Grand oral

Dans ce texte à deux voix, nous allons faire état de nos expériences vécues, in situ, au cœur du jury du Grand oral du baccalauréat 2023 ainsi que des constats et des questionnements qui en découlent. En tant que membre du jury, le professeur documentaliste occupe une place d’évaluateur en binôme avec un enseignant de discipline dit « spécialiste » d’un des enseignements de spécialité suivis par les candidats durant l’année scolaire. Au même titre que d’autres collègues enseignants « non spécialistes », les professeurs documentalistes occupent donc la fonction de professeurs « candides », c’est-à-dire un professeur qui n’enseigne pas dans cette spécialité. La mise en miroir de nos expériences réciproques nous conduit alors à nous interroger sur la place et le rôle du professeur documentaliste en tant qu’évaluateur au jury de cette épreuve de baccalauréat.

Nous livrons ici en cinq points, notre témoignage nourri de propos des candidats qui nous amène à poser un regard critique sur cette épreuve dite du « Grand » oral telle qu’elle est pensée par l’institution scolaire.

Place de l’information-documentation dans les directives institutionnelles sur l’épreuve du Grand oral

Instaurée dans le cadre du nouveau baccalauréat en 2019, sous J.-M. Blanquer, la finalité de l’épreuve du Grand oral est de permettre à chaque élève :

« […] de montrer sa capacité à prendre la parole en public de façon claire et convaincante. […] de mettre les savoirs qu’il a acquis, particulièrement dans ses enseignements de spécialité, au service d’une argumentation, et de montrer comment ces savoirs ont nourri son projet de poursuite d’études, voire son projet professionnel. » (BO spécial n° 2 du 13 février 2020)

L’épreuve du Grand oral ne nous est pas étrangère. En partenariat avec nos collègues de disciplines, nous participons à sa préparation durant l’année scolaire.
À Lille, la formation des élèves des classes des terminales des sections générales et technologiques s’articule autour de deux objets d’étude :
– la problématisation du sujet au moyen de la méthode du 3QOCP ;
– l’énonciation d’une source fiable à l’oral qui nécessite de former les élèves à la recherche et à l’évaluation de l’information (fiabilité er validité, pertinence des sources).
Du côté du Gard, nous préparons également les élèves en accompagnant leurs recherches d’information et en participant à des oraux blancs dans différentes spécialités dont les sciences et vie de la terre (SVT) et l’histoire-géographie, géopolitique, science-politique (HGGSP).
Si les directives institutionnelles orientent l’épreuve vers l’évaluation des compétences orales et des savoirs disciplinaires des enseignements de spécialité, elles stipulent également le développement des compétences de recherche informationnelle :

« Le Grand oral relevant des sciences humaines, des humanités et des arts […] suppose un travail d’appropriation des connaissances qui développe les compétences documentaires de l’élève, mais aussi la capacité à exposer sa réflexion de façon claire, précise et lucide, en étant attentif à son auditoire. » (Eduscol, 2023)

Pour la voie générale, à l’exception des épreuves des spécialités HGGSP et SES (sciences économiques et sociales) qui mentionnent explicitement la compétence « se documenter » dans le choix de la question1, la grille d’évaluation indicative de l’épreuve orale de la classe de terminale ne mentionne pas les compétences informationnelles en tant que telles (BO spécial du 13 février 2020). Cependant ces dernières sont évaluables à travers le critère « Qualité et construction de l’argumentation ». La capacité à énoncer une source en argumentant sa pertinence, au regard de son sujet participe en effet de la construction de l’argumentaire du candidat au Grand oral. Pour la voie technologique, les textes d’accompagnement de l’épreuve précisent, ensuite, qu’il convient d’« amener les élèves à argumenter, à questionner, à prendre de la distance, à manifester de l’engagement, à tenir des discours « informés2 », à intéresser l’autre et à saisir toute occasion révélatrice d’une maturité en devenir » (Eduscol, 2023). La préparation du Grand oral s’inscrit dans une démarche de projet et la phase de recherche d’informations y est préconisée à plusieurs reprises.
Rappelons enfin les modalités de l’épreuve au baccalauréat 20233 ainsi que les attendus quant au rôle de l’évaluateur « non spécialiste ». Après avoir choisi une des deux questions liées aux deux spécialités du candidat, celui-ci dispose de 20 minutes pour préparer sa présentation orale devant le jury. Ces 20 minutes sont découpées comme suit :

• 5 minutes de présentation de l’exposé du candidat (10 minutes dans la version remaniée du Grand oral 2024) ;

• 10 minutes de questions qui permettent au candidat d’approfondir sa réflexion et au jury de clarifier/préciser certains propos et d’évaluer la solidité des connaissances du candidat ainsi que ses compétences argumentatives (Eduscol, 2023) ;

• 5 minutes dévolues au projet d’orientation du candidat (cette partie disparaît dans la version 2024).

En somme, les textes institutionnels attendent de l’examinateur « candide » qui n’est pas enseignant de la spécialité qu’il soit particulièrement attentif à l’évaluation des compétences orales transversales (dont la qualité de l’interaction avec les membres du jury par exemple) et permette au candidat, par ses questions, de préciser des éléments de sa présentation et d’approfondir sa pensée.

Des mises en mots révélatrices de disparités dans les apprentissages informationnels selon les établissements scolaires

Lundi 19 juin 2023, 7 h 45. Arrivée au lycée polyvalent situé en zone urbaine dans deux communes des agglomérations de Lille et de Montpellier. Nous sommes convoquées en tant que membre de jury du Grand oral de trois spécialités de la voie générale du baccalauréat : arts plastiques, mathématiques et HLP (humanités littérature philosophie). Parce que nos deux témoignages convergent vers une voix unanime, nous utiliserons, dans ce texte, un « nous » fédérateur4. À la suite à la réunion de présentation, nous faisons connaissance de nos binômes enseignants de la discipline de spécialité. Les places de chacun sont liées aux modalités d’organisation de l’épreuve. « Spécialiste » vs « candide », le ton est donné par les mots : se faire une place, prendre place et laisser place à l’information-documentation aux côtés des disciplines instituées. La même question nous est posée par nos différents binômes. Quelle est ta discipline ? Nous répondons : l’information-documentation. Temps d’arrêt. Nous précisons, je suis professeure documentaliste.

8 h 30. L’épreuve démarre. En tant qu’évaluatrices, nous décidons de porter notre attention sur deux objets : les mises en mots des pratiques informationnelles des candidats et leurs compétences orales, à savoir la capacité à argumenter et à préciser sa pensée, la clarté et la concision de leurs propos. Les pratiques informationnelles englobent à la fois les compétences cognitives et informationnelles mobilisées ainsi que les représentations, les comportements et les attitudes adoptées dans différentes activités informationnelles, qu’il s’agisse d’activités de recherche, d’appropriation, de production et de communication de l’information (Cordier et Sahut, 2023). Comment chaque candidat a-t-il cherché, recueilli, exploité, donné sens et restitué l’information pour préparer son argumentaire ? Nous voulons entendre leurs expériences vécues et éprouvées avec l’information (dans un sens élargi au document, au média et à la technologie). Par conséquent, nous nous intéressons aux « manières de dire » des candidats sur leurs « manières de faire » : du parcours de chercheur d’information aux outils de recherche mobilisés, des sources consultées et exploitées aux processus informationnels engagés (tri, extraction d’information, mobilisation de faits d’actualité …). Toutes ces étapes qui concourent à l’acculturation informationnelle des candidats devraient permettre la construction de leur argumentaire de Grand oral.

Cependant nous savons que les problématiques de pédagogie et de didactique info-documentaires rencontrent de profondes disparités selon les contextes d’établissements. Les mises en mot des candidats sont révélatrices de leur niveau plus ou moins élevé de culture informationnelle. Ainsi, nous ne sommes pas étonnées du manque de consistance et d’interactivité durant nos premiers échanges :

Quelle source avez-vous utilisé pour faire cette présentation ?
Candidat en spécialité arts.
J’ai cherché en profondeur sur internet… sur wikipédia. Je sais c’est basique de dire wikipédia…

Peut-être mais c’est très utile aussi. Pourriez-vous citer une source plus précise dans le domaine de l’art ? Le site personnel d’un artiste que vous venez de citer par exemple ?
Je n’ai pas de sources exactes à vous citer.

Quelle source avez-vous utilisé pour faire cette présentation ?
Candidat en spécialité mathématiques.
J’ai utilisé mon manuel scolaire, mon cours et Internet.

D’accord, et quels sites en particulier sur Internet ?
Je me souviens plus, je ne les ai pas notés.

Les premières réponses aux questions que nous posons orientent notre posture d’évaluatrice : questionner les candidats sans les déstabiliser, sans qu’ils puissent se sentir pénalisés par leurs imprécisions, voire l’absence de réponses à nos questions. Les candidats savent-ils que citer ses sources relève d’une attitude de chercheur d’information responsable ? Ont-ils appris à le faire et à rendre compte de leurs pratiques ? De grandes disparités sont constatées dans la capacité des candidats à énoncer leurs sources à l’oral ; des disparités qui sont facteurs d’inégalités scolaires.

Qu’avez-vous utilisé comme sources pour construire votre oral ?
Candidat en spécialité arts.
Je me suis appuyé sur les podcasts de l’art et la matière. Après c’étaient beaucoup les vidéos sur youtube.

Des podcasts ?
Oui sur Arte. On nous l’avait conseillé. Aussi une vidéo du Centre Pompidou sur Youtube
J’ai aussi visité des expositions.

Si la qualité de réponse de ce candidat fait exception, le constat général demeure que la majorité des candidats interrogés sur leurs parcours de recherche apporte une réponse lapidaire et incomplète. Cela va de l’erreur, difficilement acceptable de la part d’élèves de terminale, à des développements plus circonstanciés et précis, à savoir quelques noms de sites fiables, un effort pour citer une source papier (ici la presse écrite) parce que « ça fait bien ».

Qu’est-ce que vous avez utilisé pour faire votre travail ?
Candidat en spécialité mathématiques.
J’ai regardé des articles sur Internet. J’ai regardé sur Le Monde. J’ai trouvé sur le site directement parce que c’est fiable.

C’est quoi Le Monde ?
C’est un journal et c’est fiable.

En général, la démarche de recherche informationnelle est peu explicitée, peu conscientisée. Dans la plupart des cas, le candidat s’étonne de notre question et essaie de se souvenir rapidement de quelques sources, parfois sans succès, car il n’a sans doute pas constitué de bibliographie au fur et à mesure de ses recherches, ni gardé trace de sa démarche sous la forme d’un tableau de bord.

Alors j’aimerais échanger avec vous sur le travail réalisé en amont. En fait, le parcours réalisé et les étapes qui vous ont permis d’aboutir à cette présentation.
Candidat en spécialité arts plastiques.
J’ai utilisé des sites qui parlent des tableaux pour expliquer comment ils ont été faits.

Vous avez gardé trace de vos recherches ?
Non… je n’ai pas regardé.

Vous n’avez pas un site à me donner ?
Non

Le tableau de bord était un outil méthodologique fort utile pour les élèves à l’époque des travaux personnels encadrés (TPE) parce qu’il permettait de figer la trace documentaire et d’attribuer de la valeur aux compétences informationnelles. Pour qui a connu ces TPE, entre 2000 et 2020, nous vivons, avec le Grand oral, un recul, voire un impensé concernant le développement des compétences documentaires qui entre en contradiction avec les discours laudatifs sur cette épreuve du baccalauréat et ceux portant sur l’ÉMI comme moyen de former des esprits informés et responsables, conscients des enjeux démocratiques. Si les TPE pouvaient provoquer l’engorgement du CDI, du fait de l’alignement des classes, les élèves avaient au moins une idée plus précise de ce qu’est une source documentaire. Pourtant, les professeurs documentalistes et les enseignants de disciplines se rejoignent sur la finalité du Grand oral au travers de l’adoption d’une démarche réflexive sur les sources utilisées, son propre cheminement de recherche et son parcours d’utilisateur d’information. Mais il s’agit davantage d’un idéal à atteindre que d’une réalité.

Dire l’indicible : une mise en mots laborieuse des pratiques informationnelles

Nous sommes donc mises au défi d’arriver à établir un échange avec les candidats qui puisse durer un peu plus de quelques secondes. Pour y parvenir, nous adoptons un ton déculpabilisant en insistant sur le fait que nous nous intéressons à la démarche et aux pratiques qui ont servi à construire leur oral, à leurs « manières de faire » avec l’information : « Sentez-vous à l’aise pour nous dire comment vous avez procédé, ça nous intéresse, voyez-vous ». En dépit de nos efforts, nous n’obtiendrons que de timides réponses à nos questions.

Comment avez-vous procédé pour faire vos recherches ?
Candidat en spécialité arts.
J’ai cherché des artistes sur Internet et j’ai utilisé Beaux-Arts.

Ah ! la revue Beaux-Arts ? Vous êtes allé au CDI durant votre préparation au Grand oral ?
Non, c’est un site. Je l’ai pas là mais j’ai aussi utilisé un livre qui s’appelle […]5 et après j’ai utilisé beaucoup de livres mais je ne sais plus lesquels.

Vous avez utilisé Youtube, ça vous a aidé ? Youtube pour les vidéos, c’est intéressant, non ?
Oui, je me suis servi de critiques d’œuvres sur Youtube.
Je me suis inspiré des critiques sur youtube et sur instagram : c’est le compte d’un artiste qui s’appelle […]6, il fait des photos sous-marines.

C’est avec hésitation et retenue que ce candidat évoque son usage de la plateforme Youtube. Ce constat n’est pas sans nous rappeler les discours diabolisant Wikipédia ou Google propagés par des enseignants ou des parents inquiets qui provoquent, chez les élèves, une forme de gêne pouvant aller jusqu’au refus de dire. Ces discours de la méfiance freinent les candidats à dévoiler leurs « manières de faire » singulières et à considérer leurs pratiques informationnelles non formelles7 comme légitimes particulièrement dans une épreuve de baccalauréat. Ainsi et à l’instar de ce candidat, les élèves préfèrent-ils, sans doute, s’excuser de ne pas dire plutôt que de dire.

Comment avez-vous procédé pour faire vos recherches ?
Candidat en spécialité HLP.
Oui je me suis appuyé sur des recherches sur Internet…des articles mais je ne me souviens plus… désolé… des articles de recherche sur la psychanalyse sur internet

Quoi exactement sur Internet ?
Je ne sais plus… désolé
Quelle place pour les pratiques informationnelles non formelles au regard des savoirs disciplinaires ? Il nous semble en effet que pour les élèves, citer ses sources est synonyme de ne rien savoir sur son sujet ce qui alimente cette idée fausse qu’il est possible de construire un argumentaire oral sans rendre compte de l’information recueillie et sélectionnée ainsi que des sources exploitées. Mais le temps presse et les minutes passent vite. L’enseignant spécialiste s’enquiert d’évaluer les compétences orales et les savoirs disciplinaires des enseignements de spécialité. Et les candidats font le plus souvent référence aux enseignements reçus et aux connaissances acquises dans le cadre de ces enseignements. Par nos questions, nous les amenons en terrain inconnu et insécurisant. C’est pourquoi, ils ne cherchent pas à sortir de leurs sujets, de leurs questions, de leurs enseignements de spécialité. Ils s’arriment à ce qu’ils ont toujours connu et qui les rassure alors même que certains sujets se prêtent parfaitement à l’échange et à la réflexion critique du candidat sur son propre sujet et son parcours de chercheur d’information. Comme dans l’exemple ci-dessous où ce candidat expose sa réflexion sur les réseaux sociaux, nous offrant l’occasion d’engager un échange.

Vous évoquez l’influence des réseaux sociaux. Pourriez-vous me dire ce qu’est un réseau social pour vous ?
Candidat en spécialité arts.
C’est une plateforme en ligne conçue pour communiquer

D’où vient-elle cette définition [donnée par le candidat durant son exposé] ? Est-ce la vôtre ou vient-elle d’une source que vous auriez utilisée ?
J’ai utilisé les dictionnaires et internet

Ah ! Et quoi sur Internet ?
Ben le Larousse en ligne

D’autres choses ?
Ben j’ai essayé de réfléchir par moi-même, j’ai fait des recherches sur internet mais je ne sais pas trop ce que j’ai utilisé…

L’enseignant spécialiste réagit en indiquant que les réseaux sociaux ne remplacent pas la lecture de l’ouvrage prévu en spécialité. Cette remarque est intéressante à plus d’un titre car elle recentre le moment de l’échange sur la seule discipline de spécialité. Elle montre de surcroît une forme de résistance de la part de l’enseignant à élargir l’échange au-delà du sujet du candidat et à libérer un peu de temps pour entendre le retour critique de celui-ci sur son propre sujet et sur ses pratiques. Une résistance à l’égard d’un champ de connaissances et de compétences qui lui est sans doute étranger. Les pratiques informationnelles non formelles qui ont conduit à la prestation orale des candidats intéressent-elles les enseignants spécialistes ? Comment voulons-nous former des orateurs critiques et informés sans prendre en considération leurs manières de dire et de faire, de chercher, de trier, d’évaluer, de produire et de communiquer l’information ?

Entre le manque de réflexivité des candidats et l’inconfort de la posture d’évaluateur « candide »

Dans certains cas observés, notamment en spécialité mathématiques, nous avons même noté une absence totale de démarche de recherche d’informations. Certains élèves semblent reprendre tel quel des contenus de cours et des exercices de leurs manuels scolaires, qu’ils récitent à l’oral. Les informations présentées sont justes, leurs réponses aux questions de l’entretien correctes, la partie orientation satisfaisante. Ces candidats auront plus de la moyenne à leur oral, en ayant simplement appris par cœur une partie de leur cours. Au-delà de l’absence de recherche d’information, qui finalement n’est pas dans les attendus en spécialité mathématiques (sauf si le sujet choisi a une dimension sociétale ou culturelle), c’est l’absence de réflexion et d’argumentation personnelle de la part de l’élève qui pose question.

On peut également s’interroger sur la pertinence d’une démarche d’information minimale non problématisée. Nous appuierons notre propos ici en donnant l’exemple de cet excellent élève, entendu par deux fois en oraux blancs de spécialité SVT. L’élocution, l’intonation, l’expression sont brillantes. Il est très agréable à écouter, connaît son texte par cœur sans toutefois le réciter, et en maîtrise parfaitement le contenu. L’interaction est très bonne lors de l’entretien : l’auditoire est conquis. Néanmoins, son sujet présente un contenu totalement descriptif et linéaire. Il a recueilli des informations sur deux ou trois sites fiables et les a reformulées pour tenir son temps règlementaire. Les directives institutionnelles vont dans ce sens finalement. Mais est-ce là ce que nous, en tant qu’enseignants et professionnels de l’information-documentation, attendons des élèves en matière d’argumentation, de mise à distance de ses pratiques et de réflexion personnelle ? Qu’est-ce qui différencie alors cette épreuve appelée « Grand » oral d’un exposé classique ? Quel en est l’intérêt ? La présentation du contenu ne relève d’aucune problématisation, ni de la démarche expérimentale, hypothético-déductive, propre à l’enseignement de SVT. Nous avons croisé les jurys de ce même élève après son passage sur cette question-là au Grand oral : il a eu 20/20.

Cet exemple nous conduit à une interrogation : ne serait-il pas pertinent de préciser ce qu’il est attendu en termes de contenu de façon différenciée selon les enseignements de spécialité ? En effet, si l’on va privilégier la formulation d’une problématique en HLP, HGGSP, SES ou en langues, qu’en est-il de la démarche propre aux sciences expérimentales ou encore le raisonnement logique des mathématiques ? Une méthode hypothético-déductive dans un cas, une démonstration dans l’autre seront attendues. Le fil de l’argumentation ne sera pas du tout construit de la même manière et n’induira pas la même démarche informationnelle. Une phase de recherche d’informations plutôt exploratoire en sciences et en mathématiques alors qu’elle constitue le cœur même du contenu dans les matières littéraires et en sciences humaines et sociales. De telles différences renforcent ainsi les difficultés des jurys à évaluer des présentations orales aux contenus si divers.

Or, faire entendre les pratiques informationnelles invite les professeurs documentalistes à focaliser leur attention sur la démarche et la singularité des parcours de recherche des candidats, les processus d’apprentissage informationnel, et non uniquement sur le rendu final (l’exposé). Comment évaluer les compétences orales et les compétences informationnelles lorsque le sens de l’exposé nous est peu compréhensible ? Durant les échanges, le professeur documentaliste candide se cantonne, après les réponses sur les sources qui ont tourné court, à demander des clarifications, des reformulations, des explications. Cette phase est plébiscitée par nos collègues enseignants en oraux blanc et correspond au principe même de l’épreuve qui demande au candidat de s’adresser le plus simplement possible à des enseignants qui ne connaissent pas les contenus présentés8. Sur des questions très pointues, le jury candide va déployer efforts et énergie pour tenter de comprendre un propos qui lui est totalement étranger, ce qui l’éloigne de l’évaluation des compétences orales des candidats.

Finalement, un paradoxe demeure car s’abstraire totalement du contenu pour ne se concentrer que sur la forme, ne permet pas d’avoir un stock suffisant de questions pour la phase d’entretien. C’est là une équation insoluble. La conception même de l’épreuve, à travers la constitution d’un binôme enseignants spécialiste/candide, est particulièrement inconfortable pour ce dernier. Cet inconfort pourrait être atténué si l’évaluation des compétences informationnelles apparaissait en bonne et due forme dans la grille de critères : elles s’en trouveraient ainsi mises en lumière.

17 h. Fin de l’épreuve. Nous constatons que le Grand oral repose presque entièrement sur le seul jugement de l’enseignant spécialiste. Si nous nous concertons pour déterminer la note des candidats, il a souvent le dernier mot en apposant la note et l’annotation des candidats nous conduisant, de nouveau, à réaffirmer notre expertise.

Un vide discursif entoure les pratiques informationnelles

Dans nos établissements scolaires respectifs, et dans le cadre de la préparation au Grand oral, nous tentons d’amener progressivement les élèves à conscientiser leurs pratiques informationnelles à travers des activités de recherche, de sélection, d’appropriation, de mise en forme et de communication de l’information. Nous les formons à énoncer oralement les sources utilisées et à intégrer celles-ci dans leur argumentaire du Grand oral. Ces processus concourent à leur acculturation informationnelle par l’appropriation de savoirs propres au champ de l’information-documentation définis par Yolande Maury et Christiane Etévé (2010) comme des savoirs « […] à construire plutôt qu’à présenter ou transmettre […] » à partir d’approches pratiques et expérientielles ouvrant sur des échanges et la confrontation de points de vue. En ce sens, l’appropriation de savoirs informationnels favorise l’adoption d’une démarche critique fondée sur la réflexivité, l’analyse et la compréhension du monde. Une démarche critique qui appelle questionnement et auto-critique de la part du candidat face à ce qu’il sait ou ignore, ce qu’il sait faire ou pas encore :

Qu’avez-vous utilisé comme sources autres que vos cours ?
Candidat en spécialité arts plastiques.
J’ai utilisé des sources sur internet avec différents sites… mais j’ai plus les sites… c’est des sites qui expliquent les démarches de certains artistes

Quel site par exemple ?
Mais je ne sais plus, je ne m’en rappelle pas

Et c’est important pour vous de connaître les sources ?
Oui c’est très important car c’est une erreur de ma part de ne pas les avoir prises

Pourquoi c’est important ?
Parce qu’il y a des fake news.

Ah. Et seulement pour cette raison-là ?
Pour avoir de la culture

Au-delà d’avoir de la culture ou d’éviter les fake news ? Pour montrer que j’ai travaillé ?
Oui, tout à fait. La source c’est votre preuve, la preuve de votre travail.

« Grand » oral à travers les mots de ce candidat qui lors de notre échange paraît comprendre l’intérêt de nos questions. Mais ce type d’échange demeure trop rare. Si les candidats ont forcément cherché, organisé, analysé les informations trouvées en vue de construire un plan structuré, d’énoncer leurs questions et de construire leurs argumentaires, ce qui nous frappe reste l’absence de mots liés à ces différentes étapes. Ce vide discursif peut s’expliquer par un manque de formation et de conscientisation des processus informationnels qui amèneraient pourtant les candidats à questionner la véracité du contenu ou à interroger la légitimité d’une source.

Des savoirs informationnels qui ne font ni « corps », ni « lieux »

En conclusion, nous pensons comme Christian Jacob que les savoirs, dans la diversité de leurs formes, de leurs objets et de leurs supports, ne se constituent comme tels qu’en entrant dans des dynamiques de circulation, d’échange et de communication. Christian Jacob interroge la façon dont les savoirs en viennent à « faire corps » et « à faire lieu », à être partagés dans des collectifs, à organiser des territoires et à circuler dans des réseaux (2007, p. 20). Or le vide discursif concernant les pratiques informationnelles des candidats, constaté à l’épreuve du baccalauréat, fait obstacle à la circulation des savoirs informationnels qui « font pourtant lieu » par le biais de médiations documentaires et d’activités informationnelles vécues et éprouvées. Un vide discursif provoqué, sans doute, par une insuffisance de ritualisation des gestes documentaires et des paroles, des expériences répétées et didactisées, qui enracineraient les savoirs informationnels (« faire corps ») en forgeant la culture informationnelle des candidats.

« Grand » oral, faire entendre les pratiques informationnelles à l’épreuve du baccalauréat, c’est ouvrir de nouveaux horizons pour ces élèves aux portes de l’enseignement supérieur. Un horizon qui ne se limite pas à « ce que je sais » sur un sujet mais surtout à comment je suis parvenu à le questionner, à construire un argumentaire et à le présenter en adoptant une posture responsable et critique à l’égard de l’information et de mes propres pratiques. Le défi est de taille pour une épreuve qui ambitionne d’être « un levier d’égalité des chances » (Delhay, 2019).