Cette rentrée bien particulière ouvre une nouvelle année scolaire marquée par le « Grand Oral » auquel se soumettront les élèves de classe Terminale préparant les cinq épreuves finales du baccalauréat 2021. Les compétences orales évaluées relèvent d’une part de la capacité pour l’élève à prendre la parole en public, d’exploiter ses connaissances et d’autre part de développer une argumentation en lien avec son projet personnel. Les professeurs documentalistes sont doublement mobilisés à la fois pour la préparation et la participation au jury. Pour autant leurs actions menées au CDI, au sein des établissements scolaires et dans des cadres pédagogiques non formels participent de longue date de cette didactique de l’oral. Les activités dans leur diversité, les projets engageant les compétences en jeu dans le Grand Oral montrent une multiplicité d’entrées qui ne peuvent être réduites à ce seul domaine de « l’oral ». En effet, les apprentissages info-documentaires convoqués, la manière dont leur progression sont conçues relèvent pleinement du champ des oralités. Ce numéro de dossier se classe résolument dans cette perspective, celle d’expliciter, analyser des situations de communication, des actes de langage, en somme des faits culturels. Car chaque prise de parole évoque un contexte particulier : celui de l’oralité première aux situations de communication ordinaire, interpersonnelle, et celui de l’oralité seconde qui fait référence à un oral médiatisé et surtout relie l’écrit à l’oral pour reprendre la terminologie de Walter J. Ong. Ce dossier distingue au sein des pratiques professionnelles deux axes d’orientation qui par ailleurs se rejoignent souvent : l’enseignement de l’oral inscrit dans une démarche d’éducation aux médias et à l’information et plus globalement du développement la culture informationnelle et la pratique de l’oral dans une approche davantage communicationnelle faisant appel aux techniques du corps, à un art de dire et de parler.
Car comme l’évoque Sylvie Plane il ne s’agit pas d’enseigner un oral mais plutôt des oraux selon des cadres et enjeux de communication pluriels et de les extraire d’une représentation influencée par l’écrit. Elle souligne ainsi dans son approche historique toute la complexité du rapport entre l’Ecole et l’enseignement de l’oral oscillant entre maîtrise de la langue et maîtrise du discours. Ces objectifs de maîtrise s’articulent de manière fondamentale, essentielle avec ceux de l’éMI : les contributions d’Isabelle Martin et Blandine Schmidt interrogent les dispositifs médiatiques et analysent la démarche communicationnelle inscrite dans le dossier du CLEMI « se préparer à l’oral par la pratique médiatique », celle d’Emily Bouillon et d’Emeline Bis montre bien comment une classe media permet de travailler des apprentissages de maîtrise de la langue, de prise de parole, de connaissance des médias grâce à l’animation d’une webtv par les élèves. Stéphanie Quattrociocchi expose l’intérêt double de l’expérimentation du LabAurascope autour de l’enseignement de l’oral, à la fois pour l’élève et pour l’enseignant grâce à la vidéoscopie. Autant de lectures qui éclairent la démarche proprement info-documentaire des pratiques pédagogiques autour de l’oralité.
Bien parler selon des contextes variés relève également du développement de compétences psychosociales, d’estime de soi, de confiance, de compréhension de codes culturels, de signes pour bien argumenter ses propos, être capable de redonner voix à un texte par une interprétation juste, personnelle et donc par le fait de comprendre et de s’approprier une voix autre. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Cyril Delhay, auteur du rapport éponyme explicite son dessein politique de faire de l’apprentissage de l’oral un levier d’égalité des chances. Cette réactualisation, dans les programmes scolaires, de la nécessité de développer les compétences orales des jeunes adolescents fait écho au pouvoir que la parole maîtrisée donne. En reprenant son propre parcours il nous livre les clés de son enseignement d’un art oratoire, ce qui entre en résonance avec les déambulations jansoniennes proposées par Martine Liagre, la pratique du booktube selon Djamila Aït Hammi, la participation à des concours de lecture à voix haute conduite par Cécile Combettes. Virginie Seba, professeure documentaliste, slameuse, poète, nous fait partager la part sensible de son propre enseignement dans une dernière étape de ce voyage en oralité(s).
Au printemps dernier des voix se sont tues dans les théâtres, salles de spectacle vivant… peu de temps cependant pour reprendre par d’autres voies médiatisées, du podcast jusqu’au simple téléphone permettant des consultations poétiques avec pour mot d’ordre « Tenir parole ». Gageons que la lecture de ce numéro vous accompagne dans vos expérimentations par-delà les conversations masquées, la distanciation sanitaire, pour permettre aux élèves de « tenir parole » à leur tour.