Le changement climatique : un exemple de travail pédagogique autour des fake news

Quoi de plus caractéristique dans l’étude des fausses informations que le développement durable, et plus encore le changement climatique1 ? Porteur d’enjeux environnementaux mais surtout sociétaux et économiques, suscitant la crainte pour beaucoup, le scepticisme pour d’autres, le climat est au centre de nombreux débats, au point que l’on a inventé un terme pour désigner ceux qui nient son réchauffement et surtout la responsabilité humaine dans ce dérèglement : les climatosceptiques. Cette séance vise à faire la part du vrai et du faux en un temps limité pour aider les élèves à mieux se défendre face aux fake news.
En septembre 2024, le youtubeur Le Raptor (Ismaïl Ouslimani), connu pour ses vidéos racistes, transphobes et sexistes marquées à l’extrême droite, a publié après deux années d’absence une vidéo dans laquelle il nie violemment la responsabilité humaine du dérèglement climatique. Il y reprend les thèses de Steven Koonin2, un physicien américain reconnu pour ses positions climatosceptiques (Koonin, 2022). La vidéo du Raptor dure plus d’une heure et a été longuement décryptée par le journaliste Maxime Macé qui voit dans ce retour une manière d’attirer facilement les internautes en faisant le buzz sur un sujet clivant tout en assurant la promotion commerciale de ses produits3.
Malgré le consensus scientifique sur la réalité et l’urgence du phénomène de changement climatique provoqué par l’activité humaine, la désinformation climatosceptique continue donc de proliférer, notamment sur Internet et les réseaux sociaux, compromettant les efforts mondiaux pour atténuer les effets du changement climatique et retardant les actions nécessaires pour protéger la planète. Nous choisissons dans cette séance de ne pas évoquer directement la vidéo du Raptor pour ne pas faire de publicité imméritée à ce youtubeur peu scrupuleux.

La séance présentée ici fait suite à celle proposée dans le n° 301 d’InterCDI : « L’incendie de Notre-Dame de Paris : un exemple de travail autour des fake news ». Elle s’adresse à un niveau 3e-2de. L’enjeu de cette nouvelle séance est de travailler sur l’éducation au développement durable et sur l’éducation aux médias et à l’information, deux thématiques au programme de l’EMC4, et de décrypter différentes formes de fausses informations.
La séance s’articule en deux temps : dans un premier temps, les élèves sont séparés en 5 groupes qui devront chacun analyser un exemple de fausse information en recherchant des informations sur son auteur et sur les intérêts en jeu. Un poste informatique est nécessaire pour effectuer des recherches complémentaires. Dans un second temps, une mise en commun est effectuée : chaque groupe explique ce qu’il a appris et les enseignants apportent des éléments supplémentaires d’analyse. La séance peut avoir lieu en demi-classe ou en classe entière, être animée par un binôme d’enseignants ou seul, de préférence en français (analyse de texte et travail sur les médias), histoire-géographie (programme d’EMC) ou SVT (regard scientifique sur la thématique du changement climatique).

L’argument de Donald Trump : la nécessité économique

Le premier groupe devra analyser deux tweets de Donald Trump, publiés en 2017 alors qu’il venait d’être nommé président des États-Unis pour son premier mandat. Le personnage qui vient d’être réélu président est bien connu des élèves pour ses outrances langagières et ses prises de positions complotistes. L’un des tweets est à traduire par les élèves : Trump y prétend que le réchauffement climatique est un concept inventé par les Chinois pour rendre les entreprises américaines non compétitives. Ce tweet de Donald Trump est en réalité un bel exemple de théorie du complot : la menace du dérèglement climatique ne serait pas réelle mais inventée par un État pour influer sur le comportement des citoyens…

Document 1 – Tweet de Donald Trump, 2017.

Il est facile de comprendre la raison sous-jacente de ce premier argument : il est en effet plus confortable pour le président américain de nier le dérèglement climatique car cela lui permet d’encourager les entreprises sans remettre en cause la pollution et le carbone engendrés, donc sans réaliser des investissements pour les limiter.
Le second tweet ci-contre (document 2) donne un autre argument qui se révèle être une généralisation abusive.
Donald Trump prend ici en exemple la météo du réveillon dans l’est des États-Unis, où les températures seraient « parmi les plus froides jamais enregistrées », pour nier le dérèglement climatique. Là encore, le lien est fait avec l’économie, puisque Donald Trump prétend que pour lutter contre ce réchauffement, inexistant selon lui, les États-Unis et eux seuls seraient sur le point de dépenser des milliers de milliards de dollars… Affirmation doublement mensongère, puisque le président n’a justement pas l’intention de débourser le moindre dollar pour la lutte écologique, et qu’il n’a jamais été question de laisser les USA endosser seuls le financement de la lutte contre le dérèglement climatique. On trouve donc ici un très bon exemple de prise de position politique visant à justifier l’inaction d’un pays en matière climatique. Position que Donald Trump semble vouloir maintenir en 2025, puisqu’au moment où nous écrivons ces lignes, il a sorti les États-Unis de l’accord de Paris sur le climat et a autorisé des forages d’énergie fossile dommageables pour l’environnement (Leparmentier, Le Monde, 21 janvier 2025)5.

Document 2 – Tweet de Donald Trump, 28 décembre 2017

Confondre météo et climat : la méthode de la généralisation abusive

Le tweet ci-après (document 3) emploie également la technique de la généralisation abusive. Il est cette fois publié par Salim Laïbi, dentiste de profession, connu sur le net pour ses prises de position polémiques. L’argument est comparable à celui de Donald Trump : les mois de mars et avril 2023 ont été particulièrement froids et pluvieux, preuve d’après lui qu’il n’y a pas de réchauffement climatique. C’est l’argument du bon sens, auquel les élèves sont sensibles : eux aussi subissent les aléas de la météo et il est normal de se poser des questions devant le ciel maussade et les températures peu élevées subis par une majorité de la France au printemps 2023 puis en 2024. Ce ressenti désagréable ne doit pas nous faire oublier qu’en moyenne, à l’échelle du globe, l’année 2024 a battu tous les records de chaleur, comme l’année 2023 avant elle (Bellan, Les Echos, 10 janvier 2025)6.

Document 3 – Tweet de Salim Laïbi, 30 avril 2023

Or, le graphique devenu célèbre des warming stripes (document 4 ci-dessous) créé par le climatologue britannique Ed Hawkins (université de Reading), qui présente par des alternances de bandes bleues et rouges l’écart des températures par rapport à la moyenne sur un siècle, montre de manière formelle que la tendance est bien au réchauffement des températures, même si l’évolution n’est pas toujours ressentie comme telle par les individus.

Document 4 – Bandes du réchauffement climatique, Ed
Hawkins, université de Reading, 2018

C’est la définition de « climat » et de « météo » qui est ici à comprendre, et le site http://reseauactionclimat.org permet de répondre facilement aux propos de Salim Laïbi. S’il est ainsi possible de prévoir un réchauffement global des températures sur les décennies à venir (climat), il n’est pas pour autant envisageable de savoir à l’avance s’il fera beau le 12 juillet de l’année prochaine (météo).
Dans son tweet, Salim Laïbi associe les scientifiques à des « escrocs » et des « terroristes climatiques », qui sont des mots très forts et violents. De la même manière, Ismaïl Ouslimani (Le Raptor) qualifie de « secte » la communauté scientifique inquiète de l’évolution climatique et les citoyens qui tentent de prendre des mesures durables pour limiter leur production de CO2. Dans le tweet de Salim Laïbi, le hashtag « GIEC » est associé à « propagande ». Il convient donc de se poser la question de ce qu’est le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et de sa fiabilité.

Le GIEC : un organisme indépendant, constitué de scientifiques

Un nouveau groupe d’élèves devra faire une recherche sur cet organisme en répondant aux questions suivantes : que signifie le sigle GIEC ? Quel est son rôle ? De quel type de personnes est-il constitué ? Quand a-t-il été créé et par qui ? Par qui est-il financé ? Le GIEC est-il indépendant ? Quelles sont les conclusions de ses rapports (Huet, 2024) ?
Le GIEC est souvent présenté dans les médias comme l’auteur d’un rapport sur l’état de notre planète, publié tous les 5 à 7 ans, donnant aux gouvernements des conseils et préconisations pour limiter le dérèglement climatique. Et il est souvent la cible des complotistes (comme le Raptor) qui le considèrent comme alarmiste, peu fiable et à la botte des chefs de gouvernement. Mais qu’en est-il réellement ?
Le GIEC7 est un organisme international créé en 1988 sous l’égide de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Il regroupe 195 pays membres, soit presque la totalité des pays du monde. C’est une organisation intergouvernementale autonome, composée de scientifiques experts et de représentants des États participants. Son financement provient des contributions volontaires des 195 États membres de l’ONU : il est donc indépendant et non pas financé par un État en particulier.
Le GIEC ne mène pas de recherches lui-même, mais évalue et synthétise des milliers de travaux scientifiques publiés dans le monde entier. Sa mission est de fournir une évaluation régulière et objective des connaissances scientifiques sur le changement climatique et d’informer les décideurs politiques mais aussi la société civile sur l’état des connaissances climatiques. Il produit des rapports d’évaluation complets tous les 5 à 7 ans mais aussi des rapports spéciaux plus réguliers sur des thèmes spécifiques. Un rapport complet de plusieurs milliers de pages est proposé aux scientifiques, et un résumé à l’intention des décideurs permet d’avoir un aperçu pratique de ses conclusions.
Celles-ci sont sans appel : le réchauffement climatique est sans équivoque et provoqué par les activités humaines ; la température moyenne a déjà augmenté de 1,1 degrés par rapport à l’ère préindustrielle. Les impacts du changement climatique s’aggravent et s’accélèrent. Ils touchent tous les continents et sont plus sévères que prévu. Il est encore possible de limiter le réchauffement à 1,5 °C, mais cela nécessite des réductions d’émissions rapides, profondes et immédiates dans tous les secteurs. Agir maintenant est crucial !

Des vols en avion vraiment plus verts ?

Document 5 – Affiche publicitaire
Easy Jet, 2021

Il est donc certain et scientifiquement prouvé qu’il existe un dérèglement climatique lié à l’activité humaine : on parle de consensus scientifique. Les entreprises sont invitées à trouver des solutions viables pour limiter leurs émissions de CO2, ce qui est indispensable pour restreindre le changement climatique. Or, certaines entreprises préfèrent afficher publiquement des promesses environnementales pour améliorer leur image, tout en renonçant à agir concrètement. C’est le cas de l’affiche d’EasyJet, une compagnie aérienne britannique à bas prix. L’affiche fait partie d’une campagne lancée pendant la COP26 à Glasgow, en novembre 2021. Intitulée « Destination Zéro émissions » et « Future flying », elle vise à présenter EasyJet comme une compagnie engagée pour le climat. La publicité montre un homme et une femme en tenue de steward et de pilote d’avion, debout sur un tarmac d’aéroport. Cette image est accompagnée du texte suivant : « Notre ambition : des vols zéro émission de CO2 d’ici 2050. Pour atteindre cet objectif, nous collaborons avec Airbus et Wright Electric au développement d’avions dont les vols permettront zéro émission de CO2. Nous nous engageons à vous accueillir à bord de ces avions zéro émission dès que ces technologies innovantes nous le permettront ».
Une belle preuve que les promesses n’engagent que ceux qui y croient ! Il est en effet peu probable que des avions à 0 émission de CO2 soient opérationnels d’ici 2050 : même si un avion fonctionnant à l’hydrogène ou à l’électricité était conçu, il consommerait encore du CO2. Dans l’état actuel des choses, cette promesse est donc intenable. La campagne vise à donner à peu de frais une image « verte » des voyages en avion alors qu’ils représentent une part significative des émissions du secteur des transports (Prados, Vert, 22 septembre 2022)8. Ce genre de publicité mensongère a un nom : le greenwashing.
Le greenwashing (écoblanchiment en français)9, est une pratique marketing trompeuse qui consiste à donner une image écologique à des produits, services ou entreprises qui ne le sont pas réellement. En utilisant des arguments environnementaux trompeurs ou non fondés, l’entreprise induit en erreur le consommateur, sensible aux enjeux environnementaux, sur les réelles qualités écologiques d’un produit ou d’un service… Les exemples sont hélas nombreux ! Parmi ceux qui interpellent le plus les élèves : l’entreprise McDonald’s qui change la couleur de son logo du rouge au vert en 2009 pour donner une image plus écologique à son entreprise ; les publicités pour la vaisselle lavable qui est en fait obligatoire dans les fast food depuis 2023 ; le tee-shirt « Il n’y a pas de planète B » produit par des entreprises comme H&M ou Camaïeu qui contribuent justement à la fast fashion en produisant des vêtements peu qualitatifs et peu durables10
Concernant la publicité d’EasyJet, elle a finalement fait l’objet de plaintes et a été épinglée par le Jury de Déontologie Publicitaire qui a rendu deux avis défavorables, concernant les compensations d’émissions carbone qui n’ont pas été réalisées totalement par EasyJet et qui tendent à minimiser l’impact environnemental du transport aérien, et concernant les vols à zéro émission de CO2 d’ici 2050, engagement trompeur non étayé par des informations suffisantes. Cette décision a fait jurisprudence dans le secteur publicitaire et a conduit certains médias, comme le journal Le Monde, à revoir leurs pratiques publicitaires. En effet, les médias ont un rôle certain à jouer dans l’engagement citoyen contre le réchauffement climatique, en témoigne le traitement médiatique d’un thème comme la canicule.

Illustrer le changement climatique : le rôle des médias

Document 6 – Canicule : Paris pourrait
battre des records de chaleur pour ce
deuxième épisode. Publié sur le site TF1
https://www.tf1info.fr/meteo/caniculejuillet-
2019-previsions-meteo-franceparis-
pourrait-battre-des-records-dechaleurs-
pour-ce-deuxieme-episodecaniculaire-
2127637.html
Document 7 – Des Parisiens tentent de se
rafraîchir pendant la canicule, Bertrand
Guay / AFP. Publié sur le site RTL
https://www.rtl.fr/actu/meteo/caniculeparis-
bat-son-nouveau-record-absolude-
chaleur-7798100330

Un homme torse nu allongé sur la pelouse, des parisiens en maillot de bain devant la Tour Eiffel, se baignant dans les fontaines ou prenant le soleil dans un parc… Quel est le point commun entre ces images ? Elles illustrent en fait toutes le même point d’actualité : la canicule estivale. L’idée est ici de s’interroger sur le choix journalistique : la canicule, événement climatique extrême qui était autrefois très rare et est en passe de devenir commun, est présentée sous un jour plutôt plaisant, soleil est synonyme de vacances, de bronzette, et on voit les marchands de glaces se réjouir de leurs ventes records. Or les canicules tuent : les chaleurs extrêmes engendrent une surmortalité et sont néfastes pour les personnes âgées, les nouveaux-nés, les personnes fragiles ; elles empêchent les plantes nécessaires à notre nourriture de pousser ; elles entraînent une pénurie d’eau, des sécheresses, des incendies qualifiés de méga-feux (Canopée, 26 juillet 2023)11 ; elles tuent de nombreuses espèces animales.
Un autre choix journalistique pourrait-il être fait ? Les élèves sont ici amenés à s’interroger sur la représentation d’un fait d’actualité et sur les réactions qu’il provoque chez le lecteur. Montrer des gens qui bronzent pour illustrer le changement climatique, c’est nier son caractère délétère. Pour illustrer l’urgence, il serait plus adapté de montrer une terre craquelée, des plantes flétries ou des animaux assoiffés, des personnes en difficulté… L’Observatoire des Médias sur l’Écologie12 et l’association Climat Médias13 ont ainsi été créés pour analyser la façon dont les médias rendent compte du changement climatique et de ses effets, et interpeller les journalistes sur leur traitement de l’information. S’il n’y a pas d’interdiction officielle d’utiliser tel type d’image pour illustrer le changement climatique, son traitement médiatique fait l’objet d’une attention croissante. Certains médias ont commencé à modifier leur approche du traitement climatique, et une « Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique » a été lancée en septembre 2022 par un collectif de journalistes français14.
L’exercice conduit également à s’interroger : est-ce qu’un refroidissement climatique, avec des températures négatives plus extrêmes et plus importantes, aurait davantage été pris en compte comme un danger mondial qu’un réchauffement climatique ? Sans doute : c’est tout le problème des biais cognitifs, et la séance peut se terminer sur le visionnage de la vidéo de La Psy Qui Parle intitulée Les 5 biais psychologiques qui menacent notre planète15. La youtubeuse y évoque le fonctionnement du cerveau humain qui pousse en fait à l’inaction. Alors que tout le monde ou presque est convaincu qu’il faut agir pour sauver la planète, les biais psychologiques empêchent de le faire :
– le biais d’inertie pousse ainsi à rester dans ses habitudes et sa zone de confort ;
– le biais de confirmation fait retenir essentiellement les arguments qui confirment son idée initiale ;
– le biais de sur-confiance fait surestimer ses compétences, ici en matière scientifique pour répondre à la crise du climat ;
– le biais du temps présent fait rechercher les bénéfices immédiats plutôt que les bénéfices lointains ;
– le biais de disponibilité mentale fait privilégier les informations disponibles dans notre mémoire ou les expériences déjà vécues.
Pour conclure, notre esprit nous pousse à prendre en compte les informations rassurantes qui nient le changement climatique, son impact ou la responsabilité humaine dans ce processus, alors qu’il est plus que jamais nécessaire de privilégier la parole des scientifiques et de se méfier des amateurs de complots.

L’ours polaire : un exemple type chez les climatosceptiques

Dans notre proposition, les exemples s’arrêtent ici pour permettre à la séance de se tenir en une heure, mais il existe bien d’autres exemples de fake news qui pourront être analysés dans un second temps. Un exemple type est celui de l’ours polaire, érigé comme symbole des conséquences du réchauffement climatique, mais aussi brandi régulièrement par les climatosceptiques. Le site https://reinformation.tv est ici une mine d’articles climatosceptiques sur le sujet : « L’ours polaire n’a pas disparu d’Arctique et se porte bien, n’en déplaise aux climato-alarmistes », « Encore un mensonge écolo : les ours polaires de plus en plus nombreux malgré les prédictions des avocats de la thèse du réchauffement climatique », « Les ours polaires ne sont pas en danger, affirment les scientifiques Susan J. Crockford et Mitchell Taylor, déchaînant les climato-alarmistes », « Un autre mensonge du réchauffisme qui annonçait la disparition de l’ours polaire… il se multiplie ! »16.
D’après ces articles, les ours polaires seraient en fait plus nombreux, en bonne santé, et les images choc montrant des ours faméliques sur un iceberg ne seraient que des fake news destinées à affoler l’opinion. De fait, le National Geographic a effectué un mea culpa en expliquant que l’ours amaigri que le magazine avait présenté en faisant explicitement le lien avec le réchauffement climatique était en fait peut-être simplement malade ou âgé : c’est l’interprétation qui était alors fautive, non l’image elle-même (Mittermeier, 2018)17. Or, les propos des climatosceptiques concernant la situation de l’ours polaire se basent systématiquement sur les travaux de Susan J. Crockford, zoologiste canadienne et figure controversée dans le domaine des sciences climatiques : elle a été exclue de l’université de Victoria en 2019 ; ses travaux (Crockford, 2016 ; 2019) sont publiés par le GWPF (Global Warming Policy Foundation, https://thegwpf.org), groupe financé par des proches de l’industrie des énergies fossiles et qui vise essentiellement à remettre en cause les politiques de lutte contre le dérèglement climatique. Elle n’a, de son propre aveu, jamais mis les pieds en Arctique, et n’a jamais publié d’article sur le sujet dans une revue scientifique à comité de lecteurs (Mercadier, Le Monde, 18 juin 2019)18.
Le raisonnement des climatosceptiques est le suivant : si les ours polaires se portent bien, alors le changement climatique est moins important que prévu et les scientifiques ont tort. Mais est-il vrai de dire que la population d’ours a augmenté au lieu de diminuer ? En réalité, les ours polaires sont devenus une espèce protégée en 1973, et l’arrêt de la chasse a contribué à préserver des milliers d’individus. De plus, il est difficile d’estimer la population d’ours polaires dans un milieu hostile et immense. Les techniques de comptage se sont améliorées, ce qui a entraîné une hausse artificielle de la population d’ours estimée : les estimations initiales étaient probablement trop faibles (Wagner, BonPote, 2021, màj 2024)19. En réalité, si le dérèglement climatique se poursuit au rythme actuel, la population d’ours polaires est bien condamnée à long terme à s’effondrer en même temps que son territoire de chasse, nécessaire à sa survie.

Conclusion

Il ne faut pas oublier que l’ours blanc est un symbole : en réalité, c’est tout l’écosystème arctique qui est touché par la disparition progressive de la banquise, y compris les communautés humaines vivant dans ces régions. Nier une des conséquences du dérèglement climatique pour nier toutes les autres, autrement dit se focaliser sur l’arbre qui cache la forêt, est une des méthodes des climatosceptiques pour instiller le doute et l’inaction dans le public.
Dans sa vidéo, Ismaïl Ouslimani (le Raptor) qualifie de « secte » et de « religion » la communauté scientifique qui alerte sans relâche sur le changement climatique : il inverse ici les faits, faisant des inquiets des « alarmistes » croyant sans réfléchir ce que les « gourous » scientifiques leur affirment. Inutile de rechercher ses propres sources : en réponse à toute demande de référence bibliographique, Ismaïl Ouslimani se contente d’insulter les internautes qui osent douter de son « argumentaire implacable » : « Le simple fait d’aller vérifier les sources alors que vous avez passé les 4 dernières années à vous faire berner comme une sauce béarnaise à propos d’un virus créé par gain de fonction en laboratoire […] témoigne du caractère indélébile de votre esclavage mental » (Ouslimani, 2024)20.

L’activité présentée ici a permis aux élèves de développer leur esprit critique face à la désinformation sur le changement climatique. En analysant des exemples concrets de fausses informations climatosceptiques, ils ont pu s’approprier des outils et des méthodes : vérifier les sources, se questionner sur la spécialisation scientifique de l’auteur et sur ses intérêts personnels, croiser les informations et identifier les arguments fallacieux. L’approche pluridisciplinaire favorise une compréhension globale des enjeux, entre implications scientifiques, sociétales et éthiques. Cette séance s’inscrit donc pleinement dans les objectifs de l’ÉMI visant à former des citoyens éclairés, capables d’agir de manière responsable dans une société marquée par la multiplication des flux d’information. Elle vise également, modestement, à favoriser un éveil des consciences écologiques et à promouvoir une citoyenneté éclairée face aux défis environnementaux.
Cette séance gagne en efficacité si elle s’inscrit dans une thématique d’étude du réchauffement climatique en SVT ou en EMC. Pour prolonger ce travail, les élèves pourraient également être invités à produire leurs propres contenus (article, podcast ou vidéo) pour sensibiliser leurs pairs aux enjeux climatiques, mobilisant ainsi les compétences nouvellement acquises.

 

 

Désinformation : une histoire de cerveau, vraiment ?

La mode des biais cognitifs dans l’esprit critique

Pour agir dans un environnement, nous mobilisons des approximations intuitives et rapides, dénommées heuristiques. Mais dans certaines situations, celles-ci génèrent des distorsions qui ne seraient pas la réponse optimale, en fonction de nos a priori ou des informations à notre disposition : des déviations qui entraîneraient des erreurs de jugement ou de raisonnement. Dans ce cas on parlera de biais cognitifs. La vulgarisation sur ce sujet est très prisée dans la presse et dans le monde de l’entreprise pour expliquer nos décisions. De même que le gène ou le neurone sont parfois présentés précipitamment comme des déterminants de nos comportements (neurone de la violence, gène de l’infidélité, etc.) chez des intermédiaires médiatiques ou culturels (Lemerle, 2013), le biais cognitif est lui aussi sollicité comme la clé explicative de nos comportements. L’enseignement n’échappe pas à cette conception qui permet de créer des expériences attrayantes qui permettraient de comprendre ces raccourcis que pourraient exploiter les mentalistes (pour le divertissement) et certaines pratiques plus manipulatoires (charlatan, publicité). L’auteur de ces lignes a lui-même mis en place des activités sur ce thème pour aborder l’esprit critique. On trouvera aisément des activités qui énonceraient les biais qui expliquent les adhésions et croyances (« les 5 biais qui expliquent l’inaction climatique », « les biais cognitifs qui expliquent l’attrait aux infox sur la crise sanitaire », « apprendre à déjouer ses biais »). Mais en lisant la littérature scientifique sur ce sujet, on se rend compte que tout cela occulte des causes contextuelles qui expliquent la mésinformation : par exemple, un manque d’informations cohérentes pendant une crise sanitaire, ou des médias poussés au sensationnalisme et à la course au clic (Griessinger & Moukheiber, 2020).

Tout d’abord ces biais recouvrent des choses très disparates. Chacun d’eux relève d’expérimentations précises, opérées dans des conditions bien particulières où l’on tente d’isoler des variables : plaquer un artefact de laboratoire dans une salle de classe est problématique, car celle-ci est un environnement multifactoriel qui ne place pas les élèves dans les conditions d’une expérience. Peut-être certaines de leurs réponses ou erreurs sont liées à des biais cognitifs, mais ce n’est pas toujours le cas et c’est rarement la cause unique. Ajoutons que certains biais se voient modérés : par exemple, l’existence de l’effet Dunning-Kruger (les moins compétents dans un domaine surestimeraient leurs compétences) est remise en question dans certaines recherches (ou dépendante d’éléments culturels). Mais il est parfois utilisé pour discréditer la parole d’autrui.

D’autre part, différents modèles ont été proposés pour expliquer l’existence des biais cognitifs et ils font l’objet de controverses (Hjejj & Vilks, 2023). La théorie populaire du système1 (intuitif, rapide, économe) et du système2 (analytique, plus lent) de Daniel Kahneman et Amos Tvertsky a souvent été vue comme une manière d’expliquer que le raisonnement analytique est moins source d’erreurs, ce que récuse le chercheur en psychologie cognitive Hugo Mercier : «Il n’existe aucune preuve expérimentale suggérant l’existence systématique d’un lien entre le fait de se montrer moins enclin à l’analyse – mise en branle par le système 2 – et une acceptation plus fréquente des croyances douteuses (…). Le lien supposé entre une pensée analytique et l’adhésion à des croyances douteuses n’a rien de systématique. On a tendance à associer athéisme et pensée analytique mais ce n’est pas le cas partout. Au Japon, par exemple, il existe une corrélation entre le fait de croire au paranormal et un usage plus fréquent de la pensée analytique » (Mercier, 2022. p. 73-74). De fait, un raisonnement moins rapide, moins intuitif (pour reprendre l’opposition système1/2) ne sera pas le gage de davantage de rationalité (on peut être motivé à raisonner afin de rechercher des informations qui vont dans le sens d’une conclusion à laquelle on veut croire).

Autre objection : ces biais s’observent dans un cadre où l’on attend une déviation par rapport à une réponse attendue, normée. Mais au quotidien, il n’y a pas toujours une bonne solution qui serait LA réponse rationnelle. Sur certaines questions de société, il ne suffit pas de démêler le vrai du faux : selon les valeurs, les contextes, les savoirs impliqués, on n’arrivera pas aux mêmes solutions ; ainsi, avoir un avis négatif sur le glyphosate ou les OGM (exemples souvent pris pour supposer un manque de rationalité) ne peut se réduire à un biais. Sans entrer dans le débat, que votre auteur serait bien incapable de trancher, on objectera que cette question n’est pas purement technique, mais socio-scientifique : elle touche plusieurs champs d’expertise, pose des questions complexes, dépend de choix de société, nécessite de nombreuses connaissances et des retours d’expériences locales. En débattre, permet de faire émerger des questionnements de manière collective et d’explorer différentes dimensions (Pallares, 2019).

D’autres modèles comme la rationalité écologique expliquent que nos heuristiques rapides peuvent donner lieu à des décisions « ok » (Gigerenzer, 2009).  Intuition et raison n’y sont pas opposées. D’autres chercheurs diront que cette binarité entre deux systèmes est obsolète (Melnikoff & Bargh, 2018) ou que l’on peut relier les différents modèles (Samuels & al, 2002). À croire que les biais cognitifs seraient des mécanismes à déconstruire pour arriver à une supposée neutralité et mieux s’informer, on risque d’essentialiser des pratiques informationnelles problématiques par ce seul prisme, sans comprendre les contextes et les raisons propres à chacun.e. On peut voir les biais comme des déviations mais aussi comme des « moyens de » (Table ronde, Moukheiber, 2022) : dans de nombreux contextes, ces heuristiques sont utiles, opératoires et permettent de stabiliser l’incomplétude de notre environnement informationnel (on ne peut pas accéder à toutes les données dans une situation). Prenons l’exemple du biais de confirmation (tendance à sélectionner les informations qui confortent nos a priori) : s’il peut nous empêcher de nous confronter à des informations contradictoires, il peut aussi nous aider à trouver des arguments pour défendre un point de vue, nous créer une bulle saine en ligne, poser un curseur de vigilance face à une information contradictoire quand on a une base solide sur un sujet (Mercier, 2019).

La tâche de Wason : Quatre cartes présentent un chiffre sur une face et une lettre sur l’autre. Seules les 4 faces ci-dessus sont visibles. Quelle(s) carte(s) devront être retournées pour que cette règle soit juste : Si une carte a un D sur une face, alors elle porte un 5 sur l’autre face. Beaucoup choisissent D et 5, alors qu’il s’agit de D et 7. Ce casse-tête est censé identifier un biais. Seulement le même exercice dans un contexte plus concret (identifier des personnes en âge de boire), donne moins d’erreurs. D’autre part, on estime que la réussite dépend de la compréhension linguistique de l’énoncé.
Image : wikimedia commons

Déjouer les biais en éducation ? Fausse bonne idée ?

Qu’en disent les sciences de l’éducation ? Les auteurs et autrices d’une synthèse des recherches sur l’éducation à l’esprit critique se sont penchés sur les liens entre esprit critique et biais cognitifs (EPhiScience, 2021). Ils concluent qu’une « éducation à l’esprit critique ne peut se limiter à une approche visant à éliminer ce qui semble être faux. Le piège serait alors de considérer qu’une pensée purgée de tous ses biais correspondrait nécessairement à de l’esprit critique ». D’autre part, le texte souligne que les études sont parfois contradictoires, en se basant sur les expériences menées sur les biais pouvant affecter la prise de décision dans le milieu médical : certaines concluent que le travail sur le biais cognitif pourrait améliorer l’action des médecins mais d’autres notent que cela pourrait altérer la confiance en soi et le jugement, en cas de situation d’incertitude ou d’urgence. Certaines études de ce champ médical suggèrent qu’il est parfois plus pertinent de viser à combler un manque de connaissances dans le domaine concerné que de demander aux individus d’essayer de contrôler et réduire leurs biais. Cette conclusion pourrait être transposée au milieu éducatif de façon plus générale : il n’est pas forcément pertinent de considérer l’adhésion à une infox comme émanant avant tout de biais si l’individu dont il est question connaît peu le sujet et n’a donc pas les connaissances pour repérer des éléments suspects. Une autre piste évoquée dans la synthèse, serait de mettre en place des outils pratiques pour minimiser l’impact de biais dans nos prises de décisions (check-list, mémos, logiciels collaboratifs). On peut s’en inspirer pour réfléchir à des outils qui nous aideraient dans notre environnement informationnel et nos usages en ligne de manière similaire.

En résumé, identifier des biais peut avoir un sens pour améliorer des pratiques dans des contextes précis telle qu’une prise de décision clinique, mais a-t-on le recul pour appliquer cela à des phénomènes disparates de mésinformation ? De l’avis de Charlotte Barbier, qui a participé à cette synthèse, l’articulation entre recherches en éducation et recherches sur les biais n’est pas encore très claire et il est difficile de tirer des conclusions sur l’intérêt pour les enseignants d’enseigner les biais cognitifs à des élèves (Table ronde, Barbier, 2022). Dans ce cadre, si les biais peuvent fournir des pistes réflexives sur soi, favoriser la métacognition, d’autres éléments sont cruciaux : capacités d’argumentation, connaissance épistémique du sujet, dispositions. En évaluation critique de l’information, des travaux permettent de réfléchir aux heuristiques mis en œuvre par les adolescents (Sahut, 2017) : ce peut être un levier pour prendre en compte leurs usages et les aider à les améliorer. Dans des pratiques informationnelles collectives, au sein de dispositifs sociotechniques, de modèles économiques et d’infomédiaires, on ne peut tout réduire à une histoire de débiaisage individuel afin de tout vérifier par soi-même : on réfléchit aussi aux sources ou personnes de confiance sur lesquelles s’appuyer. On pourra aussi se centrer sur d’autres types de biais : porter un regard critique sur les biais racistes ou de sexe/genre en histoire des sciences ou dans les œuvres de fiction, les biais statistiques en mathématiques et SES, les biais idéologiques dans des discours médiatiques en ÉMI.

Ces instincts et ces mécanismes qu’il faudrait dompter

Une biologisation de la mésinformation se retrouve encore en formation : des concepts obsolètes, comme le cerveau triunique (un cerveau reptilien, siège des instincts primaires, un cerveau limbique, siège des émotions, un néocortex, siège du raisonnement) pour expliquer le partage instinctif d’une information, sont vivaces. Le cerveau reptilien a pu être «une ressource symbolique pour quiconque désirait imputer le déplorable état du monde aux défauts innés de la nature humaine ou simplement évoquer de manière expressive les pulsions qui nous gouvernent» (Lemerle, 2021) : une théorie vite tombée en désuétude dans son propre champ disciplinaire, mais réutilisée dans le champ médiatique pour expliquer certains comportements qui font l’actualité. Une autre idée, qui renforce des comportements archaïques inadaptés au monde actuel, issue de la psychologie évolutionniste, un courant très controversé (Richardson, 2010) mais qui a été très prisé dans la vulgarisation de l’esprit critique, énonce que le cerveau réagirait trop vite car il doit surinterpréter les dangers pour survivre en des temps ancestraux. Dans cette perspective de course à la lutte contre les infox, on peut vite donner l’image d’une entité rationnelle qui a pour but de dompter une entité archaïque. (L’inventeur de la théorie reptilienne, Paul MacLean, parlait de devoir «tenir en laisse ce reptile»). Ces explications biologiques et organiques pour justifier des comportements sociaux (mésinformation, pulsions, réactions émotives) font le bonheur de publicitaires ou d’entreprises managériales qui s’accommodent bien de l’économie de l’attention et des explications simples pour expliquer des actions jugées irrationnelles.

Si les neurosciences ont pu être une plus-value pour l’élève (comprendre sa mémoire, rythmer son apprentissage), on note des mésusages fréquents, à l’instar des biais : l’imagerie a pu être dévoyée pour favoriser des méconceptions dans des cadres scolaires et la formation : cerveau gauche-cerveau droit, effets des écrans sur le cerveau, localisme exagéré de fonctions à certaines zones cérébrales (voir le documentaire Arte Suis-je mon cerveau ? avec Albert Moukheiber) ou à certains neurotransmetteurs (Cobb, 2021). Il suffit d’observer le nombre de publications qui expliquent l’appétence à certaines pratiques en ligne par le prisme de la dopamine. Cette vision a des répercussions qui peuvent avoir une incidence sur nos pratiques pédagogiques : penser que les réseaux génèrent des shoots de dopamine et grignotent l’attention est caricatural, voire méprisant vis-à-vis des jeunes.

Dompter des biais, intuitions et émotions qui court-circuiteraient notre raisonnement va souvent de pair avec des oppositions intuition/raisonnement ou émotion/rationalité qui correspondent peu aux savoirs tels qu’ils se font. De nombreux exemples de l’histoire des sciences, comme du quotidien, montrent comment l’intuition et l’émotion peuvent être vectrices de connaissance. « Aucun moment ne se passe au neutre dans des parcours complexes où une personne interagit avec autrui, opère dans des lieux amènes ou hostiles, s’approprie de multiples outils, passe des heures dans des activités exigeantes avec une pluralité d’interlocuteurs. (…) Le travailleur intellectuel est aussi un être de chair et de sang qui éprouve des émotions dans son travail ou encore, en renversant la perspective, que son travail, tout scientifique qu’il est, se fait aussi dans l’émotion » (Waquet, 2022). Ce serait d’ailleurs une vision quelque peu désincarnée d’assimiler les connaissances et les sciences « à un point de vue neutre et situé au-dessus des passions et des intuitions, penser que la science parle au-dessus de la mêlée, du point de vue de Sirius, (…) qu’elle est ventriloque et parle comme Dieu » (Pestre, 2010).

Il est alors intéressant d’évoquer des épisodes de « découverte » scientifique pour entrevoir la manière dont s’est réellement construit un savoir (le débat autour de la génération spontanée entre Pasteur et Pouchet, par exemple). D’autres pratiques pédagogiques intègrent l’émotion : en histoire, dans le traitement de certaines actualités, on prend appui sur les émotions dans des situations argumentatives sur des sujets « chauds », « plutôt que de les faire taire ». On travaille, « plutôt qu’à esquiver les émotions, à les utiliser pour relancer l’apprentissage du raisonnement en histoire » (Sorsana & Tartas, 2018).

La porosité aux fake news : des infox sur les infox ? 

La vision de personnes perméables aux fake news est loin d’être partagée. Pour certains auteurs il y a plutôt une vigilance épistémique qui marche bien mais qui active des mécanismes de vigilance dans un environnement informationnel où nous sommes face à des informations contradictoires, disparates, où nous ne connaissons pas toujours les intentions et motivations des auteurs (Mercier, 2022). D’autres données suggèrent un ensemble d’idées reçues tenaces : Manon Berriche et Sacha Altay, dans leur recherche sur la désinformation et la réception d’informations médiatiques, énoncent plusieurs items contre-intuitifs : le faux ne circule pas plus vite que le vrai ; les fake news représentent une partie beaucoup moins importante que ce que l’on pense par rapport à l’ensemble des contenus ; partager n’est pas adhérer ; la création de fake news est l’œuvre d’un faible pourcentage de personnes (Berriche & Altay, 2021). Ironie du sort, deux expériences récentes laissent penser que les récits alarmistes concernant la désinformation puisent dans notre tendance à voir les autres comme crédules (Acerbi & Altay, 2022).
D’autre part, la focale de la chasse aux infox peut gommer d’autres éléments en ligne sur lesquels exercer sa pensée critique : contexte idéologique, effets de rhétorique, intentions, biais racistes/sexistes dans les discours ou dans les algorithmes, choix des arguments mis en avant, etc. Nous avons déjà énoncé par ailleurs le risque de réduire à un biais ou frapper d’irrationalité celui qui n’aurait pas le « bon » avis (qui dépend notamment de notre rapport de connaissance ou de proximité avec le sujet) dans l’espoir d’une neutralité d’apparat qu’il faudrait atteindre. Enfin, on peut questionner une éducation qui serait « contre » les infox, si elle ne s’accompagne pas d’une alternative convaincante (qu’est-ce qu’une bonne information ? quel récit est plus pertinent ?). Cela peut permettre de poser d’autres questions : qui profite de la désinformation, qui diffuse et pourquoi il/elle le fait, pourquoi est-ce qu’on y adhère ? Quelles sont les valeurs véhiculées par l’information ?

Le partage par un élève d’une théorie du complot peut-il se réduire à un biais ? A-t-il des connaissances sur le sujet ? Avait-il des compétences pour appréhender la structure de l’information en ligne ? A-t-il les capacités argumentatives pour un regard critique sur les éléments du discours ? Pour quelle raison partage-t-il ? Pour choquer, faire rire, exprimer une colère, par flemme, adhérer à une communauté ?
Image : Flat_earth. Wikimedia commons

Des enjeux socio-contextuels et collectifs

L’illusion d’une boîte à outils pour que chacun.e fasse ses propres recherches, fait l’impasse sur des processus collectifs (comme la nécessité d’identifier des sources de confiance et d’expertise) : équiper l’élève d’outils individuels n’est pas un gage de non-mésinformation quand le savoir se construit collectivement. Il s’agit de comprendre que l’attrait aux infox ne se réduit pas à une histoire de cerveau à outiller, mais est lié à des enjeux de société et de vie démocratique. On peut questionner les biais de raisonnement qui seraient à la base de croyances douteuses : mais comment détricoter l’adhésion des élèves à des vérités alternatives sans considérer le vécu ou les raisons d’adhérer ? La méfiance s’explique aussi par des vécus oppressants tels qu’on en trouve dans l’histoire scientifique : essais cliniques infructueux non signalés, manque de pédagogie, scandales pharmaceutiques, rapport sexiste ou raciste en médecine (Chamayou, 2013). L’adhésion au complotisme peut s’expliquer par une colère, l’oppression d’une communauté, telle Tuskegee aux USA, où la méfiance à l’égard de la médecine s’explique par des expérimentations médicales impropres sur les Afro-Américains (Fassin, 2020). Il serait malvenu de dire à ces personnes qu’elles sont « biaisées », quand leur crainte de la médecine a des racines historiques. Des chercheurs étudiant le complotisme à l’heure du numérique estiment qu’on peut « se départir des approches paranoïdes ou psychologisantes qui tendent à rejeter, sans autre forme de procès, l’étude des théories du complot dans le champ des déviances psychopathologiques ou des sciences cognitives et qui interdisent de les envisager comme un fait social et politique en-soi » (Giry, 2017). Voir la viralité d’un faux complot comme une preuve de crédulité ne prend pas en compte les dynamiques de diffusion actuelles et de ceux pour qui la vérité importe peu, tant que cela sert leur penchant idéologique. Des éléments socio-culturels, historiques permettront donc d’appréhender la mésinformation avec davantage de finesse. La psychologie cognitive émet elle-même des réserves sur le lien entre biais cognitifs et adhésion conspirationniste : ne sont-ils que des corrélations ? Sont-ils la cause de la méfiance ou la conséquence ? Sont-ils liés à des stratégies pour peser politiquement ? (Dieguez & Delouvee, 2021). D’autre part, cette discipline ne se centre pas que sur l’individuel : les chercheurs en sociologie du numérique et en technologies de la communication, Henri Boullier, Baptiste Kotras et Ignacio Stiles, rappellent que souvent « les explications psychologiques sont opérationnalisées comme un mélange de deux grands groupes de facteurs : individuels (tels que la confiance, l’ouverture à l’expérience, l’agréabilité, le niveau d’éducation, le narcissisme et l’autoritarisme, entre autres) et environnementaux (tels que les événements sociétaux pénibles, les conflits de groupe et les questions de pouvoir, etc.) », même si ces enquêtes sous forme de listes d’items sont accusées de manquer de nuances méthodologiques, en ne montrant pas la diversité des raisons d’adhérer à ces récits, ni les aspects sociotechniques actuels (Boullier & al., 2021). Les trois chercheurs, pour éviter un jugement péjoratif, préfèrent parler de « déviances informationnelles ».

Il est possible de proposer des activités pédagogiques qui intègrent ce questionnement sur la réception et l’impact socio-culturel des infox. La brochure belge de Media-Animation, 5 approches pour une éducation critique aux médias propose une approche sociale basée sur ces questions, dans une perspective quasi sociologique : questionner les dynamiques sociales dans la prolifération d’une information, les systèmes de production de ces informations et les modèles économiques ou idéologiques qui peuvent les générer. D’autres activités basées sur l’argumentation, le débat entre pairs et les capacités à s’appuyer sur des sources de confiance peuvent aider à sortir d’une vision centrée sur le fait de former des cerveaux qui « pensent par eux-mêmes » (ce qui peut très bien mener à se mésinformer ou adhérer à des thèses complotistes). Une boîte à outils critique, une tête bien faite avec une logique implacable et un contrôle de nos biais, ne remplaceront pas une expertise du sujet. Enfin, il est possible de questionner des phénomènes de désinformation dans un cadre d’enquête. On peut engager les élèves dans un cadre informationnel sur des sujets de société, à la manière d’activités qui intègrent la pensée critique et l’enquête sociologique, tels que l’ouvrage de cycle 3 Apprendre aux élèves à décrypter la société (Lecardonnel & al., 2022) les présente.

Sortir du biais des biais ?

Si comprendre les mécanismes cognitifs nous permet d’appréhender les usages problématiques d’Internet, les techniques de captation des interfaces (dark pattern), les modalités d’apprentissage, la métacognition ou le traitement de l’information (heuristiques de recherche, travaux sur la charge cognitive, etc.), on ne peut traiter l’infox sans « comprendre comment des objets techniques, tels que des algorithmes, des plateformes logicielles, des dispositifs de communication ou des codes informatiques, permettent la formation et la circulation de ce type de contenu » (Boullier, 2021). Les travaux centrés sur l’évaluation de l’information et les évolutions sociotechniques, prennent en compte ces dimensions : Monica Macedo-Rouet rappelle que sur écran, notamment avec les spécificités de la recherche hypertextuelle et le design des résultats des moteurs de recherche, les élèves pratiquent des formes de lecture et ont des difficultés spécifiques : les identifier permet d’améliorer leurs capacités de compréhension et d’évaluation des informations en ligne (Macedo-Rouet, 2022).

Il s’agit aussi, en tant qu’enseignant, d’éviter un discours qui serait essentialisant et monocausal, qui discréditerait la pensée d’autrui à base de biais de crédulité, sans avoir accès à son vécu, ses raisons et ses espaces de sociabilité. Nous tentons d’appréhender des sujets qui évoluent, des éléments qui touchent à la psyché et au bien-être des élèves. De même que partager une information n’est pas forcément y croire, les usages divers des pratiques informationnelles ne se réduisent pas à des défauts de « factualité » ou de cognition. Une information vraie peut être non pertinente, liée à une idéologie ou une intention particulière, véhiculer des représentations, des stéréotypes qui se questionnent, mettre en avant des faits ou des données plutôt que d’autres. Il s’agit de questionner une vision de l’ÉMI comme une histoire de gens qui pensent mal, à remettre sur le droit chemin cérébral.

Je remercie Charlotte Barbier pour sa relecture de certaines parties.

 

 

L’incendie de Notre-Dame de Paris : un exemple de travail autour des « fake news »

« Tu es journaliste et tu dois écrire un article sur l’incendie qui a touché la cathédrale Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019. Pour préparer ton article, tu vas devoir vérifier les informations qui circulent sur cet événement… Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? »
Une séance pour débusquer les fausses informations à partir d’une actualité.

Extrait du questionnaire distribué aux élèves (Louise Daubigny)

De plus en plus de jeunes disent s’informer de l’actualité grâce aux réseaux sociaux en délaissant les médias traditionnels. Or, les réseaux sociaux mélangent les genres en publiant indifféremment et sur le même plan un article scientifique, un dessin humoristique, l’opinion du voisin ou le discours de propagande politique d’un élu ou d’un candidat. L’objectif clairement affiché est de faire des vues (faire « le buzz »), parfois au détriment de la vérité. L’information circule vite et se transmet d’un internaute à l’autre, sans être filtrée par un processus journalistique et éditorial de vérification. De plus, cette transmission quasi instantanée de l’information encourage des chaînes d’info en continu à relayer sans recul les événements dans une lutte pour être le premier à faire transiter l’information. Enfin, s’il est sûr que des événements comme la crise du COVID-19 ou la guerre en Ukraine ont suscité une quantité énorme de fake news (v. lexique), il est cependant difficile d’en faire une thématique de travail scolaire tant ces sujets sont sensibles, en raison de leur caractère encore récent ou du fait de la prise de parole de scientifiques, parfois peu sérieux, qui ont contribué à brouiller la notion de vérité.

Plus que jamais, il est pourtant nécessaire de fournir aux élèves le moyen de débusquer les fausses informations. La séance dont il est question a été créée en 2019, quelques semaines après l’incendie de Notre-Dame de Paris, à la demande d’une enseignante de français qui souhaitait travailler avec l’enseignante documentaliste sur la question des médias en classe de 4e : « Informer, s’informer, déformer ». Il s’agissait de traiter les différents types de désinformation (v. lexique) sur Internet au travers d’une question d’actualité.

La séance telle qu’elle a été mise en place et testée en classe de 4e dure deux heures en collaboration et peut être suivie de travaux plus spécifiques à la discipline français : une première heure, au cours de laquelle les élèves doivent, en autonomie, consulter différents documents et juger de leur validité en suivant pas à pas un questionnaire, se déroule en salle informatique et une deuxième heure en salle de français pendant laquelle le document est repris et corrigé en s’appuyant sur différentes sources, ce qui permet d’apporter des précisions sur la construction de l’information, les outils de vérification et sur les figures de style parfois utilisées pour influencer le lecteur. Les enseignants proposent aux élèves de se mettre à la place d’un journaliste devant écrire un article sur l’incendie qui a touché la cathédrale Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019. Pour préparer cet article, ils vont devoir vérifier les informations qui circulent sur cet événement. Cette séance peut amener par la suite un travail de rédaction dans un style journalistique sur ce sujet ou sur un autre sujet d’actualité en cours de français.

Accident ou attentat ?

Le 15 avril 2019, en fin de journée, un gigantesque incendie touche la cathédrale Notre-Dame de Paris et entraîne la destruction d’une partie de sa toiture. Immédiatement, les hypothèses vont bon train : l’événement serait-il lié à un attentat terroriste ? Au discours que devait proposer Emmanuel Macron ce jour-là ? Aux manifestations des gilets jaunes ?

Le premier document proposé à l’analyse est extrait d’une interview de Philippe Karsenty, élu de Neuilly-sur-Seine, sur une chaîne américaine : « Même si personne n’est mort, c’est un peu le 11 septembre français […]. Nous devons savoir que des églises sont vandalisées en France toutes les semaines. Bien sûr, le politiquement correct va vouloir nous faire croire à un accident ». Le journaliste qui l’interroge répond alors : « Monsieur, monsieur, monsieur. Nous n’allons pas spéculer ici sur les causes que nous ne connaissons pas. Donc si vous avez des observations ou si vous savez quelque chose, nous serons ravis de l’entendre ».

Interviewé en tant qu’élu français, Philippe Karsenty profite en fait de l’interview pour présenter ses idées d’extrême droite : en mettant sur le même plan deux événements (l’attentat du 11 septembre aux États-Unis qui a fait 3000 victimes à la suite de l’effondrement des tours jumelles, et l’incendie de Notre-Dame de Paris), et en établissant entre eux un lien d’égalité et de causalité, il laisse une forte place à la rumeur (v. lexique) et aux propos haineux, suggérant fortement qu’il s’agit en fait d’un attentat meurtrier, possiblement orchestré par une mouvance islamique (psychologie des intérêts : à qui profite le crime ?), lié à des « églises vandalisées en France toutes les semaines » (selon quelles sources ?) et dissimulé par les autorités (le « politiquement correct »).

Les élèves sont ici invités à s’interroger sur la technique de l’insinuation (v. lexique) : que laisse entendre Philippe Karsenty ? A-t-il des preuves de ce qu’il avance ? Que répond le journaliste ? La réponse permet de s’interroger sur le statut de l’informateur et sur son objectif. Une recherche sur le nom de l’homme politique permet de montrer qu’il appartient au Rassemblement national. Il s’agit ici, de fait, d’une stratégie de communication de l’extrême droite qui suggère sans avancer clairement, joue sur les fantasmes en comparant deux événements marquants et accuse de manière voilée la communauté musulmane d’être à l’origine du drame.

On n’est pas loin, dans cet exemple, du récit conspirationniste (v. lexique), même s’il n’est pas clairement énoncé : des éléments difficiles à vérifier, un mélange entre vrai et faux, une spéculation gratuite, une version officielle opposée à des zones d’ombre… Le journaliste américain ne s’y laisse pas prendre, puisqu’il met fin abruptement à la discussion et refuse d’entendre ce qui ne serait pas une argumentation fondée sur des faits. Voilà un exemple qui met en valeur le rôle du journaliste dans la construction de l’information : ce qui compte c’est la preuve, le témoignage, pas la rumeur ou le ragot, et tout témoin qui s’écarterait de cette ligne de conduite pour proférer des allégations gratuites ne pourrait pas être considéré comme fiable.

Deux départs de feu ?

Le second exemple est un tweet de Jean Messiha, homme politique affilié lui aussi au Front national puis au Rassemblement national : « Des sources parlent de 2 départs de feu à #NotreDame : au niveau de la flèche et à l’opposé. Si cette information était confirmée, la thèse de l’accident, avancée comme une quasi certitude [sic] par nombre de médias dès le début alors que personne n’en sait rien, deviendrait bancale… »1.

Tweet de Jean Messhiha du 15 avril 2019 22:35

L’élève est d’abord invité à faire un travail d’investigation sur ce tweet : qui est l’auteur ? Quel parti politique représente-t-il ? Puis à analyser son contenu : l’auteur croit-il à la thèse de l’accident ? À quoi le voyez-vous ? L’emploi du conditionnel peut ici être commenté, tout comme l’anonymat des « sources ». Celles-ci sont non confirmées de l’aveu même de l’auteur, mais servent à dénigrer « nombre de médias », présentés comme moins sérieux, puisqu’ils présentent des faits incertains comme une « quasi certitude » (sic). On assiste à une inversion de la charge de preuve : c’est aux journalistes de prouver qu’il s’agit d’un accident, et non à l’homme politique de prouver que ce n’en est pas un. Comme Philippe Karsenty dans l’exemple précédent, Jean Messiha sous-entend que l’événement pourrait être en réalité lié à un attentat terroriste : si un accident provoquant un départ de feu à Notre-Dame de Paris peut apparaître comme une hypothèse crédible, l’idée de deux départs de feu simultanés devient en effet beaucoup moins soutenable…

Le tweet de Jean Messiha s’appuie en fait sur un article du site « fdesouche.com » : « Un incendie ravage la cathédrale Notre-Dame de Paris (MàJ : deux foyers d’incendie auraient été repérés) ». Un détour par le Décodex du Monde permet de montrer que ce site est loin d’être fiable, et qu’il constitue en réalité un blog d’extrême droite présentant une revue de presse, et non un journal, même s’il reprend la mise en page d’un site d’information journalistique. Il suffit d’en consulter la page d’accueil pour le confirmer : l’objet n’est pas de diffuser des informations vérifiées, mais de relayer toute idée permettant d’appuyer des thèses d’extrême droite autour de l’immigration, de la sécurité ou de l’identité française : « Si la plupart des sources utilisées sont fiables, la présentation des faits par le site est souvent trompeuse. Il relaie également parfois des rumeurs non vérifiées, sur un ton interrogatif », indique le Décodex qui recommande la prudence.

Capture d’écran du site www.fdesouche.com

La lecture d’un article du Monde permet finalement de montrer que ce ne sont pas deux départs de feu qui se sont produits simultanément mais deux foyers d’incendie, visibles distinctement à un moment donné de la lutte contre l’incendie. Le poids des mots est important pour rétablir la vérité des faits : deux foyers d’incendie ne sont pas deux départs de feu, et les conséquences ne sont pas les mêmes…

Un gilet jaune sur le toit

Photo retouchée et relayée sur Facebook

Les exemples suivants sont ceux qui ont le plus amusé les élèves : des photos montrent en effet qu’un homme se trouvait sur le toit de la cathédrale en flammes, en plein incendie ! Des tweets circulent, flèches pointées sur les individus en question. S’agirait-il des pyromanes ? La lecture d’un article de Libération permet de rétablir la vérité : non, il ne s’agit pas d’un homme marchant sur le toit de la cathédrale, mais d’une simple statue. Des publications mentionnant « On ne nous dit pas tout » (suggérant une intervention humaine au départ de l’incendie) ont pourtant été partagées, nous dit l’article de Libération, des milliers de fois sur les réseaux sociaux, le soir même de l’incendie !

Plus fort encore, une vidéo montre clairement un homme vêtu d’un gilet jaune, déambulant dans la cathédrale en flammes ! Pas d’incendiaire cette fois encore, même si la crise des gilets jaunes et les incidents ayant notamment eu lieu à l’Arc de triomphe ont pu suggérer à certains un lien de causalité, mais simplement… un pompier chargé de coordonner les actions de lutte contre l’incendie ! La vidéo a pourtant, là encore, été relayée des milliers de fois par des internautes français et étrangers, qui suggèrent même parfois que l’individu « pourrait être de confession musulmane d’après les vêtements ». Quand un événement dramatique survient, on a en effet tendance à expliquer qu’il est le fait d’un groupe de population qui a des intérêts en jeu. Les exemples montrent que les théories du complot (v. lexique) sont avant tout une histoire de croyances, qui amènent parfois à voir ce que l’on veut… Deux confusions un peu risibles, si on prend un peu de recul, mais qui montrent bien que n’importe qui peut se trouver abusé par une fausse information ou par la mauvaise interprétation d’une image.

La rosace est détruite

C’est aussi la nécessité de prendre du recul qui est mise en valeur avec l’exemple suivant. Il s’agit d’un tweet prétendant que la rosace principale de la cathédrale a explosé du fait de l’incendie : « Le monde perd en ce 15 avril 2019 des œuvres d’art inestimables ».

Tweet du 16 avril 2019 04:08

Les élèves sont invités à noter la date et l’heure de publication du tweet : 16 avril 2019 à 04:08. Or, l’incendie n’a commencé que quelques heures plus tôt, puisqu’il s’est déclenché le 15 avril 2019 à 19  h 51. L’information diffusée par ce tweet peut donc être qualifiée de douteuse, puisqu’elle manque de recul sur les faits. En pleine nuit et au milieu de la confusion liée à l’incendie, alors même qu’il était impossible de s’approcher suffisamment de la cathédrale, il est peu probable que cette indication soit étayée par une source sûre. La consultation d’une page du journal 20 Minutes, publiée par la suite pour faire le point sur l’état de conservation des rosaces, permet de montrer que les éléments relayés par le tweet sont, de fait, faux, puisque les vitraux n’ont en réalité pas souffert de l’incendie.

Cet exemple qui s’appuie sur la datation des données peut également être l’occasion d’évoquer les chaînes d’info en continu, qui, en donnant la priorité au direct, répondent au besoin d’être informé dans l’immédiat, ce qui ne permet pas toujours de produire une information fiable et sérieuse. On peut également insister sur l’importance de vérifier la date et le lieu de première publication, lors de l’analyse de certaines images, comme dans le cas des photographies de manifestations prétendument récentes, qui ont en fait eu lieu il y a des années, parfois dans un autre pays, et sont détournées de leur sens pour suggérer l’idée d’un rassemblement violent ou de très grande ampleur, alors qu’il n’en est rien.

La cathédrale Notre-Dame de Paris a déjà brûlé

Tweet de Mao du 15 avril 2019 23:23.

Enfin, un internaute américain explique, photo en noir et blanc à l’appui, que la cathédrale a déjà brûlé par le passé : « Just a reminder if you’re not familiar with the history of Notre Dame, but this isn’t the first time it’s burned ». Mais cette affirmation est-elle exacte ? C’est le moment d’utiliser un outil de recherche inversée comme TinEye ou Google Images pour démontrer que l’image montre en réalité la cathédrale de Reims et qu’elle date de 1914. La cathédrale Notre-Dame n’a, quant à elle, jamais brûlé. Il ne s’agit pas ici de propagande (v. lexique) comme pour les tweets de l’extrême droite, mais de mésinformation (v. lexique) : un internaute mal informé pense sincèrement diffuser une donnée exacte. Ces outils de recherche révèlent souvent leur utilité dans l’analyse des fausses informations, et peuvent notamment être utiles aux élèves pour répondre à certaines épreuves de PIX sur la maîtrise des sources. La séance peut être l’occasion de démontrer leur efficacité aux élèves.

Conclusion

La séance a donc permis aux élèves de se mettre à la place d’un journaliste pour mener l’enquête sur un sujet qui a marqué l’actualité et a suscité d’importantes réactions sur les réseaux sociaux : l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Pour réaliser ce travail d’investigation, les élèves ont dû comparer différentes sources d’informations, des réseaux sociaux aux journaux officiels, s’interroger sur leur auteur, sur la date de publication et sur les preuves avancées, mais aussi utiliser plusieurs outils de vérification de l’information comme la recherche inversée ou le Décodex. Le travail a suscité leur intérêt, comme en a témoigné une écoute très attentive lors de ces deux heures, et les commentaires sur l’importance de se méfier des renseignements trouvés sur les réseaux sociaux : les élèves sont en effet conscients que tout n’est pas fiable sur Internet et sont en demande d’outils pour éviter de se laisser abuser par les « fake news ».

Nous avons pu constater lors de ce travail que de fausses informations ont été consultées et relayées des milliers de fois sur les réseaux sociaux, trompant autant de personnes et semant la confusion ! On constate également que si ces mauvaises informations peuvent être de simples erreurs de personnes mal informées, elles peuvent également s’inscrire dans un objectif politique, en cherchant à discréditer une partie de la population et à obtenir des voix pour un parti politique.

Le sujet reste porteur plusieurs années après, car il permet de faire le tour d’un certain nombre de pièges de l’information ; par ailleurs, il fait encore régulièrement l’objet d’articles de presse au fil des restaurations de la cathédrale ou à l’occasion de la sortie du film de Jean-Jacques Annaud. D’autres illustrations de l’émergence de fausses informations et de théories du complot peuvent être retrouvées dans des contextes anxiogènes actuels comme la guerre en Ukraine, le vaccin contre le COVID-19 ou le réchauffement climatique.

D’autres pistes peuvent venir compléter cette séance : une revue de presse sur Notre-Dame de Paris ou une comparaison des Une de journaux d’actualité au lendemain de l’événement ; des éléments sur l’augmentation des ventes de l’œuvre de Victor Hugo à la suite de l’incendie ; la polémique liée aux dons faramineux effectués par des entreprises ou des particuliers pour contribuer à reconstruire la cathédrale ou encore un débat pour évoquer d’autres événements récents ayant suscité une vague de désinformation sur le net.

 

 

Sitographie

Cousin, Mathilde. Incendie à Notre-Dame de Paris : Quel est l’état de conservation des rosaces ? 20 Minutes, 17 avril 2019, 18 h 28. https://www.20minutes.fr/paris/2499067-20190417-incendie-dame-paris-etat-conservation-rosaces

Leboucq, Fabien. Notre-Dame : qui est cette personne en gilet jaune sur une tour qui affole les réseaux sociaux étrangers ? Libération, 16 avril 2019. https://www.liberation.fr/checknews/2019/04/16/notre-dame-qui-est-cette-personne-en-gilet-jaune-sur-une-tour-qui-affole-les-reseaux-sociaux-etrange_1721670/

Service Checknews. Non, cette photo ne montre pas un homme sur le toit de Notre-Dame pendant l’incendie. Libération, 17 avril 2019, 18 h 19. https://www.liberation.fr/checknews/2019/04/17/non-cette-photo-ne-montre-pas-un-homme-sur-le-toit-de-notre-dame-pendant-l-incendie_1721937/

Sénécat, Adrien. Intox sur l’origine de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Le Monde, Les Décodeurs, màj le 16 avril 2019, 14 h. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/04/16/intox-sur-l-origine-de-l-incendie-de-notre-dame-de-paris_5450914_4355770.html

 

 

Lien sur le PDF du questionnaire

 

 

Veille numérique 2018 N°3

Éducation

Les origines de la vie

Le CNRS vient d’ajouter un nouveau site à sa collection Sagascience : les origines de la vie. Ce site divisé en cinq parties – Les origines de la vie ; Définir le vivant ; La terre, une exception ? ; Émergence(s) de la vie ; La saga continue – comprend de nombreuses illustrations, vidéos et liens externes. Des chercheurs issus de domaines très divers lui apportent sa caution scientifique.

Escape game « Connais-moi, Échappe-toi »

Le CLEMI et la DANE de l’académie de Besançon ont conçu un jeu d’évasion dans le but de sensibiliser les adolescents à la protection des données personnelles et aux traces numériques laissées sur les réseaux sociaux. Les joueurs sont enfermés dans une classe et doivent rechercher des indices pour accéder aux notes, carnets, et sacs personnels du ravisseur afin de s’échapper. Le jeu s’adresse à des élèves dès la 4e et n’est disponible que dans l’académie de Besançon.

Street art avec Arte

En accès sur la plateforme d’Arte, le nouveau jeu d’infiltration Vandals de Cosmographik invite le joueur
à rechercher des surfaces à recouvrir, à rencontrer des artistes et à découvrir des œuvres. Le jeucomprend 60 casse-tête, 5 villes, 40 fiches sur l’histoire du graffiti, 18 trophées à débloquer. Paris est accessible gratuitement, les autres villes du monde sont disponibles pour 4,49 €.

Ada Lovelace, pionnière de l’informatique

Un manuscrit daté de 1843, attribué à la célèbre mathématicienne ressurgit du passé, faisant d’Ada Lovelace la première programmeuse informatique. Ce texte, traduction et commentaire des travaux
du mathématicien italien Menabrea, contient une formule d’Ada Lovelace analysant et développant le calcul des nombres de Bernoulli, lequel constitue le premier programme informatique de l’Histoire mondiale.

FranceTerme

Un doute sur la terminologie à employer concernant le vocabulaire lié aux évolutions techniques et scientifiques ? Consultez la base FranceTerme. Cette base de données chapeautée par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France en association avec l’Académie française vous recommandera le terme le plus approprié. Ainsi, en 2018, la commission s’est penchée sur le sort du « learning center »…

Lecture numérique

EPUB4 pour bande dessinée

L’institut de recherche et développement au service du déploiement européen de technologies de publication (EDRLab) s’est doté d’un groupe de travail spécialisé dans la bande dessinée (BDCoMa). Celui-ci a annoncé plancher sur le format numérique EPUB4 pour les BD, comics et mangas. Il intégrera du Javascript (JSON), du HTML et des formats images, sons et vidéos.

Fiscalité du livre en Europe

Condamnée par l’Union européenne pour avoir réduit le taux de TVA appliqué aux livres numériques, en vertu d’une directive interdisant ces pratiques, la France est en passe d’obtenir gain de cause lors de la prochaine réunion d’Ecofin (Conseil Affaires économiques et financières) en octobre 2018. Des propositions intéressantes sont sur la table, notamment l’instauration d’une TVA minimale, voire inexistante sur les ventes de livres papier, audio ou numériques, comme cela se pratique déjà en Europe : Scandinavie, Angleterre.

Wikipédia et le français

L’encyclopédie collaborative en ligne a publié plus de deux millions d’articles disponibles en français depuis 2001. Chaque jour, environ 350 articles sont créés par des rédacteurs bénévoles appartenant à toutes les tranches d’âge de la francophonie. Première source d’information sur le net, Wikipédia couvre une multitude de sujets des plus sérieux aux plus farfelus.

BD vidéo sur Spotify

Ce service de streaming musical diffuse désormais des motion comics. Ce nouveau genre de bande dessinée avec animations est censé être plus adapté pour lire les BD sur smartphone. Actuellement, accessible sur l’application de Spotify dans certains pays.

Fiabilité de l’information

Facebook et les fake news

Le 11 juillet 2018, Facebook a lancé officiellement son projet de recherche sur la désinformation : Social Science One. Les chercheurs, pour la plupart américains mais, pour la première fois, non rémunérés directement par Facebook, disposeront d’une énorme masse de données, dont les liens sur lesquels cliquent les internautes ainsi que des informations personnelles (anonymisées) sur les utilisateurs afin d’étudier en profondeur leur comportement.

Fake photos

Des étudiants de l’Université de Berkeley tentent de mettre au point un plugin « SurfSafe » pour détecter les photos truquées ou retouchées sur Internet. Ce plugin compare les images consultées à celles de cent sites d’information réputés fiables, tels le New York Times, ainsi qu’à celles de sites de vérification de faits. Ce système présente bien évidemment des limites techniques et intellectuelles. Le nombre de sites de référence est trop faible. Par ailleurs, le plugin ne fonctionne que sur PC, avec Chrome, Firefox et Opéra. Une base de données communautaire viendra renforcer ce dispositif ainsi qu’une version pour mobile.

Droit et données personnelles

Le Parlement européen et la directive sur le droit d’auteur

Après un intense lobbying en provenance de la Silicon Valley, le Parlement européen a renoncé à deux mesures phares pour contrer les GAFAM : la rémunération des titres de presse que ces groupes utilisent sans acquitter de droits d’auteur, la mise en place d’accords avec les ayants droit ou à défaut le filtrage automatique de contenus publiés sans autorisation. Mais les choses ne sont pas si simples car les opposants à cette directive se comptaient aussi parmi les défenseurs de la liberté du Net. Quant aux auteurs, ils ont de leur côté mené une campagne en faveur de cette directive avec le soutien d’artistes comme Paul McCartney. En bref, la guerre n’est pas finie.

Plainte contre Google, alias big brother

Des journalistes de Reuters, appuyés par des chercheurs de l’université de Princeton ont prouvé que même si votre GPS et la géolocalisation sont désactivés sur votre smartphone, Google sait en permanence où vous êtes. Suite à cette révélation, un Californien attaque Google en justice pour non-respect de la vie privée des usagers.

Mission impossible

Le mode confidentiel de Gmail est opérationnel depuis l’été 2018 sur les mobiles sous Android ou IOS. Désormais, vous pouvez envoyer un message en limitant la durée de lecture de 24h à 5 ans. Il est également possible d’obliger le destinataire à entrer un code secret reçu par SMS avant de lire vos emails. De plus, toutes les options – copier, coller, transférer, télécharger, imprimer – sont désactivées. Attention, ce message s’autodétruira dans …

Base de données

Open data des musées français ?

Contrairement à de nombreux musées aux USA et en Europe, aucun catalogue des musées français n’est accessible gratuitement pour un usage non commercial. Les groupes de travail ministériel et de la RMN s’éternisent et ne rendent pas d’avis sur le sujet. L’Élysée et certains directeurs de musée ont la volonté de développer le libre accès via internet. En effet, les historiens de l’art choisissent majoritairement d’étudier les œuvres les plus facilement accessibles, ce qui a pour conséquence d’accentuer leur notoriété ainsi que celle des musées qui les mettent à disposition librement, au détriment des œuvres et des musées français. Le coût et le droit d’auteur empêcheraient d’avancer sur la question.

Banque de sons gratuits à la BBC

La British Broadcasting Corporation a mis en ligne une version bêta gratuite de très nombreux effets sonores pour un usage personnel, éducatif et de recherche. Les sons au format WAV sont écoutables en ligne et téléchargeables dans le respect du droit d’auteur. La requête dans l’interface de recherche s’effectue par catégorie thématique et/ou mot-clé.

Musique en streaming

Tencent Music tout puissant

Avec 70% des parts du marché chinois du streaming musical, la filiale musicale de Tencent, en position dominante, tente d’introduire le mode payant avec des offres d’abonnement peu onéreuses. Après le retrait sur son site de plus de 2,2 millions de contenus piratés et avec le contrôle des droits sur la plupart des titres occidentaux, Tencent mise sur les offres payantes, lesquelles sont en progression constante (17 millions d’abonnés sur plus de 700 millions d’utilisateurs). La société s’est aussi engagée sur le streaming musical version karaoké avec les applications WeSing, KuWo et KuGou très appréciées par la population asiatique.

No future…

Insta et « Finsta »

Finies les photos ultra-sophistiquées, finis les selfies, place désormais aux photos trash. Venu des États Unis, lancé par Kim K., ce phénomène très prisé par les adolescents consiste à se présenter « au naturel », voire dans des situations douteuses, sur un second compte Instagram réservé aux intimes et renommé pour l’occasion Finsta (Fake Instagram = faux compte). Merci Kim…

Micropuce sous la peau

Environ un tiers des employés d’une entreprise américaine, Three Square Market, spécialisée dans les distributeurs automatiques de boissons, ont accepté, à la suite de leur patron, d’implanter une micropuce dans leur main. Celle-ci fonctionne sans électricité et offre différentes options : payer à distance, déverrouiller un ordinateur, s’identifier, ouvrir une porte etc. Les risques liés à la santé (irradiation), à la sécurité et à la confidentialité sont énormes puisque les données contenues dans la puce pourraient être récupérées dans n’importe quel espace public.

Publicité vidéo sur les vitres de voiture

La société californienne Grabb-It transforme les vitres arrière des voitures en écrans publicitaires lorsqu’il n’y a pas de passager. Grâce à un projecteur, la fenêtre prend l’apparence d’un écran plat pour les personnes extérieures. De plus, la géolocalisation permet de cibler les publicités pour un meilleur impact, par exemple, à midi, dans un quartier d’affaires, le burger d’un restaurant. À n’en pas douter, les vitres numériques de demain ont un grand avenir…