Récemment, un article du Monde de l’éducation titrait sur « le blues des professeurs documentalistes » (26/01/21), une profession singulière, métissée, à la double mission : gestionnaire d’un centre de ressources et enseignante, mais sans discipline propre et sans heures de cours dédiées. Le constat n’est pas nouveau, qui le plus souvent pointe le malaise identitaire des professeurs documentalistes, en lien avec la dualité de la fonction, et à la suite un positionnement incertain et un manque de reconnaissance sur le volet formation.

Comment gérer la dualité pédagogie-gestion au quotidien en CDI ? Comment enseigner tout en essayant de répondre aux différentes missions incombant aux professeurs documentalistes ? Et qu’est-ce qu’enseigner ? Les articles initiaux de ce numéro d’Inter-CDI proposent une réflexion sur ces questions, et tentent d’y apporter des réponses concrètes, tirées des observations et des expériences des auteures. La démarche est volontaire et située, chaque témoignage est singulier. Deux idées en ressortent, qui se rejoignent, suggérant de concevoir le CDI comme un « environnement capacitant » et/ou un « Commun » de l’établissement : porteur de formation et d’initiatives pour les élèves, stimulant leur disposition à s’engager dans des expériences et à apprendre/se former.
Avec l’idée de Commun, telle que définie par Kaltoum Mahmoudi, il s’agit de construire collectivement un espace de ressources partagées, avec des élèves volontaires, promus délégués ou tuteurs, qui prennent en charge la gestion du CDI en l’absence des professeures documentalistes : le soir dans le cadre de l’internat, ou en journée lorsque les professeures documentalistes assurent leur mission pédagogique, dans ou hors CDI. Ce mode de gouvernance n’est pas sans difficulté selon l’auteure, il bouscule les modes de fonctionnement établis et les représentations des acteurs, et nécessite de faire des compromis. Le projet se veut politique autant que pédagogique, il signe un engagement militant, soucieux de prioriser le mandat pédagogique.
Pour Léa Gillet, dynamiser l’environnement CDI, c’est aussi aider les élèves à mobiliser et utiliser les ressources à leur disposition, pas seulement mettre des ressources à disposition. Or, la dualité documentaliste-professeur peut générer des situations incapacitantes lorsque l’apprentissage est empêché, ou même décapacitantes lorsque les conditions de travail sont dégradées. Aussi insiste-t-elle sur le nécessaire dialogue Direction-Vie scolaire-CDI visant à rompre avec l’idée, bien ancrée, d’un « CDI fermé » alors même que la professeure documentaliste enseigne. Faire avec ces contraintes oblige à se réinventer en permanence ; les manières d’enseigner se trouvent questionnées. Dans ce contexte, la réalisation, par les élèves, d’émissions webradio sur la vie et le fonctionnement du CDI est envisagée comme un projet capacitant : une occasion de partager des savoirs, info-documentaires et techniques, et de donner une visibilité aux activités mises en œuvre au CDI, « justifiant » la fonction enseignante.
La note de lecture sur l’ouvrage de Florence Lhomme La relation pédagogique, signée Florence Michet, prolonge la réflexion sur la dimension « enseigner », ses modalités, ses espaces. Le discours est centré sur la salle de classe, ce que regrette la rédactrice ; mais les professeurs documentalistes peuvent trouver là « des clés pour construire » (pédagogie de projet, interdisciplinarité, autonomie, collaboration…), comme autant d’aides à la mise en œuvre d’un environnement capacitant et de leviers pour faire bouger un système traditionnellement normé.

Professeur et documentaliste, une équation délicate, qui invite au mouvement et à la réinvention. Ce dont témoigne ce numéro, riche en propositions : au-delà de la réflexion engagée sur un sujet sensible, il ouvre des perspectives, offrant outils pratiques, veille numérique, pistes de lecture, et faisant une large place à l’ouverture culturelle.