La lecture audio, une lecture inclusive pour les CDI !

Dans un monde où les pratiques culturelles se diversifient et évoluent constamment, la lecture audio s’impose comme une alternative de plus en plus populaire à la lecture traditionnelle. Podcasts, livres audio, applications dédiées… L’offre de contenus audio n’a jamais été aussi variée, répondant à des besoins multiples et touchant un public de plus en plus large. Cette évolution mérite toute notre attention en tant qu’enseignants documentalistes, à la croisée des chemins entre médiation culturelle, accompagnement pédagogique et accessibilité.

Cet article propose de faire le point sur cette pratique émergente dont il est question dans le Baromètre 2024 des usages d’achat et de lecture des livres imprimés, numériques et audio1. Dans un premier temps, nous explorerons la richesse et la diversité des formats qui composent l’univers de la lecture audio, en mettant en lumière les acteurs et les outils disponibles. Ensuite, nous nous pencherons sur les apports des neurosciences pour mieux comprendre les bénéfices cognitifs et émotionnels de cette pratique. Enfin, nous examinerons comment la lecture audio peut devenir un levier incontournable pour accompagner les élèves en difficulté de lecture, qu’il s’agisse de troubles dys ou de difficultés liées à la langue ou à la motivation.

À l’ère du numérique, la lecture audio ouvre des perspectives passionnantes pour encourager l’accès au savoir et renouveler notre rapport à la lecture. Embarquons ensemble pour un voyage sonore au cœur de cette nouvelle forme de médiation culturelle et pédagogique.

I. La multiplication de l’offre de contenus audio : une diversité de formats à explorer

L’essor de la lecture audio s’inscrit dans un contexte de transformation numérique qui favorise l’émergence de nouveaux supports et formats. Des livres audio traditionnels aux podcasts narratifs, en passant par des plateformes interactives, l’offre de contenus audio n’a jamais été aussi riche et variée. Cette diversification des formats répond à une demande croissante de flexibilité et d’accessibilité dans les pratiques culturelles et éducatives.

1 – Les livres audio : un format incontournable

Les livres audio, disponibles sur des plateformes comme Audible d’Amazon, Kobo de la Fnac ou encore AudioCité, un site belge conçu à l’origine pour les personnes malvoyantes ou Audiolib, une maison d’édition de livres audio française, sont souvent perçus comme une simple alternative à la lecture papier. Pourtant, ils se démarquent par leur capacité à proposer une expérience immersive grâce à des narrations de qualité, souvent enrichies d’effets sonores ou de musiques d’ambiance. Ce format s’adresse aussi bien aux lecteurs passionnés qu’à ceux qui manquent de temps, offrant la possibilité de découvrir des œuvres littéraires pendant un trajet, une séance de sport ou une activité quotidienne.

2 – Les podcasts narratifs : entre fiction et documentaire

Les podcasts narratifs occupent également une place croissante dans le paysage de la lecture audio. Proposant des récits originaux, des adaptations d’œuvres littéraires ou des enquêtes journalistiques, ces formats hybrides brouillent les frontières entre littérature et reportage. Des plateformes comme Arte Radio, France Culture ou encore Spotify offrent un éventail impressionnant de récits pour tous les goûts, du polar à la science-fiction, en passant par des témoignages émouvants.

3 – Les applications et outils interactifs

En parallèle, des applications comme Storytel, Lizzie ou encore Audible Stories se positionnent comme des acteurs majeurs de la démocratisation de la lecture audio. Ces outils permettent une personnalisation accrue de l’expérience utilisateur, offrant des options telles que la vitesse de lecture ajustable, les suggestions basées sur les préférences ou encore des fonctionnalités éducatives comme des quiz ou des résumés interactifs. Les « Boîtes à histoires » comme Merlin de Bayard jeunesse et FLAM de Lunii, permettent, quant à elles, de proposer aux plus jeunes une autonomie d’accès et une immersion dans l’histoire.

En s’adaptant aux besoins d’un public toujours plus diversifié, la lecture audio se positionne comme un véritable écosystème à explorer. Non seulement elle transforme notre rapport à la lecture, mais elle ouvre également des perspectives nouvelles pour les enseignants documentalistes, qui peuvent jouer un rôle clé dans la médiation et la promotion de ces formats innovants. Les livres audio peuvent ainsi venir diversifier le fonds de l’établissement et s’intégrer dans la politique documentaire.

II. Les atouts de la lecture audio à la lumière des neurosciences

Si la lecture traditionnelle sollicite principalement la vue, la lecture audio mobilise avant tout l’audition, engageant ainsi des mécanismes cérébraux spécifiques. Les neurosciences permettent de mieux comprendre comment cette pratique impacte notre cerveau et pourquoi elle constitue un outil précieux pour l’apprentissage et la culture.

1 – Une stimulation cognitive multiple

Selon Stanislas Dehaene, lorsqu’on écoute un texte, le cerveau active simultanément plusieurs zones, notamment celles impliquées dans la compréhension linguistique, la mémoire et l’imagination. Contrairement à une simple écoute passive, la lecture audio sollicite l’aire de Wernicke (compréhension du langage) et l’hippocampe (stockage et rappel des informations), tout en activant les régions visuelles de manière imaginaire. Autrement dit, écouter un récit nous plonge dans une expérience mentale quasi immersive, comparable à celle de la lecture visuelle, avec des bénéfices équivalents en termes de mémorisation et de compréhension.

2 – Une aide précieuse à la concentration

Pour certains auditeurs, en particulier les élèves sujets à des troubles de l’attention, la lecture audio peut représenter un véritable atout. Les travaux d’Isabelle Montésinos-Gelet et de ses collègues ont démontré que l’écoute active d’un texte lu, souvent accompagnée d’une voix expressive, aide à maintenir l’attention en stimulant les émotions et en rendant le contenu plus engageant. Le rythme et l’intonation de la voix du narrateur servent de repères cognitifs, permettant de mieux suivre le fil de l’histoire ou de l’argumentation. La prosodie (intonation, rythme, pauses) a donc un rôle crucial à jouer dans le maintien de l’attention et de la concentration des auditeurs. Une lecture monocorde ayant tendance à ennuyer l’auditoire. L’utilisation des écouteurs éloigne l’auditeur des stimuli extérieurs qui l’empêcheraient de se concentrer sur le récit. Ce dispositif est primordial dans le cadre d’un CDI.

3 – Développer l’imaginaire et la sensibilité auditive

Écouter un livre ou un podcast engage fortement l’imaginaire. Sans support visuel pour guider la perception contrairement à l’illustration ou le film, l’auditeur est amené à construire mentalement les décors, les personnages ou les situations décrites, ce qui stimule la créativité et l’abstraction. En parallèle, l’habitude d’écouter des récits de qualité peut affiner la sensibilité auditive des élèves, les aidant à reconnaître des nuances de ton, d’émotion ou de rythme, des compétences essentielles pour l’expression orale si l’on ne veut pas voir s’endormir son auditoire (cf. Bertrand Perrier).

4 – Des bénéfices émotionnels et affectifs

La lecture audio peut aussi avoir un impact positif sur le bien-être émotionnel. Écouter une voix humaine, surtout si elle est chaleureuse et expressive, crée un lien affectif et procure un sentiment de réconfort. Cette dimension est particulièrement utile pour des élèves en situation de stress ou d’anxiété, car en se plongeant dans un univers narratif, les auditeurs peuvent oublier temporairement leurs soucis et trouver du réconfort dans les histoires renforçant le sentiment de partager un même univers narratif. L’histoire leur permet de s’évader tout en renforçant leur sentiment d’appartenance à un univers narratif partagé. Et ce d’autant plus si une conversation ultérieure s’engage sur les interprétations et les émotions suscitées par l’histoire, renforçant ainsi le sentiment d’appartenir à un groupe qui a vécu la même expérience narrative.

En mobilisant des processus cérébraux riches et variés, la lecture audio se révèle bien plus qu’un simple substitut à la lecture visuelle. Elle s’impose comme une pratique complémentaire, qui stimule autant l’intellect que l’imaginaire et les émotions, tout en s’adaptant aux besoins spécifiques de chacun.

III. La lecture audio : un outil à ne pas négliger pour les publics en difficulté

La lecture audio constitue un levier puissant pour rendre la lecture accessible à tous, en particulier aux élèves confrontés à des difficultés spécifiques. Qu’il s’agisse de troubles de l’apprentissage, de barrières linguistiques ou d’un manque de motivation, elle offre une solution inclusive et adaptable aux besoins variés des publics scolaires.

1 – Un soutien pour les élèves dyslexiques ou concernés par d’autres troubles de l’apprentissage

Pour les élèves dyslexiques, la lecture visuelle peut être un défi quotidien, marqué par une lenteur, des erreurs de décodage et une fatigue accrue. La lecture audio permet de contourner ces obstacles en permettant une immersion dans le contenu sans la contrainte du déchiffrage. Selon une étude parue dans The Journal of Neuroscience en 2019, l’écoute d’un texte active les mêmes zones cérébrales que la lecture visuelle, permettant ainsi de développer la compréhension et le vocabulaire. Les travaux du neuroscientifique Stanislas Dehaene, parus dans son ouvrage Les neurones de la lecture en 2007, allaient déjà dans ce sens.

Des outils comme les livres audio synchronisés avec un texte écrit, tels que ceux proposés par des plateformes comme Bookinou ou les éditions Mobidys, facilitent également un apprentissage multimodal adapté aux élèves à besoins éducatifs particuliers (EBEP).

2 – Une passerelle pour les élèves allophones

Pour les élèves dont le français n’est pas la langue maternelle, la lecture audio peut jouer un rôle clé dans l’acquisition de la langue. En écoutant des récits lus par des narrateurs professionnels, les élèves s’exposent à une prononciation correcte, à des structures syntaxiques variées et à un vocabulaire enrichi. Cette approche immersive facilite leur compréhension orale et leur familiarisation avec les sonorités du français, tout en réduisant l’effort de décodage visuel qui pourrait freiner leur progression.

3 – Redonner goût à la lecture

Les élèves en difficulté de lecture, qu’ils soient découragés par des échecs antérieurs ou peu attirés par le format traditionnel du livre, peuvent trouver dans la lecture audio une porte d’entrée vers le plaisir de lire. La diversité des contenus disponibles – romans captivants, récits historiques, biographies inspirantes ou encore adaptations de mangas – permet de répondre aux intérêts variés des adolescents. Par ailleurs, la qualité des narrations, souvent incarnées par des comédiens, peut transformer l’expérience en une aventure immersive qui suscite curiosité et engagement.

4 – Une ressource pour tous les médiateurs

Pour les enseignants documentalistes, intégrer la lecture audio dans leurs pratiques ouvre de nombreuses possibilités : ateliers d’écoute, emprunt de livres audio, création de playlists thématiques diffusées sur Esidoc ou sur le site du CDI, ou encore projets interdisciplinaires mêlant oralité et écriture. Ces initiatives permettent non seulement de valoriser ce format, mais aussi de renforcer l’inclusion et l’autonomie des élèves. De plus, des partenariats avec des structures comme l’Association Valentin Haüy2 (spécialisée dans l’accessibilité pour les malvoyants) ou les bibliothèques numériques comme BNFA3 (Bibliothèque Numérique Francophone Accessible) offrent des solutions pratiques pour diversifier l’offre dans les établissements. Le site des professeurs-documentalistes de l’académie de Toulouse4 recense d’ailleurs différents sites où le livre audios est accessible.

Par exemple, en collaborant avec ces associations, les établissements scolaires peuvent offrir un accès à une vaste collection de livres audio adaptés aux élèves malvoyants et/ou dyslexiques, favorisant ainsi l’inclusion scolaire. De plus, cela permet de garantir que tous les élèves, indépendamment de leur handicap, ont accès aux mêmes ressources éducatives. Dans une démarche de projet, la participation des élèves à la réalisation d’un livre audio, venant compléter la collection du collaborateur, apporte une dimension citoyenne en valorisant l’entraide et leur permet d’acquérir des compétences orales nécessaires pour les différents oraux d’examen, entretiens d’embauche ou autre prise de parole en public. Cependant, il faut s’assurer d’avoir obtenu toutes les autorisations liées à l’usage de la voix, de l’œuvre lue et éventuellement du fonds sonore, dans le respect des droits d’auteur.

En plaçant la lecture audio au cœur de leurs pratiques, les enseignants documentalistes peuvent contribuer à réduire les inégalités face à la lecture et à ouvrir de nouvelles perspectives à des élèves souvent laissés en marge. Accessible, riche et engageante, cette forme de lecture est un formidable outil pour démocratiser l’accès à la culture et à la connaissance.

Conclusion

La lecture audio, bien plus qu’une simple tendance, s’impose comme un outil riche et polyvalent, capable de transformer notre rapport à la lecture. En tant qu’enseignants documentalistes, nous avons tout à gagner à intégrer cette pratique dans nos médiations culturelles et pédagogiques. Qu’il s’agisse d’exploiter la diversité des formats disponibles, de tirer parti des bénéfices démontrés par les neurosciences ou de répondre aux besoins spécifiques des publics en difficulté, la lecture audio ouvre des perspectives stimulantes et inclusives.

Elle constitue une passerelle vers la lecture pour les élèves qui peinent à s’engager dans l’écrit, tout en enrichissant l’expérience des lecteurs déjà passionnés. En valorisant ces contenus dans nos CDI, en proposant des ateliers d’écoute ou en sensibilisant nos collègues et les partenaires à leur potentiel, nous contribuons à faire de la lecture une expérience accessible, engageante et diversifiée. La lecture audio, loin de remplacer le livre imprimé, vient compléter l’éventail des moyens d’accès au savoir et à l’imaginaire, dans une démarche profondément inclusive et moderne.

Il ne reste plus qu’à tendre l’oreille et à laisser ces récits sonores inspirer nos pratiques… et nos élèves.