L’avènement du Web 2.0 a vu un accroissement des pratiques informationnelles des élèves1. Parmi celles-ci, deux nous amènent à penser la notion de Commun : le copier-coller et la consultation de Wikipédia.
Dès 2009, dans le sillon de Nicole Boubée2, notre profession a réfléchi à la pratique du copier-coller en situation d’apprentissage3. Désormais, l’utilisation d’un document de collecte est légitimée, valorisée. Un basculement de regard s’opère sur l’activité de copie, passant d’une appropriation abusive à une pratique qui permet l’acquisition de connaissances. À partir de l’analyse des traces collectées, le professeur documentaliste demande à l’élève de revenir sur son cheminement de recherche et de construire un discours personnel. Il lui permet de comprendre, en actes, que les savoirs sont des biens communs destinés à être partagés.
La seconde pratique est la consultation de Wikipédia : elle est le Commun le plus connu. Très riche, bien référencée dans Google, l’encyclopédie est beaucoup utilisée par nos élèves. Pour autant, ils n’en connaissent pas toujours le fonctionnement et l’histoire4.

Découvrir Wikipédia au collège : une séquence pédagogique

Dans le cadre d’une séance pendant laquelle une campagne d’affichage « Pour ou contre Wikipédia ? »5 est réalisée, les élèves doivent qualifier collectivement l’outil : « encyclopédie collaborative en ligne ». Pour trouver les arguments de la controverse, ils interrogent la façon dont les articles sont construits et le mode de financement de l’encyclopédie. Invités à utiliser la notion de Bien Commun, ils réalisent que l’encyclopédie leur appartient et que son fonctionnement, sa qualité et sa pérennité les concernent.

Entrer dans les Communs par une communauté professionnelle

Les réseaux et communautés de professeurs documentalistes développés en ligne sont un levier pour le développement des Communs numériques. On trouve des listes de diffusion professionnelles, des communautés créées sur les réseaux sociaux, d’autres autour des espaces de publication et de mutualisation (les blogs de professeurs documentalistes6, le site Docs pour Doc7), ou encore autour de l’autoformation (exemple MOOCdocTICE8). Ces réseaux, qui ne constituent pas nécessairement des groupes stables et bien déterminés, fonctionnent de façon souple et horizontale, et permettent le développement de pratiques de partage sur le modèle des Communs.

Entrer dans les Communs par le besoin de ressources en ligne

Travaillant avec nos élèves en publication, nous avons besoin de ressources réutilisables. Nous pouvons utiliser les documents sous licence Creative Commons. Il est intéressant de faire choisir aux élèves la licence qu’ils souhaitent pour leurs publications.
Les institutions, musées ou archives, proposent sur leurs sites des documents numérisés. Malheureusement, même pour les documents du domaine public9, on trouve souvent une mention de copyright. Heureusement certains libèrent leurs ressources : les bibliothèques numériques libres Gallica10 et Européana11 et certains centres d’archives. Un centre qui libère ses données permet aux enseignants d’imaginer des projets pédagogiques créatifs tels que remix d’images, créations d’ambiances sonores, écritures fictionnelles… à partir des ressources proposées.

Les communs, un objet d’enseignement?

À partir des constats de Louise Merzeau, nous pouvons nous demander comment la pratique de la publication peut conduire aux Communs. Le Web offre des possibilités infinies de participation : publications, contributions, collaborations, recommandations (par le simple clic sur le bouton « j’aime »)… Cette participation se nourrit de deux logiques contradictoires : celle du profilage de notre présence et celle de la créativité. Ces aspects ont leur place dans l’Éducation aux Medias et à l’Information (EMI) qui, loin des seuls usages techniques ou médiatiques, prend en compte une facette sociale et éthique dans laquelle les valeurs des Communs ont leur place (exemple : la Matrice EMI, TRAam, Académie de Toulouse12).
Voici des exemples de séquences à partir de notions info-documentaires centrales pour développer chez nos élèves la capacité à créer et préserver des Communs13. Nous centrer sur elles permet de comprendre les mécanismes de circulation des documents.

Auteur, autorité/droit de l’information

3e, Anglais : Produire un message promotionnel vidéo présentant les atouts de la ville de Montauban14. Il s’agit de collecter ou de prendre des photos de la ville pour réaliser un film qui sera diffusé sur le blog du collège (à destination de visiteurs britanniques). Les élèves doivent utiliser des images libres de droits et réfléchir à la manière de diffuser leurs propres photographies : un travail autour des différentes licences Creative Commons est mené.
4e, Technologie : Rédiger l’article « fablab » sur un site collaboratif. Suite à un projet au Fablab qui a permis de découvrir un tiers-lieu dédié aux Communs, les élèves réalisent un document de collecte collaboratif sur un pad, créent une présentation vidéo15 puis rédigent l’article « Fablab » sur Vikidia à partir d’un compte ouvert pour le CDI. Après avoir vérifié que l’article n’existait pas encore au moment de le mettre en ligne, nous avons ouvert l’article en utilisant le vidéo projecteur. Ensuite, chaque groupe a pu se connecter à tour de rôle afin de compléter l’article à partir de son paragraphe écrit au préalable sur le pad. Un groupe s’est ensuite occupé de la mise en page de l’article en respectant les règles techniques décrites sur le site et la rubrique « sources ».

Éditorialisation16

6e, SVT : Recherche de sites Web sur les animaux qui migrent et qui hibernent. Lors d’un exposé en SVT, les élèves ont été initiés au document de collecte et à la notion de fiabilité de l’information. Ils ont dû éditorialiser avec l’outil Storify les ressources validées. C’était donc l’occasion de valoriser le travail effectué sur la catégorisation des sites web (officiels, associatifs, collaboratifs…) et d’apporter une plus-value à cette recherche susceptible d’être utile à d’autres collégiens17, 18.

Redocumentarisation19

5e, EMI : Création d’un mur d’images sonores à partir d’images d’archives. Via un enregistrement audio, les élèves commentent une image de la Première Guerre mondiale avec la question « Comment communiquait-on il y a cent ans ? » en explicitant l’origine de l’image, les droits permettant sa réutilisation, sa description et des informations sur l’outil de communication visible sur l’image. Un mur d’images sonore collectif20 est mis en ligne.
Ces notions permettent de poser des enseignements et d’ouvrir des questionnements avec les élèves sur :

  • l’instabilité des documents numériques ;
  • les différents lieux de stockage de l’information lors des processus d’éditorialisation et de redocumentarisation ;
  • les nouvelles significations que la redocumentarisation donne aux informations portées par le document ;
  • les outils utilisés (sont-ils libres, gratuits, interopérables, pérennes ?…) et les contraintes d’écriture qu’ils imposent ;
  • les notions de libre et gratuit (elles ne sont pas synonymes !) ;
  • les moyens pour une communauté (exemple la classe) d’être gestionnaire et responsable de ressources ;
  • le rôle des savoirs et l’importance de leur diffusion dans la société.

Existe-t-il une «pédagogie des communs» ?

Nous proposons ici quelques exemples de postures pédagogiques répandues qui permettent au CDI d’être un lieu de Communs. Nous pouvons mettre les élèves en posture de :

  • produire des documents (son, texte, diaporama, infographie…) en respectant le droit de l’information et dans l’objectif de partager ;
  • expérimenter le travail de groupe et la notion de compétences distribuées : savoir fédérer, coopérer ;
  • s’appuyer sur leurs pratiques personnelles : en prendre conscience, les interroger, les structurer ;
  • réfléchir aux articulations entre individuel et collectif. Nous pouvons les amener à expliciter leurs difficultés et chercher collectivement des solutions, déterminer à partir d’un travail terminé des critères d’évaluation pour que les autres élèves s’en inspirent et montrer ainsi le rôle fertile et créatif de la copie-partage ;
  • pratiquer le débat argumenté sur des sujets à controverse pour prendre en compte les arguments d’autrui ;
  • s’engager dans le temps long de la pédagogie de projet et considérer l’erreur comme utile à l’apprentissage : points d’étape où les avancées sont verbalisées, médiations entre pairs ;
  • s’impliquer et s’approprier l’espace du CDI. Pour cela, proposer des espaces modulables : ludothèque, vidéothèque, grainothèque… Permettre aux élèves de faire évoluer cet espace en fonction de leurs besoins du moment ; préparer avec eux un mode d’emploi de la modularité du mobilier en fonction des besoins explicités.

Développer une communauté dans l’é(ablissment : 3 exemples

Le pédagolab : l’exemple du collège Saint Jean de Saint Sulpice

Le Pédagolab du collège Saint Jean s’inspire des Proflabs21. Les enseignants volontaires de toutes les disciplines se réunissent au CDI tous les quinze jours sur le temps du repas. Le pédagolab fonctionne de manière horizontale ; il se donne comme intention de construire ensemble des savoirs, savoir-faire et savoir-être à enseigner aux élèves, de partager des expériences et des séances mais aussi des questionnements et des doutes.

Une publication collective autour de l’EMI : l’exemple du blog EMI Théo

Les élèves et l’équipe éducative du collège Saint Théodard ont la possibilité de publier sur un blog pour partager avec le plus grand nombre ce qui se vit au collège dans le domaine de l’EMI. Ainsi, au fil du temps, ce blog devient un Commun, puisqu’il propose des ressources créées par la communauté des élèves et des enseignants (tous niveaux et toutes disciplines confondues) de l’établissement qui souhaitent partager leurs expériences selon les critères spécifiques des licences Creative Commons.

Des évènements éphémères au CDI

Il est possible de mettre en place un temps (par exemple sur la pause méridienne) où chacun, élève et membre de la communauté éducative, peut proposer en partage un talent ou une production. Ce temps peut être régulier (une fois par mois) ou libre. Sous la forme de présentations animées d’expositions, musique, danse, théâtre… ou d’ateliers participatifs, ils permettent de vivre le CDI « en commun ».

Promouvoir des outils libres et collaboratifs : un engagement

Les logiciels de bureautique

Utiliser des logiciels libres (tels que Libre ou Open office) est contraignant : nous sommes confrontés à des problèmes de compatibilité avec les logiciels que les élèves utilisent. Mais il est utile de persévérer et d’expliciter ce choix : les logiciels proposés sont gratuits et peuvent être téléchargés à la maison. Ils permettent de travailler sur des documents créés avec les suites propriétaires, c’est l’inverse qui est impossible : un bon exemple de captation des connaissances.

La gestion documentaire : PMB

Certains professeurs documentalistes utilisent le logiciel de gestion documentaire PMB, libre et gratuit. Certaines académies (Toulouse) ont fait le choix d’héberger les bases des établissements et d’assurer la maintenance des sauvegardes. Chacun peut personnaliser et configurer le portail documentaire selon ses besoins22, s’appuyant sur une communauté de partage sur les listes de diffusions (échanges et mutualisation de fiches et notices par exemple).

Les outils du Web 2.0

La plupart, notamment des outils de Google, ont aussi leur version libre. L’association Framasoft a lancé l’opération « dégooglisons Internet23 » et propose pour chaque outil de Google une alternative que l’on peut utiliser avec les élèves ou les collègues (exemple : framapad pour le traitement de texte collaboratif). Les arguments développés sont : la lutte contre la concentration des acteurs d’Internet, l’espionnage de la vie numérique, l’enfermement de nos données dans des « cages dorées ».

Une grainothèque au CDI

Info-Documentation et participation citoyenne

Une grainothèque est un espace où il est possible de déposer et prendre des graines. L’idée est portée par l’association Graines de Troc24.

Ce projet peut être interdisciplinaire autour de différentes séances.
En SVT : sur la biodiversité et la classification des plantes (lien avec le classement au CDI). En EMC/Géographie : débat sur les semences libres et l’action des multinationales. Dans le cadre du projet Éco-École : réutilisation des brouillons pour fabriquer les enveloppes de graines. En techno. : mise en place de l’arrosage automatique des plantes au jardin et création de bacs avec des palettes. En français : réalisation du document de collecte pour des recherches sur les graines lors de la rédaction de fiches descriptives, création d’affiches pour les appels aux dons de graines et les campagnes de distribution. Le conte du colibri25 peut être étudié.

Un partenariat peut être mis en place avec l’association des Incroyables Comestibles (mise à disposition de plantes aromatiques à l’entrée du collège) et le projet de sciences participatives Sauvages de ma rue26.

Wikipedia

L’encyclopédie collaborative est organisée selon des règles établies par la communauté des Wikipédiens qui assure la gestion et la protection des ressources créées. Les contenus sont tous sous Licence Creative Commons, librement réutilisables.
Les contributeurs savent que le contenu publié ne leur appartient plus. Financée par la Fondation Wikimédia, organisation à but non lucratif, Wikipédia est un des rares outils du Web 2.0 à ne pas créer de revenus qui reviendraient à une société privée.