Les professeurs documentalistes ont pour mission essentielle de développer la culture de l’information et des médias des élèves. L’éducation aux données en fait partie intégrante. Le terme de donnée est polysémique : la donnée peut être définie comme la représentation d’un fait ou d’une caractéristique d’un objet, d’une personne, d’un lieu ou d’un événement (Capelle et al., 2024). En sciences de l’information et de la communication, la donnée représente l’unité de base qui permet de construire une information quand on y ajoute du sens. Les données constituent donc un objet essentiel dans la compréhension de l’information, particulièrement dans un contexte social, culturel et technologique envahi par celles-ci. Dans quelle mesure les professeurs documentalistes peuvent-ils s’en emparer dans leurs activités quotidiennes et en faire un objet d’éducation ? La question est fondamentale, face aux craintes des enseignants d’être illégitimes pour aborder le sujet des données sous un angle trop complexe, face aux a priori vis-à-vis des compétences techniques supposées nécessaires ou encore face aux difficultés de vulgarisation des connaissances sur le sujet, en particulier dans la définition de « la » donnée1.
Or, l’explosion des usages des intelligences artificielles (IA), génératives ou non, dans les discours en circulation autour de l’éducation, et le projet de développer une « culture de l’IA » dans les programmes scolaires pour la rentrée 20262, notamment porté par l’ancienne ministre de l’Éducation nationale Nicole Belloubet, puis par l’actuelle ministre Élisabeth Borne, font de l’éducation aux données une nécessité. Cette exigence s’ajoute à celle de former les élèves à la recherche et l’évaluation de l’information, à la lutte contre la désinformation et au développement de l’esprit critique, à la protection des données personnelles ou encore à la maîtrise des usages numériques au regard des exigences environnementales.
Pour permettre aux professeurs documentalistes de s’approprier la question de la littératie des données et de trouver des ressources de formation, nous développons ici une réflexion sur les enjeux, contenus et outils pour une éducation aux données. La donnée sera d’abord définie et caractérisée comme objet de connaissances. Puis, les sources utiles pour traiter cette thématique en lien avec les programmes scolaires seront proposées. Enfin, des exemples concrets de projets pédagogiques issus de travaux de recherche et d’expériences d’ateliers thématiques seront présentés.
Qu’entendre par littératie des données ?
Si la littératie informationnelle (information literacy) est comprise en France comme « culture de l’information » dans la plupart des traductions scientifiques (Juanals, 2003 ; Serres, 2007 ; Simonnot, 2009 ; Chapron et Delamotte, 2010) ou institutionnelles (UNESCO, 2008), la littératie des données reste elle encore nébuleuse. Une difficulté augmentée du fait des nombreuses expressions, issues de la notion de data literacy, qui circulent dans les discours comme « culture des données », « éducation aux données », « datalphabétisation », « data lettrisme » ou encore « médiation des données » .
La data literacy /littératie des données peut néanmoins être définie comme la capacité éthique, critique et créative d’accéder, d’interpréter, d’évaluer, de gérer, de manipuler, de créer et d’utiliser les données grâce à la connaissance de leurs caractéristiques, de leur cycle de vie et des effets engendrés par leur usage (Verdi, 2023). L’objectif est de former des « lettrés des données » (data literate), c’est-à-dire des personnes capables de comprendre les enjeux liés aux données et possédant les compétences techniques suffisantes pour les traiter et éventuellement les mobiliser dans une logique d’autonomisation sociale (empowerment), c’est-à-dire d’en faire des ressources utiles et utilisables. Il ne s’agit pas de former des experts spécialistes de la science des données (data science), mais des citoyens avertis dans la « société de la connaissance ».
La littératie des données trouve son origine aux États-Unis où elle a été définie pour la première fois en 2004 comme une compétence technique. Elle hérite en cela des approches des mathématiques et des statistiques, originellement considérées comme les disciplines maîtresses dans le traitement des données. Par ailleurs, en tant que littératie, c’est-à-dire en tant que capacité de lecture et d’écriture appuyée sur la cognition humaine, elle nécessite des actions d’éducation structurées par des pratiques pédagogiques. Le concept de littératie lui-même est hérité de l’anthropologie (Goody, 1979 ; Goody, Privat et Maniez, 2007) et fait référence aux évolutions de la lecture et de l’écriture. Paulo Freire, pédagogue brésilien (1921-1997), a ajouté une dimension de critique sociale au terme de littératie, en prônant la nécessité d’alphabétisation et le développement d’une pensée critique chez les individus pour résister à l’oppression, prenant appui en cela sur le contexte de la dictature militaire du Brésil de 1964 à 1985. Son ouvrage, La pédagogie des opprimés (1968), condense l’ensemble de ses réflexions, soulignant la nécessité de décoder les enjeux de pouvoir masqués dans les discours et de développer une certaine autonomie vis-à-vis des idéologies et des idées reçues. Sur la base de ses écrits se sont développées les études critiques des données (critical data studies) qui visent à questionner la façon dont les données sont créées, analysées et utilisées afin de proposer des alternatives aux discours dominants.
La littératie des données se veut également centrée sur les dimensions éthiques, dans la continuité de la perspective critique. Les usages des données personnelles sont identifiés comme particulièrement sensibles dès les débuts du développement de l’informatique (la loi Informatique et Libertés en France date de 1978). Leur protection s’est étendue à tous les pays européens depuis le Règlement général sur la protection des données (RGPD) entré en application en 2018. Plus récemment, l’affaire Cambridge Analytica a révélé que les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs de Facebook avaient été revendues sans leur consentement. Cette affaire a dévoilé au public les dangers politiques des pratiques prédatrices issues de la « datafication » des activités dans la société du « big data », c’est-à-dire dans un contexte de circulation rapide d’une grande quantité et variété de données concernant tous les domaines de la vie économique, sociale et culturelle. La datafication désigne quant à elle la « mise en données » du monde : la collecte des données permettant un suivi en temps réel des activités ainsi que des analyses prédictives comme base de prises des décisions. Les avancées techniques et la captation massive de données ont pu dessiner une utopie de management rationalisé et maîtrisé, par exemple dans la « ville intelligente » (smart city) ou dans la création d’outils de pilotage de l’éducation, à l’aide de données supposées fiables. Les phénomènes de manipulation montrent cependant l’importance de développer une littératie critique des données.
Les caractéristiques des données
La notion de donnée trouve son origine dans les mathématiques. L’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert proposait la définition suivante en 1751 :
Données, adj. pris subst. terme de Mathématique, qui signifie certaines choses ou quantités, qu’on suppose être données ou connues, et dont on se sert pour en trouver d’autres qui sont inconnues, et que l’on cherche. Un problème ou une question renferme en général deux sortes de grandeurs, les données et les cherchées, data et quæsita.
Les données désignent donc, à l’origine, les éléments contenus dans les problèmes mathématiques. Puis, elles ont représenté les matériaux de base des recherches scientifiques, permettant de comprendre, décrire et reproduire des phénomènes à l’aide de métriques. Elles sont, en ce sens, relatives à une question de recherche, destinées à permettre d’obtenir une information. Les données ne sont pas des faits bruts mais le résultat de captations par et pour des recherches. Plutôt que de data, on pourrait d’ailleurs parler de capta, selon Jensen (2012) (cité par Becker (2016)) ou Latour (2012), pour souligner leur caractère construit.
Depuis quelques années, on évoque le « quatrième paradigme » (après les paradigmes « empirique », « théorique » et « computationnel ») pour désigner l’évolution de l’épistémologie vers une centration des sciences sur les données, une approche de la recherche scientifique basée sur l’exploration et l’analyse de données massives (Verlaet et Bachimont, 2024). Une idée soutenue par Jim Gray, un chercheur en informatique, dans les années 2000 (Hey, Tansley et Tolle, 2009). Les données sont produites par une activité de collecte destinée à comprendre les phénomènes. Russell Ackoff a popularisé en 1989 la vision de la donnée comme l’élément de base de l’information qui elle-même permet de constituer des connaissances à l’aide d’apprentissages et, enfin, de la sagesse ou du savoir institutionnalisé. C’est donc la mise en relation des données avec du sens qui permet, dans un processus d’interprétation et de mise en forme, d’obtenir des informations concourant à formaliser une représentation du réel (Leleu-Merviel, 2017).
Depuis le tournant de l’informatique au cours du XXe siècle, ce sens premier a évolué et s’est diversifié, puisqu’en informatique les données sont des représentations d’informations traitables par une machine (Capelle et al., 2024, op. cit.). Elles renvoient à une variété de formats : chiffres dans des tableurs bien sûr, mais également textes (documents), images fixes et animées, ou encore sons, qui peuvent être enregistrés dans des bases de données. Les métadonnées permettent de fournir des informations sur des données, ou ensembles de données, afin de guider l’usager dans l’interprétation du sens de ces dernières. On a pu aller jusqu’à considérer que les individus eux-mêmes sont des documents construits sur des données, après captation et transcription de leurs faits et gestes (Ertzscheid, 2009).
On note que le site Wikinotions de l’APDEN définit la donnée informationnelle comme « un code inscrit sur un support, avec pour but, de la part de l’émetteur, le stockage, l’archivage ou la communication ». La donnée informationnelle n’est pas une connaissance mais un élément de connaissance. C’est le récepteur qui donne sa valeur à la donnée informationnelle : elle n’a pas de valeur en soi. La pertinence d’une donnée informationnelle, pour le récepteur, donne une valeur informative à cette donnée. Ainsi, la littératie des données est intimement liée aux littératies numérique et informationnelle.
Enjeux du traitement des données dans l’éducation
Les enjeux de l’usage des données sont nombreux et ils sont liés à la nécessité de considérer la littératie des données sous l’angle de la connaissance critique de l’information dans la société contemporaine, amplifiée avec l’émergence du big data. Traiter les données en éducation est central à plusieurs titres (Lehmans, 2023 ; Lehmans et Capelle, 2023) et l’on peut distinguer divers types d’enjeux :
• économiques pour les organisations dans lesquelles les données sont des ressources précieuses et centrales pour la prise de décisions. La donnée constitue le carburant principal de l’économie contemporaine dont l’omniprésence dans la production de connaissances donne une illusion d’objectivité et d’infaillibilité. Elle figure ainsi dans les programmes de sciences économiques et sociales auxquels on peut lier les programmes de mathématiques pour la connaissance des statistiques par exemple3 ;
• politiques, sociaux et éthiques. Si la circulation de données concernant les individus n’est pas un phénomène nouveau, les moyens de les traiter pour en faire des instruments de surveillance, de manipulation et plus globalement de contrôle, sont eux de plus en plus efficaces. La centralisation des usages des données par les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) ou encore les BATX (Badu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), représente un danger pour la démocratie, les libertés et le respect de la vie privée, du fait de la collecte permanente et souvent cachée de données personnelles ou pas, dans le cadre de pratiques de surveillance et de plateformisation des activités, de traitement de données sensibles4. Que ce soit à travers les bases de données (sur la santé, les finances et les comportements dans les dispositifs de vidéo-surveillance par exemple) ou les réseaux socionumériques, les armes de pouvoir sur les individus et les groupes sont très puissantes. Leur connaissance par les élèves, futurs citoyens, est indispensable. Par ailleurs, les usages généralisés des données et leur traitement par des algorithmes ont conduit à l’invisibilisation, voire la discrimination, de certaines catégories de la population. C’est ainsi que des études critiques et militantes questionnent les effets des algorithmes alimentés par les données (O’Neil, 2018 ; Crawford, 2022). Parmi elles, on peut citer le « féminisme des données » qui analyse la manière dont les sujets liés à la vie des femmes sont traités (en particulier les féminicides) (D’Ignazio, 2024), le « colonialisme des données » qui intègre une vision décoloniale et anti-raciste afin de montrer les effets de domination générés par les usages des données sur les relations internationales (Ricaurte, 2019), ou encore les « études queer » sur les données qui visent un décentrage des pratiques dites « cisgenrées » et « hétéronormées » (Guyan, 2022). C’est, en résumé, une remise en cause des visions généralistes qui feraient des données des matériaux « neutres », « universels », naturellement et objectivement « donnés » et non socialement « construits », comme l’indique la différenciation entre le terme de « capta » par opposition à celui de « data », déjà évoquée ;
• écologiques et techniques, par le coût énergétique de la production et du stockage5 des données, dans le contexte du « cloud computing », et de façon exponentielle avec les développements de l’IA générative. Cette conscience des enjeux environnementaux et de l’importance de la sobriété numérique a toute sa place dans l’éducation6 ;
• scientifiques, par la place des données dans la démarche scientifique et l’importance de leur valorisation dans le cadre des politiques d’ouverture des sciences et de plateformisation des activités scientifiques. La démarche scientifique est toujours une démarche de collecte et de traitement de données de qualité. En ce sens, même dans les sciences humaines et sociales, la littératie statistique7, par exemple, est indispensable : non seulement dans le cadre des disciplines scolaires, mais aussi dans la vie quotidienne, pour être capable d’interpréter les visualisations de données dans les médias ;
• informationnels et documentaires à travers le lien entre données, informations et documents, qui engage des pratiques professionnelles comprenant la connaissance du cycle de vie de l’information et des outils de traitement des données (algorithmes, formats, normes, licences, etc.) ;
• infocommunicationnels et cognitifs pour les élèves, car la littératie des données engage la capacité à lire et déconstruire les productions faites à partir des données (visualisations, graphiques, récits, data journalisme, etc.), dans une perspective de critique médiatique. Il s’agit de comprendre la logique de fonctionnement des dispositifs numériques, notamment ceux qui mobilisent des techniques d’IA, et de savoir poser des questions, sans nécessairement savoir manipuler les outils. Les informations pour l’orientation illustrent bien l’importance de comprendre la façon dont les données sont collectées et traitées, avec des effets directs sur l’avenir de chacun, dans des dispositifs comme Parcoursup. De la même façon, comprendre le fonctionnement des IA génératives et leur propension à produire des stéréotypes relève d’une connaissance minimale des enjeux des données dans les dispositifs sociotechniques.
La place des données dans les référentiels
Plusieurs référentiels institutionnalisés peuvent servir de base à une éducation aux usages des données et à leur compréhension. À commencer par l’European Digital Competence Framework for Citizen (Digcomp8), dont la première version date de 2013, qui intègre dans un même domaine littératies de l’information et des données autour de trois compétences : (1) naviguer, rechercher et filtrer les données, les informations et les contenus numériques, (2) évaluer les données, les informations et les contenus numériques, (3) gérer les données, les informations et les contenus numériques.
Le Cadre de Référence des Compétences Numériques (CRCN), qui est une transposition en France du Digcomp, propose le domaine 1 « Informations et données » qui intègre trois compétences : « mener une recherche et une veille d’information », « gérer des données » et « traiter des données ».
Basé sur le Digcomp et le CRCN, le dispositif PIX (qui a remplacé les anciens B2i, C2i et PIM en 2019) propose un parcours « information et données » qui intègre trois grandes compétences visées par le CRCN. PIX + Edu concerne les enseignants. En juin 2024 a été officialisé le parcours « PIX + données », construit sur « la thématique de la production, de la diffusion, de la protection et de l’utilisation des données dans un cadre professionnel9. »
Ces référentiels de compétences et outils d’évaluation restent généralistes sur la question de la définition des compétences en jeu dans la littératie des données. Ils concernent autant la compréhension des données elles-mêmes (définition, modes de collecte, organisation, gestion dans des bases de données et usages de tableurs, description, analyse ou encore visualisation) que les enjeux sociaux et cognitifs liés à leur utilisation (esprit critique, éthique, travail collaboratif, etc.) (Drot-Delange et Tort, 2022a).
Traiter les données dans les programmes scolaires
S’il n’existe pas d’enseignement propre aux données, la connaissance des données entre néanmoins dans le champ scolaire, de l’école au lycée, dans de nombreux programmes et dispositifs différents, dont beaucoup peuvent concerner directement ou indirectement le professeur documentaliste.
Tout d’abord, le socle commun de connaissances, de culture et de compétences (S4C), qui pose les jalons de ce qu’un élève doit maîtriser en fin de collège, inclut le domaine des langages pour penser et communiquer (dont font partie les langages informatiques et des médias), qui reposent en partie sur des données. En mathématiques, une initiation au codage et à la programmation est proposée à partir du cycle 2 (CP), avec ou sans écran (informatique débranchée), avec des robots ou des sites ludo-éducatifs comme Scratch junior.
À partir de la classe de 5e au collège, l’algorithmique et la programmation deviennent un thème d’étude consistant à maîtriser le fonctionnement d’un processus technique de traitement de données en mathématiques et technologie.
En lycée général et technologique, l’enseignement commun de Sciences Numériques et Technologie définit la donnée comme « une valeur décrivant un objet, une personne, un événement digne d’intérêt pour celui qui choisit de la conserver ». Cet enseignement amène les élèves à découvrir toutes les pratiques liées aux données structurées : collecte, implémentation, traitement et partage. Il peut s’agir de données personnelles exploitées au sein d’un réseau social, d’un système de géolocalisation collaboratif tel qu’Open Street Map ou de l’utilisation de données récupérées sur un portail de données ouvertes. L’impact des données sur les pratiques humaines est considéré dans ce programme, dans lequel les professeurs documentalistes peuvent être amenés à intervenir. Néanmoins, il ne prévoit pas explicitement d’aborder la manière dont sont collectées les données, alors même que les traitements qu’elles ont pu subir avant leur publication ou l’absence de certaines données, peuvent avoir un impact essentiel sur la manière de les interpréter.
Par ailleurs, la visualisation des données apparaît dans l’une des principales activités proposées en exemple dans le programme mais ne fait pas l’objet de construction de connaissances et de compétences particulières pour les élèves. En première et terminale, l’enseignement optionnel Numérique et sciences informatiques est proposé pour mettre en pratique les apprentissages centrés sur l’informatique et la programmation. Il est choisi par une très faible minorité (environ 4%) de lycéens issus de parcours scientifiques, et abandonné largement par les filles en terminale, ce qui interroge sur l’orientation vers les métiers de l’informatique ainsi que les représentations des données chez les élèves.
En outre, un recensement des mentions de l’éducation aux données par le CLEMI10 dans les programmes du lycée général et technologique fait apparaître la mention des données dans d’autres enseignements disciplinaires qui abordent essentiellement les usages des données en lien avec la protection de la vie privée :
• l’Enseignement Moral et Civique (libertés et RGPD) ;
• l’Éducation Physique et Sportive (données collectées via des objets connectés et protection des données personnelles des élèves) ;
• les langues vivantes (traces numériques dans le cadre d’échanges via des outils numériques) ;
• les Sciences et Technologie du Management et de Gestion (protection des données à caractère personnel, big data, open data et intelligence artificielle) ;
• les Sciences et Technologie du Design et des Arts Appliqués (données personnelles et enjeux éthiques).
Il s’agit là d’enseignements formels dans lesquels les professeurs documentalistes sont souvent investis et ont toute leur place dans le cadre de partenariats. En plus de ces programmes, les Sciences Économiques et Sociales mentionnent le fait que les élèves doivent « utiliser pertinemment des données quantitatives et des représentations graphiques pour exploiter des documents statistiques et pour étayer la rigueur de leurs raisonnements ». En physique-chimie, il s’agit de collecter des données, de les traiter dans une démarche scientifique et expérimentale. En mathématiques, les programmes mentionnent le traitement et la représentation des données, la connaissance des bases de données, par exemple dans le programme de mathématiques intégré à l’enseignement scientifique en classe de première générale. Il est tout à fait possible de faire un lien entre ces programmes et l’Éducation aux médias et à l’information (EMI).
En lycée professionnel, l’accent est mis sur les enjeux de protection et de respect de la vie privée, par exemple en économie-droit, en économie-gestion, en enseignement moral et civique, en éducation physique et sportive, en lettres. Dans les disciplines scientifiques telles que les mathématiques ou la physique-chimie, on retrouve les compétences en lien avec la démarche scientifique de maîtrise d’outils numériques pour la collecte, le traitement et l’analyse de données expérimentales.
Mais les données peuvent aussi faire l’objet de pratiques éducatives et de projets à l’initiative du professeur documentaliste, projets qui traversent différents programmes et les dépassent. L’approche critique de la collecte, du traitement et de l’exploitation des données, notamment au travers de la compréhension des « datavisualisations », peut être intégrée à l’EMI qui en fait même un objet central dans l’évaluation de l’information médiatique (Lehmans et Liquète, 2022). Enfin, la « Charte pour l’éducation à la culture et à la citoyenneté numérique » de 202311 introduit la notion de communs, absente des programmes disciplinaires, sans toutefois établir de lien explicite avec les données.
Les médiateurs des données
Au-delà des programmes et des référentiels, la littératie des données fait l’objet de médiations qui intéressent de nombreux partenaires de l’Éducation nationale. Le réseau CANOPE, dont fait partie le CLEMI, est évidemment le premier partenaire des projets, avec des experts de la question de la littératie des données qui ont produit des ressources et cadres de projets : les propositions sur la datavisualisation12 et les Datasprints comme « Traces de soldats » et « Traces de roues » en sont des exemples (Drot-Delange et Tort, 2022b).
D’autres partenaires du monde associatif offrent un soutien précieux aux projets sur la littératie des données. Du côté des statistiques par exemple, l’association « L’arbre des connaissances » qui propose un dispositif d’apprentis chercheurs avec l’INED13, du côté de la cartographie avec OpenStreet Map14, ou encore du côté de l’EMI avec les « Fresques des données » (Datactivist pour les données ouvertes15), « Fresques de l’information » (Be my media)16, ou encore Lire la data17 (Fréquence Ecole)18.
Pistes pédagogiques et appropriation des données
Quelques pistes peuvent être proposées pour développer la littératie des données chez les élèves. Elles passent par des démarches pédagogiques qui incitent à apprendre, à chercher et exploiter une information à partir des données, en valorisant la question du « pouvoir agir » (empowerment) et éventuellement celle de la participation, en incitant les élèves à alimenter des bases de données utiles socialement et engageantes à travers :
• le choix de la thématique sur laquelle portent les données et des modalités pédagogiques. Idéalement, les projets les plus efficaces sont ceux qui engagent les élèves, portent sur leurs centres d’intérêts et leur permettent de s’investir en formulant des propositions à partir de la collecte et/ou de l’analyse de données (Capelle et al., 2018). La littératie des données peut être développée de façon transversale, dans le cadre de projets disciplinaires ou transdisciplinaires, mobilisant des méthodes actives et participatives comme les challenges, datasprints ou hackathons (Capelle et Chagnoux, 2023) ;
• la collecte et l’élaboration de jeux de données par les élèves qui représente une piste de travail très riche. Il s’agit de guider les élèves dans le processus de collecte de données, de catégorisation et de création d’information communicable, par exemple dans une « cartopartie » qui implique la mise en commun de données collectées dans une base de données collaborative comme OpenStreetMap. Il s’agit pour les élèves de comprendre comment les objectifs, les intentions et les choix inhérents à une démarche d’investigation contribuent à la création d’ensembles de données19. Ce type de projet permet dans le même temps de développer une pensée critique face à l’information médiatique ;
• les données ouvertes (open data), notamment quand elles font l’objet de médiations et d’accompagnement, qui sont très précieuses par leur accessibilité et leur variété thématique (Lehmans et Liquète, 2021). Elles permettent de travailler sur l’autonomisation avec des données, en formulant des questions et des hypothèses pour tenter d’y répondre, particulièrement autour de questions environnementales (Régnier, 2024). Une autre piste est de reconstituer la « biographie » d’un jeu de données en cherchant dans les métadonnées fournies par les auteurs par exemple, qui a collecté les données, dans quel contexte, à quelles fins et avec quels biais (D’Ignazio, 2017) ;
• les projets sur la visualisation de données qui ouvrent une piste pédagogique créative et pertinente amenant à s’interroger de façon critique sur la représentation et la communication de l’information à partir des données. Il est pour cela possible de travailler avec différentes formes de représentations allant des graphiques proposés par des outils de visualisation de données en ligne comme RAWGraphs, à des formes plus créatives et adaptées à des publics moins avertis pour communiquer plus efficacement comme la physicalisation à l’aide d’objets (legos, textiles, aliments, etc.), de peintures murales, de mosaïques de photos ou encore de figurines imprimées en 3D.
Conclusion
La littératie des données apparaît comme une question fondamentale et multidimensionnelle pour le professeur documentaliste. Les questions en jeu font partie intégrante de l’éducation aux médias et à l’information. Elles peuvent être considérées comme un ancrage pour une approche interdisciplinaire et collaborative qui laisse au professeur documentaliste le cœur de son identité professionnelle en tant qu’expert de l’information, du document et des médias. Depuis 2023, la thématique des données, dans les offres de formation et les ressources à destination des enseignants, s’est fortement déportée vers celle de l’intelligence artificielle générative. Les progrès des usages de l’IA dans tous les domaines renforcent et rendent incontournable la nécessité de bien comprendre les enjeux des données. Elle en constitue une partie centrale qui mérite d’être développée.