L’adolescence et les premières années de l’âge adulte sont des périodes décisives durant lesquelles se décide l’orientation des jeunes. Mais, qu’entendons-nous par le mot « orientation » ? Selon le dictionnaire Larousse, il s’agit d’une « action (visant à) orienter quelqu’un dans ses études, dans le choix de son futur métier » ou de la « voie choisie par ou pour quelqu’un, en particulier dans le cadre des études ». Retenons donc que cette orientation scolaire ou professionnelle peut être choisie ou subie. Tout l’enjeu pour les jeunes réside dans la question du choix d’un avenir qui leur correspond en dehors de toute pression. Dès lors, dans notre sélection de livres pour la jeunesse, quatre thématiques se dégagent : le rapport à la famille ; les stéréotypes liés aux métiers ; la question de la passion dans l’orientation ; les premiers pas dans le monde du travail1.
La famille : entre soutien et conflit
La famille figure au premier rang des interlocuteurs des jeunes quant à leur orientation. Si certains adolescents sont soutenus dans leur choix d’orientation par leur famille, d’autres voient leur choix critiqué, parfois même on leur impose un avenir qu’ils n’ont pas choisi.
Avec Sur le vif, Elizabeth Acevedo fait de la famille un soutien solide au projet d’avenir d’Emoni, une lycéenne de 17 ans vivant à Philadelphie aux États-Unis. L’adolescente est très douée en cuisine et rêve depuis son enfance de devenir cheffe de son propre restaurant. Ainsi, quand son établissement scolaire rouvre aux inscriptions un cours optionnel d’arts culinaires, Emoni devrait être la première à s’y inscrire. Pourtant, la jeune femme hésite face au coût financier considérable du séjour de fin d’étude en Espagne alors qu’elle doit travailler après les cours pour aider financièrement sa grand-mère chez qui elle vit et subvenir aux besoins de sa petite fille de deux ans. En effet, tombée enceinte à l’âge de quatorze ans et rapidement séparée du père de sa fille, Emoni assume quasi seule la garde d’Emma. Le soutien des membres de sa famille est alors essentiel pour permettre à Emoni de concilier vie privée et vie étudiante. Finalement, Sur le vif est un roman qui porte un regard bienveillant sur les rapports entre les membres de la famille et les adolescents quant à leurs choix d’avenir.
Au contraire, dans le roman En équilibre de Morgane Moncomble, les parents cherchent à imposer leur choix à leur fille. Lara, 17 ans, est membre actif d’un club de cirque et est particulièrement douée en cerceau aérien. Ses parents tolèrent qu’elle pratique cette activité qu’ils jugent futile, à condition qu’elle étudie pour intégrer la très cotée et très sélective université de Columbia à New York pour perpétuer la lignée familiale d’architectes. Mais Lara, elle, aimerait secrètement être admise à l’école des arts du spectacle du Circadio. Ainsi, le jour où sa sœur jumelle, Amelia, lui annonce vouloir arrêter le cirque, Lara est désespérée. L’adolescente ne sait pas si elle sera capable de séduire seule les recruteurs du Circadio qui seront présents au spectacle de fin d’année du club. En parallèle, Casey Thomas, l’un de ses camarades de classe, est confronté au même problème, puisque ses parents tiennent un cabaret et souhaiteraient que leur fils reprenne l’affaire alors qu’il aimerait quant à lui étudier à l’université. Alors que Lara visionne avec nostalgie d’anciennes vidéos de ses spectacles, elle remarque la présence et le talent de Casey durant les représentations. Elle va convaincre son camarade de classe de devenir son partenaire lors du spectacle de fin d’année en échange de son aide pour persuader les parents de ce dernier de le laisser intégrer l’université. Mais, tandis que les parents de Lara lui imposent leur vision de son avenir, les parents de Thomas soutiennent contre toute attente le choix de leur fils.
Une mère cherche également à imposer à sa fille la même voie professionnelle que la sienne dans Désorientée de Marine Carteron. Louise, élève de terminale, hésite à se connecter à Parcoursup pour connaître le résultat de ses vœux. Si Louise est aussi insensible à son sort, c’est qu’elle n’a pas vraiment choisi ses vœux : la moitié lui ont été imposés par sa mère ; l’autre par sa conseillère d’orientation. Indifférente aux réponses positives des plus prestigieuses universités françaises, la seule chose qui l’enthousiasme est d’être 38e sur liste d’attente pour la très réputée prépa Hypo-Chartes. Ainsi, Louise retarde le moment de choisir une orientation qui lui semble tellement décisive pour le reste de sa vie. Sa mère la presse d’accepter une des propositions des établissements d’enseignement supérieur, espérant ainsi revivre ses années estudiantines. Finalement, solution radicale, l’adolescente décidera de couper les ponts avec sa famille pour prendre le temps de choisir son avenir.
Cette pression exercée par les parents, caricaturée par l’absurde, est aussi présente dans le roman Plus tard je serai moi de Martin Page. Séléna est une collégienne qui se cherche. Mais, un jour, ses parents décident abruptement qu’elle deviendra une artiste. Ils feront tout pour pousser leur fille à s’engager dans cette voie jusqu’à rendre la situation ridicule et épuisante pour Séléna. Tout comme Louise, Séléna n’a pas encore de projet d’orientation mais va se battre pour pouvoir choisir son avenir. Là aussi, cette situation conduira l’adolescente à s’éloigner de ses parents, malgré l’amour qu’elle leur porte.
À quoi tu ressembles ? est quant à lui un recueil de nouvelles dont plusieurs récits traitent de l’orientation. Dans « Benjamin en juin : demandez le programme ! », Benjamin va jouer sa première représentation en interprétant le personnage de Nikki pour le spectacle de fin d’année. En participant à l’atelier théâtre depuis la rentrée et en y prenant beaucoup de plaisir, il s’oppose à ses parents qui voient dans les activités artistiques une perte de temps pour les études. Depuis son enfance son père se moque de ses imitations de personnages de films et sa mère lui répète qu’il est destiné à une brillante carrière. Dans « Dix ans plus tard : du sang neuf sur la scène des dinosaures », le père de Benjamin reçoit une invitation de son fils à un show que ce dernier organise. Sans nouvelles depuis quelques années, il est surpris que son fils travaille dans le milieu du spectacle alors qu’il est persuadé que celui-ci doit déjà être très occupé par sa carrière dans la politique ou dans la com’. Son fils si brillant occupe certainement un meilleur poste que ses camarades comme Théo devenu un simple commis dans une agence immobilière. Mais, comme le dira Benjamin sur scène, « Je suis comme je suis… pas celui sorti du scénario qu’ils avaient imaginé pour moi… ». Une belle conclusion qui résume bien le désir de ces jeunes de choisir leur avenir.
Stéréotypes et orientation
Les choix d’orientation des jeunes souffrent du regard plein d’a priori de leur entourage, notamment familial. Les préjugés de classe, de genre et de race pèsent lourd sur leur avenir.
Stéréotypes de genre et de classe seront les obstacles à franchir pour Louis Feyrères, le héros de Maïté coiffure de Marie-Aude Murail. Louis est un élève de troisième en difficulté, qui s’ennuie au collège. Parce qu’il n’a pas trouvé de stage, sa grand-mère lui propose de travailler dans le nouveau salon de coiffure où elle se rend, « Maïté coiffure ». L’ambiance, le contact avec les clients et la virtuosité des coups de ciseaux de Fifi vont le passionner et le décider à devenir coiffeur. Mais son père, un chirurgien réputé, s’oppose violemment à ce choix. Pour lui, caissiers comme coiffeurs ne sont rien d’autre que des analphabètes méprisables. Malgré ses préjugés de classe, le regard de son père changera face à la réussite sociale de Louis qui ouvrira plusieurs salons et lancera une gamme de produits esthétiques rencontrant un immense succès.
Dans Mon âme frère de Gaël Aymon, Camille, élève de seconde dans un lycée privé réputé, n’a pas le niveau pour passer en première. Tandis que ses parents tiennent à ce qu’elle se reprenne en lui mettant la pression, Camille ne fait rien, n’a envie de rien. Après un séjour chez sa tante agricultrice, Camille se souvient de ses rêves d’enfant : travailler un jour dans une ferme. Mais pour son père, c’est hors de question : faire ses études dans un lycée agricole serait synonyme d’échec. Camille est soutenue par l’équipe pédagogique et notamment par la conseillère d’orientation. Finalement, au terme de la journée portes ouvertes d’un lycée agricole où Camille et ses parents se rendent, la famille trouve un compromis : l’adolescente pourra aller dans ce lycée mais devra suivre des cours généraux afin de ne pas se fermer de portes.
La question des stéréotypes de genre est au cœur du court roman de Claudine Aubrun, Le garçon rose malabar. Les trois enfants de cette histoire sont à l’école primaire. L’institutrice leur donne un devoir avec pour consigne : « Quel métier voulez-vous faire plus tard ? ». À leur âge, ils doivent déjà penser à leur avenir et ils sont confrontés au poids des stéréotypes de genre. En effet, Rudy souhaite devenir un rappeur en survêtement rose. Alice, quant à elle, rêve d’être conductrice de TGV. Et enfin, Gabriel a pour ambition de devenir sage-femme. Ensemble, ils osent assumer leurs rêves devant toute leur classe. En faisant venir à l’école un ami de ses parents exerçant le métier de ses rêves, Gabriel fera tomber les préjugés de ses camarades. Une première lecture sur l’orientation pour les plus jeunes.
Le racisme peut également miner les rêves d’avenir des adolescents. Dans Yzé : danse avec le hasard, l’héroïne est une adolescente de 17 ans. Son rêve : devenir Étoile dans le monde de la danse classique. Mais voilà Yzé est Martiniquaise et vit loin de Paris, « là où ça se passe ». Quand elle arrive dans la capitale pour un stage, malgré son talent, elle se retrouve noyée dans la masse des danseuses. Lors de répétitions, certains chorégraphes lui font remarquer qu’elle n’est pas assez « classique ». Sa couleur de peau la fait trop ressortir sur scène ! Révoltée, elle fera tout pour devenir une danseuse étoile reconnue par ses pairs.
Passion et orientation
Certains choix d’orientation passionnent les adolescents. Si les métiers artistiques sont souvent présentés comme des choix de passionnés, d’autres filières plus originales suscitent également des vocations.
Le manga Blue Period de Yamaguchi Tsubasa évoque les études menant aux métiers artistiques dans le Japon contemporain. Yatora Yaguchi est un lycéen excellent élève mais sans vraie passion. En voyant la peinture d’une de ses camarades de classe, il est subjugué et décide de rejoindre le club d’arts plastiques de son établissement. L’art va devenir sa passion et l’adolescent va vite ambitionner de rejoindre une école d’arts. Mais face à un concours très sélectif, Yatora va devoir redoubler d’efforts face à ceux qui dessinent et peignent depuis bien plus longtemps que lui. Au fil des tomes, nous suivons Yatora du cours préparatoire au concours des écoles d’arts jusque dans sa scolarité dans la très réputée école d’art Geidai. La question de l’orientation dépasse ici la passion pour l’art, notamment à travers l’histoire captivante des personnages secondaires de ce manga. Au mois de juin 2023, la série est en cours avec 13 tomes parus en France.
Pour rester dans le domaine des arts, Parler comme tu respires d’Isabelle Pandazopoulos traite du métier de sculpteur. Sybille, 15 ans, est bègue. Mais ce qu’elle n’arrive pas à exprimer par les mots, elle va l’exprimer avec ses mains. L’incendie de la cathédrale de Notre-Dame de Paris l’obsède, elle veut participer à sa reconstruction. Contre l’avis de ses parents, elle décide de devenir tailleuse de pierres. Elle part dans les Vosges, dans le lycée professionnel Camille-Claudel de Remiremont, le seul lycée français à former à tous les métiers de la pierre (taille, gravure, sculpture). La passion et la réussite de Sybille, « tailleuse de pierre, spécialisation monuments historiques », vont lui permettre, à la fin du roman, de communiquer avec les autres malgré son handicap. Un roman sur un choix d’orientation artistique original.
Mais la passion peut être inattendue. Dans Silver Spoon : la cuillère d’argent d’Hiromu Arakawa, Yûgo décide de s’inscrire dans un lycée agricole loin de chez lui, afin de fuir la pression exercée par son père sur ses études. Excellent élève, Yûgo pense pouvoir être le meilleur dans son nouvel établissement mais déchante vite car la très grande majorité des élèves sont des enfants de paysans. Yûgo va tout découvrir du monde de la ferme, multiplier les expériences – élever un cochon, rénover un four à bois et organiser une pizza-party, devenir le président du club d’équitation du lycée – et se passionner pour l’élevage d’animaux. Cette passion incitera l’adolescent à créer sa propre entreprise avec un camarade de classe à la fin du manga. Silver Spoon est l’histoire de la naissance d’une passion et il se dit que le titre a suscité des vocations dans l’élevage au Japon. Une série complète en 15 tomes.
Premiers pas dans le monde professionnel
Les œuvres narrant les premiers pas dans le monde professionnel témoignent d’expériences traumatisantes mais, fort heureusement aussi, de premiers métiers épanouissants.
Toutes les premières expériences ne sont pas heureuses. Moi vivant, vous n’aurez jamais de pauses : ou comment j’ai cru devenir libraire de Leslie Plée est une bande dessinée autobiographique retraçant la première expérience professionnelle malheureuse de l’auteure. C’est chez un psy, les larmes aux yeux, que nous faisons sa connaissance. En déménageant à Rennes pour se rapprocher de son copain, elle décroche son premier contrat en CDI dans « une grande surface de produits culturels ». Mais dès les premiers jours, c’est la désillusion : c’est un travail à la chaîne, répétitif et abrutissant. À quoi bon avoir fait des études si c’est pour passer ses journées à étiqueter des produits ? Elle se retrouve face à des managers despotes donnant des ordres contradictoires et confiant des missions irréalisables. Dans cette BD, Louise Plée nous montre les dérives d’un management purement capitaliste, dont le seul but est de faire toujours plus d’argent, quitte à gérer la librairie comme un Mc Donald’s. La maltraitance de Louise est telle qu’elle fait un burn-out et qu’elle quitte l’entreprise.
Le romancier Vincent Cuvellier, âgé de 40 ans lors de l’écriture, se confie sur son parcours dans La fois où je suis devenu écrivain. Après la troisième, il est orienté vers un BEP commerce. Mais, âgé de 16 ans, l’adolescent n’est plus prioritaire pour intégrer cette formation professionnelle — il est 17e sur liste d’attente. Vincent pointe donc à l’ANPE où le conseiller ironise sur son souhait d’intégrer une formation pour un « CAP écrivain » ou un « BEP poète maudit » et lui propose plutôt de postuler à un BEP secrétariat-bureautique, ce qu’il refuse. Vincent connaît alors un premier succès littéraire en étant récompensé par le prix du jeune écrivain de Toulouse. Mais après ce premier succès d’estime, Vincent n’écrit plus pendant dix ans et enchaîne les expériences professionnelles. Pigiste dans un journal pendant plusieurs années, il se voit refuser le poste de journaliste titulaire car il n’a pas fait ses études dans une école de journalisme. Cet échec va conduire Vincent à tout quitter pour percer dans le monde littéraire. « J’allais enfin devenir écrivain. J’allais enfin devenir qui je suis » : ainsi, le chemin peut être long vers la réussite.
Dans le manga First Job, New Life ! de Nemu Yoko, nous suivons les premiers pas dans le monde du travail de Tamako. Après un premier entretien d’embauche catastrophique, le patron, fantasque, décide de l’embaucher alors qu’elle n’est clairement pas la candidate la plus compétente pour ce poste. Mais elle fera tout pour être à la hauteur de ses nouvelles fonctions. Tamako fait des erreurs, est assaillie de doutes, mais prendra confiance en elle au fil des pages et des expériences. La série, en quatre volumes, se termine par la démission de Tamako qui décide de monter sa propre entreprise de design graphique.
Un bel exemple pour conclure ce thèmalire puisque Tamako, à force de persévérance, prend enfin son envol.