Les rencontres internationales de la classe dehors

S’informer, lire, apprendre… et si le CDI c’était dehors ? Et si nous repensions les espaces pédagogiques et les apprentissages qui leur sont associés à l’extérieur de l’école ? Les Rencontres internationales de la classe dehors se sont données pour objectif de réfléchir à ces problématiques qui reflètent des enjeux contemporains. 

À Poitiers, du 31 mai au 5 juin 2023, plus de 2000 participants se sont rassemblés pour réfléchir et échanger sur les enjeux de la classe dehors, pour partager des expériences pédagogiques et didactiques, pour participer aux ateliers et aux tables rondes qui ont été organisés pour l’événement2. Placées sous le patronage du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, pilotées par la Fabrique des communs pédagogiques, les Rencontres internationales de la classe dehors ont fédéré un ensemble de partenaires dont l’académie et la ville de Poitiers, Graine Poitou-Charentes3 et la Ligue de l’enseignement. Élèves et familles, universitaires et enseignants, élus locaux et associatifs4, ces rencontres ont fédéré une multiplicité d’acteurs autour d’une ligne directrice : apprendre dehors, c’est apprendre mieux.

Ce texte rend compte de la portée de cet événement et nous proposons en sus une réflexion sur le rôle du professeur documentaliste.

Affiche officielle des Rencontres

« Classe dehors » : une pluralité d’expressions, une absence de consensus autour de sa définition

Classe dehors, école à ciel ouvert, école jardin, classe en plein air, interactions de la nature sur les apprentissages scolaires, outdoor education, classe promenade… Les expressions utilisées par les participants aux Rencontres témoignent d’une grande diversité d’expériences vécues et de contextes locaux différenciés. Si l’on note l’absence d’une expression unanime et consensuelle pour qualifier l’action de faire classe dehors, les participants se rejoignent toutefois sur l’idée qu’une éducation hors les murs de l’établissement scolaire est bénéfique pour le bien-être et les apprentissages des élèves.

Faire classe dehors est une problématique ancienne qui est ravivée depuis la crise sanitaire et les défis climatiques. La réflexion qui porte sur une éducation dehors est inhérente aux préoccupations environnementales qui redéfinissent les missions de l’école : apprendre aux élèves à devenir écoresponsables, apprendre à protéger et à vivre avec la nature dans un respect mutuel. Professeurs documentalistes et professeurs de disciplines ont un rôle majeur à jouer à ce sujet.

Des rencontres organisées autour de moments-forts

Toute la ville de Poitiers fut mobilisée pour accueillir cet événement qui a donné lieu à des tables rondes, à des projections cinématographiques, à une conférence théâtrale, à des moments musicaux, à des expositions, des balades, des parcours et des terrains d’aventure éphémères pour les enfants ou encore à l’organisation de fablabs dehors. Si différents lieux ont été mobilisés pour l’occasion, le parc de Blossac fut le théâtre majeur de l’événement.

Ces activités se sont articulées autour d’un colloque scientifique5 organisé en plusieurs sessions et dans divers espaces de la ville de Poitiers dont l’amphithéâtre du parc de Blossac.

Conférence dans l’amphithéâtre de verdure à Blossac

Ce colloque qui a accueilli autant de contributions scientifiques que de comptes rendus de terrain et de témoignages de professionnels comportait trois objectifs :
• dresser un état des lieux des approches de la classe dehors ;
• favoriser de nouvelles dynamiques scientifiques autour de la classe dehors en tant qu’objet de recherche ;
• contribuer à éclairer la décision publique et faire le lien entre science et société.

La dimension internationale était prégnante. Les participants ont pu ainsi découvrir les contextes éducatifs des autochtones du Québec, la classe dehors en Italie, au Burkina Faso, en Belgique, au Mozambique et le cas des écoles Shuyuan en Chine. Ce sont autant d’exemples qui peuvent servir de guide pratique pour les éducateurs et les enseignants français. Des travaux menés actuellement au Canada, présentés lors de la conférence, permettent enfin une réflexivité sur la démarche éducative mise en œuvre depuis de nombreuses années.

D’autres moments-forts, articulés au colloque, ont finalement transformé la ville de Poitiers, comme l’organisation d’ateliers et de formations, l’action nommée « la ville à hauteur d’enfants » et l’échange entre des enfants et deux députés, qui ont constitué un temps fort des Rencontres au cours duquel les enfants ont pris possession de l’espace public, faisant ainsi entendre leurs voix dans une démarche citoyenne : 1 300 enfants ont investi le centre-ville de Poitiers, le 1er juin dernier.

Le CDI dehors : un défi pour les professeurs documentalistes ?

Malgré la richesse et la qualité des interventions, un constat s’impose qui tient à l’absence de communications et de témoignages sur les Centres de Documentation et d’Information. Pourtant la crise sanitaire a reconfiguré les actions des professeurs documentalistes qui ont dû maintenir le lien avec les élèves par la création de CDI virtuels et par le biais d’apprentissages informationnels dispensés au moyen d’outils de visioconférence. Ils ont participé à la continuité pédagogique en répondant aux besoins documentaires des usagers, en attisant la curiosité des élèves au moyen d’une veille informationnelle régulière et en mettant à disposition des ressources notamment numériques. Mais ces actions ont-elles donné lieu à des réflexions plus approfondies sur les enjeux d’une éducation à l’information et aux médias plus proches de la nature et de l’environnement ?

Penser le « CDI dehors » ouvre conséquemment plusieurs pistes de réflexion. Nous en livrons trois ci-dessous sans chercher, pour autant, l’exhaustivité.

Dans le domaine de la lecture, tout d’abord, l’accès à une cour végétalisée ou à un jardin situé à proximité du CDI ou de l’établissement scolaire est propice à l’activité de lecture dehors à partir de démarches collaboratives et participatives : lire pour construire un potager ou lire pour comprendre l’importance des abeilles et de la pollinisation afin d’installer une ruche dans l’établissement scolaire. La création d’un « jardin de lectures6 » facilite, de surcroît, la concentration et le développement de capacités métacognitives dont la mémorisation et la concentration.

Une deuxième piste de réflexion concerne le choix des acquisitions qui constituent les collections du CDI. À l’instar des bibliothèques, les professeurs documentalistes mènent des expérimentations pédagogiques qui invitent à l’échange de graines et au partage des savoirs sur la nature et les saisons, les différentes plantations et les rudiments du jardinage. Des grainothèques, mises à disposition des usagers, permettent l’échange de semences et l’acquisition de documents qui enrichissent le fonds documentaire du CDI. Penser le « CDI dehors » consiste à encourager la circulation et le partage des savoirs liés à la nature et à l’environnement.

L’apaisement offert par la nature permettrait enfin de repenser les activités pédagogiques à partir de cette problématique : quelle plus-value le contact de la nature apporterait-il aux apprentissages informationnels ? Les Rencontres internationales de la classe dehors donnent matière à réfléchir aux effets et aux bienfaits que procure le contact avec la nature sur ces apprentissages et sur les activités pédagogiques et culturelles dispensées par les professeurs documentalistes. La préparation du Grand oral en tant qu’épreuve du baccalauréat en est une illustration intéressante. Cette préparation, à laquelle s’adonnent les professeurs documentalistes en partenariat avec leurs collègues de discipline vise notamment l’accroissement des capacités argumentatives des élèves à partir d’exercices pratiques qui pourraient s’effectuer plus aisément à l’extérieur de la classe et/ou du CDI afin de s’affranchir des contraintes liées à la forme scolaire (silence, position assise…).

Ces pistes qui doivent être déclinées concrètement sur le terrain sont autant d’affordances potentielles et de sources d’inspiration pour inscrire le CDI dans des enjeux climatiques et environnementaux. Un champ de possibles pédagogiques s’ouvre ainsi pour les professeurs documentalistes ainsi que le précisait Laure Pillot (2023).

Du chemin reste encore à parcourir dont voici, selon nous, les trois principales directions :
– Inscrire le CDI dehors aux plans académiques de formation des professeurs documentalistes pour relever les défis climatiques et environnementaux actuels et futurs.
– Développer des formations professionnelles qui amènent les professeurs documentalistes à mieux articuler l’éducation à la nature et à l’environnement avec l’éducation à l’information et aux médias (ÉMI). Il s’agirait de prioriser, d’une part, la lutte contre la désinformation et les fake news sur le climat et d’agir, d’autre part, sur le décryptage et la déconstruction des théories climatosceptiques. La finalité de ces formations réside en l’adoption d’une posture réflexive et critique chez les élèves en matière de recherche et d’évaluation de l’information sur le climat et l’environnement.
– Valoriser les partenariats avec les acteurs locaux engagés dans l’éducation à la nature et à l’environnement. L’objectif étant de visibiliser les apprentissages informationnels et les actions pédagogiques menés en dehors du CDI, lesquels postulent que la nature est un facilitateur d’apprentissage.

La formation du citoyen informé, critique et écoresponsable serait à ce prix…

Bandeau de la Fabrique des communs pédagogiques

 

Sitographie

Depuis juin dernier, les Rencontres internationales de la classe dehors ont fait écho dans les médias et sur les réseaux sociaux. Voici quelques liens pour approfondir la réflexion :

Céméa. Rencontres Internationales de la Classe Dehors (RICD). Mis à jour le 16 novembre 2023. https://cemea.asso.fr/les-champs-d-action/transition-ecologique/rencontres-internationales-de-la-classe-dehors-ricd

Lecherbonnier, Sylvie. L’école dehors, à l’avant-garde d’une éducation plus proche de la nature. Le Monde, 5 juillet 2023. https://www.lemonde.fr/planete/visuel/2023/07/05/l-ecole-
dehors-a-l-avant-garde-d-une-education-plus-proche-de-la-nature_6180640_3244.html?random=808059273

Nagi-Amelin, Nora. Le jardin du rêve et du savoir. InterCDI, septembre-octobre 2021, n° 292-293, p. 65-68. http://www.intercdi.org/le-jardin-du-reve-et-du-savoir/

Pillot, Laure. Un CDI hors les murs ? Une proposition pour les professeurs documentalistes à l’ère de l’anthropocène. InterCDI, mai-juin 2023, n° 303, p. 4-12. http://www.intercdi.org/un-cdi-hors-les-murs%e2%80%89/

Rousset, Marion. Réviser dans la cour, s’instruire en forêt… Et si on faisait l’école dehors ? Télérama, 01 septembre 2023. https://www.telerama.fr/enfants/reviser-dans-la-cour-s-instruire-en-foret-et-si-on-faisait-l-ecole-dehors-7016964.php

Zakhartchouk, Jean-Michel. Un bilan enthousiasmant pour les Rencontres internationales de la classe dehors. Les Cahiers pédagogiques, 14 juin 2023. https://www.cahiers-pedagogiques.com/un-bilan-enthousiasmant-pour-les-rencontres-internationales-de-la-classe-dehors/

Zwang, Aurélie. Avec la classe en plein air, l’école change de regard sur les questions d’environnement. The Conversation, 27 septembre 2022. https://theconversation.com/avec-la-classe-en-plein-air-lecole-change-de-regard-sur-les-questions-denvironnement-190183