunes déclarant détester en lire/en écouter

Les plateformes de livres numériques

Avec l’évolution rapide des technologies, les jeunes se tournent de plus en plus vers de nouveaux terminaux de lecture. Ces appareils, associés à des applications de lecture comme Apple book, Kindle ou Audible, offrent une nouvelle expérience de lecture, modifiant ainsi profondément leurs habitudes de lecture et leur manière d’accéder aux livres. Le secteur des livres numériques se développe, notamment avec trois grands acteurs américains, à savoir Google, Apple et Amazon. Les applications Google Livres, Apple Book et Amazon ont des fonctionnalités semblables : achat de livre, téléchargement, création d’une bibliothèque, emploi d’outils intra-texte (traduction, commentaire, surlignage…), note et avis. Apple propose IBooks Author, permettant la création de livres électroniques (Benhamou, 2012). Amazon vend des ebooks téléchargeables sur l’application Kindle et sur une liseuse : la Kindle (commercialisée en 2007). Amazon met également à disposition Amazon Direct Publishing2, une plateforme d’autopublication pour les écrivains professionnels et amateurs (Benhamou, 2012). Enfin, Amazon propose un abonnement mensuel (abonnement kindle), permettant d’accéder à l’ensemble des livres numériques ainsi qu’à de la presse sur tous les appareils. De plus, il existe Sondo, un site et une application permettant d’accéder à une bibliothèque numérique, allant du primaire jusqu’au lycée. Plus de 500 titres sont proposés, dont des livres classiques, contemporains, ainsi que les versions audios de manuels scolaires. La connexion peut se faire sur tous types d’appareils électroniques, via l’interconnexion entre le GAR et l’ENT. De plus, Sondo propose une bibliothèque inclusive à destination des Élèves à Besoins Éducatifs Particuliers (EBEP), notamment les élèves DYS ou encore allophones. Les élèves ont la possibilité de choisir la taille et les couleurs de police, de mettre un mode nuit, d’utiliser une règle de lecture, d’écouter un livre audio, d’avoir accès à des définitions. Des fonctionnalités pédagogiques sont également disponibles pour les enseignants, telles que des activités et des défis lecture.

Les applications de lecture : entre écrits et images

Les plateformes de lecture comme Apple books, Kindle et Audible se distinguent principalement par leurs modèles de distribution, les formats de contenu et les types d’expériences qu’elles offrent aux utilisateurs, tandis que les applications de lecture comme Fyctia, Plume d’Argent ou Wattpad sont centrées sur la publication communautaire en ligne et l’interaction avec les auteurs.

Le succès des romans feuilletons et des plateformes d’écriture

Le concept des plateformes comme Wattpad ou Plume d’argent repose sur la publication de récits sous la forme de romans-feuilletons ; les auteurs publient régulièrement des chapitres, créant ainsi une dynamique de lecture continue. Ce format, semblable à un feuilleton, permet de maintenir l’engagement des lecteurs, qui suivent l’évolution de l’histoire au fur et à mesure (Luthers, 2019). Les genres les plus populaires sont alors la romance, mais aussi la fantasy, l’horreur ou la fanfiction (Luthers, 2019). Wattpad est une plateforme de partage d’histoires en ligne fondée en 2006 par Allen Lau et Ivan Yuen à Toronto. Accessible via un site internet et une application mobile, elle permet aux auteurs de publier des récits originaux, chapitre après chapitre, et invite les lecteurs à interagir directement avec eux par le biais de commentaires et de recommandations. Avec plus de 70 millions d’utilisateurs dans plus de 50 langues, la plateforme est devenue un lieu de partage incontournable, particulièrement prisé par les jeunes auteurs et lecteurs du monde entier. En 2021, Wattpad a été racheté par la société sud-coréenne Naver, propriétaire de Webtoon, renforçant ainsi son développement et son lien avec l’industrie numérique. Il existe aussi d’autres plateformes, plutôt centrées sur l’écriture, comme la plateforme de lecture Fyctia, lancée en 2012, permettant à des auteurs de soumettre leurs manuscrits au jugement de la communauté de lecteurs et d’éventuels éditeurs, ou encore la plateforme de lecture Plume d’Argent, créée en 2015, permettant également l’écriture, la publication et la lecture de manuscrits.

Ces plateformes adoptent un modèle interactif qui permet une vraie proximité entre les auteurs et leurs lecteurs, puisque ces derniers peuvent s’abonner à des comptes d’auteurs, commenter les histoires et donner des avis qui sont visibles sous forme de bulles à côté du texte, ce qui permet un réel feedback pour l’auteur (cas de Wattpad et Fyctia). Ce système de commentaires renforce l’aspect collaboratif et participatif de Wattpad, en permettant aux lecteurs de devenir des acteurs de l’œuvre qu’ils suivent, voire d’avoir une incidence sur la suite du récit. Sur Wattpad, les auteurs peuvent intégrer des images ou vidéos dans leurs chapitres, enrichissant ainsi leur texte et l’expérience de lecture. Par conséquent, ces plateformes participent à la démocratisation de l’accès à la lecture, tout en offrant une visibilité accrue aux auteurs indépendants, souvent négligés par les circuits traditionnels (Poirier, 2020). À noter que sur Wattpad, il existe certes une version freemium, mais également une version premium appelée “Wattpad Originals”, proposant des fonctionnalités et des contenus supplémentaires. Ces plateformes permettent aux auteurs de publier leurs manuscrits en toute indépendance, sans passer par un éditeur traditionnel. Plusieurs auteurs ayant ainsi débuté sur Plume d’Argent ont vu leurs œuvres adaptées en livres physiques et certains ont même signé des contrats avec des maisons d’édition traditionnelles, la plus célèbre étant Christelle Dabos et la série la Passe-miroir (Jouve, 2023). Parmi les publications les plus connues issues de Wattpad, nous pouvons citer les célèbres romans After (2016), The Devil’s Sons (2022) ou encore Captive (2023) qui appartiennent au genre “New romance” ou “Dark Romance”. Enfin, ces plateformes permettent à des auteurs amateurs de participer à des concours afin de mettre en avant leur roman, c’est le cas par exemple de Wattpad et de ses Watty Awards, un concours qui permet aux auteurs de recevoir une aide à la promotion de leur histoire et de la faire connaître à un plus large public, ou à Plume d’argent et ses Histoire d’Or. Quant à Fyctia, il s’agit de son essence même : plusieurs thématiques de concours apparaissent, sur lesquelles peuvent écrire des auteurs.

Les applications de webtoons

Pour définir un webtoon, nous pouvons commencer par ce qu’est la bande dessinée numérique, le webtoon étant un sous-genre : « Le terme BD numérique reste à définir. Le plus souvent, il correspond à l’édition et la diffusion d’une bande dessinée sous forme numérisée ou dématérialisée destinée à être lue sur un écran. Il peut s’agir de créations originales dans un format électronique ou de simples adaptations digitales au support de lecture sur téléphones intelligents, tablettes, liseuses, écrans d’ordinateurs ou de télévision. C’est aussi une création spécifique et enrichie pour le support informatique, avec un contenu multimédia et des procédés de réalité augmentée poursuivant l’œuvre sur Internet, ce que ne permet pas un simple livre numérique » (Ratier, 2013). Il s’agit d’une bande dessinée qui se lit verticalement, via des épisodes courts et sur des applications dédiées.

Lancée en 2003 par Daum en Corée, suivie de la création de Line Webtoon par Naver en 2014, Webtoon est une plateforme numérique dédiée à la diffusion de bandes dessinées. Depuis, Webtoon s’est imposé comme un acteur majeur dans l’univers des bandes dessinées numériques, en permettant aux utilisateurs d’accéder gratuitement à des récits publiés sous la forme de feuilletons hebdomadaires, par des auteurs amateurs. À noter qu’il existe d’autres plateformes permettant de lire des webtoons, telles que Piccoma, Lezhin Comics, Delitoon, Tapytoon ou encore Webtoon Factory (éditions Dupuis) qui suivent des modèles similaires. Ces plateformes suivent toutes ce même mode de publications séquencées, avec des épisodes courts et réguliers, transformant ainsi la narration traditionnelle en un format dynamique, optimisé pour la lecture sur des écrans, que ce soit sur téléphones, tablettes ou ordinateurs, notamment pour le geste du “scrolling” (Brouard, 2021). Webtoon se distingue par sa capacité à intégrer des éléments multimédias et à enrichir l’expérience de lecture grâce à des techniques transmédiatiques, comme l’utilisation de la réalité augmentée dans certains contenus. De plus, Webtoon propose un modèle économique freemium : l’accès aux épisodes réguliers est gratuit, mais les utilisateurs peuvent acheter des “coins” pour accéder à du contenu payant ou pour débloquer des chapitres en avance. Ce format crée une relation continue entre le créateur et le lecteur, grâce aux commentaires, aux likes et aux dislikes intégrés à chaque épisode. L’application mobile envoie même des notifications pour rappeler les derniers épisodes à lire, créant ainsi un lien constant avec la communauté de lecteurs. Ces interactions sont cruciales, car elles génèrent de la valeur pour la plateforme, en permettant par exemple de mesurer l’engagement du public et en influençant la popularité des œuvres (Dulieu, 2022). C’est ainsi que certains webtoons populaires sont adaptés par des plateformes de streaming, ou sont édités dans diverses maisons d’éditions, comme par exemple True Beauty chez Delcourt (2021), Lore Olympus chez Hugo BD (2022), Colossale chez Jungle (2024), ou encore en créant une collection spéciale dédiée aux webtoons comme Kbooks chez Delcourt, Sikku chez Michel Lafon.

Les plateformes de lecture numérique de manga : l’exemple de mangas.io

Des plateformes comme Mangas.io s’imposent dans le domaine de la lecture numérique, notamment pour les passionnés de mangas. Lancée en 2020, et avec 28 maisons d’éditions françaises (Akata, Crunchyroll, Kana, Ki-oon …), cette dernière permet à ses utilisateurs d’accéder à un large éventail de mangas à lire, comme Haikyu, Naruto, Bleach, ou encore Blue Spring Ride. Les mangas sont présentés sous la forme de mur, avec la possibilité de choisir la catégorie de manga qui nous intéresse. De plus, Mangas.io fonctionne sur le principe de l’abonnement. En effet, pour les « particuliers », comme les jeunes, cette approche permet de lire des mangas en illimité ce qui rend la plateforme attrayante (au prix d’un manga par mois ou pouvant être financé via le pass culture). Cette offre est alors intéressante pour les jeunes qui cherchent une solution économique pour lire leurs séries à la mode. En ce qui concerne les professionnels, comme les professeurs documentalistes, il existe un partenariat entre Manga.io et Canopé, proposant différentes offres d’abonnement selon le type d’établissement et le nombre d’élèves. Une fois la ressource acquise, il est possible de l’ajouter en tant que ressource numérique sur son portail Esidoc.

L’expérience de lecture sur Mangas.io est optimisée par une interface simple et intuitive, comparable à celle de Netflix, qui permet aux utilisateurs de naviguer facilement parmi les titres disponibles, de personnaliser l’affichage et de sauvegarder leur progression. Les utilisateurs de Mangas.io bénéficient également d’un accès rapide aux derniers chapitres des séries populaires, souvent en même temps que leur publication au Japon, ce qui constitue un attrait considérable pour les fans qui souhaitent suivre l’évolution de leurs mangas préférés en temps réel. Cependant, il est impossible d’interagir avec d’autres lecteurs. Il est possible de tester cette ressource pendant un mois sur son portail. Les retours des élèves sur cette plateforme sont assez positifs : ils peuvent découvrir de nouveaux mangas et lire sans être coupés par de la publicité. De plus, l’interface est fluide et de bonne qualité. Ils peuvent également consulter des actualités sur le blog et s’abonner à une newsletter permettant d’en apprendre davantage sur l’univers du manga. Le seul point discutable serait le prix de l’abonnement pour les CDI qui pourrait représenter un frein (399 € pour un collège entre 600 et 899 élèves).

DE NOUVEAUX MODES DE PRESCRIPTION POUR SUSCITER L’ENVIE DE LIRE

L’arrivée de ces nouveaux modes de lecture s’accompagne de nouveaux modes de prescription. En effet, Armand Hatchuel, dans son article « Les marchés à prescripteurs » (1995) identifie trois types de prescription qui peuvent s’appliquer aux nouvelles médiations du livre, dans lesquelles le rôle du prescripteur dans l’échange et le processus décisionnel prend de l’ampleur : d’abord la « prescription de fait », qui donne des informations sur les livres ; ensuite, la « prescription technique », qui met l’accent sur l’argumentation et les moyens de choisir des lectures, et enfin, la « prescription de jugement » qui atteste de la qualité et de la pertinence d’un livre que l’internaute ou le blogueur/influenceur doit valider, avant de réaliser un achat. Depuis son étude menée en 2016, le CNL met en avant trois prescripteurs, à savoir la mère ou la belle-mère, ainsi que les amis. De nombreux jeunes choisissent également leur livre seul. Encore aujourd’hui, ces modes de prescription sont les plus utilisés. Cependant, témoin de cette mutation technologique, 13 % déclarent choisir un livre par le biais d’influenceurs/euses sur YouTube et par les réseaux sociaux. Les professeurs documentalistes sont juste derrière, avec 12 % (CNL, 2024).

Le rôle des influenceurs littéraires dans la promotion de la lecture

L’influence d’Internet et notamment des réseaux sociaux sur les choix des lecteurs de loisirs ne cesse de croître, transformant ainsi la manière dont les livres sont découverts et consommés. En 2024, d’après l’étude du CNL, 33 % des lecteurs ont choisi un livre après en avoir entendu parler sur Internet, et parmi eux, 19 % l’ont découvert via les réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram, Tiktok ou Twitch (contre 14 % en 2022). Cette tendance est particulièrement marquée chez les jeunes : plus de la moitié des lecteurs âgés de 16 à 19 ans (57 %) font leurs choix littéraires après avoir été exposés à des recommandations en ligne. Les plateformes sociales jouent un rôle central dans cette dynamique. Par exemple, 15 % des lecteurs ont été influencés par des Booktubeurs, Bookstagrammeurs ou Booktokers, un chiffre qui a quasiment doublé par rapport à 2022, où seulement 8 % étaient influencés par ces créateurs de contenu. De plus, 6 % des lecteurs ont entendu parler de livres via d’autres sources sur Internet. Ces résultats montrent bien l’étendue de l’influence numérique sur les décisions d’achat. Les jeunes générations semblent particulièrement sensibles à cette influence. En effet, toujours selon l’étude du CNL de 2024, 10 % des jeunes ont déclaré avoir eu envie de lire un livre grâce à une personnalité qu’ils suivent sur les réseaux sociaux, un phénomène qui touche surtout les filles, et plus particulièrement celles de 16 à 19 ans. Les réseaux sociaux ne servent pas seulement à découvrir des livres ; ils constituent aussi un outil pour s’informer sur les nouveautés, obtenir des conseils de lecture et consulter les avis d’autres lecteurs. En moyenne, 53 % des lecteurs de loisirs utilisent au moins un réseau social pour se tenir au courant des tendances littéraires. Parmi les plateformes les plus populaires figurent YouTube (67 %), Tiktok (49 %) et Instagram (49 %), qui dominent largement les autres en termes d’usage pour la recherche de livres.

Une présentation imagée et dynamique : Booktube, Bookstagram et Booktok

C’est en 2012 que le phénomène de Booktube est apparu en France et il a pris une ampleur considérable à partir de 2016. De nos jours, plus de 300 Booktubeurs font vivre ces communautés de partage (Frau-Meigs, 2017). Il est notamment possible de citer des personnalités influentes, parmi lesquelles @Jeannotselivre,
@lesouffledesmots ou @MargaudLiseuse, qui comptent respectivement 88 200 d’abonnés, 120 000 abonnés et 74 500 d’abonnés. Né en 2020, notamment pendant la pandémie de Covid-19, Bookstagram, véritable phénomène en ligne, rassemble aujourd’hui près de 114 millions de publications sous l’hashtag #bookstagram et près de 2 millions pour #bookstagramfrance. Cette explosion de contenus témoigne de l’enthousiasme croissant des utilisateurs pour le partage de leur passion de la lecture, mais aussi de la manière dont ces échanges virtuels ont acquis une dimension bien plus large que celle d’un simple divertissement personnel. TikTok, l’application la plus téléchargée au monde, comptait, en 2023, 15 millions d’utilisateurs actifs en France, avec le #BookTok cumulant 110 milliards de vues. Cette tendance a permis à une communauté de lecteurs de se retrouver autour de vidéos courtes, où des influenceurs et des auteurs (et des maisons d’éditions) se mettent en scène pour partager leurs avis sur les livres. Comme sur YouTube et Instagram, ce sont majoritairement des femmes qui sont actives, comme @mademoiselle_so_ qui compte plus de 500 000 followers toutes plateformes confondues, @elisebooks et ses 66 400 de followers, mais aussi une poignée d’hommes comme @le_temple_du_manga et ses 1.6 millions d’abonnés. À noter que ces influenceurs littéraires sont présents sur plusieurs réseaux sociaux à la fois, afin d’étendre leur communauté.

Ce phénomène repose sur un modèle particulier de présentation des livres. Les influenceurs créent des vidéos dynamiques longues pour YouTube, et courtes pour Tiktok qui présentent des livres de manière vivante et engageante. Sur Instagram, les créateurs de contenus jouent plutôt sur des posts esthétiques, plus lisses, plus maîtrisés par rapport aux contenus dynamiques proposés auparavant (Coffinet, 2024). Sur TikTok et YouTube, les utilisateurs ne se contentent pas de présenter des livres ; ils y ajoutent souvent des mises en scène créatives, avec des vidéos accompagnées de musique, de déguisements, ou de sélections thématiques. Les Booktokeurs et Booktubeurs vont alors suivre des “trend” : présentation de sa PAL (pile à lire), livres surcotés/sous-cotés, nouveaux achats… Loin des critiques traditionnelles, ils privilégient une approche personnelle plutôt qu’objective (Leveratto, Leontsini, 2008), où leurs émotions sont mises au service du livre. Ces vidéos, souvent réalisées dans leur chambre ou devant leur bibliothèque, sont un véritable spectacle, avec des attitudes et des expressions parfois exagérées (De Leusse, 2017). En ce sens, les influenceurs littéraires maîtrisent parfaitement les codes des réseaux sociaux, mais aussi ceux de leur génération. Aussi, les Booktubeurs n’ont pas à rendre des comptes aux maisons d’édition, ni à se soumettre à une pression commerciale. Ils restent indépendants dans leurs choix de livres, offrant ainsi une critique plus libre et authentique. Il est aussi intéressant de noter que ces influenceurs privilégient souvent la littérature de genre, une littérature plus populaire et parfois moins mise en avant par les critiques traditionnels. Cela répond à un véritable besoin de diversité dans les prescriptions littéraires. L’internaute semble plus réceptif à ces recommandations en ligne qu’à celles des critiques classiques (Julien, 2020). Comme le souligne Divina Frau-Meigs dans son article « Les YouTubeurs : les nouveaux influenceurs ! » (2017), ils donnent leur avis sur les livres qu’ils ont aimés et invitent leurs followers à interagir, à commenter et à participer à cette expérience de lecture collective. Ainsi, le livre devient un outil d’échange et les plateformes sociales, un espace où les goûts et opinions se partagent et s’enrichissent, créant un dialogue constant entre les lecteurs/abonnés (Rogues, 2021).

L’un des premiers effets majeurs de ces réseaux sociaux est leur capacité à influencer les choix de lecture des jeunes générations, qui constituent une grande majorité des utilisateurs. Avec environ 25% des utilisateurs de TikTok âgés de 10 à 19 ans, TikTok s’est imposé comme un relais littéraire incontournable, loin devant Instagram. Cette dynamique a même poussé les librairies à adopter le phénomène en affichant des livres sous l’étiquette “BookTok”, créant ainsi une connexion directe entre les communautés numériques et les points de vente physiques. En 2023, Tiktok était partenaire du Festival du Livre de Paris, ce qui démontre une nouvelle fois l’impact de ce réseau social sur la prescription littéraire (Derdevet, 2023). Autre effet majeur selon le journaliste Antoine Oury : les influenceurs littéraires ont un réel impact sur les ventes de livres. Des titres comme It Ends With Us de Colleen Hoover ont connu des augmentations de ventes spectaculaires, jusqu’à 42.133 % au Canada entre 2019 et 2022, prouvant l’influence considérable de TikTok sur le marché du livre. Les maisons d’édition, conscientes de cet effet viral, ont rapidement intégré TikTok dans leurs stratégies de promotion, en envoyant des services presse et en collaborant avec des créateurs de contenu. Les éditions Robert Laffont vont plus loin en 2023, en organisant un concours à destination des adolescents et jeunes adultes, pour un premier roman (Derdevet, 2023). En effet, ces influenceurs ont l’occasion de partager leurs goûts littéraires tout en participant à une dynamique collective qui les conduit à prendre part à des prix littéraires, tels que ceux organisés par Elle ou France Inter, ce qui renforce leur légitimité en tant qu’influenceurs littéraires. Certains, grâce à leur expertise et popularité, sont même invités à des événements littéraires. Aussi, l’une des évolutions est la création de prix littéraires dédiés à cette communauté, comme le Grand Prix des blogueurs ou le Prix Bookstagram. Ces initiatives illustrent la reconnaissance croissante de l’influence des Bookstagrammeurs dans le monde littéraire et la manière dont cette pratique surpasse les frontières du virtuel, pour s’ancrer dans des événements officiels.

Une présentation à l’écrit : les blogs littéraires

Bien qu’absents de l’étude du CNL, les blogs littéraires ont également leur rôle à jouer. Comme l’explique Brigitte Chapelain, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication, les blogs de lecture ou blogs de lecteurs ont émergé au début des années 2000 (2015). Animés par des amateurs ou des professionnels, ces derniers partagent leurs avis sur des livres. Pour aller plus loin, le choix des noms de ces blogs est significatif, illustrant un monde où la littérature domine. Certains titres ou pseudos jouent sur des jeux de mots ou des références littéraires, comme Délivrer des livres ou Petites Madeleines ; d’autres démontrent une relation personnelle à la lecture, comme Mademoiselle Lit. De plus, de nombreux blogs sont associés à un prénom réel ou fictif comme Judith & Sophie, ajoutant une touche d’authenticité et de proximité. À noter également que les blogs de lecture peuvent être solitaires ou collectifs. La forme des articles varie d’un blog à l’autre : certains proposent des comptes-rendus classiques de lectures, sous la forme de fiches (résumé, extrait, avis), tandis que d’autres vont plus loin en analysant les enjeux littéraires, sociologiques ou politiques des œuvres. Il existe aussi des blogs avec une approche plus personnelle et engagée, comme par exemple les blogueurs spécialisés dans un genre, comme Sy Fantasy pour la fantasy, Livresse du noir pour le policier ou Le blog de l’apprenti Otaku pour les mangas, qui offrent une véritable expertise. Le design numérique des blogs a également évolué, avec des interfaces plus ergonomiques et esthétiques, renforçant ainsi la lisibilité et l’attrait visuel de leurs pages, se mettant ainsi au service d’un contenu structuré (titres, résumés, avis, citations, mots-clés et images). Cependant, il existe des dérives. En effet, certains blogs recopient des résumés trouvés sur des plateformes comme Amazon ou la Fnac. Il est donc important de différencier les blogs qui offrent une véritable réflexion sur les livres de ceux qui se limitent à des résumés superficiels, parfois à des fins de référencement ou de promotion.

Les réseaux sociaux de lecteurs

Outre YouTube, Instagram et Tiktok, il existe des réseaux sociaux dont la fonction principale est la prescription littéraire. En effet, ces derniers permettent de créer des « sociabilités numériques » (Compiègne, 2014). Cette fois-ci, aucun influenceur pour donner l’envie de lire, mais bien une communauté de lecteurs et de chroniqueurs assidus. Parmi les plus utilisés, Babelio arrive en tête, avec 2 millions de membres en 2024. Apparu en 2007, ce site web (disponible également au format application) propose à ses membres des actualités littéraires, l’organisation de leur bibliothèque en ligne, l’obtention des informations sur un livre, ou encore le partage et l’échange avec d’autres membres via des avis, des commentaires et des forums (3,8 millions en 2024). Ce système se retrouve également sur le site Booknode, créé en 2008, avec près de 1,2 millions de membres début 2025, Gleeph, apparu en 2019 et avec plus de 750 000 utilisateurs, ainsi que LivrAddict et Lecteurs.com. Il existe également Goodread, une version anglophone. Ils ont tous la même caractéristique principale : ils fonctionnent selon le principe de catalogage social : ainsi, chaque lecteur catalogue ses livres chez lui.

Sur ces réseaux sociaux littéraires, les aspects communautaires et collaboratifs sont essentiels, puisque les internautes sont invités à se créer un compte, à partager leurs impressions, à interagir avec d’autres utilisateurs et à se créer une bibliothèque numérique. Or, Nathalie Deley explique que l’expression « bibliothèque en ligne » est incorrecte, puisqu’il est impossible d’y lire un livre. Il s’agirait plutôt de parler de « liste bibliographique ». Que ce soit sur Gleeph ou encore Booknode, il est possible de faire un véritable rangement, comme sur l’étagère de sa bibliothèque, au moyen de catégories du type « j’ai lu », « dans ma PAL », « diamant », « or », « en train de lire », « pas apprécié », etc., à partir de la couverture du livre. Ainsi, tous les membres ont accès à cette catégorisation, afin de se forger leur opinion sur un livre. Sur Babelio, les lecteurs et chroniqueurs assidus sont mis en avant au sein de la catégorie « découvrir » afin de renforcer une nouvelle fois cet aspect volontaire de faire communauté. De plus, ces réseaux sociaux sont de véritables plateformes collaboratives, qui vont mettre à contribution les lecteurs, puisque ce sont ces derniers qui vont générer du contenu, en mettant une note, un avis ou une citation (Deley, 2019).

Mais les plateformes comme Babelio ou Gleeph.pro (professionnels) se distinguent notamment par leur algorithme de recommandation. En effet, l’algorithme de Gleeph.pro, nommé Fahrenheit, propose des suggestions de lecture à partir des informations recueillies sur les bibliothèques des utilisateurs (site Gleeph.pro). Quant à celui de Babelio, il repose sur le tag, autrement appelé l’étiquetage. En effet, la caractéristique de Babelio est de pouvoir renseigner des livres de sa bibliothèque à partir de mots-clés, donc d’un langage naturel. Ce sont alors ces mots-clés qui sont repris par l’algorithme de recommandation, et qui vont lui servir de guide dans les suggestions de livres qu’il propose. Nous retrouvons ici une démarche collaborative, comme l’explique Nathalie Deley, au travers du « collaborating tagging » : les membres étiquettent pour identifier leurs lectures, ce qui va permettre aux autres d’en profiter. Démonstration de la force de ces plateformes, il existe depuis 2019 le prix Babelio, qui a pour but de récompenser chaque année, dans dix catégories, dix auteurs, à partir des votes des membres de la communauté. Par exemple, le livre d’Hayao Miyazaki, Le voyage de Shuna a été lauréat en 2024 dans la catégorie manga. De même, LivrAddict a son propre prix, récompensant pour l’année 2024 dans la catégorie Jeunesse le tome 1 de Crookhaven : l’école des voleurs, écrit par J.J. Arcanjo. Ce phénomène des réseaux sociaux littéraires prend une telle ampleur que des professionnels du secteur du livre s’en emparent, pour préparer leur liste d’achats ou encore pour construire des activités pédagogiques.

PISTES PÉDAGOGIQUES

À partir des éléments précédents, il est possible de construire des séquences ou des projets pédagogiques, permettant d’encourager la lecture et de développer des compétences numériques.

Acquisition de ressources : des liseuses au CDI

Certains CDI vont se lancer dans l’acquisition de liseuses. C’est notamment le cas du CDI du lycée Émile Roux en Charente qui propose ce service depuis 2016. Le témoignage de la professeure documentaliste, chargée du projet, est disponible sur le Doc’Poitiers. Cinq liseuses, financées par la FCPE sont disponibles au prêt et figurent parmi les documents les plus empruntés. Les raisons avancées de cet achat sont d’abord pédagogiques, afin de démocratiser la lecture, de permettre à tous de se former à la lecture numérique et de lutter, dans une certaine mesure, contre la fracture numérique. Mais ces raisons sont aussi bibliothéconomiques, puisque ces outils permettent de mettre à disposition des usagers un grand nombre d’exemplaires d’un seul livre ou de compléter une série. De plus, un certain nombre de livres a basculé dans le domaine public, ce qui peut représenter un avantage financier pour le CDI. La liseuse a été choisie, a contrario d’un ordinateur ou d’une tablette, car elle peut contenir des dizaines de livres et ne permet que l’activité de lecture. Une charte de prêt des liseuses a été rédigée et doit être signée par les parents et les élèves. Les liseuses sont cataloguées dans le logiciel BCDI. Les livres numériques installés seront traités en parties composantes. Elles sont accompagnées d’un code barre permettant de les identifier et d’une housse de protection. Pour l’achat de livres numériques, la professeure documentaliste explique qu’elle a créé un compte professionnel auprès de la librairie Decitre (en ligne), ce qui lui permet de préparer ses commandes en ligne et de payer par mandat administratif. Les livres sont alors téléchargés via Adobe Digital éditions et envoyés vers la liseuse. Les retours des élèves sont plutôt positifs : ils apprécient la facilité d’utilisation, le confort de lecture, la facilité d’accès aux livres, ainsi que les fonctionnalités proposées (taille des mots ou encore luminosité).

Numook3 : créer un livre numérique

L’association Lecture Jeunesse propose le projet Numook, un projet de création de livre numérique, en expérimentant toutes les phases (édition, conception, publication). Les objectifs de ce projet sont la valorisation de la lecture, l’écriture d’invention des jeunes, le développement des compétences numériques et des capacités créatives associées (graphiques, sonores), ainsi que la consolidation des acquis universels (autonomie, initiative, engagement, respect des opinions des autres). En ce qui concerne la mise en place : une équipe pédagogique interdisciplinaire (enseignants disciplinaires, professeur documentaliste… ) mène les séances sur le temps scolaire (1 séance par semaine, d’1 à 2 h en moyenne), réparties sur les cours et les disciplines de chacun des enseignants participants. Chaque projet est mis en place en partenariat avec la bibliothèque ou une médiathèque locale. Les enseignants bénéficient d’un accompagnement par Lecture Jeunesse : un accès à la revue Lecture Jeune, à des webinaires, à des formations, ou encore à des médiations en ligne… Le projet est payant, mais peut être financé via la part collective du Pass Culture.

Création de booktube : se mettre dans la peau d’un influenceur littéraire

Les élèves vont être amenés à réaliser de courtes vidéos afin de promouvoir un livre. Il est possible de travailler en collaboration avec un professeur de français ou encore un professeur de langues vivantes (plutôt en fin de cycle 4 et lycée). Ce travail peut être réalisé seul ou en binôme. De plus, ils vont devoir se filmer et enregistrer leur voix. Il faut donc faire signer une autorisation de droit à l’image aux parents et aux élèves. Dans le cas où les booktube seraient publiés sur un blog (blog du collège, Esidoc…), il faudrait également prévoir une autorisation de publication à faire signer aux parents et aux élèves4.

Plusieurs séances sont nécessaires à l’élaboration de ces vidéos.
Séance 1 – Se familiariser avec les codes de Booktube : il faut faire définir aux élèves ce qu’est un booktube, leur faire visionner des vidéos de Booktubeurs pour faire émerger les caractéristiques de présentation (titre, auteur, maison d’édition, date de publication, résumé, avis…) et les caractéristiques techniques (plan, décor, son, voix, mise en scène…). En fonction du niveau des élèves, un point pourra être fait sur l’utilisation des sons et images libres de droits.
Séance 2 – Choisir un livre et le lire : en (re)montrant la méthodologie de recherche d’un livre sur Esidoc, les élèves choisissent un livre selon la consigne établie par les enseignants. Une fois choisi, ils liront le livre à la maison. En parallèle, ils complètent une fiche de lecture, qui leur servira de support pour réaliser le booktube. Il faut penser à laisser un certain délai pour que les élèves aient le temps de lire et compléter la fiche, ou pour que les éventuels absents puissent emprunter un livre pour faire le travail.
Séance 3 – Préparer et scénariser son booktube : une fois la fiche de lecture complétée et corrigée, les élèves doivent réaliser un storyboard, afin de préparer la scénarisation. Par la suite, les élèves réaliseront en autonomie ou en classe l’enregistrement de la vidéo.
Séance 4 – Montage de la vidéo : à partir d’un outil de montage vidéo (ex : Canva, Powtoon, Capcut …) les élèves réalisent le montage de leur vidéo. Il est possible de créer un compte classe ou un compte par élève afin de respecter le RGPD. Les enseignants font un tutoriel de l’outil afin que les élèves se l’approprient. Ils commenceront le montage en classe et le finiront à la maison.
Séance 5 – Visionnage en classe : une fois tous les booktube récupérés, la classe visionne l’ensemble des vidéos et les élèves peuvent voter pour le livre qu’ils ont le plus envie de lire.

CONCLUSION

Ainsi, nous avons constaté que les pratiques de lecture des jeunes sont en évolution. Ces derniers utilisent des terminaux et des applications variés, témoignant de l’immensité de l’offre désormais disponible et accessible pour les lecteurs. La culture de l’écran modifie alors profondément notre relation à la lecture, qui devient moins un acte solitaire, plutôt une expérience collective, à plusieurs niveaux (Julien, 2020). En effet, le livre s’inscrit dans une dimension de médiation collective, avec l’intervention d’un tiers entre l’auteur et le lecteur (Sapiro, 2014). Cette dimension collective va également permettre au lecteur de consulter les avis littéraires d’autres internautes et lecteurs, afin de réduire son incertitude quant à la qualité d’un livre (Gensollen, 2006). C’est ainsi que se développe une intelligence collective. Le lecteur devient acteur d’une communauté en ligne, via des médias ou réseaux sociaux : des communautés « d’apprentissage, de jugement et d’audience » (Flichy, 2010) se forment, voire des « partages d’expériences » (Gensollen, 2006). Les blogs, influenceurs littéraires et réseaux sociaux de lecteurs, vont permettre de construire un espace d’échange de données, qui participe à l’enrichissement d’un patrimoine collectif et va créer un processus de prescription, notamment auprès des jeunes générations, mais aussi une démocratisation de la lecture. Les jeunes utilisent donc des canaux « officiels » pour accéder à une lecture numérique, parfois payante. Cependant, certains vont employer d’autres stratégies pour lire le dernier livre à la mode, ou une série manga qu’ils ne trouvent ni chez eux, ni aux CDI, ou tout simplement par soucis de budget, en naviguant sur des sites de scan5, ou encore, en téléchargeant illégalement des livres numériques via certaines applications, comme Pearltrees, sur laquelle il est possible de trouver un fichier numérique du livre papier, et ce, gratuitement, et de l’envoyer vers une application type IBooks. Effectivement, le téléchargement illégal de livres numériques représente un défi économique majeur pour l’industrie du livre. En diffusant des millions d’ouvrages sans l’autorisation des auteurs et éditeurs, ces plateformes causent de grandes pertes financières, puisque ces acteurs ne sont pas rémunérés pour leur travail. En septembre 2024, le journal Le Monde expliquait que le tribunal judiciaire de Paris avait ordonné le blocage de centaines de noms de domaine liés au site Z-Library, soulignant l’ampleur du préjudice subi par le secteur. Notre rôle est alors de sensibiliser les élèves à la chaîne du livre, afin qu’ils en saisissent les enjeux économiques.

 

 

Le livre audio au CDI, une place à prendre

Le livre audio est-il un support présent dans les CDI ? Une enquête réalisée en 2022 dans le cadre d’un mémoire de master auprès de professeurs-documentalistes permet d’avoir un aperçu de la place qu’il occupe, des freins (multiples) à son intégration mais aussi des atouts qu’il présente en termes d’accès à la lecture. 

Comment qualifier exactement le livre audio, objet aux formes multiples ? « Livre audio » est un terme générique, parfois employé à la place d’audiolivre, de livre à écouter, de livre-disque, de livre enregistré, de livre parlant et de livre sonore. L’éditeur français Audiolib en propose une définition sur son site : « Un livre audio est la forme lue, à une ou plusieurs voix, d’une œuvre publiée au préalable sous forme écrite. La lecture de l’œuvre est faite par un comédien ou une comédienne ou par son auteur ou autrice, et enregistrée dans un studio professionnel1 ». Il s’agit là de la définition de livres audio commercialisés, qui ne prend pas en compte la possibilité pour des bénévoles donneurs de voix, d’enregistrer des livres pour des bibliothèques sonores.

La demande pour le livre audio augmente d’année en année en France2 pour des raisons variées : évolution technique grâce au MP3 et aux outils portables d’écoute, souplesse du support qui permet d’écouter tout en faisant autre chose, aide pour les personnes empêchées de lire, sensorialité de l’expérience, etc. Pour cette étude, nous nous sommes intéressée uniquement au livre audio sur support CD, fichier MP3 et fichier audio disponible en streaming.
Le livre audio est-il un média présent dans les CDI ? Lorsqu’il fait partie du fonds documentaire, comment est-il valorisé ? Les élèves l’empruntent-ils ? Pour répondre à ces interrogations, deux questionnaires en ligne ont été établis début 2022 à destination de professeurs-documentalistes, comportant des questions à choix multiples ainsi que des questions ouvertes pour laisser la parole libre aux enseignants. Le premier questionnaire a été élaboré pour des professeurs-documentalistes dont le CDI dispose de livres audios, le second pour des enseignants qui n’en avaient pas dans leur fonds. Les questions cherchaient à appréhender les connaissances des enseignants sur le support, notamment sur les droits qui lui sont attachés, et à demander aux professeurs-documentalistes s’ils rencontraient des freins quant à l’intégration du livre audio au CDI, si les élèves et les collègues s’en étaient emparés.
Au bout de six semaines de mise en ligne via des listes professionnelles, 129 questionnaires, en provenance de tous types d’établissements, ont pu être complétés et servir de base à une étude.

Origine des répondants

Le faible nombre de réponses au regard de la population cible ne permet pas de généraliser les conclusions que l’on a pu tirer de l’analyse des résultats. En effet, les professeurs-documentalistes sont plusieurs milliers d’inscrits sur les listes de discussion. En revanche, il peut donner des indications, des tendances, sur les usages d’une profession.
Pour le mémoire de Master, nous nous sommes d’abord intéressée aux freins que peuvent rencontrer les collègues quant à l’intégration du livre audio dans le fonds. Nous nous sommes ensuite interrogée sur l’intérêt que le support peut présenter en termes d’incitation à la lecture. Enfin, nous avons essayé de voir dans quelle mesure le livre audio peut être un support « capacitant » pour les élèves en difficulté avec l’écrit ou le français.

Le livre audio au CDI : des freins à dépasser

Des freins juridiques

Dans le guide de déclaration pour les organismes de prêt, disponible sur le site de la SOFIA, il est écrit que le livre audio est assujetti au droit de prêt mais temporairement exclu du recouvrement et donc de déclaration. Il est donc tout à fait possible pour un CDI d’en proposer au prêt.
L’acquisition peut se faire à l’unité auprès du fournisseur habituel pour les livres sur support CD. Pour les livres audio accessibles en streaming ou sous forme de fichier MP3, cela est plus compliqué. En effet, à l’instar du livre numérique, le prêt de fichiers répond à des règles différentes, ce qui a notamment entraîné la création du modèle PNB (Prêt Numérique en Bibliothèque) pour le réseau de lecture publique, dans une tentative d’organiser des pratiques disparates dans le respect de la législation. Le 10 novembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision dans laquelle elle statue que « le prêt d’un livre électronique (e-book) peut, sous certaines conditions, être assimilé au prêt d’un livre traditionnel. Dans une telle situation, l’exception de prêt public, qui prévoit notamment une rémunération équitable des auteurs, a vocation à s’appliquer3 ». En d’autres termes, les livres électroniques peuvent être prêtés en bibliothèque s’ils donnent lieu à une juste rémunération des auteurs et des éditeurs, comme c’est le cas actuellement pour les livres papier. Donc, si leur prêt passe par des plateformes sur lesquelles les droits ont été négociés. Or celles-ci sont peu nombreuses pour les CDI et relativement onéreuses. Il n’est donc pas possible, pour des livres audios qui ne sont pas tombés dans le domaine public, de les acheter à l’unité puis de les charger sur une clé USB ou tout autre support mobile pour les prêter. Il n’est pas non plus autorisé de les mettre à disposition sur l’espace numérique de travail (ENT), même si l’accès est protégé par un code. En dehors des plateformes, point de salut !

En ce qui concerne le droit de diffusion, aucune position claire n’est encore définie (ENSSIB, 2019). Comme il y a sonorisation, nous sommes face à un bien culturel hybride, élément mis en voix et parfois accompagné de musique et de bruitages. Pour éviter tout problème et en attendant que la règlementation française s’empare de cette question, le plus simple reste de demander directement l’autorisation de diffusion à l’éditeur. Certains mentionnent d’ailleurs sur la jaquette du livre ou sur leur site la possibilité de diffuser, à l’instar d’Audiolib.

À la question « Connaissez-vous les règles juridiques concernant les livres audio en établissement scolaire ? », les réponses ne sont sensiblement pas les mêmes entre les professeurs-documentalistes travaillant dans un CDI avec des livres audio et ceux qui n’en proposent pas :

CDI avec livres audio
CDI sans livre audio

Le droit est une discipline mouvante, constamment actualisée, abondée par la jurisprudence, alimentée par les législations européennes et internationales. Les supports numériques évoluent et viennent remettre en question les textes existants concernant le droit d’auteur, le droit de copie, le droit de prêt, de diffusion et les droits attachés aux supports. Il est impératif que les professeurs-documentalistes puissent bénéficier d’une formation solide et régulièrement mise à jour dans ce domaine. Cela permettrait à des enseignants d’être informés de façon précise des règles concernant l’acquisition, le prêt et la diffusion de livres audio et, connaissant les modalités, d’en acquérir pour les CDI. De plus, certains enseignants dont les pratiques peuvent sortir du cadre légal par méconnaissance du droit pourraient adapter leurs pratiques pour ne pas être mis en difficulté.

Des freins techniques et financiers

Si l’acquisition et le prêt de livres audio sous format CD est ce qu’il y a de plus simple à mettre en place au CDI, on peut tout de même s’interroger sur le statut du support CD. Le développement du streaming, que ce soit pour la musique, la vidéo ou le livre audio, entraîne un changement des pratiques dans la consommation de ces biens culturels. La question du taux d’équipement en lecteur CD se pose réellement à une époque où ces matériels ne sont plus de série sur les voitures, où les smartphones ont remplacé les baladeurs CD et MP3 et où les ordinateurs portables ne permettent plus d’en lire. Ce support n’est-il finalement pas obsolète ? D’ailleurs, les enquêtes sur l’équipement des Français ne prennent par exemple plus en compte les platines CD, à l’instar de celles de l’INSEE4. Les résultats des questionnaires montrent que la majorité des répondants possède le support CD audio : 26 réponses sur 34. Ceci peut paraître étonnant car le support CD ne semble plus attirer les élèves, certains collègues se demandant même si les familles en sont encore équipées. Mais comme nous l’avons vu, c’est actuellement le moyen le plus simple pour proposer dans un fonds documentaire.

D’autre part, le prix des livres sur support CD peut être un frein à leur acquisition. À titre d’exemple, début 2025, le roman Là où chantent les écrevisses de Délia Owen est au prix de 9,90 € au format poche et de 26,90 € au format CD audio.

Cette différence de prix peut influer sur les choix des professeurs-documentalistes qui doivent prendre ce facteur en compte pour leurs acquisitions. Le budget du CDI fait partie intégrante de la politique documentaire d’un établissement et un enseignant de collège qui aura 300 € à consacrer aux acquisitions pour une année scolaire ne pourra sans doute pas demander l’achat d’un tel support, sauf à recevoir un financement exceptionnel pour un projet spécifique. Ce point est d’ailleurs soulevé dans l’enquête, 16 collègues évoquant un budget insuffisant pour de telles acquisitions. Ceci peut aussi expliquer que les professeurs-documentalistes qui en achètent n’en acquièrent qu’un faible nombre tous les ans, majoritairement entre un et cinq.

CDI sans livre audio
CDI avec livres audio
CDI avec livres audio

Pour les enseignants, l’évolution logique dans les établissements serait la négociation de ressources et de plateformes pour l’éducation, à l’instar du Gestionnaire d’accès aux ressources (GAR). Pour le livre audio en streaming, il est possible d’en prêter via une plateforme en ligne. L’abonnement à ces plateformes représente cependant un budget conséquent et cette prise en charge financière aurait plutôt vocation à être négociée au sein d’un bassin d’établissements, la plupart des sociétés développant ces services préférant une approche B2B (Business to Business). À titre d’exemple, deux conseils départementaux – l’Essonne et la Seine Maritime – ont pris en charge le financement de l’accès à la plateforme pour l’ensemble de leurs collégiens. Les plateformes sont gérées par les bibliothèques départementales de prêt (BDP) et accessibles depuis l’ENT des établissements, après identification individuelle.

Pour l’Essonne, la plateforme Bibliocollège5 permet aux élèves d’accéder à 218 livres audio. Livres et vous6 en Seine Maritime donne accès de son côté à 1731 livres audio, principalement issus de la littérature classique.

Si l’avenir du livre audio passe progressivement de l’abandon du support CD, peu attractif pour les élèves, à la mise à disposition de fichiers numériques, il serait utile pour l’Éducation nationale de s’appuyer sur l’expérience du livre numérique. Du côté des structures de lecture publiques avec le Réseau Carel et PNB, d’une part, du côté de l’enseignement supérieur et de la recherche avec Couperin, d’autre part, des consortiums ont pu être créés et profiter aux établissements et à leurs usagers, même si les négociations restent parfois insatisfaisantes.

Une réticence quant à la forme audio

Le livre audio est la transcription sous format audio d’un texte. Il reproduit donc fidèlement le contenu de l’ouvrage mais l’activité qui consiste à écouter un livre-audio est-elle pour autant assimilée à de la lecture ? Le livre audio souffre d’un double handicap : ce n’est pas un livre papier, forme traditionnelle, et il fait appel à l’oral. Pour Daniel Delbrassine, enseignant en didactique du français et en littérature jeunesse à l’université de Liège, le livre audio souffrirait d’un déficit d’estime en France : « parfois présentée comme une méthode paresseuse, réservée aux incapables et marquée par la passivité, la perte de contrôle et le manque d’engagement, la “lecture” avec les oreilles a longtemps été mal vue » (Delbrassine, 2021, p. 9). Qu’un adulte fasse la lecture le soir à un enfant est une pratique socialement acceptée, voire valorisée. Un adulte se lisant à lui-même à voix haute sera peut-être considéré comme un lecteur rencontrant des difficultés à faire sens de l’écrit, ce qui l’oblige à passer par la verbalisation (Tattersall Wallin, 2020). Écouter un livre audio n’est pas toujours considéré comme un rapport au texte équivalent à celui d’une lecture sur ouvrage papier. Certaines réponses libres du questionnaire vont dans ce sens : « le message passe moins auprès des profs de lettres : “Je veux qu’ils lisent le livre” ; “Des enseignants demandent la version audio pour leurs élèves dys-, les autres doivent lire le texte.” ; “Les enseignants de français sont peu prescripteurs.” ». Comme le souligne Daniel Delbrassine, « le livre audio bouscule notre conception de la lecture et de la littérature, en réintroduisant l’oralité dans le champ de la culture qui l’avait depuis longtemps presque “évacuée” » (op. cit. p. 12). Il manque dans l’enquête une question plus précise sur ce lien entre écoute et lecture pour comprendre si les collègues ayant répondu associent l’activité d’écouter un livre audio à celle de lire.

Par ailleurs, le livre audio est un support encore fortement associé au handicap. Pour Paule du Bouchet, éditrice chez Gallimard et responsable de la collection de livres audio Écoutez lire, la création d’une commission sur le livre audio au Syndicat national de l’édition « a pour objectif de donner une meilleure visibilité au livre audio, principalement le secteur adulte qui est encore trop souvent entaché d’une image associée à la déficience visuelle. Or, le livre audio, qu’il soit jeunesse ou adulte, c’est d’abord et essentiellement un objet littéraire et culturel à part entière, et non un substitut du livre traditionnel » (Lallouet, 2016, p. 179).

Le livre audio comme « voix »  d’entrée dans la lecture ?

Une expérience avant tout sensorielle

L’impact de la voix du lecteur peut être très important pour l’élève. C’est un paramètre à prendre en compte car dans le livre audio, c’est elle qui va porter le récit et aider l’élève à s’immerger dans l’histoire. Certains textes sont lus par des comédiens professionnels, mis en musique ou sonorisés avec divers effets. Il arrive que de grands noms du cinéma ou du théâtre français prêtent leur voix.
Si, comme on l’a vu précédemment, l’acte d’écouter un livre audio est considéré par certains professionnels comme moins engageant que la lecture papier ; des enseignants notent cependant dans leurs réponses libres au questionnaire que ce média est un levier pour certains élèves :

– « Ce support est très demandé par les élèves qui n’aiment pas lire. Mis en place depuis seulement 2 ans. Plus les livres sont ‘difficiles’ plus la demande est importante. »
– « Nombreux sont les élèves pour qui le livre reste un objet de découragement, voire un objet de rebut. Proposer de l’audio permet de dépasser cet obstacle pour, encore une fois, renouer avec le plaisir de lire. »

Le livre audio est ici un moyen pour ces élèves de ne pas se couper d’un livre, d’avoir accès à un texte.
D’autre part, il semblerait que le livre audio soit vu comme un moyen de réintroduire le plaisir sensoriel de la lecture. On peut lire dans des réponses libres :

– « Certains élèves en sont éloignés, sans doute parce qu’on ne leur en a pas lu petits. C’est difficile de décortiquer une histoire, même un film, quand on n’a pas les codes. »
– « Je trouve que ce support est un excellent vecteur de plaisir de lire : il passe outre les difficultés des élèves ; seul le plaisir d’écouter une histoire demeure, leur rappelant également celui éprouvé, petit enfant, à la lecture des histoires du soir. Pour ma part je continue souvent de lire des livres à voix haute à mes élèves et…. ils adorent ! »

Pour l’anthropologue Michèle Petit, « la lecture à voix haute aurait ainsi été jusqu’à une époque récente l’une des grandes voies d’accès au désir de lire, l’une des scènes fondatrices d’une avidité pour les supports écrits (vécue avec une intensité variable selon le temps de la vie, et pas forcément dans l’immédiat) » (Petit, 2014, p. 171).

Quelle médiation pour le livre audio au CDI ?

Si les bons lecteurs iront chercher seuls des ouvrages dans les rayons du CDI ou n’hésiteront pas à demander des conseils, les lecteurs moins engagés seront plus réticents. Le livre audio, quand il intègre le fonds du CDI, doit faire l’objet d’une médiation. En bibliothèque de lecture publique, certaines structures choisissent de le valoriser comme tout autre support :

Valoriser le livre audio, c’est acquérir le réflexe d’inclure ce support dans les formes de médiations que nous faisons déjà, au même titre que d’autres versions des titres (comme le livre en gros caractères). Il peut trouver sa place dans les bibliographies, les tables des nouveautés, des sélections de livres que nous proposons aux collégiens, les documents que nous déposons à la maison de retraite… (Kudzia, 2016, p. 60).

Le livre audio doit pouvoir être intégré aux séances pédagogiques comme le serait tout autre support présent au CDI : catalogage dans la base documentaire pour les recherches des élèves, présentation lors d’actions de lecture (séances thématiques, organisation d’un prix littéraire, etc.), mise en avant sur le portail documentaire, affichage spécifique, coin écoute en libre accès, etc. La liberté pédagogique des professeurs documentalistes permet d’envisager de nombreuses actions de valorisation.
Par exemple, l’association La Plume de Paon proposait jusqu’en 2024 un Prix des lycéens du livre audio, action à laquelle pouvaient s’associer des professeurs documentalistes7. D’après les résultats de l’enquête, peu ou pas d’actions spécifiques de médiation sont mises en place : trois collègues en proposent contre 30 qui n’en proposent pas. Cette question mériterait d’être plus approfondie, pour savoir si, par exemple, c’est le faible nombre de livres audio dans le fonds qui explique qu’on ne les présente pas spécifiquement, ou si d’autres facteurs sont à prendre en compte.
Plusieurs réponses témoignent de l’importance d’une prescription par leurs collègues de lettres. Sans ces recommandations, le livre audio n’est pas a priori un support vers lequel les élèves se tournent spontanément.

Le livre audio, un outil inclusif

Le livre audio comme support de référence

L’expression « publics empêchés » désigne les personnes en situation de handicap, les individus placés sous-main de justice et les personnes en établissements publics de santé. Plus précisément, les déficients visuels et les personnes atteintes de troubles DYS sont les deux principales catégories de personnes dites « empêchées de lire ». Ce sont de fait des personnes pour qui le livre audio est un support particulièrement adapté.
Même s’il est difficile de chiffrer exactement l’étendue des troubles DYS, on estime qu’environ 4 % à 5 % des élèves d’une classe d’âge sont dyslexiques, 3 % sont dyspraxiques et 2 % sont dysphasiques8.

L’un des enjeux majeurs pour l’Éducation nationale est l’adaptation des ressources et leur accessibilité. En France, le droit d’auteur est protégé par le Code de la propriété intellectuelle (CPI). Tout auteur d’une œuvre possède sur cette dernière un droit moral ainsi que des droits patrimoniaux. Il existe cependant une exception à ce droit patrimonial en faveur des personnes en situation de handicap, instaurée par la loi du 1er août 2006 relative aux droits d’auteurs et aux droits voisins dans la société de l’information (loi DADVSI). Ce principe d’exception a été révisé par la suite en 2016 (Loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine). Les organisations à but non lucratif peuvent réaliser des adaptations d’œuvres protégées, afin de les communiquer aux personnes en situation de handicap, sans demander l’autorisation préalable au titulaire des droits et sans dédommagement. Ces communications sont rattachées à la personne qui en fait la demande. Dans le cas d’un établissement scolaire, c’est donc l’élève et non l’établissement ou le CDI qui peut bénéficier de l’œuvre adaptée. L’établissement peut cependant être un intermédiaire entre l’élève et sa famille et la bibliothèque sonore. Si les livres audio obtenus par ce biais peuvent être stockés au CDI pour plus de facilité, ils ne sont prêtés qu’aux élèves qui en ont fait la demande expresse. Quant aux plateformes que les élèves peuvent solliciter, on peut citer Éole9. Sur présentation d’un justificatif personnel, l’inscription est gratuite et permet l’accès à plus de cinquante-mille livres audio, téléchargeables ou à recevoir sur CD audio.

Le format le plus répandu en France pour la lecture de livres adaptés est le système DAISY, Digital Accessible Information System, qui est une norme internationale. La particularité de cette norme est qu’elle permet la structuration des ouvrages par chapitre, page, paragraphe, et phrase. Ce système permet à l’utilisateur de reprendre sa lecture à l’endroit même où il s’est arrêté, ce qui n’est pas possible avec un fichier MP3 ou un CD audio, à moins de se servir de l’avance rapide. Des signets peuvent être insérés comme des marque-pages. Il est également possible de jouer sur la vitesse de lecture, sans que cela ne déforme la voix qui lit le texte.

Les livres audio peuvent être lus par des donneurs de voix bénévoles, il s’agit dans ce cas de « livres DAISY voix humaine ».
Dans le GAR, des livres audios sont proposés par certains éditeurs. Ainsi, la plateforme SONDO de l’éditeur Mobidys, est une bibliothèque inclusive pour les collèges qui possède un catalogue d’environ 400 titres. Des outils accompagnent chaque texte, comme la synthèse vocale. Des manuels scolaires sont aussi disponibles au format audio. L’accès à cette plateforme est payant pour les établissements.

Il n’existe que peu, voire pas d’étude liant livre audio, élèves en situation de handicap et CDI. Peut-être parce que l’oral/l’audio et le CDI sont relativement opposés dans les représentations qu’on peut avoir du lieu, ou parce que les recherches se sont intéressées jusqu’à présent à l’édition papier en direction des publics DYS qui s’est énormément développée ces dernières années.

La présence d’élèves empêchés de lire est une des raisons évoquées par les répondants à l’enquête pour expliquer la présence de livres audio au CDI. Parmi les collègues qui en ont dans leurs fonds, 25 indiquent que les élèves DYS empruntent ou utilisent ce média (contre 9 réponses négatives). Certains précisent en commentaire libre « les besoins sont grandissants car beaucoup d’élèves sont en grandes difficultés de lectures. Je réfléchis à proposer un coin écoute au CDI avec lecteur de MP3 » ; « Nous sommes en pleine réflexion avec mes collègues de lettres sur cette question… Nous constatons en effet des besoins accrus, notamment dans le cadre des lectures suivies ou cursives en cours : le nombre d’élèves dyslexiques explose, et, si j’ai acheté quelques ouvrages spécialisés pour ce public, ce n’est pas suffisant ». Parmi les professeurs-documentalistes ne proposant pas ce support, certains pallient cette absence en travaillant avec des bibliothèques de leurs départements, bibliothèques municipales ou bibliothèques sonores, comme ils le précisent en réponses libres :

– « Convention avec la Bibliothèque Sonore de mon département, pour nos élèves «empêchés de lire » pour raisons médicales. »
– « Nous travaillons également à un partenariat avec une médiathèque (pour le prêt de livres audio par navette. »

Le livre audio pour les élèves allophones

Au-delà des élèves déficients visuels, ayant des troubles dys- ou en grande difficulté de lecture, les résultats du questionnaire, notamment les commentaires libres, ont fait apparaître un autre public pour lequel les livres seraient intéressants, celui des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA).

Si les EANA ne sont pas des élèves empêchés de lire, ils n’en sont pas moins éloignés de la compréhension de la langue française. Le français n’est pas leur langue maternelle mais ils devront l’acquérir comme langue seconde (FLS).

L’utilisation de l’oral et du livre audio semblent particulièrement adaptés pour ce public. Il existe peu de documentation sur ce sujet. Certaines maisons d’éditions spécialisées en Français langue étrangère (FLE) proposent des livres, de courts romans ou des classiques abrégés, accompagnés de CD. Pour les plus jeunes, le CASNAV de l’académie de Strasbourg propose par exemple des versions audios d’albums jeunesse, dans différentes langues comme le chinois, le roumain, l’arabe, le polonais, etc.10 Pour ces élèves, le livre audio au CDI est un appui précieux.

Conclusion

À l’ouverture de la boîte, je trouvai dedans un je ne sais quoi de métal quasi tout semblable à nos horloges, plein d’un nombre infini de petits ressorts et de mcachines imperceptibles. C’est un livre à la vérité, mais ’est un livre miraculeux qui n’a ni feuillets ni caractères ; enfin c’est un livre, où pour apprendre, les yeux sont inutiles ; on n’a besoin que d’oreilles.

Dès 1657, Savignien Cyrano de Bergerac imagine dans l’Histoire comique des États et empire de la Lune un dispositif permettant d’écouter des histoires. Les avancées technologiques ont permis de faire de ce fantasme une réalité. Livres numériques, podcasts, fichiers audio, livres augmentés, boîtes à histoire, notre conception du livre évolue et permet à chaque lecteur potentiel de faire la rencontre d’un texte, d’un auteur ou d’une œuvre. Espérons que cette richesse pourra bénéficier aux élèves et que les CDI auront les moyens institutionnels de s’en emparer.

 

 

Le dérèglement climatique et ses conséquences

Il ne fait désormais plus aucun doute que les changements climatiques sont bien réels et modifient peu à peu notre quotidien (changement des températures, disparitions d’espèces, apparition de nouvelles maladies…). À mesure que leurs effets s’intensifient, les jeunes prennent de plus en plus conscience que ce sont eux et leurs enfants qui en subiront les conséquences. De nouvelles angoisses apparaissent alors comme l’éco-anxiété, un mal qui touche particulièrement les jeunes générations. L’éco-anxiété est un sentiment d’impuissance face au changement climatique et à ses conséquences sur notre planète et plus particulièrement sur nos modes de vie. L’état du monde empire avec la hausse des températures, la montée des eaux, le déclin de la biodiversité, les ressources qui diminuent et l’augmentation des réfugiés climatiques… Si l’éco-anxiété peut provoquer le désespoir, la colère et la peur, elle peut également être source de mobilisation et donc d’action : il est encore temps, si on se dépêche, de changer le futur en permettant par exemple aux jeunes de s’informer sur ce qu’est véritablement le changement climatique et ses conséquences. Ainsi préparés et informés sur ces phénomènes et leurs implications, les jeunes pourront s’orienter vers des solutions, à leur échelle ou bien plus globales.
La littérature dédiée aux adolescents sur cette thématique et notamment les dystopies, les fictions d’anticipation connaissent un fort développement ces dernières années (voir Thèmalire « Dystopies et changements climatiques ») ; et la question du dérèglement climatique est souvent traitée par les médias. En revanche, les ouvrages documentaires récents qui portent sur cette question sont moins évidents à trouver.

Bien s’informer pour mieux comprendre le dérèglement climatique et ses conséquences. Introduction aux concepts

Pour comprendre ce que l’on vit aujourd’hui et ce qui nous arrivera demain, il est essentiel de revenir aux fondements en répondant à la question « Qu’est-ce que le changement climatique ? »
En effet, bien des jeunes ne savent pas véritablement de quoi l’on parle et ne font pas la différence entre le fait, par exemple, qu’il fasse plus chaud que d’habitude l’hiver (c’est-à-dire la météo) et un climat plus chaud qui entraîne des réactions en chaîne (le climat). Jean-Marc Jancovici, dans son ouvrage Le changement climatique expliqué à ma fille, reprend très clairement la différence entre ces deux éléments. Sous la forme d’une discussion entre un père et sa fille, il explique tout d’abord que le climat change, et revient sur des définitions importantes comme l’effet de serre. Il aborde également la thématique de la montée des eaux et des conséquences du réchauffement des océans, la fonte des glaciers et des banquises. Enfin, il rappelle que les ressources sont épuisables et bientôt épuisées, comme celles qui servent à produire notre énergie (pétrole, gaz, charbon, etc.). Il rappelle également que certaines énergies sont plus polluantes (et participent davantage au dérèglement) que d’autres.
Sur un autre support, la bande dessinée intitulée Le changement climatique en Bd ! réalisée par Yoram Bauman et Grady Klein met en scène deux scientifiques expliquant de manière simple et amusante ce qu’est le changement climatique. Dans une première partie, les auteurs reviennent sur le fonctionnement de notre planète pour mieux comprendre les cycles qu’elle a traversés et les différents phénomènes qui créent ce changement. La seconde partie dresse le portrait des conséquences de ce dérèglement depuis la révolution industrielle (l’augmentation des températures, ses conséquences sur l’eau et sur la vie sur Terre). La troisième partie porte sur les actions à mener pour limiter notre empreinte carbone. Le format bande dessinée est très intéressant, car il permet de toucher un public plus large et de faciliter la compréhension des termes employés grâce à de nombreux schémas, graphes et dessins.
Ancien et peut être difficile à trouver, le documentaire d’Al Gore Une vérité qui dérange, à la fois biographique et de photographie, invite à une prise de conscience générale sur les problèmes environnementaux. Nous sommes touchés par cet ancien vice-président des États-Unis qui nous raconte comment il a pris lui-même conscience du changement climatique à la suite du terrible accident de son fils. Le dérèglement climatique et ses conséquences (fonte des glaciers, augmentation des catastrophes naturelles, manque d’eau, élévation du niveau de la mer) sont autant de preuves que celui-ci est déjà présent et qu’il s’intensifie. Il apporte également des éléments de compréhension sur l’inaction des États (actions de lobbyistes et campagnes de pub discréditant les scientifiques). Enfin, Al Gore propose des moyens d’actions individuels pour limiter la consommation d’énergie et ainsi avoir moins d’impact sur le climat.

Un changement climatique qui implique des changements sociétaux

Pour faire suite à la critique d’Al Gore sur les raisons de l’inaction politique face à l’urgence climatique, plusieurs documentaires pointent du doigt le capitalisme, le rôle joué par les lobbys et la surconsommation.
Ainsi, la blogueuse Emma Clit, dans la bande dessinée intitulée Un autre regard sur le climat, met en évidence une approche sociale du problème. Elle dresse le portrait, appuyé de chiffres, des conséquences des changements climatiques sur les territoires et sur les populations. C’est un livre engagé et foncièrement anticapitaliste, le capitalisme étant jugé comme la première cause du dérèglement climatique et de l’inaction politique : le profit, le lobbying et l’illusion d’une économie verte sont autant de maux qui empêchent les véritables actions. La dernière partie de ce livre est dédiée aux solutions possibles que nous pouvons déjà mettre en place.
Sur le sujet du capitalisme et la critique de notre mode de consommation actuel, nous pouvons également recommander l’album de Cyril Dion et Pierre Rabhi, Demain entre tes mains. Cet album est facile d’accès pour les élèves car il contient peu de texte au profit d’images avec de nombreuses citations mises en avant comme des principes écologiques et de vie en société. Il explicite les problèmes liés au changement climatique comme la déforestation, l’extinction de nombreuses espèces et l’augmentation de la pollution. Cyril Dion et Pierre Rabhi critiquent notamment dans ce livre le fait que l’on utilise la nature et ses ressources, non plus seulement pour se nourrir ou pour vivre, mais au contraire pour s’enrichir et faire du capital. Ils prônent un changement de comportement basé, non plus sur la peur de manquer, mais sur d’autres types de valeurs comme la passion ou l’amour.

Des Bds documentaires pour toucher un public plus large

Trois bandes dessinées peuvent permettre d’aller plus loin dans la compréhension des enjeux climatiques actuels. Il s’agit de Saison brune de Philippe Squarzoni (2012), Le monde sans fin de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici (2021) et Urgence climatique : il est encore temps ! d’Ekeland Ivar et Lécroart Etienne (2021).
Saison brune (Prix de l’Académie française 2012) met en scène Philippe Squarzoni lui-même qui termine son album politique Dol. Toutefois, il lui reste un chapitre sur l’écologie à écrire et à dessiner. Manquant de connaissance sur le sujet pour réaliser correctement son album, il commence à chercher des informations, mais les problèmes du changement climatique lui apparaissent plus compliqués que ce qu’il pensait. Il mène alors une véritable enquête pour mieux comprendre ces enjeux. Nous sommes plongés à la fois dans une enquête pour comprendre les causes et les conséquences du dérèglement climatique, mais aussi dans les considérations et les craintes personnelles de Philippe Squarzoni telles qu’elles pourraient l’être pour chacun de nous.
Le monde sans fin est une bande dessinée d’une approche plus ludique, dans laquelle Christophe Blain, le dessinateur (dessinateur de la BD Quai d’Orsay, 2010), se met en scène, discutant avec Jean-Marc Jancovici. Cette BD est composée de trois grandes parties : l’énergie, le climat, la culpabilité. La première partie sur l’énergie nous fait réaliser que tout ce que nous utilisons dans notre quotidien, nos appareils électroniques, bien sûr, mais aussi tous nos objets, consomment ou ont consommé de l’énergie avant d’arriver jusqu’à nous. Nous apprenons ainsi ce qu’est l’énergie et la place centrale qu’elle occupe au sein de la société. La seconde partie concerne le climat et notamment les causes et conséquences du dérèglement climatique. Jean-Marc Jancovici explique que les humains agissent sur trois des gaz à effet de serre qui participent à ce dérèglement. Il revient ensuite sur les conséquences d’une augmentation de 2 à 5 degrés, non seulement pour la planète (les océans, la biodiversité, etc.), mais aussi pour les populations. Il fait également une comparaison très intéressante des différents moyens de fabriquer de l’énergie. La troisième partie n’est pas là pour culpabiliser le lecteur (contrairement à son titre ironique). Au contraire, Jean-Marc Jancovici nous rassure : il n’est pas question d’arrêter de manger de la viande, mais de changer nos manières de consommer : par exemple, consommer moins, mais de meilleure qualité et de manière locale, changer nos habitudes de transport, modifier notre manière de construire nos logements et enfin faire des achats raisonnés.
Urgence climatique : il est encore temps ! est issu de la rencontre d’Ekeland Ivar (mathématicien) et Lécroart Étienne (dessinateur). La BD a pour objectif de sensibiliser le lecteur à la question de l’urgence climatique, un sujet sérieux, certes, mais sans toutefois mettre de côté l’humour d’Étienne Lécroart. Grâce aux nombreuses interventions d’experts scientifiques, biologistes, historiens, économistes et climatologues, cette BD permet de faire l’état de la situation actuelle concernant le dérèglement climatique. Si le tableau du futur que dépeignent ces témoignages n’est pas très réjouissant, les auteurs parviennent à montrer qu’il est encore possible d’agir en vue de l’améliorer, si toutefois nous nous en donnons les moyens.

La mobilisation des jeunes

Face au constat de l’urgence climatique, ce sont les jeunes qui se mobilisent et qui montrent du doigt l’inaction générale. Ces jeunes ont pris conscience des problèmes climatiques et écologiques qui nous entourent et désirent un changement de politique, avec plus de justice sociale.
On peut le voir notamment à travers le roman Il est encore temps ! de Jean-Philippe Blondel qui met en scène une jeune lycéenne, Lou, qui entre en seconde et qui n’est pas aussi excitée que les autres par la rentrée. Lou est très sensible aux conséquences du changement climatique et ne voit pas comment elle pourrait se projeter dans un futur qui serait dégradé. Pourquoi étudier si nous ne savons pas si nous survivrons dans dix ans ? Lou va découvrir Greta Thunberg et partager sa lutte jusqu’à organiser elle-même un événement d’envergure avec l’aide de ses nouveaux amis. Ce roman fait écho à l’éco-anxiété des jeunes face aux problématiques environnementales et climatiques dont ils vont être victimes et démontre qu’ils peuvent aussi être les moteurs du changement. De plus, il est assez court et dynamique, il donne envie de se documenter davantage sur ces jeunes qui luttent et essaient d’agir pour le futur.
Pour aller plus loin, nous pouvons conseiller Polar vert. L’histoire se passe en Bretagne, Klervi, une jeune lycéenne, retrouve son frère et son cheval inertes sur une des plages proches de chez eux. Elle court les sauver, sachant pertinemment que la plage est recouverte d’algues vertes et que celles-ci peuvent tuer. Elle s’évanouit et est secourue in extremis. Toutefois, le monde de Klervi sera à jamais chamboulé : son frère est dans le coma, son cheval est mort, elle devient à la fois un témoin important dans l’enquête policière en cours au sujet de l’accident de son frère et aussi un suspect dans le trafic d’espèces protégées que mène la famille de son petit ami. Les deux jeunes gens et leurs amis deviennent des activistes critiquant l’implication des grandes industries dans la prolifération des algues vertes et l’inaction des politiques face à l’urgence climatique.
Un excellent documentaire peut également être révélateur de l’engagement des jeunes pour le climat et l’environnement. Il s’agit de Ces jeunes qui changent le monde. Cet ouvrage ne se limite pas à la question du climat, mais traite aussi de la thématique des déchets, du plastique, de la déforestation, de la biodiversité, de l’éducation, etc. Chaque thématique est un focus sur l’adolescent qui lutte pour faire changer les choses. Plusieurs pages sont donc consacrées au climat, à Greta Thunberg, mais aussi à Anuna De Wever et Kyra Gantois, et Xiuhtezcatl Martinez. Les auteurs nous décrivent leur combat, comment l’idée de cette lutte leur est venue et ce qu’ils ont fait pour montrer leur désaccord. Ils font également un portrait de ces jeunes. Enfin ils retracent les dates clefs du mouvement « Grève de l’école pour le climat ». Ce livre invite les jeunes à prendre conscience qu’ils ont un pouvoir politique, qu’ils peuvent entrer en action et faire entendre leur voix.
Pour finir, nous pouvons également faire référence à l’ouvrage de Mazza Viviana (journaliste italienne), Greta La voix d’une génération, dans lequel Viviana Mazza dresse le portrait de Greta Thunberg et raconte ses actions pour l’environnement et le climat. L’auteure fait également référence au fait que le mouvement lancé par Greta Thunberg est suivi par de nombreux jeunes et qu’il n’est pas un élément isolé. C’est un ouvrage court, facile à lire et peuplé d’illustrations. Un dossier pédagogique et un glossaire à la fin du livre reprennent les définitions les plus importantes.

Conclusion

L’impact de l’activité humaine sur le climat n’est plus à démontrer, et ses conséquences sur le futur de nos sociétés s’annoncent désastreuses : nous sommes en situation d’urgence climatique. Il apparaît clairement qu’il faut agir vite et dès maintenant. Or, c’est cet état d’urgence et cette prise de conscience qui sont source d’anxiété et de fatalisme : pourquoi continuer à étudier ? Le CDI (Centre de Documentation et d’Information) paraît être le lieu idéal pour permettre aux jeunes de s’informer, avec des ressources actuelles et fiables. Être informé et comprendre ce que signifie ce dérèglement permettra aux jeunes d’anticiper sur leur avenir, de réfléchir à leurs actions, de développer leurs compétences en fonction de la ou des causes pour lesquelles ils souhaiteraient s’investir personnellement et enfin de participer à trouver des solutions.

 

 

Les documentaires jeunesse à l’ère d’Internet

La production éditoriale reste pléthorique, et dans tous les domaines de la non-fiction : animaux, sport, cuisine, société, etc. Je ne vous ferai pas l’affront de vous présenter des documentaires autour des thématiques au programme, notamment en classe de 6e ou 5e (oui les ouvrages sur l’Égypte ancienne ou la mythologie, c’est vous que je regarde), qui sont de toute façon largement achetés, rachetés, réédités et empruntés.
Toutefois, les usages et les centres d’intérêt des élèves évoluent, et c’est pourquoi je vous propose quelques pistes pour adapter votre politique documentaire. Loin d’être exhaustive, cette sélection de titres et/ou collections susceptibles de faire renouer les élèves avec les documentaires, est fondée sur la problématique suivante : si tout est disponible sur le web, les livres mis à disposition doivent impérativement offrir une « plus-value » par rapport à l’informatique.

Loisirs, recherches personnelles

Certains types de documentaires sont empruntés et consultés par les élèves avec toujours le même succès, notamment parce qu’il est difficile de trouver facilement l’équivalent sur le web.

Les Guiness books et apparentés

On peut bien entendu trouver des sites internet avec des records, des photos extraordinaires, mais il faudra fouiller un peu, et les ordinateurs du CDI sont rarement dédiés à cet usage. Les Guiness Book et autres remplissent très bien cette fonction de traînailler en cherchant quand même à s’amuser. Ce genre d’ouvrages, un peu fourre-tout, joue sur l’effet waouh1 : on les regarde pour être émerveillés ou horrifiés par des records improbables. Outre le Guiness des Records mis à jour chaque année, vous avez la série Terramania, Recordmania, Anatomia, etc. Ces ouvrages présentent sous la forme moderne d’infographie différents records : on retrouve la multitude d’infos rapides à picorer, le grand format. Parus depuis 2012 chez Gallimard, la série des Oh ! Le corps humain, L’espace, les dinosaures, rencontre également un franc succès.

Les livres à réalité augmentée

Depuis quelques années, les maisons d’édition se lancent dans un autre type d’ouvrages waouh : les livres à réalité augmentée, qui proposent, après installation de l’application sur tablette ou smartphone, de flasher des QRcodes ou des logos et ainsi lancer une vidéo ou faire appaître l’animal en 3D sur la page. Ce type d’ouvrages, essentiellement gadget, permet toutefois de dépoussiérer un peu le documentaire, et montrer que papier et numérique ne sont pas nécessairement opposés. À voir ensuite avec vos moyens techniques et la politique de votre établissement concernant le téléphone portable2. Glénat a ainsi lancé Les Prédateurs en réalité augmentée, L’Univers en réalité augmentée, Fleurus a lancé la collection Voir avec un drone, qui amusera plutôt les plus jeunes.

Adolescence, puberté, sexualité

Aucun. e prof doc de collège ne me contredira : le rayon adolescence (souvent en 305.23 et suivants) est régulièrement retrouvé sens dessus dessous, et c’est de là que résonnent souvent les gloussements à la récréation. Dans un collège, où la moitié de la population est en train de subir des transformations physiques, psychologiques et hormonales comme jamais elle n’en aura plus en un temps aussi court, quoi de plus normal ? D’autant plus que ces sujets ne peuvent pas faire l’objet d’une recherche sur Internet : d’une part il est hors de question que qui que ce soit voit qu’ils ou elles ont tapé « taille sexe normal » ou « règles enceinte » dans un moteur de recherche, d’autre part car il est fort probable d’un filtre bloque les recherches contenant des mots-clés liés à la sexualité, afin d’éviter les mauvaises surprises. C’est là que le travail des profs-docs est important : adieu donc ces horribles Dico des filles3 ou autres et place aux nouvelles collections. On peut ainsi citer la collection qui remplace les anciens Oxygène et Hydrogène chez La Martinière Jeunesse, intitulée Plus d’oxygène : on y trouve des titres tels que Tout sur le zizi, Planète filles (écrit par Moka), Love mode d’emploi, Questions intimes rien que pour les filles, etc. Les autrices venues du monde du blog arrivent également dans les CDI grâce à des ouvrages francs et drôles tels que Les Règles, quelle aventure, d’Elise Thiébaut et Mirion Malle. Paru en 2014, l’excellent Est-ce que ça arrive à tout le monde ? avait réussi le pari de montrer des vrais corps d’ados en photos sans susciter la gêne grâce à des trouvailles photographiques. Citons enfin la collection Adulte, mais pas trop, de la maison d’édition suisse Limonade, écrite par Stéphane Clerget et illustrée par Soledad Bravi, qui propose des titres assez réussis comme Bien vivre ta première relation sexuelle… si tu es une fille, ou Comment être gay et heureux, lesbienne et sereine.

Les émotions

Accueillir ses émotions, les exprimer qu’on soit une fille ou un garçon est une thématique qui est de plus en plus souvent traitée : elle est désormais au programme de la maternelle, et fait l’objet de séquences pédagogiques. Pour les ados, vous avez des ouvrages tels que Comment faire de ton hypersensibilité une force, chez Limonade, Deviens ton ami(e), la confiance en soi, mode d’emploi, chez Amaterra, Le Superguide pour enfin oser être soi, chez La Martinière Jeunesse, ou sur un mode plus humoristique, Transforme-toi, de Claudine Desmarteau, chez Flammarion Jeunesse.

Visées pédagogiques

Les ouvrages que nous allons voir maintenant sont des ouvrages qui seront sans doute consultés moins spontanément : ils auront donc besoin de votre aide ! Je vous propose quelques pistes, mais ensuite libre à vous d’adapter ces propositions, suivant votre sensibilité et votre public. L’idée est de présenter aux élèves des livres avec une vraie valeur ajoutée.

Les livres engagés

Au collège, les élèves commencent à découvrir la notion d’engagement : prendre parti pour une idée, la défendre, la confronter à d’autres. Internet est une vaste agora, mais il est plus facile d’y trouver du pugilat qu’une réflexion nuancée. Certains éditeurs ont une ligne éditoriale forte, à laquelle on n’est pas obligé d’adhérer, mais qui permet de montrer aux élèves comment on défend une idée. Les éditions La ville brûle, au discours ancré très à gauche, ont sorti des albums tels que On n’est pas des moutons, On n’est pas des poupées, et pour les plus grands Pourquoi les pauvres sont-ils de plus en plus pauvres et les riches de plus en riches, des sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, ou Liberté d’expression, a-t-on le droit de tout dire ? de Daniel Schneidermann. La maison d’édition Talents Hauts a à son catalogue des ouvrages (certes de fiction) qui traitent des discriminations et du sexisme en particulier.

Éducation aux médias et à l’information

L’EMI faisant partie des missions des profs-docs, il semble évident qu’une partie du fonds soit consacrée à cette thématique. Il sera ici question des ouvrages pour les élèves, pas du fonds professionnel. Les maisons d’édition suivent l’air du temps, et la plupart proposent des ouvrages consacrés à l’information, les infox, les théories du complot. On notera que certains titres recoupent la notion d’information et la notion d’engagement, comme pour l’ouvrage cité plus haut A-t-on le droit de tout dire ? où la question de l’accès et l’information, sa diffusion et surtout son interprétation prennent un tour politique. Aux éditions Le Calicot, on trouve Croire ou pas aux complots, de Philippe Godard, un petit opus qui adopte une position d’écoute face aux complotistes, afin d’essayer de réactiver leur sens critique. Du même auteur, illustré par Marion Montaigne, on a La Toile et toi, chez Gulf Stream Éditeur.
On trouvera aussi pléthore de titres autour des l’usage des écrans : Touche pas à ma vie privée !,
Découvre qui te surveille et comment t’en protéger chez Albin Michel Jeunesse, Guide de survie pour accros aux écrans, de Serge Tisseron chez Nathan, ou Tous connectés de Mathilde Giad chez La Martinière Jeunesse.

Beaux-arts

On mettra dans cette catégorie les ouvrages sur l’art, l’Histoire des arts, mais également tous les livres à système (pop-up, filtres, etc.) qui font basculer le livre quasiment dans la catégorie du bel objet. Les éditions Palette… ont un catalogue remarquable, avec des reproductions de grande qualité et des explications claires et complètes. Pour le collège, voire le lycée, la série Art et… est très réussie, notamment Art et la politique, Art et jeux vidéo, Art et musique ; mais également la collection Création contemporaine. Actes Sud Junior développe également son catalogue de livres d’arts pour les ados, avec des ouvrages au format allongé, écrit par Céline Delavaux : La Vie en Typo et La Vie en couleurs. Livres d’art pour la forme mais presque aussi pour le fonds, les magnifiques ouvrages Humanissime et Illuminature du collectif Carnovsky émerveilleront les élèves.

Le sujet est inépuisable, et cette sélection, loin de toute tentative d’exhaustivité, n’a pour objectif que de vous proposer des pistes pour une politique documentaire qui puisse venir concurrencer le réflexe numérique.

 

La Joie de lire fête ses 30 ans !

La Joie de lire, c’est donc déjà une belle et longue histoire. J’ai l’impression étrange de l’avoir toujours connue. C’est souvent comme cela avec les institutions qui s’installent tranquillement dans votre paysage, et dont les productions vous accompagnent. Qu’importe l’âge du lecteur et la taille de la maison, pourvu que le livre soit beau et inattendu. L’audace en la matière est rarement l’apanage des grands. « Audace », l’un des mots d’ordre de Francine Bouchet : « audace, qualité, créativité, originalité », avec comme valeurs affirmées « aiguiser les curiosités, montrer les multiples possibles de l’art, et éduquer le goût dès le plus jeune âge », ce dont elle ne s’est jamais départie.
Ses premières publications seront des documentaires novateurs et expérimentaux : un premier titre Corbu comme le Corbusier, qu’elle signe avec Michèle Cohen et Michel Raby, suivi, en 1988, d’une première collection, Connu-méconnu, tout de suite remarquée et déjà récompensée par le prix Saint-Exupéry pour Mozart, de Christophe Gallaz (texte) et Georges Lemoine (illustrations). Parallèlement, la même année, elle creuse la veine littéraire en créant la collection Récit, où trouveront place à la fois des auteurs de proximité, suisses francophones comme Anne-Lise Grobéty et Eugène, et des auteurs étrangers de renom : les Italiens Gianni Rodari et Béatrice Masini, le Basque Bernardo Atxaga, l’Allemande Jutta Richter, la portugaise Alice Vieira ou le Franco-Algérien Azouz Begag, dont le livre La Force du berger, remporte le Prix européen de la littérature jeunesse. Coups d’essai, coups de maître. C’est que la petite maison d’édition voit grand, et loin, la passion des livres et de la lecture n’ayant pas de frontières. Et elle a raison. Dès le départ, elle attire à elle de grands noms, qui vont certes asseoir sa réputation, mais qu’elle va aussi permettre de (re)découvrir sous un jour inattendu, alliant le souci de « transmettre un patrimoine culturel » et celui de créer quelque chose de nouveau.

 

Les années 1993 à 1999 verront ainsi la réédition de classiques, comme Stéphanie Corinna Bille, auteure pour adultes, bourse Goncourt de la nouvelle dont l’œuvre pour la jeunes

se était pratiquement inconnue, ou C.F. Ramuz, dont l’œuvre sera rehaussée de riches illustrations.
De 2000 à 2006, ce sera une période intense d’innovations : il se crée de une à trois collections par an. Certaines éphémères, d’autres appelées à durer. Et depuis 2006, les prix littéraires affluent. Il ne se passe pas une année sans qu’un ou deux titres ne soient primés. Succès mérité qui installe pour longtemps La Joie de lire dans le paysage culturel et en fait un acteur incontournable de la littérature jeunesse.
Aujourd’hui, La Joie de lire c’est plus de 500 titres au catalogue, déclinés en 23 collections – des premiers mois à l’entrée dans l’âge adulte –, 30 titres inscrits dans la sélection du ministère de l’Éducation nationale (cycle 1 à 4), 125 titres traduits à l’étranger et une renommée internationale.
Les années 2000, c’est aussi l’époque où, professeure documentaliste, je passe du collège au lycée et chronique La Joie de lire pour InterCDI. Je plonge avec bonheur dans les collections pour adolescents ou jeunes adultes (Hibouk et Encrage), des albums hors norme sans limite d’âge (collections Albums et Hors norme), pour de belles rencontres littéraires (Albertine et Germano Zullo, Toon Tellegen et Ingrid Godon, Christophe Léon…) et de vrais coups de cœur.
En 2017, les éditions La Joie de lire ont trente ans. Quel bel âge ! Nous avons voulu mieux les connaître encore, et remercions Francine Bouchet, son éditrice, d’avoir accepté de répondre à nos questions.

D’abord professeur de lettres, vous devenez libraire en 1981, puis critique de livres dans la Tribune de Genève, enfin, en 1987, éditrice de la Joie de lire, maison d’édition que vous dirigez encore trente ans plus tard. Comment êtes-vous passée d’un métier à un autre ? Ces différentes expériences professionnelles du livre et de la lecture influencent-elles votre métier d’éditrice ?

Francine Bouchet : Le passage en librairie fut mon apprentissage. J’ai découvert alors l’étendue de cette belle matière que je connaissais par mes lectures d’enfance et celles de mes propres enfants. Comment aller plus loin ? L’édition s’est imposée comme la bonne voie. En tant qu’enseignante, j’ai pris un grand plaisir à transmettre. En tant que critique, j’ai goûté à l’exploration, l’approfondissement de la matière. Il aura fallu ces étapes, avec pas mal d’inconscience en plus, pour me jeter à l’eau.

On le sait moins, mais vous êtes également auteur : vous avez signé ou traduit plusieurs titres à La Joie de lire (Quand ma mère, Les nuages et Si papa, si maman…) et des recueils de poésie aux éditions de l’Aire (Porte de sable ; Champ mineur). Quelle place tient l’écriture dans votre vie ?

Les modestes livres pour enfants de ma plume sont dus un peu au hasard. La poésie pour adultes est une expérience plus marquante. Mais je ne me considère pas comme un écrivain. La poésie est cependant la seule partition que j’ai envie de jouer.

À propos du livre pour la jeunesse, vous rejetez l’idée d’une « fonction pédagogique » au profit d’une « valeur éducative » et le définissez comme « un espace de liberté, une proposition qui ne fournit pas de réponse1 ». Qu’entendez-vous par là ? Quels titres de votre catalogue vous semblent illustrer au mieux vos propos ?

Vaste question ! Surtout dans un journal pour enseignants… Je n’avais pas quitté l’école pour m’y retrouver. L’édition pédagogique se fixe des objectifs pour un public donné. L’édition pour enfants devrait adopter une démarche « opposée », comme celle d’un écrivain qui n’écrit pas pour… mais écrit tout court. En toute liberté. Je pourrais reconnaître cette démarche dans presque tous nos livres. Les Oiseaux ou Ligne 135 en sont de bons exemples.

Quels partenariats avez-vous avec les bibliothèques et les établissements scolaires autour de la lecture ?

Trop peu… L’espace est occupé par certains de nos confrères dans les écoles, et il est bien difficile de se faire vraiment une place. Notre nationalité nous joue peut-être des tours… Notre présence sur la liste du Ministère nous est cependant très précieuse. Les bibliothèques ont toujours été attentives à notre travail. De belles rencontres ont souvent eu lieu. Le militantisme en France est remarquable.

« Pour moi, chaque livre devrait être différent des autres. Certes, c’est un idéal qui s’est souvent heurté à la réalité de la difficulté du marché » dites-vous dans une interview en 20122. Des raisons économiques influent-elles sur vos choix artistiques ?

La plupart des éditeurs commencent dans l’idéal, et c’est une joie, mais nous sommes tous rattrapés par le principe de réalité. Vous l’aurez remarqué, la veine commerciale de notre catalogue ne saute pas vraiment aux yeux ! Avec le temps, on apprend à équilibrer la production, afin notamment de garder la confiance de ceux qui nous diffusent. Je ne fais pas de compromis. Les titres qui peuvent paraître plus commerciaux ont mon entière caution, ils s’inscrivent dans ma démarche générale.

Vous affirmez à juste titre que chaque livre est unique, et affichez sur la quatrième de couverture de vos livres « Chaque lecteur est unique. Si vous avez un doute, demandez à votre libraire ». Pourtant la presque totalité de votre catalogue se décline en collections (avec indication d’âge sur le catalogue papier). N’est-ce pas un peu contradictoire ?

Pas du tout. Le catalogue et le site s’adressent principalement à des personnes qui sont déjà dans une démarche plus avertie. Celui qui maraude dans une librairie ou une bibliothèque peut se sentir un peu perdu. Cette petite citation met surtout en valeur ceux dont c’est le métier de les orienter.

Certains titres, comme l’album Mon tout petit d’Albertine, par leur beauté, leur sensibilité ou la force du propos, sont effectivement irréductibles à un âge précis. Comment faites-vous pour les cataloguer ?

Si je le pouvais, je ne les cataloguerais pas ! Nous le faisons simplement pour ne pas désorienter ceux qui cherchent des livres en fonction de l’âge du lecteur.

Votre catalogue compte aujourd’hui 23 collections, qui accompagnent le lecteur des premiers mois à l’âge adulte. Certaines sont là depuis l’origine et ont plus d’une centaine de titres (Albums), d’autres sont nées plus récemment mais sont déjà très riches et appelées à durer (Encrage), certaines sont créées pour un(e) auteur(e) et quelque titres (Milton pour Haydé ; Tout-petits souris pour Odile Bailoeul et Claire Curt, Le lutin et Chiara Carrer…), d’autres encore naissent et disparaissent très vite ou entrent en sommeil (Rétroviseur). Comment naît, vit et meurt une collection à La Joie de lire ?

Ma relation aux collections fut un peu chaotique. C’est exaltant de se lancer dans une nouvelle collection. C’est un nouveau champ d’exploration. Pourquoi s’en priver ? Il est vrai que parfois, nous avons dû renoncer à poursuivre, faute de matière, faute de moyens. Avec le temps, je suis devenue plus raisonnable !

Pourquoi avoir abandonné les documentaires (vos premières publications) pour vous consacrer aux albums et à la littérature ?

À l’apparition du CD-Rom, j’ai naïvement pensé que la fin du documentaire papier était proche. Les éditeurs qui se sont lancés n’ont pas fait preuve de beaucoup d’inventivité. La possibilité de recherches est pourtant un formidable progrès dans le développement de la connaissance. Des développements autres dans le documentaire demandent des moyens financiers importants. Pour l’instant, nous observons.

Que devient la collection Rétroviseur, la plus proche d’un public adulte pour lequel vous avez plusieurs fois exprimé votre souhait de publier ?

Ce fut un chemin de traverse pour adultes qu’il est difficile de tenir. Les faibles ventes nous ont renvoyés à la jeunesse !

Dans les collections Hibouk et Encrage, qui intéressent tout particulièrement notre public, les sujets sont souvent graves ou en prise avec l’actualité (cf. Le Petit Prince de Calais de Pascal Teulade, Kinshasa dreams d’Anna Kuschnarowa). Est-ce un choix délibéré ?

Aucunement. Nous avons choisi le livre d’Anna Kuschnarowa bien avant la vague de migrations en Allemagne et la détresse de Calais m’a interpellée. Mais nous ne cherchons pas a priori à faire écho à l’actualité. Tout livre doit d’abord faire sens pour notre engagement littéraire, esthétique et éthique.

 

La collection Philo et autres chemins propose à ce jour trois petits bijoux : Facile à trouver, facile à manquer de Jutta Bauer, Je me demande de Jostein Gaarder et Akin Düzakin, et Socrate et son papa de Einar Øverenget et Øyvind Torseter. Quel est l’objectif de cette collection ?

J’aime ces livres « amorces » qui posent certaines bases de la connaissance, sans toutefois les expliciter. Je crois beaucoup à la culture par imprégnation. Dans l’avalanche des contenus que les enfants reçoivent, il est un sillon qui se creuse peu à peu. C’est cela, me semble-t-il, qui devient le terreau en profondeur.

Quels sont vos titres best-sellers ? Comment expliquez-vous leur succès ?

Les livres de la collection livres-promenade de Rotraut Susanne Berner sont nos meilleures ventes. Cette collection s’impose comme une évidence. J’ai longtemps cherché des livres pour petits à partager sur les genoux, et qui offrent un échange de lecture très riche. L’enfant est libre de regarder où il veut, de nous faire découvrir des détails qui nous avaient échappé parfois ; et de son côté, l’adulte peut proposer lui aussi son parcours de lecture. Et tout cela au fil des saisons.

À vos débuts en tant qu’éditrice, vous avez su asseoir votre catalogue sur des auteurs et des illustrateurs de renom (Christophe Gallaz, Georges Lemoine…). D’autres, comme Albertine et Germano Zullo, aujourd’hui connus et primés, n’ont pratiquement publié que chez vous. Quelle part faites-vous, aujourd’hui, dans votre catalogue, aux auteurs confirmés et aux nouveaux talents ?

C’est le beau hasard des nouveaux titres qui fait le chemin. Lors de l’élaboration de notre programme, nous tentons d’équilibrer les nouveaux et les anciens talents. Il est vrai que l’un des plus grands plaisirs du métier est de mettre en valeur des nouveaux artistes, des nouveaux écrivains.

Comment se joue la rencontre avec un auteur/illustrateur ou une œuvre ?

Tous les cas de figure sont possibles : manuscrits reçus par mail ou poste, commande à des auteurs ou à des illustrateurs en fonction de nos désirs et de nos goûts, découvertes lors de foires internationales, etc. Ce que l’on préfère : accompagner l’œuvre d’un écrivain ou d’un artiste. Certains nous sont fidèles. Nous apprenons à grandir ensemble.

Quel est votre rôle dans le suivi d’un auteur, quand votre relation et collaboration s’inscrivent dans la durée ?

C’est d’abord la confiance qui nous lie. Nous avons besoin d’eux et ils ont besoin de nous. Chaque relation est différente. Certains artistes aiment être conseillés, guidés, voire portés. D’autres travaillent de leur côté. Mais il y a toujours rencontre et échanges au moment de la réception du titre fini.

Combien de projets recevez-vous, et combien en retenez-vous ?

Une trentaine par semaine. Nous en publions 4 ou 5 par année !

Quelles qualités le projet d’un(e) auteur(e) ou artiste inconnu(e) doit-il avoir pour retenir votre attention ?

Le talent, l’originalité, la profondeur, et l’humour.

Êtes-vous seule à décider ou avez-vous un comité de lecture ?

J’ai une équipe très compétente que j’écoute. Nous avons de belles discussions, mais c’est moi qui tranche.

Quels sont les rendez-vous (salons, manifestations culturelles) incontournables ?

Bologne et Montreuil. Mais nos découvertes se font surtout hors des foires.

En 2012, dans un article3, vous affirmez que, pour La Joie de lire, « l’identité suisse est une valeur sur le plan international » et qu’être « un acteur culturel de [votre] pays est important pour [vous] ». Mais vous faites aussi la part belle aux auteurs étrangers, et La Joie de lire est connue et reconnue bien au-delà de vos frontières. Comment conciliez-vous proximité et ouverture internationale ?

Dès 1987, j’ai cherché des artistes hors de nos frontières. La littérature est d’abord universelle pour moi. J’ai juste un brin de fierté nationaliste très passagère, lorsque je considère la reconnaissance dont nous bénéficions au plan international.

Avec quels pays étrangers avez-vous le plus de partenariats (auteurs publiés et diffusion) ? Comment se négocient les droits ? La France est-elle pour vous un partenaire privilégié ?

Nous ne privilégions aucun pays en particulier. Dans l’équipe, nous aimons les langues étrangères. C’est ce qui nous invite à chercher des talents également hors francophonie. Les échanges de droits sont une partie importante de notre travail. Les relations se nouent au fil du temps et débouchent sur des collaborations pérennes aussi bien pour les achats que pour les ventes de droits. Nous réalisons 60 % de notre chiffre d’affaires avec les librairies françaises… La France reste un pays remarquablement ouvert à la culture du livre. Encore pour longtemps, nous l’espérons !

Quel est votre secret pour durer ?

J’ai des confrères très talentueux. La concurrence est grande. Il me semble que pour durer, il faut veiller à ne pas perdre son âme, même si tout nous y pousse !

Comment intégrez-vous le numérique dans votre activité ?

Nous vivons avec le numérique un temps d’exception, comme l’a si bien démontré Michel Serres. J’ai tout de suite imaginé des développements inédits. Aujourd’hui pourtant, je reste sur ma faim. Ce qui paraît ne m’emporte guère. Voilà pour l’éditorial. Pour la communication, le mouvement est efficace et irréversible.

En 2012, dans une interview4 (et ailleurs), vous annonciez travailler à un projet de livre numérique conçu comme tel, avec le langage numérique et non comme simple numérisation d’un livre existant. Où en est ce projet ?

En effet, nous avons développé un projet très ambitieux d’application avec un de nos ouvrages. Nous avons dû faire marche arrière (ce n’est pas ce que je préfère !). Les moyens financiers sont considérables et le modèle économique n’existe pas encore. Même chez nos partenaires américains, c’est le désenchantement. Je me suis dit raisonnablement qu’il valait peut-être mieux, pour l’instant, continuer le travail que nous maîtrisons.

Quelle est votre plus grande fierté et votre plus grand regret ?

Je ne peux donner un titre particulier, car mes livres sont comme mes enfants ! Ma plus grande fierté pourrait être d’exister encore aujourd’hui ! Quand à mes regrets… Les erreurs nous ont toujours fait grandir.

Quels sont vos projets et comment voyez-vous l’avenir ?

Un projet, un vrai projet, est la collection La Joie d’agir qui nous emportera dans des expériences théâtrales avec Fabrice Melquiot, écrivain et directeur de théâtre. Je ne vous en dirai pas plus ! Si l’on garde confiance, l’avenir ne fait pas peur, il est juste une grande et belle page blanche…

Pourquoi le choix du hibou comme logo de votre maison d’édition ?

C’était l’emblème de la librairie. Le hibou voit la nuit, par conséquent, il lit la nuit !

Quelques collections

Hors norme

(ados/adultes)

Il est des livres inclassables, des livres entre-deux, des livres qu’il faut absolument connaître parce qu’ils sont différents de tout ce que nous connaissons déjà. J’aimerais (Toon Tellegen et Ingrid Godon) et Bimbi (Albertine) sont de cette trempe-là. Ils méritaient d’entrer dans une nouvelle collection, Hors norme, précisément. L’un est une galerie de portraits dont les regards pénètrent et questionnent notre intimité même, l’autre nous révèle l’enfance dans sa joie, sa mélancolie, sa solitude, sa cruauté…

Encrage

(3e-lycée)

Une collection de résistance, guidée par le contenu, ouverte aussi bien aux auteurs francophones que de langue étrangère, mais dont les textes ont une réelle valeur littéraire. Par les styles qu’elle propose et les thèmes qu’elle aborde, elle s’adresse aux jeunes de 15-16 ans et bien au-delà. Dans encrage, il y a l’encre, celle du livre, en papier encore… Et puis il y a l’ancrage, « ce temps de la lecture qui nous renvoie à nos attaches profondes. » Résistance par les couvertures sobres, abstraites et symboliques d’Hervé Tullet, qui tranchent avec les couvertures trop souvent aguicheuses et commerciales des productions pour adolescents. Résistance par la singularité et la consistance des contenus qu’elle propose, un peu comme on le dirait d’un plat. « Se nourrir ou se divertir, faut-il choisir ? On peut se nourrir en se divertissant, ou se divertir en se nourrissant ! »

Albums

(de 5 à 8 ans, et au-delà selon les titres)

Un florilège d’artistes représentatifs de la richesse de l’illustration actuelle.

Philo et autres chemins…

(selon les titres, de 5 à 16 ans)

Une collection non formatée, qui ouvre les voies de la pensée.

Hibouk

(liaison primaire-collège)

La collection Hibouk est un clin d’œil à l’oiseau emblème. Elle est divisée en deux catégories avec des couvertures illustrées pour les plus jeunes et des photographies pour les plus avertis.