Pourquoi des professeurs documentalistes se sont-ils lancés dans l’écriture ? Comment coexistent la vie d’auteur et celle de professeur ? Le professeur documentaliste murmure-t-il à l’oreille de l’auteur ? À l’inverse, l’auteur a-t-il des influences sur les pratiques professionnelles du professeur documentaliste ?

Nombreux sont les professeurs documentalistes qui rédigent des textes en tout genre sans jamais oser tapoter à la porte d’un éditeur. Certains comme Jean-Paul Nozière l’ont fait. Documentaliste dans un collège pendant 25 ans, il n’a cessé d’affûter sa brillante plume. Et il n’est pas le seul ! De nombreux autres publient des livres hors de leur domaine strictement professionnel.
Des noms sont familiers comme auteurs mais méconnus comme professeur documentalistes : le talentueux Eugène Ébodé, la reine des albums pour enfants Christine Naumann-Villemin, les romancières chères aux adolescents Pascale Perrier et Florence Aubry…
À l’inverse, parfois c’est le professeur qui éclipse l’auteur : Alain Gurly écrit par exemple aujourd’hui sur les Cévennes avec la même vigueur qu’il consacra à la documentation. Clotilde Chauvin, Danièle Fossette, Philippe Tomblaine, Danièle Weiler, remarqués pour leurs actions en documentation, ont également des expériences d’auteur.
D’autres noms sont à découvrir : Murielle Compère-Demarcy, Marion Lecoq, Céline le Gallo, Stéphane Lefèbvre, Stéphane Letourneur… À tous, sans hélas pouvoir être exhaustif1, nous leur avons posé trois questions : comment ont-ils franchi le cap ? ; comment parviennent-ils à concilier les deux activités ? ;  et quels liens tissent-ils entre l’auteur et le professeur documentaliste ?
Ils ont tous répondu avec une gentillesse, une humilité et une sincérité désarmantes.

DEVENIR AUTEUR

Comment franchir le cap ?

« Tu ne voudrais pas écrire un livre avec moi ? »2, lance un enseignant d’histoire-géographie à la professeur documentaliste. La scène se passe dans la salle des professeurs du lycée français de Singapour. Danièle Weiler répond par l’affirmative, écrire est une vieille envie. Après quatre années de labeur acharné et d’intense collaboration, un beau livre de 240 pages voit le jour en 2011 : Les Français à Singapour de 1819 à nos jours. Voici où peut conduire l’habitude de travailler ensemble ! Car c’est la reconnaissance du travail effectué en commun, plus que l’amitié, qui a incité le professeur d’histoire à se tourner vers le professeur documentaliste. Leur habitude des séances en duo sera décisive pour mener en harmonie le projet avec un éditeur exigeant et sans concession.
Les déclics sont nombreux. Une amitié entre deux professeurs peut être un point de départ : « J’avais commencé un texte sans trop de motivation, et la parution du premier roman de Marion (Marion Lecoq) m’a fait l’effet d’un électrochoc et je me suis lancée. Marion a corrigé mon texte et m’a encouragée » révèle Sophie Bénastre, publiée chez Oskar Jeunesse. Arlette Chauffour se lance, quant à elle, en participant au concours Gallimard Jeunesse de l’été 2012.

Le travail de professeur documentaliste est souvent complètement lié à ce saut vers la publication. Dans le cadre de ses fonctions, Clotilde Chauvin prépare en 2007 une exposition sur Louise Michel pour marquer le centenaire de sa mort. « En consultant les documents (monographies, presse, etc.) et différentes biographies sur Louise Michel, j’ai constaté un “trou” de 3 mois dans sa biographie ». De ce blanc, qui correspond à un voyage fait en Algérie, elle en tire un livre : Louise Michel en Algérie3.

« J’avais très peur de me jeter à l’eau ! » confie Jean-Paul Nozière aux lecteurs de son site4. Après avoir été professeur d’histoire-géographie, il devient professeur documentaliste en 1978 et ses livres sont publiés dès 1979. Il reconnaît totalement sa dette à la documentation, plus encore que les conditions de travail, c’est la familiarité avec l’édition jeunesse qui fut décisive :
« Devenir documentaliste m’a offert deux choses. D’abord davantage de temps. Jusque-là maître auxiliaire passant de poste en poste, héritant souvent de lourdes classes de 2de et 1re, je disposais de peu de temps libre. Déplacements, déménagements, corrections d’énormes paquets de copies, préparations de cours, jamais les mêmes… Enfin en poste au même endroit et professeur documentaliste, je pouvais respirer, penser à autre chose que mon travail. Ensuite, m’adresser à un éditeur m’effrayait jusque-là. Ces maisons parisiennes me semblaient des ogres qui ne regarderaient jamais une ligne de ce provincial qui envoyait un manuscrit par la poste. (…) Mais doc, je me familiarisais avec d’autres noms d’éditeurs qui me semblaient être des amis, en somme, puisque je les tenais tous les jours entre mes mains. Ils ne m’effrayaient plus du tout, ces noms-là : Nathan, Rageot, l’École des Loisirs… Même Flammarion n’était pas le Flammarion de la littérature adulte ! Je pouvais envoyer des textes à ces éditeurs si proches. Et c’est ce que j’ai fait. »

Côtoyer tous les jours des noms d’éditeurs les banalise presque : « Plus tard, en 1995, quand j’ai écrit mon premier roman pour adultes, je n’avais plus du tout ces frayeurs de provincial impressionné par le gotha parisien des éditeurs… et j’ai envoyé, sans me poser de questions, ce manuscrit à Gallimard, qui l’a publié dans la collection Série Noire. Puis ce sera le Fleuve Noir, le Seuil et maintenant Rivages, autant d’éditeurs auxquels je n’aurais jamais osé m’adresser avant d’être passé par la case éditeurs jeunesse. »

Même hommage à la littérature jeunesse de Stéphane Letourneur, auteur de plusieurs biographies sur le rock : « Le fait de devenir professeur documentaliste (à peu près en même temps que le fait de devenir papa) m’a fait découvrir la littérature jeunesse et m’a donné envie d’essayer le genre narratif. Ou plutôt de réessayer, plusieurs tentatives ayant échoué auparavant. Je pense que la littérature jeunesse en mettant l’accent sur l’écriture du monde plus que de tourner autour de son nombril m’a décoincé et fait envie ».

La plupart des professeurs documentalistes publiés ont suivi la voie traditionnelle et ont ainsi envoyé un manuscrit à un éditeur : « C’est une très belle aventure qui a commencé il y a maintenant un peu plus d’un an lorsque j’ai reçu un e-mail de Françoise Hessel, directrice éditoriale aux éditions Oskar, qui me disait qu’elle avait beaucoup aimé mon roman et qu’elle souhaitait le publier en 2014. Inutile de dire qu’il m’a fallu me frotter les yeux, me pincer, même, pour être certaine de ne pas rêver », raconte Céline le Gallo à un autre professeur documentaliste, Christophe Boutier, auteur d’un blog sur la littérature jeunesse5.

Florence Aubry se confie également sur sa première publication : « Lorsque j’étais ado, j’avais le goût de l’écriture, mais je ne l’exerçais que dans le cadre scolaire : je me régalais des travaux de dissertation, par exemple. Je n’ai jamais écrit par ailleurs. J’ai commencé à écrire beaucoup plus tard. Je suis tombée sur un article de journal, qui parlait d’un chantier d’autoroute. Cela m’a donné le sujet de mon premier roman, La Disparue d’Aqualud, l’histoire de deux ados qui découvrent des peintures rupestres sous un chantier d’autoroute. J’ai envoyé ce manuscrit à plusieurs maisons d’édition qui ne m’ont retourné que des lettres de refus. Ce n’est que des années plus tard, à l’occasion d’un déménagement, que, retombant sur ce manuscrit oublié, j’ai décidé de retenter ma chance. Cette fois, j’ai envoyé ce manuscrit à deux auteurs, au hasard, dont Michel Piquemal, qui a aimé mon histoire et l’a gentiment transmise à Jack Chaboud, éditeur chez Magnard… grand merci à Michel et à Jack ! »

Mais rechercher un éditeur n’est que la manifestation extérieure du besoin d’écrire. Les professeurs documentalistes auteurs obéissent aux mêmes impératifs que tout auteur : une nécessité impérieuse.
« À mon retour de Madagascar, j’ai senti que je devais parler de ce pays et “exorciser” les images parfois dures qu’il m’avait laissées, comme celles de la misère des enfants des rues. De plus, j’avais rencontré un enfant qui vivait sur les trottoirs de Tana et je l’avais accueilli chez moi pendant plusieurs années. Ensuite, j’ai dû quitter le pays, sans lui. Écrire une histoire à propos des enfants de Tananarive et faire de ce garçon le héros était donc devenu nécessaire, pour ne pas les oublier. C’est ce que j’ai fait avec Le Chasseur de mouches qui continue à être édité. Je crois que l’on écrit souvent par nécessité intérieure.

L’ironie de cette histoire, c’est que j’avais “permis” à cet enfant de ne plus travailler dans la rue et donc d’aller à l’école et d’apprendre à écrire et lui m’a “permis” en retour d’écrire mon premier livre.
(…) Quand j’ai écrit ce premier roman, je l’ai envoyé tout simplement par la poste, persuadée qu’un éditeur allait me donner des conseils pour le refaire et en fait, il a été retenu tout de suite… Et de là, tout s’est enchaîné mais je n’ai jamais plus écrit de second roman pour la même tranche d’âge, n’en éprouvant plus “l’urgence” », confie Danièle Fossette.

Pour Jean-Paul Nozière, cette urgence c’est la guerre d’Algérie, et sans doute la mort d’un ami durant son adolescence (si on en croit son roman Retour à Ithaque). Un choc initial fort qui n’en finit pas de retentir : « La guerre d’Algérie m’a marqué d’une façon telle, et pour des raisons que je ne peux pas expliquer ici en quelques lignes, que dès son déclenchement le 1er novembre 1954, j’ai suivi le déroulement des événements presque d’une façon obsessionnelle. Il faut dire qu’à la maison, mes parents en parlaient énormément. En 1967, j’ai décidé d’aller vivre en Algérie, parce que j’imaginais qu’ainsi je comprendrais mieux ce qui s’était passé. J’ai vécu deux ans à Sétif, là où se déroule Un été algérien et pas très loin de l’endroit où se situe Le Ville de Marseille. Un roman peut se mijoter pendant des années… je n’ai écrit Un été algérien qu’en 1990, et Le Ville de Marseille en 1996. Donc, “j’ai mis” 36 ans pour écrire le premier titre et 42 ans pour écrire le second »4 et 6.
Edwige Planchin, qui a publié pour la jeunesse, livre son poignant témoignage : « J’ai toujours écrit mais j’ai eu envie que mes histoires soient publiées à la mort de mon fils. J’avais des choses importantes à dire et je voulais être entendue. C’était aussi un moyen de prolonger la relation que j’avais avec lui. Quand j’ai appris que mon tout premier livre se vendait, entre autres, en Australie, j’ai eu l’impression étrange qu’un morceau de moi avait voyagé loin, jusqu’à lui… »
Les motivations ne sont pas toujours aussi tragiques. L’auteure d’un unique roman jeunesse, Arlette Chauffour, souhaitait « réaliser enfin la promesse faite par moi et à moi, ado, de témoigner plus tard par écrit de la vie quotidienne lycéenne. Interne de 1962 à 1971 au lycée de jeunes filles de Tulle, établissement devenu collège Clémenceau en 1973 et où je suis arrivée doc en septembre 2006 après maintes pérégrinations professionnelles et personnelles, je m’étais en effet promis les soirs d’extinction des lumières à 20h30 d’écrire sur ce vécu adolescent d’avant et d’après mai 1968. »
Alain Gurly qui a tant compté pour la profession de professeur documentaliste commence à écrire un roman vers 1990, animé par « le désir de transmettre à mon fils le souvenir d’un monde que je voyais disparaître petit à petit7 ». Ce monde c’est celui des Cévennes, auquel il se dévoue.

Des expériences préalables

Aubry Florence

On ne s’improvise pas auteur. Avant d’être publié, tous ont différentes expériences d’écriture. Articles, nouvelles, critiques ou même édition scientifique les professeurs documentalistes-auteurs multiplient les occasions d’exercer leur plume. « J’ai commencé à écrire des nouvelles de SF il y a au moins quarante ans. Puis j’ai écrit des souvenirs d’enfance. (…) Puis, entre-temps et pendant une vingtaine d’années, j’ai publié une Chronique hebdomadaire dans un journal local, Le Pays Cévenol. Cela se nommait Les carnets d’un Réboussier, sachant qu’en langue occitane, Réboussier signifie “original peu conformiste” ! » poursuit Alain Gurly.

Le goût des mots remonte souvent à l’enfance comme pour Marion Lecoq, l’auteure d’Hors Saison, un roman finement ciselé qui mérite d’être mieux connu : « J’ai toujours écrit, depuis que je suis petite. Hors Saison est le premier manuscrit que j’ai terminé. » « Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours tenu un stylo à la main », avoue Céline le Gallo. Roselyne Morel qui a beaucoup publié pour la jeunesse abonde elle aussi dans le même sens : « J’écrivais depuis l’adolescence des bribes de textes descriptifs, poétiques, un journal… J’ai mis beaucoup de temps à m’autoriser à construire une histoire. Petit à petit, les contes, les romans sont arrivés : beaucoup de bonheur et de travail, travail, travail ! ». « Je me suis lancé dans l’écriture à l’adolescence en écrivant de la poésie. Pendant longtemps, je n’ai écrit que cela et des paroles de chansons » renchérit pour sa part Stéphane Letourneur.

La poésie joue un grand rôle dans cet apprentissage, tout comme la rédaction d’article : « Je me suis d’abord lancée dans l’écriture de poèmes et également l’écriture journalistique : j’ai écrit des articles sur Madagascar où je vivais à cette époque-là, pour le compte du magazine Voyager… J’ai été professeur de français et de latin, puis formatrice en Connaissance du monde contemporain et en Culture générale, journaliste-reporter, rédactrice en chef puis professeur documentaliste » précise Danièle Fossette. Pierre Melendez auteur, parolier et écrivain public tourne lui aussi autour du pot (ou de La Touque, pour reprendre le titre de son roman) :
« J’ai également été correspondant local pour Sud Ouest (2010/2012) et les lycéens étaient amusés de lire mon nom sous les articles concernant les villages autour de Mont-de-Marsan ».
Plus rares sont les expériences dans le monde de l’édition comme celle de Marion Lecoq, qui est correctrice et rédactrice de dossiers pédagogiques pour les éditions Petit à Petit. Elle est l’auteure scientifique de Jean de La Fontaine en bande dessinées ou encore des Poèmes de Ronsard en bandes dessinées, souvent présents dans les collections de CDI.

Sans surprise, Jean-Paul Nozière a lui aussi multiplié les écrits avant de se lancer : « J’avais déjà écrit des nouvelles avant 1978, parues soit dans le journal de mon ancienne école, soit dans une revue très confidentielle qui s’appelait Première chance. J’avais même écrit une soixantaine de pages d’un premier roman, déchirées très vite ! ». Et sa première publication en 1979 sera pour le numéro 34 de J’aime lire, Un cheval à l’école. Le premier roman de Pascale Perrier publié chez Rageot, En scène les 5e, est quant à lui au départ un texte prévu pour Je Bouquine !8

Qui sont ces professeurs documentalistes qui écrivent ?

Il est sans doute un peu vain de tenter un profil type du professeur documentaliste auteur, pourtant ils partagent souvent trois passions : la lecture, l’ailleurs et leur métier d’enseignant !

Un peu, beaucoup, passionnément…

Stéphane Letourneur

Sans surprise les professeurs documentalistes auteurs sont tombés tôt dans la marmite des mots et sont des amoureux fous des livres. Ils débordent de déclarations passionnées sur la lecture et dévoilent un parcours qui, de la tendre enfance jusqu’à la maturité, mène à l’écriture : « dès l’enfance, j’ai réalisé que les livres étaient beaucoup plus intéressants et excitants que ma vraie vie », se souvient Jean-Paul Nozière9, avant de passer le témoin à Stéphane Letourneur : « D’abord je me suis lancé dans la lecture. À la fin du collège, au moment où les ados lisent moins paraît-il, j’ai commencé à lire beaucoup. Il n’y avait pas de CDI, mon prof de Français-Espagnol me prêtait des livres… et ne jugeait pas mes lectures. Même si mes biographies rock parlent de la contre-culture et sont le fruit d’une culture non scolaire, je dois beaucoup à l’école de la République et à ce monsieur. Maintenant le rock est au programme au collège. Amusant non ? »

Alain Gurly poursuit : « Depuis que je sais lire, j’absorbe entre 2 et 4 livres par semaine selon la pagination et la difficulté de lecture ». Stéphane Lefèbvre également : « Comme beaucoup d’entre nous, c’est avant tout parce que j’aime les livres, et les romans en particulier, que je suis devenu professeur documentaliste. C’est cet amour du romanesque qui m’a donné envie de faire découvrir toutes ces histoires, d’encourager les élèves à y plonger, et qui m’a poussé à en raconter une pour tenter à mon tour de susciter ce délicieux plaisir que tant d’auteurs m’ont procuré ».

Des documentalistes voyageurs

Edwige Planchin

Les professeurs documentalistes auteurs ne vivent pas que des aventures de papier. Nombre d’entre eux ont une expérience de vie sur une terre lointaine. Jean-Paul Nozière a enseigné de 1967 à 1969 à Sétif, en Algérie. Danièle Weiler a travaillé à Tahiti, fut en poste à Honk-Kong et termine sa carrière à Singapour. Céline le Gallo fut professeur en Autriche. Stéphane Letourneur a sillonné l’Afrique en vélo, Eugène Ébodé a un parcours de personnage de roman10. Danièle Fossette, native du Pas de Calais, enchaîne les vies dans les îles : 6 ans à Madagascar, 4 à Mayotte, elle vit actuellement en Martinique depuis 7 ans : « d’autres îles m’attendent ! Je veux continuer à voyager ! » ; ces expériences étrangères donnent une impulsion décisive à ses écrits : « Dans tous les lieux où je vis, je laisse un ou plusieurs livres empreints de la culture du pays et ma récompense est quand les personnes originaires de ce lieu s’y reconnaissent. J’ai ainsi écrit ce roman sur Madagascar, et des albums et des contes sur Mayotte et sur la Martinique. »

Des documentalistes engagés

Le corps des professeurs documentalistes fait souvent preuve de son dynamisme et de son innovation. Les auteurs documentalistes s’avèrent, risquons le mot, de « supers documentalistes » ! Des professeurs engagés dans leur travail, dans des projets ambitieux et chronophages. Pas question de sacrifier le professeur documentaliste au profit de l’auteur !
Ils sont d’abord créateurs ou animateurs de prix littéraires. Danièle Weiler pour les prix Azimut et Segalen, Agnès Deyzieux pour Une case en plus, prix BD de la Sarthe, Danièle Fossette imagina le projet Césaire autour du monde11. Ils multiplient les clubs lecture, les journaux scolaires et les ateliers d’écriture. Christine Naumann-Villemin écrit et monte une pièce : « un travail titanesque mais très riche ! » avoue-t-elle. Marion Lecoq expérimente les liseuses. Ils s’impliquent aussi dans la littérature ou dans des associations liées au livre, ils organisent des festivals ou font office de critiques littéraires.
Roselyne Morel, qui a publié plus de quarante livres pour la jeunesse, fit partie du Comité de Rédaction de
La Revue des Livres Pour Enfants.

Agnès Deyzieux et Philippe Tomblaine sont des critiques reconnus sur la bande dessinée et le manga, engagés dans le festival d’Angoulême. Agnès Deyzieux fait également partie du Comité de rédaction d’InterCDI et participe au Cahier des livres de la revue. Philippe Tomblaine présida aussi l’Apden (ex Fadben) Poitou-Charentes jusqu’en 2015. Il est un nom familier des listes de diffusion comme le fut Alain Gurly, le créateur innovant de docspourdocs. Danièle Weiler gère la liste Azidoc pour les CDI d’Asie. Clotilde Chauvin toujours à la pointe du numérique, gère la liste et le site des documentalistes de la Mission Laïque, son compte Twitter est à suivre.

La vie d’auteur

Agnès Deyzieux

Les professeurs documentalistes auteurs ont des profils parfois très différents. Tous les cas sont possibles, d’une unique publication à l’édification d’une œuvre. Nombreux sont les professeurs documentalistes auteurs d’un seul livre, qui n’osent ainsi pas se revendiquer « auteur » : « mon livre est sorti en octobre 2013, j’avais 62 ans et je suis partie à la retraite un an plus tard. C’est mon premier et unique roman, aussi le titre d’auteur est un peu « surfait » pour moi ! », écrit ainsi Arlette Chauffour.
Même réserve chez la passionnée du manga et de la BD, Agnès Deyzieux : « je me considère plutôt comme une médiatrice de la bd et du manga plutôt que comme une auteure ». Céline le Gallo5 déclare : « Disons que je suis une “passeuse de mots, une gribouilleuse ou une raconteuse d’histoires”. Et si j’arrive vraiment à être ça, j’en serais ravie ! ».
Alain Gurly précise quant à lui : « Je suis donc un simple auteur au sens où je suis bien l’auteur de ce que j’écris ! Pour le reste je ne suis qu’un “raconteur” d’histoires ». On peut avoir un faible pour la jolie formule de Stéphane Lefèbvre : « Je suis un lecteur qui a écrit un livre… et qui essaie d’en écrire un second ! »

Les exemplaires

Pour Stéphane Lefèbvre, son coup d’essai fut un coup de maître. En 2009 son premier manuscrit, un roman policier, est retenu par l’éditeur Les Nouveaux Auteurs pour participer au concours VSD. Il remporte le premier prix : Opale rencontre des lecteurs, un succès d’estime et une publication dans Le Livre de Poche. 35 000 exemplaires vendus. Le cas est rare !

Opale, Stephane Lefebvre

Philippe Tomblaine battra sûrement le record de son collègue avec La Seconde Guerre mondiale dans la bande dessinée. Paru en juillet 2015 il fut vite épuisé, mais le tirage initial était modeste. Il est de nouveau disponible. L’auteur explique que « L’éditeur PL ne prend que des risques limités sur le genre para-bd, qui reste toujours compliqué à vendre auprès du marché des collectionneurs d’albums, puisque le premier tirage n’est que de 800 exemplaires. On s’estime donc heureux lorsque 1 000 exemplaires ont été écoulés. À titre de comparaison, certains de mes précédents ouvrages comme Pirates et Corsaires dans la BD ou Spirou, aux sources du S. ont dépassé les 1 500 à 2000 exemplaires ».

Force est de reconnaître la transparence des professeurs documentalistes qui livrent volontiers le nombre d’exemplaires vendus et les déboires avec les éditeurs. L’ambition de Pierre Melendez était de vendre plus de 100 exemplaires de façon à être référencé à la BNF ! Pari réussi. Alain Gurly ne cherche pas fortune : « Je suis membre de la Société des Poètes français et j’écris de la poésie presque tous les jours. Mais c’est une denrée invendable ou presque ! J’ai dû vendre 30 exemplaires de mon bouquin de fables à la mode de La Fontaine ! M. François Cheng de l’Académie française, qui m’a remis un jour un prix, me l’a confirmé… sans que je le lui demande !… Mais il faut savoir que les auteurs comme moi ne font aucun bénéfice de leurs œuvres. C’est pratiquement du bénévolat ! Bien contents lorsqu’ils se remboursent de leurs frais ! »
Marion Lecoq livre également : « Pour vous répondre sur les chiffres de vente de Hors Saison en numérique/papier, je n’en ai malheureusement aucune idée ! La maison d’édition ayant fermé, je n’ai plus reçu aucun chiffre de vente, ni aucune rémunération, après la première année »12.

Les éditeurs

À l’image de la mésaventure de Marion Lecoq, les relations avec les éditeurs sont plus que contrastées.
Eugène Ébodé et Gallimard célèbrent un heureux mariage : « Gallimard est une institution, certes, mais d’abord une maison familiale où je me sens très bien. La relation à Antoine Gallimard est d’une simplicité et d’une intensité que vous pouvez difficilement imaginer, de même que mes relations avec mon éditeur, l’écrivain et traducteur Jean-Noël Schifano ». Philippe Tomblaine livre cette anecdote pour les dossiers qu’il réalise chez Magnard : « la première mouture de dossier réalisé m’indiquait en tant que “Professeur de Lettres Modernes”. Rectification effectuée rapidement ! ».

Jean-Paul Nozière travaille avec plus de 20 éditeurs : « Changer d’éditeur est une bonne façon de progresser dans son écriture. Rester chez le même éditeur est une bonne façon de tourner en rond, de se répéter, tant dans le fond que dans la forme »13.

Alain Gurly s’est tourné quant à lui vers l’auto-édition. Un choix revendiqué : « Après une expérience d’édition plutôt ratée, j’ai choisi l’auto édition. J’ai commencé par imprimer et façonner mes bouquins moi-même ce qui est amusant, mais limité. Dès que j’ai dû diffuser plus d’exemplaires (deux ou trois cents), j’ai atteint l’overdose. Donc j’imprime chez un imprimeur à compte d’auteur. D’ailleurs mes histoires n’intéressent pas un éditeur. C’est du terroir très local et je ne crois pas que cela puisse vraiment passionner un breton ou un alsacien ! »

Les rencontres avec les classes

Un autre plaisir d’auteur peut être la rencontre avec des lecteurs. Que se passe-t-il lorsqu’un professeur documentaliste se retrouve dans la peau de l’auteur invité ? Jean-Paul Nozière demande que toute la classe rencontrée ait lu le même titre.

Pascale Perrier aime revoir les élèves et les lieux d’enseignement : « Je me déplace très régulièrement dans les écoles, les collèges ou les lycées, pour des rencontres ponctuelles ou des ateliers d’écriture. Lorsque les interventions se déroulent en dehors du CDI, je ne résiste pas à aller y faire un petit tour. J’aime visiter les lieux, sentir l’atmosphère qui y règne, m’y projeter. Par ailleurs, on me dit régulièrement que la manière dont je m’adresse aux élèves montre que j’ai l’habitude de leur parler. “On sent la patte de l’ancienne doc” est la phrase qui revient sûrement le plus souvent ! Je vais finir par croire que c’est vrai… Quand nous intervenons dans les classes, nous devons très rapidement sentir comment parler aux élèves qui sont devant nous. Quels mots utiliser, quel niveau d’informations donner… J’aime ce défi : plonger immédiatement dans l’ambiance d’une classe pour lui correspondre au mieux et répondre à ses attentes ».

Christine Naumann-Villemin se prête volontiers au jeu avec les classes de primaire pour ses albums, « parce qu’on est bien d’accord : le but, c’est de faire en sorte que la lecture, les livres soient directement associés à la notion de plaisir… Hein oui ? »14.

Pourtant tout n’est pas si rose, Arlette Chauffour livre avec beaucoup de franchise sa déception ; ni les rencontres avec les classes, ni le succès, ni la reconnaissance ne furent au rendez-vous : « Je “rêvais” de rencontrer, bénévolement bien sûr, de nombreux élèves, ados, parents, grands-parents et profs. En effet, en écrivant ce livre, c’est la transmission qui m’a sautée aux yeux et au cœur ! Mais le rejet a été total, incroyable. À part un beau travail dans mon collège avec un collègue de lettres qui a fait écrire un “chapitre” additif sur un “sujet” de leur choix à ses élèves de cinquièmes. De bon retour pourtant de jeunes et d’adultes. Une grande déception mais qui n’éclipse pas le grand plaisir de l’écriture ».

L’écriture

Ce plaisir d’écrire, non dépourvu de difficultés, est similaire chez la débutante ou chez l’auteur confirmé. Leurs témoignages sont passionnants sur les splendeurs et misères de l’écriture.
« En réalité, je n’étais pas certaine de parvenir à construire une histoire qui ait du sens, je n’étais même pas certaine de parvenir au bout ! C’est donc une sorte de défi que je me suis lancé et, lorsqu’au terme de quelques mois, j’ai accouché de cette première histoire, j’avoue avoir ressenti un plaisir fou. Assez curieusement, ce n’est pas le fait d’avoir relevé ce défi qui m’a apporté tant de joie, c’est plus la “magie” du processus d’écriture : ces moments de griserie lorsque les mots courent aisément sur le clavier (eh oui, depuis, j’ai lâché le stylo !), ces instants de découragement, au contraire, lorsque la formulation ou l’idée tant recherchée peine à venir et plus encore peut-être, le sentiment que vos personnages prennent vie et vous embarquent dans leur propre histoire, parfois loin des chemins que vous aviez prévus pour eux… Bref, ces émotions assez nouvelles ont été si fortes, si exaltantes, que j’ai eu envie de poursuivre cette aventure : ainsi sont nés mes petits héros, Zoé et Matthéo, et leur première enquête au cœur d’une abbaye cistercienne » confie Céline le Gallo.

« Cependant l’écriture n’est pas toujours une activité de tout repos. Les personnages se montrent parfois réfractaires et coriaces. Ils nous en imposent plus que nous ne leur ordonnons. Pourtant, nous replongeons et donnons souvent le sentiment que tout n’est que bonheur dès l’instant où nous avons la plume à la main », raconte Eugène Ébodé.
Alain Gurly vit la même expérience : « Dans la saga des Brusses, mon héros de départ était un vieux berger détective et barbu. Et puis au fil des livres, la vedette lui a été volée, par la fillette de 12 ans du premier volume qui, finalement, sera la véritable héroïne de la saga. Cela, je ne l’avais pas prévu. Au bout d’un moment, ce sont ses personnages qui mènent l’auteur et pas l’inverse ! »

Et terminons avec une leçon d’écriture d’Eugène Ébodé : « Commencer un roman est facile, mais en consolider le mouvement, épaissir la trame, densifier l’intrigue et doter les personnages d’une puissance de fiction est une opération aux multiples variables aléatoires. C’est un mystère qui fait tenir debout cet ensemble disparate par nature qu’est le roman. Faire du roman un monde et du monde un roman, tel est l’enjeu. L’auteur, même lorsqu’il parle à la première personne, doit disparaître. C’est sa disparition aussi que je mets en scène à travers mon faible pour l’autofiction ».

ÊTRE AUTEUR et professeur DOCUMENTALISTE

Comment concilier les deux activités

Pas facile de mener les deux de front ! Qu’ils soient l’auteur d’un seul livre ou des auteurs réguliers, tous ont un ennemi commun : le temps. Les sacrifices portent sur les vacances, les voyages, les loisirs, la vie sociale, la vie familiale. Pas facile du tout de dégager des plages d’écriture, il faut être sévère avec soi-même. Mais pour ceux qui vivent les deux, la documentation passe en premier.

« J’aime beaucoup mon travail de professeur documentaliste, il est important pour moi et je m’y investis beaucoup. Ce n’est pas juste un travail alimentaire, tandis que l’écriture serait ma seule vraie passion. Je suis également passionnée par mon métier », déclare d’emblée Marion Lecoq qui exerce à Rouen.
« Ma vie de professeur documentaliste passe en premier ; il me reste peu de temps pour écrire. Mais j’aime bien trouver malgré tout le temps de relever des petits challenges », confirme Danièle Fossette depuis la Martinique ou Danièle Weiler depuis Singapour : « Avoir une grande discipline. Savoir s’organiser pour ne pas tout mélanger, ni privilégier un travail plutôt qu’un autre. Mon travail de professeur documentaliste n’a pas été mis de côté. Je suis restée disponible pour les élèves, les enseignants et toute la zone Asie. »

Eugène Ébodé (de Montpellier) résume ainsi le problème : « La vie d’auteur est individualiste. Celle d’un professeur documentaliste (je tiens à ces deux termes) est collective et inscrite dans un schéma éducatif dans lequel nous avons à nous couler. Cela dit, il me semble que la rationalisation de mon temps disponible est une mesure capitale. N’oublions pas la vie familiale ! Elle fait partie de la solution si on veut agir de manière durable et stable. Il faut la préserver et lui accorder toute son importance. Décloisonner les activités est aussi un impératif catégorique pour vivre chacune de nos vies multiformes (et pas multiples, cela prêterait à confusion) de la manière la plus sereine qui soit… Dans la semaine, je suis, comme tous les collègues professeurs, entièrement concentré sur ma tâche au CDI et auprès des élèves pour faire vivre mon espace à vocation pluridisciplinaire… ».

Des journées non-stop de travail

Alors comment font-ils ? Tous ceux qui écrivent s’imposent une rude discipline. Alain Gurly se lève depuis plus de 20 ans entre 4h30 et 5h Philippe Tomblaine qui écrit plus vite que son ombre, précise : « J’arrive chez moi vers 17 h après ma journée d’enseignant, j’allume mon ordinateur, et je travaille jusque vers 23 heures. Je lis, j’écris. Je vais vite15, ce sont des journées non-stop de travail, à préparer d’avance en tenant compte des impératifs des contretemps (un ordinateur qui tombe en panne ou une voiture retrouvée accidentée sur le parking !) et de la vie de famille ». Cette course au temps ne se gagne pas seul et Jean-Paul Nozière, exprime sa reconnaissance envers ses collaborateurs et son épouse : « Tout d’abord, j’ai presque toujours eu l’aide d’un emploi jeune ou autres dénominations, et ces personnes se sont (presque) toujours investies dans ce travail, se montrant très intéressées ce qui m’aidait énormément. Ensuite, j’ai toujours eu des chefs d’établissements compréhensifs quand ils ont connu mon activité “secrète”, et j’avais un emploi du temps en or. Pour moi, c’était une vie très “enfermée” : l’écriture, quand je n’étais pas au collège, passait avant tout. Les jours où j’étais à la maison étaient des jours “bureau” : le matin à 8h, l’après-midi à 14h. Quatre heures par jour consacrées à l’écriture, le “reste” venant après… ce qui signifie que je dois beaucoup à mon épouse qui a accepté d’avoir un mari qui ne faisait strictement rien à la maison ! Ce rythme de travail se reproduisait chaque jour “libre”, que ce soit Noël ou n’importe quelle fête. Très peu de rencontres avec des lecteurs, quasi aucun salon du livre. Le plaisir m’attendait dans mon bureau et même si j’adore le vélo, le vélo ne venait qu’après le bonheur d’écrire. Le temps pour moi devenait la chose la plus précieuse, donc ce que je devais préserver avant tout. »

D’autres se réservent seulement les week-ends et les longues plages de vacances. « Une chose est certaine : tout cela occupe pleinement mon temps !… Lorsque je travaille sur un projet, je suis alors capable d’y consacrer tous mes week-ends, et ce pendant plusieurs semaines de suite. J’ai besoin, en effet, de disposer de longues plages de temps pour écrire, impossible pour moi d’écrire de manière fractionnée, c’est pourquoi je ne parviens pas à écrire le soir, en rentrant du travail, car j’ai toujours quantité de petites choses à faire, pour le collège notamment, et ne dispose donc pas de ce temps long devant moi, sans compter que mon esprit n’est pas suffisamment libéré… En somme, ces deux activités cohabitent plutôt bien mais il me faut avouer toutefois qu’il ne me déplairait pas d’avoir davantage de temps libre pour écrire… », estime Céline le Gallo. Elle s’accommode bien de cette situation, comme Florence Aubry d’ailleurs : « Je considère que ce métier me laisse suffisamment de temps libre pour écrire, de temps libre dans mon emploi du temps mais aussi et surtout dans ma tête parce que je ne me sens pas encombrée de soucis qui me poursuivraient jusque dans les recoins de ma maison. Je trouve que ce métier de professeur documentaliste, c’est beaucoup de plaisir, énormément de liberté, une grande place à la créativité, à l’initiative16 ».

Agnès Dethan, partage son point de vue non sans cacher ses critiques des zones d’ombre du métier : « Le métier de prof doc laisse pas mal de liberté, c’est ce qui fait à mon avis un de ses principaux attraits ! À la fois in situ, vu le flou et la charge des tâches que nous sommes censés accomplir et donc de fait, que nous allons choisir. Et hors situ, il nous reste du temps pour nous investir ailleurs si nous le souhaitons. C’est ce que j’ai toujours fait. Le métier de professeur documentaliste ne me suffit pas pour me nourrir intellectuellement. Ni le milieu que je trouve souvent infantilisant et facilement routinier. J’ai besoin de me ressourcer ailleurs, avec un public autre que le public adolescent et rencontrer des gens d’autres milieux, peut-être aussi de relever des défis, du genre “est ce que je serais capable de…”. Je lis beaucoup. Par goût et par nécessité aussi. L’édition bd et manga va très vite, il ne faut jamais décrocher pour être au top ! Cela demande beaucoup d’organisation et de rigueur, des plannings de lecture et d’écriture, un cycle permanent qui ne s’arrête qu’éventuellement un mois en été. Donc, il faut aussi pouvoir être capable de lire la nuit ou de bloquer des week-ends entiers pour ce genre d’activité ».

À l’inverse, Sophie Bénastre déplore cette course contre la montre : « Ma vie de professeur documentaliste mange la moitié de mon temps (30 heures) et ma vie tout court mange l’autre moitié. Je n’ai donc que très peu de temps et d’énergie à consacrer à l’écriture. Trop peu ! »
« Ce manque de temps n’est certes pas propre à la profession, et tous ceux qui ont cette double casquette d’écrivain amateur en souffrent. Certains le compensent en écrivant vite, ce n’est hélas pas mon cas », déplore Stéphane Lefèbvre.
« D’un point de vue gestion du temps, c’est très difficile. J’exerce mon métier de professeur documentaliste avec plaisir et intérêt. L’idéal serait de pouvoir l’exercer à mi-temps », rêve Stéphane Letourneur, professeur documentaliste en Normandie. Le temps partiel est en effet la formule choisie par bien des auteurs documentalistes.

Le temps partiel

« Une seule solution : travailler à temps partiel ! », confie Christine Naumann-Villemin publiée à l’École des loisirs : « Je suis à 80 %, ce qui me permet d’avoir des demi-journées pour moi. Sans ces aménagements, je ne suis pas sûre que je pourrais maintenir ce rythme ! Les vacances sont aussi un moment idéal pour l’inspiration. Mon secret, c’est d’écrire essentiellement des albums : je peux concevoir un album sans avoir besoin d’être assise devant un écran. Mon moment d’écriture le plus intense est… sous ma douche ! Lorsque je passe en phase de rédaction, une bonne base de texte est prête, dans ma tête. Bien sûr, je fais beaucoup de réécriture et de modifications, d’où le caractère précieux du temps partiel ».
Même choix pour Marion Lecoq : « Écrire demande du temps. Quand j’ai écrit Hors Saison, je n’avais pas encore d’enfant, j’avais du temps. Maintenant j’ai deux enfants et peu de temps pour moi, alors pour pouvoir continuer à écrire, j’ai pris un temps partiel à 80 %, qui me laisse une journée de libre par semaine. Mais tout comme il m’arrive d’écrire au CDI, il m’arrive de passer ce jour censé être “pour l’écriture” à préparer une séance pédagogique pour le travail ».

Jean-Paul Nozière travaillait également à mi-temps les cinq dernières années de sa carrière. Le temps partiel est souvent l’étape intermédiaire avant de faire le choix de l’écriture à plein-temps.
Ce fut aussi le chemin pris par Pascale Perrier : « J’ai été professeur documentaliste pendant presque vingt ans avant que l’écriture me happe complètement, mais quasiment jamais à temps plein. Le temps partiel me permettait d’écrire en parallèle, cependant au fil des années et des publications, mon activité littéraire est devenue vraiment envahissante ». Jusqu’à franchir le pas décisif pour enrayer cette course permanente : « Il fallait faire un choix, si bien que j’ai quitté l’Éducation nationale (non, je ne suis pas en disponibilité, impossible de revenir pour la prochaine rentrée scolaire). La décision a été difficile à prendre, parce que j’appréciais beaucoup d’aspects du métier de professeur documentaliste, en particulier son rapport particulier aux élèves et aux livres ».

Auteur ou documentaliste ?

La question se pose forcément pour chaque auteur documentaliste. Faut-il choisir entre la vie de professeur documentaliste et celle d’auteur ? L’auteur de BD Isabelle Dethan eut la même année le CAPES de documentation et l’Alph Art au festival d’Angoulême. Elle fait un choix radical et irréversible. Elle opta pour la BD. Le ministère y perdit une belle personne, mais les lecteurs (et ceux des CDI) se régalent de ses albums souvent historiques.

Comme Florence Aubry l’explique, les revenus incertains et modestes de l’édition règlent vite la question : « Même si un jour l’écriture me rapporte suffisamment pour que j’en vive, je n’arrêterai pas totalement de travailler, les revenus de l’écriture sont trop aléatoires, j’ai besoin de stabilité16. » Jean-Paul Nozière aurait pu aussi franchir le cap mais il risquait d’y perdre sa liberté : « On m’a souvent dit : pourquoi ne pas arrêter le métier de professeur documentaliste ? La réponse était simple. Je connaissais trop le monde du roman jeunesse pour savoir que ma liberté d’écrire ce que je voulais, comme je le voulais, se gagnerait en ayant un salaire. Autrement, je devrais passer sous les fourches caudines des éditeurs qui voudraient ci ou ça (par exemple aujourd’hui, du merveilleux, du fantastique), comme ci comme ça, et c’était hors de question. Ce qui m’a permis de toujours refuser d’écrire “sur commande”, sauf, je l’avoue, trois fois après insistance appuyée d’éditeurs. Ma liberté d’auteur a été totale et je crois qu’aujourd’hui, c’est ce dont je suis le plus fier. » L’arrivée de l’âge de la retraite résout le dilemme : « Ce qui a changé depuis 2003 ? C’est fantastique : je peux commencer une journée par le vélo ou le golf… dire “ j’écrirai demain, après-demain”… L’écriture n’est plus prioritaire, éliminant les autres plaisirs de la vie comme c’était trop le cas avant » Cette année, Danièle Fossette et Danièle Weiler ont entamé une retraite bien méritée, elles ont déjà la tête pleine de projets d’écriture.

Être professeur documentaliste et auteur ne consiste pas seulement à gérer son temps, c’est aussi être appelé à intervenir sous différentes casquettes. De Gallimard au CDI, des prix littéraires aux journaux scolaires, des salons d’honneurs à la salle des professeurs, la vie d’Eugène Ébodé ne manque ni de contrastes ni de grands écarts. « Dans les différents “théâtres”, on n’est pas toujours appelé à faire ou dire les mêmes choses. Rester cependant soi-même, où que l’on se trouve me paraît être le point important et non-négociable ».

Pour Agnès Dethan, la BD fait le lien entre toutes ses activités : « Même si c’est le métier de professeur documentaliste qui me permet de vivre, c’est ma passion pour la bande dessinée qui me stimule et me fait lever le matin ! J’aime autant intervenir sur une conférence très spécialisée qu’interviewer en public des auteurs, animer une formation professionnelle pour libraires que réaliser une séance pédagogique pour des élèves autour de la bd ou encore réaliser une exposition manga grand public. Le fait d’être confrontée à différents publics (ados ou adultes) est aussi très stimulant. C’est la diversité des approches et des publics qui m’intéresse, devoir m’adresser à un public de néophytes pas convaincus ou à un public de fans très pointus, ainsi que la diversité des transmissions possibles (oral ou écrit) ».
Murielle Compère-Demarcy, professeur documentaliste dans un collège de Picardie, publie des textes de poésie. Elle a remporté de nombreux prix et elle propose une vue plus globale : « J’oserai écrire que je suis auteur et professeur documentaliste au travail autant que dans la vie. Tout le temps. Puisque les deux renvoient à un état d’esprit vis-à-vis des événements, des choses, vis-à-vis de la nouveauté toujours surgissante donc inédite, parfois résurgente, reconductible de la vie ordinaire ».

Professeur documentaliste et auteur : interactions

Le professeur documentaliste influence-t-il l’auteur ?

Quelles influences le professeur documentaliste exerce-t-il sur l’auteur ? Atout ou obstacle ? Les avis sont plus que partagés : « Aucune », affirme Jean-Paul Nozière ! Position reprise par Sébastien Lefèbvre : « Je ne pense pas que le métier de professeur documentaliste, en tant que tel, influence mes activités d’auteur ni inversement ».
À l’opposé, des professeurs documentalistes affirment : « Je suis bien certaine que jamais je n’aurais écrit pour la jeunesse si je n’avais pas été professeur documentaliste en collège », affirme Florence Aubry16.

Marion Lecoq propose une analyse intéressante, elle distingue le type d’écrits : « Je ne pense pas que mon métier de professeur documentaliste influence mon activité d’auteur de fiction. Je n’écris pas pour la jeunesse, et je ne m’inspire pas de mon travail pour l’écriture. Bien sûr des personnes ou des situations rencontrées dans mon travail peuvent m’inspirer, mais finalement ça pourrait être dans n’importe quel travail ». Par contre, dans ses écrits de type documentaire au contraire : « En revanche, je crois que mon métier m’a bien aidée pour écrire les dossiers pédagogiques pour Petit à Petit, pour adapter mon niveau de langage et le niveau de connaissances au lectorat adolescent qui était visé ».

Si on admet des influences du professeur documentaliste sur l’auteur, elles sont de deux ordres : l’adolescence et la recherche documentaire. Un point de vue partagé par Agnès Dethan qui revendique la complémentarité de l’auteur et du professeur documentaliste, en livrant un exemple éloquent : « Toute activité nourrit une autre. Voici un exemple récent autour de la BD Les esclaves oubliés de Tromelin, assez représentatif de ce que je fais en général. À la sortie de l’album, j’interviewe l’auteur Sylvain Savoia en public, sollicitée par la librairie de ma ville (Librairie Bulle), avec laquelle je collabore fréquemment. J’enregistre l’interview, je la retranscris pour mon blog, je l’illustre, je garde contact avec l’auteur pour des corrections éventuelles. J’en tire un article pour une revue (InterCDI ou autre), toujours en accord avec l’auteur. Le libraire me donne des tirages couleur d’une vingtaine de planches de l’album en grand format, que l’éditeur a donné à l’occasion de la rencontre. Je m’en sers pour monter une exposition au Lycée. Je réalise un questionnaire qui permet aux élèves de découvrir le récit. Entre-temps, j’ai proposé le titre pour la sélection du prix départemental Une Case en Plus que nous animons avec un groupe de professeurs documentalistes dans le 72. Je propose de travailler autour de cet album à des enseignants, nous réalisons des séances autour de cet album, je mutualise les séquences réalisées par tout le groupe sur un blog (Le Dock), j’emmène en sortie une classe au musée de Nantes qui réalise une exposition sur le sujet. Le service pédagogique du Musée de Nantes met en ligne le lien de l’interview (réalisée au départ) pour les enseignants préparant la visite de l’exposition. J’ai le contact de l’auteur, donc plus de chance de pourvoir le faire venir pour une rencontre avec la classe. Je réutilise une partie des séquences réalisées pour un stage de formation de bibliothécaires sur la bande dessinée de reportage ».

Des vampires chez les adolescents

Pascale Perrier © Laure Salamon

Les auteurs de littérature jeunesse, Florence Aubry, Pascale Perrier, Roselyne Morel, reconnaissent volontiers l’influence des adolescents sur leur désir d’écrire : « Il est évident qu’elle a été fondatrice. D’abord j’ai certainement choisi d’écrire pour la jeunesse parce que je lisais beaucoup de littérature jeunesse. Côtoyer des élèves tous les jours, discuter avec eux, suscite des envies », affirme Pascale Perrier. « Et puis j’ai également besoin d’être immergée au milieu des ados, pas seulement pour l’écriture (oui, je suis un vilain vampire !), mais parce que c’est un grand privilège de travailler avec eux » poursuit Florence Aubry16.

« Enfin le métier me permettait de voir tous les jours des collégiens, d’entendre leurs rires, de sentir leurs inquiétudes, de capter leur langage, leur vie sociale et leur vie strictement scolaire, de suivre au jour le jour leurs centres d’intérêt. J’étais donc toujours en phase avec mes lecteurs dans leur vie de tous les jours qui m’inspiraient parfois, mais pas directement (c’était plutôt un mélange d’éléments) pour mes futurs personnages », nuance Roselyne Morel. Murielle Compère Demarcy poursuit également : « Mes élèves sont une partie de la société actuelle, ils en sont les représentants, partiels, mais leur génération est une partie de la société qui s’observe pour moi tous les jours. Cela sert mon inspiration dans l’écriture de nouvelles, ou dans une écriture de roman comme je le fais en ce moment pas exemple. Aussi le métier de professeur documentaliste m’a donné à connaître beaucoup de choses que je continue d’exploiter dans mon travail d’écriture comme dans ma vie de tous les jours d’ailleurs ».
Enfin pour la rédaction de documentaires, l’expérience des jeunes lecteurs apporte des clés : « La professeure documentaliste aide parfois l’auteure, notamment lors de l’écriture de documentaires, exercice que je trouve passionnant. Ma connaissance des enfants, la proximité que j’entretiens avec eux au quotidien m’a souvent aidée à trouver des angles d’attaque », estime Christine Naumann-Villemin.

De l’amour des sources

D’autre part, un lien fort avec la recherche documentaire unit l’auteur au professeur documentaliste. La familiarité avec les lieux du livre : « J’ai beaucoup fréquenté les bibliothèques et les archives pour faire mes recherches et mon métier de professeur documentaliste m’a largement servi », témoigne Danièle Weiler. Pierre Melendez reconnaît pour sa part que « Le métier de professeur documentaliste n’influence guère ses activités d’auteur mais lui permet tout de même de disposer de sources informatives plus riches que la normale ». Pour Pascale Perrier son métier initial « a été fondateur aussi en ce qui concerne la rigueur dans les informations qu’elle donne à ses lecteurs. Beaucoup de livres reposent sur des recherches approfondies (ouvrages documentaires, romans historiques, romans d’anticipation ou même dans la série a priori plus légère Bienvenue au Cast) ».
À un journaliste d’ActuaBD, Philippe Tomblaine, déclare sa flamme pour la recherche : « ma particularité serait plutôt le décryptage, l’analyse et aussi – je suis professeur documentaliste – l’amour de la confrontation des sources… Je suis initialement attiré, dans un esprit pédagogique, par la volonté d’expliquer et de décrypter une œuvre, notamment auprès de mes élèves17. »

Enfin la curiosité est une valeur partagée : « De mon ancien métier, j’ai aussi conservé, me semble-t-il, une intense curiosité pour des sujets et des écritures très divers », livre Pascale Perrier. Clotilde Chauvin souligne aussi : « Le métier de professeur documentaliste dans ses aspects polymorphes permet une grande ouverture et incite à approfondir et à consulter des documents… C’est aussi intéressant de pouvoir creuser en profondeur à côté de ce métier qui est souvent fait de butinage et de dispersion ! Je pense que cette curiosité compulsive est consubstantielle aux qualités du professeur documentaliste. Certains automatismes et compétences du métier apportent rigueur et savoir-faire à la rédaction d’un opus ».

Un roman de Jean-Paul Nozière recèle un des plus attachant portrait de professeur documentaliste. Leila la discrète et efficace bibliothécaire du collège dans Tu vaux mieux que mon frère, semble en mesure de faire mentir son auteur. Seul un intime de CDI pouvait si bien décrire le manège d’Hubert entre les livres… Certes, sur le travail d’écriture strict, la part du professeur documentaliste n’a sans doute pas plus d’influence que les autres aspects de la vie d’un auteur. Par contre, pour les zones périphériques de l’écriture, l’ombre du professeur veille. Le CDI en lui-même peut devenir bureau d’écrivain : « Et puis parfois il m’arrive d’écrire au CDI, parce que je ne sais pas pourquoi, j’y écris plus facilement que chez moi. Mais chut, il ne faut pas le dire ! », confie une auteure.
Sur son site web Pascale Perrier organise ses romans suivant cinq catégories : date de parution, thème, collection, âges et titre. On n’échappe pas à sa formation initiale ! Et saviez-vous qu’à la manière d’Hitchcock, Pascale Perrier a glissé le terme « CDI » dans ses premiers livres ?

L’auteur influence-t-il le professeur documentaliste ?

À l’inverse l’influence de l’auteur sur le professeur documentaliste fait l’unanimité. Tous le reconnaissent, mais ils obéissent à une règle tacite : une fois franchies les portes du CDI, l’auteur s’éclipse. Jean-Paul Nozière tentait presque de le cacher : « Je ne parlais JAMAIS de mon activité d’auteur au collège. Mes collègues et les élèves avaient besoin d’un professeur documentaliste et pas d’un romancier ! Bien sûr, mes romans étaient au CDI, mais je n’en disais pas un mot. En 6e, lorsqu’un nouvel élève ayant découvert ma photo sur un bouquin s’approchait timidement et demandait : “c’est vous qui avez écrit ? ”, je répondais : “ah, c’est marrant, c’est le même nom et cette personne me ressemble”. Un autre lecteur poussait le coude du curieux et l’interrogatoire se terminait là. Bien sûr, en 3e, rares étaient les élèves qui ne savaient pas ! J’ai interdit aux professeurs de français d’étudier un de mes romans en classe (je ne suis pas dictateur, donc je ne leur ai pas mis un couteau sous la gorge quand je parle d’interdiction, mais tous ont compris ce qu’il en était et ont respecté ce choix). Pour parler livre avec les élèves, il fallait qu’ils s’adressent à leur professeur documentaliste et je pensais que s’il s’adressait aussi à un auteur, les rapports perdraient de leur spontanéité et de leur franchise ».
Eugène Ébodé va plus loin : « J’aime être perçu comme enseignant et essentiellement comme tel dans l’établissement. Je n’y suis pas le représentant de la littérature et encore moins un auteur en représentation. Les vrais dépositaires de la littérature sont mes collègues, les enseignants de disciplines, des lettres et de philosophie en particulier, mais aussi tous ceux qui, en général, puisent dans l’héritage littéraire le sel indispensable pour instruire, éduquer et innover. Ceux qui enseignent les lettres et la philosophie sont plus légitimes que moi, car ils ont un commerce régulier et presque intime avec les écrivains et avec le goût transcendantal de la langue ».

Eugène Ébodé © Hélie Gallimard

Murielle Compère-Demarcy s’estime plus pertinente « cachée » et parvient à une conclusion identique : « Je ne suis pas une représentante de mes propres livres auprès de mes élèves, le désir de pouvoir faire partager mon goût pour la lecture et l’écriture fait partie de mon travail, c’est tout. La littérature, la poésie passent avant ma propre personne. Et l’on parle d’autant mieux des choses qui nous sont le plus chères parfois, que les autres ignorent l’investissement personnel que vous y mettez. On en parle mieux je pense, d’une façon plus objective, moins émotionnelle, et donc peut-être aussi plus crédible. Mais cela concerne ma propre expérience, qui peut différer d’une autre. L’écriture est trop vivement engagée dans mon existence de tous les jours pour que je puisse en parler en mon nom propre d’auteur à des élèves ».

Pourtant, difficile de garder le secret. Les frontières sont poreuses. Le contact entre les élèves et le professeur documentaliste auteur peut se passer ailleurs : « Mes élèves connaissent mon roman, mais pas par moi. Je suis assez mal à l’aise avec l’idée de mettre mes propres livres au CDI. En fait, ce sont des collègues qui ont fait découvrir le livre aux élèves. Certains l’ont lu et sont venus m’en parler, ça a été des échanges sympathiques et intéressants. Mais la plupart des échanges que j’ai eus avec des élèves sur Hors Saison n’ont pas eu lieu dans le cadre de mon travail de professeur documentaliste mais en dehors, quand j’ai rencontré des classes à l’occasion du Festival du premier roman de Chambéry », rapporte Marion Lecoq.
Pierre Melendez explique : « Mes élèves et mes collègues savent que j’écris, certains m’ont acheté mes livres, ou les ont empruntés à la médiathèque de Vic-en-Bigorre, où se trouve mon lycée. Je ne les ai par contre pas au CDI ».

Pas question de faire de promotion de ses livres mais ils peuvent rejoindre les rayonnages du CDI si le contexte le permet : « Je n’en ai par contre pas parlé aux élèves. À l’époque, des articles sont cependant parus dans la presse et plusieurs d’entre eux sont venus me poser des questions, s’assurer que c’était vrai, et me demander pourquoi mon livre n’était pas au CDI. Je leur ai expliqué qu’ils étaient encore un peu jeunes pour le lire. Des collègues professeurs documentalistes en lycée l’ont par contre mis à disposition dans leur CDI. Si j’avais été en poste en lycée, cela aurait été différent, et sans doute leur en aurais-je davantage parlé et échangé avec eux. Quelques-uns m’ont toutefois amené des exemplaires de leurs parents à dédicacer. C’était assez cocasse comme situation », s’amuse Stéphane Lefèbvre ».

Pour Florence Aubry ces échanges se limitent à un clin d’œil : « D’ailleurs, quand un élève choisit spontanément l’un de mes livres sur l’étagère, qu’il me l’apporte, pour l’enregistrement du prêt et que je lui dis… tu sais, celui-là, c’est moi qui l’ai écrit, j’aimerais bien que tu me donnes ton avis quand tu me le rendras… je vois dans les yeux et dans la moue le gros doute qu’il a sur ce que j’affirme ! » Stéphane Letourneur résume la situation non sans ironie : « Peu d’élèves connaissent mes livres. Je leur en parle quand l’occasion se présente. Ils sont un peu épatés quand je leur parle du temps qu’il faut pour écrire un livre, et passent vite à autre chose. J’aurais plus de succès si j’étais youtubeur ou footballeur ! ».

Non sans humour, Edwige Planchin livre cette anecdote : « Dans les établissements (je suis TZR), j’existe en tant que prof doc et uniquement en tant que prof doc, ce qui facilite mon adaptation aux projets d’établissement/projets CDI et les ajustements aux collègues. Bien sûr, ce que je vis sur mon lieu de travail nourrit mon inspiration, mais je dois veiller à ce que mon imagination ne s’emballe pas quand je suis en situation professionnelle. Par exemple, cette année j’ai fait un remplacement dans un collège, et un midi à la cantine la CPE est arrivée furieuse parce que des élèves de 4e s’étaient présentées en cours avec un pantalon de pyjama. Tous les adultes étaient scandalisés, en particulier le Principal qui se trouvait juste en face de moi. J’étais la seule à trouver cette idée géniale et à me dire que je pourrais écrire un roman dans lequel des élèves dénonceraient la passivité des adultes en venant tous avec leur bas de pyjama. J’imaginais le phénomène se répandre et les adultes complètement dépassés. Cette idée me faisait trop rire, mais comme le Principal était juste en face, je gardais la tête dans ma purée jusqu’à la fin du repas. Ma vie dans les établissements m’inspire et nourrit mon imagination mais je dois veiller, quand je suis au travail, à ne pas me laisser déborder… »

Et les collègues ? Hors les cas de collaboration d’écriture comme Murielle Compère-Demarcy qui compose des recueils de poèmes illustrés par le professeur d’art plastiques de son établissement, l’impact semble assez limité. Sauf si l’expertise particulière de l’auteur est reconnue comme pour Philippe Tomblaine en BD : « Avec d’autres niveaux de classes, ce sont plutôt mes collègues de disciplines qui demandent telle ou telle intervention, un accompagnement ou des références ».
Stéphane Lefèbvre souligne les liens qui se créent avec les collègues non-enseignants : « Mes collègues ont bien sûr eu vent de mon expérience. Et, au-delà des enseignants, ce qui m’a sans doute le plus touché, c’est que tout le personnel du collège (administration, surveillants, agents de restauration et d’entretien) s’en est réjoui ». Tout comme Eugène Ébodé : « Cependant, je suis souvent sensible au fait que des collègues Atos ou personnel de service viennent emprunter les miens au CDI. Il y a en effet des liens entre personnels qu’il faut étoffer, de même qu’avec les parents d’élèves et les partenaires extérieurs pour élargir la communauté de destin et partant, la communauté éducative ».

Une fois le principe de non-promotion de ses livres posé, l’auteur enrichit le travail du professeur documentaliste tous azimuts : expert du livre, familiarité avec les auteurs et les éditeurs, incitateurs d’écriture, les expériences d’auteurs enrichissent incontestablement l’enseignement des professeurs documentalistes.

Être auteur c’est d’abord une autre façon de faire de la veille professionnelle et d’enrichir son fonds : « L’auteur en moi avoue aussi une absolue subjectivité : un auteur sympathique rencontré dans un salon, avec lequel j’ai eu un bel échange se verra mis en valeur dans mon CDI ! Je sais, ce n’est pas juste », confie Christine Naumann-Villemin.
« Je ramène pas mal de livres dédicacés quand je vais sur les salons. Les élèves aiment bien », raconte Stéphane Letourneur. Pierre Melendez relate quant à lui : « Je profite aussi de ces salons (Mazamet, Siadoux, Vic-en-Bigorre, Saleich, Massat, St Martory, Pampelonne, Seissan, Tarascon…) pour découvrir de nouveaux auteurs, de petites maisons d’édition, auxquels je passe commande pour mon CDI ». Christine Naumann-Villemin complète : « De même, conseiller un roman en ajoutant : “ Je connais bien l’auteur, il est super sympa” ajoute une dimension affective qui n’est pas négligeable : on lit aussi pour entrer dans l’univers de quelqu’un, dans son intimité ».

C’est ensuite un levier pour inviter des auteurs, Jean-Paul Nozière le reconnaît sans peine : « En revanche, être auteur m’a beaucoup aidé dans mon métier de professeur documentaliste. J’ai pu entreprendre certaines activités plus facilement. Ainsi, une bonne centaine d’auteurs sont venus dans mon collège, rencontrer des classes, au fil des années. Évidemment, c’était aisé pour moi d’entrer en contact avec des romanciers. C’était aussi plus facile de plaider cette cause auprès de l’administration et des collègues. Et, quand il fallait trouver l’argent, mes interlocuteurs m’écoutaient avec davantage d’attention. Chose rare, je pense, dans l’Éducation nationale, jamais je n’ai rencontré de refus étayés par “nous n’avons pas l’argent”. Tout le monde se mettait en quatre pour réunir ce foutu argent ».

Roselyne Morel témoigne aussi : « Il m’était plus facile, rencontrant des auteurs dans les salons, de les faire venir avec succès dans mon CDI. Même chose aussi parfois pour les conteurs, qui se produisent souvent en marge des salons ». Pierre Melendez s’enthousiasme : « Le fait d’être auteur renforce encore plus la haute idée que je me fais du monde de l’écriture en général. Et je remarque dans les salons où je suis invité, que pas mal d’organisateurs sont des enseignants, souvent en retraite, dont un bon nombre de professeurs documentalistes et bien entendu de bibliothécaires. Cela me donne d’ailleurs envie d’organiser moi-même un tel salon dans mon lycée ».

Être édité, permet d’avoir une vision globale sur la chaîne du livre et d’approfondir l’expertise sur le livre : « Avoir écrit un livre, ne me classe pas forcément comme auteur. Par contre j’ai l’expérience de la naissance d’un livre, de A à Z et cela m’a donné un regard différent. Par exemple, j’ai mieux compris le travail de l’éditeur, comment il peut aider. Quand je parle aux élèves de plagiat, de sources, je sais de quoi je parle. J’ai pu également assister à la fabrication du livre jusqu’à l’impression », reconnaît Danièle Weiler.

« Les élèves me demandent aussi très souvent “comment on fait un livre” : je crois que mon travail d’auteur donne du “sens ” aux livres et leur montre que les livres font partie de la vie. Je me souviens de la remarque d’une élève qui avait dit “ ben zut alors, je croyais que tous les auteurs étaient morts et dans le dictionnaire”, confie Danièle Fossette.

Comme une évidence, beaucoup s’impliquent dans des ateliers d’écriture telle la professeur documentaliste poète Murielle Compère-Demarcy : « Cette notion de “double-vie” est franchement exacte, dans le sens où mon activité en tant qu’auteur n’est pas si visible que cela. Disons que j’ai mis en pratique cette activité en mettant en place des ateliers d’écriture par exemple, en faisant participer des élèves à des concours d’écriture, à des publications comme dans le cadre du Printemps des Poètes où les élèves dont les textes étaient retenus, bénéficiaient d’une première publication qui motive résolument des enthousiasmes parfois. » Marion Lecoq confirme : « Je m’intéresse également d’assez près aux élèves qui écrivent, je les encourage, j’ai envie de les aider à devenir auteurs eux-mêmes ».

Danièle Fossette a marié ainsi son goût du métier et de l’écriture : « J’ai écrit il y a 2 ans une pièce de théâtre pour les élèves, l’histoire était la suivante : Un élève était tellement “plongé” dans sa lecture qu’il tombait littéralement dans le roman et disparaissait. La professeur documentaliste demandait à ses camarades d’aller le rechercher. Pour cela, ils “entraient dans la littérature” et au cours de leur voyage, ils rencontraient quelques personnages célèbres : le Petit Prince, Harpagon, Cyrano de Bergerac, etc. »

Avec deux projets ambitieux, Jean-Paul Nozière illustre sans doute au mieux l’heureuse liaison auteur-documentaliste : « Notre collège a pu réaliser une revue littéraire, tirée à 1 000 ex. (Fortissimots). Les élèves écrivaient à des romanciers, à des illustrateurs, pour évoquer leur travail. Et tous ou à peu près répondaient ! Ces lettres échangées composaient la revue. Je ne crois pas que ça aurait été possible si je n’avais pas été moi même auteur (je pense que certains de nos correspondants n’avaient peut-être guère envie de participer, mais l’ont fait par amitié18) ».

L’aventure est allée bien plus loin, un livre sur la lecture par des lecteurs avec un professeur documentaliste-auteur-éditeur : « Mon collège a pu faire éditer un livre au Seuil. Le sujet : une lecture qui vous a marqués. Le livre (Une lecture inoubliable) mélangeait les textes d’auteurs, ceux de professeurs et ceux d’élèves. J’ai eu le plaisir de jouer à l’éditeur en faisant signer des contrats d’édition à cent personnes, dont des élèves (leurs parents). Un souvenir… inoubliable !!! Je n’aurais évidemment pas pu réaliser cela, si je n’avais pas été auteur moi-même ».

Une logique implacable

Sophie Bénastre

Si des compétences de professeur documentaliste sont utiles mais non suffisantes pour produire un texte de qualité, écrire complète à merveille le travail de professeur documentaliste. Tout se passe comme si la tentation était trop forte : difficile d’être professeur sans aller titiller ou explorer les territoires de l’écriture. L’engouement de la profession pour les blogs l’illustre. Comme le souligne Clotilde Chauvin, avec l’avènement du web2.0 « les professeurs documentalistes sont de plus en plus producteurs d’informations et rompus à l’exercice de l’écriture ».

L’approche de Philippe Tomblaine s’avère fort séduisante, pratiquer reste la meilleure façon de comprendre et d’enseigner : « Environné par le livre et des passions conjuguées pour l’Histoire, le cinéma et la bande dessinée depuis mon enfance, il est bien évident que l’envie de “créer” ou “d’explorer” revient à l’âge adulte. Je m’étonne toujours du nombre assez faible de collègues de Lettres (pour ne citer qu’eux) qui écrivent réellement, ayant donc envie de faire connaître leurs propres œuvres : chose pouvant certes relever de l’ego, mais dépassant ce simple cap selon moi pour aller vers la connaissance plus profonde des choses. De l’autre côté de la barrière en quelque sorte, plus créateur que consommateur des produits culturels, ce qui permet aussi et à son tour de “donner envie” d’écrire ou dessiner aux jeunes générations, y compris sur Internet. Mon métier de professeur documentaliste m’amenant à repérer, acheter, commenter et utiliser les livres, là encore vient l’envie de se confronter à ce vaste univers en produisant soi-même ».

Les élèves de Philippe Tomblaine puis de Christine Naumann-Villemin visent juste : « des élèves vous aperçoivent tôt ou tard en dédicaces, ou voient vos livres en librairie. Certains sont impressionnés et d’autres trouvent cela logique… ». « Certains pensent même que tous les professeurs documentalistes sont écrivains ! » Les élèves ont bien raison de trouver cela logique, écrire et être édité c’est prolonger de façon formidable son métier.

Festival de projets

Les auteurs documentalistes débordent de projets. Pour cette année 2016, Christine Villemin se lance dans la BD ! Alain Gurly a trois romans en cours, Stéphane Lefèbvre s’attelle à son second, Marion Lecoq rédige son troisième. Danièle Weiler mijote des nouvelles, Philippe Tomblaine travaille sur les Faits divers de Charente de 1900 à nos jours, et va entamer deux monographies sur Juillard et Hermann (projet décidé avant que ce dernier ne remporte le Grand Prix 2016 du Festival d’Angoulême). Pierre Melendez termine un roman et un recueil de poésie. Poésie et Hendrix sont au programme de Stéphane Letourneur. Poésie encore et roman historique pour Roselyne Morel. Murielle Compère-Demarcy publie Je Tu mon AlterEgoïste. Parutions en vue aussi pour Danièle Fossette. Edwige Planchin souhaite s’adresser à des lecteurs adultes. Eugène Ébodé va écrire sur Vienne et ses valses, sur son Cameroun natal, sur le Maroc, sur la Russie de Pouchkine. Christine Naumann-Villemin annonce l’arrivée d’une nouvelle auteure professeure documentaliste d’album : Agnès Sodki… Autant de noms à suivre et pas seulement par solidarité de professeur documentaliste ! Parmi eux se cachent des pépites et des coups de cœur lecture garantis.

Curieusement les auteurs professeurs documentalistes se connaissent assez peu entre eux, de la même manière que nous ignorons combien d’auteurs comptent nos rangs19. Au moment où tout incite à abaisser les cloisons et à favoriser l’interdisciplinarité, le corps des professeurs documentalistes auteurs fait preuve d’innovation. Situés à la croisée d’enjeux majeurs sur l’avenir du livre, ils pourraient jouer un grand rôle pour le livre numérique. Qui mieux que ces agents doubles du livre pourraient concilier les intérêts des lecteurs de CDI (et plus largement de toute bibliothèque) avec ceux des auteurs ? On connaît les difficultés du livre numérique en bibliothèque20. Faisons un rêve, imaginons que les professeurs documentalistes auteurs s’organisent pour composer une librairie numérique à la seule destination des CDI, en proposant des textes adaptés aux élèves à un prix qui reconnaîtrait leur travail d’auteur sans trop entamer le budget du CDI. Un texte simple d’accès et sans DRM21. Qui sait, ils trouveront peut-être la formule idéale pour offrir un modèle innovant dans le monde du livre ?

En attendant laissons les mots d’Eugène Ébodé conclure : « La vie d’auteur et de professeur n’est pas une double vie… C’est d’une vie redoublée, haletante, exténuante, mais passionnante qu’il s’agit. Je suis entouré de livres à mon travail et, à la maison, je vis dans la fabrique de mes livres. C’est donc le livre le moteur et le Souverain. Nous ne sommes en définitive, professeurs, documentalistes, auteurs ou élèves, que ses serviteurs ».

Et les autres ?

Bien d’autres professeurs documentalistes-auteurs devraient être cités dans cet article ; ils n’y sont pas de façon arbitraire, juste parce qu’on est tenu de s’imposer des limites dans le cadre d’un article. Cela ne doit pas vous dissuader de les découvrir !
Pensons à Maïté Bernard, Alain Boudet, Odile Bonneel, Odile Caradec, Christian Doumergue, Marion Favry, Odile Gapillout, Sonia Goldie, Isabelle Grout, Florence Guibert-Fourré, Cécile Hennerolles, Michele Henry, Olivier Hervy, Alain Kewes, Laurence Lavrand, Sandrine Leturcq, Marie Leymarie, Annie Maisonneuve, Yves Denis Papin, Anne-Marie Paris, Geneviève Peigné, Lucie Pierrat-Pajot, Sylvie Ptitsa, Marie-Paule Richard, Sylvie Rouch, Bruno Roza, Jérôme Sagnard, Daniel Saurel, Marie Sauzon, Jacques Vénuleth… et il en manque certainement !
Sur le site d’InterCDI (actuellement en finition), vous trouverez la fiche détaillée et un entretien de chacun des auteurs cités dans cet article : Florence Aubry, Sophie Bénastre, Arlette Chauffour, Clotilde Chauvin, Murielle Compère-Demarcy, Agnès Deyzieux, Eugène Ébodé, Danièle Fossette, Alain Guirly, Marion Lecoq, Céline Le Gallo,  Stéphane Lefèbvre, Stéphane Letourneur, Pierre Melendez, Roselyne Morel, Christine Naumann-Villemin, Jean-Paul Nozière, Pascale Perrier, Edwige Planchin, Philippe Tomblaine, Danièle Weiler.

N’hésitez pas, sur le même modèle, à transmettre à la Rédaction d’InterCDI les fiches manquantes, afin de former une base de données représentative.

Par ailleurs, cet article ne retient pas les auteurs qui écrivent sur le métier comme Françoise Chapron, Françoise Leblond, Olivier Le Deuff, Daniel Moatti, Claudine Vidal…

Pour l’anecdote, il est parfois signalé qu’Anna Gavalda fut professeur documentaliste. Sollicitée, elle a répondu qu’elle avait simplement remplacé une collègue une année lorsqu’elle enseignait le français : « J’étais une professeur documentaliste
de secours » !