C’est avec une grande tristesse que l’équipe d’InterCDI a accueilli, courant juillet, la nouvelle de la disparition brutale de Louise Merzeau, spécialiste des Sciences de l’information dont les recherches ont généreusement nourri la réflexion de notre profession ces dernières années. Une nouvelle qui a accompagné la préparation de ce numéro et fait résonner notre dossier spécial sur la pensée critique de manière bien singulière. En effet, par son engagement de professeur puis de militant en faveur des Communs – la pensée d’un système de libre partage et circulation des ressources, de l’information, de la connaissance –, Louise Merzeau interroge notre rapport au monde, et nous invite à l’exercice incessant de cet esprit critique, comme une injonction nécessaire. Il suffit de lire le très beau billet intitulé « Repenser nos Communs » qu’elle a posté sur son blog au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, en janvier 2015, et dont nous vous proposons un extrait ci-contre, à garder en mémoire.

Louise Merzeau, professeure à Nanterre, mais aussi photographe, a publié de nombreux articles, dont « Les paradoxes de la mémoire numérique », in InterCDI n°244, et « De la communication aux Communs », in InterCDI n°261. En 2015 , elle est membre du conseil scientifique de Wikimedia France, et co-dirige la publication de l’ouvrage collectif Wikipedia, objet scientifique non identifié (PU de Paris Ouest) consacré à l’encyclopédie participative.

« C’est à mes étudiants que je pense.
(…) Ai-je fait ce qu’il fallait pour les aider à penser, à questionner, à comprendre ? Ai-je œuvré à les rendre plus responsables, plus exigeants, plus honnêtes ? Ai-je réussi à leur passer un peu de ma passion pour l’intelligence, la culture et la rigueur intellectuelle ? Les ai-je convaincus qu’il vaut mieux douter que croire aveuglément, et qu’il y a de la joie à être insatisfait par les réponses toutes faites pour s’efforcer de critiquer, de discuter, de contester ? Les ai-je accompagnés sur la voie qui permet de se forger des convictions, mais aussi de les remettre en question ?
Pour quelques-uns au moins, sans doute.
Mais leur ai-je assez dit combien cette voie était fragile ? Combien elle s’était elle-même frayée non seulement dans le jeu aérien des idées, mais aussi dans les larmes et le sang de l’Histoire ? Leur ai-je transmis cette mémoire sans laquelle il n’y a pas de savoir ? Leur ai-je dit qu’ils ne pouvaient l’emprunter qu’à condition de combattre pour elle, chaque jour, toujours et partout, avec d’autres, en s’organisant collectivement, en se ralliant à d’autres ? […]

Obnubilée par sa sacro-sainte neutralité, l’École a fini par oublier de former les jeunes au politique. L’adhésion, la cohésion, l’organisation sont devenues des valeurs entrepreneuriales. […]

Pour tenter de corriger cette perversion, j’ai récemment créé avec quelques collègues un parcours consacré aux Communs. Réponse bien modeste et qui, comme on peut s’en douter, rencontre peu de succès – tant auprès des étudiants qui préfèrent travailler sur les séries TV (j’aime beaucoup les séries TV rassurez-vous, mais ça ne suffit peut-être pas à fabriquer du Nous) qu’auprès de l’institution qui préfère les formations « professionnalisantes »… Mais aujourd’hui plus que jamais, au lendemain des attentats qui ont frappé la France en ce mois de janvier 2015 et à la veille de ce qui s’annonce comme une des plus formidables manifestations d’unité nationale, je me dis que c’est le bon chemin. Repenser nos communs : les définir, les documenter, les défendre et en organiser la gouvernance. Sur la base de connaissances, d’initiatives collectives, de règles et de principes. En rappelant fortement qu’il n’y a pas de démocratie immédiate, et que seules les médiations – indissociablement organisationnelles et techniques – garantissent l’égalité, la vitalité et la cohésion du collectif. »

Source : http://merzeau.net/repenser-nos-communs/