Développer chez les élèves une identité européenne à travers des projets inter-lycées fédérateurs

Les chiffres des dernières élections européennes de 2019 en France démontrent que les jeunes s’intéressent peu à cet instant de décision. Une enquête Ifop-Fiducial réalisée le jour du vote de 12 h à 18 h auprès de 3 018 personnes met en évidence que les primo-électeurs et les jeunes adultes s’abstiennent bien davantage que leurs aînés : seuls 27 % des 18-24 ans et 36 % des 25-34 ans ont voté (contre 51 % en moyenne pour les Français) le 26 mai 2019.
Selon le site du Parlement européen, une hausse est tout de même à noter en termes de participation pour cette tranche d’âge, ce qui pourrait notamment s’expliquer par ses inquiétudes liées au réchauffement climatique.
Malgré tout, c’est un parti plutôt anti-européen qui a remporté les élections en France…
C’est de ce constat que sont partis les enseignants du lycée Paul Gauguin en 2020. Les élèves qui souhaitaient retrouver une dynamique internationale étaient ceux qui allaient pouvoir participer aux prochaines élections européennes de 2024. Et pour leur donner envie de voter, il fallait qu’ils se sentent eux-mêmes européens. Mais une identité européenne, qui se traduit par des valeurs partagées dans la communauté, ne s’acquiert pas sans connaissances sur l’Union européenne, et l’idéal était de développer ces compétences à travers des échanges dans le cadre de projets concrets qui donnent envie aux lycéens, futurs électeurs européens, d’impulser un nouvel élan à l’Europe afin de garantir une société dans laquelle règnent le pluralisme, la tolérance, la justice, la solidarité, la non-discrimination et l’égalité.
C’est de cette manière que sont nés deux projets d’envergure européenne : « Sport et société : la femme au cœur de l’Europe » et « Hissez haut les lycées pro » respectivement pilotés, en partie, par un professeur d’espagnol et une professeure documentaliste.

Deux projets fédérateurs, inscrits dans une dynamique

Le lycée des Métiers Paul Gauguin, qui porte le label « Jeunes Ambassadeurs Européens », et le lycée Jean Zay sont depuis de nombreuses années tournés vers l’Europe. Des élèves ou étudiants partent régulièrement effectuer des stages de formation professionnelle en Espagne, au Portugal, au Royaume-Uni, en Belgique, en Allemagne, à Malte ou aux Pays-Bas. Des échanges ont lieu chaque année et des voyages sont organisés dans ces pays afin d’y mener des projets éducatifs et pédagogiques.

Mais la pandémie de la Covid avait subitement coupé tout élan. C’est ainsi qu’en 2021, les lycéens de Paul Gauguin ont eu envie de retrouver une dynamique.
Des enseignants du lycée des Métiers ont pris conscience, à ce moment, que, pour créer une véritable effusion, l’idéal était un grand projet européen qui agrège non seulement toutes les filières de l’établissement, mais aussi tous les lycées professionnels de l’agglomération orléanaise et bien sûr des lycées de différents pays. En dépassant la découverte à travers les livres et les reportages et en allant au-delà d’un partenariat avec un seul pays à la fois, l’idée était de renforcer chez les élèves le sentiment d’appartenance à l’Europe.
C’est ainsi qu’a démarré le premier projet en 2021, « Sport et société : la femme au cœur de l’Europe » qui a consisté en un échange entre six lycées d’enseignement professionnel orléanais et six lycées européens (un italien, deux espagnols, un roumain, un polonais et un allemand) durant une année scolaire. Travailler sur la place de la femme en Europe en y associant la thématique sportive fut le fil conducteur aboutissant à un tournoi de futsal féminin.
Une présentation vidéo du projet est disponible à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=hOWkFl-wl-0

L’enthousiasme chez les élèves et les enseignants fut tel qu’une équipe du lycée Jean Zay a décidé de reprendre le flambeau en poursuivant sur l’année scolaire 2022-2023 avec « Hissez haut les lycées pro », un projet tourné cette fois-ci sur la réussite par la voie professionnelle mais préservant l’importance de centrer l’action sur l’Union européenne et l’égalité hommes-femmes. Huit lycées de l’agglomération orléanaise ont répondu présents ainsi que cinq lycées européens (un portugais, un italien, deux espagnols et un polonais).

Au centre des projets, le développement d’une identité européenne chez les élèves

Si relancer les échanges européens entre lycéens et renforcer chez les élèves le sentiment d’appartenance à l’Europe par une meilleure connaissance de son fonctionnement furent les éléments déclencheurs du premier projet, défendre les droits des femmes en Europe s’est vite imposé comme troisième objectif.
Ces idées, fondamentales, ont été conservées comme leitmotiv pour le second projet mais déclinées cette fois-ci autour de la réussite par la voie professionnelle en mettant en avant la découverte de l’Europe afin d’inciter les élèves à s’ouvrir de façon active au monde de l’entreprise et à l’international. Ce fut également l’occasion de travailler sur l’égalité filles-garçons dans les filières professionnelles et dans un contexte plus général.

Une mise en œuvre exigeante, sur la durée

Se lancer dans des projets d’une telle envergure demande bien évidemment une longue préparation plusieurs mois auparavant. Pour « Sport et société : la femme au cœur de l’Europe », entre la volonté exprimée par les élèves et le démarrage du projet à la rentrée 2021, il a fallu compter 18 mois.
Anticipé, « Hissez haut les lycées pro » a pu se mettre en place plus rapidement car nous avons bénéficié de tout le travail effectué auparavant par le lycée Gauguin et des partenariats déjà engagés.
Pour assurer la réalisation des objectifs, il faut, dans un premier temps, constituer une équipe pédagogique solide au sein de son établissement. Associer les collègues de langues, d’histoire-géographie, d’EMC et les professeurs documentalistes pour un projet européen semble une évidence. Pour les projets cités, les collègues d’EPS étaient bien évidemment moteurs, tout comme ceux des matières professionnelles. Ainsi, n’aurions-nous pu nous passer des professeurs d’arts appliqués.
La deuxième étape consiste ensuite à trouver les établissements partenaires. S’y déplacer et inviter les collègues à une réunion de présentation du projet s’avère bien plus efficace que l’envoi de mails. C’est le contact humain qui crée la cohésion.
Concernant la recherche de partenaires étrangers, nous nous sommes principalement tournés vers les villes jumelées avec Orléans en nous faisant aider par le service des relations internationales de la mairie.
Enfin, la recherche de partenaires financiers s’avère indispensable. Le coût d’un projet impliquant la mobilité d’équipes de plusieurs pays comme ceux mentionnés s’élève vite autour de 10 000 €. La région (les deux projets ont bénéficié d’un soutien dans le cadre d’un 100 % éducation citoyenneté), la mairie, le lycée organisateur (possibilité de demander aux établissements français participants), la MGEN et des partenaires privés (Rotary, entreprises locales) nous ont soutenus. La participation à des concours permet également de récolter des fonds. Le lycée des Métiers Paul Gauguin a ainsi remporté le prix de la préfecture « Liberté égalité mixité » ainsi que le prix Hippocrène1. Ce dernier, prix de l’éducation à l’Europe, est un concours proposé aux établissements scolaires qui récompense les meilleurs projets de partenariat européen élaborés par une classe et ses professeurs.

Pour chacun des projets, les équipes pédagogiques de tous les établissements engagés ont travaillé avec leurs élèves du mois de septembre jusqu’à la rencontre inter-lycées en avril ou mai. Nous avons fait en sorte que la majeure partie des événements soit préparée et réalisée par les élèves afin de mettre en valeur les filières de chaque lycée, pour que les lycéens développent une meilleure estime d’eux-mêmes vis-à-vis de leur scolarité et de leur avenir et pour prouver que les filles ont leur place dans toutes les voies professionnelles.

Quelques exemples :
– AGORA (Assistance à la Gestion des Organisations et de leurs Activités) : communication, organisation, démarches administratives…
– Lycée hôtelier : service et restauration lors des soirées
– Métiers de la sécurité : sécurité lors des événements
– Technicien Constructeur Bois : fabrication d’un podium pour la remise des prix et d’un pont de Léonard pour une épreuve sportive
– Maintenance des véhicules – Transport routier : entretien et transport des vélos
– Option et spécialité musique : concert pour soirée d’accueil
– Mention complémentaire Animation – Gestion de projets dans le secteur sportif : création avec d’autres élèves des épreuves sportives et culturelles sur le thème de l’Europe et des filières professionnelles
En parallèle de ces heures de préparation réalisées dans le cadre des matières professionnelles, pendant 7 mois, les élèves, en classe ou au CDI, avec leurs professeurs de discipline et leur professeure documentaliste, ont régulièrement effectué des recherches, étudié les thématiques en jeu (les enjeux d’égalité entre les hommes et les femmes dans la société, le fonctionnement de la Communauté européenne, l’histoire de la place de la femme dans le sport…) et élaboré des travaux comme une frise sur l’évolution des droits des femmes, des portraits de sportives, une charte défendant le droit des femmes en Europe. Les réalisations ont été partagées sur e-twinning et exposées lors des semaines de rencontre à Orléans.
Ces semaines de rencontre en Centre-Val de Loire avec tous les élèves européens inscrits au projet (la première en mai 2022, la deuxième en avril 2023) ont consisté en des visites culturelles, d’entreprises, des moments de partage autour d’épreuves sportives, la rédaction et la signature de la charte, des échanges avec des professionnels, d’anciens élèves, la représentation des villes jumelées avec Orléans, la présentation des filières professionnelles proposées dans l’agglomération orléanaise à des collégiens… Nos lycéens ont ainsi rencontré des pairs d’autres pays et échangé sur leurs parcours, à échelle européenne.

Zoom sur le rôle qu’a joué la professeure documentaliste au lycée Jean Zay

Pour le projet « Sport et société : la femme au cœur de l’Europe »

• Assurer le lien avec le lycée Paul Gauguin : communication entre les deux établissements, participation aux réunions…
• Coordonner le projet au sein du lycée : constituer une équipe volontaire pluridisciplinaire pour faire participer des élèves au projet, réunions internes, communication des attentes du lycée pilote…
• Mener des séances régulières : de recherches documentaires avec la professeure d’histoire-géographie/lettres sur l’Europe (géographie, éléments culturels), sur l’évolution des droits des femmes en France et en Europe, sur l’évolution de la femme dans le sport ; une séquence sur le droit des femmes en Espagne avec la professeure d’espagnol. Ces séances ont permis d’aboutir à la réalisation d’affiches de sportives de haut niveau, d’une frise sur l’évolution du droit des femmes en Espagne, d’une frise-jeu sur l’évolution du droit des femmes en Europe, à une réflexion personnelle de chaque élève pour la rédaction de la charte.
• Accompagner les élèves lors des rencontres.
• Monter une exposition sur le projet dans le lycée.

Pour le projet « Hissez haut les lycées pro »

• Co-piloter le projet : mener des réunions hebdomadaires au sein du lycée, mener des réunions avec les professeurs engagés des autres lycées de l’agglomération, communiquer avec les différents établissements, assurer la progression pédagogique des élèves dans le cadre du projet, élaborer le programme de la semaine de rencontre…
• Constituer des dossiers de demande de subventions.
• Rechercher des financements.
• Rechercher les partenaires européens.
• Assurer le lien avec les collègues des autres pays.
• Intégrer l’équipe du chef-d’œuvre (cadre dans lequel les élèves ont monté le projet) et mener les séances avec les collègues (recherches, suivi des groupes, constitution de documents…).
• Demander des devis (transports, visites de groupes…).
• Assurer le lien avec les différents lieux culturels ainsi que les réservations.
• Trouver les hébergements pour les élèves européens.
• Organiser des visites d’entreprises.

Mais piloter un projet d’une telle envergure n’est possible qu’avec un véritable travail d’équipe où chacun assure une part importante du travail.

Affiche réalisée par des élèves présentant le tournoi de futsal
Une des affiches réalisées par les élèves présentant la journée phare de la semaine de rencontre

 

Un bilan majoritairement positif

Ces deux projets ont été une véritable réussite sur le plan humain. L’ambiance exceptionnelle lors de la venue des lycéens européens et les rencontres entre élèves et adultes de différents horizons ont permis d’établir des contacts durables et de qualité. On a pu remarquer chez la plupart des élèves une ouverture d’esprit et une envie d’approfondir et de prolonger les échanges (invitations, conversations téléphoniques et via les réseaux sociaux, séjours estivaux, les Italiens sont allés rendre visite aux Espagnols dans le cadre scolaire, des lycéennes de Macerata sont venues en stage à Gauguin pour suivre les cours de nos formations, des élèves d’Orléans ont fait de même à Tarragona…). Une grande unité a vu le jour entre les élèves et les enseignants. Nous en avons tous conclu, adultes et adolescents, que nous avions les mêmes attentes et les mêmes objectifs (les changements souhaités pour la femme lors de la rédaction de la charte se sont avérés être à peu près les mêmes pour tous les pays). Ces projets permettent de mieux se comprendre, d’apprendre à connaître nos différences mais aussi nos similitudes. Ils nous rassemblent.
Les élèves garçons ont été ravis de voir un tournoi féminin d’un tel niveau car ils avaient une mauvaise idée du sport féminin.
Les élèves, écoliers, collégiens et lycéens ont adoré les expositions et ont signé avec conviction la charte. Les stands sur les formations proposées dans les différents lycées professionnels de l’agglomération ont été très sollicités.
Cette ouverture culturelle a également permis une prise de confiance chez les élèves : ils se sont montrés en fin d’année plus à l’aise à l’oral, osaient plus facilement aller vers les autres, ont fait part d’envies de conduire de nouveaux projets mais aussi de défendre leur filière professionnelle en s’investissant pour certains dans des poursuites d’études.
Nous pouvons également constater une réussite en matière d’acquisition des savoirs. Certains élèves n’avaient pratiquement aucune connaissance sur l’Europe, ne s’étaient jamais déplacés dans un autre pays. Les échanges entre lycéens européens ont bien évidemment permis de développer des compétences linguistiques et parfois de prendre plus de plaisir en cours d’espagnol, d’allemand ou de français.

Et pour les équipes pédagogiques, ce type de projets permet d’avoir un fil conducteur tout au long de l’année et amène à un travail en interdisciplinarité. Ce fut l’occasion, en tant que professeure documentaliste, de me rapprocher des collègues de la section professionnelle et de mener des séquences sur un temps long avec les élèves. Le réseau de partenariat entre lycées professionnels de l’agglomération orléanaise ainsi qu’avec les lycées européens est maintenant bien développé. De nouveaux projets ont depuis vu le jour et des conventions inter-établissements ont été mises en place.

Malgré tout, nous avons, bien évidemment, dû surmonter des obstacles.
D’un point de vue organisationnel : trouver les lieux de rassemblement n’est pas chose évidente (autorisations de la mairie, calendrier de réservation qui concorde…). Les réponses peuvent se faire attendre.
L’engagement des partenaires n’est pas toujours certain non plus. Nous avons dû rebondir face à différentes annulations (partenaires étrangers qui ne peuvent poursuivre faute de financement ou de problème de dates ; une entreprise qui nous apprend peu de jours avant notre venue qu’elle ne peut plus nous recevoir à cause d’un audit…).
Par ailleurs, il faut réussir à maintenir chez les élèves une motivation constante sur toute l’année scolaire. Si un projet permet une cohérence entre les disciplines, il faut néanmoins varier les approches pédagogiques afin de soutenir l’attention des lycéens.
Enfin, tous les objectifs ne sont pas toujours atteints. Nous aurions par exemple souhaité que la charte parvienne jusqu’au Parlement européen. Mais malgré une lettre signée de notre députée, elle n’a toujours pas pu être acheminée. L’essentiel est de recentrer ses intentions. Afin que les propositions des élèves restent visibles et lues par d’autres citoyens européens, nous espérons qu’elle sera exposée cette année à Europa Expérience, un nouveau lieu entièrement dédié à l’Europe à Paris.

Pour conclure

De tels projets exigent un investissement important. Mais nous ressortons de ces deux années encore plus convaincus que former des citoyens ouverts sur le monde est un enjeu majeur. Développer chez les élèves une culture européenne et un sentiment d’appartenance à l’Europe y contribue. Échanger avec des collégiens ou des lycéens d’autres pays, les inviter en France ou partir les rencontrer à l’étranger et travailler tous ensemble sur les valeurs de l’Europe ne peut que leur faire prendre conscience de l’importance de s’engager dans la vie démocratique à l’échelle de l’UE. Mieux comprendre l’autre, notamment à travers des projets pédagogiques européens concrets, incite au respect et participe à l’instauration d’une paix durable. D’autant que les établissements scolaires sont de plus en plus amenés à soutenir ce type d’initiative avec l’objectif aujourd’hui que chaque élève puisse vivre au moins une expérience de mobilité durant son parcours scolaire, de l’école jusqu’au lycée, laquelle pourra être valorisée au baccalauréat par la mention « mobilité européenne ou internationale ». D’ici à 2025, 100 % des collèges et lycées devront disposer d’au moins un partenariat avec un homologue étranger.

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à nous contacter aux adresses suivantes :
Pietro.De-Cesare@ac-orleans-tours.fr
sophie.dremeau@ac-orleans-tours.fr

Rédaction commune de la charte
Portraits de sportives réalisés par les élèves
Activités culturelles au Campo Santo à Orléans en avril 2023
Activités sportives au Campo Santo