Sauvez Ariane ! Concevoir un escape game avec des élèves

La pédagogie actuelle va plutôt dans le sens de proposer un escape game aux élèves « fabriqué » par l‘enseignant pour assimiler des notions de cours. J’ai choisi un positionnement différent : entreprendre la création d’un « jeu d’évasion » avec des élèves ; cela semble ambitieux, mais c’est possible lorsqu’on a du temps. J’organise depuis longtemps des activités sous la forme de clubs et j’avais envie de « tester » ce phénomène à la mode avec des volontaires, notamment sa conception de A à Z. J’ai ainsi monté cet atelier sur inscription dans le cadre du FSE. Les élèves devaient venir une fois par semaine 1 h au CDI, de 12 h à 13 h, d’octobre à juin, ce qui constitue environ 20 séances. Une seule condition : être régulièrement présent à l’atelier, car ce projet n’est possible que sur la durée, avec un groupe assidu. Ce n’est pas une activité ponctuelle ; il faut du temps pour concevoir, parce qu’il est nécessaire de passer par toutes les étapes : découverte du jeu, choix d’un thème commun, création d’un scénario, d’énigmes, du décor, et mise en œuvre pour d’autres élèves. C’est aussi l’occasion de faire intervenir certaines compétences du socle commun : écrire une histoire ensemble, la raconter, faire des recherches, utiliser des logiciels pour les présentations, la retouche d’image…
Voici comment j’ai procédé pour aider ce groupe, composé de 10 élèves de 6e et 5e, à concevoir un jeu qu’ils ont intitulé « Sauvez Ariane ! ».

Un escape game, qu’est-ce que c’est ?

Les escape game viennent du Japon et se présentent à l’origine sous la forme de jeux vidéo appelés « escape room » : le but est de s’échapper, par la résolution d’énigmes, d’une pièce où le joueur est enfermé. Depuis quelque temps, des organismes en proposent en taille réelle, et des salles ouvrent un peu partout en France pour vivre une expérience en famille ou entre amis. Les participants, enfermés dans une salle à thème, doivent tenter de s’évader en moins de 60 minutes. Une série d’énigmes organisées et scénarisées les plongent dans un univers particulier et les incitent à collaborer pour se délivrer.
La première étape à observer dans le projet de conception d’un tel jeu est ainsi de bien définir ses principes. Les élèves inscrits à l’atelier en avaient entendu parler et se montraient très curieux, mais n’avaient jamais participé à une session réelle. Nous avons donc commencé par expliquer les grands principes et règles du jeu, puis listé le nombre de tâches à observer pour la création. La présentation de boîtes de jeux de société (il en existe beaucoup aujourd’hui sur des thèmes très variés) et l’acquisition de quelques livres ont permis d’enrichir leur représentation et la projection du projet. Quelques séances ont été consacrées à jouer ensemble, afin de se familiariser ; c’était indispensable, mais les élèves ont rapidement exprimé l’envie de se mettre à la réalisation.
D’emblée, un premier problème est apparu : le manque de temps. Les jeux proposés dans le commerce proposent des résolutions en une heure, mais en collège un cours ne dure que 55 min. Il fallait donc concevoir un jeu qui respecte cette condition, puis penser à le limiter à 4 ou 5 élèves pour une session, tout en respectant l’aspect collaboratif qui caractérise ce type de jeu, fondé sur l’entraide.

Choisir un thème

Avant de se lancer dans un scénario, il fallait imaginer un cadre précis, un thème qui détermine tout l’univers du jeu, un « fil rouge ». Il s’agit d’un choix très important, puisque tout le jeu est inévitablement en rapport avec ce thème de départ : décors, énigmes, trame narrative… et il est donc bien entendu impossible de le changer en cours de route. Une séance de brainstorming (remue-méninges) a permis de récolter les idées de chaque élève, même les plus farfelues. Beaucoup d’idées intéressantes ont émergé de ce premier travail : la fin du monde, les pirates (qui sera d’ailleurs le prochain thème), les jeux de cartes, la prison, un train « comme Agatha Christie », un bateau qui coule comme le Titanic… Mais le choix des élèves s’est porté à l’unanimité sur le thème de la « maison hantée », par « envie de faire peur ! » Une heure suffit pour ce travail préalable ; l’adhésion de tout le monde au thème conditionne grandement le succès du projet.

Écrire un scénario

Après le choix du thème, il était temps de créer une histoire logique, un scénario qui tienne debout avec des questions précises à se poser : pourquoi les joueurs sont-ils enfermés ? Que cherchent-ils ? Dans un escape game le terme de « scénario » est utilisé parce que le jeu est visuel et vécu. Pour la réalisation d’un film, le scénario est l’étape finale du développement du projet. Il combine l’écriture et les faits visuels ou visibles. Sans aller jusque-là, il est important de savoir où l’on va et pourquoi : le plongeon dans l’histoire, l’intrigue qui se déroule, a un rôle motivant pour les participants. Le scénario sera bien entendu étoffé, précisé, affiné au fur et à mesure de la construction des énigmes, mais il est essentiel d’en tisser la trame. J’ai donc séparé les élèves en trois groupes, afin de réfléchir à un scénario plausible, avec des contraintes pour les guider : un lieu, des personnages, une histoire courte, simple qui se serait passée dans cette maison avec 3 ou 4 protagonistes au maximum. Cela a donné lieu à plusieurs histoires que chaque groupe a présentées. Finalement, nous n’avons pas retenu une histoire en particulier, mais plutôt réalisé un mélange mariant les meilleures idées !
Cette étape est intéressante, parce qu’elle fait intervenir l’imagination des élèves avec les circonstances de la situation actuelle qui génère le jeu, les noms des personnages qu’ils vont incarner et une ébauche de décor. Ce scénario n’a pas besoin d’être long, mais il doit préciser les grandes lignes de l’histoire et l’événement qui motive la situation de jeu.

Créer des énigmes

Cette étape s’est avérée la plus compliquée à réaliser avec des élèves de ces niveaux (6e et 5e). Le jeu s’adressant à des collégiens du même âge que ceux qui le réalisent, il fallait créer des énigmes simples, ludiques, pas trop longues et en nombre limité, puisque le temps est lui aussi raccourci. Les élèves ont choisi de créer un jeu d’énigmes à résoudre en 30 minutes. Varier les plaisirs avec des jeux de lettres et de chiffres, des énigmes visibles et cachées, permet de surprendre, de maintenir l’attention/la tension. Les énigmes doivent être originalesm: il faut cacher des éléments, combiner, sans que ce ne soit trop linaire, même si quelques éléments restent solidaires, répartir et construire… pour mener à la solution par la résolution du code du cadenas qui tient fermée la porte d’Ariane. Cette étape de la conception du jeu est à la fois la plus cruciale et la plus compliquée à mettre en œuvre.
Durant trois à quatre séances, les élèves sont laissés libres dans leurs recherches d’énigmes avec, à leur disposition, des livres d’énigmes achetés pour l’occasion, Internet et leur imagination. Ils ont vite compris que le thème d’ensemble était primordial, en proposant des solutions le faisant systématiquement intervenir : charade pour trouver le mot « fantôme », mélange de lettres pour trouver le nom « Ariane », chiffres pour le code du cadenas…

Décorer

Dans cette aventure il est indispensable de consacrer une partie du CDI ou une petite salle attenante à ce jeu. J’ai la chance d’avoir trois petites salles vitrées dont une sera mobilisée pour l’installation d’un décor. Pour les élèves, la décoration est l’étape la plus amusante. Chercher des objets en rapport avec le thème choisi, c’est l’occasion aussi de réfléchir aux signes récurrents d’une maison hantée. Le décor à mettre en place ne coûte pas cherm: il suffit de récupérer du matériel dans son entourage, chez soi, dans la famille, auprès des enseignants. Ils ont joué le jeu en apportant des objets, semaine après semaine, consciencieusement.
Avant de lancer le jeu, il faut aussi imaginer la création d’une ambiance pour accueillir les joueurs : déguisements pour incarner les différents rôles de l’histoire, textes pour présenter le jeu et guider, bruitages, fonds sonores, musique… Il a fallu enregistrer leurs voix, les déguiser, faire des photos, des films. Ce sont des moments qui demandent aussi de la concentration et de l’investissement de la part des élèves pour être aboutis, et qui participent vivement à la mise en scène théâtrale. Des effets spéciaux sont aussi prévus : des jeux de lumière et des effets sonores diffusés par l’intermédiaire d’un téléphone portable.
Ensuite des cartes d’invitation, en fonction du thème, ont été créées pour inviter des élèves du collège à participer.

Scénario (suite)

Dans un escape game, il existe toujours un « maître du jeu » pour accueillir les joueurs. Ici, le majordome donnera les consignes et la servante racontera l’histoire tragique d’Ariane.

Pour augmenter le stress des joueurs, nous lançons un compte à rebours sur le vidéoprojecteur et un minuteur dans la salle de jeu.

Mise en œuvre

Des tests grandeur nature sont nécessaires. Les élèves ont donc invité des copains et copines à « tester ». Cela permet d’éviter les écueils. Nous avons par exemple réalisé que nous n’avions pas vraiment pensé à un éventuel échec des participants, et que prévoir des petits coups de pouce si les joueurs s’enlisent dans les énigmes était primordial. Nous avons donc décidé à ce moment-là qu’un des élèves serait le guide si les joueurs restaient bloqués, distillerait des indices, et pénétrerait même dans la salle si nécessaire.
Ces tests ont donc permis de repérer des erreurs de conception, mais surtout, les élèves ont pu s’entraîner à « jouer » leur rôle. Il faut noter qu’il est bien sûr impossible de réellement enfermer à clé des élèves dans une salle, donc nous sommes restés à proximité pour éviter qu’ils n’en sortent ; la salle étant par ailleurs vitrée, nous pouvions observer leur comportement.

L’apprentissage par la conception d’un jeu

Le but premier de cette activité n’était pas pédagogique, simplement ludique. Toutefois, rapidement, nous avons repéré les compétences qu’elle nécessite et construit. Ici, ce n’est pas le résultat qui est important, mais le cheminement pour y arriver et le degré d’implication des créateurs. La ludification, c’est-à-dire le fait de s’appuyer sur les mécanismes du jeu pour les convier dans les apprentissages, s’est inévitablement invitée.
Certaines compétences du socle ont été nécessaires et peuvent aussi être évaluées, parmi lesquelles :
• Compétence 1 – lire, écrire, dire : réflexion (créer une histoire, imaginer des énigmes, s’approprier une ambiance particulière) ; création (énigmes, décors), jeu d’acteur (expression orale, se mettre en scène) ; expression écrite (raconter, maîtriser la langue) ;
• Compétence 4 – la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication : s’informer, se documenter (recherche sur le thème, énigmes…) ; s’approprier l’environnement informatique de travail (créer des dossiers pour enregistrer les travaux) ; créer, produire, traiter, exploiter des données (utiliser des logiciels de présentation) ;
• Compétence 7 – l’autonomie et l’initiative (s’impliquer dans un projet collectif, savoir travailler en équipe et prendre des initiatives pour le groupe).

Les élèves restent acteurs de leur apprentissage. Si, pendant le déroulement du jeu, ils développent entre eux une collaboration nécessaire, il en est de même pour sa création. Il est souvent question de la participation des élèves à un escape game pédagogique, moins de la création par des élèves. Ce qui m’intéressait n’était pas de faire passer des notions pédagogiques à tout prix, mais plutôt de développer un esprit de création et de collaboration par la conception. Au cours de discussions avec ce groupe, il ressort qu’ils ont beaucoup apprécié de « créer ensemble », alors que certains ne se connaissaient pas au départ. Ils avouent avoir eu un peu peur, ne sachant pas comment s’y prendre, mais, bien guidés, ils sont fiers du résultat et n’ont pas honte de le proposer aux élèves du collège. Ils ont aussi émis la volonté, après chaque session, d’expliquer aux joueurs leur cheminement vers ce résultat.

L’escape game

Scénario

Ariane est enfermée dans l’un des cachots de son manoir par le fantôme qui hante les lieux, alors qu’elle voulait partir le jour de ses 18 ans. Elle a besoin d’aide. Dans ce manoir vivent avec elle un majordome prénommé Edward et une vieille femme, Madeleine, la servante.
Les joueurs sont invités au manoir pour une fête et se retrouvent piégés par le fantôme qui les empêche de sortir eux aussi. Ils devront trouver le code du cadenas qui retient Ariane prisonnière pour pouvoir s’échapper. Sinon, ils resteront enfermés avec elle à jamais.

Décors

Le CDI
• Il sera plongé dans le noir : les volets seront fermés.
• Les tables à l’entrée seront recouvertes
de draps blancs.
• Des bougies seront parsemées sur les tables (bougies LED pour la sécurité) pour créer une lumière discrète, tamisée et sinistre.

Dans la salle de jeu :
• Installation d’un squelette, d’un crâne et
d’une main, prêtés par les professeurs de SVT.
• Des draps recouvrent les meubles et les tables.
• Une lampe ancienne prêtée par une maman donnera un peu de lumière avec quelques bougies.
• Disposition d’araignées en plastique sur
du coton pour figurer des toiles, un petit coffre, de vieilles clés, des livres anciens… pour créer une ambiance sinistre, poussiéreuse et digne d’un endroit abandonné depuis longtemps.

Scripte

Le majordome Edward :
« Messieurs, dames,
Je vous invite à vous asseoir. Nous allons vous raconter l’histoire d’Ariane, prisonnière de cette maison dans laquelle vous vous trouvez.
Délivrez-la ! »
Sur l’écran de projection du CDI, la photo de la famille d’Ariane est affichée dès leur entrée : les élèves ont préalablement posé pour la photo, incarnant les personnages, puis l’image a été « vieillie » grâce à un logiciel de retouche.
Lorsque les participants sont installés, un film démarre. C’est Madeleine, la servante, qui raconte l’histoire :
« Il y a bien longtemps de cela, une jeune fille du nom d’Ariane vivait seule avec son père, Edward, et moi-même dans ce manoir. Mais un jour, son père, jamais rentré de la chasse, a disparu. Le jour de ses 18 ans, elle décida de fuir le manoir pour le retrouver. Cependant, un être mystérieux, un fantôme, l’en empêcha et, depuis ce jour, Ariane est enfermée quelque part.
Votre mission aujourd’hui est de trouver le code du cadenas qui la délivrera et vous pourrez ensuite partir. »
Puis le majordome reprend la parole :
« Messieurs, dames,
Je vous invite à vous rendre dans cette salle. Plusieurs énigmes vous y attendent. Le but est de retrouver le code du cadenas qui délivrera Ariane de sa prison. Servez-vous du tableau pour prendre des notes.
Vous avez 30 minutes ! À vous de jouer ! »

La place du jeu dans les CDI des lycées agricoles une approche sensible

Ce questionnement est à l’origine d’une réflexion qui m’a amenée, dans le cadre d’un mémoire, à enquêter sur les apports potentiels du jeu dans les CDI des lycées agricoles1 dont cet article reprend les conclusions, avant de proposer un exemple concret de mise en application dans le CDI du lycée agricole de Contamine-sur-Arve (74). Il traite successivement du contexte institutionnel, des principes du jeu et de sa place au CDI, puis de la mise en œuvre de ce dispositif en trois phases (l’enquête auprès des usagers, le réaménagement des espaces et les activités développées autour du jeu). Un mode d’emploi est proposé en guise de synthèse.

Le professeur documentaliste et le jeu :
le contexte institutionnel

Le schéma ci-dessous, qui représente les missions des professeurs documentalistes en fonction des dispositifs (primaire, secondaire, sensible) du centre de documentation et d’information, met en évidence le fait que le jeu entre pleinement dans les fonctions attribuées au professeur documentaliste2.
Si le jeu peut être mis au service des apprentissages à travers la compétence D1 et faire l’objet d’une politique et d’un traitement documentaire basés sur la compétence D2, c’est à travers la compétence D3 « Contribuer à l’ouverture de l’établissement sur son environnement éducatif, culturel et professionnel » qu’il exprime tout son potentiel. En tant que professeur documentaliste, il est possible d’interroger le dispositif sensible, c’est-à-dire l’ensemble des moyens réunis dans un objectif donné, en faisant appel aux sens des usagers et en interrogeant leur expérience du lieu. Dans le cas de la mise en place d’activités ludiques, il s’agit d’organiser une nouvelle médiation entre le jeu et ses usagers : organiser les accès et les espaces, et mettre en œuvre des animations.

La place du jeu au CDI, les éléments à prendre en compte

Mener une réflexion sur la place du jeu au CDI suppose tout d’abord de définir ce qu’est le jeu et quelles en sont les intentions. Pour cela, Roger Caillois distingue six grands principes du jeu qui garantissent au joueur « la liberté », le « plaisir » et « l’imaginaire ». Selon lui, le jeu est une activité :

• séparée : avec des lieux et des temps qui lui sont propres ;
• réglée : avec des règles qui lui sont propres ;
• incertaine : dont on ne connaît pas l’issue (le gagnant) ;
• fictive : détachée de la vie réelle ;
• improductive : dont le seul but est de se divertir ;
• libre : sans contrainte.

Si les trois premiers principes ne semblent pas poser de problèmes dans la mise en application au CDI, le lieu étant déjà régi par ses propres règles et ses espaces, garantir une activité totalement « fictive », « libre » et « improductive » semble en revanche faire émerger un paradoxe entre le jeu et son utilisation dans le contexte scolaire. En effet, la mise en place d’une situation de jeu laisse supposer qu’aucune contrainte extérieure ne doit intervenir, comme la régulation du volume sonore par exemple, ou bien que les jeux dits « éducatifs » sont à éviter, puisque sur ce créneau l’élève n’a pas pour vocation d’être productif. Afin que les élèves joueurs puissent vraiment se divertir, il est important d’être attentif à ces trois derniers points et de voir comment l’enseignant, devenu maître du jeu, peut les prendre en considération tout en respectant le cadre imposé lors des activités scolaires et extrascolaires.

La mise en œuvre d’un dispositif sensible : vers un CDI Troisième Lieu

Consciente qu’il ne suffisait pas de proposer une offre de jeux pour que les élèves viennent au CDI, je me suis interrogée sur les transformations nécessaires à la mise en œuvre de cette nouvelle médiation par le jeu. Je me suis alors intéressée au modèle des bibliothèques « Troisième Lieu3 », dont bon nombre de médiathèques se sont inspirées depuis les années 2000 pour reconquérir un public adolescent. Après le travail et la maison, la bibliothèque devient le troisième lieu de socialisation. Envisagée comme un carrefour culturel, la bibliothèque s’ouvre davantage et propose des espaces dédiés aux loisirs.

* Phase 1 : l’enquête
« Un dispositif est dépendant du contexte dans lequel il se dispose et se rend disponible » (Berten, 1999), pour l’approche « il est nécessaire de décrire ses moyens techniques de fonctionnement et de questionner également les motivations et les comportements des acteurs qui le conçoivent (Meyriat, 1985) » (Fabre, 2017). Afin de recueillir l’avis des usagers sur le dispositif sensible, une approche qualitative peut être utilisée, afin d’interroger leurs représentations. La réalisation d’un entretien semi-directif avec un groupe d’élèves (méthode du focus group) permet ainsi de faire émerger des idées nouvelles, complémentaires ou antagonistes, de façon interactive et spontanée, et d’en discuter collectivement. Comme déclencheur de parole lors de ces entretiens, des plans du CDI, réalisés au préalable par ces élèves, peuvent être utilisés, afin de mettre en évidence des espaces et des fonctions qui leur sont associés. Cette technique permet ensuite de dresser un constat et de définir comment agencer le CDI dans le temps et dans l’espace, afin que les élèves se sentent bien dans un cadre propice au jeu.
La comparaison des dessins permet par exemple de voir que les élèves, en fonction de leur niveau, ne mettent pas en avant les mêmes espaces car ils n’utilisent pas les mêmes services du CDI. Un élève de Seconde s’attarde davantage sur le mobilier : escalier, fenêtre, table, tandis qu’une élève de Terminale décrit avec plus de précision un lieu qu’elle fréquente depuis trois ans. Ses besoins ont également évolué : elle indique la place des imprimantes, les détails des rayons « agronomie » par exemple… et souligne, par une légende « obscurité », un ressenti en révélant une salle qui ne semble pas agréable ; l’entretien collectif par la suite a en effet montré qu’elle n’y allait jamais. Nous pouvons ainsi déduire que la mise en place d’une salle de jeux à cet endroit ne serait pas opportune en l’état.

Réaménagement du CDI – Avant

* Phase 2 : le réaménagement du CDI
Revisitant ainsi un modèle traditionnel bousculé par les nouvelles pratiques informationnelles, le Troisième Lieu implique tout d’abord le réaménagement de l’espace pour qu’il devienne attractif et vivant. Par un agencement spatial nommé « zoning », il permet de développer différentes activités parallèles dans un même temps et dans un même lieu.
Le réaménagement du CDI a été réalisé en concertation avec et par les élèves, afin qu’ils s’approprient le lieu. Un espace central a été créé, plus grand et plus lumineux, dédié à la lecture plaisir et aux jeux de société ou escape game. Concernant le mobilier, différents types de fauteuils sont à disposition des usagers qui peuvent adopter une position plus ou moins inclinée pour lire. L’espace détente donne accès à une terrasse extérieure au CDI avec une vue sur la campagne environnante. Le silence n’est pas imposé dans cette partie du CDI, tant que les élèves maintiennent un volume sonore acceptable. Certains habitués avaient également demandé que des boissons chaudes puissent y être proposées, ce qui est désormais possible ponctuellement sur les créneaux de jeu. Les souhaits émis par les usagers lors des entretiens collectifs ont ainsi été pris en compte dans le réaménagement du CDI, afin qu’il devienne plus attractif et fréquenté.

Réaménagement du CDI – Après

* Phase 3 : mise en place des activités, la médiation par le jeu
« Escape game… murder party… cluedo géants… jeux de cartes… jeux de rôle… » (extraits de l’entretien semi-directif réalisé auprès d’un groupe de quatre élèves habitués du CDI). La typologie de jeux souhaitée par les élèves était vaste. Mais comment organiser ces jeux dans le temps et dans l’espace ? Fallait-il fermer le CDI sur certains créneaux ou délimiter des zones ? Que deviendrait alors le foyer ? Pour répondre à cette question, j’ai décidé cette année d’expérimenter le jeu sous toutes ses formes, tout en faisant participer les élèves.

*Les « Jeuxdi du CDI »
Chaque jeudi, les élèves volontaires découvrent un nouveau jeu de société.
« Madame, Molière, il a bien écrit des pièces de théâtre ? » Leur seul objectif du moment est de gagner. Encouragés par leurs camarades, les élèves font appel sans s’en rendre compte à leurs connaissances. Dixit, Code Names, Imagine, Concept, Esquissé… Les jeux proposés leur permettent de reconvoquer du vocabulaire et de faire travailler leur imaginaire. Pour autant, et afin de respecter le principe d’« improductivité » mis en évidence par Roger Caillois, il n’y a pas d’évaluation et les élèves s’inscrivent de façon volontaire chaque semaine. Trois créneaux sont proposés dans la journée, sur la pause méridienne et le soir pour les internes. Le CDI acquiert alors pleinement ce rôle social, puisque les élèves de différentes classes se retrouvent, discutent, mettent en place une stratégie commune dans le but de gagner la partie. Dans ce climat de confiance, les élèves en difficulté scolaire viennent se joindre aux groupes déjà formés. Les seules contraintes sont le respect des autres pendant le jeu et la sonnerie qui marque la fin du créneau et le retour en classe.

*Un Escape Game reprenant l’univers du manga Gloutons & Dragons
Le CDI accueille tous les lundis soir un petit groupe adepte des mangas. Chaque année ils participent au Prix Mangawa, afin d’élire leur manga préféré parmi une sélection. Mais le club manga a connu un effet de lassitude et le partage de lectures ne suffisait plus à fédérer ses participants. Le jeu a alors permis de redynamiser leur passion. Ils ont effet décidé de créer un Escape Game reprenant l’univers de leur manga préféré Gloutons & Dragons. Langages codés, portes cadenassées… ils ont fait preuve d’imagination afin de réaliser un véritable casse-tête pour leurs camarades de l’établissement, mais aussi des lycées alentour qui ont pu venir tenter leur chance de s’échapper du CDI en moins d’une heure, dès le mois de mai, lors du Festival Mangas organisé au lycée. La réalisation de ce jeu grandeur nature en autonomie a permis aux élèves d’acquérir une meilleure connaissance du lieu et de faire émerger leurs attentes en termes de type de jeu, d’univers, d’activité. Par cette expérience, les lecteurs sont devenus à leur tour des médiateurs du CDI auprès des autres élèves de l’établissement qui ne fréquentent pas ce lieu.

Le CDI, dispositif sensible :
quel investissement pour quels bénéfices ?

Cette expérimentation a permis de créer un rituel pour les élèves, qui attendent ce rendez-vous au CDI avec impatience, car ils savent qu’ils vont se retrouver. Il n’y a pas de routine pour autant, puisque les groupes varient d’une semaine à l’autre et qu’un nouveau jeu leur est présenté à chaque fois. Et même si cette activité reste encadrée, la souplesse du règlement et la création d’une ambiance propice au divertissement, permises par le réaménagement temporel et spatial du CDI, permet aux élèves de s’épanouir dans cette bibliothèque devenue Troisième Lieu, où ils n’hésitent plus à venir spontanément pour jouer, lire ou travailler.
En tant que professeur documentaliste, ces moments de jeux sont des parenthèses dans le quotidien de la bibliothèque. Cela permet de sortir du rôle de « Dame/Monsieur du CDI qui fait chuuuut » et de découvrir les élèves d’une autre façon. Les six grands principes attribués au jeu par Roger Caillois permettent donc au professeur documentaliste d’acquérir un rôle de médiateur du jeu, non pas en tant que prescripteur de consignes scolaires à respecter, mais plutôt comme un conseiller qui va tout mettre en œuvre pour favoriser la situation de jeu, en proposant des jeux, sans objectif de productivité et dont la finalité est inconnue, dans un espace et un créneau donné et selon des règles plus souples que dans les autres espaces du CDI.
Par cette nouvelle forme de médiation, les élèves apprivoisent inconsciemment et progressivement ce lieu qui ne leur semblait pas attractif en début d’année. Le jeu permet donc des échanges plus horizontaux entre les professionnels qui travaillent au CDI et ses usagers qui deviennent des « utilisacteurs4 ».

 

 

 

 

 

 

Veille numérique 2018 N°3

Éducation

Les origines de la vie

Le CNRS vient d’ajouter un nouveau site à sa collection Sagascience : les origines de la vie. Ce site divisé en cinq parties – Les origines de la vie ; Définir le vivant ; La terre, une exception ? ; Émergence(s) de la vie ; La saga continue – comprend de nombreuses illustrations, vidéos et liens externes. Des chercheurs issus de domaines très divers lui apportent sa caution scientifique.

Escape game « Connais-moi, Échappe-toi »

Le CLEMI et la DANE de l’académie de Besançon ont conçu un jeu d’évasion dans le but de sensibiliser les adolescents à la protection des données personnelles et aux traces numériques laissées sur les réseaux sociaux. Les joueurs sont enfermés dans une classe et doivent rechercher des indices pour accéder aux notes, carnets, et sacs personnels du ravisseur afin de s’échapper. Le jeu s’adresse à des élèves dès la 4e et n’est disponible que dans l’académie de Besançon.

Street art avec Arte

En accès sur la plateforme d’Arte, le nouveau jeu d’infiltration Vandals de Cosmographik invite le joueur
à rechercher des surfaces à recouvrir, à rencontrer des artistes et à découvrir des œuvres. Le jeucomprend 60 casse-tête, 5 villes, 40 fiches sur l’histoire du graffiti, 18 trophées à débloquer. Paris est accessible gratuitement, les autres villes du monde sont disponibles pour 4,49 €.

Ada Lovelace, pionnière de l’informatique

Un manuscrit daté de 1843, attribué à la célèbre mathématicienne ressurgit du passé, faisant d’Ada Lovelace la première programmeuse informatique. Ce texte, traduction et commentaire des travaux
du mathématicien italien Menabrea, contient une formule d’Ada Lovelace analysant et développant le calcul des nombres de Bernoulli, lequel constitue le premier programme informatique de l’Histoire mondiale.

FranceTerme

Un doute sur la terminologie à employer concernant le vocabulaire lié aux évolutions techniques et scientifiques ? Consultez la base FranceTerme. Cette base de données chapeautée par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France en association avec l’Académie française vous recommandera le terme le plus approprié. Ainsi, en 2018, la commission s’est penchée sur le sort du « learning center »…

Lecture numérique

EPUB4 pour bande dessinée

L’institut de recherche et développement au service du déploiement européen de technologies de publication (EDRLab) s’est doté d’un groupe de travail spécialisé dans la bande dessinée (BDCoMa). Celui-ci a annoncé plancher sur le format numérique EPUB4 pour les BD, comics et mangas. Il intégrera du Javascript (JSON), du HTML et des formats images, sons et vidéos.

Fiscalité du livre en Europe

Condamnée par l’Union européenne pour avoir réduit le taux de TVA appliqué aux livres numériques, en vertu d’une directive interdisant ces pratiques, la France est en passe d’obtenir gain de cause lors de la prochaine réunion d’Ecofin (Conseil Affaires économiques et financières) en octobre 2018. Des propositions intéressantes sont sur la table, notamment l’instauration d’une TVA minimale, voire inexistante sur les ventes de livres papier, audio ou numériques, comme cela se pratique déjà en Europe : Scandinavie, Angleterre.

Wikipédia et le français

L’encyclopédie collaborative en ligne a publié plus de deux millions d’articles disponibles en français depuis 2001. Chaque jour, environ 350 articles sont créés par des rédacteurs bénévoles appartenant à toutes les tranches d’âge de la francophonie. Première source d’information sur le net, Wikipédia couvre une multitude de sujets des plus sérieux aux plus farfelus.

BD vidéo sur Spotify

Ce service de streaming musical diffuse désormais des motion comics. Ce nouveau genre de bande dessinée avec animations est censé être plus adapté pour lire les BD sur smartphone. Actuellement, accessible sur l’application de Spotify dans certains pays.

Fiabilité de l’information

Facebook et les fake news

Le 11 juillet 2018, Facebook a lancé officiellement son projet de recherche sur la désinformation : Social Science One. Les chercheurs, pour la plupart américains mais, pour la première fois, non rémunérés directement par Facebook, disposeront d’une énorme masse de données, dont les liens sur lesquels cliquent les internautes ainsi que des informations personnelles (anonymisées) sur les utilisateurs afin d’étudier en profondeur leur comportement.

Fake photos

Des étudiants de l’Université de Berkeley tentent de mettre au point un plugin « SurfSafe » pour détecter les photos truquées ou retouchées sur Internet. Ce plugin compare les images consultées à celles de cent sites d’information réputés fiables, tels le New York Times, ainsi qu’à celles de sites de vérification de faits. Ce système présente bien évidemment des limites techniques et intellectuelles. Le nombre de sites de référence est trop faible. Par ailleurs, le plugin ne fonctionne que sur PC, avec Chrome, Firefox et Opéra. Une base de données communautaire viendra renforcer ce dispositif ainsi qu’une version pour mobile.

Droit et données personnelles

Le Parlement européen et la directive sur le droit d’auteur

Après un intense lobbying en provenance de la Silicon Valley, le Parlement européen a renoncé à deux mesures phares pour contrer les GAFAM : la rémunération des titres de presse que ces groupes utilisent sans acquitter de droits d’auteur, la mise en place d’accords avec les ayants droit ou à défaut le filtrage automatique de contenus publiés sans autorisation. Mais les choses ne sont pas si simples car les opposants à cette directive se comptaient aussi parmi les défenseurs de la liberté du Net. Quant aux auteurs, ils ont de leur côté mené une campagne en faveur de cette directive avec le soutien d’artistes comme Paul McCartney. En bref, la guerre n’est pas finie.

Plainte contre Google, alias big brother

Des journalistes de Reuters, appuyés par des chercheurs de l’université de Princeton ont prouvé que même si votre GPS et la géolocalisation sont désactivés sur votre smartphone, Google sait en permanence où vous êtes. Suite à cette révélation, un Californien attaque Google en justice pour non-respect de la vie privée des usagers.

Mission impossible

Le mode confidentiel de Gmail est opérationnel depuis l’été 2018 sur les mobiles sous Android ou IOS. Désormais, vous pouvez envoyer un message en limitant la durée de lecture de 24h à 5 ans. Il est également possible d’obliger le destinataire à entrer un code secret reçu par SMS avant de lire vos emails. De plus, toutes les options – copier, coller, transférer, télécharger, imprimer – sont désactivées. Attention, ce message s’autodétruira dans …

Base de données

Open data des musées français ?

Contrairement à de nombreux musées aux USA et en Europe, aucun catalogue des musées français n’est accessible gratuitement pour un usage non commercial. Les groupes de travail ministériel et de la RMN s’éternisent et ne rendent pas d’avis sur le sujet. L’Élysée et certains directeurs de musée ont la volonté de développer le libre accès via internet. En effet, les historiens de l’art choisissent majoritairement d’étudier les œuvres les plus facilement accessibles, ce qui a pour conséquence d’accentuer leur notoriété ainsi que celle des musées qui les mettent à disposition librement, au détriment des œuvres et des musées français. Le coût et le droit d’auteur empêcheraient d’avancer sur la question.

Banque de sons gratuits à la BBC

La British Broadcasting Corporation a mis en ligne une version bêta gratuite de très nombreux effets sonores pour un usage personnel, éducatif et de recherche. Les sons au format WAV sont écoutables en ligne et téléchargeables dans le respect du droit d’auteur. La requête dans l’interface de recherche s’effectue par catégorie thématique et/ou mot-clé.

Musique en streaming

Tencent Music tout puissant

Avec 70% des parts du marché chinois du streaming musical, la filiale musicale de Tencent, en position dominante, tente d’introduire le mode payant avec des offres d’abonnement peu onéreuses. Après le retrait sur son site de plus de 2,2 millions de contenus piratés et avec le contrôle des droits sur la plupart des titres occidentaux, Tencent mise sur les offres payantes, lesquelles sont en progression constante (17 millions d’abonnés sur plus de 700 millions d’utilisateurs). La société s’est aussi engagée sur le streaming musical version karaoké avec les applications WeSing, KuWo et KuGou très appréciées par la population asiatique.

No future…

Insta et « Finsta »

Finies les photos ultra-sophistiquées, finis les selfies, place désormais aux photos trash. Venu des États Unis, lancé par Kim K., ce phénomène très prisé par les adolescents consiste à se présenter « au naturel », voire dans des situations douteuses, sur un second compte Instagram réservé aux intimes et renommé pour l’occasion Finsta (Fake Instagram = faux compte). Merci Kim…

Micropuce sous la peau

Environ un tiers des employés d’une entreprise américaine, Three Square Market, spécialisée dans les distributeurs automatiques de boissons, ont accepté, à la suite de leur patron, d’implanter une micropuce dans leur main. Celle-ci fonctionne sans électricité et offre différentes options : payer à distance, déverrouiller un ordinateur, s’identifier, ouvrir une porte etc. Les risques liés à la santé (irradiation), à la sécurité et à la confidentialité sont énormes puisque les données contenues dans la puce pourraient être récupérées dans n’importe quel espace public.

Publicité vidéo sur les vitres de voiture

La société californienne Grabb-It transforme les vitres arrière des voitures en écrans publicitaires lorsqu’il n’y a pas de passager. Grâce à un projecteur, la fenêtre prend l’apparence d’un écran plat pour les personnes extérieures. De plus, la géolocalisation permet de cibler les publicités pour un meilleur impact, par exemple, à midi, dans un quartier d’affaires, le burger d’un restaurant. À n’en pas douter, les vitres numériques de demain ont un grand avenir…